A la découverte de mon Grand Oncle Charles Guillon*

Transcription

A la découverte de mon Grand Oncle Charles Guillon*
A la découverte de mon Grand Oncle Charles Guillon*
Né à Paris le 14/08/1883
(Le seul document de sa main qui soit signé spécifie le 14/08/1984, est-ce-une erreur ?)
Introduction
Je ne suis ni historien, ni un petit neveu qui a eu des contacts profonds avec son Grand
Oncle, bien qu’un certain nombre de points nous aient réunis.
J’étais de la famille du docteur et pasteur Louis Perrier, doyen de la faculté de Montpellier,
de la région de Nîmes et de Vergès (lieu de la source Perrier). Les Cévennes passionnaient ma
famille, mais ce coin- ci du plateau n’est plus vraiment les Cévennes, ni totalement le bas Vivarais,
ni complètement le Velay, il nous était donc totalement inconnu. Ma mère, née Noiriel, était issue,
de par son père et de par sa mère, de familles réfugiées alsaciennes et bourgeoises.
C’est alors, comme dans tout conte de fée, qu’un garçon, brillant, issu d’une famille très
modeste (concierges dans Paris), mais très inséré dans les mouvements de jeunesse (UCJG),
rencontra lors de concerts donnés par une chorale de jeunes, une jeune soprane, Gabrielle Noiriel,
tante de ma mère et donc sœur de mon grand-père (qui avait une deuxième sœur que je ne connus
pas). Ainsi Charles Guillon, car c’était bien lui, entra dans la famille de mes parents qui plus tard, à
sa suite, adoptèrent le Chambon sur Lignon si différent de leurs milieux d’origine.
Mais avant de poursuivre, n’étant pas historien, comme je l’ai dit, il me faut remercier ceux
qui, pleins d’admiration pour lui, ont eu à cœur de travailler la biographie de mon Grand Oncle avec
des yeux de spécialistes et un réel talent ; ils m’ont aidé à découvrir de nombreux aspects de sa vie
si riche, et je crois pouvoir le dire, si exemplaire :
- Gérard Bollon qui écrivit tant d’articles sur lui ainsi qu’une biographie ;
- Pierre Bolle, historien de l’Université de Grenoble, qui étudie en particulier l’histoire si
particulière et passionnante de ce plateau ; il fut organisateur d’un colloque au Chambon avec le
pasteur Alain Arnoux en 1990. Il a aussi beaucoup publié sur Charles Guillon, qu’il trouve trop
souvent oublié.
- Enfin, il faut aussi que je cite les UCJG, pour lesquels oncle Charles fut un serviteur
dévoué et efficace ; eux aussi ont publié de nombreux articles de Charles Guillon, de nombreux
témoignages, ainsi que des documents sur son travail au sein des UCJG.
Il y a, de plus, cette foule de témoins qui ont écrit, ou d’autres qui grâce à leur mémoire
peuvent témoigner auprès de leurs descendants, dont certains sont peut-être là ce soir et qui
pourront lors de la discussion me corriger probablement et, en tout cas, apporter leurs souvenirs
C’est ce témoin de l’Evangile et ce travailleur acharné que l’on va essayer de redécouvrir
ensemble maintenant ; je ne retracerai pas ici son curriculum vitae (Pasteur, Maire, Conseiller
général, Secrétaire général associé du comité universel des UCJG, etc…), d’autres l’ont si bien fait
avant moi, mais j’essayerai de cerner la personnalité de cet homme attachant au tempérament si
entreprenant et exigeant.
Il fut « Oncle Charles » pour toute sa famille, ainsi que pour tous ceux qu’il rencontrait dans
les camps, les foyers des UCJG ; il l’était, très naturellement, compte tenu de son attention, de sa
jovialité qu’il accordait en toute simplicité à tous. Ce surnom fut probablement aussi un prête-nom
dans ses activités liées à la résistance.
Je sais que ce n’est pas l’habitude de commencer par la fin, mais je pense que ses dernières
volontés envoyées en particulier aux UCJG dépeignent très simplement ce qu’il était, avec toute la
franchise qu’il a toujours cherché à clamer, même dans les situations difficiles qu’il a dû affronter
compte tenu de certaines de ses responsabilités.
Voici quelques extraits de ces dernières volontés :
1
« - Il ne sera fait aucune mention de ma mort, dans aucun communiqué à la presse
religieuse ou politique ;
- Mon nom ne sera prononcé dans aucune publication relatant une activité quelconque,
Quand je suis né aucun avis n’a paru dans les journaux, il faut qu’il en soit de même
quand je disparaitrai. J’ai servi de façon imparfaite, tout éloge serait donc un mensonge.
Dieu avait fixé le commencement et le terme de ma vie, je m’en remets à lui, pour ce qu’il
jugera bon de faire de moi.
Je pardonne à ceux qui m’ont fait souffrir et qui ont peut-être fait dévier le cours de ma
vie, et je demande pardon à ceux que j’ai pu faire souffrir d’une façon ou d’une autre,
consciemment ou inconsciemment.
Je demande que les mêmes décisions soient prises en ce qui concerne ma vie politique et
tiens à remercier aussi tous ceux qui m’ ont permis de faire « le peu de bien » qui pourrait
m’être attribué. »
En découvrant ce document, j’ai réalisé qu’en acceptant, l’été dernier, la rencontre
d’aujourd’hui, je me trouvais en porte-à-faux avec ces volontés, alors que je cherchais simplement à
participer à un témoignage envers cet Oncle dont les points de vue m’intéressaient, et qui nous avait
permis de découvrir Le Chambon. De plus, ma mère étant sa filleule, il nous permit d’acquérir sa
maison « La Solitude », que ses enfants ne souhaitaient pas garder ; pour rester auprès de nous tous
les étés, ainsi qu’auprès de son beau-frère et de sa belle-sœur, mes grands parents toujours avec
nous l’été, il en refit construire une juste au-dessus « La Paisible » que ma sœur et mon beau-frère
accolèrent à leur chalet.
Homme doué d’un caractère aux qualités multiples
Grande humilité et discrétion sur ses activités ; il est toujours de bonne humeur,
Agnostique, mais converti aux UCJG et ayant fait sa théologie, sa vie était consacrée au
service du Christ et son travail, un simple service. Il restait toujours très attentif aux autres, et il était
prodigue, s’il le fallait, en recommandations et en paroles de soutien. Tout en œuvrant, il restait
discret sur ses activités et cette discrétion sur lui-même fut très importante pour toute la période 3848. Il le fut toute sa vie et sa fille nous dit même ne jamais avoir deviné à l’époque, et donc
soupçonné, tout ce qu’il faisait.
Curieux, observateur fin et perspicace,
C’étaient des atouts importants pour pouvoir cerner les situations que vivaient ceux qu’ils
côtoyaient, celles que rencontraient ses paroissiens, mais aussi pour savoir quelles actions
entreprendre afin d’aller rapidement droit au but. Il sut très vite découvrir « le plateau » et ses
hommes, en particulier au Chambon où il put redonner l’espoir après toutes les difficultés dues à la
première guerre mondiale, et aider les habitants à repartir vers de nouveaux horizons.
