Châtiment corporel

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Châtiment corporel
SUISSE | ACTUALITÉSOCIALE
N o2 3 _ N O V E M B R E – D É C E M B R E 2 0 0 9
Châtiment corporel
Texte: Jean Zermatten, directeur de l’Institut international des droits de l’enfant (IDE), vice-président du Comité
de l’ONU des droits de l’enfant, ancien président du Tribunal des mineurs du canton du Valais, Suisse
Dans un monde qui considère la violence
comme un de ses problèmes majeurs, il
est étonnant de penser que le châtiment
corporel est encore largement admis et
pratiqué dans de très nombreux pays,
dans la famille, à l’école, dans les institutions et parfois dans le système pénal.
Le Comité des droits de l’enfant1 définit
clairement le châtiment corporel «comme
tous châtiments impliquant l’usage de la
force physique et visant à infliger un
­certain degré de douleur aussi léger soitil …» Il donne des exemples: «tape»,
«gifle», «fessée». Mais aussi des formes
comme «donner un coup de pied, secouer
ou projeter un enfant, le griffer, le pincer,
le mordre, lui tirer les cheveux, lui «tirer
les oreilles ou forcer un enfant à demeurer dans une position inconfortable, à lui
infliger une brûlure, le forcer à ingérer
Rapport de la Suisse
La Suisse et son rapport
attendu pour le Comité des
droits de l’enfant
Selon l’article 44, par. 1, lit. b, chaque Etat partie
à la Convention doit présenter un rapport périodique au Comité des droits de l’enfant sur les
mesures adoptées par les Etas pour donner
­effectivité aux droits reconnus par la Convention
et sur les progrès réalisés.
La Suisse ayant ratifié la Convention en 1997,
elle aurait dû présenter son deuxième rapport en
2004 et son troisième rapport périodique en
2009. Elle n’a à ce jour présenté que son rapport
initial qui a été examiné par le Comité en 2002
(voir les Observations finales du 13 juin 2002).
Son rapport combiné 2 et 3 aurait du être déposé en 2009; à ce jour, il n’est pas annoncé et il y
a de forts risques de ne pas le voir avant 2010.
Par contre, les ONG ont travaillé dur et le Réseau
suisse des droits de l’enfant a déjà rédigé son
rapport alternatif (Shadow Report), qui a été rendu public en mai 2009. Le Réseau s’est focalisé
sur un certain nombre de points sensibles et a
présenté douze revendications; il met en évidence des inégalités de traitement dans l’application des droits de l’enfant d’un canton à
l’autre, qui touchent tout particulièrement les
groupes d’enfants les plus vulnérables.
> Ce rapport peut être téléchargé sur: www.netzwerkkinderrechte.ch/fr/2009/06/22/publication
6
quelque chose …». De l’avis du Comité,
tout châtiment corporel ne peut être que dégradant. En outre, certaines formes non physiques sont également cruelles et dégradantes et donc incompatibles avec la
Convention, par exemple: les châtiments
tendant à rabaisser, humilier, dénigrer,
menacer, effrayer ou ridiculiser l’enfant2.
Les dispositions de la Convention sont
très claires: l’article 19 fait obligation aux
193 Etats parties de prendre «toutes les
mesures législatives, administratives, sociales et éducatives appropriées pour protéger l’enfant contre toutes formes de
violence, d’atteinte ou de brutalité physiques ou mentales». L’article 37 lit. a pose
le principe sans équivoque de l’élimination de toutes formes de traitements dégradants et qui force les Etats à veiller à
ce que «nul enfant ne soit soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels,
inhumains ou dégradants». En matière
d’éducation, l’article 28, par. 2 exige des
Etats qu’ils prennent «toutes les mesures
appropriées pour veiller à ce que la discipline scolaire soit appliquée d’une manière compatible avec la dignité de l’enfant en tant qu’être humain et conformément à la présente Convention».
De plus, le Comité a produit, en 2006,
une Observation générale (OG) no 8, «Le
droit de l’enfant à une protection contre
les châtiments corporels et les autres
formes cruelles ou dégradantes de châtiments» (art. 19, 28 [par. 2] et 37, entre
autres). Elle a pour but de dire l’obligation incombant à tous les États parties à
la Convention (193) de prendre rapidement des dispositions aux fins d’interdire et
d’éliminer tous les châtiments corporels et les
autres formes cruelles ou dégradantes de châtiments à l’égard des enfants. Plus encore de
s’attaquer à la large acceptation ou tolérance à l’égard des châtiments corporels
contre les enfants et les éliminer, tant dans
la famille qu’à l’école ou dans tout autre
contexte. L’idée fondamentale: cette inter­
diction est non seulement une obligation
incombant aux Etats, mais aussi un moyen
stratégique déterminant sur la voie de la ré-
duction et de la prévention de toutes les formes
de violence dans la société.
