Par Alan Côté - Les Arts et la Ville
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Par Alan Côté - Les Arts et la Ville
Les régions : ressources culturelles_ Par Alan Côté Directeur général et directeur artistique, Village en chanson de Petite-Vallée Il me fait plaisir de vous adresser la parole pour vous faire part de mon expérience comme acteur de la vitalité culturelle en région, plus particulièrement en Gaspésie. Je suis retourné vivre dans mon village après qu’un professeur d’une école professionnelle de théâtre m’eut dit : je trouve inconcevable que l’on forme des acteurs professionnels à gros coûts et qu’ils aient l’intention d’aller faire du théâtre amateur en région. Je me retrouvais alors à 28 ans, en deuxième année du diplôme collégial en interprétation, après l’appel de la vocation, tardive j’en conviens. Depuis six ans déjà, j’avais mis sur pied un café-théâtre dans la veille forge de mon grand-père, avec des amis médecins montréalais venus s’installer au village. En fait, je m’en suis retourné… quand ce professeur est devenu le nouveau directeur de l’école. 158 Autodidacte de la chanson, je suis revenu faire du théâtre amateur en région et j’ai continué mon apprentissage des métiers du théâtre et de la chanson en poursuivant le travail amorcé au Café de la Vieille Forge, en m’impliquant dans la direction artistique du Festival en chanson de Petite-Vallée et en mettant en place un événement régional de formation théâtrale, chaque automne. Depuis bientôt vingt ans, le Café de la Vieille Forge a connu deux transformations majeures, dont la dernière, dans le cadre de l’implantation du Village en chanson, au printemps dernier. Nous y avons créé une quarantaine de productions théâtrales « amateurs » pour lesquelles j’ai fait la plupart des mises en scène et joué à l’occasion ; nous avons présenté des dizaines de spectacles de chansons, des fins de semaine de perfectionnement en théâtre et en chanson, deux résidences en chanson et accueilli une vingtaine de productions professionnelles annuellement, surtout en chanson, mais également en théâtre, en humour, ainsi que des productions pour le jeune public. Il faut en abattre large pour gagner sa vie dans le secteur culturel en région. L A V I E C U LT U R E L L E À P E T I T E - V A L L É E , U N S U C C È S, M A I S À Q U E L P R I X ? Depuis bientôt vingt ans, la petite communauté culturelle de Petite-Vallée a travaillé à mettre en place une entreprise culturelle qui fait la fierté de la région. La culture même des premiers habitants du village, les efforts de nombreux travailleurs bénévoles, l’attachement et les témoignages des artistes de passage ainsi qu’une gestion proactive sont autant de facteurs qui ont permis au village de faire sa place dans le tissu culturel régional, puis national québécois. Au village, nous sommes 225 habitants. Nous œuvrons dans un périmètre de 100 kilomètres qui compte 3 000 habitants. Aujourd’hui, le budget de notre organisation dépasse de cinq fois celui de la municipalité. COMMENT EN SOMMES-NOUS VENUS LÀ ? Parce que nous ne pouvions compter sur le soutien financier au niveau municipal, et comme l’homme est un animal qui s’adapte, nous avons suppléé au manque de soutien au fonctionnement en mettant en place une organisation soutenue par les efforts mêmes qu’elle générait. C’est donc dire que nous avons produit des spectacles de théâtre et de chanson mettant en vedette les interprètes artisans villageois qui prêtent leurs talents bénévolement au profit de l’organisation. Bien sûr, cela ne s’est pas fait sans heurts, surtout quand, avec le nombre grandissant d’activités, on ne pouvait plus fonctionner qu’avec des travailleurs bénévoles. Mais avec les années, en précisant la ligne de pensée, et en voyant les résultats obtenus grâce à une somme invraisemblable de travail, nous avons réussi à créer une organisation assez solide, quoique toujours précaire en termes de financement. Une centaine de travailleurs bénévoles y contribuent en donnant de leur temps à l’accueil, à la billetterie, à la cuisine