Avenant, souriant et toujours simple et naturel,
Je pense que les traits de caractère précédents étaient propices à l’écoute de l’autre, facilitant
des contacts libres et francs et son calme lui permettait d’être, sans vexer personne, un confident, un
conseiller, un enseignant et parfois même un juge qui gardait toute sa fermeté et ses convictions lors
des discussions.
Il avait aussi ce comportement avec ses compagnons et ceux qui travaillaient avec lui, mais
il avait l’œil à tout et lançait toujours aux uns et aux autres de nouvelles idées à réaliser.
Souvent pince-sans-rire
Il maniait facilement un humour fin, sans détour, mais souhaitait ne jamais humilier l’autre
et tenait toujours à le respecter ; voici quelques exemples de son humour :
Exemple (1)… « La police de Vichy me faisait l’honneur de constituer sur moi l’un des
premiers dossiers de police contre ceux qu’elle appelait les résistants du régime. »
2
Exemple (2) : « Nous manquerons encore d’eau, si bien que s’il ne tombe pas d’eau il
pleuvra des critiques, et s’il pleut beaucoup, on se lamentera aussi parce que les touristes fuiront
à cause du mauvais temps : Moralité, « fais ce que tu dois, advienne que pourra ».
Exemple (3 son texte de 1955), concernant ses dernières volontés : « En mourant je pourrai
encore rendre quelques services à ceux qui auraient eu à s’inquiéter de prononcer quelques
paroles de souvenir, ou à courir chez le fleuriste commander quelques fleurs pour un pauvre
mort ! Ne tuez pas des fleurs pour un mort ! Tous mes amis sont morts, mon espérance est de les
retrouver dans le sein du père. » (On retrouve toujours une parole de foi ! …)
Par nature, très bon orateur :
Bien sûr lors des sermons il devient naturellement orateur. Ne pas écrire et lire son sermon
dit-il, car il risque d’être intellectuel et paraître moins personnel, moins vécu et donc moins vrai. Il
faut rester proche de son propre vécu, pour convaincre et être véridique.
En effet, il a toujours dit à ses proches que pendant ses années de pasteur en paroisse, il
choisissait en fonction de son vécu (de ses rencontres ou de ses lectures) un texte biblique le
dimanche matin et notait dans le creux de sa main les références et le verset clef du texte, puis notait
trois ou quatre thèmes de développement et partait bible et cantique dans l’autre main, après quinze
minutes de méditation, pour rejoindre le temple.
Il ne veut pas jouer de ce don, qu’il utilise face à des hommes qui admirent les discours bien
faits même si ceux-ci restent trop généraux et non ancrés dans le réel. Il cherche à être toujours
direct et disciple de Voltaire, afin d’appeler sans état d’âme « un chat, un chat ». Ainsi, devant le
jeune préfet qu’il accueille (Pisani), il osera lui dire : «Qu’il me soit permis, en vous souhaitant la
bienvenue dans notre département, de vous dire de ne pas venir ici comme on est obligé de mettre
le pied sur le premier échelon d’une échelle pour arriver au sommet… Permettez-moi de vous
dire avec franchise et avec l’amour de mon pays au cœur, que la France a besoin de préfets qui
s’attachent corps et âme à leur département, car à côté de toutes les distinctions humaines, et
c’est un homme d’âge qui vous parle, ce n’est pas ce qu’on a pu récolter d’honneurs, ou de
décorations qui compte dans la vie, mais c’est d’avoir dans son cœur le souvenir d’avoir fait
quelque chose de constructif et d’avoir contribué au salut d’un homme, d’un village ,d’un
département. Tous ceux qui sont ici sont prêts à collaborer avec vous…Les hommes de la
montagne ont du caractère, parfois ils le montrent, vous en avez aussi et vous nous le
montrerez. » Humour et franchise face au jeune préfet et une bonne leçon de morale qui réaffirme
combien il est, de beaucoup, plus satisfaisant de sauver un homme, un village…
Il saura dire, une fois encore, lors de l’arrivée du troisième préfet : «Un dicton oriental dit
que parfois l’un laboure, mais que c’est un autre qui sème et un troisième qui moissonne…le
premier fut prospecteur (et défricheur), le second fut un véritable laboureur avec énergie,
intelligence et une consécration complète… (Ce qui montre la très bonne entente entre Guillon et
Pisani), et en vous souhaitant la bienvenue, nous voyons en vous celui qui maintenant jouera le
rôle de semeur, mais nous renouvelons encore une fois nos vœux déjà formulés à vos
prédécesseurs…c’est que vous puissiez rester avec nous un temps suffisamment long pour que
vous soyez celui qui procède à toute la période de semailles… Nouvel exemple de sa franchise :
restez avec nous insiste-t-il, et au moins maintenant semez, car on prend du retard et ces
changements sont préjudiciables.
Lors d’un premier bilan il dira encore : « Qu’une unité d’esprit, de volonté, d’amour de
cette petite patrie nous a permis d’arriver à un résultat malgré tout appréciable. La seule chose
que nous puissions désirer en terminant cette séance, c’est que nos successeurs utilisent le grain
que nous avons jeté en terre et lui permettent de germer et de produire ses fruits ». Toutes ces
paroles font référence à la vie de la nature et donc parlent aux paysans à qui il souhaite s’adresser,
eux qui forment le fond actif de ce département et font vivre cette terre. Charles Guillon est
convaincu à travers ses contacts en tant que pasteur que le travail de la terre est source de vie qui
rejaillit sur les relations humaines qui nécessitent, comme le plantes et les animaux, de l’attention,
des protections, des soins, soit plus d’empathie pour les individus que les travaux industriels qui
n’induisent que des relations avec des objets sans vie aux seules valeurs marchandes.
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Son éthique
Comme il le dira dans un de ses discours qu’on verra un peu plus loin, il sait ce qu’est la
pauvreté dans Paris, ses parents étant alsaciens et donc réfugiés ; il perd cinq frères et sœurs, en
partie par manque de moyens, d’hygiène et de soins. Lui ne s’en sort que par une constitution solide
et grâce à l’école laïque qui relève ses capacités et le porte jusqu’au baccalauréat.
Pour s’en sortir, il fréquente les UGJG de Paris qui ont des installations modernes, en
particulier la seule piscine couverte. Mais le travail social engagé par les UCJG auprès des jeunes,
des travailleurs et des déshérités, finit par le convaincre ; il accepte le poste qu’on lui offre au
secrétariat de Paris, veut devenir architecte et se passionne pour des constructions simples et peu
chères. Mais au sein de ces activités il découvre la foi et décide de se faire chrétien, foi chevillée
jusqu’à la fin de sa vie. Il se lance dans la théologie (1905-1909) et aidé financièrement par son
travail, il finira pasteur. Ne vise pas de poste car en 1906 il a pris le secrétariat général des UCJG de
Paris. Il se lance alors sur tous les fronts : congrès internationaux, vie des UCJG et, bien sûr, sur ses
études.
