Réflexions sur la santé et le bien-être des élèves à l`école
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Réflexions sur la santé et le bien-être des élèves à l`école
Dossier Réussite éducative, santé et bien-être à l’école Réflexions sur la santé et le bien-être des élèves à l’école Hélène Romano Docteur en psychopathologie clinique, consultation spécialisée de psychotraumatisme CHU Henri-Mondor – Samu 94, 51, avenue du Maréchal-de-Lattre-de-Tassigny, 94000 Créteil, France Il y a comme un paradoxe de parler de santé et de bien-être des élèves à l’école. En effet, même si la plupart disent se sentir bien dans leur établissement, de très fortes inégalités entre enfants existent. Cela est fortement lié à la logique scolaire qui impose un modèle unique, compétitif et sélectif. Dans le cadre scolaire actuel, la santé d’un enfant n’est prise en compte qu’au seul regard de sa capacité infinie de production. Une école bienveillante est pourtant possible, si l’on veut bien considérer l’enfant comme un être à part entière, qu’il faut savoir écouter et valoriser. © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS Mots clés - échec scolaire ; écoute ; enfant ; psychiatrisation ; respect ; santé ; sujet de droit The health and wellbeing of pupils at school. It is somewhat of a paradox to talk about the health and wellbeing of pupils at school. Even if most of them say that they feel good at their school, there are significant inequalities between children. This is strongly linked to the school approach which imposes a single, competitive and selective model. In the current school context, the health of a child is only considered in terms of their infinite capacity to produce. A caring school is however possible, if we are willing to consider the child as a being in their own right, who must be listened to and made to feel recognised. 8 © 2014 Published by Elsevier Masson SAS Keywords - child; health; listening; psychiatrisation; respect; school failure; subject of law D e février à juillet 2013, l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance) France a effectué une consultation auprès de plus de 22 000 enfants et adolescents âgés de 6 à 18 ans [1]. Via une plateforme de consultation en ligne, les jeunes pouvaient répondre à un ensemble de questions relatives à leur vie quotidienne. Ces 133 questions étaient organisées selon quatre grands domaines : “J’ai des droits” ; “Ma vie de tous les jours” ; “Mon éducation, mes loisirs” ; “Ma santé”. Les résultats se sont révélés très riches (encadré 1). L’enfant, un être à part entière Adresse e-mail : [email protected] (H. Romano). Cette enquête nous rappelle que l’enfant n’est pas un “mollusque décérébré”… Certes, au début le cerveau d’un petit bébé n’est pas celui d’un adulte ; il ne lui permet pas de parler, de comprendre comme un adulte mais cela ne signifie pas qu’il ne pense pas, ne s’exprime pas, ne comprend pas, à son niveau à lui, avec ses propres ressources. Ce bébé, nourri par un environnement protecteur, aimant, valorisant et rassurant, va se construire et devenir grand. J J Cette étude nous rappelle que l’enfant pense ; même à 6 ans, il est capable d’exprimer © 2014 Publié par Elsevier Masson SAS http://dx.doi.org/10.1016/j.revssu.2014.08.006 avec ses propres mots (souvent de façon corporelle ou avec un babil infantile) son ressenti. Pour se construire positivement, bien grandir (dimension psychique et somatique), tout enfant a besoin des autres et tout particulièrement d’adultes auprès de lui et que tout environnement précaire (au niveau psychique) peut hypothéquer son devenir. S’il ne rencontre pas de tuteurs de développement et transitionnels, de personnes ressources, il restera seul, face à lui-même (ses angoisses, ses interrogations, ses théories), face à l’autre (qui ne le comprend pas, qui ne le reconnaît pas, qui ne s’adapte pas à ses besoins), face au monde (perçu inévitablement comme hostile et à risque). J J Si les répercussions des négligences au niveau des soins