Nature vive sur fond de paysage animé
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NATURE VIVE SUR FOND DE PAYSAGE ANIMÉ : arrière--plan pour un questionnement linguistique conscient de son arrière De nombreux travaux universitaires en linguistique – par ailleurs de valeur – pêchent par l’absence de prise en compte de leur arrière-plan. J’entends par arrièrearrière-plan d’un objet d’étude délimité (le « premier plan » de l’étude) le positionnement de cette étude au moins selon trois points de vue : dia~’ a) le point de vue interlangue et ‘dia~ dia~ : tout objet d’étude linguistique est à délimiter en termes de langue-objet, considérée par rapport à un ensemble plus ou moins vaste de langues, états de langue ou variantes ‘diasystématiques’ (variantes diatopiques, diachroniques, diastratiques ou diaphasiques selon la terminologie usuelle empruntée à E. Coseriu) ; b) le point de vue métathéorique : trop d’études linguistiques universitaires sont menées dans le cadre d’une théorie linguistique déterminée, sans que soit clairement posée la question du positionnement de cette théorie par rapport à d’autres approches éventuellement aussi sinon plus pertinentes pour le questionnement en cours ; c) le point de vue interdisciplinaire : le langage humain n’intéresse pas seulement les sciences du langage. D’autres disciplines s’en réclament, ce qui a produit des disciplines d’interface comme la sociolinguistique, la psycholinguistique, la neurolinguistique ou l’anthropologie linguistique. INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 1/22 Dans ce qui suit, je chercherai à offrir plusieurs illustrations de l’intégration de ces trois visions d’arrière-plan. Le domaine de la grammaire du verbe y occupera une place dominante, compte tenu de mes objets d’étude de prédilection. Je m’inspirerai de l’application au langage et au discours par Leonard Talmy de l’opposition entre figure (angl. premier plan) et ground (angl. arrière-plan) empruntée à la psychologie de la gestalt (alld forme) que j’appliquerai à mon tour plus spécifiquement au domaine particulier du discours universitaire en linguistique. Pour éclairer mon propos, je propose au lecteur d’examiner les trois portraits de la page suivante. Les deux portraits de Hans Holbein le Jeune (1536 et 1523) datent de la renaissance allemande et celui d’Auguste Auguste Renoir de l’impressionnisme français (1874). Le portrait de Georg Gisze, négociant à Londres (1536) et celui du philosophe humaniste Erasme (1523) représentent les deux options opposées, pour ce qui concerne la relation entre le premier plan et l’arrière-plan. Georg Gisze est un inconnu et pour cette raison Holbein a besoin de le présenter èsqualités, en l’entourant de multiples symboles de son activité de négociant, en particulier un carnet de commandes, un sceau pour cacheter les plis, une cassette pour la monnaie, etc. Tout à l’inverse, Erasme est le philosophe le plus célèbre de la première moitié du 16e siècle, il n’est nul besoin de le présenter : Holbein – qui a peint plusieurs portraits d’Erasme dont certains présentent un fond stylisé – choisit de focaliser l’intérêt du spectateur sur les mains de l’humaniste, son regard acéré et la ligne de son nez qui suit le mouvement du régard vers la page d’écriture. Erasme devient l’essence de la pensée à l’œuvre, dénuée de tout arrière-plan. INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 2/22 Hans Holbein le Jeune, Portrait de Georg Gisze, négociant à Londres, Londres, 1536 Auguste Renoir, La leçon de lecture, lecture, 1874 Hans Holbein le Jeune, Portrait d’Erasme, d’Erasme, 1523 La leçon de lecture d’Auguste Renoir représente une option intermédiaire, celle qui nous intéresse au premier chef ici. Trois personnages sont représentés, mais l’attention du spectateur est obligatoirement attiré par la jeune femme en bleu, qui suit sa leçon de lecture d’un air à la fois attentif et nonchalant. Les deux autres personnages sont réduits à des ombres. La coiffure et le profil du personnage de gauche évoquent une femme qui joue le rôle de INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 3/22 répétitrice, tandis que juste derrière la jeune femme, un homme semble suivre avec intérêt le déroulement de la leçon. Le visage paraît jeune et on peut imaginer dans cette scène intime un mari désireux que sa femme paraisse dans le monde sans avoir à subir l’opprobre de l’illettrisme et qui a sollicité une institutrice pour entraîner sa femme. L’attitude attentive mais nonchalante de cette dernière pourrait s’interpréter comme le plaisir de jouir de la sollicitude de son mari et le désir de lui plaire en acquérant cette compétence. Revenons à notre propos destiné à illustrer la place du premier plan et de l’arrière-plan dans