Il devient un Chrétien engagé, convaincu et social et le restera
Il s’engage dans toutes les directions qui peuvent faire naître un progrès. Même s’il est
naturellement et foncièrement de gauche, il ne s’engage pas directement dans un parti, mais soutient
toujours ceux qui cherchent le progrès de l’homme et de la société (type gauche républicaine) :
- il est donc pour toutes les actions sociales et de fraternité,
- il est totalement engagé et se veut gardien de la liberté ; c’est elle qui est son test avant de
prendre une décision pour adhérer ou non à un projet, même s’il semble aller dans le sens de
ses engagements et ce, quelles qu’en soient les origines (religieuse, laïque, éthique, politique
ou de partis) ;
- il est donc pour le développement éthique et intellectuel des citoyens, pour toutes les actions
d’éducation ouvertes sur tout et pour un développement local et une amélioration des
conditions de vie générale.
Sa foi et ses convictions profondes lui donnent toujours une force de persuasion et
d’entraînement qui la plupart du temps convainc les autres. Mais la spiritualité et la liberté de
l’individu primant pour lui, ce seront toujours les deux forces dominantes de ses actions ; aussi
après Munich sa tension est forte et il reste aux aguets des évènements ; dès le 23-06-1940 il
donnera sa démission de maire et dans les faits arrêtera tout contact avec son conseil municipal à
partir du 19-02-1941. Il sera remplacé ainsi que le conseil par le gouvernement de Vichy le 2-051941. Voici un passage de son discours de démission : «Aujourd’hui nous sommes arrivés à la fin
d’une période de l’histoire de notre pays et également de la vie de notre village. Deux possibilités
sont à envisager : les conditions de paix pourront paraître inacceptables au gouvernement
français et la lutte se poursuivra ; dans ce cas j’ai à remplir une mission qui m’a été confiée par
l’organisation dont je suis secrétaire…ou bien nous capitulons et dan ce cas la gestion de la
commune passe officiellement en d’autres mains. ».
Son éthique humaine le conduit à toujours pousser les hommes vers le meilleur d’euxmêmes et il les y aidera toujours. Par exemple, il poussera son neveu, frère de maman, Ingénieur de
la RATP et membre syndical, à se rapprocher du mouvement du Réarmement Moral qui œuvrait
dans le monde entier sur les grands conflits du travail. Par leur présence, les membres de ce
mouvement, toujours désireux de trouver si possible des issues acceptables pour les diverses parties,
agissent en petits groupes pour chercher ensemble les points d’achoppement, puis les analyser et
acquérir, dans l’estime de l’autre, empathie, voire amour, ouvrant ainsi des portes insoupçonnées ;
Ce neveu, Jean Pierre Noiriel, deviendra un leader national et international de ce mouvement.
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Membre du christianisme social
En 1933, il organise avec André Philip et Théodore de Félice le 6ième Congrès national de la
Fédération Française du Christianisme social. Il n’abandonnera jamais cette volonté d’inscrire ses
actions au sein de la société, ce qui lui fait prendre des positions qu’il n’envisageait pas d’emblée.
Il crée avec B.Ranchoux une association des maires républicains de Haute Loire (qui en
réunit 140) et Ranchoux et lui font partie du bureau. Avec Théodore de Félice il fonde la
« Fédération d’action morale de la Haute Loire pour la suppression des maisons de tolérance et le
relèvement moral et matériel des prostituées ».
C’est ainsi que finalement les républicains lui proposent de prendre la présidence du conseil
général de Haute Loire où il est élu président par 18 conseillers sur 29.
Occupations privées
Vie familiale :
Comme on l’a vu, son épouse Gabrielle Noiriel, dite « Tante Gaby », passera ses premières
années auprès de lui, le suivra parfois dans ses voyages, en particulier vers les USA (1911), mais se
retrouvera pratiquement seule pendant toute la période de mobilisation. Pendant la guerre de 14-18,
la présence de mon grand-oncle au front comme aumônier au 13ième corps d’armée fut moins
risquée que celle des combattants, mais ces années parurent longues et éprouvantes ; il ne ménagea
ni son sommeil, ni les engagements les plus difficiles et reçut, autant des Belges que des Français
des marques de leur reconnaissance. Cependant il y découvrira aussi la chaleur humaine, comme
aussi les malades et les mourants et soignera autant les esprits que les corps ; il vivra quelques
expériences riches, parfois dangereuses et restera ferme dans sa foi, assurant son rôle au mieux et
jusqu’au bout.
Ce n’est qu’à la fin de la guerre, en 1918, qu’il reprend son poste de secrétaire général des
UCJG de Paris qu’il occupe depuis 1910..Dès son retour, sa décision est de prendre le large loin des
tourments de la guerre; après une reprise du secrétariat, il demande un poste à l’ERF, car la France
dans ses campagnes profondes doit aussi panser ses blessures vivre et trouver un nouveau souffle;
dès 1919, ce sera le départ pour son premier poste, le village de Saint-Agrève en très haute Ardèche,
sur le plateau où il s’installe. Deux ans après, éprouvé par le climat, fragile des bronches et ayant
subi quatre ans de front déplorables, comme beaucoup, il ne s’adapte pas bien au climat, mais
passionné par les hommes et le pays, il va très vite s’installer comme pasteur au Chambon en 21, le
poste étant devenu vacant. Heureux de ce nouveau poste, il prend son ministère à bras le corps : les
années passent, il est enthousiasmé par le pays, ses habitants, leur foi.
Cependant, toujours sans enfants, sa femme et lui décident d’adopter un premier enfant
(Raymond né à Paris en 1924), puis une petite fille Suzanne née à Paris en 1926. Mais voilà qu’on
l’appelle déjà au secrétariat général des UCJC à Genève (YMCA en 1927, Youth Men Christian
Association). Il décide de quitter le Chambon pour s’installer à Genève avec ses enfants, toujours
très attentionné envers eux quand il est présent, car son nouveau poste le conduit à de très nombreux
voyages et il se trouve souvent loin de sa famille. Sa fille constate ses nombreuses absences loin des
siens avec une pointe de regret, mais sa mère s’occupe toujours de leurs études ; même l’été où ils
viennent au Chambon, souvent accompagnés de jeunes filles étrangères au pair, c’est tante Gaby,
leur mère, qui les suit de près, organisant aussi tennis, baignade, etc…
Lectures et écritures
Sa fille qui couchait dans son bureau, nous a conté qu’il y lisait beaucoup et écrivait un
grand nombre de notes ; en effet, travailleur infatigable, l’écriture (notes, articles, compte rendus de
missions) l’occupait beaucoup ; de plus il devait lire sans cesse pour se tenir au courant de tout,
surtout au contact du cercle d’étrangers très divers appartenant aux nombreux conseils de toutes les
instances internationales. Sa bibliothèque au Chambon regorgeait, à ma grande joie, de livres dont
je lus certains avec passion dans les années 50 ; ils concernaient aussi bien les grands chrétiens
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comme Schweitzer que de très nombreux missionnaires d’Afrique, ou encore les Indiens des USA ;
on y trouvait des livres philosophiques, scientifiques (enseignement, radiesthésie, médecine, pêche,
chasse,…), des livres sur les problèmes sociaux et leurs mouvements et, bien sûr, de très nombreux
ouvrages sur les religions du monde et même certains de leurs aspects particuliers, comme celui du
spiritisme.