somatiques ont des incidences aujourd’hui bien connues sur le développement neuro-développemental du bébé, de l’enfant et de l’adolescent, la reconnaissance des conséquences de la précarité psychoaffective reste méconnue. Les représentations restent trop souvent figées sur un modèle assorti d’une théorie sur la répétition inéluctable de ce désastre d’une génération à l’autre : parents sans emploi, pauvres, sans ressources La revue de santé scolaire & universitaire ● Septembre-Octobre 2014 ● n° 29 Réussite éducative, santé et bien-être à l’école éducatives, avec un mauvais niveau scolaire, vecteurs de maltraitances et négligences de toutes sortes. J J Or, la réalité clinique nous témoigne de la fausseté de cette croyance : la précarité psychoaffective parentale n’est pas corrélée au niveau de ressources économiques de la famille. Combien d’enfant, dont les parents appartiennent aux catégories socioprofessionnelles favorisées (PCS+1) [2], couverts de cadeaux, envahis par les dernières technologies, nous disent l’abandon affectif dans lequel ils se trouvent ? En moyenne, les collégiens expliquent parler moins de 10 minutes par jour à leurs parents, hors écran, alors qu’ils passent en moyenne plus de 5 h par jour (de classe) derrière les écrans. À ces déprivations, les adolescents peuvent répondre par l’usage d’alcool, de drogue, des pratiques dangereuses. L’enfant est un sujet Certains parents devraient comprendre que les enfants ne sont pas nécessairement valorisants et gratifiants, et qu’il ne faut pas les désinvestir dès qu’ils ne “conviennent” plus. Ainsi, ce bébé virtuel des échographies 3D, devenu bébé réel, pleurera la nuit, aura des besoins spécifiques auxquels il faut s’adapter. Il va grandir et bientôt chausser du 43, regarder les parents de haut et leur rappeler qu’ils sont d’une “autre époque”. Certains parents sont alors perdus. J J Être parent engage, pour toute la vie, pour le meilleur et pour le pire. C’est une expérience dense, riche, source de multiples bonheurs et de moments difficiles, de souffrance. Le niveau d’exposition est très variable. Un enfant, son enfant mais aussi ceux dont il serait amené à s’occuper, confronte tout adulte à ses qualités, peut révéler le meilleur de lui-même mais l’expose aussi à ses failles. Tout parent doit continuellement élaborer le décalage entre le bébé rêvé et celui de la réalité, entre l’enfant, l’adolescent imaginé et celui qui « s’oppose pour mieux se poser », comme nous le rappelait Philippe Jeammet. J J L’enfant n’est pas un adulte en miniature, c’est une personne certes, mais en devenir. Il ne devrait pas être l’objet d’enjeux politiques ou entre l’école et les parents. L’enfant est un sujet de droit L’enfant est un sujet de droit. Au niveau international de multiples textes existent, mais au niveau national, la reconnaissance de l’enfant en tant que sujet n’existe pas. J J La logique judiciaire a été conçue pour les adultes et la logique pénale pour les auteurs : où est l’enfant dans cela ? Le terme n’apparaît pas ; la Dossier Encadré 1. Principaux résultats de la consultation nationale des 6-18 ans 2013 [1] J J Unicef France constate que le cadre scolaire ne semble pas oppressant pour la grande majorité des répondants : 93 % affirment se sentir bien à l’école, au collège ou au lycée, 91 %, en sécurité. J J L’école semble aussi être le lieu de l’apprentissage de la cordialité dans les échanges : 95 % estiment y apprendre à respecter leurs camarades et les adultes ; 93 % disent y apprendre à grandir et à préparer leur vie d’adulte. On serait donc tenté de dire que l’école remplit parfaitement sa mission pour plus de 9 enfants sur 10. J J Derrière cette réalité positive se cache une importante minorité d’enfants pour lesquels l’école est un lieu de violence et de souffrance : 10 % des élèves interrogés se disaient victimes de harcèlement physique à l’école. Certaines conditions sont sources de pénibilité pour une frange non négligeable d’entre eux. Ils sont, par exemple, 72 % à avouer