le discours universitaire en linguistique : a) l’option « Georg Gisze » (arrière arrièrearrière-plan↑ plan↑) conviendrait pour une étude menée sur un sujet vraisemblablement inconnu du lecteur ciblé (par exemple « la place de la relation possessive dans la morphologie flexionnelle en finnois »), b) l’option « Erasme » (arrière arrièrearrière-plan↓ plan↓) conviendrait en revanche pour l’analyse d’un phénomène linguistique connu de tous les lecteurs ciblés (par exemple « la position de l’adjectif épithète en français moderne »). c) Quant à l’option « Leçon de lecture », (arrière arrièrearrière-plan présent, mais en pointillés) pointillés elle convient à mon sens pour toute étude linguistique dont l’objet et la méthode méritent d’être spécifiés en termes de langue-objet, de cadre théorique descriptif et/ou explicatif et éventuellement d’intérêt pour d’autres disciplines attentives au langage. INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 4/22 arrièrearrière-plan interlangue / diasystématique → diaphasie 1. Constructions verbales et genres textuels textuels La majorité des analyses actuelles de corpus textuels ne prennent en compte que des corpus écrits (les miennes y compris) et ne formulent pas d’hypothèse sur des attentes éventuellement différentes selon le genre textuel. Les corpus oraux transcrits ne sont effectivement pas aussi accessibles que les corpus écrits. Cependant la base LEXIQUE 3 créée par les psycholinguistes offre des extraits de sous-titres de film, un genre hybride quasi-oral. La comparaison entre cette base et la base FRANTEXT (genre ROMANS ou genre ESSAIS-TRAITES) peut être instructive sur un point de sémantaxe verbale rarement étudié, le changement de sens de verbes français selon la construction et le genre textuel. Certains verbes prennent un sens « populaire » en construction pronominale et en discours oral. Concernant le verbe tirer, tirer on peut reconnaître différents jalons entre des emplois en « style écrit » et en « style oral » qui révèlent un figement progressif : (1) Les sauveteurs ont tiré l’alpiniste de la crevasse. crevasse. ► écrit, non figé (2) Les sauveteurs ont tiré l’alpiniste d’affaire. d’affaire. ► écrit/oral, figé (3) L’alpiniste s’en est tiré avec des contusions ► oral familier, figé (4) TireTire-toi de là ! ► oral populaire, figé ► LEXIQUE 3 fournit 341 occurrences contenant tiretire-toi dans des sous-titres de films et l’on peut vérifier que le sens est inchangé ≈ pars d’ici ! et que le registre est populaire avec des cooccurrents comme je t’emmerde / bordel / connard / gust ! / grosse merde / etc (► http://www.lexique.org/moteur/RechCoOc.php). Un examen des INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 5/22 « clusters » contextuels de tiretire-toi dans ces 341 occurrences à l’aide du concordancier AntConc 3.2.2.1 (► http://www.antlab.sci.waseda.ac.jp/software.html) révèle ⇒ a) la présence fréquente d’un complément ou adverbe de lieu-origine : clusters 5, 9, 10, 11 b) la dimension financière fréquemment associée : clusters 3 et 8 c) et la possibilité de rection d’une construction infinitive : cluster 12 Rang 3 Frécluster quence 3 prends l'argent l'argent et tiretire-toi 5 2 et tiretire-toi d'ici 8 2 Récupère ton fric doucement et tiretire-toi 9 2 tiretire-toi de la porte 10 2 TireTire-toi de là, bordel 11 2 TireTire-toi de mon chemin 12 2 TireTire-toi faire ça ailleurs Cela montre qu’avec deux outils élémentaires et gratuits, la base LEXIQUE 3 (rubrique sous-titres de films) et le concordancier AntConc, on peut obtenir aisément des cooccurrences intéressantes pour le discours oral. Il est à noter que l’emploi populaire de tirer à la forme pronominale et à l’impératif se distingue de celui de casser, casser car dans le premier cas cet emploi est sémantiquement accessible à partir du sens de base du verbe tirer par l’intermédiaire de l’expression tirer qn d’affaire, d’affaire alors que pour casser (cf. il s’est cassé / cassecasse-toi ! ) on est en présence d’une homonymie liée à la voix pronominale avec sujet [+humain] (je ne crois pas qu’on puisse dire d’un cassé animal : il s’est cassé). INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 6/22 arrièrearrière-plan interlangue / diasystématique → diachronie 2. Évolution de la réalisation de la ‘diathèse récessive’ en français du 21e siècle Dans la conclusion de son ouvrage de 1974, Les verbes à la fois transitifs et intransitifs en français contemporain. contemporain (The Hague : Mouton), Mira Rothemberg croit observer une extension récente de la voix pronominale comme mode d’expression de ce que Lucien Tesnière appelle la « diathèse récessive » (ex. Le sucre se dissout dans l’eau < L’eau dissout le sucre) sucre au détriment de la voix intransitive des verbes