The Hours Abandons particuliers et détresses singulières

cinéma
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The Hours
Abandons particuliers
et détresses singulières
On ne ressort pas indemne de ces heures passées
en compagnie de trois femmes qui ressentent la vie
comme trop incertaine, trop implacable. Le mane ne connaissais pas le roman qui a inspiré le film, et je ne vais pas me risquer à sa lecture dans l’immédiat. Je vais d’abord aller revoir ce film dense, fluide et bouleversant. Cette deuxième réussite de Stephen Daldry, qui
avait déjà prouvé dans “Billy Elliott” la qualité de sa direction d’acteurs et la
précision de sa mise en scène, laisse entrevoir un brillant avenir pour ce réalisateur. Un seul exemple : Nicole Kidman. Cette “star”, qui jusqu’ici n’avait
selon moi jamais réussi le moindre film, se dissout à merveille dans le personnage de Virginia Woolf. Physiquement, tout d’abord, puisqu’on peine à
la reconnaître. Dans ses mouvements ensuite, rares et délicats, comme ceux
d’une personne qui craindrait de bouleverser l’équilibre de tout ce qui l’entoure. Dans ses yeux enfin, où gît une mélancolie aggravée. Pour la première fois, elle parvient à s’oublier dans un rôle humble et fragile.
J
que de malléabilité de leur quotidien, cette impression permanente de n’être qu’une marionnette
malhabile, les contraint à porter un masque pour
faire bonne figure dans la société qui les entoure.
Un masque que leur volonté souhaite déchirer,
mais qu’elle ne peut qu’effriter. Frédéric Lorge
Récapitulons. Julianne Moore est une mère classique dans l’Amérique des années cinquante. Vivant à Los Angeles, elle est mariée à un homme simple mais
profondément ennuyeux ; elle attend avec anxiété son deuxième enfant, avec
la désagréable impression permanente de s’être trompée de vie. Nicole Kidman
est Virginia Woolf, romancière anglaise installée dans le Richmond. En proie
à une dépression chronique, elle a déjà tenté de se suicider, et entend régulièrement des voix qui l’empêchent de se consacrer pleinement à l’écriture. Nous
la rencontrons en 1932. Meryl Streep est une femme de la quarantaine, vivant
à New-York en 2001. Ces trois femmes, l’espace d’une journée, vont bouleverser le cours de leur vie, que ce soit en pensée ou en action. Ces trois esprits
inclassables ressentent un mal-être diffus, et refusent de fuir leurs angoisses,
même si elles leur concèdent régulièrement d’amères défaites.
Il n’y a pas dans ce film de leçons particulières. Ni de conseils à méditer. Juste
le constat que malgré les apparences, nous flirtons bien souvent avec le sentiment d’être passé à côté de nos vies. Qu’une simple histoire d’amour peut encore contrecarrer nos envies de sérénité vingt ans plus tard. Que toutes les femmes ne sont pas faites pour être mères. Que nos cerveaux sont parfois bien fragiles, faisant se côtoyer l’angoisse et le génie. Le génie qui n’est jamais qu’une
façon singulière et personnelle de reconsidérer l’ordre établi. La raison pour laquelle ce film est important, la voici. Il ose, car il faut bien oser, mettre en doute les apparences, les sourires d’apparat. Il montre le suicide comme un choix
d’autonomie et non comme une malédiction, une erreur insensée. Il gifle nos
conseils et nos suppositions et nous démontre que nul autre que les personnes
concernées ne savent ce qui est bon pour elles. Il nous incite à aimer, sincèrement, profondément, sans jamais, jamais considérer l’amour comme un acquis et un boomerang. Mais plus que tout, ces minutes précieuses et incertaines
nous font considérer nos vies comme d’irremplaçables étoiles filantes.
■
The Hours, une entité vivante de Stephen Daldry, d’après
le roman homonyme de Michael Cunningham. Avec
Julianne Moore, Nicole Kidman, Meryl Streep, Ed Harris,
Claire Danes.
axelle 58 • avril 2003