CHRISTIAN GUÉMENÉ Dans ses champs, les arbres ont pris racine

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CHRISTIAN GUÉMENÉ Dans ses champs, les arbres ont pris racine
Le mensuel des Agrobiologistes de Bretagne | juin 2015
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CHRISTIAN GUÉMENÉ
Dans ses champs,
les arbres ont pris
racine
Par Antoine BESNARD (Rédacteur en chef de Symbiose) et Anne-Laure SIMON (Technicienne groupe lait bio à Agrobio 35)
Photos Matthieu CHANEL et Justine HERBEL (Agrobio 35)
A
Saint-Just, en Ille-et-Vilaine, Christian Guémené, éleveur laitier de 47 ans, a planté des arbres
au milieu de ses champs. Au-delà du côté expérimental, c'est avant tout pour lui un question
de bien-être animal, fortement corrélé au bien-être de l'éleveur. C'est aussi un moyen de tirer
un meilleur parti de ses parcelles et de veiller à la biodiversité. Le temps lui dira s'il a eu raison.
Saint-Just
ille-et-vilaine
Age : 47 ans
Installation : 1994
Bovins lait
SAU : 52 ha
1 UTH
prairies : 46 ha
cultures : 6 ha
• Orge de printemps
• Avoine
• Féverole
• Betterave fourragère
• Lin
45 VL
190 000 L
Commercialisation :
Circuit long
Trois rangées d'arbres au milieu d'une prairie fraîchement fauchée. C'est le décor dans
lequel déambule Christian Guémené, éleveur
laitier à Saint-Just (35) sur 54 ha. Il y a deux
ans, il a planté 110 arbres sur une parcelle de
2 ha afin d'y expérimenter l'agroforesterie.
« Chercheur non, paysan oui ». Ca a le mérite d'être franc. Christian estime qu'il faut
vivre avec son temps, s'adapter, que les
vérités d'hier ne sont pas forcément celles
d'aujourd'hui, et qu'être paysan, c'est aller
de l'avant. « Arrêter le maïs et l'ensilage c'est
déjà expérimenter », affirme-t-il avec pragmatisme. Installé à la suite de ses parents
en 1994, en conventionnel, Christian voit
vite les limites du système. « Si on regardait les quantités, c'était performant, mais
les animaux n'étaient pas en super santé et
en maïs, je prenais des sacrées "cabanes". Je
suis sur des terres séchantes, je faisais des
rendements de 5 tonnes/ha là où les autres
en faisait 15. » A côté de ça, la dépendance
aux apports extérieurs le questionne : soja,
maïs, engrais... « C'est moi qui faisais les
traitements, au bout d'un moment j'en ai eu
assez..»
Là commence ses premières expériences.
Il s'oriente vers un système herbager, puis
s'associe avec un voisin en 1997. En 2001,
Christian se réinstalle, puis profite des CTE
(contrat territorial d'exploitation) pour passer en bio. « On ne savait pas trop où on
allait mais on était plusieurs, on s'est rassuré
ensemble», s'amuse Christian.
« Si c'est bon pour nous, c'est
bon pour nos animaux »
Après avoir remis l'autonomie au coeur
de son système, Christian commence à
planter des haies bocagères autour de
ses champs. « Ensuite, je me suis mis à en
planter au milieu des champs, puis j'ai fini
par y mettre des arbres. On m'a un peu pris
pour un fou ».
En 2012, Christian participe à une formation
sur l'agroforesterie, organisée par Agrobio
35, qui fait intervenir Jean-Charles Vicet,
technicien à la Chambre d'agriculture de
Loire-Atlantique. Ca fait tilt dans sa tête,
si bien qu'il décide d'emblée de mettre en
place une parcelle d'essai. « Ca m'a parlé tout
de suite. Lors des fortes chaleurs, voir des
concentration d'animaux qui s'agglutinent
sous les haies, avec les problèmes sanitaires
que ça peut engendrer, ce n'est pas terrible.
La pratique m'intéressait avant tout pour le
bien-être des animaux, c'est un bon régulateur de tout les excès : excès de chaleur,
excès de froid, excès de pluie, excès de vent.
Ca apporte du confort aux animaux, car ça
leur offre de l’ombre et de l’abri. Ils peuvent
également manger les feuilles dont ils ont
besoin, c’est un truc que j’ai remarqué au
fil des observations de parcelles. Il y a des
essences qu’elles aiment bien, c’est un bon
complément minéral. On arrive à une symbiose entre les animaux, les arbres, la culture.
Et ça me permet de mieux valoriser mes parcelles ».
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Le mensuel des Agrobiologistes de Bretagne | juin 2015
Christian prend l'exemple qu'on lui a rapporté d'une visite de parcelles par forte
chaleur pour appuyer un peu plus ses dires.
