TEXTE A : ANTONIN ARTAUD, Le Théâtre et son double (1938). Le

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TEXTE A : ANTONIN ARTAUD, Le Théâtre et son double (1938). Le
TEXTE A : ANTONIN ARTAUD, Le Théâtre et son double (1938).
Le Théâtre et son double est un recueil qui rassemble les articles, conférences et manifestes
exprimant la réflexion d'Artaud sur le théâtre. La découverte du théâtre balinais, notamment, l'a amené à
effectuer un examen critique du théâtre occidental. Ce théâtre était très différent de ce que les spectateurs
occidentaux : presque sans paroles ou sans texte, avec des comédiens masqués, très proche de la danse. Sa
découverte amena le théâtre occidental et européen à renouveler ses réflexions. Artaud deviendra un des
chefs de file du théâtre surréaliste.
La révélation du théâtre balinais a été de nous fournir du théâtre une idée physique et non verbale,
où le théâtre est contenu dans les limites de tout ce qui peut se passer sur une scène, indépendamment du
texte écrit, au lieu que le théâtre tel que nous le concevons en Occident a partie liée avec le texte et se trouve
limité par lui. Pour nous, au théâtre, la Parole est tout et il n'y a pas de possibilité en dehors d'elle ; le théâtre
est une branche de la littérature, une sorte de variété sonore du langage, et si nous admettons une différence
entre le texte parlé sur la scène et le texte lu par les yeux, si nous enfermons le théâtre dans les limites de ce
qui apparaît entre les répliques, nous ne parvenons pas à séparer le théâtre de l'idée du texte réalisé. Cette
idée de la suprématie de la parole au théâtre est si enracinée en nous et le théâtre nous apparaît tellement
comme le simple reflet matériel du texte que tout ce qui au théâtre dépasse le texte n'est pas contenu dans
ses limites et strictement conditionné par lui, nous paraît faire partie du domaine de la mise en scène
considérée comme quelque chose d'inférieur par rapport au texte.
Étant donné cet assujettissement du théâtre à la parole on peut se demander si le théâtre ne
posséderait pas par hasard son langage propre, s’il serait absolument chimérique de le considérer comme un
art indépendant et autonome, au même titre que la musique, la peinture, la danse etc...etc...
On trouve en tout cas que ce langage, s’il existe, se confond nécessairement avec la mise en scène
considérée :
1° D’une part, comme la matérialisation visuelle et plastique de la parole.
2° Comme le langage de tout ce qui peut se dire et se signifier sur une scène indépendamment de la
parole, de tout ce qui trouve son expression dans l’espace, ou qui peut être désagrégé par lui.
Ce langage de la mise en scène considéré comme le langage théâtral pur, il s’agit de savoir s’il est
capable d’atteindre le même objet intérieur que la parole, si du point de vue de l’esprit et théâtralement il
peut prétendre à la même efficacité intellectuelle que le langage articulé. On peut en d’autres termes se
demander s’il peut non pas préciser des pensées mais faire penser, s’il peut entraîner l’esprit à prendre des
attitudes profondes et efficaces de son point de vue à lui.
Antonin Artaud, Le Théâtre et son double, « Théâtre oriental et occidental » (1938)
TEXTE B EUGENE IONESCO, Notes et contre-notes (1966)
Si l’on pense que le théâtre n’est que théâtre de la parole, il est difficile d’admettre qu’il puisse avoir
un langage autonome. Il ne peut être que tributaire des autres formes de pensée qui s’expriment par la
parole, tributaire de la philosophie, de la morale. Les choses sont différentes si l’on considère que la parole
ne constitue qu’un des éléments de choc du théâtre. D’abord, le théâtre a une façon propre d’utiliser la
parole, c’est le dialogue, c’est la parole de combat, de conflit. Si elle n’est que discussion chez certains
auteurs, c’est une grande faute de leur part. Il existe d’autres moyens de théâtraliser la parole : en la portant
à son paroxysme, pour donner au théâtre sa vraie mesure, qui est dans la démesure, le verbe lui-même doit
être tendu jusqu’à ses limites ultimes, le langage doit presque exploser, ou se détruire dans son incapacité de
contenir les significations.
