peut-on absorber une societe quand on a un actif net

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peut-on absorber une societe quand on a un actif net
PEUT-ON ABSORBER UNE SOCIETE QUAND
ON A UN ACTIF NET NEGATIF ?
Stéphane SYLVESTRE
Doctorant à l’Université de Paris I
1. Il y a quelques années, un auteur se demandait si une société pouvait être absorbée alors
qu’elle avait un actif net négatif1. Une telle opération était jugée impossible, sauf en cas de
fusion simplifiée. En revanche, on s’est peu interrogé sur l’hypothèse inverse : il peut arriver
que ce soit la société absorbante qui soit celle dont l’actif net est négatif. Les commentaires
émis à propos de cette situation dans la doctrine ou dans le droit positif sont particulièrement
elliptiques.
2. En cas de fusion, l’article L. 236-1 du Code de commerce (ancien 371 al. 4 de la loi du
24 juillet 1966) dispose que : « Les associés des sociétés qui transmettent leur patrimoine
dans le cadre des activités mentionnées aux trois alinéas précédents (fusion ou scission),
reçoivent des parts ou des actions de la ou des sociétés bénéficiaires et, éventuellement, une
soulte en espèces dont le montant ne peut dépasser 10% de la valeur nominale des parts ou
des actions attribuées ».
3. Si la société absorbante a un actif net négatif et qu’elle n’a aucun élément d’actif
(notamment incorporel) susceptible d’être réévalué, les associés de la société absorbée
peuvent recevoir, par l’effet de la fusion, des actions (ou des parts sociales) dont la valeur
réelle est inférieure à la valeur nominale. Plus grave, la valeur des titres reçus peut être nulle
voire négative.
4. A priori, on pourrait penser qu’aucun actionnaire n’accepterait de voter le principe d’une
opération à ce point contraire à ses intérêts. Mais, dans le cadre d’un groupe de sociétés,
l’intérêt de l’actionnaire majoritaire peut être d’effectuer une telle opération. Même en
l’absence de participations entre les sociétés susceptibles de fusionner, il peut être de l’intérêt
du bloc majoritaire de procéder à une telle opération si, par exemple, il a des intérêts dans les
deux sociétés et qu’il désire favoriser l’une d’entre elles.
5. La doctrine, lorsqu’elle se prononce sur ce point, est unanime à contester que la fusion
puisse avoir lieu dans ces conditions2. Peut-on imposer aux actionnaires de la société absorbée
1
J.-J. DAIGRE : « Peut-on absorber une société ayant un actif net négatif ? », JCP éd. E 1992, I, 165.
2
JEANTIN : « FUSIONS-SCISSIONS : Conditions de réalisation – Phase préparatoire », JCL Sociétés, Fasc.
164-B, n° 32 ; BERTREL et JEANTIN : « Fusions et acquisitions de sociétés commerciales », n°845 ;
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de recevoir des actions d’une valeur inférieure à leur valeur nominale à la majorité requise
pour la fusion et non à l’unanimité ? Une telle opération, qui se heurte aux principes régissant
le droit boursier (II) semble très controversée selon le droit commun des sociétés (I).
I. UNE OPERATION CONTROVERSEE EN DROIT COMMUN DES
SOCIETES
6. L’opération soulève de nombreuses objections (A) et semble pouvoir faire l’objet de
diverses sanctions (B). Pour y pallier, il existe cependant certaines solutions (C).
A) Les objections soulevées
7. Les objections, qui peuvent être tirées des dispositions spécifiques aux fusions (1) sont
en réalité fondées sur les dispositions propres au capital social (2).
1. Les objections tirées des dispositions spécifiques aux fusions
8. En matière de fusion, les seules obligations textuelles relatives aux évaluations relèvent
de la compétence du commissaire à la fusion qui a pour mission de rédiger, en vertu de
l’article L. 236-10 du Code de commerce (ancien art. 377 de la loi de 1966), un rapport sur les
modalités de la fusion et un rapport sur la valeur des apports en nature.
a) La mission du commissaire à la fusion en tant que tel
9. Le commissaire à la fusion doit vérifier que les valeurs relatives attribuées aux actions
des sociétés sont pertinentes et que le rapport d’échange est équitable. A ce titre, son rapport
sur les modalités de la fusion doit :
-
indiquer la ou les méthodes suivies pour la détermination du rapport d’échange proposé ;
-
indiquer si ces méthodes sont adéquates en l’espèce et mentionner les valeurs auxquelles
conduit chacune d’elles, un avis étant donné sur l’importance relative accordée à chacune
de ces méthodes dans la détermination de la valeur retenue ;
-
indiquer les difficultés d’évaluation s’il en existe.
10. En l’espèce, il n’y a pas de difficultés d’évaluation : on suppose simplement qu’en raison
des valeurs relatives des deux sociétés – une absorbante ayant un actif net négatif et une
C. BOLZE : « Fusion et scission », Rép. Dalloz Sociétés, n°70 ; Lamy Sociétés Commerciales 2000, n°1699 ;
Mémento Pratique Francis Lefebvre 2001, préc. n°26452.
2
M.-L. COQUELET : « Fusion , Scission, Apport Partiel d’Actif », Dict. Joly Sociétés n°18.
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absorbée prospère – les associés de la société absorbée vont recevoir des parts d’une valeur
réelle inférieure à leur valeur nominale. Lorsque cette situation se présente, il nous a été
indiqué par un commissaire à la fusion qu’il est alors usuel de mentionner dans son rapport
que le rapport d’échange n’est pas équitable. En effet, la norme n°42 de la Compagnie
Nationale des Commissaires aux Comptes (CNCC) reprend les prescriptions de L. 236-10 du
Code de commerce. Pour ces professionnels, la vérification du caractère équitable du rapport
d’échange consiste à s’assurer notamment qu’il offre aux apporteurs une rémunération
satisfaisante3. Dans notre situation, il est difficile de prétendre que le rapport d’échange offre
aux apporteurs une rémunération satisfaisante dès lors que la valeur réelle des actions est
inférieure à leur valeur nominale.
