K1A 0G4 Tél. : (819) 997-5006 Sa

Transcription

K1A 0G4 Tél. : (819) 997-5006 Sa
DOCUMENT DE TRAVAIL
MONDIALISATION ET PROBLÉMATIQUE HOMMES-FEMMES
RÉFLEXIONS ET INTERVENTIONS EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT
Décembre 1996
Préparé pour le compte de la:
Direction de l'intégration de la femme
au développement et égalité des sexes
Direction générale des politiques
Agence canadienne de développement international
Préparé par:
Angela Keller-Herzog
Agence canadienne de développement international
200, promenade du Portage
Gatineau (Québec)
K1A 0G4
Tél. : (819) 997-5006
Sans frais : 1-800-230-6349
Télécopieur : (819) 953-6088
(Pour les malentendants et les personnes atteintes
de troubles de la parole (ATS) seulement: (819) 953-5023
Sans frais pour les malentendants et les personnes atteintes
de troubles de la parole (ATS) seulement : 1-800-331-5018)
Courriel : [email protected]
REMERCIEMENTS
Il convient que nous exprimions notre reconnaissance au professeur Diane Elson,
doyenne de la recherche et des études supérieures à la School of Social Sciences de
l'université de Manchester, en Grande-Bretagne. Ses conseils et les observations à
propos de plusieurs ébauches du présent document ont été on ne plus précieux. Nos
remerciements également à Brian Hunter, économiste en chef de la Direction générale
de l'Asie, à l'ACDI, qui nous a fourni des orientations et des contributions d'une
importance déterminante. Marc-André Frédette et Carole Houlihan nous ont également
aidés en formulant des suggestions. Hélène Paquin a su démontrer son génie pour la
mise en page. Rajani Alexander, analyste principale des politiques, Direction de
l'intégration de la femme au développement et égalité des sexes, à l'ACDI, a dirigé le
projet.
1.0
TABLE DES MATIÈRES
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1
2.0
La mondialisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2
Historique: trois phases . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3
Caractéristiques distinctives de la mondialisation: la troisième phase . . . . . . . . . . . . 5
Facteurs favorisant la mondialisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 6
3.0
Disparités: Jouissance et exclusion des retombées de la mondialisation . . . 7
4.0
La mondialisation: ses incidences sur la problématique hommes-femmes . . 10
5.0
Égalité entre les sexes, habilitation et développement des capacités des
femmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17
6.0
Les implications de la mondialisation pour la gestion des affaires publiques 21
Contraintes sur les instruments micro-économiques: facteurs d'incitation,
fiscalité et réglementation......................................................................................... 21
Contraintes exercées sur les politiques macro-économiques: conséquences pour
les politiques sociales et celles concernant les femmes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 22
7.0
Nouveaux risques et vulnérabilités engendrés par la mondialisation . . . . . . . 24
Technologie et nouveaux modes d'organisation de la production . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Risques pour l'environnement et l'habitat . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 24
Urbanisation, bouleversements régionaux et migration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 25
Mobilité: un risque social . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Appropriation du travail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26
Dépendance à l'égard des caprices du marché et migration de sortie du capital
mondial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 26 . .
Volatilité des marchés financiers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
8.0
Conclusion: l'agence de développement en tant qu'institution médiatrice
dans le processus de mondialisation . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27
Annexe: Les nouveaux aspects structurels de la mondialisation . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Mobilité des capitaux et mondialisation financière . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Réseaux de production transnationaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 32
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35
1.0
Introduction
L'énoncé officiel de politique étrangère du Canada, Le Canada dans le monde, reconnaît que la
mondialisation « a de grandes répercussions économiques ». La mondialisation est devenue le
maître-mot des années 90 et désigne une importante tendance structurelle caractérisant la
dynamique d'une économie mondiale en évolution. Les responsables de la politique nationale
du Canada se doivent de tenir compte de la mondialisation et de ses effets sur les Canadiens,
effets qui entravent la politique intérieure et extérieure, et lui ouvrent en même temps des
possibilités. Dans le même ordre d'idées, la mondialisation a des incidences pour les décideurs
des pays en développement, car elle a des répercussions autant pour ceux qui participent à part
entière à l'économie planétaire que pour ceux qui survivent à sa périphérie.
Le présent document de travail aborde la mondialisation et ses incidences pour les pays en
développement du point de vue du rapport entre les sexes. Cette approche vise à rehausser la
capacité de l'ACDI de s'acquitter de son rôle et de ses responsabilités sur le plan du partenariat
dans les pays en développement, ce qui comprend:
v la formation de partenariats constructifs avec des femmes des pays en développement;
v
une action efficace à l'égard de la situation des pauvres, particulièrement des femmes
pauvres;
v
l'amorce d'un dialogue avec les décideurs des pays en développement;
v
la réalisation d'interventions axées sur le développement au sein d'instances multilatérales.
L'actuelle période de mondialisation constitue la troisième phase d'un processus amorcé il y a
plus d'un siècle. Chacune de ces phases s'est caractérisée par la convergence de nouvelles
techniques, par de nouvelles approches de l'organisation industrielle et par un intérêt des pays
envers l'expansion du commerce et de l'investissement. Cela dit, la phase actuelle se distingue
qualitativement des deux premières. Cette différence qualitative découle en partie de
l'émergence de nouveaux types d'organisations qui sont beaucoup plus souples et mobiles. Elle
résulte en partie du rôle que joue la technologie de l'information et, phénomène qui lui est
étroitement lié, du passage des économies industrielles à des économies fondées sur le savoir.
Selon un rapport récent de l'OCDE, la moitié du PIB total des économies riches repose
maintenant sur la connaissance. Un des résultats de la mondialisation réside dans le fait que les
institutions nationales sont moins à même d'interagir efficacement avec des entreprises de
dimension véritablement planétaire. Chaque phase a suscité de nouvelles possibilités pour les
gens en mesure d'en profiter et a présenté de grands risques pour ceux qui se trouvent dans la
situation contraire.
Certes, il est manifeste que les coûts et les retombées de la mondialisation sont répartis de
manière très inégale, mais il existe, en puissance, des motifs d'optimisme, en ce sens que la
phase actuelle de la mondialisation pourrait offrir des possibilités aux femmes et aux pauvres.
Dans le cas des femmes, il est vraisemblable que la création d'emplois se fera dans des
domaines qui n'ont pas été traditionnellement l'apanage des hommes. En ce qui concerne tous
les groupes vulnérables, il se révélera peut-être plus facile de redistribuer l'accès au savoir et
aux aptitudes (qui constituent des atouts de plus en plus importants) que de redistribuer les
biens plus traditionnels, comme les terres ou la richesse accumulée.
Le défi consiste à examiner les concepts complexes et multidimensionnels de la mondialisation
et des rapports hommes-femmes, de comprendre les principaux rapports qui les unissent et
leurs incidences, puis de les situer dans le contexte de la coopération pour le développement.
Compte tenu de l'ampleur de la mondialisation, le présent document de travail n'aborde que
certains aspects de ces dimensions imbriquées les unes dans les autres, plutôt que de traiter en
profondeur un de ces concepts. En outre, nous adoptons une approche plus étroite fondée sur
l'économie politique et nous ne nous livrerons pas à une interprétation plus large de la
1
mondialisation sur le plan culturel. Nous mettons en relief les aspects de la mondialisation
susceptibles d'influer sur les possibilités qui s'ouvriront aux femmes, particulièrement aux
femmes pauvres, et sur leur pouvoir de négociation, ainsi que sur les institutions qui agissent en
leur nom.
L'ACDI, en sa qualité d'organisme oeuvrant dans le domaine de la coopération pour le
développement, peut jouer un rôle important en élargissant ces possibilités, en prenant des
mesures de prévention des risques, en répartissant les retombées et en s'employant à
empêcher l'apparition de nouveaux facteurs de vulnérabilité. Elle peut jouer ce rôle d'organisme
médiateur au moyen de l'intervention dans des projets, de la création de milieux favorables au
développement économique et humain, en faisant progresser le dialogue sur les politiques et en
renforçant d'autres institutions médiatrices, aux échelles à la fois nationale et internationale.
Notre document est structuré comme suit. La Section 1 est consacrée à l'introduction. À la
Section 2, nous définissons la mondialisation et analysons certains schèmes des changements
de portée plus large que ce phénomène suscite. À la section suivante, nous traitons la question
de l'inégalité de la répartition des retombées et des facteurs de vulnérabilité découlant de la
mondialisation. Ensuite, la Section 4 porte sur quelques effets directs de la mondialisation sur le
travail des femmes et sur la génération de revenu dans le cas des femmes et hommes
démunies; on peut cerner ces effets en étudiant cet aspect sous l'angle des critères et
interventions en matière de développement. Quant à la Section 5, nous y abordons les
questions de l'égalité entre les sexes, de l'habilitation et de la mise en valeur des capacités
humaines. L'effet indirect de la mondialisation par l'intermédiaire des contraintes qu'elle fait
peser sur les politiques publiques fait l'objet de la Section 6. Enfin, aux Sections 7 et 8, nous
mettons en relief des risques et des facteurs de vulnérabilités précis résultant du processus de
mondialisation, ainsi que le rôle que l'ACDI peut jouer en qualité d'organisation médiatrice
intervenant pour atténuer ces risques et ces facteurs de vulnérabilité.
En annexe, nous exposons de manière plus détaillée les aspects financiers de la mondialisation
de même que les nouveaux réseaux d'organisation des sociétés transnationales qui
sous-tendent la mondialisation.
À divers endroits dans le document, nous suggérons des applications concrètes et des
manières d'aborder la problématique qui font un lien entre les questions examinées, d'une part,
et les programmes de l'ACDI et le dialogue qu'elle entretient sur les politiques. Nous les
indiquons au moyen du signe # . Quant aux passages qui décrivent une situation particulière et
débouchent sur des points d'accès et objectifs de projets précis, nous les mettons en évidence
en utilisant le signe ˆ .
2.0
La mondialisation
Le terme « mondialisation » se répand de plus en plus, mais son champ d'application et son
sens varient. De toute évidence, il ne désigne pas simplement l'internationalisation de
l'économie mondiale. L'internationalisation renvoie simplement à l'expansion croissante, du point
de vue géographique, d'activités économiques débordant les frontières nationales; cela dit, le
commerce et l'investissement internationaux ne constituent pas des phénomènes nouveaux, et
ils ne sont pas non plus qualitativement différents de ce qui se faisait déjà.1 Il se révèle donc
1
Lorsqu'on donne au concept de mondialisation son sens le plus large et le plus « flou »,
on qualifie d'aspect ou d'exemple de mondialisation toute transaction internationale d'ordre
économique, politique, social et culturel que vient faciliter la technologie moderne. Cette
conception, que nous pouvons résumer en lui donnant l'appellation de « village planétaire plus
technologie », est trop globale et n'est pas bien délimitée. En outre, au sens où nous l'utilisons, la
conception de mondialisation ne s'applique pas à l'harmonisation et à l'interdépendance
croissante entre pays (la vision de la « communauté mondiale »). Nous reconnaissons que les
progrès technologiques favorisent grandement la mondialisation, mais il faut éviter la confusion
2
nécessaire de définir et de caractériser la mondialisation, et d'examiner les changements
qualitatifs qu'elle va vraisemblablement entraîner pour les femmes et les démunis, dont la
majorité sont justement des femmes.
Définition
On entend par mondialisation un processus au moyen duquel la finance, l'investissement, la
production et le marketing sont de plus en plus dominés par des entreprises (y compris des
banques) dont la vision et l'activité ne se confinent pas à l'intérieur de frontières nationales ou ne
se limitent pas à la défense d'intérêts nationaux. Ces entreprises réexaminent en permanence,
à l'échelle mondiale, les possibilités qui s'offrent à elles de réaliser des bénéfices. Le champ
d'application de leur processus décisionnel est mondial et elles adaptent sans cesse leur
portefeuille de devises, de clients, d'usines et de bureaux; elles cherchent à déplacer leurs
opérations vers des zones « extraterritoriales », pour se soustraire ainsi à la pleine application
des compétences nationales chaque fois qu'une décision en ce sens est de nature à accroître
leurs bénéfices. Ces personnes morales de dimension planétaire ont commencé à former des
réseaux complexes de rapports à l'intérieur des diverses entreprises et d'alliances entre
sociétés, lesquels sont structurés en fonction d'une hiérarchie de capacités techniques,
d'avantages sur la concurrence et de pratiques de production. Cette évolution s'est traduite par
une progression considérable de la vitesse et du volume des échanges commerciaux, ainsi que
des mouvements de capitaux et des transferts d'information. La mondialisation désigne donc
aussi de nouveaux réseaux de production, de finance et d'information qui ont rehaussé la
mobilité sur le plan international des biens, de la prestation de services et des capitaux.
Le concept de mondialisation suppose l'apparition de nouvelles possibilités, de nouveaux risques
et de retombées jusque-là inconnues; d'où l'émergence de nouveaux ferments éventuels de
frictions sociales. Toutes les sociétés se dotent d'institutions (au sein à la fois des pouvoirs
publics et de la société civile) qui assurent la médiation entre des intérêts concurrents. La
capacité de ces institutions de représenter les intérêts de leurs membres dépend de leur
aptitude à l'organisation et du volume des ressources qu'elles peuvent mobiliser. La
mondialisation comprend un passage du pouvoir des organisations médiatrices, à l'échelle des
États nations, à celles que définit le marché international. Par le passé, les progrès accomplis
par des segments plus vulnérables de la population ont souvent été attribuables à la création ou
au réalignement d'institutions médiatrices.
Historique: trois phases
La première phase (parfois désignée sous le nom d'« internationalisation ») a atteint son apogée
de 1870 à 1914. La « distance économique » séparant les matières premières, la production et
les marchés a considérablement diminué par suite de la mise en place généralisée de chemins
de fer, de canaux (Suez, Panama, et intérieurs), de navires à vapeur, du réseau international de
télégraphie, de même que de l'émergence de nouveaux mécanismes de la finance
internationale, et des migrations. L'investissement et le commerce internationaux commencent
à peine à retrouver les niveaux-- du point de vue du pourcentage de la production mondiale -atteints au tournant du siècle. Des innovations en matière de production, particulièrement la
mise au point de pièces interchangeables et la chaîne de fabrication, ont fait passer la
transformation des corporations de métiers à l'usine, que l'on a exploitée de plus en plus selon
les principes de la gestion « scientifique ». La fabrication étant concentrée dans les pays
d'origine, et puisque les politiques étaient de type mercantile (au moins pendant les premières
étapes) et que le secteur privé avait périodiquement besoin d'un soutien militaire, il existait un
degré considérable de chevauchement des intérêts des secteurs public et privé.
En dépit des mauvaises conditions de travail de la plupart des ouvriers dans les usines et de
l'encombrement des taudis urbains ne disposant guère ou pas de services, les niveaux de vie
entre mondialisation et progrès technologique en général, ou entre mondialisation et des
réalisations technologiques précises et leurs applications au sens strict.
3
ont, en général, progressés un peu partout en Europe et en Amérique du Nord. Cette évolution
tient notamment à la création d'emplois, même s'ils étaient mal payés et dangereux, la plus
grande accessibilité aux aliments et aux autres biens de consommation, et la soupape de
sécurité qu'ont constitué les migrations. La société a mis en place progressivement de
nouvelles institutions médiatrices ayant pour mandat de défendre les droits des travailleurs,
d'abord en milieu de travail par l'intermédiaire des syndicats, et, ultérieurement, dans le cadre de
parlements nationaux, lorsque l'attribution du droit de vote (aux hommes) a permis aux syndicats
d'influer sur les politiques de partis politiques établis et d'en former d'autres afin qu'ils
représentent leurs intérêts.