Mais il n’y a pas que la parole : le théâtre est une histoire qui se vit, recommençant à chaque
représentation, et c’est aussi une histoire que l’on voit vivre. Le théâtre est autant visuel qu’auditif. Il n’est
pas une suite d’images, comme le cinéma, mais une construction, une architecture mouvante d’images
scéniques. Il est donc non seulement permis, mais recommandé de faire jouer les accessoires, faire vivre les
objets, animer les décors, concrétiser les symboles. De même que la parole est continuée par le geste, le jeu,
la pantomime, qui, au moment où la parole devient insuffisante, se substituent à elle, les éléments scéniques
matériels peuvent l’amplifier à leur tour.
Eugène Ionesco, Notes et contre-notes, « Expérience du théâtre » (1966)
TEXTE C : BECKETT, En attendant Godot, 1952
Dans cette pièce appartenant au théâtre dit de l’absurde (parce qu’il ne repose pas sur des
intrigues logiques et conventionnelles), Beckett met en scène deux vagabonds, deux « clochards célestes »
qui attendent désespérément Godot1, un personnage mystérieux qui ne vient jamais. L’attente se transforme
en désespoir, en une sorte de vide qui ne débouche sur rien. Voici la fin de la pièce.
Estragon : Qu’est-ce que tu as ?
Vladimir : Je n’ai rien
Estragon : Moi, je m’en vais.
Vladimir : Moi aussi
Silence
Estragon : Il y avait longtemps qu je dormais ?
Vladimir : Je ne sais pas.
Silence
Estragon : Où irons-nous ?
Vladimir : Pas loin.
Estragon : Si, si, allons nous en loin d’ici !
Vladimir : On ne peut pas.
Estragon : Pourquoi ?
Vladimir : Il faut revenir demain.
Estragon : Pour quoi faire ?
Vladimir : Attendre Godot
Estragon : C’est vrai. (Un temps.) Il n’est
pas venu ?
Vladimir : Non.
Estragon : Et maintenant il est trop tard.
Vladimir : Oui, c’est la nuit.
Estragon : Et si on le laissait tomber ?
Vladimir : Il nous punirait. (Silence. Il
regarde l’arbre) Seul l’arbre vit.
Estragon : (regardant l’arbre) Qu’est-ce
que c’est ?
Vladimir : C’est l’arbre.
Estragon : Non, mais quel genre ?
Vladimir : Je ne sais pas. Un saule.
Estragon : Viens voir. (Il entraîne Vladimir vers
l’arbre. Ils s’immobilisent devant. Silence.) Et si on se
pendait ?
Vladimir : Avec quoi ?
Estragon : Tu n’as pas un bout de corde ?
Vladimir : Non.
Estragon : Alors on ne peut pas.
Vladimir : Allons-nous en.
Estragon : Attends, il y a ma ceinture.
Vladimir : C’est trop court.
Estragon : Tu tireras sur mes jambes.
Vladimir : Et qui tirera sur les miennes ?
1
Estragon : C’est vrai.
Vladimir : Fais voir quand même. Estragon
dénoue la corde qui maintient son pantalon.
Celui-ci, beaucoup trop large, tombe autourdes
chevilles. Ils regardent la corde. A la rigueur, ça
pourrait aller. Mais est-elle solide ?
Estragon : On va voir. Tiens.
Ils prennent chacun un bout de la corde et tirent.
La corde se casse. Ils manquent de tomber.
Vladimir : Elle ne vaut rien (…) On se pendra
demain. (Un temps) A moins que Godot ne
vienne.
Estragon : Et s’il vient ?
Vladimir : Nous serons sauvés.
Vladimir enlève son chapeau, regarde dedans, y
passe la main, le secoue, le remet.
Estragon : Alors, on y va ?
Vladimir : Relève ton pantalon.
Estragon : Comment ?
Vladimir : Relève ton pantalon.
Estragon : Que j’enlève mon pantalon ?
Vladimir : RE-lève ton pantalon.
Estragon : C’est vrai.
Vladimir : Alors on y va ?
Estragon : Allons-y.
Ils ne bougent pas
RIDEAU.
Pour comprendre l’énigme Godot, décomposez son nom en deux syllabes et vous comprendrez qui les personnages
attendent symboliquement.