Précisions sur le délai de forclusion dans la vente en l`état

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Précisions sur le délai de forclusion dans la vente en l`état
Revues
Lexbase La lettre juridique n˚619 du 2 juillet 2015
[Contrats] Jurisprudence
Précisions sur le délai de forclusion dans la vente en l'état
futur d'achèvement
N° Lexbase : N8166BUY
par Solène Ringler, Maître de conférences à l'Université de Valenciennes et du Hainaut-Cambrésis, (IDP EA 1384)
Réf. : Cass. civ. 3, 3 juin 2015, n˚ 14-15.796, FS-P+B+I (N° Lexbase : A9224NIH)
Dans un arrêt pédagogique du 3 juin 2015 promis à une large diffusion, la troisième chambre civile de la
Cour de cassation apporte des précisions sur le régime juridique des défauts de conformité apparents
dans la vente d'immeuble à construire, ce faisant, elle se prononce enfin sur l'application de l'article 2239
du Code civil (N° Lexbase : L7224IAS) aux délais de forclusion. Si les incertitudes se dissipent sur les délais
préfix, cet arrêt suscite de nouvelles interrogations sur l'articulation entre suspension de la prescription et
interruption de la forclusion (Cass. civ. 3, 3 juin 2015, n˚ 14-15.796, FS-P+B+I ; cf. l'Encyclopédie "Contrats
spéciaux" N° Lexbase : E2318EYI).
En l'espèce, un appartement en l'état futur d'achèvement est livré le 17 décembre 2007. L'acquéreur émet des
réserves dans le procès-verbal de réception de par l'existence d'un certain nombre de désordre apparents. Ces
dernières n'ayant pas été levées, le nouveau propriétaire sollicite un référé-expertise. Un expert est désigné par
ordonnance du 7 avril 2009. Suite au dépôt du rapport, l'acquéreur assigne son cocontractant aux fins d'indemnisation pour les défauts de conformité apparents constatés sur l'immeuble. Dans un arrêt du 13 février 2014, la cour
d'appel de Montpellier (CA Montpellier, 13 février 2014, n˚ 11/07 946 N° Lexbase : A1986MEB) ne lui donne pas satisfaction, déclarant l'action prescrite. L'acquéreur se pourvoit alors en cassation. Il fait valoir qu'en vertu de l'article
2239 du Code civil, la prescription est suspendue lorsque le juge fait droit à une demande de mesure d'instruction
présentée avant tout procès. Dès lors, le délai recommence à courir, pour une durée qui ne peut être inférieure à
six mois, à compter du jour où la mesure a été exécutée. Par conséquent, ayant agi à la suite du dépôt du rapport
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d'expertise, l'acquéreur estime qu'il est recevable à agir. Ce dernier estime, en outre, que l'action en responsabilité contractuelle d'un bien en l'état futur d'achèvement se prescrit par cinq ans à compter de la manifestation du
dommage. Il ne se heurtait donc pas à la prescription de son action.
Dans cet arrêt, la Cour de cassation est amenée à préciser le régime juridique de l'article 2239 du Code civil, lequel
ne saurait s'appliquer à l'action en réparation des désordres apparents constatés sur l'immeuble acheté en l'état
futur d'achèvement. Par voie de conséquence, la Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l'acquéreur. Elle
indique que le délai d'action édicté par l'article 1648 du Code civil (N° Lexbase : L9212IDK) étant d'ordre public,
l'acquéreur aurait dû assigner au fond, dans l'année suivant le prononcé de l'ordonnance, soit au plus tard le 7 avril
2010. En effet, le délai d'action en garantie des désordres apparents est prescrit à peine de forclusion et non de
prescription. Au surplus, les juges rappellent que le régime spécial de la vente en l'état futur d'achèvement exclut
l'application des règles de droit commun de la responsabilité civile contractuelle.
La vente en l'état futur d'achèvement (VEFA) consiste à vendre sur plans des bâtiments non encore édifiés. Le
vendeur transfert la propriété du terrain et celle des immeubles y afférents au fur et à mesure de leur édification, en
contrepartie de quoi, l'acquéreur effectue des versements proportionnellement à l'avancée des travaux (1). A l'égard
de l'acquéreur, le vendeur d'un immeuble à construire est tenu des mêmes responsabilités que le constructeur. Outre
la responsabilité contractuelle de droit commun qui ne joue qu'un rôle résiduel, le vendeur garantit les dommages de
nature biennale et décennale qui apparaissent postérieurement à la réception. Les défauts de conformité apparents
donnent également lieu à réparation lorsqu'ils ont été réservés dans le procès-verbal de réception. Une fois les
défauts dénoncés, l'acquéreur dispose d'un délai de un an pour agir en justice afin d'obtenir l'indemnisation de
son préjudice. La jurisprudence ne semblait pas vraiment fixée jusqu'alors sur le régime juridique applicable aux
défauts de conformité apparents et plus précisément sur délais de prescription de l'action. Cet arrêt est l'occasion de
mettre un terme aux hésitations quant à l'application de l'article 2239 du Code civil aux délais de forclusion (I). Cette
solution s'étend à l'ensemble des garanties et responsabilités dues par le constructeur, elle laisse, en revanche, un
certain nombre de question en suspens (II).