La deuxième phase, que l'on peut qualifier de « multinationalisation », s'est déroulée après deux
guerres mondiales et la Grande Crise. Étalée sur les années 50 et 60, elle a coïncidé avec une
période sans précédent de croissance économique dans les pays industrialisés. Les moteurs
de l'investissement étranger (principalement américain) tenaient à la volonté de garantir l'accès à
des ressources naturelles et de produire à l'intention de marchés nationaux protégés par des
barrières commerciales. Les opérations à l'étranger étaient, dans une large mesure, le fait
d'usines affiliées à des entreprises qui conservaient leur siège social dans leur pays d'origine et
qu'on considérait comme un prolongement des intérêts de ce même pays d'origine. Ces
entreprises constituaient également de grandes organisations intégrées fondées sur la gestion
scientifique (qu'on a parfois appelée le « fordisme »). Leur production en masse à bas prix et
leur grande productivité expliquent en grande partie la croissance rapide observée pendant cette
période. Toutefois, à compter de la décennie des années 70, leurs atouts étaient devenus des
faiblesses. Leur trop grande rigidité les empêchait de s'adapter à l'évolution des exigences des
consommateurs et à la nouvelle concurrence que leur livraient des entreprises (surtout
japonaises) plus souples. Vers 1975, les entreprises fordistes ont commencé à déplacer la
production vers des pays moins coûteux à des fins d'exportation vers les pays où les salaires
étaient élevés, réagissant ainsi à la baisse de la productivité dans leur pays d'origine. Ce
phénomène s'est accompagné d'un renouveau de l'intérêt envers les institutions médiatrices
multinationales (les Nations Unies, leurs institutions spécialisées, la Banque mondiale, le FMI et
les banques régionales de développement). Dans les pays industrialisés, la croissance
économique a ouvert des possibilités qui se sont offertes à de larges segments de la population,
dont aux femmes, et elle a financé la croissance rapide de la classe moyenne et la
généralisation
de
services
sociaux.
4
Caractéristiques distinctives de la mondialisation: la troisième
Deux aspects clés font de la mondialisation une phase nouvelle et distincte de l'organisation de
l'économie mondiale.2 Premièrement, soulignons la mobilité mondiale des capitaux, laquelle
s'est fortement accrue, en particulier les volumes énormes de capitaux à court terme qui entrent
sur les marchés des changes et des valeurs mobilières, et en sortent. Autre aspect qu'on
désigne sous le nom de mondialisation financière, les marchés fonctionnent dans le monde
entier, 24 heures sur 24, et ils transmettent les attentes économiques très rapidement et d'une
façon à laquelle il est plus difficile de résister en raison de déplacements presque instantanés de
liquidités par-delà les frontières.
Il existe maintenant un système financier monétaire
tentaculaire, dont les éléments constitutifs sont étroitement reliés les uns aux autres; dans une
large mesure, ils échappent au contrôle des gouvernements nationaux. Un « avantage » qui en
découle réside dans la discipline supplémentaire qui s'impose aux gouvernements afin qu'ils
assurent l'équilibre budgétaire et suivent une politique monétaire prudente afin d'éviter de se
retrouver aux prises avec une dette et un taux d'inflation élevé qu'ils ne peuvent gérer. Ce
phénomène présente deux « inconvénients »: le risque que la réaction des marchés soit
excessive et fasse dégénérer un problème en crise, et la pression s'exerçant en faveur du
maintien d'un équilibre budgétaire à court terme au détriment d'investissements à plus longue
échéance dans le capital social et humain.
La seconde caractéristique distinctive de la mondialisation réside dans la structure, axée sur
des réseaux transnationaux, de l'organisation de la production. Les entreprises n'ont plus
d'attaches géographiques et les sociétés transnationales inventent des structures
organisationnelles et géographiques complexes. Les rapports entre entreprises se diversifient
de plus en plus: elles vont d'alliances stratégiques internationales, en passant par des rapports
de sous-traitance, à des relations fondées sur des réseaux plus complexes unissant des
sociétés indépendantes et quasi indépendantes. La rationalisation des installations de
production à une échelle internationale plus large constitue un élément dynamique sous-tendant
la propagation accrue des procédés de production par-delà les frontières; cette évolution a
permis une nouvelle efficience et la concurrence internationale, et elle a débouché sur des
produits de consommation moins onéreux et de meilleure qualité.
La rationalisation
géographique de l'emplacement des diverses étapes du processus de production a également
supposé la recherche de travailleuses faiblement rémunérées, de paradis fiscaux et, dans
certains cas, de normes moins contraignantes en matière de protection de l'environnement. (Le
lecteur trouvera en annexe une présentation plus détaillée des réseaux planétaires de production
ainsi que de la mondialisation financière.)
Parallèlement à l'accroissement des investissements outre-mer dans le secteur de la
fabrication, les multinationales ont élargi encore plus rapidement leur gamme de services. Les
grandes banques, agences de publicité, chaînes hôtelières, sociétés de location de voiture, les
compagnies d'assurance, de services juridiques et de transport de marchandises, ainsi que les
sociétés émettrices de cartes de crédits, ont suivi leurs entreprises clientes et ont établi un
réseau mondial. Il s'ensuit que, dorénavant, la mondialisation de la production fondée sur la
2
Bien qu'on qualifie fréquemment les statistiques sur les échanges commerciaux et sur
l'investissement étranger direct (IED) d'« indicateurs » de la mondialisation, la progression du
volume des échanges internationaux ne constitue pas un nouveau phénomène sur le plan
qualitatif. En effet, historiquement, le commerce s'est épanoui pendant des périodes de paix
prolongée. Le volume de l'investissement étranger direct par rapport à la production nationale
était plus élevé dans certain pays à la fin du siècle dernier qu'il ne l'est aujourd'hui. Les
innovations sur les plans des transports et des technologies des communications se poursuivent
également depuis le dernier siècle. On peut voir dans l'importance des échanges internationaux
et de l'IED un « symptôme » de la mondialisation plutôt que la mondialisation elle-même, qui
constitue un phénomène structurel sous-tendu par des organismes.
5
fabrication et la prestation aux entreprises de services liés à la fabrication se renforcent
mutuellement. Il en résulte un système mondial, dont les éléments sont de plus en plus
imbriqués les uns dans les autres, d'institutions relevant des sociétés transnationales.
On a recours à l'investissement étranger direct (IED) pour créer ce qu'on appelle des
« plates-formes » de production dans des pays à faibles salaires, ainsi que pour se faire une
place sur de nouveaux marchés de consommateurs. En créant des têtes de pont pour de
nouveaux biens et services étrangers, la mondialisation est également devenue un facteur ayant
une dimension culturelle. En particulier, nombreux sont ceux qui voient dans les sociétés
transnationales (STN) américaines, qui forment le réseau le plus important et le plus étendu
d'installations internationales de production et de prestation de services dans le monde, des
entreprises qui « vendent » la culture et les valeurs américaines.
Facteurs favorisant la mondialisation
On peut cerner trois facteurs qui favorisent la mondialisation. D'abord, la mondialisation devient
possible à cause des nouvelles technologies avancées sur les plans des communications, de
l'informatique et, dans une moindre mesure, des transports, mais elle n'est pas synonyme de
ces progrès. Les institutions financières et les marchés, les sociétés transnationales, ainsi que
leurs fournisseurs et clients, sont reliés par une communication et un échange de données qui
se font instantanément par voie électronique. Ces phénomènes ont permis l'apparition de
nouvelles formes d'organisations et de structures. De plus en plus, il est possible de situer à
des endroits différents les sources de l'épargne et de la finance, les sources de l'innovation, la
conception, la technologie et les méthodes de production, l'emplacement de la gestion et de
l'administration, la source des biens intermédiaires et des facteurs de production, et, enfin,
l'emplacement des installations d'intégration des composantes. Les biens produits, à leur tour,
peuvent être destinés à la consommation et à l'utilisation dans le pays, ou être fabriqués
exclusivement à des fins d'écoulement sur les marchés d'exportation.
La seconde condition qui favorise la mondialisation a trait à la libéralisation des politiques
relatives au commerce et à l'investissement dans le contexte d'un marché planétaire plus
concurrentiel, et de la déréglementation de plus en plus poussée des marchés financiers
internationaux. Les réseaux de production ne correspondent pas aux frontières politiques
officielles et ils se sont développés simultanément au système interétatique. On peut dire du
système des États et du système de production mondialisé, lequel comprend des réseaux
fortement ancrés à l'échelle régionale, qu'ils constituent deux réseaux différents, mais qui
s'entrecoupent, d'activité, d'interaction et d'exercice du pouvoir de la part des êtres humains.3
Troisièmement, l'intérêt actuel des entreprises envers l'investissement dans les pays en
développement s'explique par le phénomène relativement nouveau que constitue l'augmentation
du nombre de travailleurs qualifiés dans bon nombre de ces pays, parallèlement à ce que
l'OCDE a récemment qualifié de développement de « sociétés compétentes »4 dans les
3
Bernard et Ravenhill (1995) font remarquer que la tension entre le système interétatique
fondé sur des territoires et les réseaux mondialisés de production et d'échanges a fait naître une
interaction dynamique entre le politique et l'économique qui exerce une profonde influence sur la
structure de l'économie politique de l'Asie de l'Est au fur et à mesure que les déséquilibres des
échanges interétatiques font monter les tensions. En guise d'exemple, on peut comprendre,
sous cet éclairage, les acrimonieuses négociations commerciales américano-japonaises, et le
marchandage politique annuel des États-Unis en ce qui concerne l'attribution à la Chine du statut
de nation la plus favorisée (NPF). Les entreprises multinationales d'Europe ont joué un rôle
considérable pour ce qui est d'exercer des pressions en faveur du programme d'unification
européenne en 1992, car elles souhaitaient exploiter leurs réseaux et atteindre des marchés
sans se heurter aux contraintes que représentent les tracés de nombreuses frontières
nationales d'Europe occidentale.
4
OCDE, 1996. Les « sociétés compétentes » se caractérisent par des capacités en
6
économies de marché naissantes.
Ce facteur contrebalance en partie l'importance
décroissante du faible niveau des valeurs comme motif de l'investissement étranger; cela
découle du recul du coût de la main-d'oeuvre en proportion du total des coûts.
3.0
Disparités: Jouissance et exclusion des retombées de la mondialisation
Le monde a beaucoup changé depuis le milieu des années 70. Trois énormes blocs de
population -- la Chine, les républiques de l'ex-Union soviétique, et l'Inde font leur entrée sur le
marché planétaire et ils comptent près de la moitié de la population active mondiale. De
nombreux autres pays plus petits sont dans la course afin de répondre aux besoins de
main-d'oeuvre des nouvelles structures mondiales de production. Cinq des huit millions
d'emplois créés par les sociétés multinationales de 1985 à 1992 l'ont été dans les pays en
développement. Le nombre de travailleurs du monde en développement au service de sociétés
multinationales s'établissait à quelque 12 millions en 1992 et il a connu une progression
considérable depuis cette date. Compte tenu de l'importance de la sous-traitance dans la
structure par réseaux de l'organisation de la production, le nombre des travailleurs directement
touchés atteint vraisemblablement le double de ceux qui occupent un emploi dans ces sociétés
(Banque mondiale, 1995-1).
La nouvelle mobilité des capitaux qu'incarne l'IED favorise une division internationale du travail
dans le cadre de laquelle la fabrication à forte intensité de main-d'oeuvre se déplace vers les
pays en développement. En particulier, la production mobile, « libre de toute attache », est
attirée vers les endroits où les salaires sont bas, ce qui est généralement le cas de pays où le
taux de pauvreté absolue est élevé. Le processus de mondialisation peut déboucher, et a
effectivement débouché, sur l'amélioration des conditions de vie et sur une réduction sensible de
la pauvreté absolue, dans les cas où il fait se correspondre les capacités productives des
pauvres et des personnes sous-employées (généralement, mais pas toujours, des travailleurs
peu qualifiés, souvent des femmes) avec l'emplacement physique et les besoins de
main-d'oeuvre des industries en cours de mondialisation. Par exemple, au Maroc, le taux de
pauvreté a chuté de moitié, passant de 26 à 13 % de la population en seulement cinq ans, après
la libéralisation du commerce survenue au milieu des années 80.
Les pays qui combinent de faibles salaires et un degré élevé de compétence technologique l'ont
emporté, au jeu de la concurrence, sur des pays mieux établis. En l'espace de seulement dix
ans, l'Inde a renforcé son secteur industriel de la mise au point de logiciels, concentré dans la
région de « Silicon Bangalore », et est devenue le deuxième pays exportateur de logiciels au
monde. Toutefois, afin de parvenir à une réduction soutenue et généralisée de la pauvreté
absolue, il faut que « la possibilité » fasse l'objet d'une gestion éclairée. La mondialisation peut
également avoir pour effet d'aggraver les inégalités (la pauvreté relative) et s'accompagner de
conditions de travail « utilisant à fond » les capacités des pauvres, par exemple, en minant leur
santé du fait de la mauvaise qualité du milieu de travail. L'investissement attiré uniquement par
le bas niveau des salaires peut se déplacer aussi rapidement qu'il est arrivé, laissant dans son
sillage des travailleurs mésadaptés et un chômage structurel. Des femmes du Kenya et de
l'Afrique du Sud, qui fabriquent de l'artisanat ou des textiles et des vêtements, voient des
importations meilleur marché en provenance d'Asie leur enlever leur gagne-pain. Des femmes
de Corée du Sud perdent leur emploi dans le secteur du vêtement, parce que des entreprises de
leur pays vont s'installer dans des régions d'Asie où les coûts de production sont plus bas.
S'il est vrai que la toile d'araignée que forment les réseaux des STN s'étend à la plupart des
capitales du monde, la portée de la mondialisation se caractérise par sa nature très inégale, tout
comme l'est la répartition de ses retombées. Un des grands sujets de préoccupation qui se
pose lorsque qu'on observe « globalement » la tendance à la mondialisation, ainsi que
matière de capital humain, des infrastructures bien développées et une saine gestion des
affaires publiques.
7
l'intégration croissante de l'économie mondiale, c'est que certaines régions et certains pays sont
exclus des retombées de ce processus. Au contraire, s'ils sont reliés à l'économie mondiale,
c'est en grande partie par l'intermédiaire de la fuite des capitaux, des paiements qu'ils font au
titre du service de leur dette, et de l'aide publique qu'ils reçoivent. Les pays de l'Afrique
subsaharienne sont en voie de marginalisation au moment même où certains pays du bassin du
Pacifique commencent à menacer la domination économique de l'Amérique du Nord et de
l'Europe de l'Ouest. Dans 44 pays en développement, le ratio échanges commerciaux/PIB a
reculé au cours de la dernière décennie et les deux tiers du total de l'IED vers les pays en
développement sont dirigés vers seulement huit pays. Les courants d'IED vers 43 pays
subsahariens en 1992 se sont élevés à seulement 300 millions de dollars américains,
l'équivalent de l'IED reçu par le seul Pakistan cette année-là (CNUCED, 1994).