réversibles (présentant alternativement une construction intransitive à sujet Patient, ex. La branche a cassé et une construction transitive à sujet Agent et objet Patient, ex. La bourrasque a cassé la branche). branche Inversement, Mira Larjavaara observe un quart de siècle plus tard dans Présence ou absence de l’objet — limites du possible possible en français contemporain. contemporain (Academia Scientiarum Fennica, 2000), une extension de la propriété de réversibilité, ex. Les prix explosent > L’inflation explose les prix. prix On pourrait donc en conclure que durant le dernier quart du 20e siècle, la tendance observée par M. Rothemberg a été contrebalancée par celle observée par M. Larjavaara. Cependant aucune des deux analyses n’a été menée sur la base d’une analyse quantitative de corpus (c’est-à-dire avec un calcul précis de la fréquence relative des deux modes d’expression de la diathèse récessive, époque par époque). Pour arriver à une conclusion probante, il faudrait donc a) établir d’abord une première liste de verbes à double renversement (constructions transitive, intransitive et pronominale, ex. La branche a cassé / s’est cassée / la bourrasque a cassé la branche branche), b) ensuite une seconde liste de verbes intransitifs pour lesquels une construction transitive récente est attestée, INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 7/22 c) et examiner longitudinalement, tout au long du 20e siècle, la fréquence relative des différentes constructions par décennie ou par quart de siècle. Une recherche de la séquence explose les dans les sous-titres de LEXIQUE 3 révèle non seulement la présence de constructions transitives, mais également une combinaison récurrente avec la « syntaxe des parties du corps », ex.. je t’explose les rotules / je lui explose les genoux / je leur explose les boyaux : Suivante! Putain! Explose-les! / Au fait, Charlie, à la moindre entourloupe, je l'aveugle et je lui explose les genoux. / Explose-les, Joe! / Explose-les. / Si tu fais le malin, je t'explose les rotules. / Je leur explose les boyaux! / La voiture qui explose, les types qui nous canardent... ça peut être la Mafia. / Vampitrax, ça explose les abdos. / Si tu mens.. . je t'explose les burnes. / Dégage, avant que Zéro explose les petits raisins secs que t'appelle tes couilles. arrièrearrière-plan interlangue interlangue 3. La diathèse diathèse récessive en français ≠ anglais ≠ allemand La « diathèse récessive à marquant pronominal » du français (selon la terminologie de Lucien Tesnière) a deux interprétations possibles : a) événementielle ex. La porte s’est ouverte brutalement) brutalement b) ou générique, voire modale, ex. Le livre livre se vend (bien/mal) dans tous les hypermarchés. hypermarchés En anglais, ce type de diathèse est remplacé par une détransitivation pour la valeur événementielle, ex. The door opened suddenly suddenly, superstore. ly comme pour la valeur générique, ex.. The book sells (well/bad) in every superstore rstore INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 8/22 En allemand, la diathèse récessive à marquant pronominal (ou voix moyenne) est la norme pour la valeur évènementielle, ex. Die Tür öffnete sich plötzlich, plötzlich comme pour la valeur générique-modale, ex. Das Buch verkauft sich (gut/schlecht) in allen Gro Groβsupermärkten. supermärkten Si l’on admet que l’anglais occupe historiquement et typologiquement une position intermédiaire entre l’allemand et le français c) historiquement du fait de la diglossie avec le franco-normand à partir du 12e siècle, d) et typologiquement par ex. par la perte des marques de cas du germanique ancien et la position dominante du verbe conjugué immédiatement après le sujet grammatical, partiellement sous l’influence de cette diglossie, il est curieux de constater que, dans le domaine des constructions verbales, le français et l’allemand ont un fonctionnement parallèle en opposition avec celui de l’anglais. Il serait intéressant de poursuivre cette étude pour l’ensemble des langues romanes et germaniques. arrièrearrière-plan interlangue → affiliation diachronique diachronique 4. Évolution interlangue d’un d’un « phylum » étymologique à partir du latin classique En latin classique le verbe tornare a un espace sémantique très limité : il s’applique uniquement à l’action du pottier fabriquant une poterie à l’aide d’un tour, il est toujours transitif et prédique donc un type d’actions d’ « effectuation » (production d’une nouvelle entité : une poterie, à partir d’un matériau : de l’argile). Cela implique que le mouvement rotatif, indépendamment de toute action accomplie à son aide, est exprimé par d’autres verbes, en l’occurrence INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 9/22 gyrare ; torquere ; vertere ; volvere (voir mon article Un arbre sémasiologique pour la représentation d'un phylum étymologique téléchargeable dans la rubrique Accès rapide aux fichiers téléchargeables, téléchargeables tableau 5). Les verbes français tourner, tourner anglais to turn et italien tornáre présentent en revanche des constructions qui diffèrent de leur source latine, ce que résume le tableau ci-dessous. Le phénomène le plus étonnant est que du latin classique à l’italien moderne, le verbe a perdu son sens spécifique d’action de production d’une poterie et a développé des constructions intransitives, en particulier dans le sens de devenir / changer pour, pour ex. tornare sotto controllo. controllo. Ce type d’emploi a été repris en anglais, ex. to turn mad. mad construction ↓ Lat. tornare Ital. tornáre Fr. tourner Angl. to turn1 transitive OUI rare OUI OUI intransitive NON OUI OUI OUI On peut voir dans cet exemple comment l’espace sémantaxique (c’est-à-dire sa polysémie et l’éventail de ses constructions syntaxiques) d’un verbe est continuellement reconfiguré en fonction de celui d’autres verbes en concurrence. Une chose est de DÉCRIRE cette concurrence évolutive, évolutive époque par époque, langue par langue. Une autre serait d’en chercher les CAUSES. Pourquoi la concurrence entre lat. tornare et volvere a-t-elle évolué en espagnol au seul bénéfice de volver et en français au bénéfice de tourner, tourner volver n’étant que la source indirecte du fr. évoluer par son dérivé latin evolvere ? Toutes questions passionnantes , mais bien difficiles à trancher ! Les particules verbales susceptibles der se combiner avec to turn sélectionnent en général une construction transitive (ex. to turn sth on) on ou intransitive (ex. to turn back) back 1 INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 10/22 arrièrearrière-plan métathéorique 5. grammaires transformationnelles et classement des verbes français Les différentes grammaires distributionnelles d’inspiration transformationnelle (issues des travaux de Zellig Harris) admettent l’existence de transformations dénuées d’effet sémantique, en d’autres termes d’alternances syntaxiques, exemples fr. Je pense que je viendrai demain Je pense venir demain angl. I want that you come tomorrow I want you to come come tomorrow Certaines alternances reflètent toutefois une différence de point de vue. Ainsi (1) présente le mouvement du point de vue de l’agent collectif, les fourmis, fourmis tandis que (2) le présente du point de vue de la localisation de l’événement, le jardin : Les fourmis grouillent dans le jardin. Le jardin grouille de fourmis. Sujet : agent – Prédicat – CompLieu : Localisation Sujet : localisation – Prédicat – CompMoyen ? : Agent Les recherches les plus avancées sur le classement des verbes français dans un cadre transformationnel ont été initialement menées dans le cadre du Laboratoire d’Analyse Documentaire et Linguistique sous la direction de Maurice Gross (Université Paris 7 Denis-Diderot) et actuellement d’Eric Laporte (Université Paris-Est à Marne-laVallée). Dans ce cadre deux types d’études ont été menées : INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 11/22 a) celles de Maurice Gross et ses collaborateurs, entre autres J.P. Boons, A. Guillet, Ch. Leclère, J. Giry-Schneider, etc. axée sur l’analyse fine des propriétés de pronominalisation ou de complémentation conjonctive et infinitive par exemple (les tables du LADL sont téléchargeables depuis quelques mois, cf. http://infolingu.univmlv.fr/DonneesLinguistiques/Lexiques-Grammaires/Visualisation.html), la dimension sémantique n’étant pas un facteur primaire de classement ; b) celles de Jean Dubois & Françoise Dubois-Charlier qui ont conduit à l’élaboration d’un vaste base de données lexicale unifiée, Les verbes français, français initialement parue chez Larousse en 1997 en version papier et désormais accessible sur le site de l’université de Montréal ► http://rali.iro.umontreal.ca/Dubois/) ; pour des informations complémentaires on peut se reporter à la page du laboratoire MoDyCo (université de Paris(ouest) consacrée à cette base de données : ► http://www.modyco.