11. Il est cependant possible de soutenir que l’émission d’un tel rapport n’empêche pas la
réalisation de l’opération dès lors que les actionnaires votent la fusion à la majorité requise
des deux tiers. Le rapport en qualité de commissaire à la fusion semble n’être qu’un élément
d’information pour les actionnaires comme en témoigne l’emploi à trois reprises du verbe
« indiquer » lorsqu’est décrite la mission du commissaire à la fusion4. Si le rapport du
commissaire à la fusion indique que le rapport d’échange n’est pas équitable, cela ne devrait
pas pouvoir empêcher la décision de fusion d’être adoptée à la majorité requise. Simplement,
tous les actionnaires ayant été correctement informés des conditions de l’échange des titres, ils
ne pourront prétendre qu’ils n’ont pas voté en connaissance de cause.
b) La mission du commissaire à la fusion en qualité de commissaire aux
apports
12. Le commissaire à la fusion doit, dans le rapport sur la valeur des apports en nature :
-
apprécier la valeur des apports en nature ;
-
vérifier que le montant de l’actif net apporté est au moins égal au montant de
l’augmentation de capital de la société absorbante.
13. A priori, aucune de ces prescriptions ne prohibe l’émission d’actions d’une valeur
nominale inférieure à leur valeur vénale. En particulier, la dernière vérification (montant de
l’actif net apporté au moins égal au montant de l’augmentation de capital de la société
absorbante) oblige à faire concorder l’actif apporté et le montant de l’augmentation de capital.
Il n’oblige pas à faire concorder la valeur nominale et la valeur vénale des actions émises.
14. Mais le commissaire aux apports, dans le cadre de sa mission de la valeur des apports,
doit également affirmer, conformément à l’article 64-1 du décret du 23 mars 1967 (sur renvoi
de l’article 169 de ce décret), que la valeur des apports correspond au moins à la valeur au
nominal des actions à émettre augmentée éventuellement de la prime d’émission. En vertu de
3
CNCC : « Commissariat aux apports », n°2.2.3.
4
cf. supra n°9.
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cette disposition, la valeur réelle des actions émises doit avoir pour plancher leur valeur
nominale. Or, lorsque la société absorbante a un actif net négatif, la fusion peut entraîner
l’émission d’actions d’une valeur réelle inférieure à cette valeur nominale.
15. Cette correspondance minimale doit donc faire l’objet, en vertu de ce texte, d’une
affirmation du commissaire aux apports. S’il n’est pas en mesure de procéder à une telle
affirmation, il ne devrait pas pouvoir émettre ce rapport. Or, en vertu de l’article 51, alinéa 3
du décret du 30 mai 1984, ce rapport doit être déposé au greffe du tribunal de commerce5. Et
en l’absence dudit rapport, le greffe refusera d’enregistrer les modifications statutaires au titre
de l’opération de fusion. Celle-ci sera donc inopposable aux tiers.
16. Dès lors, il nous semble que si à l’issue de la fusion, les actions émises avaient une
valeur inférieure à leur valeur nominale, l’opération ne devrait pas pouvoir avoir lieu en raison
de l’opposition du commissaire. Son rapport n’a pas ici la simple fonction d’informer les
actionnaires comme c’est le cas lorsqu’il agit en qualité de commissaire à la fusion stricto
sensu. Autrement, l’opération serait contraire aux principes régissant les opérations sur le
capital.
2. Des objections fondées sur les dispositions propres au capital social
17. La fusion se traduit, dans la société absorbante, par une augmentation de capital par
apport en nature. Une telle opération, lorsqu’elle entraîne l’émission d’actions d’une valeur
inférieure à leur valeur nominale, ne peut avoir lieu parce qu’elle s’oppose aux principes
régissant les augmentations de capital. En effet, le capital social doit être intégralement
souscrit dans les SARL et les sociétés par actions.
18. Or, il résulte de la règle de souscription intégrale du capital social le principe
d’interdiction de l’émission d’actions en dessous de leur valeur nominale. L’article L. 225-128
du Code de commerce (ancien 179 de la loi de 1966) implique aussi l’interdiction de
principe : les actions nouvelles sont émises, soit à leur montant nominal, soit à ce montant
majoré d’une prime d’émission. La prohibition de l’émission d’actions au-dessous du pair
n’est expressément prévue, dans la loi de 1966, que par l’article L. 232-19 du Code de
commerce (article 352 de la loi de 1966). La prohibition est cependant générale6. La
jurisprudence n’a eu l’occasion d’appliquer la prohibition de l’émission au-dessous de la
valeur nominale essentiellement lorsqu’elle a eu à statuer sur la validité des commissions de
placement7 mais il nous semble qu’elle pourrait également s’appliquer à une fusion réalisée
dans les conditions que nous avons décrites. En tout état de cause, si l’on considère qu’une
fusion réalisée ainsi est illicite, encore faut-il déterminer quelles sont les sanctions
applicables.
5
Avis CCRS n°98-02 bis : Bull. RCS juin 1999, p. 7.
6
G. NAFFAH : « Conditions de l'augmentation de capital en numéraire », JCL sociétés, Fasc. 156, n°58 et s.
7
G. NAFFAH : « Conditions de l'augmentation de capital en numéraire », précit., n°60 ; G. VENANDET :
« Souscription », JCL Sociétés, Fasc. 115, n°27 et s.
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B) Les sanctions envisagées
19. La première sanction à laquelle on pourrait penser est la nullité de l’opération. Mais il est
très difficile de faire prononcer la nullité d’une fusion. En effet, pour assurer une meilleure
protection des tiers et des associés, les cas où la nullité peut être obtenue sont désormais
strictement limités à deux8, à savoir :
-
la nullité de la délibération de l’une des assemblées qui ont décidé l’opération ;
le défaut de déclaration de conformité9.