que leur journée est trop longue et qu’ils sont fatigués dans l’aprèsmidi. De même, 28 % rapportent qu’ils mettent plus d’une demiheure pour se rendre à l’école, au collège ou au lycée le matin. Près d’un enfant sur cinq (17 %) se ressent en situation d’exclusion sociale, dont près de 7 % en extrême exclusion. J J D’autres constats peuvent être tirés : • de très fortes inégalités entre enfants ; • l’importance des écrans dans leur quotidien ; • le sentiment de ne pas être suffisamment respectés des adultes comme de leurs pairs ; • le niveau élevé d’exposition à la violence quotidienne ; • l’importance de leur niveau d’exposition aux risques addictifs ; • la corrélation entre les différents niveaux d’intégration : sociale, scolaire, économique, médicale. justice n’envisage que les “mineurs”, sans aucune prise en compte des spécificités développementales de l’enfant et plus encore des enfants victimes. Où est l’attention portée à ce qu’est un enfant (dans ses capacités langagières, développementales et de compréhension) quand des auditions s’ajoutent à des expertises et autres signalements ? Quand sa parole est mise en doute a priori (depuis l’affaire d’Outreau) ? Quand les procédures durent des années ? J J L’enfant n’est pas sujet de droit mais objet du droit. Chaque enfant est riche de sa différence ; chacun d’entre eux devrait avoir la même valeur, les mêmes droits et en premier lieu celui d’être reconnu et considéré en tant que sujet ; d’être protégé, rassuré et réconforté pour lui donner la confiance en lui et en l’autre. La violence des passages à l’acte (souffrance des liens à l’autre, transgression, violences de toutes sortes) est à la hauteur du désastre abandonnique qu’ils subissent. La revue de santé scolaire & universitaire ● Septembre-Octobre 2014 ● n° 29 9 Dossier Réussite éducative, santé et bien-être à l’école Point de vue de George Pau-Langevin 10 Réussite éducative, santé, bien-être J J Pourtant, l’attention portée aux enfants a changé, en particulier en milieu scolaire dans les classes (tenues, cartables, apports entre parents et enseignants, modalités d’autorité entre élèves et professeurs) ; de façon générale toute la société a changé. Nous sommes désormais dans une société où l’écran est venu révolutionner le rapport intersubjectif source de reconnaissance d’un sujet à l’autre : désormais l’altérité, cette reconnaissance de l’autre qui humanise, passe par les écrans. Les enfants et les ados communiquent : en famille, sur le trajet, à la cantine, aux intercours, parfois en cours. Il ne s’agit pas de diaboliser les écrans, mais d’éduquer aux images les jeunes, mais aussi (et surtout ?) leurs parents. délégué à la Réussite éducative affirme la qualité de l’expérience et de la vie sociale à l’école. Les interactions qui lui sont associées sont essentielles pour l’acquisition de compétences globales, mais aussi pour la capacité à apprendre avec les autres. La réussite éducative s’appuie sur une vision systémique de l’école, bienveillante, accueillante et inclusive. Elle entend faire la preuve que promotion du bien-être des élèves et réussite de tous, loin d’être inconciliables, se renforcent mutuellement pour être un facteur essentiel de meilleurs résultats scolaires. Cette politique ambitieuse, qui concourt à la refondation de l’école passe également par de multiples transformations en termes d’évolution pédagogique, d’évaluation des élèves, d’organisation spatiale et temporelle de l’école, de liens avec les acteurs de la réussite éducative. La bienveillance scolaire et les exigences scolaires contribuent pleinement au capital humain et social des générations futures. Le bien-être à l’école est donc un bien commun qu’il faut exiger pour nos enfants. ©www.gouvernement.fr « La réussite éducative se définit comme une recherche du développement harmonieux de l’enfant et du jeune. Elle excède la seule réussite scolaire puisqu’elle la concilie avec l’épanouissement personnel et la relation aux autres. Elle apporte donc une