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=1756&Itemid=19 Le classement des Dubois se base sur le repérage initial des constructions de chaque verbe et l’attribution d’une entrée lexicale à chaque construction ou groupe de constructions en alternance (voir plus haut), le résultat étant 25610 entrées lexicales. Dans un second temps, les entrées sont regroupées en classes syntactico-sémantiques présentant des propriétés syntaxiques et sémantiques similaires et finalement en 14 classes dites génériques et correspondant à 13 champs conceptuels (communication, mouvement, pensée, etc.) et à un champ d’entrées à fonction grammaticale. Le choix de l’un ou l’autre classement pour mener une étude syntaxique de groupes de verbes français n’est donc pas indifférent et demande une réflexion préalable. Si l’intérêt doit porter en priorité sur les propriétés qui font l’intérêt majeur des tables du LADL, il faut partir de ce mode de classement, en revanche, si la corrélation entre les propriétés syntaxiques et sémantiques doit être au centre de l’étude, il est plus judicieux de partir des Verbes français de J. Dubois & F. Dubois-Charlier. Un troisième source est d’un intérêt majeur, c’est le Französisches Verblexikon de Winfried Busse et Jean-Paul Dubost (Stuttgart : Klett Verlag, 1977) qui combine des propriétés issues du LADL et des travaux d’orientation INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 12/22 sémantique du romaniste allemand Eugenio Coseriu. Malheureusement, ce dictionnaire (tout à fait utilisable par des non germanistes) n’a connu qu’une seule réédition en 1983 et est depuis longtemps épuisé. arrièrearrière-plan métathéorique 6. La polysémie lexicale : ‘verticale’ ou ‘horizontale’ ? On doit à Bernard Victorri, co-auteur avec Catherine Fuchs de La polysémie – construction dynamique du sens (Hermès 1996), la distinction terminologique entre polysémie « horizontale » et « verticale ». D’un côté la conception « horizontale » défendue par la sémantique cognitive américaine (particulièrement californienne avec George Lakoff et ses collaborateurs) : un type d’emploi est considéré comme fondamental pour des raisons d’ordre cognitif. Ainsi par ex. pour le verbe relever, relever le sens (1) « qn dispose à nouveau verticalement qc/qn » est considéré comme fondamental ou prototypique parce que le prédicat verbal y exprime une action de déplacement physique conduite par un Agent humain et appliquée à un Patient (personne ou chose). Le sens véhiculé en construction transitive et agentive par le contexte (2) « qn relève relève une erreur » en est directement dérivé, le sens (3) avec un objet abstrait « qn releve un défi » en dérive indirectement, le sens véhiculé en construction transitive indirecte par (4) « qn relève d’une maladie / de couches » est caractérisé par la perte de transitivité et d’agentivité, ce qui caractérise un procès partiellement déconnecté du prototype transitif-agentif et le sens véhiculé par (5) « qc relève de qc », ex. L’organisation du procès pour génocide relève de la Cour Pénale Internationale en est encore plus déconnecté puisqu’aucun humain ne participe plus au procès. Selon cette conception on est donc en présence d’un continuum d’éloignement par rapport au prototype : INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 13/22 prototype éloignement 1 éloignement 2 qn relève qn/qc qn relève qc<erreur> qn relève qc<défi> SYN redresser repérer répondre à éloignement 3 éloignement 4 qn relève de de qc relève de qc qch<maladie, couches> se rétabllir dépendre de D’un autre côté la conception « verticale », représentée en priorité par la théorie des « formes schématiques » d’A. Culioli défendue entre autres par J.J. Franckel, D. Lebaud, D. Paillard, S. de Voguë, B. Victorri, etc. On peut se reporter pour plus de détails à J. François (2007), Pour une cartographie de la polysémie verbale, verbale chapitre 1, Louvain : Peeters, et ici-même (Rubrique Accès rapide aux fichiers PDF), PDF à l’article L’étude de la polysémie verbale entre dérivation et invariance, invariance (CMLF 2, 2010). La psychomécanique du langage de Gustave Guillaume constitue une variante antérieure de cette conception dont Jacqueline Picoche a appliqué à la sémantique lexicale les notions de « signifié de puissance », de « cinétisme », de « saisies » (précoces et plénières) et de « subduction ». La forme schématique (ou le signifié de puissance) est une construction abstraite supposée être à la source de chacun des emplois particuliers (« effets de sens » chez J. Picoche). Bien que je sois médiocrement doué pour cet exercice, je vais tenter d’imaginer une telle forme schématique à laquelle les emplois (1-5) du verbe relever pourraient être rattachés par des spécifications différentielles. a) La première difficulté vient de ce que les emplois (1-3) expriment des actions, l’emploi (4) un processus et l’emploi (5) un état relationnel. Il faut donc prévoir une formulation préservant la variété des types de procès. mettre Je propose {met mettre | entrer | être…}. être b) La seconde difficulté tient à la présence d’un déroulement temporel en (1-4), mais non en (5). De ce fait on peut mettre en contraste une situation initiale et une situation finale en (1-4), mais seulement une situation « primitive » et une situation « secondaire » en (5). INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 