Les pays africains ont reconnu que l'intégration dans l'économie mondiale supprime les
contraintes découlant de l'étroitesse de leurs marchés intérieurs; ils ont pris des mesures de
libéralisation des régimes applicables au commerce et à l'investissement afin de mettre en place
un « milieu propice » à l'accès aux avantages que présente l'appartenance à des réseaux
mondiaux de production et à un tissu de rapports commerciaux. Toutefois, les coûts sociaux de
la libéralisation et de la restructuration économique sont extrêmement lourds et ils ont fortement
accru le nombre de gens vivant dans la pauvreté absolue.
#
Dans les pays de programmation actuellement exclus des réseaux d'accumulation de
capital productif, l'aide au développement dans les domaines de la réforme des politiques
et du développement des capacités institutionnelles, des infrastructures et du
développement du secteur privé cherche à instaurer un contexte propice à l'inclusion et
de nature à favoriser la formation de liens en matière de commerce et d'investissement.
À cet égard, les politiques de libéralisation sont également directement liées au volet
difficile de l'ajustement structurel et de la transition économique.5 Toutefois, l'expérience
a montré que le bon gouvernement constitue un facteur important, car même si on ouvre
la porte à l'investissement, il peut arriver que personne ne la franchisse. Des facteurs
militent donc en faveur d'une conjugaison du soutien à la libéralisation et de l'appui à la
mise en place d'un bon gouvernement.
Dans de nombreux pays, c'est ce qu'on appelle « l'arrière-pays » (hinterland) qui se voit exclu de
l'économie mondiale. L'inégalité des niveaux de développement régional caractérise la plupart
des économies et, en règle générale, elle aboutit à la concentration de la pauvreté dans les
zones rurales. Les effets de l'exode rural peuvent également laisser dans la pauvreté absolue
les autres membres du ménage qui demeurent sur place. Parmi ces ménages, ceux qui sont
dirigés par des femmes forment un groupe identifiable. Certes, l'inégalité du développement
économique régional est un « vieux » problème, mais on peut estimer que la mondialisation
aggrave les disparités et, aussi, présente de nouvelles possibilités en ouvrant de nouvelles
portes.
#
En rehaussant l'accès des pauvres aux services d'infrastructure, et la disponibilité de
ces services, on peut aider les producteurs pauvres à commercialiser leurs produits sur
les marchés des villes et d'outre-mer. Il faut veiller à ce que les femmes aient accès
aux services d'infrastructure. On peut faire la promotion de pratiques commerciales
équitables.
Une coopération stratégique au développement à plus longue échéance et visant
l'intégration des groupes marginalisés peut comporter des investissements dans
5
Les rapports entre l'ajustement structurel et la pauvreté, et, de plus en plus, entre les
stratégies de transition économique et la pauvreté, ont fait l'objet d'un examen approfondi. Bien
que voisines de notre propos, ces recherches débordent le cadre du présent document, que
nous voulons axer sur la mondialisation.
8
l'acquisition de compétences et des mesures d'habilitation.
Parmi les interventions ambitieuses de développement du secteur privé, on peut
mentionner les mesures visant à donner aux producteurs nationaux les moyens de
devenir les fournisseurs de réseaux mondiaux (création de liens en aval). Cette
intervention pourrait être axée sur des normes de qualité, le contrôle des procédés de
production, la formation à la gestion, l'amélioration de l'infrastructure des
communications, etc.
La réforme des politiques peut également permettre à des régions jusque-là « arriérées »
d'accéder à l'économie mondiale en facilitant l'accès aux structures de production des pays
voisins. En guise d'exemple, l'intégration économique dans le triangle de la croissance que
forment Singapour, l'Indonésie et la Malaisie a débouché sur l'inclusion des travailleurs
indonésiens et malaisiens dans une structure de production régionale.
Rien ne garantit que la mondialisation sera inévitable, continue et irréversible. L'inversion du rôle
de défense et d'impulsion des pays de l'OCDE en matière de libéralisation des échanges a
constitué un des changements les plus frappants de ces dernières années. Se situant
maintenant aux avant-postes, des pays comme le Mexique et la Pologne ont engagé non
seulement des réformes commerciales radicales, mais aussi une politique de libéralisation tous
azimuts.
En outre, il est instructif de rappeler la réaction d'autres pays de l'OCDE au développement qu'a
connu le Japon après la guerre: résistance à l'adaptation et au changement, restrictions visant
les importations en provenance de ce pays, limitations volontaires des exportations, imposition
de droits antidumping et mesures d'ouverture du marché. De nombreux pays de l'OCDE n'ont
pas fait preuve d'une grande capacité de s'adapter, au cours des dernières décennies, ce dont
témoignent des taux de chômage élevés. Il se peut qu'on assiste à une remontée des pressions
protectionnistes.
#
Un des plus importants et des plus difficiles rôles des organismes de développement, en
leur qualité d'institutions jouant un rôle de médiation auprès de leur propre gouvernement
afin qu'on tire parti des possibilités de développement offertes par des rapports et une
intégration commerciaux à l'échelle mondiale, consistera à soutenir l'ouverture
croissante des marchés de l'OCDE aux exportations des pays en développement.
L'évolution des propres priorités de l'ACDI en matière de programmation atteste l'effet des
processus de mondialisation sur les politiques de l'Agence, comme l'a montré la récente
adoption du développement du secteur privé en qualité d'une des six priorités des programmes
de l'ACDI. L'ACDI appuie le développement du secteur privé, particulièrement en favorisant
l'instauration d'un « milieu propice » à la croissance économique et à l'entreprise privée par
l'entremise du renforcement institutionnel, du développement des capacités, de la prestation de
services consultatifs relativement aux politiques, ainsi que de l'assistance technique. Toutes ces
activités offrent des points d'accès à la formulation de programmes visant la problématique
hommes-femmes, une fois qu'on a reconnu que la plupart des cadres législatifs, des politiques,
des réglementations et des pratiques institutionnelles ont des répercussions et des effets qui ne
sont pas les mêmes pour les deux sexes.
#
En outre, dans les cas où l'ACDI fait jouer un rôle de partenaire au secteur privé
canadien, y compris au moyen de la coopération industrielle, l'ACDI a la possibilité de
favoriser, au sein des entreprises de notre pays, un sentiment de citoyen du monde
chez les sociétés privées canadiennes actives à l'étranger en intégrant des volets de
perfectionnement des ressources humaines dans les projets, de la réalisation
d'analyses comparatives entre les sexes et le respect des exigences canadiennes en
matière d'évaluation des incidences environnementales.
9
4.0
La mondialisation: ses incidences sur la problématique hommes-femmes
Dans l’analyse présentée ci-dessus, on a vu que les mouvements de capitaux étaient l'une des
manifestations de la mondialisation de la production. Les lieux de production, qu'il s'agisse des
intrants intermédiaires ou de l'intégration des composantes, sont devenus de plus en plus
mobiles. Dans la mesure où le travail et le capital sont liés, il s'ensuit que cette restructuration et
ce déplacement de la production doivent avoir des incidences correspondantes sur la
main-d'oeuvre, et notamment sur les différents groupes de femmes (par exemple, les femmes
scolarisées, les femmes pauvres, les femmes analphabètes, etc.).
Pour étudier les
répercussions sous cet angle, il faut commencer par examiner les effets de la mondialisation sur
le travail des différents groupes de femmes et d'hommes dans les pays en voie de
développement.
Ces mouvements mondiaux de capitaux mènent à un ajustement et à une restructuration qui
touchent les localités de départ autant que les localités d'arrivée, ainsi que les économies
régionales et nationales. Dans les localités d'origine ou d'accueil, les changements intervenus
dans la répartition de la demande de main-d'oeuvre selon le secteur, la transformation des
relations économiques entre les différentes régions et l'urbanisation croissante sont des effets
directs de l'entrée de capitaux.
En règle générale, il est difficile de séparer ces effets de la restructuration économique des
«autres» types de restructuration induits par des tendances nationales à long terme, notamment
les contractions économiques et la restructuration induites par les programmes d'ajustement
structurel ou par l'expansion économique inégale des économies en croissance. En outre,
comme nous l'avons mentionné plus haut, des tensions dynamiques (c'est-à-dire dans certains
cas, les rapports de négociation directe) s'expriment dans les rapports économiques entre la
mondialisation impulsée par les entreprises et l'élaboration des politiques centrées sur l'État.
Dans ce contexte, comment distinguer, en ce qui concerne les femmes, les répercussions de la
mondialisation de la production des effets des politiques économiques nationales ou des
politiques centrées sur l'État?
En outre, il est clair que les avantages, les risques et les possibilités qui découlent de la
mondialisation varient selon les groupes de femmes: ce qui est à l'avantage d'un groupe nuit à
un autre et n'aura aucun effet sur un troisième.
#
Pour mieux comprendre la nature de ces répercussions, on peut intégrer une approche
« cartographique » à l'analyse économique. La mondialisation entraîne une mobilité des
capitaux à grande échelle. Ces mouvements transfrontaliers de capitaux
s'accompagnent de mouvements de main-d'oeuvre d'égale ampleur. Ainsi, les
phénomènes de migration, de mobilité, de déplacement de la main-d'oeuvre et de
suppression d'emplois peuvent se comprendre comme étant directement liés aux
mouvements de capitaux. On peut alors étudier les mouvements de main-d'oeuvre afin
de déterminer quels groupes de femmes et d'hommes y participent. Il convient de noter
également que les départs peuvent être temporaires ou définitifs. Cette cartographie
des phénomènes d'implantation, de suppression d'emplois et de migration peut
permettre de mieux suivre les tendances du changement social et de déterminer les
possibilités et les risques qui existent pour tels ou tels groupes de femmes et
d'hommes.
Le « caractère particulier » du groupe varie selon le lieu. Les groupes peuvent s'être constitués
en fonction de l'origine ethnique, de la non-possession de terres, de l'âge, de l'état civil ou
d'autres facteurs (des militaires démobilisés, par exemple).6
6
De ce fait, nous ne pouvons viser à aborder dans le présent document tous les effets de
la mondialisation, qui sont inégaux et contradictoires. Nous illustrerons notre argumentation à
l'aide d'exemples. Le personnel de l'ACDI disposera de ses propres exemples, à la lumière de
son expérience et de l'objet particulier de son travail.
10
L'expansion de l'industrie du prêt-à-porter au Bangladesh, par exemple, a provoqué l'exode vers
la ville de milliers de jeunes femmes, généralement célibataires. Malgré la médiocrité des
conditions de travail, les sondages effectués auprès des femmes de l'industrie du vêtement
démontrent que les femmes considèrent que les conditions sont plus mauvaises encore dans
les autres secteurs où elles pourraient être employées, c'est-à-dire, principalement, le service
domestique ou le travail agricole (Hay et Keller-Herzog, 1994). Même si les conditions de travail
laissent beaucoup à désirer, il ne fait pas de doute pour ces femmes que l'expansion de l'emploi
leur offre une possibilité.
En étudiant un pays ou une localité donnée, on découvre différentes tendances. Il convient de
porter une attention particulière aux femmes et aux hommes les plus défavorisés qui tendent à
être géographiquement moins mobiles et qui doivent surmonter de plus grands obstacles à la
mobilité professionnelle. Les pauvres, et en particulier les femmes, peuvent aussi être moins
visibles et «moins comptabilisés» dans les statistiques couramment accessibles. On peut
déterminer les différents obstacles que doivent surmonter les femmes et les hommes pauvres
pour obtenir les emplois offerts par les nouveaux centres de croissance économique:
analphabétisme, manque de qualification ou de compétences, âge, état civil; manque d'argent ou
de temps pour chercher un emploi, manque d'accès au crédit, manque d'information;
discrimination en raison de l'origine ethnique, du sexe ou autre discrimination à l'égard d'un
groupe, absence de mobilité en raison d'obligations familiales ou de la possession d'une terre.
Tous ces obstacles ne résultent pas de la mondialisation, mais ils empêchent les femmes et les
hommes démunis de profiter des débouchés créés par la mondialisation et par la croissance
économique en général.
Dans les pays en voie de développement, on peut observer la tendance au dualisme des
marchés du travail: l'expansion urbaine a favorisé une situation dans laquelle on trouve, d'un
côté, une augmentation des groupes de travailleurs protégés au sein du secteur officiel et, de
l'autre, des masses de travailleurs sous-employés dans le secteur informel. Lorsqu'elles
cherchent de la main-d'oeuvre, les industries du secteur officiel urbain recrutent généralement au
sein des réseaux étendus de travailleurs déjà employés. Ceux qui viennent de l'extérieur, et en
particulier les femmes, ont peu accès à ces emplois. Ainsi, les marchés officiels du travail ont
souvent un parti pris pour des raisons qui n'ont rien à voir avec les compétences et les aptitudes
des travailleurs. Les mécanismes par lesquels les nouvelles unités de production ont accès à un
bassin de main-d'oeuvre peu qualifiée varient selon le pays, selon l'industrie et au cas par cas.
Les gens relativement pauvres, notamment les femmes, appartiennent fréquemment au secteur
tertiaire, qui tend à être un secteur à forte concentration de main-d'oeuvre. Le défi consiste donc
à trouver des moyens qui permettent de « relier » ces services aux opérations d'investissement
étranger direct et aux marchés internationaux, de façon à ce que les femmes puissent bénéficier
elles aussi des retombées du processus de mondialisation. Certains suggèrent que la faiblesse
de ces « liens » avec l'économie sous-capitalisée locale est l'un des freins de la croissance
économique locale soutenue par la mondialisation et d'une plus large répartition des retombées.
Ce phénomène est plus évident dans les zones franches industrielles, et c'est l'une des raisons
pour lesquelles de nombreux gouvernements ont décidé d'ouvrir ces « enclaves » de production
et de les redistribuer régionalement.
Dans une cartographie à plus vaste échelle, servant par exemple à l'étude des mouvements de
main-d'oeuvre ruraux-urbains, il est important de considérer le genre d'emploi et de moyens
d'existence obtenus par ceux qui quittent leur région, mais également les incidences de leur
départ sur le travail et les moyens de subsistance de ceux qui restent. Lorsqu'on examine les
phénomènes de migration (nationale ou internationale) de la main-d'oeuvre, l'envoi de fonds est
un des éléments principaux à considérer.
#
Pour poursuivre l'analyse de la question de la mobilité, mais cette fois sous les angles
sectoriel ou sous-sectoriel, on peut examiner la façon dont les différents groupes de
11
femmes et d'hommes passent d'une catégorie professionnelle à une autre et se
demander de quelle manière le travail change.
Lorsqu'on pense aux industries légères à forte concentration de main-d'oeuvre et axées sur
l'exportation, on se représente immédiatement des masses de travailleuses rassemblées dans
des usines: cette réalité dominait au Mexique, en Asie du Sud-Est et elle se retrouve de plus en
plus partout dans le monde aujourd'hui. Comme Elson et Pearson l'ont noté [Traduction]: « [Les
entreprises] pensent non seulement que les femmes ont naturellement les doigts plus agiles,
mais encore qu'elles sont aussi naturellement plus dociles et plus prêtes à accepter une
discipline de travail stricte, et naturellement moins enclines à se joindre à un syndicat que les
hommes; et enfin, qu'elles sont naturellement plus adaptées aux tâches plus fastidieuses, plus
répétitives et plus monotones. » (Elson, 1981, p. 93). À l'opposé, les hommes tendent à avoir de
meilleures chances de promotion en passant par ce qu'on appelle les « chaînes de la mobilité »
reliant les différents groupes d'emplois entre eux.