Peintures et aquarelles
C’était un passe temps qu’il pratiquait avec son épouse qui était aussi artiste, mais il n’avait
pas toujours le temps pour cela. Il y a bien eu quelques exemplaires de leurs œuvres, éparpillés par
la suite, mais, pourtant fidèle au passé je n’ai pu garder précieusement qu’une petite peinture à
l’huile, et encore je ne peux assurer que ce soit de lui ou de ma tante, bien qu’elle ait surtout fait des
aquarelles. J’ai aussi réparé et utilisé sa lanterne de projection, mais malheureusement les photos sur
plaque de verre gardées à la cave (je me souviens encore de certaines, les ayant projetées pour la
famille, en 1952 probablement), furent un été retrouvées brisées au sol, la cave ayant été squattée
par des lycéens pendant l’hiver.
La pêche : Au Chambon la pêche était un de ses grands passe-temps. Il aimait s’isoler (tout
au long du Lignon et à la Salette en particulier), pêchait en bon amateur et aimait réfléchir, tout en
restant combatif pour pêcher une truite ! Ne dit-il pas dans un de ses discours : « Un lundi de
Pentecôte, ayant un moment de libre, je bataillais pour sortir du Lignon une superbe truite quand
l’un de mes administrés, venu pour voir si je sortirai vainqueur de la lutte, me dit, lorsque mon
poisson fut enfin sur la rive … » (nous verrons la suite de la conversation plus tard)
La chasse : je l’ai vu partir, ici au Chambon, sans doute avec des amis et collègues de la
mairie ou du canton ; il aimait cela, le désir de saisir le monde, de comprendre la bête et son milieu
et de la débusquer (comme pour la truite qu’il bataillait pour sortir vainqueur). C’était ce qu’il
aimait : débroussailler toutes les situations, en trouver les voies parfois tortueuses pour finalement
trouver la solution et arriver à ses fins.
Mais c’était peut-être aussi la mode : se retrouver entre politiques, et mine de rien,
échanger, connaître son ami et même parfois son adversaire, dans une partie de chasse ; je ne sais
les raisons de cet amour, car il était doux et cette passion pour la chasse me semblait curieuse ; il
avait toujours avec lui son très bon chien de chasse nommé YMCA (Youth Men Christian
Association) (prononcé Immca !). Il affectionnait les grandes chasses en Alsace où il fut invité
jusqu’à la fin, avec de très fidèles compagnons ; il était aussi apprécié, car sachant très bien
débusquer le gibier (fort de sa carte de la zone de chasse et de son pendule), me disait-il. Je me
souviens de photos qu’il me montrait, où les chasseurs étaient nombreux devant leurs trophées, un
tas de lièvres, perdreaux et souvent un ou deux cerfs. Il chassait peu ou pas en solitaire,
contrairement à la pêche ; même pour son travail il aimait le partage, mais préparait discours,
synthèses et conclusions, seul.
Les voyages : Découvrir les autres (voyages et rencontres) ; il voyage beaucoup. J’ai trouvé
un curriculum de sa main où il cite 50 pays visités au cours de missions officielles (je me souviens
l’avoir rencontré, lors d’une mission au Maroc, passant chez nous à Marrakech dans les années 4850, avec son pendule qui me fascinait, conseillant sa filleule, ma mère, sur les médicaments
homéopathiques les meilleurs pour chacun d’entre nous et cherchant ceux les mieux adaptés pour
chaque cas) .
Sourcier :
Toujours avec son pendule, pour de nombreuses observations très utiles. En particulier pour
l’eau, bien sûr, si nécessaire au développement du Chambon, jusqu’au jour où la station de
pompage fut construite (50 à 60 ?).
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Il m’a raconté que pendant la première guerre, en tant qu’aumônier, il rencontrait de graves
blessés et des mourants et que, lors de leurs discussions, il avait parfois un tel sentiment d’empathie
pour le blessé qu’il pratiquait l’imposition des mains, allant jusqu’à se coucher sur eux ; il avait
ainsi guéri quelques moribonds et sentait dans ce cas toutes ses forces le quitter ; il mettait alors
plus d’une journée pour récupérer son état normal. Le dernier évènement frappant pour moi fut
celui de sa filleule, ma mère, qui en rentrant du Maroc, attrapa une pneumonie, fit une embolie
pulmonaire et fut dans un état critique ; mon père avertit immédiatement son parrain qui lui dit :
« envoie-moi une goutte de son sang, garde espoir, je la suivrai matin et soir et te dirai
régulièrement son état. » Ce fut le cas, il pronostiqua une nouvelle chute qu’elle devrait surmonter,
d’où un encouragement profond. En effet le lendemain mon père apprit qu’une nouvelle embolie
s’était produite qui devenait fatale aux yeux des médecins ; le lendemain mon grand-oncle
téléphonait en disant « Euréka, elle est sauvée et va maintenant recouvrer jour après jour sa santé ».
Malgré tout, il suivait les hauts et bas qu’il constatait, puis ce fut la convalescence annoncée. C’est
une part de son mystère, que, comme scientifique je pris comme tel, mystère de ces faits étonnants
dont j’ai lu plus tard de très nombreux récits dans les vingt volumes de parapsychologie que ma
jeune épouse m’offrit.
Il étudia aussi le spiritisme sans s’y adonner du tout afin de compléter sa vision du monde ;
je pus lire ainsi, à la même époque (1958) deux livres de sa bibliothèque et me faire une idée de ce
courant d’où est né mon intérêt pour la parapsychologie. Il étudia aussi avec intérêt, toujours à la
recherche des explications de ses propres dons, celles que l’on appelait sorcières, surtout au Moyen
Age et à la Renaissance, ce que furent leurs actions, leurs dénonciations et leur sort, le plus souvent
procès et bûcher.
Ses choix professionnels et engagements
L’architecture
Ce premier choix, abandonné à cause de sa volonté d’engagement pour sa foi, reste
néanmoins une passion qui le suivra aux UCJG d’abord où tant de choses étaient à aménager, à
reprendre et à construire, mais aussi chaque fois qu’il en aura l’occasion et Mr Verihiac, architecte
qui s’installe au Chambon, deviendra un véritable ami.
Plans, conception, aménagements et bon agencement en fonction des objectifs attirent son
attention, voire sa prise en main. Désireux d’avoir une maison pied à terre au Chambon qui devient
sa terre d’élection, il organise et fait construire selon ses idées un premier lotissement de quatre
villas (autour de 1927) dans le quartier de Pérouet, le long du chemin de Chantoiseau (les Oisillons,
Chantaussi, la Solitude, le Bolet, soit la fameuse phrase retenue dans la famille : « Les oisillons
chantent aussi la solitude du Bolet »).