Dans sa dernière session3, le Comité a
examiné six Etats au titre de la Convention et fait des recommandations à chacun, sauf à la Suède, bon élève en la
­matière puisqu’ayant déjà éliminé par la
loi tout recours au châtiment corporel, en
1979 déjà.
Le Comité a aussi évoqué quelques questions comme la notion de correction ou de discipline: pour lui, estimer tolérable que des
châtiments corporels d’un degré «raisonnable» ou «modéré» soient infligés dans
l’«intérêt supérieur» de l’enfant, reçoit
une réponse très nette dans l’OG no 8 et
dans la pratique constante du Comité:
l’obligation que fait la Convention de
faire de l’intérêt supérieur de l’enfant une
considération primordiale dans toutes les
décisions qui concernent les enfants
(par. 1 de l’art. 3) ne saurait être invoquée
pour justifier l’usage du châtiment corporel ou pour le déguiser en «discipline».
Faire entrer la police dans les familles?
Un autre problème évoqué est celui de
l’intervention possible et nombreuse de
la police dans les familles, dès qu’un Etat
interdit le châtiment corporel par une loi.
Là aussi, le Comité a déclaré: «Le principe
de protection égale des enfants et des
adultes contre les voies de fait, y compris
dans la famille, ne signifie pas que tous
les cas de châtiments corporels administrés par des parents à leurs enfants qui
sont signalés devraient aboutir à l’ouverture de poursuites contre les parents. En
vertu du principe de minimis4, les voies
de fait simples entre adultes ne donnent
lieu qu’à titre très exceptionnel à une action judiciaire; ce même constat s’appliquera aux voies de fait simples à l’égard
d’enfants»5. A ce titre, l’exemple de la
Nouvelle-Zélande est parlant: ce pays a
changé sa législation en 2007, en faisant
du châtiment corporel une infraction;
celle-ci n’a pas provoqué d’augmentation
significative du travail de la police, encore moins des tribunaux6.
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Egalité entre adultes et enfants, mais
la vulnérabilité des enfants impose
plus de protection
De l’avis du Comité, le recours au châtiment corporel est directement attentatoire au droit égal et inaliénable des enfants au respect de leur dignité humaine
et de leur intégrité physique. On ne peut
pas traiter plus mal un enfant qu’un
adulte et ce qui, entre adultes, est considéré comme intolérable et susceptible de
poursuite, doit l’être au moins également
lorsqu’infligé à un enfant.
Mais davantage, la singularité des enfants, leur dépendance physique et affective, leur situation d’être en développement, de même que leur vulnérabilité
plaident pour une protection particulière
des enfants et pour un statut juridique
clair de victime.
La Suisse
Le 27 août dernier, un colloque national
organisé par Terre des Hommes a réuni
une centaine de personnes à Berne pour
parler du châtiment corporel. Après le
­rejet de l’initiative parlementaire «Mieux
protéger les enfants contre la maltraitance» à fin 2008 (quel cadeau de Noël
aux enfants …!), il convenait de se poser
la question de savoir si la Suisse allait se
joindre à l’actuelle campagne du Conseil
de l’Europe qui demande l’abolition de
toutes formes de châtiments corporels à
l’égard des enfants et si notre pays allait
prendre ses responsabilités. Pour information, dix-neuf pays européens ont déjà
banni les châtiments corporels et dix
autres s’y préparent7. La Suisse suivra-telle?