14/22 En (1) les deux situations sont d’ordre physique, en (2) le référent de l’objet concret (une erreur) peut être dit « imperceptible » en Sit1 et « perceptible » en SitB, en (3) le référent de l’objet abstrait (un défi) peut être dit aimilairement « non reconnu » en Sit1 et « reconnu » en SitB, ce qui permet de mettre en évidence la très grande proximité entre relever une erreur et relever un défi, d’ailleurs relever des erreurs peut être vécu par le correcteur comme un défi à relever. En (4) la Sit1 est un état de maladie ou de faiblesse et la Sit2 (dynamique) une convalescence. C’est évidemment le contexte (5) qui représente le défi le plus important à relever (nous y voilà !). Dans une conception rhétorique classique, on introduirait la notion de métonymie, relation de « contigüité » conceptuelle entre l’événement 1 réalisé comme sujet et l’événement 2 réalisé comme complément introduit par de. Dans la perspective d’un traitement « vertical » de la polysémie on peut sans doute faire valoir que l’événement réalisé comme sujet grammatical, par ex. l’organisation du procès pour génocide, génocide est représenté en Sit1 comme doté d’une réalité indépendante (≈ antériorité conceptuelle), alors qu’en Sit2 il est représenté comme rattaché causalement à une entité externe (≈ postériorité conceptuelle), par ex. la Cour Pénale Internationale. Internationale C’est un peu tiré par les cheveux, mais les formes schématiques que j’ai examinées (pour les verbes passer, passer jouer, jouer monter entre autres) le sont tout autant à mon sens. Certaines analyses relativement distanciées par rapport aux deux théories évoquées, par exemple l’analyse de la polysémie du verbe venir par Marie-Luc Honeste ou celle du verbe monter par Pierre Jalenques sont plus accessibles, entre autres parce que ces auteurs accordent une place de choix à la composante distributionnelle. INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 15/22 mettre | entrer | être dans une situation B repérée par rapport à une situation A primitive Procès : être Procès : mettre Procès : mettre Procès : mettre Procès : entrer SitA : réalité de e SitA : position ≠ B Sit A : erreur imperceptible SitA : défi non reconnu SitA : maladie|faiblesse Sit B : rattachement de e1 SitB : position verticale SitB : erreur perceptible SitB : défi reconnu SitA : convalescence à une entité causale qn relève de qn relève qn/qc qn relève qc<erreur> qn relève qc<défi> qc<e> relève de qc qch<maladie, couches> SYN redresser repérer répondre à se rétabllir dépendre de Pour toute étude mettant en jeu la polysémie lexicale, il est important d’être informé de ces positionnements théoriques, de leurs liens éventuels avec des théories extralinguistiques (en l’occurrence pour la sémantique cognitive américaine, la théorie du prototype élaborée par Eleonor Rosch au milieu des années 1970 et aussitôt adaptée à la sémantique linguistique par George Lakoff), et de la distinction essentielle entre les deux visions de la polysémie lexicale en synchronie et en diachronie. Dès la fin du 19e siècle, Arsène Darmester, dans La vie des mots étudiée dans leurs significations, significations décrivait (le mot polysémie n’étant proposé par Michel Bréal qu’une décennie plus tard dans son Essai de sémantique : science des significations, significations 1897) un « changement de sens par rayonnement » et un « changement de sens par enchaînement » qui annoncent la « polysémie radiale » de Lakoff et celle par « ressemblance de famille » de L. Wittgenstein, à cela près que Darmesteter se situe dans une optique strictement diachronique. diachronique INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 16/22 arrièrearrière-plan interdisciplinaire interdisciplinaire 7. Un arrièrearrière-plan ‘computationnel ‘computationnel’ computationnel’ à propos de la (non) régularisation des paradigmes flexionnels Quels sont les verbes les plus couramment employés en français ? ► En premier lieu être, être avoir, avoir aller, aller venir et faire. faire Quels sont les verbes du français les plus irréguliers dans leur paradigme de conjugaison ? ► Entre autres être, être avoir, avoir aller, aller venir et faire. faire Il semble donc y avoir une corrélation entre la fréquence d’emploi, particulièrement à l’oral, et l’irrégularité flexionnelle. On observe en outre que ces cinq verbes ont une large polysémie allant d’emplois pleinement prédicatifs à des emplois grammaticalisés, ex. Je suis arrivé / Il est muté ; J’ai J’ai fini le travail travail / J’ai J’ai à finir le travail ; Il vient de pleuvoir / s’il vient à pleuvoir ; Je vais vous rendre visite ; Je lui ai fait répéter la question. question La corrélation entre fréquence d’emploi, irrégularité flexionnelle et éventail d’emplois prédicatifs