La sienne est la plus sobre, 75m² d’un seul tenant en carré ; prévoyant déjà ses déplacements
de Genève au Chambon il accole au dernier moment un garage (et une micro salle d’eau servant de
sas pour passer de la maison au garage). L’intérieur n’a que quelques cloisons en briques sur
tranches, posées à même le plancher et touchant plus ou moins le plafond, un vide sanitaire sous le
plancher et un grenier non utilisable ayant pour plancher les plaques de fibrociment du plafond sur
poutres. Il expérimentait ainsi l’espace libre, modulable à volonté (selon les besoins) pour une petite
maison peu chère (ce type de conception fut plus tard utilisé pour créer des bâtiments de foire et
d’expositions (modulables à chaque manifestation), repris en grand par le musée d’art de
Beaubourg.
Bien sûr il sera et restera un créateur de constructions utiles aux UCJG, toujours poussé par
les besoins et sa passion d’origine, citons :
- Le foyer de Lyon-Villeurbanne (1940) où il fait acheter et aménager un centre d’accueil
pour les jeunes Alsaciens qui ne souhaitent pas rentrer en Alsace allemande (n’oublions pas
que ses parents étaient réfugiés à Paris, ayant fui l’Alsace). Ce sera un point de chute
important pour ses activités de résistant
7
-
Le camp Joubert du Chambon sur Lignon (1941-42) ; il fait acheter un terrain, aménage
ferme et chalets, centre d’accueil de jeunes chômeurs puis de réfugiés, centre ensuite de
formation, d’université d’été et d’accueil de groupes de jeunesses (célébré comme le
« Copainville »).
- Le centre du Rocheton des UCJG (Sud parisien- Melun 1945) ; il acquiert une propriété en
mauvais état pour le compte du comité universel, le met au service des anciens prisonniers
de guerre (surtout de l’Est) ; puis cédé au comité français, il décide d’en faire un centre
polyvalent moderne social et culturel et choisit un jeune pour organiser cette tâche (nous
verrons plus loin son témoignage).
- Puis celui de la Cépière à Toulouse (1948) : rachat d’un centre quakers pour handicapés de
la guerre d’Espagne. Cédé aux YMCA, Charles Guillon en devient le premier président.
L’œuvre unioniste y prendra appui en se diversifiant en foyers de jeunes et de jeunes
travailleurs, en centre d’accueil pour handicapés ; détruit en grande partie par l’explosion
d’AZF, Michel Perrier, mon frère ainé, président pendant plus d’une décennie, lança un
grand appel pour la reconstruction d’un vaste centre ultra moderne, dont il s’occupa
activement et l’inauguration eut lieu il y a deux ans, juste après son décès.
- Le camp d’Azur de Sanary sur mer (1960), dont mon Oncle m’a montré avec fierté les plans
et où il devait m’emmener durant l’été 61 ; malheureusement la mort de ma grand-mère, sa
belle sœur, nous empêcha de faire ensemble cette visite du centre polyvalent d’accueil, de
rencontres et de formation. Il choisit, sur ce lieu de tourisme souvent désœuvré, de
construire un centre de jeunes chrétiens ouverts et actifs, signe de la présence du Christ,
disait-il.
Enfin, notons que tant au conseil départemental que communal, on le voit toujours attentif et
très préoccupé par les problèmes de constructions, de logements (en particulier de logements
sociaux) et de moyens de communications qu’il souhaite développer pour le bien de tous.
La théologie et son implication humaine (même dans les actions de la résistance) :
Il en parle peu, car il la veut tout simplement active et vivante. Elle se révèlera jusqu’au bout
dans ses actions, ses prises de positions et l’exigence de vérité de sa pensée évangélique qu’il
proclame et qui le suit toujours, envers et contre tout. Cependant ses positions engagées le
classèrent peut-être un peu trop comme un pasteur marginal au sein de l’Eglise Réformée de France.
Il collabora pourtant beaucoup avec Marc Boegner, étant tous deux représentants de cette Eglise
Réformée de France, au sein du Conseil Œcuménique en formation, où il remplaça Moïse Gounelle.
Mais comme pour les partis, il voulait aussi garder son indépendance et tout en se revendiquant
« Réformé », il n’acceptait pas d’être enfermé par l’institution.
Quelques engagements de mon oncle l’ont sans doute opposé à ses collègues Trocmé et
Theis qui étaient fortement « Non violents et objecteurs de conscience », donc contre tout
engagement armé ; pour lui, chaque situation nécessitant des choix réfléchis, il décida d’adhérer
tout de même à la résistance, même si elle était armée.
Il œuvra donc au sein de cette résistance, convoya des fonds pour les œuvres et les églises,
transporta de nombreux documents officiels et fit passer des réfugiée en Suisse ; il organisa même
avec de jeunes membres des unionistes obligés de travailler dans les usines pour les Allemands des
équipes de sabotage. Il était prêt à soutenir tous les groupes armés résistants, en vue de restaurer la
démocratie, mais toujours attentif à ce principe, pour lui intangible, de liberté qu’annonce
l’évangile. Il est capable, comme on le verra, de se dissocier de toute décision qui irait contre cette
liberté et qu’un groupe voudrait imposer, quelle que soit la cause justificatrice.
Engagements au christianisme social (UCJG et finalement politique)
La formation des jeunes et leur insertion sociale dont celle des réfugiés :
Ce thème restera constant dans sa vie, car il avait été lui-même réfugié en tant qu’Alsacien à
Paris et que sans ce travail social des UCJG et sa formation fortement aidée par l’école laïque, il ne
serait jamais sorti des bas-fonds. Ses études de pasteur et ses engagements aux UCJG (YMCA), ses
actions sociales et politiques, furent le fruit de sa reconnaissance transformée en conviction
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combative. Il sera toujours en première ligne pour développer des moyens et des centres en vue de
répondre à cet objectif de formation et d’insertion et ses réalisations en sont des exemples.
Extraits du message de paix et d’encouragement le 1/10/1938 au lendemain de Munich :
« Merci pour hier, vous avez continué d’espérer contre toute espérance, mais en prévoyant
que le pire pourrait devenir réalité et malgré les dangers, vous avez répondu à l’appel de mes
collègues du conseil municipal pour recevoir immédiatement avec désintéressement toutes les
personnes menacés fuyants et surtout les enfants qu’il nous faudra mettre à l’abri, facilitant
ainsi la tâche de l’organisation de notre commune en temps de guerre.
Merci de cette merveilleuse collaboration, mettant un coin de ciel bleu dans un ciel bien
chargé de nuages.