Si la Suisse a supprimé le droit de correction du Code civil suisse, en 1978, par
l’abrogation de de l’ancien art. 278 CCS
et si le Tribunal fédéral, le 5 juin 20038, a
rendu un arrêt important sur les mauvais
traitements à l’égard des enfants en indiquant que le fait de tirer les oreilles régulièrement à un enfant, en sus de l’administration de gifles, était un fait punissable, la réalité légale est que le châtiment
corporel comme tel n’a pas encore été interdit de manière explicite par la loi. Et
surtout qu’il existe une tolérance face au
recours à la gifle, fessée et autres coups,
sous prétexte de «correction», d’éducation et d’utilisation de moyens «pédagogiques» envers les enfants. La décision du
Parlement suisse est curieuse, dans le
sens où le Comité des droits de l’enfants,
dans son examen de la situation des
droits de l’enfants en Suisse en 2002, a
clairement recommandé à notre pays
«… d’interdire explicitement toutes les
pratiques de châtiment corporel au sein
de la famille, à l’école et dans les établissements et de mener des campagnes d’information destinées, entre autres, aux
parents, aux enfants, aux responsables de
la police et de la justice et aux enseignants, pour expliquer les droits des enfants à cet égard et encourager le recours
à d’autres moyens de discipline compatibles avec la dignité humaine de l’enfant
et conformes à la Convention …»9.
La Suisse est sur le point de présenter son
deuxième rapport au Comité; il y a fort
à parier que le Comité se verra dans
l’obligation de lui rappeler vertement ses
obligations par rapport à ses enfants.
D’autant que rien n’indique que Berne
veut joindre sa voix à celle de Strasbourg,
pour l’instant en tous les cas.
En une période où les politiques suisses
(avec les médias) se plaignent de leurs enfants et adolescents qualifiés de violents
et cherchent les moyens d’éradiquer cette
violence, il est assez curieux que dans le
même temps, ils ne fassent pas le premier
pas qui serait de ne plus tolérer les modes
violents d’«éducation». Bannir le châtiment corporel, c’est aussi prévenir, globalement, la violence. Ce geste hautement
symbolique est attendu par les enfants,
tous les enfants!
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Notes
1 Organe de traité qui contrôle l’application de la Convention
des NU relative aux droits de l’enfant
2 Observation générale no 8 «Le droit de l’enfant à une protection contre les châtiments corporels et les autres formes
cruelles ou dégradantes de châtiments» (art. 19, 28 [par. 2] et
37, entre autres) CRC/C/GC/8, par. 11
3 51e session du 25 mai au 12 juin 2009, www2.ohchr.org/
english/bodies/crc/crcs51.htm
4 Le principe De minimis non curat pretor signifie que la loi ne
s’intéresse pas aux peccadilles.
5 GC no 8, par. 40
6 www.stuff.co/nz/national/politics
7 www.coeint/children
8 ATF 129 IV 216 du 5. 6. 2003
9 CRC/C/15/Add.182 du 13 juin 2002
Enfan’phare
20 ans de la Convention des droits de l’enfant:
fête d’anniversaire sans précédent à Martigny
A l’occasion des 20 ans de la Convention des droits de l’enfant, six partenaires actifs dans le domaine des droits de
l’enfant célèbrent en fanfare cet anniversaire en organisant une manifestation d’envergure nationale au
CERM, à Martigny les 20 et 21 novembre 2009: deux
jours destinés aux enfants, à leurs familles, aux professionnels et au public en général.
Le vendredi 20. 11. 2009: une journée thématique pour
les professionnels: éducateurs, psychologues, sociologues,
enseignants, travailleurs … étudiants bienvenus.
Thème: La Convention, ses progrès, ses lacunes, ses défis sur le plan national et international.
Puis, cinq thématiques plus spécifiques seront traitées durant la journée:
1. Jeunes et alcool: un tandem détonant
2. Les nouvelles technologies: progrès et périls
3. Abus sexuels, maltraitance: quelle protection pour les enfants?
4. Migrations: un statut particulier pour l’enfant
5. La participation ou la nouvelle posture de l’enfant, sujet de droits
Le soir, fête de la Convention
Le samedi 21. 11. 2009 sera une journée festive: les organisateurs invitent les organismes du domaine de
l’enfance en Suisse ou à l’étranger (collaboration Suisse–étranger) à participer à cette journée et à présenter
leurs activités grâce à des stands mis à disposition des organisations invitées (Village Enfan’phare). De plus,
une programmation d’événements culturels ou sportifs permettra aux associations de se présenter à tour de
rôle. Diverses animations (films, musique, mime, danse …) rythmerant la journée pour tous, enfants, adolescents, familles, adultes!
Bienvenue à Martigny!
> Pour tous renseignements et inscription: Institut international des droits de l’enfant, IDE, CP 4176, 1950 Sion 4
www.childsrights.org; contact [email protected]
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