20. De plus, l’action en nullité est enfermée dans un délai de prescription très strict. Alors
que dans le droit commun, elle est prescrite à l’expiration d’un délai de trois ans à compter du
jour où la nullité est encourue, l’action en nullité d’une fusion ou d’une scission de sociétés se
prescrit par six mois à compter de la date de la dernière inscription au registre de commerce et
des sociétés10.
21. Si la nullité est difficile à mettre en œuvre, engager la responsabilité civile des dirigeants
semble plus aisé. En effet, l’article L. 225-251 du Code de commerce (ancien art. 244 de la loi
de 1966) dispose : « Les administrateurs sont responsables, individuellement ou
solidairement, selon le cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux
dispositions législatives ou réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des
violations des statuts, soit des fautes commises dans leur gestion ».
22. Or, en l’espèce, la fusion, en ce qu’elle entraîne l’émission d’actions dont la valeur
nominale est inférieure à la valeur réelle, contrevient directement à l’article 64-1 du décret du
23 mars 1967. La responsabilité des dirigeants peut donc être engagée de ce chef. De plus, une
décision à ce point favorable aux intérêts du groupe majoritaire et contraire à ceux des
minoritaires ne pourrait-il pas être considéré comme une faute de gestion ? Certaines
décisions de jurisprudence ont retenu l’existence d’une faute de gestion en cas d’agissements
contraires aux intérêts de la société11. Ceci nous amène à nous interroger sur la possibilité de
critiquer l’opération en raison de sa contrariété à l’intérêt social (1). En l’espèce cependant, il
semble que l’intérêt ignoré soit moins celui de la personne morale que celui de ses
membres (2).
1) Les sanctions fondées sur la contrariété à l’intérêt social
8
LAMY Sociétés Commerciales 2000, n°1712.
9
idem.
10
idem n°1713.
11
Y. GUYON et C. de LEIRIS : « Administration : Responsabilité civile des administrateurs », JCL Sociétés,
Fasc. 132, n°52 et s.
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23. Cette contrariété à l’intérêt social peut être sanctionnée soit par l’abus de majorité (a),
soit par l’abus des pouvoirs (b).
a) L’abus de majorité
24. L’abus de majorité pourrait permettre d’obtenir la nullité de l’opération. La Cour de
cassation12 a défini les conditions d’annulation pour abus de majorité dans les termes
suivants : « La décision de l’assemblée générale d’une société anonyme ne saurait être annulée
pour abus de majorité que s’il est établi qu’elle a été prise contrairement à l’intérêt général de
la société et dans l’unique dessein de favoriser les membres de la majorité au détriment des
membres de la minorité ». Il a déjà été décidé qu’il était possible de demander la nullité d’une
fusion pour abus de majorité si les conditions de l’abus étaient réunies13. C’est également
l’opinion d’un auteur14. En l’espèce, ces conditions sont-elles réunies ?
25. En ce qui concerne la rupture d’égalité, il est tout à fait possible de considérer que la
fusion entraînant pour les actionnaires minoritaires de la société absorbée une remise de titres
d’une valeur inférieure à leur valeur nominale constitue pour ceux-ci une décision qui ne les
favorise pas. Seul l’actionnaire majoritaire peut y trouver un intérêt. Ce dernier va recevoir le
patrimoine de la société et ce, au détriment des minoritaires qui eux, ne vont recevoir que des
titres dévalorisés. La preuve de la rupture d’égalité peut être facilitée par le rapport émis par le
commissaire à la fusion. En pareille circonstance, celui-ci ne peut qu’affirmer que le rapport
d’échange est inéquitable au détriment des actionnaires minoritaires15. Le deuxième critère de
l’abus de majorité, la rupture d’égalité entre actionnaires, est donc caractérisé. Mais qu’en estil de la contrariété à l’intérêt social ?
26. Il est en effet difficile d’apprécier l’intérêt d’une société dans le cadre d’une opération
qui entraîne sa disparition. On ne peut dire que l’opération est contraire à l’intérêt de la société
simplement parce qu’elle entraîne sa disparition puisque cette disparition, la dissolution de la
société absorbée, est un effet légal de la fusion16. Or, il est difficile de démontrer que l’effet
légal d’une opération entache celle-ci d’illicéité, sauf cas de fraude ou d’abus de droit.
27. Il semble donc impossible d’apprécier la contrariété à l’intérêt social de la société
absorbée. En pareil cas selon nous, seul l’intérêt de ses actionnaires doit prévaloir puisque le
critère de l’intérêt de la société est inopérant.
12
Cass. Com. 18 avril 1961 : Bull. Civ. III, n°175.
13
Cass. Com. 11 oct. 1967 : RTDCom 1968, p. 94, obs. HOUIN ; Rec. D.S. 1968, p.136.
14
C. BOLZE : « Fusion et scission », Rép. D. Sociétés , n°70.
15
cf. supra n°9.
16
On risquerait d’aboutir au même résultat que lorsque l’on prétend que la transmission universelle de patrimoine
est un avantage particulier alors que celle-ci est également un effet légal de la fusion ; cf. Trib. Com. Roubaix 6
mai 1994 : Bull. Joly 1994, p. 654 note P. LE CANNU ; CA Douai 7 juil. 1994 : Bull. Joly 1994, p. 994, note P.
LE CANNU ; Rev. Soc. 1994, p.713 note D. RANDOUX.
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28. Or, la rupture d’égalité est bien ici consommée puisque les actionnaires minoritaires vont
recevoir des titres d’une valeur inférieure à leur valeur nominale alors que l’actionnaire
majoritaire va lui, recevoir le patrimoine de la société absorbée. Il n’est cependant pas certain
que cette solution, axée exclusivement sur la rupture d’égalité entre actionnaires, soit adoptée
par la jurisprudence. Elle est en effet contraire au standard jurisprudentiel17 qui impose, depuis
1961, que la décision critiquée soit contraire à l’intérêt social.