complémentarité indispensable et essentielle pour les élèves. Elle permet l’articulation de tous les temps de l’enfant et du jeune et vise à leur donner les moyens de s’intégrer pleinement dans la société. […] Elle se réfère aux valeurs et objectifs de la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989. » J J La définition que les acteurs donnent de la réussite éducative et qui figure au préambule du Pacte pour la réussite éducative que nous avons signé en octobre 20131 avec différents ministères, associations d’élus et associations d’éducation populaire, fait de la question du bien-être à l’école un enjeu de première importance. Personne ne l’ignore aujourd’hui et de nombreuses évaluations nationales et internationales sont venues nous le rappeler, notre système scolaire ne résout pas les incidences scolaires des inégalités sociales. Ce phénomène se traduit pour une partie de nos concitoyens par une baisse de confiance en notre école. Face à ces difficultés, il peut apparaître superflu de parler de bien-être et pertinent de recentrer notre école sur sa mission que d’aucuns jugent première, celle de la transmission des savoirs. J J La politique animée par le ministère George Pau-Langevin Ancienne-ministre déléguée chargée de la Réussite éducative 1 www.education.gouv.fr/cid74464/pacte-pour-la-reussite-educative. html 2 Éditorial du 31 mars 2014. Colloque de l’Afpssu. J J La logique scolaire est paradoxale car derrière la volonté bienveillante d’être une école pour tous, elle a imposé un modèle unique : celui privilégiant l’esprit mathématique, et ainsi la compétition au sein d’établissements sélectifs. L’Éducation nationale a une histoire : celle où l’élève était à contrôler, cadrer, éduquer, dresser, formater et avec un rapport persécutif à l’enfant. S’il n’y a plus de bonnet d’âne, de coup de règles sur les mains, n’y a-t-il pas une autre forme de violence, dans le discours paradoxal que notre société tient ? J J Ainsi, jamais la question de la santé des élèves n’a été aussi prioritaire : mais il y a peu de moyens pour valoriser la médecine scolaire. Les médecins scolaires se raréfient, et se voient comme les infirmiers, assistants-sociaux (AS), psychologues et La revue de santé scolaire & universitaire ● Septembre-Octobre 2014 ● n° 29 Réussite éducative, santé et bien-être à l’école Dossier L’Unicef France et le bien-être des enfants à l’école J J Créée en 1946, l’Unicef (Fonds des Nations unies pour l’enfance) est l’agence des Nations unies chargée de la protection des enfants dans le monde, en particulier des plus vulnérables. Guidé par la Convention internationale des droits de l’enfant, l’Unicef a pour mandat de défendre les droits des enfants et de les aider à survivre et à s’épanouir, de leur plus jeune âge jusqu’à la fin de l’adolescence. Créée en 1964, Unicef France est une association à but non lucratif (loi 1901), reconnue d’utilité publique. J J Les droits de l’enfant soulèvent des questions importantes concernant les relations que l’enfant tisse avec son environnement. Cela interroge notamment la relation pédagogique et la place que chacun – enfants comme adultes – y trouve. Fondées sur le respect et la dignité de chacun, les méthodes pédagogiques et, plus largement, le système éducatif, doivent permettre à l’enfant non seulement de comprendre, mais également de mettre en œuvre ses droits. Elles doivent également offrir à l’ensemble de la communauté éducative les conditions d’un climat scolaire propice à l’enseignement et à l’apprentissage. J J L’intérêt d’une éducation fondée sur les droits réside notamment dans une approche globale de l’école. Ainsi, les enseignants et l’ensemble des acteurs de la communauté éducative sont invités à prendre en compte des sujets tels que : • une éducation centrée sur l’enfant ; • la constante évolution des capacités des enfants ; • l’apprentissage par la participation ; • le rôle de l’enseignant comme animateur d’apprentissage ; • les droits des enfants, y compris le principe de la