Sur une première parcelle sans abri, les gens
commençaient à s'impatienter. Sur une
deuxième parcelle, sous les arbres, tous les
participants se sont sentis beaucoup mieux.
Ce qui lui fait dire des arbres au milieu des
champs : « Si c'est bon pour nous, c'est bon
pour nos animaux ».
110 arbres sur 2 hectares
Suite à la formation, Christian a donc mis en
place une parcelle d'essai de 2 hectares sur
laquelle il a planté 110 arbres. Les arbres sont
plantés sur trois lignes, espacées chacune de
27 m. Entre les arbres, Christian a laissé un
écartement de 6 m. « J'ai suivi les conseils de
Jean-Charles Vicet, qui préconisait 50 arbres
par hectare, et j'ai adapté l'implantation à
ma parcelle et à la taille de mon matériel
afin d'être à l'aise pour évoluer avec sur la
parcelle. En terme d'emprise, chaque rangée
fait un mètre de large, ça fait 610 m2 sur 2
hectares, ce n’est pas énorme.» Hors main
d'oeuvre, ça lui a coûté un peu plus de 500€
l'hectare.
Pour les arbres, il a choisi 6 essences différentes, déjà présentes dans l'environnement
local afin que les plants prennent bien racine : noyer, merisier, frêne, cormier, tilleul et
châtaigner. « J'avais déjà planté du cormier
dans mes haies et j'ai trouvé qu'il s'y plaisait
bien. Ca fait du bon bois d'œuvre, c'est avec
ce bois qu'étaient construites les charrettes
dans le temps », glisse Christian pour l'anecdote.
Il profite d'une commande groupée de plants
et de protection pour acheter de quoi mettre
en place sa parcelle d'essai. Il prépare le terrain pour la plantation : traçage des lignes
et des emplacements de chaque arbre. « Sur
la parcelle que j'ai choisie, le sol est hétérogène, pas très profond. A certains endroits,
on était quasiment sur la roche en creusant,
donc j'ai réparti les essences en fonction
du terrain. J'ai mis le merisier et le noyer en
bas de parcelle, où la terre est plus saine et
adaptée à ces essences ; et en haut les autres
essences, qui ont des racines plus profondes
et qui vont mieux pomper l'eau », explique
Christian. Il estime d'ailleurs que c'est son
sol qui lui dira si son choix a été le bon. Pour
la plantation, il a mobilisé des collègues du
groupe d'échanges lait bio d'Agrobio 35, ainsi
que des bénévoles de l'association Nature et
Mégalithes, intéressés par la pratique. « On
a profité de l'implantation d'une parcelle à
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L’agroforesterie mais pas
seulement
Christian cherche aussi à améliorer le
vieillissement de ses prairies. Depuis
le début de l’année, il a mis en place
des parcelles d'expérimentation dans
le cadre du programme PRAIPE, programme de recherche sur le maintien de
la productivité des prairies temporaires
d’associations graminées-légumineuses
au-delà du moyen terme (programme
PRAIP). Durant 4 ans, sur une parcelle,
Il teste les différences de mode d’exploitation entre une parcelle exclusivement
pâturée et une parcelle fauchée et pâturée, dans l’idée de voir si le type de
conduite a une influence sur le vieillissement du couvert. Il teste également l’effet de l’égrainage naturel sur la prairie, à
moyen et long termes. Plus largement,
ce programme de recherche piloté par
le Réseau Agriculture Durable (RAD) et
suivi par Agrobio35 pour l’Ille-et-Vilaine
pendant plusieurs années, a pour but de
mettre en évidence et/ou de valider à
partir des observations des producteurs
des pratiques et modes d’exploitation
permettant de pérenniser les prairies
dans le temps.
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L'oeil de la technicienne
On a très peu de recul sur l'agroforesterie. On est dans une région bocagère
avec beaucoup d'arbres, ce qui à première vue peut sembler une limite. Sauf
que ces arbres ne sont pas éternels et
qu'il faudra un jour ou l'autre les remplacer, donc autant commencer maintenant. L'agroforesterie, c'est la continuité
de la bio en termes de système, de productivité via une valorisation des arbres,
autre que pour du bois de chauffage
(pour du bois d'oeuvre par exemple), de
préservation de la biodiversité, etc.
Ca nous pose beaucoup de nouvelles
questions. Il me semble que c'est une
pratique intéressante et facile à mettre
en place sur des terres nues. Ca se prêterait bien aux parcours volailles souvent
en recherche d'ombre pour les animaux.
Ca demande peu d'entretien puisqu'on
estime à une heure de travail par hectare et par an l'entretien des arbres. Et
si effectivement il y a une perte de rendement des cultures au bout de 15 ans,
cette perte est à terme compensée par
la valorisation du bois.