Merci d’avance pour demain : nous avons été à une minute de la guerre la plus
effroyable,…qu’allons nous faire ? Nous accuser, chercher des responsables… D’ailleurs les
principes défendus hier par certains, sont à présent attaqués par ces mêmes personnes… Nous
avons mieux à faire
Je connais l’Europe, nous n’entrons pas dans une ère de paix sans limite, je crains de
voir de grands empires se reconstituer et s’opposer les uns aux autres. C’est à vous Chambonnais
que je m’adresse, nous avons été unis depuis bien des années (1921), spirituellement,
moralement, politiquement, pour unanimement défendre nos libertés civiques et spirituelles et
dans l’union travailler au développement de notre village…
« Aimez-vous les uns les autres » sur le fronton d’un de nos temples, n’est pas pour les
visiteurs mais pour que ce soit notre règle de vie quotidienne. Chacun est libre de garder ses
convictions, mais évitons les luttes stériles et déprimantes, engageons-nous ensemble sur
l’essentiel, les libertés démocratiques et l’amélioration de nos conditions de vie, afin de
développer en nous tout ce qui est noble, grand, éternel
Merci d’avance si vous voulez agir dans cet esprit pour les années à venir et être un
élément de force et de stabilité dans les troubles que nous traverserons en nous consacrant mieux
au service de notre village, de notre département, de notre patrie et de l’ensemble des peuples. »
Son engagement pour le développement du département (1946): convictions, fougues et
passions:
Très actif, réformateur, il participe au plan départemental d’équipement et de modernisation
que propose en arrivant le préfet Pisani, plan qui sera présenté un an plus tard le 29-04-1946 devant
l’Assemblée du Conseil Général et dont il fera une résumé brillant. J’en tire les grandes lignes : le
plan s’appuie sur le constat d’une grande diversité des habitants de la Haute Loire, de leurs relations
avec les centres urbains souvent encore opposés les uns aux autres, avec des besoins et des niveaux
d’équipements divers. De plus, Guillon connait par ses voyages le grand problème des
déplacements des masses rurales à travers le monde qui touche tous les continents, et son diagnostic
est simple pour le département « Sans adaptation aux nouvelles conditions économiques, dit-il,
nous condamnons une partie de nos villages à disparaître. Dans les conditions dramatiques d’un
récent passé, nous avons trouvé une unité morale qui a permis de réaliser tous ensemble ce
premier plan qui, je pense, ne sera rejeté par aucun d’entre vous » (en effet il fut approuvé à
l’unanimité.).
Nous ne pouvons nous étendre sur ce plan détaillé, mais il aborde tous les problèmes à
résoudre sur les circonscriptions du département ; ce plan donne un ordre bien déterminé et chiffré
des priorités, précise au sein de ces priorités les arrêtés pour l’échelonnement des financements
possibles grâce aussi à un chiffrage exact des projets, et bien entendu la répartition des budgets sur
les différentes sources de financement. Ce plan, établi à partir des besoins exhaustifs des
circonscriptions, fut ainsi discuté et validé par tous.
Ce plan départemental d’équipement et de modernisation est une nouveauté et ce fut un
premier exemple pour le gouvernement, il fera tâche d’huile et conduira aux plans quinquennaux du
gouvernement.
On y reconnait bien les soucis d’Oncle Charles dans l’ordre des préoccupations retenues :
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(1) « Primauté des personnes, car finalement c’est pour l’homme qu’il faut travailler, l’homme
qui est à la fois esprit et matière.
(2) Prééminence de la cité (à l’échelle de la commune et du département, rôle d’harmonie,
d’adaptation aux besoins et rôle de gardienne des biens communs) ; définir les vocations
spécifiques au sein du département ; améliorer les conditions de vie, dont les équipements
communs, l’éducation et la formation, la modernisation de l’exploitation, la
commercialisation et l’industrialisation.
(3) Urgence de la réalisation
« Dans quelques années ce sera trop tard, aussi c’est un Non irrémissible à tout retard
administratif que nous exigeons, car notre justification c’est nos efforts ardents et
passionnés pour aboutir » ;
Les choses étant dites, la voie du travail commun nécessaire est maintenant engagée, il
faudra avancer vite et engager un plan départemental d’équipement et de modernisation que Charles
Guillon soutiendra et auquel il participera très activement.
Cassure et déception : sa démission
L’évènement que nous allons retracer à travers le discours suivant est l’élément clef
de sa déception et de sa décision de donner sa démission de maire.
« Un lundi de Pentecôte, ayant un moment de libre, je bataillais pour sortir du Lignon une
superbe truite ; quand l’un de mes administrés, venu pour voir si je sortirai vainqueur de la lutte,
me dit, lorsque mon poisson fut enfin sur la rive : « Alors, vous avez tourné votre veste, vous
travaillez maintenant pour le retour du roi ! » ; je suis heureusement resté un gamin de Paris et
je sais conserver le sourire. Je lui demandai donc de quel roi j’étais devenu l’agent…Il m’avoua
ne pas savoir, mais que des agents électoraux le lui avaient affirmé. Je l’ai tranquillisé et j’ai
continué ma pêche. … ». Il garde son calme, rassure, mais cet avertissement discret d’un de ses
administrés signifie qu’une cabale politique est montée qu’il a du mal à accepter, ne pouvant
supporter les fausses déclarations et les mots en coulisse par peur de la confrontation. La rupture de
cette entente qu’il a toujours louée lui fait mal et on la retrouve dans le premier texte lu de ses
dernières volontés : « je pardonne à ceux qui m’ont fait souffrir et qui ont peut-être fait dévier le
cours normal de ma vie… ». Il était libre vis-à-vis de ceux qui ont travaillé la main dans la main
avec lui, et laissant à tous leur liberté, il comprend que, pour lui, le mieux est de démissionner pour
laisser les idées s’exprimer dans toutes leurs réalités sans sa présence. Il s’explique alors devant ses
pairs du Conseil général avec la force et la clarté de ses discours, en rappelant sa conception de la
politique et de son rôle:
« … pour la majorité des Chambonnais, je suis classé, je vote à droite parce que j’ai voté
« Non » dans la question du Référendum du 5/5/46… je me serai contenté de hausser les épaules,
mais je crois que dans le drame mondial qui se déroule, il ne faut pas prendre les choses à la
légère, et que voter oui ou non dans un référendum sur la constitution engage la conscience,
mais comme toute la commune n’a pas pu entendre ce que j’ai dit à la Mairie du Chambon avant
le vote pour expliquer mon « Non »…je désire avant d’abandonner mon activité au Chambon et
ensuite sans doute dans le département, mettre noir sur blanc ma pensée ».
Suit un long discours :
« Sur Homme de gauche » ? « Je le suis plus que n’importe qui dans la commune et personne ne
me donnera des leçons dans ce domaine. Car ce n’est pas parce qu’on vote comme les gens de
gauche vous disent de voter que l’on est de gauche. Il y a des heures dans l’histoire où il faut
voter contre les gens de gauche si c’est nécessaire, pour défendre les principes de liberté
démocratique et préparer ainsi la vraie gauche de demain. ».