I — Le délai d'action en garantie des désordres apparents insusceptible de suspension
La vente en l'état futur d'achèvement bien que qualifiée de vente, emprunte une partie de son régime juridique
au contrat d'entreprise. L'acquéreur peut donc se prévaloir des mêmes actions et garanties que celles dues par le
constructeur (A), à condition d'agir dans les délais impartis (B).
A — Le fondement de la garantie des défauts de conformité apparents
La spécificité de la VEFA provient de la nature même de ce contrat qui mêle vente et opération de construction. Lors
de la conclusion du contrat, le vendeur transmet immédiatement la propriété du terrain et progressivement celle des
constructions. Les dispositions relatives au régime juridique de la VEFA renvoient aux articles 1792 (N° Lexbase :
L1920ABQ) à 1792-3 (N° Lexbase : L6350G93) du Code civil, relatifs à la responsabilité des constructeurs en
matière de louage d'ouvrage. L'acquéreur peut donc agir sur ce fondement à l'encontre de son cocontractant des
responsabilités biennale et décennale. L'article 1642-1 du Code civil (N° Lexbase : L8942IDK) lui permet également
d'invoquer les vices et défauts de conformité apparents. Au jour de la conclusion du contrat, l'acquéreur ne saurait
déceler l'existence d'éventuels désordres dans la mesure où l'immeuble n'est pas encore construit. Une fois celui-ci
érigé et les défauts révélés, il lui est possible d'engager la responsabilité de son cocontractant. Le degré de gravité
des désordres apparents n'est pas pris en compte par la jurisprudence, il suffit qu'ils soient ostensibles et puissent
être décelés après un examen attentif par un non-professionnel (2). L'action en garantie prévue par l'article 1642-1
du Code civil ne peut être exercée que si les vices ou défauts de conformité ont été dénoncés lors de la réception
des travaux ou bien à l'expiration du délai de un mois après la prise de possession de l'immeuble par l'acquéreur (3).
A ce titre, le droit de la construction constitue une dérogation au droit commun puisque l'article 1642 du Code civil
(N° Lexbase : L1744AB9) dispose "le vendeur n'est pas tenu des vices apparents dont l'acheteur a pu se convaincre
lui-même".
Dans sa rédaction antérieure à la loi du 25 mars 2009 (4), l'article 1642-1 du Code civil ne régissait que les seuls
vices apparents et ne comportait aucune disposition relative aux défauts de conformité. En l'absence de disposition spécifique, ces derniers étaient sanctionnés par le droit commun de la responsabilité contractuelle. La Cour
de cassation énonçait d'ailleurs "les défauts de conformité, même apparents, relèvent du régime de la responsabilité contractuelle et de la prescription de droit commun" (5). En l'espèce, l'acquéreur entendait se prévaloir de
l'article 1147 du Code civil (N° Lexbase : L1248ABT) afin d'obtenir réparation. Or, depuis la loi du 25 mars 2009,
le nouvel article 1642-1 inclut les défauts de conformité apparents dans le champ d'application de la garantie spéciale qu'il édicte (6). En matière de construction, la responsabilité contractuelle de droit commun, et partant, le
délai de prescription décennal de l'article 1792-4-3 (N° Lexbase : L7190IAK) dirigé à l'encontre des constructeurs
et leurs sous-traitants, ne conserve qu'un rôle résiduel. En l'occurrence, la troisième chambre civile rappelle que
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l'article 1147 du Code civil n'a pas vocation à s'appliquer puisque le vendeur d'un immeuble à construire ne peut
être tenu à garantie des désordres apparents, au-delà des limites résultant des dispositions des articles 1642-1 et
1648 (N° Lexbase : L9212IDK) du Code civil. Ce dispositif est d'ordre public, de sorte qu'il exclut les règles de droit
commun relatives à la responsabilité contractuelle.