29. Un jugement a bien admis que représente un abus de majorité, cause de son annulation,
la décision de l’assemblée générale d’une société absorbante portant sur la fusion-absorption
de deux filiales contrôlées par l’actionnaire commun majoritaire, dès lors que les résultats de
la société absorbée étant déficitaires, l’opération était conduite dans le seul intérêt fiscal sans
tenir compte des droits des associés minoritaires de la société absorbante à qui la prise en
charge des dettes des filiales absorbées ne procurait aucun avantage18.
30. L’intérêt majeur de ce jugement semble être d’avoir reconnu que l’opération était
conforme à l’intérêt de la société absorbante et d’avoir pourtant décidé qu’elle était abusive en
raison de la contrariété avec les intérêts des associés de cette société. Il semble donc que la
seule rupture d’égalité ait suffi à fonder un abus de majorité. Il est cependant impossible
aujourd’hui d’affirmer avec certitude que cette audace des juges de première instance serait
partagée par la Cour de cassation ou même par les Cours d’appel, même si on peut souhaiter
une telle évolution.
31. De plus, il était dans cette espèce possible de déterminer l’intérêt de la société puisque
l’opération était contestée au sein de la société absorbante qui n’avait pas vocation à
disparaître. Lorsque c’est l’intérêt de la société absorbée qui est en jeu, cette détermination est
plus délicate. Le même problème est susceptible de se poser en matière d’abus des pouvoir.
b) L’abus des pouvoirs
32. On peut également se demander si cette opération n’est pas susceptible d’être pénalement
qualifié d’abus des pouvoirs. Cette incrimination est prévue par l’article L. 242-6-4° du Code
de commerce (ancien art. 437-4° de la loi de 1966): « Seront punis d’une peine
d’emprisonnement de cinq ans et d’une amende de 2.500.000 francs ou de l’une de ces deux
peines seulement… le président, les administrateurs ou les directeurs généraux d’une société
anonyme qui de mauvaise foi, auront fait des pouvoirs qu’ils possédaient…, en cette qualité,
un usage qu’ils savaient contraires aux intérêts de la société, à des fins personnelles ou pour
favoriser une autre société ou entreprise dans laquelle ils étaient intéressés directement ou
indirectement ».
33. Une telle qualification n’est pas inconcevable. La fusion décidée en de pareilles
circonstances a souvent pour seul but la satisfaction de l’intérêt de l’actionnaire majoritaire.
17
Cass. Com. 18 avril 1961, préc.
18
Trib. Com. Paris 5 sept. 1995 : Dr. Soc. Fév. 1996, n°43.
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Comme dans le cas de l’abus de majorité, il est toujours difficile d’apprécier si l’opération est
conforme à l’intérêt de la société absorbée dans la mesure où la fusion a pour effet sa
disparition. Or, il sera difficile en pareil cas de prétendre de manière prétorienne que l’intérêt
social signifie dans le cadre de cette disposition la rupture d’égalité entre actionnaires alors
que ce texte requiert spécifiquement « …un usage… contraires aux intérêts de la société ».
Même si le seul moyen d’assurer l’efficacité de la répression serait de considérer que les
intérêts de la société sont ceux de ses actionnaires, il n’en reste pas moins qu’une
interprétation stricte de cette disposition, conforme aux principes du droit pénal, s’impose.
34. Un arrêt a cependant retenu l’abus des pouvoirs dans le cas d’une fusion19. Mais les
circonstances particulières qui entouraient cet arrêt ne permettent pas d’affirmer qu’il
s’agissait d’une décision de principe. Il s’agissait en effet d’une fusion post acquisition
effectuée dans le cadre d’un LBO. La Haute Juridiction a relevé que l’abus des pouvoirs était
caractérisé par la mise en œuvre de la fusion dans le seul but d’éteindre par voie de confusion
la dette de la société holding envers la société absorbante, d’où il résultait que la fusion était
extrêmement déséquilibrée, lésionnaire et dépourvue de toute justification économique pour la
société absorbante. La cour d’appel avait ajouté un argument tiré de ce que la société holding
absorbée avait été valorisée à sa valeur vénale (42 millions de francs) alors que l’absorbante
l’avait été à sa valeur comptable (69.9 millions de francs), éléments révélateurs pour ces
juridictions de la recherche par le dirigeant de son seul intérêt20.
35. La fusion effectuée entre une société absorbée en bonne santé financière et une société
absorbante à l’actif net négatif serait susceptible de faire l’objet de la même incrimination dès
lors qu’il apparaît que l’opération n’a été motivée que par l’intérêt de l’actionnaire majoritaire,
même si la caractérisation de la contrariété à l’intérêt social risque d’être difficile à apporter
pour les raisons déjà évoquées21. Dès lors, le recours à la notion d’intérêt commun ne serait-il
pas porteur de plus d’efficacité ?
2) Les sanctions fondées sur la contrariété à l’intérêt commun des associés
36. L’intérêt commun peut justifier la nullité de l’opération envisagée (a) mais également la
responsabilité des dirigeants impliqués (b).
a) L’intérêt commun, source de nullité
19
Cass. crim., 10 juil. 1995 : JCP éd. G 1996 n°22572, note J. PAILLUSSEAU ; Bull. Joly 1995, p. 1051, note
A. COURET et P. LE CANNU ; Rev. Soc. 1996, p. 316, note B. BOULOC ; H. LE NABASQUE : « La fusion
après acquisition peut constituer un abus de pouvoirs », RJDA 1996, p.432.
20
H. LE NABASQUE, préc.
21
On peut toutefois penser que l’abus des pouvoirs pourrait être aisément retenu si la fusion s’avérait
extrêmement déséquilibrée, lésionnaire et dépourvue de toute signification économique pour la société absorbée.
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37. Un auteur22 se fondant sur l’article 1833 du Code civil, qui dispose que la société doit
être constituée dans l’intérêt commun des associés, énonce qu’il en découle qu’une société ne
peut être créée et gouvernée dans l’intérêt de certains associés seulement. L’article 1832 du
Code civil assigne un but au contrat de société : partager les bénéfices ou profiter de
l’économie qui pourra résulter de l’activité sociale ; chaque associé est donc en société pour
partager avec les autres le profit social. L’intérêt d’un associé dans la société est de retirer de
l’enrichissement collectif un enrichissement individuel ; cet intérêt est le même pour chacun
des associés : il leur est commun. L’intérêt commun implique donc l’égalité des actionnaires :
chaque actionnaire, à proportion de sa participation, dispose d’un droit égal à celui des autres
de retirer de l’enrichissement collectif un profit individuel.