Il dira encore : « C’est un bonheur, nous nous sommes mis au travail sans rien espérer de
la reconnaissance des hommes, mus par le simple désir de remplir note devoir. Maintenant si on
désire des témoignages de mon activité, je puis fournir des témoins depuis le général de Gaulle,
des députés, des sénateurs, des diplomates français réfugiés à Genève. Que mon nom ne figure
cependant sur aucun document de la résistance : j’ai besoin de me sentir vierge dans ce
domaine »
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On trouve en arrière fond et par ses explications qui suivent, tout son véritable et total
engagement, son sens de la vérité, de la gauche sociale et démocratique qui prime devant tous les
slogans, d’où qu’ils viennent. Suit une énumération de situations et de choix qu’il a toujours su
prendre sur des positions sociales et politiques de gauche avant la plupart des hommes d’action,
comme cette rédaction, faite avec quelques amis à Genève et ce avant tous, sur un premiers projet
de réforme de la constitution qui servit au gouvernement provisoire d’Alger. Ce document que
chacun peut lire, allait plus loin que ceux proposés par la constitution du 5/6/46 ; son « Non » au
référendum ne s’adresse pas à ces choix sociaux, plutôt largement en deçà de ses choix, mais pour
des raisons éthiques profondes qu’il donne :
(1) « c’était se moquer du peuple français que de ne lui donner que quelques jours pour
lire et étudier le texte proposé », combien n’ont voté que par ouï-dire, copinage ou ordre
du parti !
(2) « Une constitution est une série d’affirmations et de principes qui doivent inspirer les
lois. Or la constitution qu’on nous présentait devait être précisée par des lois qui
seraient votées après coup et pourraient la modifier » c’était pour lui accepter
l’inconnu, la charrue avant les bœufs…
(3) « Certains textes n’avaient pas le caractère de la franchise, en particulier celui de la
propriété »
(4) « Le référendum était tellement une mise en demeure, ou un coup de force morale »
Cet état évident pour lui s’est confirmé en voyant les partis au pouvoir recouvrir toutes
les affiches des adversaires ou opposants, et il dit : « Quand on croit être dans le vrai et
que l’on croit dans la force de la vérité, et que l’on prétend défendre les libertés
démocratiques, on ne s’abaisse pas à utiliser de pareilles méthodes. On joue franc jeu.
C’est cela que j’appelle être républicain et démocrate. C’est cela que j’appelle être de
gauche ».
Malgré cela, je voterai « NON » pour des raisons sociales et politiques :
(1) « Si moi, peuple, je suis souverain, en votant pour un député je délègue mon autorité à
une personne que je veux choisir… et s’il se trouve dans l’obligation de prendre une
décision, il la prendra dans l’esprit où je l’aurais prise moi-même. Si au contraire je
vote sans avoir cette liberté de choisir qui je veux, ni de modifier les listes électorales
présentées par les partis politiques,…ce n’est plus une délégation mais une
abdication.» Il insiste sur tout ce qui s’est passé dans tant de pays depuis plus de trente
ans pour refuser cette abdication non démocratique, et a toujours préféré être le loup
affamé mais libre que le chien bien nourri mais attaché ;
(2) Il nous dit encore « la révolution nous a libérés du pouvoir royal…pour nous
enchaîner au capitalisme, hier la société anonyme et aujourd’hui, l’état anonyme…Il
faut sortir de là et nous n’y arriverons que quand l’homme aura atteint sa majorité
spirituelle et morale ». Il affirme combattre le radicalisme, le socialisme les
républicains, le communisme, comme il combat même le christianisme chaque fois que
l’on veut rogner une part de notre si faible liberté, car il est d’abord pour le respect de la
personne humaine.
Nait alors, pour la première fois ce sentiment de rejet ; « j’avais cru naïvement que cet
esprit là animait mes concitoyens du Chambon, comme il avait animé leurs pères, et c’était
pourquoi j’étais venu travailler au Chambon J’ai l’impression que cette unité morale qui avait
caractérisé notre commune n’existe plus, aussi le plus simple pour moi, c’est de me retirer
purement et simplement…»
Pour l’instant, il a trouvé encore au conseil général cette unité de vues pour relever
l’économie du département en mettant sur pied un programme d’actions départementales auquel il
ne se dérobera pas, « si ses collègues du Conseil général lui conservent leur confiance » ; il garde
confiance et attend que les évènements lui donnent raison ; il déclare alors rester au Conseil Général
comme président (3-7-1946) et retrouvera son poste de Maire lors des élections municipales qui
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suivront, la cabale c’est éteinte et il n’y pensera plus vraiment dix ans plus tard. En effet, quand il
va faire un discours au conseil sur l’évolution du Chambon sur Lignon et sa prospective, il inclura
en remerciement cette phrase : « Qu’il me soit permis d’insérer ici une opinion personnelle,
puisque je ne suis pas natif de la région. Ce qui m’a frappé au cours de ces quarante années de
présence sur ce plateau cévenol, c’est l’unité de vue des responsables de cette commune, qu’il
s’agisse du Conseil Municipal, du Syndicat d’initiative, ou des autres organismes ou sociétés,
travaillant au développement de cette agglomération. Jamais des clans politiques ou autres ne se
sont développés pour se combattre et faire perdre du temps à ceux qui s’étaient consacrés à
l’intensification de la vie sociale du village… »
L’objectif du développement commun lui a fait oublier ce moment de découragement, fruit des
ambitions de pouvoir où tout pouvait être possible dans cet immédiat après-guerre ; cette unité dans
l’action reste le leitmotiv de tout son parcours et devrait l’être de toute société.
Prise de conscience de la vie du plateau : agriculture et christianisme social
Il a découvert très vite à Saint Agrève la vie du plateau et a été saisi par la rudesse du travail
de ces paysans qui ont tous une foi bien ancrée et partagée, ce qui fait d’eux un peuple fort mais
replié sur lui-même. Il s’éprend de cette communauté de vie et l’apprécie car le travail devient
toujours une recherche d’unité qui finit toujours par se trouver. Cette unité, aux instances
communales et puis au conseil général, sera toujours sa force pour poursuivre inlassablement les
efforts de développement et de progrès.
Conclusion
Oncle Charles est resté foncièrement chrétien dans tous ses engagements, sans
compromissions et toujours avec persévérance; son seul désir est que d’autres puissent poursuivre
l’œuvre de semence entreprise, selon ses propres termes imagés ; il est facile de piétiner, de récolter
et de brûler, mais il faut, comme dans la nature, que la bonne semence surabonde pour arriver à se
perpétuer. Il aime le plateau et pense qu’il peut toujours être un exemple et une lumière pour les
autres.