Ce serait toutefois une simplification grossière que de considérer les répercussions de la
mondialisation sur le travail des femmes en ne tenant compte que du vêtement, de l'électronique
et du jouet. L'analyse des économies à croissance rapide (celles qui attirent l'IED ou qui
génèrent leur propre processus d'investissement et vendent sur les marchés internationaux),
comme la Corée du Sud et le Brésil, durant les années 1970, démontre que les femmes ont été
recrutées massivement dans des emplois industriels, et en particulier dans des secteurs
industriels non traditionnels. Le taux d'activité des femmes a considérablement augmenté entre
12
1970 et 1990, et ce, dans tous les pays à quelques exceptions près.
Graphique 1
Part des femmes dans la population active adulte
Océanie
Asie de l'Ouest
Asie centrale
Asie du Sud
Asie du Sud-Est
Asie de l'Est
Antilles
Amérique latine
Afrique subsaharienn
Afrique du Nord
Eur. occ. et autres
Europe de l'Est
0
10
20
30
40
Pourcentage (15 ans et plus)
1970
1990
50
De 1970 à 1990, la part moyenne
des femmes dans la population
active a sensiblement progressé
dans toutes les régions, sauf en
Afrique subsaharienne, où il s'est
produit un léger recul, et en Asie de
l'Est, où l'augmentation n'a été que
d'un point de pourcentage.
De nombreux facteurs influent sur
l'avancement des femmes dans la
population active. Dans les pays où
la migration touche de nombreux
hommes, il se peut que davantage
de possibilités d'emploi s'offrent aux
femmes. En outre, le fait que
davantage de ménages soient
dirigés par des femmes accroît leur
besoin de trouver du travail afin de
subvenir aux besoins de leur famille.
De plus, la baisse de la fécondité
indique que les femmes consacrent
moins d'années aux grossesses et
aux soins à dispenser aux enfants,
ce qui entraverait leur participation à
la population active.
La croissance des économies
élargit le marché du travail et
augmente l'activité économique des
femmes, alors que le ralentissement
de l'économie a l'effet opposé. Dans
de
nombreuses
régions
en
développement et en Europe de
l'Est, les programmes d'ajustement
économique et la compression des
dépenses publiques ont provoqué en
général
une
diminution
des
possibilités d'emploi, ce qui, dans
certains cas, a forcé les femmes à
quitter la population active, comme
cela s'est produit en Afrique
subsaharienne.
Source (Graphique et texte): Nations Unies (1995)
Ce mode de croissance économique et de création d'emplois a profité en particulier aux jeunes
femmes qui avaient au moins commencé des études secondaires. C'est la nature de cette
intégration à la main-d'oeuvre industrielle qui pose problème. À cet égard, les difficultés (non
uniquement liées à la mondialisation) auxquelles sont confrontées les femmes sont les
suivantes:
13
v
à travail égal, des salaires inférieurs à ceux que reçoivent les hommes;
v
le manque de possibilités de promotion et le refus de leur laisser accès à différents types
d'emploi (dont la gestion et le travail spécialisé);
v
les risques professionnels et les mauvaises conditions de travail;
v
les difficultés importantes que doivent surmonter les femmes mariées ou mères de famille;
v
la ségrégation professionnelle fondée sur le sexe pour beaucoup d'emplois dans les usines:
les règles sociales qui déterminent quel type de travail « convient » aux hommes ou aux
femmes, c'est-à-dire, la division sexuelle du travail au sein de l'usine. Cette ségrégation est
également un important mécanisme structurel et organisationnel, qui appuie l'écart de
salaire entre les hommes et les femmes;
v
la différenciation des emplois selon le sexe du titulaire: par exemple, lorsqu'une femme, et
non un homme, occupe un emploi, le degré de dépendance et de déférence à l'égard du
superviseur de service peut être supérieur. Lorsque les femmes accèdent à de nouveaux
domaines de travail ou remplacent les hommes dans des anciens, les emplois qu'elles
obtiennent deviennent des « emplois pour femmes » dont le prestige est moindre; de la
même manière, des emplois anciennement dominés par les femmes repris par les
hommes acquièrent du prestige et les femmes s'en retrouvent fréquemment exclues;
v
l'absence de droits des travailleurs, notamment celui d'agir collectivement;
v
du côté de l'employeur, l'absence de dispositions, de contribution ou de prise en charge
visant à couvrir le coût social de la « production » de la main-d'oeuvre (p. ex., congés de
maternité, garde des enfants, etc.).
L'augmentation du nombre de femmes dans le secteur de la production manufacturière est le
résultat le plus évident de la mondialisation dans les pays en voie de développement qui
reçoivent un influx de capitaux étrangers. Cet influx d'IED est également lié à la croissance
économique dont les retombées peuvent avoir des effets secondaires ou indirects positifs. (Il ne
faut toutefois pas conclure nécessairement à la validité de la théorie de « l'effet de percolation »
jusqu'aux plus pauvres, en l'absence d'informations plus précises).
Par exemple, la
mondialisation peut entraîner une hausse de la demande de main-d'oeuvre féminine dans le
secteur tertiaire et dans le secteur informel. Ainsi, il est certain que le phénomène crée de
nouveaux risques et de nouveaux facteurs de vulnérabilité. Toutefois, si elle est associée à de
nouveaux investissements, à de nouveaux lieux de production manufacturière, à de nouveaux
débouchés pour un grand nombre de femmes, à une demande accrue de main-d'oeuvre
féminine dans des secteurs connexes, la mondialisation a des retombées directes positives pour
les femmes. Les femmes représentent maintenant environ un tiers de la main-d'oeuvre du
secteur industriel dans les pays en voie de développement (Joekes, 1995).
Ces dernières années, le secteur tertiaire a dépassé celui de la fabrication et se situe à la
première place pour ce qui est de la croissance des exportations et de l'activité d'IED. Même si
l'information est très lacunaire, certains observateurs sont convaincus que la croissance
internationale du secteur tertiaire favorisera aussi l'emploi des femmes (voir l'encadré 1).
14
Encadré 1: mondialisation, problématique hommes-femmes et croissance du
secteur des services
Les changements sur le plan de l'emploi dans le domaine des services -- dont on peut
s'attendre à ce qu'ils aient une place de plus en plus dominante dans l'économie à
l'avenir -- sont attribuables aux effets de la mondialisation. Ce phénomène a un double
effet sur les possibilités s'offrant aux femmes de trouver un emploi. En premier lieu, on
crée des emplois dans des secteurs fondés sur l'information, qui se servent de
l'infrastructure des télécommunications pour avoir accès à une main-d'oeuvre féminine
instruite et bon marché dans les pays en développement en vue de l'exécution de tâches
comme le traitement de données, tout comme l'amélioration des moyens physiques de
transport international a facilité, antérieurement, l'expansion de la capacité de production
des secteurs du vêtement et de l'électronique des pays en développement. Cette
amplification de l'emploi à forte intensité de femmes dans certaines opérations du
secteur des services trouve un parallèle dans l'accroissement récent des exportations
de fruits, de fleurs et de légumes, reposant là encore en grande partie sur la
main-d'oeuvre féminine, en provenance de certains pays en développement. On a
constaté ce phémonène d'abord au Mexique, mais il apparaît clairement que dans
certains pays d'Afrique de l'Est, notamment au Kenya, cette activité a beaucoup
progressé ces dernières années. Elle représente peut-être la principale, voire la seule
possibilité, dans l'immédiat, de se tailler de manière viable une place sur les marchés
internationaux des produits autres que les produits de base, dans le cas d'un grand
nombre des pays les moins avancés, particulièrement en Afrique subsaharienne, où la
main-d'oeuvre féminine est mal préparée, en raison de lacunes du système d'éducation,
à travailler dans les secteurs industriels modernes.
Deuxièmement, la mondialisation facilite l'implantation dans des pays en développement
de filiales de sociétés transnationales actives dans le secteur des services, comme les
banques et les compagnies d'assurance faisant des ventes aux consommateurs, et de
services spécialisés destinés aux producteurs (p. ex., la publicité, la compatibilité, les
services juridiques) répondant aux besoins d'autres entreprises. Il arrive fréquemment
que ces filiales dispensent des services à d'autres pays de la région. La mondialisation,
en outre, encourage le déplacement de certaines anciennes fonctions des bureaux
administratifs des STN, pour des raisons de coût. Certains analystes voient dans ce
processus une probabilité de fragmentation géographique totale des opérations des STN
dans le monde entier et, même, l'effondrement final de l'identité nationale (en qualité
d'organisations ayant leur siège au Nord ou au Sud) de certaines STN.
15
Dans tous ces cas, on crée des emplois sur place dans le secteur des services,
emplois répartis entre des niveaux faibles et élevés de compétence. Les analyses des
conséquences pour la problématique hommes-femmes de la création d'emplois de ce
type sont extrêmement rares, mais certains indices (p. ex., en provenance de Malaisie)
donnent à penser que la préférence pour une main-d'oeuvre féminine ayant l'expérience
de la fabrication se poursuit dans le nouveau domaine des services liés au commerce,
aux deux extrémités de la gamme des compétences. Les conditions préalables à cette
évolution sont réunies, dès lors que les femmes sont déjà bien représentées dans le
secteur des services des pays en développement, et dans les catégories
professionnelles et techniques, indépendamment du secteur. Des partis pris sexistes
sur le plan de la scolarisation dans les pays en développement, en vertu desquels on
concentre les femmes dans les arts et les humanités, et dans des secteurs
professionnels comme le droit, viennent étayer les hypothèses selon lesquelles
l'expansion des services liés au commerce peut représenter une importante nouvelle
source d'emplois relativement bien rémunérés pour les femmes à l'avenir.
--extrait de Susan Joekes (1995), p.4 [Traduction libre]
C'est lorsque les femmes sont mises à l'écart de la production industrielle et évincées des
domaines traditionnels de production à la suite de l'introduction de nouvelles technologies et de
nouvelles formes d'utilisation des terres que les effets directs de la mondialisation sur l'emploi
sont négatifs pour les femmes. C'est l'exclusion de la production mondialisée et de la
production à plus grande valeur ajoutée, comme c'est le cas en Afrique, qui constitue un
problème pour les femmes et pour les hommes. Les incidences directes et négatives sur
l'emploi, en particulier des femmes, sont aussi visibles dans les cas des implantations et départs
successifs des plates-formes de production mondiales.
Les taux accrus d'activité des femmes que nous avons attribués à la mondialisation sont à
mettre au compte de la « pression de la demande ». De manière générale, il est souhaitable que
le nombre de débouchés existant pour les femmes à divers niveaux de compétence augmente.
On peut également généralement observer qu'à mesure que l'offre de main-d'oeuvre masculine
se fera plus rare dans certains emplois, les femmes pourront entrer dans des catégories
professionnelles plus intéressantes. Toutefois, ce n'est pas parce qu'elles entrent plus
facilement dans certaines professions et à l'emploi que les femmes accèdent automatiquement
à l'égalité.
Ensuite, il faut souligner que s'il est positif que les femmes obtiennent de plus en plus à des
emplois nouveaux et mieux payés dans l'industrie, les statistiques démontrent que
l'augmentation du taux d'activité des femmes ne signifie pas nécessairement qu'elles jouissent
d'un plus grand bien-être. Des facteurs liés à la pauvreté peuvent aussi les amener à se joindre
à la population active. Par exemple, des données secondaires, comme celles fournies dans les
études microsociologiques, donnent à penser que la pauvreté est l'un des facteurs importants
qui poussent un plus grand nombre de femmes à participer à un travail productif à l'extérieur du
foyer ou à entrer sur le marché officiel du travail (Ghosh, ca. 1993). Dans les cas où des
femmes ne travaillaient pas auparavant à l'extérieur du foyer, cette entrée forcée sur le marché
du travail peut indiquer que la pauvreté les oblige à trouver une autre source de revenu pour la
famille, ce qui peut entraîner de nouvelles contraintes de temps pour elles (voir également Moser,
1996)
Lorsque la mondialisation favorise l'accès des femmes à l'emploi, mais que la nature du travail
empêche les femmes de développer leur potentiel ou ne le leur permet pas, individuellement,
16
celles-ci peuvent tout de même, en l'absence d'autres possibilités d'emploi, en retirer un
avantage net. Les activités de coopération pour le développement peuvent alors viser à
« élargir » cette « étroite » possibilité que donne la mondialisation à certaines catégories de
femmes.
En ce qui concerne l'équité, comme moyen empirique de distinguer les effets positifs des effets
négatifs, Elson (1992) estime que [Traduction] « la mesure dans laquelle la hausse des taux de
participation des femmes à la main-d'oeuvre décompose les formes actuelles de subordination
dépend principalement du niveau de rémunération des femmes et des possibilités d'action
collective qui leur sont données par l'organisation du travail salarié. »
Dans une démarche d'évaluation des incidences de l'évolution économique résultant de la
mondialisation, on peut se poser les questions suivantes:
ˆ Quels sont les obstacles à la mobilité de tels ou tels groupes de femmes ou d'hommes?
ˆ
Quels obstacles ces femmes ou ces hommes doivent-ils franchir pour avoir accès à
certains segments du marché du travail?
ˆ
L'alphabétisation est-elle une condition de l'entrée sur le marché du travail et le taux
d'alphabétisation des femmes est-il nettement plus bas que celui des hommes?
ˆ
Les nouveaux emplois contribuent-ils au développement du potentiel et à l'épanouissement
de ces travailleurs ou contribuent-ils au contraire à les déqualifier, les appauvrir ou les
dégrader?
ˆ
Les femmes peuvent-elles se recycler, se perfectionner? Leur accès à ces possibilités
est-il le même que celui des hommes ou sont-elles confrontées à des obstacles
institutionnels de nature sexiste ou à des contraintes liées à leur rôle dans la reproduction
sociale?
ˆ
Quelles sont les conditions de travail, et ces femmes ou ces hommes avaient-ils une
information suffisante sur celles-ci avant d'investir dans un tel changement?
ˆ
Quels cadres réglementaires protègent ces travailleurs sur le plan de la santé et de la
sécurité, des normes professionnelles, etc. Sont-ils respectés?
5.0
Égalité entre les sexes, habilitation et développement des capacités des femmes
Les marchés tendent à ne pas traiter les femmes comme tant les égales des hommes, mais ils
traitent néanmoins les femmes comme des personnes à part entière. La question essentielle
qu'il convient de se poser devient alors:
ˆ
De quelle façon la mondialisation influe-t-elle sur la division du travail entre les sexes dans
une société donnée?
Si les femmes peuvent vendre leur force de travail ou leurs produits et assurer leur survie7, voire
satisfaire d'autres besoins, de manière autonome, elles sont moins dépendantes
7
Maria Mies a mis en évidence les dangers de la semi-prolétarisation des femmes: sur le
plan social, elles sont des ménagères mais, en réalité, elles travaillent pour gagner un salaire et
sont pleinement intégrées dans un système axé sur le marché mondial. Même si on les
considère comme étant des « travailleurs secondaires » et si elles reçoivent un salaire qui ne
suffit pas à assurer leur subsistance, il se peut que, dans les faits, elles soient la principale
source de revenu du ménage. À son avis, la semi-prolétarisation ne constitue pas une étape de
17
économiquement des hommes et leur pouvoir de négociation au sein du foyer s'accroît. Plus
leur revenu rémunéré est susceptible d'augmenter, plus leur valeur économique reconnue (ou
« visible ») croît et plus leur statut social tend à s'élever. Selon la nature du travail (et de la valeur
socio-culturelle qu'on lui attribue), le fait d'avoir leur propre revenu tend à être très important pour
les femmes, car il représente le statut et la dignité. Ce processus s'accompagne d'une
modification de la division du travail en fonction du sexe. Ces changements, toutefois, ne
signifient pas que les anciennes formes de division asymétrique du travail entre les sexes sont
abolies et remplacées par des possibilités économiques égalitaires, exemptes de discrimination
fondée sur le sexe et équitables. Le fait qu'elles puissent obtenir des emplois mieux rémunérés
et plus qualifiés ne signifie pas forcément qu'elles sont traités avec plus d'équité. Pour parvenir à
cet objectif, il faut une transformation des valeurs attribuées aux deux sexes ou de l'idéologie de
la société dans son ensemble.