38. L’abus de majorité implique la réunion de deux conditions : la première se rapporte à
l’intérêt social, la seconde à l’intérêt commun. De l’exigence de la réunion de ces deux
conditions résulte que lorsqu’une décision majoritaire n’est pas contraire à l’intérêt social, elle
n’est pas abusive alors même qu’elle avantagerait les majoritaires au détriment de la
minorité23. Cela signifie que la majorité ne commet pas d’abus en s’avantageant au détriment
des minoritaires lorsque le patrimoine social n’en pâtit pas ; on peut donc spolier des
actionnaires si le patrimoine social demeure intact ; cela n’est pas admissible. Aussi faut-il
rechercher ailleurs la sanction de la rupture de la communauté d’intérêt24. Car constater que la
sanction de l’abus de majorité ne trouve pas application ne dispense pas de respecter l’intérêt
commun. Comment restaurer l’intérêt commun ?25
39. Le Professeur Schmidt constate que l’article 1833 du Code civil impose le respect de
l’intérêt commun. L’article 1844-10 dudit Code énonce notamment que la nullité des actes ou
délibérations des organes de la société peut résulter de la violation d’une disposition
impérative du présent titre. Or, l’article 1833 fait partie de ce titre du Code civil. Donc tout
acte ou délibération rompant l’intérêt commun encourt l’annulation26. La mise en œuvre de
ces dispositions permet d’anéantir une décision rompant la communauté d’intérêt alors même
que le patrimoine social demeure intact27.
40. Cette disposition permettrait donc de demander la nullité des délibérations non
conformes à l’intérêt commun des associés, ce qui constitue un intérêt indéniable par rapport à
la règle jurisprudentielle de l’abus de majorité. Celle-ci demande la réunion de deux éléments.
Or, il est des situations dans lesquelles l’égalité des associés n’est pas respectée mais dans
lesquelles l’intérêt de la société est indemne. Dans ce cas, aucune action pour abus de majorité
22
D. SCHMIDT : « De l’intérêt commun des associés » : JCP éd. E, 1995, I, n°404.
23
idem.
24
D. SCHMIDT : « Rapport de synthèse », in « Où se situera demain le pouvoir dans les sociétés cotées ? » : JCP
éd. E, suppl. 1996/4, p. 25.
25
D. SCHMIDT : « De l’intérêt commun des associés », précit.
26
idem.
27
D. SCHMIDT : « Rapport de synthèse », précit.
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n’est concevable ; en revanche, l’action pour violation de l’intérêt commun viendrait autoriser
sur le seul fondement de l’égalité la remise en cause de la décision de la société28.
41. En l’espèce, il nous semble que la fusion effectuée dans ces conditions constitue la
parfaite illustration de l’utilité de la notion d’intérêt commun. A notre sens, il est impossible
de déterminer si l’opération est ou non conforme à l’intérêt de la société absorbée puisque
celle-ci disparaît. En revanche, il est indéniable qu’elle favorise le bloc majoritaire au
détriment des minoritaires. La nullité doit être la sanction de cette rupture d’égalité, sanction
qui trouve un fondement idéal dans la violation de l’intérêt commun.
b) L’intérêt commun, source de responsabilité
42. Pour le Professeur Schmidt 29, le conseil d’administration répond de l’intérêt commun
des actionnaires. L’article L. 225-251 du Code de commerce (ex-art. 244 de la loi de 1966)
énonce : « Les administrateurs sont responsables, individuellement ou solidairement, selon le
cas, envers la société ou envers les tiers, soit des infractions aux dispositions législatives ou
réglementaires applicables aux sociétés anonymes, soit des violations des statuts, soit des
fautes commises dans leur gestion » ; parmi ces dispositions figure celle édictée par l’article
1833 précité ; en conséquence toute décision prise par le conseil d’administration qui rompt
l’intérêt commun des actionnaires engage la responsabilité des membres de cet organe.
43. Cette responsabilité du conseil ne procède pas seulement de l’application du texte précité
mais aussi d’un véritable devoir fiduciaire des administrateurs envers les actionnaires. De là
découle l’obligation pour chaque administrateurs et pour l’organe collégial, en charge de
l’intérêt de tous les actionnaires, de s’assurer qu’aucune décision sociale n’avantage certains
d’entre eux30.
44. L’intérêt commun ainsi appliqué permettrait de sanctionner directement et efficacement
le comportement fustigé : en effet, la fusion n’a en pareil cas d’intérêt que pour l’actionnaire
majoritaire de la société absorbée. Les actionnaires minoritaires, qui reçoivent des actions
dévalorisés, en sont au contraire les victimes. Il leur serait donc aisé de démontrer qu’elle est
contraire à l’intérêt commun et réclamer de ce chef des dommages-intérêts.
45. La théorie de l’intérêt commun, systématisée par son auteur31, est appelée à connaître
d’intéressants développements. La Cour de cassation vient, de manière très explicite, d’en
reconnaître l’existence32. Le jour est proche où sa violation sera également sanctionnée.
28
M. GERMAIN : « L’intérêt commun des actionnaires », in « Où se situera demain le pouvoir dans les sociétés
cotées ? » : JCP éd. E, suppl. 1996/4, p. 13.
29
D. SCHMIDT : « La responsabilité du conseil d’administration du fait de ses actes de gestion », suppl. JCP éd.
E 1995/4, p. 15.
30
idem.
31
D. SCHMIDT : « Les conflits d’intérêts dans la société anonyme », éd. Joly 1999.
32
Cass. com., 10 oct. 2000 : JCP éd. E 2001, p. 85, note A. VIANDIER.
