le chat sans queue - Théâtre des Marionnettes de Genève

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le chat sans queue - Théâtre des Marionnettes de Genève
Théâtre des Marionnettes de Genève
Dossier pédagogique – saison 2012 - 2013
LE CHAT SANS QUEUE
Création du Théâtre des Marionnettes de Genève
Du 10 au 28 avril 2013
D’après le récit de Germano Zullo
et les dessins d’Albertine
Texte, mise en scène et scénographie :
Guy Jutard
Marionnettes : Albertine et Guy Jutard
assistés de Matthias Brügger
Conseiller artistique : Pierre Monnerat
Interprétation : Olivier Carrel et
Jacques Douplat
Musique : Hélène Zambelli
Lumière : Eric Carruzzo
Costumes : Marie-Ange Sorésina
Théâtre des Marionnettes de Genève
3, Rue Rodo 1205 Genève
Réservations : 022 807 31 07 ou
www.marionnettes.ch
~ 50 minutes
Dès 4 ans
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Le spectacle
1. L’histoire
Les chats ont, paraît-il, neuf vies :
c’est dire s’ils sont doués pour les
métamorphoses. Il était une fois un
petit chat étonnement dépourvu de
queue. On le découvre solitaire
avec son cartable sur le chemin des
écoliers. Notre matou se sait
différent des autres félins. Chacun
le moque, le mate avec dédain,
l’obligeant à se cacher et à fuir. Le
chat sans queue se fait botter,
déloger de partout et se retrouve
bien démunis. Parviendra-t-il à
masquer son imperfection ? N’y
Le Chat sans queue.
aurait-il pas, dans cette cité
Photo du spectacle.
traversée à intervalles réguliers par
une subtile trapéziste funambule,
une boutique pour lui délivrer une queue afin de compléter son anatomie qui fera de lui un minou
ordinaire ? Et pas un phénomène de société, objet de toutes les plaisanteries. Son destin croise la route
de deux compères, Marcel et Jean-Claude. Ils sont de la trempe du collectionneur, passionné à recueillir
tout ce qui sort de l’ordinaire, devenant fantastique. Le chat sans queue deviendra-t-il le fleuron de leur
collection ? Au fil de cette fable qui baigne dans une atmosphère à la fois tendre et légère, étonnante et
surréaliste, tout devient de plus en plus étrange, hypnotisant, envoûtant, et bien sûr captivant. Le chat
sans queue aborde le thème essentiel de la différence et la manière de la vivre. Ce spectacle suggère
que le sentiment éprouvé de la honte, s’il est difficile à vivre pour le jeune enfant, n’en constitue pas
moins un lien social. Loin d’être un poison, l’acceptation de ce sentiment et son dépassement permettent
aussi de s’affirmer et de grandir. A côté des hontes paralysantes, il existe aussi des hontes positives et
qui permettent à l’enfant de se construire.
D’une vive et colorée candeur, les dessins d'Albertine donnent le ton. Humains, animaux et
objets s'amusent à se déformer au cœur d’une joyeuse fantaisie. Deux conteurs manipulateurs
mènent ce ballet de figurines évoluant autour de l’idée de la différence, à vivre, éprouver et
accueillir. Par instants, Ils revêtent un habit de marionnette devenant personnages parmi les
protagonistes hauts en couleurs du récit. En un battement de paupières, l’on glisse d’un lieu
stylisé à l’autre, comme si l’intrigue jaillissait des pages mêmes d’un album feuilleté. Sur le fil
entre réel et imaginaire, se déploie une façon inédite de jouer et de se jouer des limites d'un
espace à deux dimensions.
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2. L’histoire
Marcel et Jean-Claude errent dans la
ville, armés de leur filet à papillons. Ils
capturent toutes sortent d'objets où
d'animaux. De temps à autre, ils
interrompent leur quête pour admirer
une trapéziste qui se balance dans le
ciel. Puis, ils se montrent leurs
trouvailles : un camembert qui sent la
rose, une souris verte à pois blancs,
une fleur qui chante… En vieux
"chasseurs d'insolite". Ensemble, ils
évoquent le chat qu'ils ont déniché. Et
se décident à raconter son histoire.