Encadré 2: Le défi de l'utilisation de méthodes participatives
Robert Chambers, lors du Forum for Poverty Reduction Strategies
for Development tenu à Toronto en 1995, a réclamé des mesures
concrètes dans deux grands domaines. Sur un premier plan,
permettre aux gens occupant des postes subalternes,
particulièrement des pauvres, de faire leur propre analyse.
L'évaluation participative constitue un moyen de permettre aux
collectivités de définir leurs propres besoins et d'exercer vers les
échelons supérieurs de la société des pressions en faveur du
changement. Sur un deuxième plan, changer les attitudes et les
comportements parmi les agents de développement et les élites du
Nord et du Sud. Il est difficile de se débarrasser d'anciennes façons
de faire: d'apprendre à ne pas interviewer, à être un animateur, à ne
pas interrompre. Il se demande si nous sommes capables de trouver
des moyens de permettre aux puissants de vivre avec joie une perte
d'habilitation, d'apprendre à être des animateurs plutôt que des
dominateurs. (Rapport du Forum, 1995)
Lorsque les femmes exercent une nouvelle activité en raison de la mondialisation, les principales
questions suivantes se posent, entre autres:
ˆ Quels sont les droits des femmes dans leur nouveau travail? Ces droits sont-ils supérieurs
ou inférieurs à ceux qu'elles avaient auparavant?
ˆ
Les femmes peuvent-elles s'organiser elles-mêmes en tant que groupe? Le travail
comporte-t-il des éléments habilitants ou la discipline est-elle rigide (p. ex. interdiction de
converser au travail, limite sur le nombre de visites aux toilettes, surveillance électronique,
etc.)?
transition (menant à une autre étape où les femmes peuvent choisir entre l'état de salariée
prolétaire ou de ménagère); elle peut au contraire constituer une expression permanence de la
division du travail fondée sur le sexe qui permet l'exploitation du travail des femmes, aussi bien
au foyer que par le capital. Maria Mies attire également l'attention sur le fait qu'en raison de
l'intégration croissante dans l'économie mondiale, de nombreuses femmes pauvres du tiers
monde ne produisent pas ce dont elles ont besoin, mais ce que d'autres peuvent acheter.
18
ˆ
Quelle est l'incidence du travail sur le pouvoir de négociation des femmes au foyer?
ˆ
De quelle façon la société voit-elle le statut des femmes qui appartiennent à cette catégorie
professionnelle?
ˆ
Quelle est l'incidence du nouveau travail sur le travail social et reproductif?
ˆ
Comment le travail des femmes est-il rémunéré comparativement à celui des hommes?
Pour qu'il y ait développement humain, il faut que le travail contribue au développement du
potentiel de l'être humain. À cet égard, voici les questions principales qu'il convient de se poser,
entre autres:
ˆ Les nouveaux débouchés créés par la mondialisation offrent-ils aux travailleurs des
possibilités de se former ou d'acquérir de nouvelles compétences? Le travail est-il si
monotone qu'il aboutit au contraire à une déqualification?
ˆ
Donne-t-on aux travailleurs et aux travailleuses des possibilités de promotion ou d'exécuter
des tâches diversifiées?
ˆ
Le travail est-il organisé de façon à habiliter le travailleur et constitue-t-il une activité saine
sur le plan physique ou mental? Est-il au contraire invalidant (p. ex. tension oculaire causée
par le travail de montage) ou abrutissant?
ˆ
Le travail permet-il aux travailleurs d'améliorer leur niveau de vie au fil des années? Ou
est-il au contraire si mal rémunéré que les travailleurs restent démunis ou économiquement
dépendants d'un autre mécanisme social de survie?
L'analyse de la dynamique de la pauvreté doit couvrir non seulement l'accès à un emploi
rémunéré et les possibilités de gagner un revenu mais également un autre aspect, à savoir la
capacité des défavorisés de développer leurs aptitudes. Les facteurs structurels de la pauvreté
sont, entre autres, les mécanismes qui limitent le développement du potentiel des hommes et
des femmes pauvres et leur possibilité de l'exploiter. On peut étudier la mondialisation en se
demandant dans quelle mesure les nouveaux débouchés permettent aussi aux plus défavorisés
d'exploiter leur potentiel et de développer leurs aptitudes.
En matière de développement, les approches axées sur la capacité des femmes et des
hommes à s'épanouir et les mécanismes utilisés tiennent compte de cet aspect.
#
Les activités de coopération pour le développement peuvent renforcer les mécanismes
d'action publique notamment, y compris celle menée par les plus pauvres. Les
institutions de la société civile qui favorisent le changement social, la justice et les droits
humains peuvent être appuyées et renforcées. Les mécanismes qui servent à
coordonner les actions collectives menées par les travailleurs pour négocier avec les
employeurs et améliorer le milieu de travail peuvent être soutenus et renforcés
(amélioration et respect des garanties juridiques, des normes de santé et de sécurité,
droit à établir des comités de travailleurs, droit de se syndiquer).
Cela implique que les femmes et les hommes doivent choisir et agir. Il arrive fréquemment que
leur choix soit restreint, qu'il s'agisse de l'activité qu'ils exercent ou du travail qu'ils acceptent.
C'est le cas de la majorité des plus vulnérables parmi les pauvres: les filles « soumises » qui
travaillent pour leur famille dans des zones franches industrielles, les enfants dont le revenu
marginal est nécessaire pour que la famille puisse satisfaire ses besoins les plus élémentaires
et les fillettes que l'on prostitue. Par exemple, Heyzer (1994) indique qu'en Thaïlande:
L'endettement de nombreux foyers dans les campagnes a mené à l'esclavage et
à la vente d'enfants, en particulier de jeunes filles, les familles espérant ainsi
19
payer leurs dettes. Les relations de pouvoir asymétriques au sein de la famille et
les liens de parenté font que les fillettes et les jeunes femmes sont les plus
vulnérables. La pauvreté a conduit les familles à envoyer leurs filles gagner de
l'argent dans les régions urbaines. Les gains de ces jeunes filles sont
fréquemment indispensables à la survie du foyer. L'exode des femmes de ces
régions dépasse la hausse de la demande de main-d'oeuvre du secteur
manufacturier et du marché du travail structuré. Beaucoup de ces jeunes
femmes se retrouvent dans le secteur non structuré, dans les réseaux de
prostitution, dans l'industrie du loisir ou employées comme domestiques.
Lorsque la mondialisation - qui provoque un mouvement des capitaux, mais également celui
d'hommes d'affaires qui combinent voyages d'affaires et tourisme sexuel, contribue directement
à la demande de main-d'oeuvre pour les emplois les plus dégradants, il est impossible de ne pas
conclure que le sort de ces jeunes femmes aurait été meilleur sans la mondialisation. En tant
que groupe, ces femmes exploitées sont privées d'une grande partie de leur potentiel et de leurs
libertés les plus élémentaires (en particulier les prostituées qui sont également exposées au
SIDA). Ces femmes sont les pauvres absolus et les membres les plus vulnérables de leur
société. Pauvreté économique et vulnérabilité sociale sont souvent étroitement liées.
#
Les activités de coopération pour le développement peuvent contribuer à habiliter les
hommes et les femmes pauvres et à renforcer leur pouvoir de négociation face au
capital multinational et aux effets déshumanisants de la mondialisation sur la
main-d'oeuvre peu qualifiée. Cela peut se faire, par exemple, au moyen de la diffusion
d'information sur la santé (y compris en matière de prévention des maladies
transmissibles sexuellement), sur les effets et les risques des substances chimiques
toxiques utilisées au travail et sur les droits des travailleurs. Le soutien et le
renforcement des groupes de femmes pauvres (ou les organisations qui représentent
véritablement leurs intérêts) dans leurs relations sociales et économiques et leurs
négociations avec l'employeur dans des situations d'exploitation constituent d'autres
points d'accès d'une importance stratégique. Favoriser la participation des groupes
vulnérables à un processus de gestion des affaires publiques qui soit équitable,
transparent et responsable, promouvoir la liberté d'expression et d'association ainsi
qu'un processus juridique prévoyant des moyens de recours équitables contre l'injustice
sont d'autres façons de contribuer à l'habilitation des personnes et les groupes
défavorisés.
20
6.0
Les implications de la mondialisation pour la gestion des affaires publiques
La mondialisation des économies impose des contraintes aux décideurs nationaux tant des pays
développés qu'en développement. La mondialisation est essentiellement le produit des
décisions prises par les entreprises, et les principaux acteurs sont les sociétés transnationales,
les banques, ainsi que leurs réseaux et leurs alliances. La mondialisation croissante a entraîné
un recentrage du pouvoir et de l'influence, auparavant détenus par les organisations publiques,
au profit des organisations privées et donc le risque de voir celles-ci imposer leurs diktats. De
plus en plus, la logique financière, plutôt que sociale, sous-tend les décisions d'importance
majeure pour la société, et l'accent est mis sur le court terme plutôt que sur le long terme. Dans
la mesure où la mondialisation met davantage l'accent sur le rendement financier à court terme,
des pressions seront exercées sur tous les gouvernements pour qu'ils réduisent les
investissements sociaux qui ne sont rentables qu'à plus long terme.
Contraintes sur les instruments micro-économiques: facteurs d'incitation, fiscalité et
réglementation
Avec la mondialisation, le volume des investissements intérieurs et étrangers directs, tous deux
extrêmement mobiles, a enregistré une hausse spectaculaire. Les états, les régions et même
les municipalités se font donc concurrence pour offrir les conditions les plus susceptibles
d'attirer les emplois et les investissements directs générateurs de revenus. Parmi ces
conditions, mentionnons la libéralisation des politiques fiscales et commerciales, des politiques
industrielles préférentielles, ainsi que des politiques laxistes dans le domaine de l'environnement
et du travail.
Les questions de principe soulevées par la mondialisation des économies ne sont donc pas
uniquement traitées dans le cadre de négociations commerciales et de sommets internationales.
La mondialisation se répercute sur presque tous les domaines de politique générale. Les
thèmes communs aux politiques néo-libérales modernes favorables à l'investissement sont la
stabilité, la libéralisation et la déréglementation. Alors que l'on reconnaissait à l'état libéral un rôle
de régulateur de l'économie et de garant d'une certaine équité sociale, la fonction de l'état
néo-libéral est d'adapter l'économie nationale à la dynamique d'une économie mondiale
essentiellement anarchique. Un dilemme se fait jour: la contradiction entre les mesures
susceptibles d'attirer les capitaux (p. ex., la déréglementation et la baisse des taxes) et celles
propices au mieux-être à plus long terme, y compris les investissements essentiels à la
productivité des entreprises à plus long terme. Il ne peut y avoir de stabilité sans cohésion
sociale. Pour avoir une main-d'oeuvre productive et souple, il faut investir dans l'éducation et le
perfectionnement professionnel, ainsi que dans la santé (dans ce secteur, la prévention est
l'approche la moins coûteuse). Pour assurer la durabilité, des mesures et des garanties
environnementales s'imposent.
De nombreux obstacles commerciaux et réglementaires qui protègent les intérêts d'industries
locales inefficaces, lesquelles se sont rendues maîtres des organes qui les réglementent,
doivent être abaissés. Cette réglementation sert souvent les intérêts des élites locales, et les
pressions mondiales bénéficieront au public en général. D'autre part, la surenchère en matière
de déréglementation des secteurs social et environnemental est une dynamique alimentée par la
mondialisation et elle va clairement à l'encontre des objectifs de développement humain et
durable. Les limites imposées à la capacité des états à intervenir dans les sphères sociale et
environnementale et le rôle accru des entreprises privées ont affaibli les instances habilitées à
légiférer et à assurer le respect des normes entre autres en matière de travail, de sécurité
sociale, d'égalité des sexes et de droits de la personne.
#
L'ACDI peut intervenir activement dans les instances internationales et multilatérales,
plus précisément contribuer à la conception d'instruments, comme des conventions,
des accords et des ententes, ayant pour objet de relever les normes sociales et
environnementales, ainsi que de prévenir la surenchère à la déréglementation. L'ACDI
21
peut apporter son appui aux groupes de femmes, aux groupes d'intérêt public et aux
ONG des pays en développement pour qu'ils fassent entendre leur voix au sein des
instances internationales et multilatérales.
Il y a une différence subtile entre d'une part insister sur l'adoption de normes sociales et
environnementales pour favoriser l'atteinte d'objectifs dans ces deux secteurs et d'autre part
concevoir des normes sociales et environnementales afin de protéger une économie nationale
contre les importations de pays en développement.
#
L'ACDI peut maintenir une base de connaissances adéquate à l'égard de ces questions
litigieuses, particulièrement dans le contexte des discussions et des négociations avec
l'Organisation mondiale du commerce. Elle peut appuyer la réalisation d'études sur les
coûts et avantages sociaux et de recherches concertées mettant à contribution des
femmes de pays en développement pour rehausser le niveau de discussion (p. ex., les
clauses sociales et le dumping écologique). L'ACDI peut contribuer aux débats en
qualité d'institution médiatrice, et ce, dans la perspective du développement durable et
de la prise en compte des intérêts des femmes, particulièrement des femmes
démunies.
Contraintes exercées sur les politiques macro-économiques: conséquences pour les
politiques sociales et celles concernant les femmes
Même si la concurrence pour attirer les investisseurs est plus évidente, c'est la mondialisation
financière et l'invisibilité accrue de la localisation du capital financier qui imposent les contraintes
les plus immédiates et les plus cinglantes aux décideurs nationaux, particulièrement dans le
domaine des politiques macro-économiques. Le capital financier étant de plus en plus mobile et
le volume des échanges sur les marchés monétaires internationaux liquides, de plus en plus
élevé, l'argent se déplace instantanément au premier signe d'incertitude politique ou d'une
réorientation de la politique économique défavorable aux opérateurs financiers.
Les
mouvements financiers internationaux ont pesé sur l'annonce de la dévaluation du peso mexicain
en 1994, les résultats du sondage pré-référendaire au Québec et les annonces des ministres
des Finances relativement à la création d'emplois et à des budgets entraînant une baisse des
taux d'intérêt. Les gouvernements attendent probablement avec plus d'impatience les annonces
des agences de cotation des titres que les résultats des sondages d'opinion, sauf si des
élections sont imminentes. Une hausse d'un quart de point des taux d'intérêt, provoquée par les
craintes des milieux financiers internationaux, peut être lourde de conséquences pour un pays 8;
une fuite massive de capitaux, comme celle qui a frappé le Mexique, peut être dévastatrice.