et grammaticaux s’explique par le fait que les verbes employés quotidiennement à différentes formes, même si ces formes sont très irrégulières (et quoi de plus irrégulier que je vais / j’allais / j’irai , formes d’un « même verbe » aller provenant de trois verbes latins différents, vadere, vadere *allare < ambulare et ire ?) la mémoire des formes et le rattachement de ces formes à un même lemme dans le lexique mental ne peuvent pratiquement pas être pris en défaut. Il en va bien sûr différemment pour des verbes d’usage moins fréquent, d’où par exemple les difficultés d’emploi de verbes tels que résoudre, résoudre ou émouvoir qui ont conduit les locuteurs à créer les verbes solutionner et émotionner. émotionner On peut tester cette corrélation en prenant comme critère de l’irrégularité flexionnelle le nombre de bases flexionnelles proposé par exemple par le manuel de conjugaison Bescherelle et comme critères de fréquence la fréquence semi-orale (sous-titres de films) délivrée par Lexique 3 et la fréquence littéraire délivrée par le Trésor de la Langue Langue Française. Française On représente dans un espace cartésien la fréquence en ordonnées et le nombre de bases flexionnelle en abscisses. L’hypothèse à tester est que la corrélation entre fréquence d’usage et irrégularité flexionnelle est plus marquée à l’oral qu’à l’écrit, ce que représente la figure ci-dessous : INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 17/22 Fréquence 4 semi-oral cinématographique 3 écrit littéraire 2 1 Nb de bases : 2 3 4 5 Le repérage du nombre de bases et des fréquences ne présente aucune difficulté technique et il serait intéressant de voir si, conformément à l’hypothèse proposée, les verbes dont le paradigme flexionnel présente un nombre élevé de bases sont plus fréquents en discours oral qu’en discours écrit littéraire (il est également possible d’introduire un troisième genre, celui des Essais & Traités, qui en général diffère sensiblement de celui des Romans dans la base FRANTEXT). INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 18/22 arrièrearrière-plan interdisciplinaire 8. Polysémie, ambiguïté lexicale et lexique mental La question de la délimitation entre polysémie et homonymie ne peut pas se poser de la même manière en linguistique et en psycholinguistique. En LINGUISTIQUE, elle concerne en premier lieu la LEXICOGRAPHIE, car il appartient aux lexicographes d’accorder un, deux ou plusieurs articles à une même chaîne graphique (ex. moule<n.m.> ≠ moule<n.f.>), les chaînes moule moule phonétiquement identiques mais graphiquement différenciées bénéficiant toujours d’articles distincts (ex. saut | sceau | seau | sot). sot La MORPHOLOGIE FLEXIONNELLE est également impliquée, puisque certaines chaînes graphiques sont des formes fléchies, ex. moule<v. mouler, Ind.prés.1Sg|3Sg>, mais dans ce cas la lexicographie moule n’en tient pas compte, car elle n’accorde le statut d’entrée entrée lexicale qu’à des lemmes (formes de base, l’infinitif pour les verbes). Traditionnellement les critères d’homonymie des lexicographes (appliqués par exemple dans le Grand et le Petit Robert et dans le Trésor de la Langue Française) sont a) la différence d’étymologie b) la différence de classe syntaxique (ex. N vs. Adj) c) la différence de genre pour les substantifs Toutefois leur application n’est pas évidente. ► Concernant la différence de classe syntaxique, la catégorie de « l’adjectif substantivé » ne donne pas généralement matière à dégroupement homonymique. Ainsi le propre figure généralement dans le même article que l’adj. propre. propre Pour l’afj. Politique on distingue habituellement entre les deux variantes de l’adjectif substantivé INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 19/22 le politique (≈ ce qui est politique / celui qui fait de la politique) et le substantif la politique, politique qui réclame un article indépendant (ce ce fait il est difficile de désigner une femme qui fait de la politique comme une politique). politique ► Concernant la différence de genre, elle correspond occasionnellement à une différence du type [±animé], ex. la cuisinière (agent féminin ou instrument). Faut-il dans ce cas 2 ou 3 articles, et comment les délimiter ? En fonction de l’opposition morphologique [±masculin] (article 1 : le cuisinier ; article 2 : la cuisinière<agent|instrument> ou en fonction de l’opposition sémantique [±animé] (article 1 : le cuisinier|la cuisinière cuisinière<agent> ; article 2 : la cuisinière<instr>) ? cuisinière cuisinière< ► Enfin, concernant la différence d’étymologie, il arrive que deux emplois d’une même chaîne graphique proviennent de deux étymons différents provenant eux-mêmes d’un étymon antérieur commun. Il semble que ce soit le cas pour le ou les verbes