extrait de "le yoga tibetain et les doctrines secretes ou les sept livres
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extrait de "le yoga tibetain et les doctrines secretes ou les sept livres de la sagesse du grand sentier" edité par Dr W.Y. Evans-Wentz La Doctrine du corps illusoire-introduction La Doctrine du corps illusoire, la seconde des six Doctrines, est une adaptation de source indienne de la Doctrine de mâyâ qui est la Doctrine fondamentale de toutes les Ecoles du Bouddhisme comme du Védantisme ou de l'Hindouisme. La Doctrine de mâyâ affirme que le monde entier et la création cosmique, subjective et objective sont illusoires et que l'esprit est la seule réalité. Les objets de nos sens, notre appareil corporel, nos cognitions mentales, nos inductions, nos généralisations et nos déductions ne sont que des phan-tasmagories. Bien que des hommes de science classifient et donnent des noms de fantaisie latins ou grecs à des formes variées de matière organique ou inorganique, la matière en elle-même n'a pas de véritable existence. Les couleurs, les sons, et toutes choses vues par les yeux ou perçues par les organes des sens, aussi bien que l'espace ou les dimensions sont également des phénomènes fallacieux. Mâyâ, est le voile magique dont se revêt la nature, la grande Mère Isis pour cacher la Réalité. Ce n'est que par le moyen du yoga seulement que le Voile peut être écarté et l'homme amené à la connaissance de lui-même et à sa propre conquête par lesquelles l'illusion est transgressée, surmontée. La Vérité ultime est par illusion toujours associée à l'erreur, mais semblable à l'alchimiste de choses spirituelles, le maître en yoga sépare le résidu, qui est l'ignorance, de l'or qui est le Savoir juste. Alors en dominant la nature il est libéré de l'esclavage des formes-apparences. Le Professeur Shâstri a démontré dans son érudit examen de la Doctrine de mâyâ (5) que les germes de cette Doctrine existaient dans les derniers stages de la civilisation Védique et que, au cours de sa longue évolution, le mot mâyâ en différentes formes grammaticales a désigné divers concepts, tous reliés entre eux fondamentalement. En premier, mâyâ désignait une forme d'intelligence, d'énergie, de pouvoir (sakti) et quelque chose de décevant. Cela impliquait une force de volonté mystérieuse par laquelle les Brahmanes agissaient et qui se réalise dans la forme de mâyâ. Pour ce qui est décevant, mâyâ indique cette lueur magique des apparences qui font que l'ignorant qui les perçoit conçoit la multiplicité et la dualité comme étant réelles Comme un magicien suprême, mâyâ produit la grande illusion cosmique, l'univers des phénomènes. Le sens fondamental du mot mâyâ dérive de la racine ma, mesurer. Donc mâyâ est cette projection illusoire du Cosmos par laquelle le Brahmâ immesurable apparaît comme pouvant être mesuré. De la même racine est issu le sens « construire » et ceci amène au concept de l'univers phénoménal étant la construction magique de Brahmâ ou, au sens Mahâyânique, de l'esprit. Comme un rejeton de l'âge primitif Védique, la Doctrine de mâyâ peut être retracée dans les Brahmânas et les Upa-nisads et là son sens est principalement : illusion, jusqu'au temps de Çamkara ou ce sens fut définitivement fixé. Historiquement parlant, mâyâ a été vu communément sous deux aspects principaux : (1) comme le principe de création — mâyâ comme cause — correspondant au sens de sakti (pouvoir merveilleux) ; ou (2) comme la création phénoménale elle-même — mâyâ comme effet — correspondant au sens d'illusion, d'apparence, etc (6). Il a été habilement démontré par les penseurs de l'Inde que l'esprit microcosmique n'est pas différent ni vraiment séparé de l'esprit macrocosmique. L'air contenu dans une jarre scellée, disent-ils, n'est pas différent de l'air qui entoure la jarre, si on la casse l'air enfermé devient l'air libre; ainsi en brisant le contenant de mâyâ, l'esprit microcosmique devient ce qu'il a été et sera toujours : le macrocosmique. L'Esprit Primordial d'où mâyâ s'élève est à jamais non-né et non-conditionné, il va au-delà de ses propres créations. Le seigneur Krisna, dans la Bhagavad-Gitâ, déclare que c'est avec une seule parcelle de son Essence qu'il crée l'univers visible et que pourtant il demeure toujours en dehors de ce qu'il crée . Les mondes et les univers sont des créations de l'esprit, ils sont de la matière dont sont créés les rêves. C'est leur caractère illusoire qui est mâyâ. Les choses, les apparences sont ce que l'esprit les fait être, à part de l'esprit elles n'ont pas d'existence. Lorsque au moyen du yoga, l'aspect microcosmique de l'esprit est clarifié des brouillards et des mirages des choses conditionnées, il se voit lui-même comme l'unité émancipée des illusions de maya, de tous les concepts de multiplicité et de dualisme de toutes les magies décevantes de la nature. Comme merveilleux pouvoir, comme énergie essentielle sous la forme de chaleur, lumière, motion d'électrons, comme vibration puissante de la danse de vie, comme la nature, du sein de laquelle les créatures viennent à l'illusion, mâyâ est la grande sakti, la mère de la création contenant en elle le germe primordial, ou œuf de la forme-pensée collective embrassant l'univers du père-esprit réalisée au travers de la matière illusoire comme apparences. Au travers des innombrables myriades de formes, au travers des innombrables myriades d'yeux et des organes des sens des créatures, au travers d'innombrables myriades de microcosmes, l'Esprit se connaît lui-même pour être celui qui rêve le royaume de mâyâ. Mais tant que le mirage de l'être n'est pas dispersé par l'illumination Bodhique, le multiple ignore l'Unité. La Doctrine de mâyâ est la base philosophique de la doctrine de l'Unité illusoirement perçue comme le multiple, du macrocosme comme totalité du microcosme. Dans la pensée grecque ceci se résumait par l'axiome de Xenophane : «Tout est Un ». Plus tard Parmenides enseigna l'unité unique de l'être et la pensée, Platon et son disciple Plôtin arrivèrent à la même conclusion dans leur doctrine des idées. Kant aussi, influencé probablement par l'école de Platon, énonça que le monde n'a pas une existence métaphysique mais purement une existence empirique ou apparitionnelle. Schopenhauer marqua sa dette de reconnaissance aux Upanisads quand il formula des déductions parallèles. En affirmant que l'univers a une existence relative à l'Esprit dans lequel il prend naissance, la relativité est une nouvelle assertion scientifique occidentale de la vieille théorie de ma yâ. Ainsi dans le sens donné par la Doctrine de maya, le corps illusoire, le mâyâvi-rûpa de la philosophie Hindoue, est comme le cosmos dont il fait partie, une simple apparence, une forme-pensée comme tout objet dans la nature. Comme la terre et l'univers dont elle est jaillie, il a une existence relative mais non pas réelle. En tant qu'apparence comparable à une illusion magique, le corps illusoire de l'homme n'est rien autre qu'une émanation de l'Esprit au sens impliqué par le mot tibétain « tulkou » se référant à une manifestation physique du Nirmâna-Kâya (corps d'incarnation divin). Il est simplement le produit de mâyâ de la volonté de vivre, le rejeton du désir, l'écorce sangsârique de l'esprit. (5) The Doctrine of Mâyâ par Prabha Dutt Shâstri (London 1911). Une étude similaire mais moins comprëhensive avait été faite auparavant sous le même titre par L. N. Apte et publiée à Bombay en 1896. (6) P. D. Shâstri, op. cit., p. 31.