Analyse de l`Explicit de L`Écume des jours
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Analyse de l`Explicit de L`Écume des jours
NOM : .............................................. Prénom : .............................................. Français — automne 2014 Mathieu RODUIT Analyse de l’Explicit de L’Écume des jours Un apologue L’apologue est un discours narratif allégorique, à visée ludique et didactique, rédigé en vers ou en prose. Il s’agit d’un récit dont on tire une leçon. On peut en trouver plusieurs formes dans la littérature : la fable, le conte, la parabole ou l’utopie. Proximité avec la fable L’explicit de L’Écume des jours comprend de nombreuses similitudes avec la fable. Il est bien entendu narratif, mais surtout, il met en place un couple d’animaux qu’on n’imagine ordinairement pas ensemble, comme dans Le Loup et l’Agneau ou Le Corbeau et le Renard. Ici, il s’agit d’un chien et d’un chat (faut-il y voir une allusion à Tom et Jerry ?). Ces animaux se comportent par ailleurs comme des êtres humains qui ressentent des émotions et sont capables de s’exprimer au travers d’un langage commun, en l’occurrence humain. Après la mort de Chloé, l’explicit place au second plan les humains pour laisser place aux animaux, notamment à la souris qui, tout à tour confidente, conseillère et amie, suit Colin dans les moments heureux et malheureux de son existence. Toutefois, nous verrons qu’elle ne propose pas d’interprétation explicite Fonction ludique Le monde animal que nous propose Vian dans L’explicit de L’Écume des jours est un monde renversé. En principe, un chat est toujours intéressé à jouer avec une souris avant de la manger. Ici, notre chat est blasé et indifférent [« ça ne m’intéresse pas énormément » (l. 1), « je suis bien nourri » (l. 4), « Moi, ce truc-là, ça m’assomme » (l. 38-39)] et c’est la souris qui demande — voire implore — au chat de la manger. Ce dernier finira par lui rendre « service » (l. 28), sans que le cœur y soit. Ce renversement procède du comique de situation, renforcé par la stratégie argumentative maladroite de la souris [« Je suis encore jeune, et jusqu’au dernier moment, j’étais bien nourrie. » (l. 2-3)]. Après avoir fait appel à son appétit en vain, cette dernière tente la stratégie de la compassion en lui expliquant la situation insoutenable [« je ne peux pas supporter ça » (l. 1920) « Il n’est pas malheureux, dit la souris, il a de la peine. C’est ça que je ne peux pas supporter. » (l. 24-25)] de Colin. Le chat finit par accepter, mais, indifférent au sort de Colin, on ne sait pas si c’est par empathie pour la souris ou par lassitude [« si c’est comme ça, je veux bien te rendre ce service, mais je ne sais pas pourquoi je dis “si c’est comme ça”, parce que je ne comprends pas du tout » (l. 27-29)]. Il est intéressant de souligner la parfaite insensibilité du chat face à la souffrance de Colin. Cet extrait met en évidence la dimension narcissique de cet animal, pourtant domestique, uniquement préoccupé de lui-même [« Il n’avait pas très envie de le [ce que Colin fait] savoir. Il faisait chaud et ses poils étaient tous bien élastiques. » (l. 8-9)]. Son absence d’empathie [« — Qu’est-ce que ça peut te faire ? demanda le chat. Il est malheureux, alors ? » (l. 2223)] l’empêche d’entrer en communication avec la souris [« je ne comprends pas du tout » (l. 29)], condamnée à partager seule la souffrance de Colin, dont la vue lui est insupportable [« C’est que tu ne l’as pas vu. » (l. 6)]. Les répliques échangées par le chat et la souris prennent un tour très populaire, presque comique [« C’est idiot » (l. 15) ; « Qu’est-ce que ça peut te faire ? » (l. 21) ; « si c’est comme ça, je veux bien te rendre ce service » (l. 27-28) ; « — Dis donc, dit-elle, tu as mangé du requin, ce matin ? » (l. 36-37) ; « Écoute, dit le chat, si ça ne te plait pas, tu peux t’en aller. Moi ce truc-là, ça m’assomme. Tu te débrouilleras toute seule. » (l. 38-39)]. Le registre de langue familier et la théâtralité de la scène lui confèrent un ton très vivant. Pourtant, le comique dans cet extrait est teinté de pathétique. Au moment de se « suicider », la souris fait de l’humour : « Dis donc, dit-elle, tu as mangé du requin, ce matin ? » (l. 37). Cette réplique et le jeu de mots qu’elle continent sur l’expression « manger du lion » n’est pas congruente. C’est comme si la souris tentait, par l’humour noir, de dédramatiser la situation, à l’image de ce que mettait en évidence Freud dans Le Mot d’esprit et ses rapports avec l’inconscient (1905) : « Le sublime tient évidemment au triomphe du narcissisme, à l’invulnérabilité du moi qui s’affirme victorieusement. Le moi se refuse à se laisser entamer, à se laisser imposer la souffrance par les réalités extérieures, il se refuse à admettre que les traumatismes du monde extérieur puissent le toucher ; bien plus, il fait voir qu’ils peuvent même lui devenir occasions de plaisir. Ce dernier trait est la caractéristique essentielle de l’humour. », citation également reprise par André Breton dans son Anthologie de