Le Chat sans queue.
Photo du spectacle.
Au pays des chats
Dans la maison chat, la mère chat
réveille le jeune chat. Son cartable est préparé avec soin, et on imagine que les inquiétudes du
chat sont liées à son départ vers l'école… Cartable sur le dos, voilà notre petit félin sur le
chemin de l'école. Il se sent observé de tous côtés. Il lui semble entendre rumeurs et quolibets :
"Oh regardez-le. Il n'a pas de queue !" On se moque de lui. Troublé, il abandonne son cartable
sur le trottoir et se cache dans le premier magasin venu.
Hasard ou chance, il est précisément entré dans un magasin de queues. Charmante, la
vendeuse lui propose toute une gamme d'articles. Mais avec le seul franc qu'il a en poche, le
chaton ne peut rien s’offrir. La marchande lui propose alors merveilleux masque de tête de chat.
Et voici l’animal dissimulé derrière son masque déambulant dans la rue.
Masqué, notre chat retrouve une certaine assurance. Face aux quolibets qui redoublent, le
matou se met le masque sur le postérieur, bien décidé à rejoindre le chemin de l'école. Le
facétieux Marcel le capture avant de décider avec son compère Jean-Claude de le relâcher. Car
il n’y a point de place pour le félin dans leur collection d'objets insolites et extraordinaires.
La magie du cirque et une fée originale
En suivant la grande parade des animaux dans la cité, le chat s’empare subrepticement de la
queue du lion. Sous le chapiteau du cirque, le roi des animaux ouvre le spectacle. Mais au beau
milieu de son numéro, un spectateur s'écrie : "Ridicule : il n'a pas de queue". Le lion très en
colère, trouve dans les coulisses une solution de fortune et revient saluer. Ainsi en va-t-il des
numéros de la du crocodile puis de la girafe. La girafe lui a emprunté sa queue et fâché la lui
reprend. La girafe à son tour…. Finalement le lion aperçoit le chat voleur qui s'est glissé dans le
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public. On craint le pire, mais le chat abandonne sur place la queue qu'il avait dérobée au lion
et s'enfuit.
La nuit tombe. Le chat entend une voix qui se mêle à une musique irréelle. Une fée habite au
cœur de poubelles magiques. Et le chat de formuler encore son vœu, celui d’avoir une
précieuse queue. La magicienne n’a pas le sortilège très affûté. Et le chat se retrouve affublé
d’une tête et d’une queue… de poisson. Sera-t-il mangé par un autre minou ? Le chat sans
queue rase les murs.
Le temps de l’héroïsme
Marcel et Jean-Claude applaudissent la trapéziste, qui n'a cessé pendant toute l'errance du
chat de virevolter dans le ciel, suscitant l'admiration de tous les habitants de la cité. Soudain les
deux amis s'inquiètent : la trapéziste après une double virevolte n'a pas pu ressaisir son trapèze
et… elle chute. Le chat se précipite et la rattrape. Il est ainsi adulé et admiré. Jean-Claude et
Marcel ont repris leurs épuisettes. Ils prennent congé du public en leur faisant voir de près les
insolites objets qu'ils collectionnent et en les conviant à faire de même à temps perdu.
3. Un univers coloré et rythmé
Questions à Albertine,
Germano Zullo et Guy Jutard.
Vous proposez un univers ingénu
formée côté décor de plans
successifs avec de larges à-plats de
couleurs
faisant
ressortir
les
personnages.