non-discrimination ; conseiller d’orientation-psychologue (COP), mais aussi enseignants face à des missions qui ne cessent de s’ajouter, entraînant une confusion sur les valeurs, la reconnaissance, l’identité même des professionnels. Comment, alors, inscrire la santé des élèves comme priorité ? Depuis des années, les plans ministériels se sont multipliés (nous en sommes au quatorzième), pour le bien-être de l’enfant à l’école. Pour 80 % d’entre eux, des partenariats avec le ministère de l’Intérieur • les formes positives de discipline et de gestion de classe ; • l’enseignement dans un environnement inclusif ; • la participation des enfants dans toutes les sphères de l’environnement éducatif. J J Un programme mené par l’Unicef au Royaume-Uni et basé sur une approche fondée sur les droits a permis de démontrer que : • un enfant informé de ses droits est plus enclin à respecter ceux d’autrui, enfants comme enseignants ; • cette approche est un facilitateur pédagogique pour les enseignants grâce à l’universalité et l’incontestabilité des droits ; • engagés dans une pédagogie plus impliquante, les enfants retrouvent le plaisir d’apprendre et les enseignants, celui d’enseigner ; • le programme contribue à l’amélioration du climat scolaire, des résultats des élèves, à une diminution de l’absentéisme… ; • impliquer les enfants et les jeunes dans des projets citoyens ou solidaires, individuels ou collectifs, c’est contribuer à leur autonomisation et cela les prépare à une citoyenneté active. J J Ainsi, cette approche assoit une culture partagée, l’estime de soi de l’individu, les actions en faveur de la participation, des relations apaisées, l’amélioration des méthodes pédagogiques, pour une éducation à la citoyenneté mondiale. C’est en impliquant les élèves dans la construction de leurs apprentissages et de la vie scolaire que l’école pourra favoriser le bien-être, la construction de l’estime de soi, l’épanouissement et la réussite de chacun. Déléguée Unicef France ont été signés, mais aucun avec le ministère de la Santé. Interdire de fumer, de boire, d’avoir des rapports sexuels exposés à l’aune du Code pénal et des sanctions encourues n’a aucune utilité. Cette logique institutionnelle rassure les responsables, mais ne fait aucun sens pour les élèves. Pour qu’ils s’approprient l’information, il faut qu’ils la comprennent. J J Dans le cadre scolaire actuel, la santé d’un enfant n’est prise en compte qu’au seul regard de sa La revue de santé scolaire & universitaire ● Septembre-Octobre 2014 ● n° 29 11 Dossier Références [1] Paugam S, Giorgetti C. Écoutons ce que les enfants ont à nous dire. L’intégration sociale des enfants : de fortes inégalités. Consultation nationale des 6-18 ans. Paris: Unicef France; 2013. http://www.unicef.fr/userfiles/ UNICEF_France-Rapport_ complet-consultation.pdf [2] http://www.insee. fr/fr/methodes/default. asp?page=definitions/nomenclprof-cat-socio-profes.htm [3] Winnicott DW. La mère suffisamment bonne. Paris: Payot; 2006. 12 Réussite éducative, santé et bien-être à l’école capacité infinie de production et plus particulièrement de sa production écrite. L’institution a oublié la question de la singularité et du développement de l’enfant. Elle a dénié le fait que la valeur d’un enfant n’est pas corrélée à sa performance, sa rentabilité, ses résultats scolaires et plus précisément à sa moyenne en mathématiques. Élèves et enseignants subissent le formatage et la contention pédagogique déterminés par les programmes, excluant les détours, la prise de risque, l’erreur, l’imagination et la créativité de chacun. Quelle place pour la singularité de l’enfant ? Pour ses failles, ses périodes de doutes et ses blessures ? Le respect de l’enfant et la transmission qui lui est faite du respect de l’autre sont des règles, n’ont aucun sens lorsqu’ils sont appliqués avec la logique adulte. J J Toutes les manifestations de souffrance (dépression, agression, décrochage, violence autoagressive comme hétéroagressive) de l’enfant ne sont interprétées