Les contraintes qui pèsent sur les politiques peuvent avoir des conséquences variables. D'une
part, lorsque des politiques prudentes favorables au marché débouchent sur une plus grande
stabilité macro-économique, des niveaux d'inflation raisonnables, la croissance économique, des
progrès techniques et la création d'emplois, elles constituent manifestement un progrès. Les
pressions exercées sur les gouvernements par le capital « saute-frontières » peuvent donc être
considérées comme un frein à la mauvaise gestion économique et à la corruption locale. Et il
importe de ne pas oublier que ce sont généralement les pauvres et les citoyens les plus
désavantagés, dont les femmes, qui paient le prix de la contraction des dépenses, laquelle vise à
compenser les précédents déficits publics insoutenables, qui ne trouvent pas leur compte dans
les intérêts spéciaux des industries protégées, propriété des élites locales, et qui sont le plus
durement touchés par l'inflation. L'impact disproportionnée sur les femmes et les pauvres des
politiques de stabilisation liées à l'ajustement structurel a été bien documentée.
8
Dans un système de marchés financiers déréglementés, les taux d'intérêt grimpent
lorsque le capital financier quitte un pays. Les taux d'intérêt plus élevés sont habituellement
associés à des taux d'investissement et de croissance plus faibles. Ils ont également une
incidence négative sur le service de la dette et influent sur la balance commerciale par le biais
des taux de change.
22
D'autre part, les marchés de capitaux internationaux récompensent les pays qui ont des
politiques économiques restrictives. C'est-à-dire que la réduction des déficits, la contraction des
dépenses publiques, la baisse des impôts et le resserrement des politiques monétaires
débouchant sur un faible taux d'inflation sont autant de mesures qui peuvent être prises aux
dépens de la relance de l'emploi et qui sont susceptibles d'être associées à des coupes plus
sévères dans les dépenses sociales.
Les marchés financiers mondialisés limitent la capacité des gouvernements à lever des impôts,
particulièrement sur le capital. De même, les emprunts publics (qui accentuent le déficit) ou la
création de monnaie (génératrice d'inflation) sont pénalisés par les marchés financiers, les
capitaux quittant le pays, les taux d'intérêt accusant une hausse, les investissements, un recul,
et la valeur de la devise chutant. La mondialisation déclenche une dynamique caractérisée par la
diminution des ressources gouvernementales, ainsi que de la capacité de l'état à affecter des
fonds à la poursuite d'objectifs liés à sa politique budgétaire. Par conséquent, de plus en plus,
en raison de la mondialisation, tant les gouvernements des pays développés qu'en
développement réduisent les fonds affectés aux objectifs fondamentaux du développement
humain, par exemple la santé, l'éducation et la sécurité sociale.
Les contraintes imposées aux politiques sociales par la mondialisation des marchés financiers
ont des conséquences très claires pour les femmes. Les dépenses publiques ont un rôle
important à jouer dans le soutien à la reproduction sociale et à l'égalité des sexes. Lorsque ce
soutien est absent ou retiré, le fardeau imposé aux femmes -- qualifié de « taxe sur la
procréation » -- est disproportionné. La mondialisation, en entraînant le désengagement de l'état
face à l'économie de reproduction et en faisant assumer aux femmes une part démesurée des
coûts de la reproduction, a un effet dégressif sur la répartition des revenus selon le sexe. Les
femmes vivant dans la pauvreté absolue, par exemple celles qui sont incapables de payer les
frais modérateurs pour les soins de santé, seront en position de vulnérabilité absolue. En
général, le transfert de la responsabilité en matière de prestation des services sociaux du
secteur public au secteur privé tend à fragiliser davantage les pauvres 9.
L'abandon de la politique fiscale comme outil de réduction de la pauvreté à l'échelle internationale
a des effets prévisibles et semble déjà affaiblir l'infrastructure sociale ou « les équipements
collectifs » dans de nombreuses régions, y compris celles dont la croissance économique est
peut-être positive. En fait, l'économie fondée sur la fiscalité et les dépenses publiques est de
nouveau subordonnée à l'économie commerciale lucrative, dans un contexte où les familles et
les collectivités sont de moins en moins en mesure d'absorber les chocs. Dans les pays en
transition, et plus particulièrement en Russie, les politiques fiscales restrictives ont pour effet de
détruire les contrats existant entre l'état et la société.
7.0
Nouveaux risques et vulnérabilités engendrés par la mondialisation
Les processus de changement structurel associés à la mondialisation de l'économie engendrent
de nouveaux risques. À chaque risque correspond généralement un groupe de personnes
particulièrement exposé et un autre groupe relativement bien protégé contre ce risque. Une
caractéristique prédominante de la pauvreté est la vulnérabilité aux risques.
Bien que la pauvreté se transmette de génération en génération, la pauvreté absolue est souvent
le résultat d'une catastrophe, du bouleversement des conditions régissant le travail et les
moyens de subsistance et d'un dénuement imprévu. Pour comprendre la dynamique de la
pauvreté, de la problématique hommes-femmes et de la mondialisation, il faut donc déterminer
les différentes catégories de risques associés à la mondialisation.
9
Moser (1996) utilise le terme vulnérabilité pour saisir les nombreux aspects du bien-être
socio-économique, qui est variable. Vulnérabilité s'entend de la précarité du bien-être des
individus, des ménages ou des collectivités dans un environnement en pleine évolution.
23
#
Si nous considérons la réduction de la pauvreté comme un processus permettant de
s'attaquer aux causes du dénuement et de l'iniquité, il est important de déterminer les
risques inhérents à la mondialisation. Les catastrophes et le dénuement soudain, qu'ils
soient causés par des sécheresses périodiques ou un déclin du marché, peuvent être
prévus, et des dispositions peuvent être prises pour y parer.
Un certain nombre de risques associés à la mondialisation sont indiqués ci-dessous, et le rôle
des institutions médiatrices au regard de la gestion de la mondialisation et de la protection contre
certains de ces risques est examiné.
Technologie et nouveaux modes d'organisation de la production
La technologie étant le vecteur de la mondialisation, celle-ci modifie les modes d'organisation de
la production. Cette conséquence est essentiellement considérée comme bénéfique. Les pays
en développement apprécie l'investissement étranger direct en raison des possibilités de
transfert de la technologie, et de nombreux gouvernements du tiers monde ont commencé à
adopter une position plus pragmatique face aux investisseurs étrangers en ce qui touche le
transfert de la technologie, ainsi que le transfert des compétences opérationnelles, techniques et
gestionnaires.
Par ailleurs, les nouvelles technologies ou nouveaux modes de production peuvent supplanter
les méthodes de production classiques et les régimes habituels d'utilisation des terres et des
ressources, appauvrissant ainsi les producteurs traditionnels, comme les tisserandes
autochtones d'Amérique latine. Généralement, il est stérile de lutter contre l'introduction de
nouvelles technologies et de vouloir préserver les rapports de production « pré-mondialisation ».
Toutefois, le processus de changement peut être géré de manière à donner aux populations
touchées le temps et les moyens de s'ajuster et à influer sur les nouveaux rapports de
production pour qu'ils favorisent une plus grande équité.
Lorsque les biens fabriqués dans des installations étrangères de production ne sont pas
destinés uniquement aux marchés d'exportation, mais aussi aux marchés intérieurs, les
producteurs nationaux « inefficaces » ou utilisant des méthodes dépassées peuvent se voir
supplanter. Lorsque les ouvriers mis à pied par ces producteurs nationaux ne trouvent pas
d'emploi dans les nouvelles installations de production, ils doivent se recycler.
Risques pour l'environnement et l'habitat
La production industrielle et agro-alimentaire moderne crée non seulement des produits de
consommation et des produits intermédiaires, mais aussi des sous-produits comme des
polluants, des pesticides, des produits dangereux et des déchets toxiques. La mondialisation ne
provoque donc pas uniquement un changement dans la division du travail à l'échelle
internationale, mais aussi une modification de la distribution des dépôts de polluants, ainsi que
des cas de dégradation environnementale et d'empoisonnement.
Les gens vivant dans la pauvreté absolue et les petits salariés sont généralement concentrés
dans des zones résidentielles surpeuplées et souvent très polluées, ainsi que dans des lieux de
travail le plus souvent non contrôlés et dangereux pour la santé. Par exemple, les ouvrières du
textile dans les maquiladoras au Mexique signalent des taux élevés de maladies causées par la
poussière des ateliers de pressurage non ventilés et celles de l'industrie électronique, la
présence à leurs côtés de plateaux découverts contenant des substances cancérigènes. Les
dépotoirs de produits toxiques sont nombreux dans les régions rurales éloignées et les quartiers
pauvres des villes. Au Costa Rica, les ouvriers travaillant dans les bananeraies et leurs familles
souffrent d'une multitude de problèmes médicaux allant du cancer à des malformations
congénitales (dont l'incidence est anormalement élevée). Les spécialistes de la santé font valoir
que ces problèmes sont causés par les puissants pesticides utilisés sur les plantations.
L'Organisation mondiale de la santé estime que plus d'un million de travailleurs agricoles sont
victimes d'empoissonnement chaque année en Amérique latine et que 10 000 personnes
24
meurent parce qu'elles ont été en contact avec des produits chimiques (Banque mondiale,
1995:1).
Les organismes de coopération au développement peuvent travailler en collaboration avec ces
travailleurs, utiliser le savoir-faire scientifique et les connaissances techniques en matière de
production pour s'attaquer aux problèmes susmentionnés, ainsi qu'examiner les questions du
double point de vue des producteurs et des consommateurs. En outre, alors que les pays pris
individuellement peuvent craindre de prendre des mesures sévères de peur de déclencher une
fuite des capitaux étrangers, les organismes de coopération au développement peuvent, grâce à
des partenariats transnationaux réunissant les travailleurs, les spécialistes indépendants et les
consommateurs, examiner séparément les questions.
Même si cette vision de la coopération au développement peut être qualifiée par certains de trop
optimiste, compte tenu de la réticence des sociétés multinationales à accepter les normes
environnementales, l'utilisation proactive et novatrice des fonds d'aide au développement permet
de mener des actions uniques, ce que ne peuvent faire ceux qui n'ont pas les moyens de jouer
ce rôle de médiateur des intérêts sociaux internationaux. Tout comme la mondialisation du
secteur privé nécessite des alliances transnationales stratégiques et de nouvelles structures de
réseau fonctionnel, les initiatives de développement peuvent favoriser les alliances stratégiques
et les accords de coopération mutuellement avantageux. Dans certains cas, ces initiatives
peuvent viser à faire participer les entreprises privées prêtes à agir en bon citoyen du monde.
Dans d'autres cas, elles peuvent viser à fournir des ressources aux organisations des sociétés
civiles pour jeter ces ponts planétaires que certains appellent « stratégies de
contre-mondialisation ».
Urbanisation, bouleversements régionaux et migration
Les capitaux mondiaux tendent à se concentrer dans les grandes villes, ainsi que dans les
régions urbaines et les zones portuaires. Cette concentration influe à son tour sur la mobilité
interne de la main-d'oeuvre dans de nombreux pays. La planification urbaine intégrant les
besoins des pauvres et l'accès de ces pauvres à l'infrastructure urbaine sont deux moyens
fondamentaux susceptibles de diminuer les risques courus par cette tranche de la population.
La migration vers les zones où existent des possibilités d'emploi est un élément de solution,
mais cette migration comporte des risques. Ceux laissés derrière n'ont peut-être plus de
moyens de subsistance, et les migrants eux-mêmes peuvent courir un danger s'ils sont isolés
des réseaux sociaux d'aide.
Mobilité: un risque social
La mobilité des travailleurs, géographique et intersectorielle, est un facteur important de la lutte
contre la pauvreté. L'immobilité relative et les obstacles à la mobilité nuisent considérablement
aux pauvres. Toutefois, dans une perspective sociale plus vaste, la mobilité est un processus
qui intrinsèquement mine la stabilité sociale. La pauvreté absolue survient lorsqu'il n'existe
aucun filet de sécurité sociale, et la paupérisation croissante a été directement associée à la
dissolution de la famille, des liens de parenté et des liens ethniques, ainsi qu'à l'affaiblissement
des systèmes de soutien collectif dans de nombreux pays en développement. Bien que cette
situation ne soit pas due uniquement à la mondialisation, mais aussi à l'industrialisation et à la
modernisation, en Asie, ou à une profonde détresse économique, en Afrique, de nouveaux
contrats sociaux, des nouveaux régimes d'assurance, de crédit et de responsabilité doivent être
mis en place.
Appropriation du travail
Ceux qui prennent les décisions en matière d'investissement, y compris leur point de chute,
décisions qui commandent la mondialisation, considèrent les travailleurs et les gens en général
comme des éléments d'actif mobiles et aliénables. La mondialisation non contrôlée ou
anarchique présente des risques, à savoir la déqualification, la déshumanisation et le non
respect du droit des travailleurs au développement humain. C'est un fait qu'en l'absence de tout
25
contrôle, le capital exploitera les plus vulnérables, y compris les enfants. Cette situation ne doit
pas être considérée comme une conséquence inévitable de la mondialisation financière. Du
point de vue de la coopération au développement, cette question est au coeur de la
relation entre la mondialisation et les programmes en matière de droits de la personne et
de bon gouvernement.
Dépendance à l'égard des caprices du marché et migration de sortie du capital mondial
Le marché ne garantit nullement que les possibilités d'emploi et les prix permettront de répondre
aux besoins à moyen et à long terme. Les relations commerciales sont tributaires des cycles
conjoncturels, même dans les meilleures conditions.
Par conséquent, des périodes
d'augmentation du chômage sont à prévoir. Pendant les périodes de repli, les travailleurs moins
qualifiés - ceux dans lesquels on investit le moins - sont mis à pied, et on assiste à la création de
nouveaux pauvres ou à un appauvrissement accru. L'existence de régimes de sécurité sociale
bien administrés peuvent présenter de grands avantages sur le plan de la stabilité sociale et
politique.
En outre, tout comme un apport important d'investissements étrangers directs peut procurer des
avantages importants aux pauvres, grâce aux emplois qui en découlent, ces avantages peuvent
disparaître rapidement s'il y a relocalisation des installations. En Asie, il y a eu une relocalisation
à l'extérieur des pays nouvellement industrialisés parce que la rareté croissante de la
main-d'oeuvre a entraîné une hausse des salaires tant pour les travailleurs qualifiés que non
qualifiés. Le risque que présente la migration de sortie des capitaux peut être anticipé, et on peut
y parer grâce au perfectionnement professionnel de la main-d'oeuvre, afin de réaliser un équilibre
entre la hausse des salaires et l'augmentation de leur productivité potentielle. Les politiques
gouvernementales et l'investissement public dans l'éducation, ainsi que l'acquisition de
compétences peuvent considérablement faciliter l'ajustement structurel qui s'impose lorsqu'une
migration de sortie des capitaux entraîne une restructuration économique sectorielle des
économies régionales ou nationales. Une économie concurrentielle ne doit pas reposer sur des
salaires plus faibles; cette stratégie ne permet pas de relever le niveau de vie d'une façon
durable. L'objectif doit être d'offrir des salaires concurrentiels par rapport à la productivité des
travailleurs. Des compétences accrues et un niveau de scolarisation plus élevé laissent
supposer une plus grande productivité; ces « atouts nationaux » peuvent également servir à
attirer des investissements étrangers directs de meilleure qualité, c.-à-d. des industries à plus
grande valeur ajoutée. Bien que les organismes donateurs ne peuvent assurer l'éducation et la
formation, des approches prospectives axées sur les sexospécificités peuvent permettre
d'anticiper les pénuries de compétences et y parer.