poster, poster l’un [mettre qn à un poste] provenant du participe passé du v. lat. ponere > positus par l’intermédiaire de l’it. posta d’où dérive une variante masculine posto, posto empruntée comme n. masculin : le poste, poste l’autre [confier un pli à la poste] ayant la même origine, par l’intermédiaire du n. féminin la poste emprunté à l’it. posta. posta Certains lexicographes ont introduit d’autres critères de dégroupement, en particulier pour les équipes de rédaction duj Dictionnaire du Français Contemporain (1966) et du Dictionnaire LEXIS de la langue française (1975, réédité en 2001) sous la direction de Jean Dubois a) la différence de type d’emploi : par ex. outre un dégroupement distinguant un verbe fumer issu du lat. fimus ≈ le fumier (1), ces dictionnaires dégroupent l’emploi intransitif s’appliquant à un phénomène géologique (2), ex. le volcan fume, fume l’emploi transitif avec pour objet une substance inhalée (3), ex. fumer du tabac brun ou un objet fabriqué en relation avec la substance inhalée, ex. fumer une cigarette, la pipe, pipe l’emploi transitif avec pour objet un comestible traversé par de la fumée (4), ex. fumer un jambon, un poisson, poisson et enfin l’emploi intransitif populaire (5), ex. Quand j’entends ça, je fume ! b) la différence de dérivation-composition lexicale : pour ce même verbe dégroupé fumer, fumer certains des dégroupements sont confortés par des dérivés-composés différents. Ainsi fumure est dérivé du verbe dans le INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 20/22 sens (1) fumerolle dans le sens (2), fumefume-cigarette dans le sens (3) et fumage fumage dans le sens (4). Mais un même dérivé peut aussi se rattacher sémantiquement à deux types d’emploi, c’est le cas de fumoir comme localisation dans les sens (3) et (4). En PSYCHOLINGUISTIQUE, PSYCHOLINGUISTIQUE la question se présente tout autrement, et il est utile de réfléchir à la manière dont le lexique mental peut traiter l’ambiguïté lexicale. Dans une activité de décodage, l’esprit du récepteur segmente une chaîne (par des blancs typographiques à l’écrit ou par une stratégie de segmentation des « mots phonologiques » à l’oral) sans nécessairement percevoir son ambigüité hors contexte. La notion centrale est celle d’ « accessibilité lexicale » et plus particulièrement sémantique. On peut imaginer un test (applicable sans instrumentation particulière) pour évaluer l’accessibilité entre deux emplois d’un mot polysémique ou ambigû : il s’agirait de proposer deux phrases contenant chacune un mot souligné (N, Adj, V, Adv) différent, mais tous deux synonymes d’un même mot caché. On demande au sujet de trouver le synonyme commun qui pourrait être substitué à chacun des deux mots soulignés dans chacun des deux contextes et on mesure (à l’aide d’un chronomètre) le temps mis par le sujet à accomplir cette tâche. Si le temps est relativement court (échelle à tester !) on supposera que les deux sens du mot caché sont aisément accessibles, s’il est long ou si l’exercice échoue, on en conclut que les deux sens sont relativement inaccessibles pour ce sujet particulier. Exemple : (1) Paul a obtenu un emploi intéressant grâce à son diplôme d’ingénieur. d’ingénieur (2) Le suspect a été conduit au commissariat de police. police (3) Vous trouverez les chiffres souhaités dans la rubrique des recettes de l’année. Le sujet A doit trouver (le le) le poste comme synonyme commun de emploi et commissariat (contextes 1≠2), le sujet B doit le trouver comme synonyme de emploi et rubrique (contexte 1≠3), et le sujet C doit le trouver comme synonyme de commissariat et rubrique (contextes 2≠3). En (1), emploi emploiposte désigne une activité, en (2), INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 21/22 commissariat commissariatposte poste désigne un lieu, en (3), rubrique rubriqueposte désigne une localisation dans un document de comptabilité. L’hypothèse est que le sujet A n’aura pas de peine à découvrir le synonyme commun parce que les deux sens se présentent fréquemment, en revanche les sujets B et C devraient avoir des difficultés à le trouver en raison de la faible fréquence du sens rubrique rubriqueposte, poste en dehors de la langue de spécialité comptable. Le tableau ci-dessous résume l’hypothèse. Mais il se peut qu’apparaissent des différences d’accessibilité entre (1≠3) et (2≠3). premier synonyme second synonyme hypothèse d’accessibilité motif emploi emploiposte (1) commissariat commissariatposte (2) rapide fréquence élevée comparable emploi emploiposte (1) rubrique rubriqueposte (3) lente fréquence faible de (3) commissariat commissariatposte (2) rubrique rubriqueposte (3) Il appartient aux intéressés de se lancer dans cette entreprise ! INTERLINGUA Nature vive sur fond de paysage animé 22/22