Le prix des périodiques étrangers sur la sellette
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Le prix des périodiques étrangers sur la sellette
LE COURRIER FOCUS JEUDI 30 AOÛT 2012 3 SUISSE PRESSE Oubliée lors du débat sur le prix du livre, la question du coût surfait des journaux et des périodiques étrangers émerge, mais reste pour l’heure sans solution. Le prix des périodiques étrangers sur la sellette CLAUDE GRIMM A la suite du refus, le 11 mars dernier, de la loi sur le prix unique du livre par le peuple suisse – mais pas par les Romands –, le débat était un peu retombé. Le voilà qui ressurgit cinq mois à peine après le verdict populaire avec cette bombe lancée mi-août par la Commission de la concurrence (Comco): après quatre ans d’enquête, elle révèle que les diffuseurs romands de livres se sont adonnés à des accords illicites au sens de la loi sur les cartels. «Les différences de prix avec l’étranger ont été importantes et dictées d’un commun accord entre les acteurs économiques de la branche du livre, éludant les pressions concurrentielles du marché», relève le rapport. Les éditeurs risquent des amendes jusqu’à 10% de leur chiffre d’affaires et pourraient être interdits de fixer les prix de revente des livres en français. La décision définitive de la Comco tombera à la fin de l’année. Le débat autour du prix du livre a cependant occulté une autre facette de l’îlot de cherté de la Suisse: celui des journaux et des revues étrangers vendus en Suisse. Les différences de prix entre l’Union européenne et la Suisse sont importantes, et se sont encore accentuées avec la baisse de l’euro, les éditeurs et les diffuseurs n’ayant pas – ou peu – répercuté cette baisse sur les consommateurs suisses. Pour ne donner que quelques exemples, la revue Historia coûte 5,50 euros en France contre 11 francs en Suisse, et GEO revient à 5 euros contre 10,50 francs. Les différences sont tout aussi significatives en ce qui concerne les abonnements: quatorze mois à GEO coûtent 49 euros en France, contre 102 francs en Suisse. Seul Le Monde diplomatique fait exception, avec un prix très proche dans les deux pays. Mais la raison est à rechercher dans la politique d’un journal sans publicité détenu en partie par ses lecteurs et son équipe rédactionnelle et dont l’objectif est avant tout d’assurer une présence à l’étranger. Entente entre éditeurs? Aurait-il pu y avoir entente sur les prix entre éditeurs et/ou distributeurs de journaux et revues pour éviter toute concurrence sur le territoire suisse, les participants suisses au marché». Dans ce contexte, les décisions du surveillant des prix ne peuvent pas être imposées à l’étranger. En charge du dossier depuis 2010, il dispose ainsi de moyens d’intervention et d’imposition de décisions limités. Il a jusqu’ici négocié, sans grand succès, avec les éditeurs étrangers et les grossistes. Mais, contrairement à la Comco qui ne peut intervenir que lorsqu’une position dominante est prouvée, le surveillant des prix peut déjà agir en cas de position de force sur le marché. Selon Patrik Ducrey, responsable de communication au secrétariat de la Comco, «une part de marché de 20% peut déjà être considérée comme telle». C’est probablement la raison pour laquelle le dossier est actuellement entre les mains de Stefan Meierhans, quand bien même de nombreuses plaintes sont parvenues à la Comco. «Nous n’avons ouvert aucune procédure et avons transmis les plaintes au surveillant des prix, qui est actuellement en négociation avec les éditeurs», précise Patrik Ducret. Dossier à suivre La baisse de l’euro a accentué les différences de prix entre l’Union européenne et la Suisse. KEYSTONE comme ce que la Comco a révélé pour les éditeurs dans le domaine du livre? Du côté de Stefan Meierhans, le surveillant des prix, il est impossible d’obtenir une réponse, les négociations avec les éditeurs étant actuellement en cours. Pour en savoir davantage, il faudra attendre la publication, probablement vers la mi-octobre, du rapport du surveillant des prix sur le franc fort, qui consacrera un chapitre à la problématique du prix des journaux et des revues. Chargé de communication pour la Comco, Marcel Chavaillaz précise cependant que la structure du marché des revues n’est pas la même que celle du livre: «Les éditeurs restent propriétaires des périodiques tant qu’ils n’ont pas été vendus au consommateur. Ce sont eux qui assument les coûts des invendus. Dans le secteur du livre, les diffuseurs importent les ouvrages que les libraires «Le prix des revues étrangères n’est pas acceptable» Dimitri Viglietti est un lecteur fâché. Abonné de longue date à plusieurs périodiques français, il a vu, au fil des années, leur prix prendre l’ascenseur. Estimant qu’il est totalement surfait, il a récemment renoncé au périodique Historia, auquel il était pourtant abonné depuis 1975. «A l’époque, il n’y avait aucun intermédiaire. Puis, en 1984, Edigroup est arrivé et il fallu passer par ce distributeur qui a le monopole en Suisse romande des revues francophones. Si je peux comprendre que le marché romand est trop petit pour avoir plusieurs distributeurs et éditeurs, je souhaiterais qu’il y ait un plus grand contrôle des prix», s’indigne-t-il. Face à cette situation, il ne reste pas les bras croisés. Il étudie le sujet, écrit en 2010 et 2011 à Edigroup – qui ne lui a jamais répondu – et à Monsieur Prix, prend contact avec les médias ainsi qu’avec le conseiller aux Etats neuchâtelois Didier Berberat. En boycottant un périodique pratiquant un taux de change excessif, Dimitri Viglietti refuse de cautionner cette pratique. Mais il est conscient que son action aura peu d’impact: «Si le marché suisse est si insignifiant, pourquoi les éditeurs français refusent-ils de baisser les prix? Ceux-ci sont fixés de manière arbitraire en fonction du