et sur les planches, bien sûr. À chaque saison, je me fais un devoir de leur rappeler que ce que nous faisons, ça ne se peut pas, et ça, depuis maintenant plus de vingt ans. Ce scénario peut tenir, par bouts, d’un conte de fées. Cependant, cette synergie villageoise avec ses multiples productions repose, comme dans toute bonne organisation de village, sur le leadership d’un petit nombre d’individus. Nous sommes conscients que c’est de là que peut survenir l’essoufflement et nous faisons tout notre possible pour essayer de s’assurer une relève indispensable à la suite des choses. Mais encore, notre capacité à payer nos travailleurs qui n’est pas concurrentielle et la vie du show-biz qui attire les jeunes vers les grands centres sont autant de facteurs qui nous créent des embûches. Le Festival en chanson quant à lui, pour réussir à se positionner au niveau national, a choisi d’axer sa direction artistique sur la création et sur ce qui pouvait le caractériser davantage: le milieu naturel (la proximité de la mer), l’isolement que procure le fait d’être à l’autre bout du monde, l’accueil de la population et sa culture chansonnière, autant de facteurs qui favorisent la qualité de la rencontre, les échanges et l’émulation des créateurs émergents. LES RÉGIONS-RESSOURCES… E N TA L E N T S B R U T S Avant que je revienne au village, on n’y avait jamais joué Molière, Skakespeare, Jean-Claude Germain, Kobo Abe, Michel-Marc Bouchard ou Steeve Laplante. Nous n’avions jamais vu poindre le bout du nez d’une œuvre dramatique alors que trois pièces sont en chantier présentement, et que nous avons connu un succès sans précédent l’été dernier avec une pièce créée par deux auteurs de la région ; voilà d’autres avantages à encourager l’encadrement professionnel. Et c’est sans compter sur le potentiel énorme qui réside dans les projets de résidences de création qui, pour les troupes amateurs et les amateurs de théâtre : Les régions du Québec sont des pépinières d’artistes de talent. Je crois que le potentiel artistique des régions est sousexploité. Je ne veux pas dire par là qu’il faut tenter d’augmenter le nombre de vedettes en provenance des régions. Je crois qu’en apportant un plus grand soutien aux artistes et artisans en région, l’on pourrait, notamment par l’encadrement professionnel et des résidences de création, améliorer la qualité de vie de ces créateurs et, par le fait même, celle des citoyens. Les résidences de création sont un moyen d’émulation que nous avons expérimenté et nous savons que cela entraîne le public à s’ouvrir à l’expression artistique. L’ E N C A D R E M E N T P R O F E S S I O N N E L Je crois sincèrement que l’émulation artistique en région passe par l’encadrement professionnel. • contribuent à l’émulation par des ateliers et des rencontres ; • favorisent l’ouverture du public à l’égard du processus de création ; • provoquent la médiatisation et la valorisation des métiers de la scène… … et pour les artistes et les compagnies professionnelles : • assurent le dépaysement, l’absence de distractions et autres conflits d’horaires ; • favorisent l’émulation du public, car en créant un spectacle dans le cadre d’une résidence, on crée l’événement et le spectacle s’en trouve grandi quand il entre dans les grands centres par la suite. Prenons l’exemple du théâtre : Quant à l’encadrement professionnel à l’école, il vise à : Je comprends le discours du Conseil des arts et des lettres, qui appuie uniquement les troupes de théâtre professionnelles. Cependant, en région, si l’on veut mener une action efficace et porteuse d’avenir, l’on se doit de soutenir davantage les praticiens professionnels qui œuvrent auprès des troupes de théâtre amateur de même qu’auprès de la clientèle scolaire. Combien de jeunes acteurs formés à gros coûts dans les écoles de théâtre pourraient apporter leur expertise en région et contribuer à la qualité de l’expression théâtrale ? Et on les voit, serveurs dans de chics restaurants des grands centres… Je ne crois pas que l’on réussirait à convaincre tous ces comédiens de