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Peut-on absorber une société quand on a un actif net négatif ?
46. Les moyens de sanctionner une fusion réalisée dans ces conditions semblent donc
particulièrement nombreux. Pour les éviter, la doctrine a proposé plusieurs méthodes.
C) Les solutions proposées
47. Toutes les solutions proposées sont, pour une raison ou une autre, difficiles à mettre en
œuvre, que ce soit le changement de sens de la fusion (1), l’attribution d’actions de priorité (2)
ou le coup d’accordéon (3).
1) La solution impossible : le changement de sens de la fusion
48. Lorsque la société absorbante a un actif net négatif, certains auteurs33 préconisent de
changer le sens de la fusion, la société absorbante dont l’actif net est négatif devenant la
société absorbée. Cependant, il faut bien avouer que le plus souvent cette solution est
impraticable34. En effet, une société ayant un actif net négatif ne peut être absorbée par une
autre : la fusion-absorption emportant augmentation de capital de la société absorbante en vue
de l’échange de ses titres contre ceux de la société absorbée, elle suppose qu’il y ait une
contrepartie réelle à l’augmentation de capital afin que celle-ci ne présente aucun caractère
fictif35.
49. Le principe de réalité du capital et des apports exige en effet que le capital d’une société
soit intégralement souscrit et effectivement libéré, cela pour protéger les tiers36. Parce qu’il y a
augmentation de capital dans la société absorbante, la nécessité d’un apport ayant une valeur
positive au moins égale à l’augmentation de capital est une règle impérative37.
50. Lorsque l’actif de la société absorbante est négatif, il est donc impossible de procéder à
l’inversion du sens de la fusion car cela aboutirait à une augmentation de capital fictive. Qu’en
est-il de l’attribution d’actions de priorité ?
2) La solution illusoire : l’attribution d’actions de priorité
51. Les auteurs qui se sont penchés sur le problème que constitue la remise de titres dont la
valeur réelle est inférieure à la valeur nominale ont proposé, en compensation de cette
33
JEANTIN : « FUSIONS-SCISSIONS : Conditions de réalisation – Phase préparatoire », JCL Sociétés, Fasc.
164-B, n° 32 ; BERTREL et JEANTIN : « Fusions et acquisitions de sociétés commerciales », n°845.
34
M.-L. COQUELET : « FUSION , SCISSION, APPORT PARTIEL D’ACTIF », Dict. Joly Sociétés n°18.
35
pour un exemple jurisprudentiel a contrario : Versailles 24 juin 1993, Bull. Joly 1993, p. 1013, Rec. DS 1993,
IR, p. 216.
36
J.-J. DAIGRE, préc. et les références citées.
37
idem.
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situation, l’attribution aux actionnaires de la société absorbée d’actions de priorité38. Sous
réserve de respecter le principe de la prohibition des clauses léonines et celui d’égalité des
actionnaires à l’intérieur d’une même catégorie, l’article L. 228-11 du Code de commerce
(ancien article 269 de la loi de 1966) permet en effet aux sociétés par actions d’accorder aux
titulaires d’actions de priorité divers avantages tels que, par exemple, l’octroi de dividende
prioritaire, droits privilégiés dans le boni de liquidation, rachat prioritaire de ces titres,
amortissement prioritaire ou encore un traitement privilégié en cas de réduction de capital
pour cause de pertes39.
52. On pourrait ainsi en déduire que dans le cadre d’une absorption d’une société prospère
par une société ayant un actif net négatif, la remise d’actions de priorité aux actionnaires de la
société prospère avec stipulation d’un dividende égal à celui qu’ils touchaient dans cette
société serait le moyen de permettre la réalisation de cette opération.
53. Toutefois, cette solution nous semble en premier lieu difficile à mettre en œuvre car elle
implique que malgré l’absorption, la société issue de la fusion soit susceptible de générer des
bénéfices distribuables suffisants pour compenser le préjudice causé par la fusion. De plus, il
sera très difficile de calculer le montant du dividende prioritaire qui devra être accordé aux
actionnaires de la société absorbée pour compenser la perte occasionnée par la fusion.
54. Mais il ne s’agit pas seulement d’une simple difficulté de mise en œuvre. Le fondement
de l’illicéité de l’opération réside dans le principe de souscription intégrale du capital social.
Ce principe s’exprime dans l’article 64-1 du décret du 23 mars 1967 qui impose que la valeur
des actions corresponde au moins à la valeur au nominal des actions à émettre. On ne voit pas
en quoi la priorité accordée va faire concorder la valeur nominale et la valeur réelle des
actions. Seul un coup d’accordéon peut y remédier.
3) La solution douloureuse : le coup d’accordéon
55. Troisième solution préconisée par la doctrine40, la réduction de capital qui permet
d’assainir la situation de la société absorbante. Celle-ci a lieu par imputation des pertes sur le
capital. Cette imputation entraîne, à due concurrence, la disparition des pertes comptables. A
l’issue de cette opération, l’actif net de la société n’est plus négatif et la valeur vénale des
actions de la société absorbante rejoint leur valeur nominale.
56. Mais il n’est pas certain que les actionnaires de la société absorbante acceptent de
procéder à une telle opération qui diminue leurs droits dans la société. De plus, il n’est pas
toujours évident qu’une simple réduction de capital suffise à faire concorder la valeur
38
JEANTIN, préc. n°32 ; M. L. COQUELET, préc. n°18 ; LAMY SOCIETES COMMERCIALES 2000,
n°1699 ; Mémento Pratique Francis Lefebvre 2001, préc. n°26452.
39
C. FERRY et alii : « Les actions de priorité », Dr. Soc. Actes Pratiques n° 11 ; J. J. DAIGRE et alii : « Les
actions à privilèges financiers », Dr. Soc. Actes Pratiques n° 32.
40
JEANTIN, préc. n°32 ; M. L. COQUELET, préc. n°18 ; LAMY SOCIETES COMMERCIALES 2000, préc.
n°1699 ; Mémento Pratique Francis Lefebvre 2001, préc. n°26452.