Albertine : Le désir est de travailler
sur des plans avec une perspective
faussée. J’ai toujours l’impression
qu’une vérité ne peut se lire que dans
la
stylisation
allongeant
les
personnages. C’est leur expression qui
Le Chat sans queue.
prévaut, à mes yeux. L’importance du
Photo du spectacle.
dessin se cristallise sur cette force
d’évocation,
de
caractérisation
d’attitudes des protagonistes représentés. La couleur revêt une énorme importance, car elle permet de
jouer de plans différents, de créer une atmosphère. En gouache, c’est la rapidité qui doit s’imposer. La
lenteur dans le geste et la composition m’ennuie. C’est à la fois instinctif, comme appliqué sur le vif et
dans le même temps il y a un savoir, une expérience rattachés à la création d’une couleur. Instinct et
savoir sont ici mêlés. Je pose d’ailleurs ma couleur en acceptant qu’elle soit mal mélangée, qu’il puisse y
avoir des matières, des dépôts. L’important est aussi que l’on puisse ressentir une sorte de vibration dans
la couleur. Cela fait partie du rythme du dessin et de sa profondeur.
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Le félin que vous avez imaginé est comme nu, dépourvu de sa queue, à vif, tout en essayant
désespérément de se dissimuler.
Germano Zullo : Lorsque les inconditionnels des chats témoignent, ils avancent que le matou est plus
honnête que son compagnon humain bipède, qu’il est indépendant et a son caractère bien tranché.
Hemingway a d’ailleurs écrit : "Le chat est d'une honnêteté absolue : les êtres humains cachent, pour une
raison ou une autre, leurs sentiments. Les chats non". Notre chat est très jeune et, partant, d’une extrême
naïveté. Il découvre la vie. On sent qu’il a été très protégé et câliné par ses parents. C’est alors le
moment où il est invité à cultiver son émancipation. Il va ainsi devoir s’extraire du cocon familial avec une
différence notoire. Qui ne va pas sans susciter la moquerie chez les autres.
Quelle est l’atmosphère baignant ce conte surréaliste ?
Guy Jutard : La réalisation théâtrale
est inspirée très librement du récit dû
à Germano Zullo. Le thème d’un chat
sans queue parti à la recherche de
l’attribut qui lui manque est
éminemment drôle. Ce genre de
quête peut donner un spectacle à
tiroirs où l’on est relativement libre.
Etonnante est aussi cette figure de
trapéziste présente dans les airs tout
au long du spectacle qui donne une
certaine fragilité à l’ensemble. La
permanence
de
cette
image
dévoilant un corps pendulant dans
Le Chat sans queue.
l’espace est un élément important à
Photo du spectacle.
aborder. Une ambiance doucement
inquiète se dégage de deux
personnages étonnants, Marcel et
Jean-Claude. Munis de leur filet à papillons, ils récupèrent des objets et curiosités hétéroclites. D’où le
désir de centrer, au plan scénique, le déploiement de l’intrigue et de ces récits entrelacés autour de ce
tandem. Enfant, l’on peut être troublé, inquiété par un être aperçu tous les jours sur le chemin de l’école.
Sans doute inoffensif, il n’en est pas moins étrange de par ses attitudes. Et peut se rattacher à un
imaginaire peuplé de légendes.
Les enfants, eux, sont très sensibles à la notion de normalité, notamment sur l’habillement et le physique.
Il est plaisant de travailler autour de ce thème où il manque un attribut essentiel en termes d’équilibre à
ce pauvre chat. Il se dissimule, car il a honte de son apparence. Ces jeux de cache-cache sont
puissamment marionnettiques.
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Comment avez-vous travaillé à partir de la dynamique graphique d’Albertine proposant des
personnages aux formes allongées sur des à-plats colorés ?
G. J. : Les intuitions plastiques de départ sont, à chaque fois, confrontées à un matériau. Ce dernier
peut-être ainsi le tissu plissé à l’occasion du Zoo de Monsieur Jean, les figurines bidimensionnelles
sur La Promenade du roi ou le plastique thermoformé au détour des personnages de Chaperon
Rouge Cartoon. Il y a ici la tentative de trouver une jolie analogie entre la façon dont Albertine
déforme ses silhouettes, leur faisant prendre des poses éminemment graphiques. Ces figures ont
déjà inscrites en elles un mouvement particulièrement étonnant. Il s’agit alors de prolonger, moduler,
amplifier le fait qu’ils sont deux marionnettes.