Volatilité des marchés financiers
La mobilité accrue peut encourager des mouvements spéculatifs de capitaux, risquant
d'accroître ainsi la volatilité des marchés de capitaux internationaux. Cela peut - comme l'a
montré la crise monétaire mexicaine en 1994-1995 et ses conséquences - avoir des
répercussions graves et disproportionnées pour les pauvres, groupe le plus vulnérable à
l'inflation. Des politiques monétaires prudentes peuvent ne pas suffire comme mesure de
protection contre la volatilité inhérente aux marchés financiers.
Des mesures de coopération multilatérales au développement dans le domaine de la gestion de
la volatilité des mouvements spéculatifs internationaux et des mesures de protection à cet égard
sont donc nécessaires. On est de plus en plus sensibilisé au fait que des institutions
renouvelées et plus efficaces s'imposent pour opérer la médiation dans le domaine des finances
internationales. Le système de Bretton Woods a été établi en 1945 pour réduire les risques. Et
maintenant, l'économie mondiale a besoin d'un nouveau mécanisme de remplacement efficace.
8.0
Conclusion: l'agence de développement en tant qu'institution médiatrice dans le
processus de mondialisation
26
Dans le présent document de travail, nous partons du principe que les interventions stratégiques
d'aide au développement doivent expliquer de quelle façon, dans une localité donnée, la
dynamique de la mondialisation interagit avec la problématique hommes-femmes. Ces
interventions peuvent par la suite contribuer à élargir les débouchés offerts aux démunis par la
mondialisation, de même qu'à réduire les risques inhérents que ce phénomène pose pour eux.
Dans chaque cas, il est possible de choisir des « institutions médiatrices » qui jouent, ou
peuvent jouer, le rôle d'intermédiaires entre l'individu ou le groupe et le facteur de risque. Selon
une analyse des rapports entre la dynamique de la mondialisation et la problématique hommes-femmes, l'État, les institutions de la société civile, la collectivité, les ONG, les activistes et les
groupes de bienfaisance peuvent tous jouer le rôle d'institutions médiatrices ou d'intermédiaires.
Ces institutions ont le pouvoir de renforcer et d'accroître la vulnérabilité des démunis face au
risque, de partager le fardeau de ce risque, et d'en protéger les démunis. Dans ce sens, par son
programme de coopération au développement, l'ACDI peut être vue comme une institution
médiatrice. Les institutions publiques ou médiatrices peuvent réussir à inclure les plus démunis,
dont la majorité sont des femmes, dans le « public » qu'elles servent; elles peuvent les ignorer
ou même les marginaliser davantage, par exemple en détruisant les logements de squatters
sans offrir de solutions de rechange.
Les interventions publiques de ces institutions traduisent la perception qu'elles ont de leur
responsabilité sociale, leur intérêt stratégique à préserver la stabilité sociale et à promouvoir le
développement humain au sein de leur société ou de leur milieu, ou leur intérêt pratique,
l'intervention publique venant alors de groupes de femmes ou d'autres groupes. Cette
intervention s'applique à un vaste secteur: il peut s'agir de l'action d'organismes publics, d'ONG,
de groupes de pression (directe ou auprès du gouvernement), de réseaux sociaux, de syndicats,
de groupes environnementaux, etc.
#
Dans la mesure où la coopération au développement est menée en collaboration avec
les pays en développement et vise à réduire la pauvreté, elle doit également être menée
de concert avec les agents de l'intervention publique et avec la participation de ceux qui
vivent dans la pauvreté.
Il existe déjà de nombreux partenariats et réseaux internationaux qui lient les institutions de la
société civile du Sud et du Nord. Les groupes d'intérêt, les ONG, les groupes environnementaux
et les groupements féminins peuvent, grâce aux techniques de communications mondiales
(par ex. télécopieur, courrier électronique, Internet), constituer un véritable réseau d'intervenants.
Par exemple, en ce qui concerne les questions de main-d'oeuvre que soulève le phénomène de
la mondialisation, de tels réseaux d'organisations peuvent surveiller les pratiques d'emploi des
sociétés transnationales, au moyen d'activités de suivi à l'échelle locale et d'activités de diffusion
de l'information à l'échelle internationale. Avec l'accès à l'information mondiale et aux
communications instantanées vient l'élaboration possible d'alliances stratégiques nouvelles ou
plus englobantes. Celles-ci peuvent servir de contre-poids aux réseaux mondiaux et aux
alliances stratégiques entre les sociétés transnationales et les intérêts financiers.
#
L'ACDI peut appuyer les alliances stratégiques internationales sociales et de
développement en permettant aux groupes d'intervention publique locaux, dont les
groupements féminins, d'accéder aux techniques de communications mondiales.
27
Encadré 3: le programme de croissance commun
Le débat sur le rôle du gouvernement dans la gestion de la
mondialisation se reflète dans celui sur les « retombées
communes de la croissance », qui vise à déterminer dans quelles
circonstances la croissance économique influe sur la réduction
de la pauvreté. Le cas remarquable de l'Asie a montré qu'il peut
exister un lien positif entre la croissance, l'équité et la réduction de
la pauvreté. Cependant, depuis la période 1985-1990, la
croissance soutenue ne semble pas avoir favorisé une réduction
accrue de la pauveté (Hunter,1995), ce qui renforce l'argument
voulant que la croissance ne soit pas synonyme de réduction de
la pauvreté, qu'il existe différentes façons de gérer cette
croissance, et que l'ACDI ne doit pas tabler sur « l'effet de
ruissellement » en Asie ou ailleurs. Cet argument s'applique plus
particulièrement aux projets sur le développement du secteur
privé et les services d'infrastructure.
En ce qui concerne les risques que la mondialisation présente pour les démunis, les
interventions des gouvernements sont capitales. Bien que le gouvernement d'un pays ait peu de
contrôle direct sur le capital internationalisé, et bien que la mondialisation fasse peser des
contraintes sur ses politiques, il peut néanmoins gérer le processus de la mondialisation à
l'échelle du pays. En sa qualité d'institution médiatrice, le gouvernement joue un rôle
prépondérant dans les négociations qui permettent de déterminer qui bénéficiera des retombées
de la mondialisation et qui en assumera les coûts et les risques. Cette gestion se traduit par des
activités touchant la redistribution, l'affectation des investissements publics et sociaux, et la
réglementation (voir encadré 3). Par l'application de mesures coercitives, le gouvernement est
également l'institution qui attribue des droits, par ex. le droit à l'éducation primaire, le droit à des
conditions de travail sûres, ou le « droit » de polluer.
#
L'ACDI peut apporter son aide en mettant à profit ses compétences dans ce « domaine
de gestion », en se fondant sur l'expérience canadienne, les valeurs culturelles
canadiennes et sa connaissance des expériences en gestion des pays en
développement. Les agents de l'ACDI peuvent prendre d'importantes décisions quant
aux initiatives de gestion qui seront soutenues au moyen de projets sur le renforcement
des institutions et le développement des capacités.
Les syndicats et les groupements féminins sont d'importantes institutions médiatrices. Les
travailleurs, et surtout les travailleuses, ne peuvent espérer améliorer, seuls, leurs conditions de
travail: le risque de perdre leur emploi est trop grand. Selon le Rapport sur le développement
dans le monde de 1995, « l'existence des syndicats libres est l'une des pierres angulaires de tout
bon système de relations professionnelles qui vise à concilier la nécessaire compétitivité des
entreprises et les aspirations des travailleurs à gagner davantage et à travailler dans de
meilleures conditions ».
#
L'ACDI devrait continuer de collaborer avec les syndicats en tant que partenaires du
développement. Ils constituent un élément important dans les rapports de force inégaux
entre le capital mondial et les travailleurs, y compris les femmes, dans les pays en
développement.
28
Les gouvernements et les syndicats ne sont que deux des nombreuses institutions capables de
mener une intervention publique en faveur de la réduction de la pauvreté. Les gouvernements, et
plus particulièrement les syndicats, subissent de plus en plus les contraintes de la
mondialisation, qui exclut la réglementation et l'organisation. Des analyses de ce phénomène
font en effet ressortir les tendances d'une mondialisation déréglementée et anarchique,
tendances qui se situent au-delà du contrôle social. Il faut tenir compte des faits suivants dans la
sélection des initiatives de développement et des partenaires au sein d'une économie qui se
mondialise:
En ce qui concerne le développement économique, le problème n'est pas de fixer
les bons prix, mais bien d'établir de bonnes règles. Les prix ne sont que le produit
de la convergence momentanée des facteurs que sont la technologie, l'écologie,
les besoins humains, le revenu disponible, et les mesures institutionnelles,
lesquelles déterminent les règles qui régissent les échanges. Le développement
économique durable n'est possible que si l'on établit les bonnes règles, à savoir
des mesures institutionnelles. (Bromley, 1993)
S'agissant des rapports entre la pauvreté et la mondialisation, il importe de promouvoir des
mesures institutionnelles sociales aux niveaux local, national, régional et international, qui
favoriseront l'insertion des démunis, qui les protégeront contre toute forme d'exploitation, qui
appuieront l'égalité des sexes et qui permettront aux groupes défavorisés de développer leurs
capacités. Le phénomène de la mondialisation s'est accompagné non d'un rapprochement des
pays riches et des pays pauvres, mais d'une nette tendance à l'éloignement, de sorte que le
fossé entre les riches et les pauvres s'élargit. Nous en avons maintenant la preuve. Tout au
moins, il faudra élaborer des mesures institutionnelles sociales et économiques dans les régions
où les démunis sont exposés aux nouveaux risques qui découlent de la mondialisation. En
outre, les groupes qui ne sont pas en mesure à l'heure actuelle de bénéficier des retombées de
la mondialisation devront avoir accès aux débouchés que cette dernière créera.
Nous avons examiné les façons dont l'ACDI, en tant qu'institution médiatrice dans le processus
de la mondialisation, peut influer sur ce processus et sur ses résultats à de multiples niveaux. Si
les inégalités de la mondialisation et les déséquilibres de la croissance économique des quinze
dernières années se poursuivent au-delà de l'an 2000, ils conduiront « à un monde aux excès
gargantuesques et aux inégalités humaines et économiques ubuesques » (PNUD, 1996).
29
ANNEXE:
LES NOUVEAUX ASPECTS STRUCTURELS DE LA MONDIALISATION
Mobilité des capitaux et mondialisation financière
Depuis vingt ans, grâce aux progrès de la technologie et à la libéralisation de l'environnement
commercial planétaire, les frontières nationales sont de plus en plus perméables aux
mouvements de capitaux, de ressources, de biens, de services et d'information, dont le volume
augmente en flèche. Le commerce mondial croît en termes réels d'environ 6 % par année
depuis les années 1950, soit 50 % plus vite que la production mondiale. Ces chiffres reflètent
l'intégration économique de plus en plus poussée des pays commerçants. Auparavant, la
croissance des exportations était attribuable à la hausse des exportations de produits
manufacturés. Dernièrement, les services sont devenus le principal secteur porteur des
échanges internationaux. En effet, on observe une nette baisse de l'importance relative des
matières premières et des marchandises dans le commerce international.
Ce qui est encore plus remarquable que la croissance des exportations, c'est l'augmentation
spectaculaire de l'investissement étranger direct (IED). Le stock de l'IED à l'échelle planétaire a
plus que doublé entre 1973 et 1980, et plus que triplé entre 1980 à 1990. Pendant les années
1980, la production mondiale a progressé en moyenne de 2,8 % par année, et le commerce
international, de 5,4 %, tandis que les investissements étrangers directs ont augmenté en
moyenne de 12,2 % (Harris 1993, Seebach 1993). Dans la deuxième moitié des années 1980, la
tendance s'est accélérée et les flux sortants d'IED ont cru trois fois plus vite que les exportations
mondiales de marchandises. En 1990, ils atteignaient en moyenne 220 milliards de dollars
américains par année. Pendant les années 1970 et 1980, la part des États-Unis dans les
investissements directs à l'étranger a continué de fondre, passant de 50,4 % en 1967 à 25,9 %
en 1990, le taux de croissance des investissements directs japonais, européens, canadiens et
australiens étant supérieur à celui des États-Unis. Si l'on examine la répartition des IED par
secteur, on s'aperçoit que l'industrie des services connaît une croissance phénoménale.
Globalement, dans les principaux pays industrialisés, elle reçoit désormais plus d'IED que
l'industrie manufacturière (Dicken 1992).
Les mouvements de capitaux de portefeuille (actions, obligations, etc.) entre pays industrialisés
ont cru plus vite que les flux d'IED. Par rapport à la fin des années 1970, les flux sortants
annuels moyens avaient augmenté de plus de 200 % au début des années 1980, et de plus de
300 % à la fin des années 1980. Les prêts bancaires outre-frontière ont progressé deux fois plus
vite que le commerce international au cours des trente dernières années, et les innovations
financières comme les instruments dérivés ont de plus en plus un effet multiplicateur sur le
volume des instruments financiers échangés (Cable 1995). Depuis le début des années 1990,
une part de plus en plus grande des investissements de portefeuille, y compris ceux des
grandes institutions, sont faits dans les soi-disant « marchés émergents ».
Si l'on se tourne vers les placements plus liquides, on observe dans les marchés monétaires
d'aujourd'hui une mobilité et un volume spectaculaires. Le capital qui peut être mobilisé du jour
au lendemain sur les marchés monétaires dépasse de loin ce que n'importe quel gouvernement
peut réunir en utilisant ses réserves de change. Comme nous avons pu le constater au début
des années 1990, les gouvernements des pays industrialisés, même en se concertant, ne
peuvent réussir à contrôler ou à orienter les marchés monétaires. La valeur des opérations de
change dans les places financières internationales dépasse un billion de dollars par jour, soit au
moins cinquante fois la valeur du commerce mondial et plus que le stock total des réserves de
change détenues par tous les gouvernements 10.
10
Ces chiffres doivent être envisagés dans une perspective impressionniste: les
opérations de change se faisant très vite, la même somme peut être échangée plusieurs fois par
jour. Par définition, les réserves des gouvernements (sauf dans le cas des ajustements aux
portefeuilles de devises) ne se négocient pas sur les marchés.
30
Depuis la crise de la dette du début des années 1980, les sources privées de capitaux et de
financement exercent une influence de plus en plus grande dans les finances publiques, les
prêts gouvernementaux et l'APD pour la plupart des pays en développement. Ceci s'est traduit
par une intensification des pressions exercées en faveur de la création d'un milieu favorable aux
capitaux, c.-à-d. un environnement stable et relativement exempt de restrictions ou de contrôles
gouvernementaux. La stabilité issue de l'équilibre macro-économique, y compris celui de la
balance des paiements, et des cadres législatifs fiables tend à profiter à tous les acteurs
économiques (alors que l'inflation a tendance à toucher surtout les pauvres). Cependant, les
mesures destinées à favoriser l'équilibre macro-économique, à juguler les déficits
gouvernementaux et à réduire la dette accumulée se répercutent de façon disproportionnée sur
les pauvres. Voilà le lien entre l'ajustement structurel et la mondialisation. Les capitaux étant de
plus en plus mobiles, ils deviennent aussi de plus en plus difficiles à imposer.