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nominale et la valeur vénale des actions de la société absorbante. Il peut être nécessaire de la
remettre à flot en procédant à une augmentation de capital. Dans ce cas, l’opération peut
d’autant plus être réalisée valablement qu’il est désormais admis que la réduction de capital
peut aller jusqu’à zéro pourvu qu’une augmentation de capital concomitante permette de
revenir au minimum légal41.
57. On peut cependant comprendre la réticence des actionnaires de la société absorbante à
procéder à ce coup d’accordéon. Non seulement, leurs droits dans la société diminuent à due
concurrence de la réduction de capital, mais ils se voient obligés, s’ils ne veulent pas être
dilués, d’apporter à cette société des sommes qu’ils n’ont peut-être ni la volonté, ni la
possibilité de lui transférer. Il est peu vraisemblable qu’ils y consentent dans le cadre d’une
opération qui, de plus, ne viserait qu’à protéger les droits des associés d’une autre société
destinée à être absorbée. Le coût de cette solution peut donc être particulièrement dissuasif.
58. Ainsi, alors que les sanctions susceptibles de s’appliquer à l’opération sont
particulièrement nombreuses, les solutions proposées, se caractérisent par la difficulté dans
leur mise en œuvre. En droit commun, une telle opération est donc marquée du sceau de
l’incertitude. En droit boursier elle est toutefois mieux encadrée.
II. UNE OPERATION CONTRAIRE AUX PRINCIPES DU DROIT
BOURSIER
59. La préoccupation centrale de la réglementation applicable aux OPA a toujours été de
protéger les actionnaires minoritaires grâce à des techniques spécifiques42. Cette protection se
manifeste par la possibilité de se retirer de la société grâce à une Offre Publique de Retrait (B)
fondée sur la notion de pacte d’investissement (A).
A. Le principe : le pacte d’investissement
60. Le droit boursier permet aux actionnaires minoritaires, en cas de modifications
substantielles du contrat d’investissement, de se retirer de la société en cédant leurs titres à
celui qui, contrôlant déjà la société, a pris des décisions majeures. C’est la COB qui a peu à
peu dégagé ce principe et obtenu pour les minoritaires une faculté de retrait dans des cas de
changement radicaux de la structure ou des perspectives économiques ou financières de la
société, le changement d’orientation de la société ou une modification substantielle de la
taille, de la structure financière et des perspectives de résultat43. Elle l’obtint également dans
41
Cass. Com. 17 mai 1994 : Bull. Civ. IV, n°183.
42
D. CARREAU et H. LETREGUILLY : « Offres publiques d’acquisition : les réformes apportées par le
nouveau règlement général du Conseil des Marchés Financiers », Rev. Soc. 1999, p.689, n°5.
43
J.- F. BIARD et J.- P. MATTOUT : « Les offres publiques d’acquisition : l’émergence des principes directeurs
du droit boursier », Banque & Droit, mars-avril 1993, p. 3.
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le cas de changement important de la structure juridique, par exemple, la transformation d’une
SA en SCA44.
61. Mais il y a eu également des applications de la procédure de retrait aux fusions dans des
cas d’absorption de sociétés cotées par des sociétés non cotées ou dans le cas de fusions
entraînant des modifications très importantes des conditions d’exploitation de l’ensemble
résultant de la fusion45. Dans tous ces cas, la COB imposait à l’actionnaire majoritaire d’offrir
une possibilité de retrait aux actionnaires minoritaires.
62. Le droit boursier a ainsi reconnu avec réalisme l’existence d’un contrat d’investissement
entre les actionnaires contrôlaires et les actionnaires bailleurs de fonds. Les opérations de
restructuration des entreprises sont susceptibles de bouleverser ce contrat d’investissement
aux dépens des actionnaires bailleurs de fonds. Les OPA n’étaient initialement que des
opérations de prise de contrôle. Aujourd’hui, elles sont devenues aussi des instruments de
protection des actionnaires bailleurs de fonds46 et ont été institutionnalisées, notamment, par
l’Offre Publique de Retrait.
B. L’application : l’Offre Publique de Retrait
63. Une opération de fusion telle qu’elle est envisagée en l’espèce peut-elle donner lieu à une
Offre Publique de retrait (OPR) ? L’article 5-6-6 du Règlement Général du Conseil des
Marchés Financiers (RGCMF) dispose :
« La ou les personnes physiques ou morales qui contrôlent une société informent le conseil :
c) lorsqu’elles se proposent de soumettre à l’approbation d’une assemblée
générale extraordinaire une ou plusieurs modifications significatives
des dispositions statutaires, notamment celles relatives à la forme de la
société, aux conditions de cession et de transmission des titres de capital
ainsi qu’aux droits qui y sont attachés ;
d) lorsqu’elles décident le principe de la fusion-absorption de cette société
par la société qui en détient le contrôle, de la cession ou de l’apport à
une autre société de la totalité ou du principal des actifs, de la
réorientation de l’activité sociale ou de la suppression, pendant
plusieurs exercices, de toute rémunération de titres de capital ».
44
idem.
45
idem.
46
H. HOVASSE : « La fusion de sociétés dans la réforme des offres publiques d’acquisition », RDBB janv.-fév.
1999, p. 3.
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64. En l’espèce, l’opération projetée peut fonder le déclenchement d’une OPR sur de
multiples fondements. D’abord, si la société absorbante est également celle qui contrôle
l’absorbée, le c) est applicable. On peut difficilement contester que la dissolution de la société
absorbée soit une modification significative des dispositions statutaires. De même, si
l’absorbante n’est pas la société contrôlaire, on peut cependant considérer, en vertu du d), que
la fusion entraîne un apport à une autre société de la totalité des actifs. Enfin, dès lors que la
situation de la société absorbante est gravement obérée, le risque existe que la rémunération
des titres de capital soit supprimée.