B — L'inapplicabilité de l'article 2239 du Code civil
Aux termes de l'article 1648 du Code civil, l'action en garantie des défauts de conformité apparents doit être introduite dans l'année qui suit le plus tardif des deux événements suivants : la réception des travaux, avec ou sans
réserves, ou l'expiration d'un délai d'un mois après la prise de possession par l'acquéreur (7). La dénonciation des
défauts constitue un pré-requis afin d'agir à l'encontre du vendeur. En l'espèce, l'acquéreur avait sollicité une mesure
d'expertise en référé et assigné son cocontractant dans l'année suivant le dépôt du rapport de l'expert. Il respectait
ainsi les dispositions de l'article 2239 du Code civil (N° Lexbase : L7224IAS) selon lequel le délai de prescription est
suspendu lorsque le juge faire droit à une demande d'instruction présentée avant tout procès. Ce délai ne recommence à courir qu'à compter du dépôt du rapport pour un délai qui ne peut être inférieur à six mois. Ces dispositions
se veulent très favorables pour l'acquéreur qui dispose du temps nécessaire pour prendre connaissance du rapport
d'expertise et ainsi statuer sur l'opportunité d'assigner son cocontractant au fond. La Cour de cassation condamne
ce raisonnement. Elle indique, pour la première fois que, "la suspension de la prescription prévue par l'article 2239
du Code civil n'est pas applicable au délai de forclusion". Par conséquent, le délai de un an pour agir en garantie
des défauts de conformité apparents ne saurait faire l'objet de suspension dans la mesure où il s'agit d'un délai
préfix.
La troisième chambre civile dissipe ainsi les incertitudes pesant sur l'application de l'article 2239 du Code civil aux
délais de forclusion. En l'absence de précision dans la lettre du texte, les juges du fond ont admis à plusieurs
reprises, la suspension d'autres délais de forclusion tels que de la responsabilité biennale des constructeurs (8) ou
encore pour la garantie de parfait achèvement (9). Ces arrêts, certes favorables à l'acquéreur, engendraient une
certaine confusion quant à la nature des délais d'action. En l'espèce, la Cour de cassation délivre une solution en
conformité avec la formulation du Code civil. En effet, l'article 2220 du Code civil (N° Lexbase : L7188IAH) exclut les
délais de forclusion du champ d'application des règles relatives à la suspension de la prescription, pour autant qu'il
n'existe pas de disposition législative contraire. Dès lors, le délai préfix d'un an pour agir en garantie des désordres
apparents ne souffre d'aucune suspension consécutive à une demande d'instruction présentée avant tout procès.
Si le délai d'action en garantie de défauts de conformité apparents ne peut être suspendu, il peut, en revanche,
faire l'objet d'une interruption.
II — Le délai d'action en garantie des désordres apparents susceptible d'interruption
La demande d'expertise formulée par l'acquéreur influe sur le cours du délai de forclusion. En effet, celui-ci est
susceptible d'interruption (A). Si les précisions apportées par l'arrêt sont salutaires, il n'en demeure pas moins que
de nouvelles questions se posent lors de la recherche du texte applicable aux mesures d'expertise préalable au
procès (B).
A — Les modalités d'interruption du délai de forclusion
Contrairement à la suspension qui arrête temporairement le cours de la prescription sans effacer le délai déjà écoulé,
l'interruption fait disparaître le délai déjà acquis. Elle fait courir un nouveau délai de même durée que l'ancien (10).
L'assignation en référé interrompt le délai de un an pour agir en garantie des défauts de conformité apparents (11).
En l'espèce, l'acquéreur assigne son cocontractant postérieurement à la remise du rapport d'expertise ordonnée
par le juge des référés. Or, c'est au jour du prononcé de l'ordonnance et non du rapport d'expertise, que le délai
de forclusion recommence à courir (12). Par conséquent, l'acquéreur était forclos au jour de l'assignation au fond
puisque l'assignation a été délivrée plus de un an après l'ordonnance du juge des référés. A ce titre, les règles des
articles 1642-1 et 1648 du Code civil sont d'ordre public et ne souffrent d'aucune dérogation.
Il n'existe pas de critère permettant de distinguer délais de forclusion et délais de prescription. Leur singularité
se trouve dans leur finalité. Si la prescription extinctive tend à la déchéance d'un droit de par l'inaction de son
titulaire, la forclusion procède de la perte d'une prérogative juridique à la suite de l'écoulement d'un certain délai.
Cette différenciation est parfois difficile à mettre en pratique. L'article 2220 du Code civil énonce que les délais de
forclusion ne relèvent pas des dispositions relatives à la prescription extinctive. Pour autant, le texte n'indique pas
ce qu'il faut entendre par délai de forclusion. En l'absence de critère de qualification, il revient à la jurisprudence
d'en découvrir la nature. En droit de la construction, la Cour de cassation s'est ainsi prononcée en faveur de la
forclusion à propos de la garantie de bon fonctionnement des éléments d'équipement (13), ou encore à propos de
la responsabilité décennale qui s'applique lorsque les dommages affectent la solidité de l'immeuble ou le rendent
impropre à sa destination (14). Cette analyse doit également être étendue à la garantie de parfait achèvement.