Agrobio 35 participe à un groupe de travail national sur la question. Ce groupe
a pour but de répondre à des questions
émergentes. Sur la technique, l'interaction agroforesterie élevage pourrait par
exemple permettre la valorisation des
copeaux de bois pour faire de la litière
pour les animaux. Sur le plan réglementaire, il faut également réfléchir à la
propriété du bois produit pour des agriculteurs qui sont en location ou sur la
perméabilité des registres forestiers et
ruraux. En effet, au bout d'un certains
nombres d'arbres, c'est la réglementation forestière qui s'applique, avec des
règles méconnues des agriculteurs. Ce
groupe va répondre à toutes ces questions pour permettre aux producteurs
intéressés de se lancer dans l'agroforesterie.
Anne-laure SImon i Agrobio 35
Guichen pour le salon La Terre est Notre Métier pour planter ici. En une après-midi c'était
fait», remarque Christian.
Une école de patience
Depuis 2 ans, ses arbres ont poussé mais
l'agroforesterie est une école de patience.
Les premiers effets sont attendus d'ici 7 à 8
ans.
Dans un champ, les arbres poussent plus
vite que dans un bois ou dans une haie: « En
pleine terre, sans concurrence, ils ont de l'espace, ils poussent mieux et de manière plus
régulière, ce qui à terme est également un
bon critère pour valoriser le bois ». Et Christian ne semble pas non plus effrayé par une
concurrence entre les arbres et les cultures.
« C'est une crainte que les gens ont avec
cette technique. Je sais qu’au bout d’un certain temps, il peut y avoir des baisses de rendements jusqu’à 15% mais ça ne me fait pas
peur. C’est à moi de bien conduire la parcelle
pour que cette concurrence n’arrive pas.»
Pour que cette concurrence n'arrive justement pas, il va falloir maîtriser l'enracinement des arbres, à l'aide d'un engin sous
soleur, ou fissurateur, tous les cinq ans. Cet
engin va obliger les racines à descendre en
profondeur afin qu'elles se retrouvent sous
la culture. C’est là l’intérêt majeur de l'agroforesterie selon Christian : « Comme ça, les
racines vont récupérer tout ce que la culture
n’a pas utilisé en éléments organiques et
minéraux, ces éléments vont remonter dans
le feuillage de l’arbre et refertiliser le sol une
fois les feuilles tombées à l’automne. C’est
là que c’est gagnant-gagnant. Et sur les parties peu profondes de la parcelle, les racines
feront peut-être elles-mêmes le travail de
fissuration»
Ne pas voir l'arbre comme un
obstacle
En terme de conduite de culture, Christian
n'a pas vu grand changement. « Ce sont encore des arbustes. Il faut juste faire attention
quand on passe à côté », dit-il dans un éclat
de rire. Il avoue même avoir raboté deux ou
trois arbres lors de ses premiers passages
d'engins dans le champ. « Ca demande
un peu plus de temps car on va forcément
moins vite. Il ne faut pas voir l'arbre comme
un obstacle » Christian a également perdu
une dizaine d'arbres suite à des dégâts de
ravageurs. Qu'importe, il les replantera. Il
se répète, mais il pense avant tout au bienêtre de ses animaux et aux avantages induits
par l'agroforesterie. « Ce n'est pas pour moi,
c'est pour mes enfant ou ceux qui reprendront la ferme, parce que le bois ce n'est pas
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moi qui vais l'exploiter. Au bout de 40 ans,
les bois sont exploitables pour faire du bois
d'oeuvre. Sans compter tous les bienfaits sur
la biodiversité. »
C'est son tempérament et son intérêt qui
l'ont poussé vers l'agroforesterie, pour
autant, s'il note un intérêt frémissant pour
la pratique, Christian semble faire peu
d'émules. « On est déjà dans une région bocagère, pour certains l'intérêt n'est donc pas
très visible, sans compter que beaucoup de
terres sont en location, ce qui pose à la fois
le problème de la pratique et de la propriété
du bois », explique Christian.
Selon lui, l’agroforesterie pourrait surtout
permettre de remédier aux déséquilibres
entre des régions agricoles hyperspécialisées. « Ca aurait un réel intérêt dans les
grandes plaines. Ils n'ont pas d'animaux et
nous on en a trop Alors, oui, l’effet, n’est
pas immédiat, mais à 10 ou 15 ans, c’est une
pratique bénéfique, qui pourrait permettre
de rééquilibrer les pratiques entre les terres
d’élevage et de culture. Pour cela, il faudrait
réorienter les aides de la PAC et qu'il y ait un
vraie volonté politique ». Ce dont il doute.
Tant pis, lui, voit déjà plus loin et envisage
déjà de mettre en place une deuxième parcelle d'agroforesterie. Une pratique définitivement enracinée en lui.