Le souci est de préserver le caractère ingénu et l’esprit subtil que cette illustratrice met dans ses
dessins. L’œil occupe une place considérable dans les réalisations d’Albertine. Ainsi les yeux sont-ils
réalisés de manière très simple, évoquant de loin en loin, certains dessins animés : une petite tache
blanche piquée d’un point noir, d’une bille s’y baladant. Cette qualité de regard se doit de trouver un
équivalent jusqu’au cœur des personnages.
Propos recueillis par Bertrand Tappolet
4. Duo en accord
Marcel
On se remplit l’épuisette
Jean-Claude
On pêche du bizarre
Marcel
On y fourre de l’étrange
Jean-Claude
On a la collectionnite de l’insolite et du
rare
Le Chat sans queue.
Marcel
On « accumulationne » l’extraordinaire
et le pas normal
Photo du spectacle.
Jean-Claude
On se retrouve souvent
Marcel
On se dit « on se montre »
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Jean-Claude
On a trouvé ça
Marcel
On a trouvé un fromage qui sent la rose.
Jean-Claude
On a trouvé une fleur qui chante quand on la caresse
Extrait de : Le Chat sans queue, texte de Guy Jutard
d’après le récit de Germano Zullo et les dessins d’Albertine.
5. Pour la différence
Le chat sans queue sait qu’il est un
peu différent des autres et que cette
différence sera remarquée. Il sait
La différence peut alors se métamorphoser
aussi que nul n’est parfait, sauf peutêtre la très belle voltigeuse qui
en perfection et la perfection devenir normalité.
effectue depuis toujours semble-t-il
des acrobaties aussi périlleuses
qu’élégantes dans le ciel. Tout le
monde admire la très belle
voltigeuse. Cependant, s’il pouvait choisir, il est certain que le chat sans queue choisirait d’être
normal. Tout simplement normal. Il serait comme les autres et n’aurait ainsi pas à subir leurs
humiliations. Il ne serait pas non plus obligé de se cacher ou de fuir. Se pourrait-il néanmoins que
dans cette course éperdue le chat sans queue trouve remède à sa différence quelque part ? Au
magasin de queues peut-être ? Ou alors grâce aux pouvoirs de la magicienne du coin de la rue ? Et
s’il se faisait voleur de queues, après tout ?
L’histoire du chat sans queue est racontée par deux spécialistes de la différence, Marcel et JeanClaude, véritables experts en excentricités, mais pour qui, de toute évidence, le chat sans queue
n’est pas suffisamment différent pour garnir leurs cabinets de curiosités respectifs. Ils auraient sans
doute préféré faire le récit du chat à deux têtes…
Cette petite fable nous rappelle, s’il était encore besoin, qu’une règle universelle semble dicter notre
comportement : se complaire dans la normalité, éviter la différence et tendre à la perfection. Il n’est
donc jamais facile de rester soi-même au milieu des autres, d’autant plus que, très souvent, sans
prévenir et sans que l’on sache vraiment pourquoi ni comment, quelqu’un ou quelque chose
redistribue les cartes après les avoir mélangées, la différence peut alors se métamorphoser en
perfection et la perfection devenir normalité.
Germano Zullo
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6. Les lieux d’une fable
Un spectacle de marionnettes, c'est
avant tout une esthétique dominante et
un traitement stylistique du mouvement.
Ici les dessins d'Albertine donnent le
ton. Le traitement de ses pages
colorées où personnages et paysages
jouent de contraste, où humains,
animaux et objets s'amusent à se
déformer, à jouer de disproportions,
l'importance donnée à l'œil, au regard
de chacune des figures, la joyeuse
fantaisie qui émane des pages
gouachées et qui crée ce climat de
naïveté ingénue : c'est là tout l'univers
de cette graphiste.