Si de son vivant il a été oublié, comme le signale Pierre Bolle, ce qui correspond à son
humilité et à son désir de rester anonyme, il a quand même été reconnu :
« Juste parmi les nations » par l’Etat d’Israël en 1992
Quelques témoignages
Edgard Pisani : (qui fut il y a quelques années notre ministre de l’agriculture)
« En 1945 arrivant comme jeune préfet de la haute Loire, je découvre et explore l’administration
départementale et ses directeurs. Mais c’est avec le Président du Conseil Général que j’eus les
relations les plus chaleureuses et les plus utiles. Le Pasteur Guillon était un personnage à Genève où
il passait le plus clair de son temps. Il siégeait au conseil œcuménique des églises. Il était l’élu du
canton de Chambon sur Lignon, siège du collège cévenol, vivier de la très haute société
protestante ; Il apportait l’air du large dans ce département replié sur lui-même. Sa démarche
instinctive et subtile avait quelque chose de fascinant : il passait de l’universel au local avec une
aisance déconcertante. C’est lui qui m’apprit « qu’un sou n’a pas la même valeur à Boussoulet et à
Paris, en semaine et le dimanche…. J’ai découvert une loi merveilleuse et cruelle de l’économie :
les hommes sont plus prêts à dépenser pour l’accessoire, que pour l’essentiel. Malheur aux paysans
qui ne produisent que de l’essentiel»
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Tristan Mercier : (centre de Rocheton pour réfugiés qui devait devenir une école de formation pour
les cadres des UCJG), témoignage de celui qui deviendra le premier responsable, 1953):
« Il m’invita à m’y rendre avec lui et Ernest Barta, pour visiter les lieux et m’emmena dans
une Chevrolet en direction de Melun…Avec un sourire paisible, il me dit que sur le plan matériel, la
priorité était de commencer avec les moyens du bord très rustiques, de tout faire, ce qui ne me
laisserait que peu de temps personnel ; mais il se faisait fort de trouver au cours d’un discours
l’argent nécessaire pour un nouveau fourneau car avec les français, c’était la cuisine le plus
important. Il arpentait la propriété et les bois avoisinants avec l’habitude du Chasseur qui, chaque
jour marchait où qu’il soit, ses douze kilomètres. Au cours de cette visite il fut amical, jovial et
exprima beaucoup de choses montrant qu’il avait des idées sur les problèmes de société et montrant
que loin d’être un homme de parti, il croyait fondamentalement aux principes de démocratie qui
rendent aux citoyens leurs responsabilités.
Je garde un souvenir ému de ces premiers contacts ; je n’avais pas encore rencontré un
homme ayant une aussi grande vision du monde, un pasteur libéré par rapport à l’institution en
général, aussi proche des personnes et confiant des responsabilités dans une totale liberté qui
ouvrait la voie à la prise de responsabilité.
Fasciné par sa vision, par le sens qu’il donnait à la mission des UCJG, je fus heureux de
m’engager et il me dit : « Vous allez travailler dur, ne vous laissez pas décourager, votre tâche
peut être ingrate mais passionnante. Lorsque vous aurez bâti quelque chose d’important, c’est
alors que la jalousie, l’envie vous attireront des critiques de l’intérieur même du mouvement,
mais ne vous laissez pas avoir. »
Et pour camper Charles Guillon il rappelle cette phrase de Ghandi :
« Gardez votre fenêtre ouverte sur le Monde. »
Docteur et Pasteur Louis Perrier, Lettre à son fils Marc, Pasteur dans les Cévennes (17-05-48) :
… « Le mot qu'on répète si souvent est lugubre: les Cévennes se dépeuplent, les Cévennes meurent!
Les savants veulent les sauver … et entre autres par la création de nouveaux débouchés, et surtout
l'utilisation des vieux mas Cévenols qui s'écroulent comme maison d'été à bon marché, comme
Guillon et d'autres ont fait pour « le Chambon sur Lignon » qui est devenu un centre religieux
où l'on évangélise les nombreux estivants par des conférences et des réunions de réveil (salutistes
à grand renfort d'accordéons et de trompettes); j'ai vu l'an dernier une foule de vacanciers
s'engouffrer dans une grande tente qui rappelle celle de Saillens, des « dames en short » aller au
banc des pénitents, après avoir suivi la foule par curiosité; puis pour ceux qui aiment l'évangile
moins bruyant, des congrès successifs : d'école du dimanche, des UCJG, des membres chrétiens de
l'enseignement etc... Le résultat visible, immédiat, c'est que le temple, énorme, est bondé et qu'on en
ferme les portes à l'heure exacte, tellement il est plein. Que de fois je me suis senti ému à jalousie
en pensant à nos grandes cités, cévenoles et particulièrement St Hyppolyte...
Chantal Perrier: Mon témoignage peut paraître incongru, mais j’ai quand même envie de le
partager avec vous :
Je suis musicienne et j’ai une passion (en dehors de celle que j’ai pour Alain)… c’est Jean
Sébastien Bach ! Toute sa musique me transporte et reflète sa foi profonde ; elle est un tel
témoignage qu’il est courant d’entendre dire « Dieu ne sait pas ce qu’Il doit à Jean Sébastien
Bach !» ; mais ce musicien était un homme modeste et humble et il avait l’habitude de mettre au bas
de ses partitions « Soli Deo Gloria » (à Dieu seul la gloire !), ce qui m’a toujours touchée.
Quand nous avons décidé de nous marier au Chambon, Alain m’a dit que son grand-oncle pourrait
célébrer notre mariage civil ; j’en ai été ravie pensant bien qu’ainsi cette cérémonie qui n’est
souvent qu’une formalité serait personnalisée, (ce qui fut le cas, bien sûr). Alors on m’a parlé
d’Oncle Charles, de ce qu’il avait fait pour le développement de la région, de son dévouement, de
ses engagements pendant la résistance, etc…, mais toute à mon bonheur j’ai prêté une oreille
certainement un peu superficielle à tout ce que l’on me disait et j’ai été seulement très heureuse de
rencontrer le jour « j » cet homme chaleureux et jovial.
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En préparant la rencontre d’aujourd’hui, j’ai été éblouie en lisant toutes ses prises de positions en
dévorant des extraits de ses discours et en découvrant son parcours courageux et toujours fidèle à sa
foi profonde, et … imaginez mon émotion en trouvant à la fin d’un document où il relate la réussite
d’une de ses entreprises, (au lieu de s’en féliciter) les mots « A Dieu Seul la Gloire ! » (Comme
mon ami Bach !)
Je n’ai pu m’empêcher de faire le parallèle entre ces deux hommes : Si Bach n’a pas été apprécié à
sa juste valeur de son vivant, il est maintenant nommé par tous les musiciens comme « le père de
la musique » et donc notre père à tous, et Charles Guillon un peu oublié à cause de sa modestie, a
été reconnu après sa mort « Juste parmi les nations » par l’Etat d’Israël.
Tous deux ont œuvré pour la gloire de Dieu ! Nous pouvons souhaiter que le Seigneur suscite
encore des témoins tels qu’eux, consacrant leur intelligence et leurs dons à Son service dans la
discrétion et la joie.
« Et maintenant il est venu le temps d’aimer
et de bâtir chaque jour de notre vie le Royaume du Seigneur »
Par Alain Perrrier
(Son petit neveu)
*Charles Guillon
Médaille de Juste parmi les Nations
Croix de guerre 14 -18 et Médaille Belge de l’Yser
Chevalier de la Légion d’Honneur,
Mérite Civil,
Mérite Agricole,
Et Croix rouge française
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