venir s’exiler en région, mais en leur offrant une chance de pratiquer leur métier en région, on modifierait certainement le profil des candidats et probablement même des métiers reliés aux arts de la scène. Les productions régionales s’en trouveraient améliorées, et les spectateurs auraient la qualité de théâtre qu’ils méritent. • développer le sentiment d’appartenance ; 159 • valoriser les jeunes ; • ouvrir la clientèle à d’autres métiers potentiels. Des commentaires recueillis auprès des jeunes qui ont fait du théâtre à l’école me confirment que l’expérience qu’ils ont vécue sur le plan artistique leur est d’un grand secours tout au long de leurs études et même sur le marché du travail. En plus, cela fait d’eux de meilleurs consommateurs de produits culturels. L ’ O R G A N I S A T I O N C U LT U R E L L E E T L E S ORGANISMES RÉGIONAUX Il existe un fossé énorme entre les praticiens amateurs et professionnels. Cet écart est notamment causé par l’isolement du loisir culturel au sein des unités régionales des loisirs et des sports. Et pourtant, les programmes qui favorisent le développement d’activités dans ce secteur proviennent du ACTES DU 15e COLLOQUE ANNUEL MCC. Il m’apparaît primordial, surtout pour les régions, que l’on arrime ses actions au sein même du plan d’action des conseils régionaux de la culture. Ainsi, l’organisation du développement culturel régional gagnerait en force, des liens seraient tissés entre les amateurs et les professionnels et l’on pourrait favoriser l’encadrement professionnel. On dit souvent et avec raison que l’organisation culturelle manque de moyens, et j’ajouterais qu’elle manque de vision… LA DIFFUSION Les diffuseurs du Québec, et particulièrement ceux des régions, se sentent les parents pauvres dans la chaîne de production des arts de la scène. Et pourtant, ils sont en première ligne en ce qui a trait à l’éducation et à la perception du public. Il est impératif qu’à la suite de l’évaluation nationale, on investisse davantage dans l’aide aux diffuseurs. Encore là, je crois qu’il y a un travail important à faire quant à l’encadrement professionnel des diffuseurs. Trop d’entre eux sont de simples locateurs de salles ou se contentent de relayer des productions populaires qui ne devraient pas faire l’objet, en raison de leur contenu artistique, de présentations dans le cadre d’une programmation de diffuseurs professionnels. Il faut relever le discours artistique. Il est inadmissible que l’on retrouve dans la programmation de diffuseurs professionnels des spectacles pour enfants tels Histoire de l’oie à côté de celui des « Baby Spice Girls » ! 160 Il faut que les spectacles jeune public en région soient diffusés en mode scolaire, sinon on continue de favoriser l’élite ; les enfants de parents défavorisés se retrouvent encore sans moyens. Comme le disait Gilles Vigneault un jour à Jean-Pierre Ferland, lors d’une émission de la série « Station Soleil » : « À force de danser là-dessus, on finit par penser de même ! » Je sais que nous ne sommes pas le seul exemple de communauté qui s’investit dans la vie culturelle, et ce, dans tous les secteurs d’activités. Ces forces vives doivent être identifiées et soutenues car leurs efforts et leur vision sont à la base même de la vitalité culturelle québécoise. Quand ton chiffre d’affaires quintuple celui de la municipalité, celle-ci a beau être généreuse mais avec ses 225 habitants, même en accordant le taux équivalant à la moyenne nationale d’investissement par personne, elle contribue pour un beau sept mille dollars. Difficile de se fier là-dessus ! Alors on se retourne vers ses bénévoles, on redit que ce que l’on fait ne se peut pas depuis 20 ans. On retrousse ses manches, on donne des bras à ses rêves et on poursuit sa quête autrement… Encore merci pour l’invitation et pour la tribune extraordinaire que vous m’avez offerte. Je vous invite à venir visiter le Village en chanson de PetiteVallée, son théâtre, son camp, sa salle d’interprétation et son Festival en chanson qui se tiendra du 22 juin au 2 juillet prochains.