pouvoir d’achat du pays. Mais les éditeurs n’ont pas la franchise de le dire.» CGM ont achetés.» Ainsi, les éditeurs de revues agissent unilatéralement. Cette situation renforce la thèse de l’existence d’une position de force ou dominante des éditeurs français sur le marché suisse. Mais elle ne dit rien sur d’éventuels accords de non-agression entre éditeurs français et suisses. Coûts si élevés en Suisse? Comment les éditeurs français – la plupart du temps des grands groupes comme Lagardère, Marie-Claire, Hachette Filipacchi, etc. – justifient-ils la différence de prix entre la Suisse et la France? Ils mettent en avant notamment les coûts de transports, l’absence de recettes publicitaires provenant de Suisse ainsi que les coûts élevés de distribution et des points de vente en Suisse – monopole de Naville en Suisse romande et de Valora en Suisse alémanique, et d’Edigroup en Suisse romande pour les abonnements. Une analyse que ne partage pas le conseiller aux Etats socialiste Didier Berberat, qui a déposé en mars dernier une interpellation sur le prix des journaux et des périodiques étrangers en Suisse, dans laquelle il questionne le Conseil fédéral sur ses moyens d’action, ceux de Monsieur Prix et de la Comco. Le Neuchâtelois estime que, en dépit de coûts logistiques plus élevés en Suisse que dans l’Union européenne, les différences de prix sont «scandaleuses»: «On ne peut pas évoquer les coûts des transports puisque la Suisse est située au centre de l’Europe et est souvent plus proche des villes dans lesquelles paraissent ces publications que de villes ou de régions situées en France, en Allemagne ou en Italie.» Et de donner l’exemple d’Historia dont le coût est plus élevé en Suisse qu’au Canada, malgré le transport aérien. Refus d’agir du Conseil fédéral Dans sa réponse (en mai), le Conseil fédéral reconnaît, «comme le surveillant des prix» dont il soutient les efforts, que «les différences de prix, dans leur proportion actuelle, sont difficilement justifiables». Estimant qu’il ne dispose «d’aucune possibilité d’intervenir», il renonce cependant à agir. Il table sur un règlement «avec les moyens du droit de la concurrence» mais n’exclut pas, «comme ultima ratio, l’édition d’une loi spéciale sur la distribution des journaux et des périodiques avec la possibilité de fixer des différences de prix maximales». Le Conseil fédéral précise encore que «les prix des revues et des journaux sont en général fixés par les éditeurs et non par Fort du nouveau soutien politique du Conseil fédéral, Monsieur Prix affirme vouloir «maintenir ses efforts», notamment en mettant les éditeurs face au risque politique de leur comportement. Mais, selon lui, «le succès est incertain». Quant aux chances de succès d’une loi sur la vente des périodiques, à la suite du refus en votation de la loi sur le prix unique du livre, elles sont plutôt ténues, selon Nadia Thiongane, responsable de la politique économique à la Fédération romande des consommateurs (FRC). De son côté, Didier Berberat n’entend pas abandonner la partie. Si la situation ne se débloque pas à moyen terme, il envisage de déposer une motion. En attendant, il a pris langue avec le conseiller fédéral Johann Schneider-Ammann: «Je lui ai demandé de s’engager davantage dans ce dossier et il m’a assuré qu’il était prêt à convoquer une séance de discussion entre son département (le Secrétariat à l’économie, ndlr), le surveillant des prix et la Commission de la concurrence», relève le conseiller aux Etats. Affaire à suivre, donc. I TROIS QUESTIONS À... Nadia Thiongane Membre du secrétariat central de la Fédération romande des consommateurs (FRC), chargée de l’économie et des télécoms. 1. Quelle est la position de la Fédération romande des consommateurs face au prix des revues étrangères? Il en va des revues comme de nombreux produits étrangers vendus en Suisse. Leurs prix sont fixés en fonction des conditionscadres (salaires), de la concurrence (on regarde dans le même créneau quel est le prix local) et du pouvoir d’achat. Cela explique aussi qu’au sein même de l’Europe on a des différences de prix entre l’Italie et la Norvège. Pour ce qui est de l’îlot de cherté en général, la FRC ne veut pas des prix européens. Par contre, nous voulons lutter contre toute exploitation du pouvoir d’achat élevé des Suisses. Les prix de vente doivent être conformes aux coûts de fabrication et de distribution, pas plus. Les situations d’entente sur les prix ou d’entrave à la concurrence doivent aussi être combattues. Pour ce faire, la pression par l’acte d’achat ou non des consommateurs ne doit pas être négligée. 2. L’impuissance affichée du Conseil fédéral n’est guère rassurante... Nous vivons dans un pays libéral, où les acteurs du marché sont libres de fixer le niveau des prix. Il est donc difficile d’intervenir, sauf en cas d’ententes illicites ou d’entraves à la concurrence. Et quand le parlement décide d’intervenir comme avec la loi sur le prix du livre, le peuple ne suit pas! Mais il faut constater que la Comco, depuis le début de la non-répercussion des gains de change il y a plus d’un an, est nettement plus «mordante» dans ses interventions. C’est dû en partie à la modification de la loi sur les cartels, qui porte ses fruits. 3. La FRC est-elle active sur la question du prix des revues? Avec les autres organisations de consommateurs, nous travaillons sur des comparaisons de prix dans divers secteurs de consommation courante. L’objectif est de faire la transparence sur les différences réelles de prix pour que les consommateurs puissent faire des choix éclairés et faire pression sur le marché. Le lancement de ce projet est prévu pour octobre. Pour ce qui est du secteur des magazines, nous sommes ouverts au dialogue avec les distributeurs pour essayer de trouver des solutions. PROPOS RECUEILLIS PAR CGM