À l'instar du commerce international des marchandises, les mouvements de capitaux ont été
facilités par des politiques de libéralisation et de déréglementation, la plus fondamentale étant la
libéralisation des taux de change (maintenant déterminés par le marché), qui s'est traduite par
l'abandon de l'étalon-or et des taux de change fixes dans les années 1970. On a ensuite assisté
dans les années 1980 et 1990 au retrait ou à l'assouplissement des contrôles sur les
mouvements de capitaux dans de nombreux pays: abandon de la répression financière,
réduction de la participation et du contrôle des gouvernements dans la réglementation des
banques et institutions financières, et assouplissement des règles sur les investissements
directs et de portefeuille par les étrangers. Les réformes financières en cours dans la plupart
des pays visent à créer des marchés plus efficaces et à attirer (et retenir) une partie de la masse
grandissante des capitaux d'investissement fortement mobiles.
On se préoccupe beaucoup de la volatilité des fonds internationaux et des effets déstabilisateurs
qu'ils peuvent avoir sur la balance des paiements et, par voie de conséquence, sur le rendement
macro-économique global des pays en développement. La réalité de la mondialisation
financière, c'est que les gros mouvements de capitaux d'investissement et l'affectation du
financement échappent de plus en plus au contrôle des gouvernements nationaux et des
institutions financières internationales (Fonds monétaire international, Banque mondiale et
banques régionales de développement). Ce risque d'instabilité a été mis en évidence lors de la
crise du peso mexicain en 1994-1995, qui a eu des effets dévastateurs sur les producteurs, les
travailleurs et les consommateurs mexicains.
Réseaux de production transnationaux
Ce qui caractérise le plus le phénomène de mondialisation, c'est la structure en réseau des
organisations et la rationalisation géographique de la production. Les sociétés transnationales
inventent de complexes structures organisationnelles et géographiques. Les relations entre
sociétés prennent des formes de plus en plus variées, depuis les alliances stratégiques
internationales aux réseaux complexes de sociétés indépendantes ou quasi indépendantes, en
passant par des contrats de sous-traitance. La rationalisation des installations de production à
une échelle internationale est un élément dynamique fondamental d'une plus grande circulation
de la production. Tout comme les capitaux, les installations de production et d'activités
connexes sont plus mobiles.
Les nouvelles structures en réseau sont à la fois stables et souples, et elles permettent des
économies d'organisation en misant simultanément sur la coopération et la concurrence au sein
du réseau. Le système de livraison juste-à-temps en étoile conçu par les entreprises japonaises
est un modèle important à plusieurs égards. La production est efficace parce que des
fournisseurs se livrent concurrence au sein du réseau, ce qui garantit des prix faibles et une
qualité élevée. Par ailleurs, les membres du réseau collaborent les uns avec les autres: ils
peuvent avoir accès à de la formation technique et à de l'information sur les normes et
spécifications, et peuvent se servir du réseau comme tremplin pour pénétrer des marchés
31
étrangers. Des progrès dynamiques sont aussi réalisés en encourageant tous les membres du
réseau à innover: la souplesse même du réseau sert de mécanisme pour mobiliser le savoir et
le travail intellectuel. Ces dynamiques n'existent pas dans les structures où les départements
subordonnés ne font que remplir des commandes. Les indicateurs traditionnels des statistiques
d'État sur le commerce et l'investissement montrent mal ces aspects de la mondialisation.
La société transnationale (STN) est le principal moteur de ces réseaux de production. Non
seulement elle contrôle et coordonne ses propres réseaux internes complexes à une échelle
internationale ou planétaire, mais elle contrôle aussi indirectement bon nombre des réseaux dont
elle est membre (Dicken, 1992). Dans les pays en développement, la proportion des
investissements effectués par des sociétés transnationales ne cesse de croître. Selon les
analyses et les données du PNUD, les STN sont les principaux acteurs du processus
d'intégration économique planétaire et contrôlent presque 75 % des échanges mondiaux de
produits de base, de produits manufacturés et de services. Environ le tiers de ces échanges
sont internes, c.-à-d. qu'ils se font entre les multinationales et leurs sociétés affiliées à l'étranger
(PNUD, 1994:87). Au début des années 1980, les échanges entre les 350 premières STN
représentaient environ 40 % du commerce mondial (Stewart, 1994).
L'organisation des réseaux de production est donc souple, caractérisée par la coopération et la
concurrence internes, et axée sur l'innovation. Cependant, elle demeure fondamentalement
hiérarchique, le leader de la technologie étant habituellement fermement aux commandes. Les
activités et techniques de production peuvent être transférées d'un endroit à l'autre, mais la
société chef de file conserve les commandes grâce à sa capacité de R-D, à la fourniture de
machinerie (le résultat d'une fabrication complexe) et à sa capacité de distribution et de
marketing. Les contradictions inhérentes à ces réseaux sont, d'un côté, les retombées et
possibilités pour les participants, et de l'autre, la hiérarchie et la dépendance.
Un autre aspect du réseau de production, outre la prolifération des liens transfrontières entre les
sociétés mères et leurs sociétés affiliées et fournisseurs, est l'expansion du nombre d'alliances
internationales. Alors que les années 1980 ont été marquées par les fusions ou acquisitions de
grandes sociétés, ce qui a donné naissance à d'immenses conglomérats (dont certains ont dû
se « restructurer » ou se réorienter depuis), on assiste dans les années 1990 à une
augmentation des alliances dites stratégiques. Ces alliances ont été créées pour faire face à
l'augmentation des coûts de la recherche et développement (R-D), aux exigences des
partenaires concernant l'implantation d'entreprises, et au besoin de répondre plus efficacement
aux préférences locales des consommateurs et à leurs attentes pour un meilleur service
après-vente. Les alliances, y compris entre concurrents, prennent la forme d'entreprises
conjointes, de marchés de sous-traitance, et d'accords de licence et de R-D. Elles donnent lieu
à de complexes réseaux d'information transnationaux sur la recherche, la production et le
marketing. En 1993, selon la CNUCED, les ventes des sociétés affiliées à des STN se sont
élevées à 5,5 billions de dollars américains, tandis que la valeur des échanges mondiaux de
biens et services s'élevait à 4 billions de dollars américains. C'est-à-dire que la production
financée par l'IED et attribuable aux alliances stratégiques transfrontières dépasse celle
attribuable au commerce (Dunning, 1993:4).
32
BIBLIOGRAPHIE
Agence canadienne de développement international. Politique de l'ACDI en matière d'intégration
de la femme au développement et d'égalité des sexes, Hull (Québec), 1995.
Agence canadienne de développement international. Politique de l'ACDI sur la réduction de la
pauvreté, Hull (Québec), 1995.
Agence canadienne de développement international et Fondation pour la formation internationale.
Forum Report: Poverty Reduction Strategies for Development, Toronto, 13 et 14 juin 1995.
Banque africaine de développement. Gender Indicators of Developing Asian and Pacific
Countries. Manille, 1993.
Banque mondiale. Rapport sur le développement dans le monde 1995: Le monde du travail
dans une économie sans frontières, Washington, 1995.
Banque mondiale. China: South-western Poverty Reduction Project, Staff Appraisal Report,
Agriculture Operations Division, China and Mongolia Department, East Asia and Pacific Regional
Office, Washington, 1995.
Bernard, Mitchell et Ravenhill, John. « Beyond Product Cycles and Flying Geese: Regionalisation,
Hierarchy and the Industrialisation of East Asia », World Politics, vol. 47, no 2, 1995, pp. 171-209.
Bernard, Mitchell. The Pattern and Implications of Transnational Production in Eastern Asia,
University of Toronto/York University, Joint Centre for Asia Pacific Studies, Eastern Asia Policy
Papers, monographie, 1994.
Bromley, Daniel W. « Reconstituting Economic Systems: Institutions in National Economic
Development », Development Policy Review, vol. 11, no 2, 1993, pp. 131-151.
Cable, Vincent. « The Diminished Nation State: A Study in the Loss of Economic Power »,
Daedalus, vol. 124, no 2, 1995.
Catagay, Nilufer, Elson, Diane et Grown, Caren. « Introduction: Gender, Adjustment and
Macroeconomics », World Development, numéro spécial, novembre 1995.
Christie, Keith H. Globalisation and Public Policy in Canada: In Search of a Paradigm, ministère
des Affaires étrangères et du Commerce international, document d'orientation no 93/01, Ottawa,
1993.
Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement, Rapport sur
l'investissement dans le monde 1994. New York et Genève, United Nations, 1994.
Conseil économique et social des Nations Unies. Effective Mobilisation and Integration of
Women in Development: Gender Issues in Macroeconomic Policy-Making and Development
Planning, Rapport du Secrétaire général, session de fond de 1995, Genève, 26 juin - 28 juillet
1995.
Dicken, Peter. Global Shift: The Internationalisation of Economic Activity, Second Edition,
Londres, Paul Chapman Publishing Ltd. 1992.
Dunning, J.H. « Globalisation: The Challenge for National Economic Regimes », Dublin: The
Economic and Social Research Institute, 1993.
Elson, Diane. « From Survival Strategies to Transformation Strategies: Women's Needs and
Structural Adjustment ». In: L. Beneria and S. Feldman (eds.), Unequal Burden, Economic Crisis,
Persistent Poverty and Women's Work, Chapter 2, Oxford: Westview Press, 1992.
Elson, Diane. « Gender-Aware Analysis and Development Economics », Journal of International
Development, vol. 5, no 2, 1993, pp. 237-247.
Elson, Diane. « Micro, Meso, Macro: Gender and Economic Analysis in the Context of Policy
Reform ». In: Isabella Bakker (ed.), The Strategic Silence: Gender and Economic Policy,
Londres, Zed Press, 1993.
Elson, Diane. « Public Action, Poverty and Development in a Gender-Aware Analysis ». In:
Joseph Mullen (ed.). Rural Poverty Alleviation, Avebury, Aldershot, 1995.
33
Elson, Diane. « Unpaid Labour, Macroeconomic Adjustment and Macroeconomic Strategies »,
Gender Analysis and Development Economics Programme, Agence suédoise de
développement international, Working Paper No. 3, mai 1993.
Elson, Diane and McGee, Rosemary. Gender Equality, Bilateral Programme Assistance and
Structural Adjustment: Policy and Procedures, ébauche, sans date.
Esping-Anderson, Gusta. After the Golden Age: The Future of the Welfare State in the New
Global Order, Sommet mondial pour le développement social. Occasional Paper No. 7, Genève,
Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social, 1994.
FIDA. The State of World Rural Poverty: An Inquiry into Its Causes and Consequences. I.
Jazairay, M. Alamgir et T. Pannuccio (eds.), New York, New York University Press, 1992.
Ghosh, Jayanti. Structural Adjustment and Female Employment: Issues Relating to Rural
Women, Paper presented at the ILO/National Commission for Women National Workshop on
Employment, Equality and Impact of Economic Reform for Women, sans date.
Goetz, Anne Marie. Macro-Meso-Micro Linkages: Understanding Gendered Institutional
Structures and Practices. Contribution to the SAGA Workshop on Gender and Economic Reform
in Africa, 13 octobre 1995.
Goetz, Anne Marie. Disorganising Gender: Women Development Agents in State and NGO
Poverty-Reduction Programmes in Bangladesh, ébauche, octobre 1995.
Gouvernement du Canada. Le Canada dans le monde - Énoncé du gouvernement. Ottawa,
1995.
Harris, Richard G. « Globalisation, Trade and Income », Canadian Journal of Economics, vol. 26,
no 4, 1993, pp. 775-776.
Hay, Keith et Keller-Herzog, Angela. Poverty Reduction and the Bangladesh Garment Export
Sector, Hull (Québec), Agence canadienne de développement international, 1994.
Helleiner, Eric. Regionalisation in the International Political Economy: A Comparative
Perspective, University of Toronto York University, Joint Centre for Asia Pacific Studies. Eastern
Asia Policy Papers. monographie, 1994.
Heyzer, Noeleen et Sen, Gita (eds.). Gender, Economic Growth and Poverty: Market Growth
and State Planning in Asia and the Pacific. Centre de développement pour l'Asie et le Pacifique,
New Delhi, Kali for Women, 1994.
Humphrey, John. Gender and Work in the Third World: Sexual Divisions in Brazilian Industry,
Londres, Tavistock Publications, 1987.
Hunter, Brian. Growth, Equity & Poverty: Asian Experience, Paper for Conference on Japanese
& Canadian Official Development Assistance, Strategic Approaches for Asia Pacific, Montréal,
1995.
Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social. States of Disarray: The
Social Effects of Globalisation, Rapport présenté par l'Institut au Sommet mondial pour le
développement social, Londres, Banson, 1995.
Joekes, Susan. Trade-Related Employment for Women in Industry and Services in Developing
Countries, Sommet mondial pour le développement social, document hors-série no 5. Genève,
Institut de recherche des Nations Unies pour le développement social, 1995.
Keller-Herzog, Angela et Munachonga, Monica. Gender and the Micro-Meso-Macro Linkages of
Structural Adjustment: Zambia Case Study, document préparé pour l'Agence canadienne de
développement international dans le cadre du Programme spécial d'assistance en faveur de
l'Afrique, Hull (Québec), 1995.
Mies, Maria. Patriarchy and Accumulation on a World Scale, Londres, Zed Books, 1986
Mies, Maria. The Lace Makers of Narsapur: Indian Housewives Produce for the World Market,
étude préparée pour l'Organisation internationale du travail dans le cadre du Programme mondial
de l'emploi, Londres, Zed Press, 1982.
34
Milimo, John. Participatory Poverty Assessment, vol. 4, Zambia Poverty Assessment,
Washington, Banque mondiale, 1995.
Moser, Caroline O.N. Confronting Crisis: A Comparative Study of Household Responses to
Poverty and Vulnerability in four Poor Urban Communities, Environmentally Sustainable
development Studies and Monographs Series No. 8. Washington, Banque mondiale, 1996.
Nations Unies. The World's Women 1995: Trends and Statistics. Department for Economic and
Social Information and Policy Analysis, Statistical Division, New York, 1995.
OCDE. Globalisation and Linkages to 2020: Challenges and Opportunities for OECD Countries.
Réunion internationale d'experts de haut niveau, résumé des discussions, juin 1996.
OIT. World of Work. Genève, 1994.
Peterson, V. Spike et Runyan, Anne S. Global Gender Issues, Boulder, Colorado, Westview
Press, 1993.
Programme de développement des Nations Unies, Rapport mondial sur le développement
humain 1995, New York, Oxford University Press, 1995.
Programme de développement des Nations Unies, Rapport mondial sur le développement
humain 1996, New York, Oxford University Press, 1996.
Seebach, Dennis. « Globalisation: The Impact on the Trade and Investment Dynamic »,
ministère des Affaires étrangères et du Commerce international, document d'orientation 93/01,
Ottawa, 1993.
Stewart, F. « Globalisation, Poverty and International Action », document préparé pour la Table
ronde du PNUD sur le changement mondial. Stockholm, 1994.
Uhn Cho. « Economic Growth and Poverty in Korea: A Gender Perspective », In Noeleen Heyzer
et Sen, Gita (eds.). Gender, Economic Growth and Poverty: Market Growth and State Planning
in Asia and the Pacific. Centre de développement pour l'Asie et le Pacifique, New Delhi, Kali for
Women, 1994.
Women in Development Europe (WIDE). Document préparatoire pour la Quatrième conférence
mondiale des Nations Unies sur les femmes à Beijing, Network Women in Development Europe,
Alternative Economics from a European Perspective, ébauche, 23 juin 1995.
35
36
37
38
39
40
41