l’humour noir (1940). Boris Vian évacue ainsi, par l’humour noir, tout sentimentalisme, à moins que l’humour noir l’accentue en mettant en évidence le désespoir de la souris et de Colin. Comment comprendre les remerciements de la souris [« Tu es bon » (l. 30)] lorsque le chat accepte de la manger ou la tentative du chat de la rassurer quant à l’issue fatale qui l’attend [« je la laisserai dépasser [ma queue], n’aie pas peur » (l. 34)] ? Fonction didactique Dans l’avant-propos à L’Écume des jours, Boris Vian nous avertit qu’« il faut se garder d’en déduire des règles de conduite [de L’Écume des jours] » (p. 19). Il n’est donc pas étonnant que sa « fable » ne tranche pas en imposant au lecteur un message fini, prêt à l’emploi. L’explicit ne propose aucune morale explicite. La fable n’est pourtant pas vaine comme peut l’être Le Serpent et le Renard de Ionesco. Chaque personnage peut être lu de manière symbolique et c’est précisément le travail du lecteur de déchiffrer ce qu’il peut y avoir d’humain dans ces deux personnages. La souris, par sa sympathie — du grec σύν (sun) « ensemble » et de πάθος (pathos) « passion, souffrance » — pour Colin, peut être identifiée à lui. Elle comprend son désir de venger la mort de Chloé, d’affronter dans une sorte de combat singulier le « le nénufar » (l. 12) à l’origine de sa souffrance [« il attend qu’il remonte pour le tuer » (l. 14)] et identifie avec précision ses sentiments [« Il n’est pas malheureux, dit la souris, il a de la peine. » (l. 24)], si bien qu’elle peut pressentir sa mort prochaine [« Un de ces jours, il va faire un faux pas » (l. 20) ; « il va tomber dans l’eau. Il se penche trop. » (l. 25-26)]. Mais surtout, la souris constitue en quelque sorte le double de Colin : sa mort — ou plutôt son « suicide[] » (l. 5) — programmée annonce au lecteur celle du héros. De son côté, le chat représente la nature meurtrière, la fatalité. Il n’abat pas directement ses « dents aigües » (l. 36), ses « canines acérées » (l. 43) sur la souris. Il n’incarne donc pas un destin cruel. D’ailleurs, il ne fait cela que pour « rendre […] service » (l. 27-28). « Ça ne [l] » intéresse pas énormément » (l. 1) de la tuer. Il attend un mécanisme de réflexe, c’est-à-dire un mécanisme inintentionnel, pour la croquer. Il laisse sa queue dépasser. Ce n’est qu’une histoire de « temps » (l. 33). Les « onze petites filles aveugles de l’orphelinat de Jules l’Apostolique. » (l. 46-47) qui arri2 vent « en chantant » (l. 46) — ironie du sort ? — confèrent bien évidemment sa dimension aveugle et absurde au destin, innocent et tragique. La référence à « l’orphelinat de Jules l’Apostolique. » (l. 46-47) laisse présager l’indifférence divine déjà mise en évidence lors de l’enterrement, lorsque Jésus disait n’être pas responsable de la mort de Chloé [« Je n’ai aucune responsabilité là-dedans » (p. 325)]. Le chat incarne donc plutôt un destin résigné à accomplir toutefois avec nonchalance son rôle tragique [« laiss[ant] reposer avec précaution ses canines acérées sur le cou doux et gris » (l. 43-44)] de la souris. Sous un air faussement rassurant [« je la laisserai dépasser, n’aie pas peur » (l. 34)], il annonce en réalité l’inéluctabilité de la fin de la souris — et en même temps de Colin. Mais à ce destin en marche s’oppose ici l’amour dans sa grandeur et sa beauté. Comme Tristan et Yseult ou Roméo et Juliette, Colin ne peut survivre à la mort de Chloé. Pourtant, l’amour si fort soit-il est comme tout chose ici-bas : éphémère. Si Boris Vian nous épargne l’image de l’issue fatale à la fois de la souris et de Colin, il ne laisse aucune place à l’espoir. Le texte, par sa mise en évidence de l’inéluctabilité de l’échec, nous interroge donc sur le sens de l’amour, du deuil et de l’existence en général. Faut-il sacrifier sa vie pour des idéaux ou ses idéaux pour vivre ? Conclusion L’analyse de l’explicit et en particulier la mise en évidence d’une double tonalité, à la fois comique et pathétique, et d’une symbolique nous permet une ultime tentative d’explicitation du titre. L’écume pourrait alors représenter les remous de la mer, l’agitation et la vie caractéristique de la première partie du roman, avec le jazz, le biglemoi, les repas de Nicolas, les jolies filles, etc. Ces plaisirs de surface laisseraient ainsi, au fil du temps, place à la réalité des jours qui succèdent au mariage. Le passage à l’âge adulte supprime l’insouciance et la légèreté adolescente en démasquant l’existence et ses maux : la maladie, le travail et la mort, à la fois inéluctables et tragiques. 3 Dies ist ein WWF-Dokument und kann nicht ausgedruckt werden! Das WWF-Format ist ein PDF, das man nicht ausdrucken kann. So einfach können unnötige Ausdrucke von Dokumenten vermieden, die Umwelt entlastet und Bäume gerettet werden. Mit Ihrer Hilfe. Bestimmen Sie selbst, was nicht ausgedruckt werden soll, und speichern Sie es im WWF-Format. saveaswwf.com This is a WWF document and cannot be printed! The WWF format is a PDF that cannot be printed. 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