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B — Une difficile articulation des textes
La Cour de cassation énonce que "la suspension de la prescription prévue par l'article 2239 du Code civil n'est
pas applicable aux délais de forclusion". Cette formulation de principe permet d'étendre la solution à d'autres délais
de forclusion comme les responsabilités décennales et biennales du constructeur ou encore la garantie de parfait
achèvement. Contrairement à ce qu'ont pu juger certaines cours d'appel, les délais de forclusion ne sauraient faire
l'objet de suspension. Seule l'interruption est donc admise en cas d'assignation, y compris en référé. L'article 2239
du Code civil ne conserverait alors qu'un intérêt résiduel en matière de construction. Il serait ainsi applicable aux
délais de prescription résultant de la responsabilité contractuelle de l'article 1792-4-1 (N° Lexbase : L7166IAN),
pour lesquels le juge est saisi d'une demande d'expertise avant tout procès. Cette solution n'est pas évidente à la
lecture de l'article 2241 du Code civil (N° Lexbase : L7181IA9). Celui-ci indique que la demande en justice, même
en référé, interrompt le délai de prescription ainsi que le délai de forclusion. Force est de reconnaître le caractère
inconciliable de ces deux textes (15). Si la demande en référé-expertise interrompt le délai de prescription, quel est
le champ d'application de l'article 2239 qui suspend ce même délai en cas de mesure d'instruction demandée avant
tout procès ? Ces deux articles s'articulent difficilement. Afin de palier l'insécurité juridique qui pourrait résulter
de la confusion entre ces deux articles, la Cour de cassation sera inévitablement amenée à délimiter le champ
d'application de ces deux textes.
(1) C. civ. art. 1601-3 (N° Lexbase : L1700ABL).
(2) Sur l'absence d'éléments de cuisine, Cass. civ. 3, 5 novembre 2013, n˚ 12-27.470, F-D (N° Lexbase : A2074KPI).
(3) Cass. civ. 3, 22 mars 2000, n˚ 98-20.250, P+B (N° Lexbase : A3733AUS), Bull. civ. III, n˚ 63 ; Défr., 2000, p.
1258, obs. H. Périnet-Marquet ; RDI, 2000, p. 353, obs. C. Saint-Alary-Houin.
(4) Loi n˚ 2009-323 du 25 mars 2009, de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion (N° Lexbase :
L0743IDU).
(5) Cass. civ. 3, 4 novembre 2010, n˚ 09-70.235, FS-P+B (N° Lexbase : A5650GDM), Bull. civ. III, n˚ 198.
(6) Cass. civ. 3, 3 avril 2013, n˚ 12-16.364, F-D (N° Lexbase : A6424KBK).
(7) Cass. civ. 3, 17 décembre 2008, n˚ 07-17.285, FS-P+B (N° Lexbase : A8988EBI) Bull. civ. III, n˚ 2007, Défr.,
2013, p. 231, obs. H. Périnet-Marquet.
(8) CA Amiens, 14 juin 2011, n˚ 09/04 978 (N° Lexbase : A7717HTY), ibid.
(9) CA Amiens, 21 février 2012, n˚ 09/04 564 (N° Lexbase : A0099H7S), const. — urb. 2012, n˚ 109, comm. M. —
L. Pagès-de Varenne ; CA Nancy, 30 juin 2011, n˚ 09/01 212 (N° Lexbase : A7125HWS), Constr. — urb., 2011, n˚
148, comm. M. — L. Pagès-de Varenne.
(10) C. civ., art. 2230 (N° Lexbase : L7215IAH).
(11) Cass. civ. 3, 21 juin 2000, n˚ 99-10.313, P+B (N° Lexbase : A5631AWH), Bull. civ. III, n˚ 123, Défr., 2000, p.
1251, obs. H. Périnet-Marquet.
(12) Ibid.
(13) Cass. civ. 3, 15 janvier 1997, n˚ 95-13.534, P+B (N° Lexbase : A1805ACT), Bull. civ. III, n˚ 11.
(14) Cass. civ. 3, 7 avril 2015, n˚ 14-12.212, F-D (N° Lexbase : A5241NG9).
(15) Ph. Malinvaud, "les difficultés d'application des règles nouvelles relatives à la suspension et à l'interruption des
délais", RDI, 2010, p. 105.
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