que sur le seul registre judiciarisé et judiciarisant. Le suicide est la deuxième cause de mortalité chez les jeunes et les suicides chez les moins de dix ans ne cessent d’augmenter, de même que les pratiques dangereuses (jeux d’agression, “biture” express, jeux du foulard). Ainsi, 40 % des élèves sont en situation d’échec, 25 %, de situation d’échec en général et 30 %, d’abandons scolaires pour les 15-17 ans. Pour prétendre prendre en compte cette souffrance, il n’y a que trop peu de partenariats et de moyens dédiés en pédiatrie, médecine scolaire, pédopsychiatrie (pourquoi n’existe-t-il pas des équipes mobiles de santé ?). En cas de difficultés, un élève n’a qu’une alternative : la judiciarisation vs psychiatrisation (conseil de discipline, action éducative en milieu ouvert [AEMO], méthylphénidate (Ritaline®) pour un élève agité). J J L’écoute nécessite du temps, or il faut toujours tout faire plus vite. La société de consommation est devenue une société où la logique comptable a pris la place de la logique soignante, où le plaisir d’apprendre est remplacé par la logique de la performance (classement PISA). Les inégalités n’ont jamais été aussi fortes. Une institution bientraitante Déclaration d’intérêts L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relation avec cet article. J J Pour instaurer un climat de bien-être, il faut écouter l’enfant, non pas comme un double de nous-même, non pas en y projetant nos désirs ni en le diabolisant, mais en s’ajustant à lui, en l’envisageant dans toute sa richesse, sa complexité et cette force de créativité qu’il nous renvoie. Écouter, c’est prendre le temps de créer un lien humanisant qui l’aide à faire face et lui évite de sombrer lorsqu’il y a rupture avec la réalité. J J Écouter l’enfant c’est se mettre à son niveau et non plus dans un savoir vertical ; l’injonction éducative montre aujourd’hui toutes ses limites. Construire une école « suffisamment bonne » selon l’expression de Donald W. Winnicott [3], c’est véritablement engager un bouleversement des représentations actuelles au sujet de l’enfant et de l’adolescent. Ce cadre scolaire bientraitant, respectueux de la dynamique individuelle de chaque élève ne signifie pas un espace sans limite et sans contrainte. Pour grandir, l’enfant a besoin d’interdits, de s’opposer pour s’autonomiser et de limites pour tester la présence rassurante des adultes. Une institution bientraitante qu’il s’agisse d’écoles, de structures socio-éducatives ou soignantes, est un espace où la loi et l’autorité existent de façon cohérente ; où les règles comme leurs transgressions peuvent être reconnues, nommées explicitement et décryptées ; où des projets se construisent avec des repères symboliques expliqués aux élèves et adaptés à chacun. Mais cela ne peut se penser sans soutenir ceux qui sont là pour prendre soin de lui et les restaurer dans leurs compétences (les parents en premier, mais également les enseignants et l’ensemble des professionnels de l’enfance). Pour cela, il nous faut changer notre regard sur l’enfant, apprendre à l’écouter. J J La vie peut être difficile, rude, pleine d’épreuves et pour certains remplie de souffrance, de désespoir voire d’horreurs, mais elle peut aussi être belle, faite de bonheurs et de rencontres. Si nous ne regardons pas l’avenir avec optimisme, ni les enfants d’aujourd’hui avec confiance, comment peuvent-ils avoir confiance en eux, en nous ? Comment peuvent-ils espérer un avenir possible ? De cette attention, nous pourrons lui proposer un lien protecteur, rassurant qui lui donnera confiance en lui et en l’avenir. Un avenir où il aura sa place et pas uniquement celle que les adultes auront bien voulu lui laisser, un avenir où les plus vulnérables sont réellement protégés, où l’adulte ne se laissera pas prendre sa place par les écrans, où les parents auront retrouvé confiance en l’école, où l’école sera un lieu de plaisir, de bonheur et de rêve. • La revue de santé scolaire & universitaire ● Septembre-Octobre 2014 ● n° 29