65. Il semble également que depuis la promulgation du nouveau règlement, l’OPR peut être
imposée par le CMF. En effet, en vertu de l’article 5-6-6 :
« Le conseil apprécie les conséquences de l’opération prévue au regard des droits et des
intérêts des détenteurs de titres de capital ou des détenteurs de droits de vote de la société et
décide s’il y a lieu à mise en œuvre d’une offre publique de retrait ».
66. L’ancien règlement prévoyait que le Conseil devait arrêter les conditions de mise en
œuvre d’une OPR « avec l’accord de la ou des personnes qui contrôlent la société ». Comme
le rappelle un auteur47, la Cour de Paris avait implicitement admis, dans une de ses décisions,
le caractère non contraignant de l’article 5-5-5. Il relève toutefois que, malgré cette nouvelle
formulation plus volontariste, le CMF restera très certainement dans une sphère de persuasion
pour le respect de cet article, qui ne bénéficie pas véritablement d’une autorisation de la loi48.
67. En effet, l’article L. 433-1 du Code des marchés financiers (ancien art. 33-3° de la loi du
2 juillet 1996) dispose : « Afin d’assurer la transparence des opérations et la transparence
des marchés, le Règlement général du Conseil des marchés financiers fixe les règles relatives
aux offres publiques portant sur des instruments financiers négociés sur un marché
réglementé ainsi que celles mentionnées aux articles L. 433-3 et L. 433-4 ».
Et l’article L. 433-4 du même code précise : « I. - Le règlement général du conseil des
marchés financiers fixe les conditions applicables aux procédures d'offre et de demande de
retrait, lorsque le ou les actionnaires majoritaires d'une société dont les actions sont admises
aux négociations sur un marché réglementé ou dont les titres ont cessé d'être négociés sur un
marché réglementé détiennent de concert, au sens des dispositions de l'article L. 233-10 du
code de commerce, une fraction déterminée des droits de vote ou lorsqu'une société dont les
actions sont admises aux négociations sur un marché réglementé prend la forme d'une société
en commandite par actions. »
47
L. FAUGEROLAS : « Les offres publiques de retrait et le retrait obligatoire », Bull. Joly Bourse janv.-fév.
1999, p. 51.
48
idem.
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68. Dans la mesure où il s’agit ici d’une atteinte à la fois au droit de propriété et à la liberté
contractuelle, une intervention du législateur était nécessaire49.
69. L’absence d’habilitation légale à l’article 5-5-5 du RGCMF permettant de fonder le
pouvoir de contrainte du CMF laisse à penser que malgré cette formulation autoritaire, le
Conseil en restera à faire jouer uniquement de son autorité morale, ce d’autant plus que la
Cour d’appel de Paris le 25 juin 199850 a posé en principe que « les procédures d’offres
publiques obligatoires visent à imposer aux personnes qui y sont tenues l’acquisition par achat
ou échange d’une quantité déterminée d’actions d’une société à un prix et selon des modalités
fixées sous le contrôle du marché ; de telles obligations dérogatoires aux dispositions de
l’article 1108 du Code civil ne peuvent résulter que de dispositions légales expresses et
impératives ».
70. Pour autant, il n’est pas certain que l’efficacité des décisions du CMF en soit pour autant
réduite car, en général, les émetteurs se plient à ses conseils, ce qui illustre bien le pouvoir de
persuasion des autorités de place51. En tout état de cause, la fusion envisagée peut donner lieu
à une OPR, qu’elle soit négociée avec l’émetteur ou imposée par l’autorité de marché, ce qui
tranche avec la situation plus controversée du droit commun des sociétés.
**
*
71. En l’absence de précédent jurisprudentiel ayant sanctionné une fusion réalisée dans de
telles conditions selon les principes du droit commun des sociétés, il est à ce jour difficile de
porter un jugement sur sa licéité, même si on ne peut que la déconseiller. En revanche,
l’opération subit un encadrement plus strict lorsque des impératifs de marché sont en jeu.
Cette différence de traitement qui accuse encore un peu plus la distinction entre sociétés
cotées et sociétés non cotées52 n’est en l’espèce pas réellement justifiée. Les associés de la
société absorbée vont se retrouver avec des titres dévalorisés et aucun impératif de marché ne
peut expliquer que dans un cas ils pourront disposer d’un droit de retrait et pas dans l’autre.
49
D. CARREAU et H. LETREGUILLY : « Offres publiques d’acquisition : les réformes apportées par le
nouveau règlement général du Conseil des Marchés Financiers », précit., n°36.
50
CA Paris, 25 juin 1998, RDBB sept.-oct. 1998, p. 180, obs. M. GERMAIN et M.-A. FRISON-ROCHE.
51
M.-C. de NAYER : Fusion de sociétés cotées et article 5-5-5 du Règlement du Conseil des Bourses de
Valeurs », Bull. Joly Bourse sept.-oct. 1996, p. 497 et les exemples cités.
52
M.-A. FRISON-ROCHE : « La distinction des sociétés cotées et des sociétés non cotées », Mél. AEDBF
France, 1997, p. 189.
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72. Cette discrimination ne fait que souligner l’urgence qu’il y a à reconnaître un droit de
retrait dans les sociétés non cotées53. Il est regrettable de constater qu’à ce jour, le projet de loi
sur les Nouvelles Régulations Economiques ne prévoie rien à ce sujet.
53
O. DOUVRELEUR, « Faut-il admettre un droit de retrait au profit des minoritaires ? », RJ com. 1991, n° spé.
La loi de la majorité, p. 122 ; M.-A. FRISON-ROCHE : « L’hypothèse d’un droit général de retrait des
minoritaires » in « Où se situera demain le pouvoir dans les sociétés cotées ? » : JCP éd. E, suppl. 1996/4, p.19 ;
« La prise de contrôle et les intérêts des associés minoritaires », RJCom nov. 1998, n° spécial : « La prise de
contrôle d’une société », p. 94 ; (53) ; Ph. MARINI, « Le droit de retrait des actionnaires minoritaires dans les
sociétés non cotées » : Petites Affiches 4 nov. 1998, p. 27.
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