Jean-Claude et Marcel collectionnent les trouvailles étonnantes.
L’un des deux compères capture le chat dépourvu de queue.
Le Chat sans queue. Photo du spectacle.
Lorsque le marionnettiste s'empare de
cette œuvre graphique, il souhaite en préserver les caractères dominants et avant tout la puissance
et la fraîcheur de la couleur. Il veut s'attacher ensuite à faire que les personnages de l'histoire
trouvent une dynamique de mouvement qui préserve le caractère bidimensionnel, le traitement en
ligne claire des dessins d'Albertine.
Les lieux de l'histoire ensuite : quelques signes, la silhouette d'une maison, les quelques marches
d'un escalier, un banc sous un arbre…
Deux conteurs manipulateurs mènent ce ballet de figurines qui semblent sorties d'un album de la
graphiste. Ils endossent parfois un habit de marionnette devenant personnages parmi les héros de
l'histoire. On change vite de lieu dans l'espace clos de cette petite scène, aussi rapidement que
lorsqu'on tourne la page d'un album. Les personnages se déforment, semblent se réduire ou
s'allonger, s'enroulent pour mieux disparaître… Là ils réapparaissent en ribambelle et mènent une
farandole joyeuse et légère. Au final, une façon de jouer et de se jouer des limites d'un espace à
deux dimensions.
Guy Jutard
7. Les Marionnettes et la musique
Le personnage du chat sans queue est accompagné à chacune de ses apparitions par
une signature musicale caractéristique comme c’est le cas dans certains dessins animés.
Cette composition rend compte des émotions et ressentis du jeune félin plus sûrement
que ne le ferait le filet des mots. Les compositions musicales se partagent entre une
atmosphère reflétant les parades liées à l’univers du cirque, les numéros des différents
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animaux (crocodile, girafe, lion) qui se déploient au cœur d’un chapiteau stylisé aux
couleurs pimpantes. Sans oublier des moments de rêveries accompagnant les évolutions
entre ciel et terre d’une fabuleuse trapéziste.
Les deux protagonistes sont proches du duo clownesque ou du tandem à la Sempé. Ils
évoluent, à l’ouverture de la pièce, sur un air de chachacha en puisant à l’aide de leur filet
à papillons les curiosités et étrangetés qui habitent la ville. Cet air entraînant accompagne
également leur présentation commune de leur "téléachat" burlesque et décalé. La
compositrice n’est autre qu’Hélène Zambelli qui a collaboré à plusieurs créations
présentées au Théâtre des Marionnettes, dont la célèbre Sorcière du placard aux balais
d’après un récit de Pierre Gripari (2005 et 2009).
8. La honte : un survol
Le mot de "honte" recouvre plusieurs notions différentes :
► L’émotion brute liée
à la confusion et à la
perte des repères, qui
n’est
parfois
pas
reconnue
comme
telle.
► Le jugement sur
l’émotion de soi. C’est
de la comparaison de
soi avec un modèle
que le sujet se
propose à lui-même,
ou qu’il adopte de
l’extérieur, que résulte
la perception de la
honte comme telle.
Le Chat sans queue. Photo du spectacle.
►
Le
jugement
portant à la fois sur l’émotion et sur les causes possibles de la honte. Ce jugement
implique alors des possibilités d’action.
► Le caractère commun à toutes les formes de honte est l’angoisse d’être exclu, c’est-àdire non seulement las crainte d’un retrait d’amour, mais même de toute forme d’intérêt.
Serge Tisseron
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9. Vivre la honte et grandir
Quand on a honte, on se sent mal, on a mal au ventre comme si on était malade, on est triste,
on ne s’aime pas, on a peur de n’être plus aimé. Parfois on rougit, parfois on a envie de
pleurer. On voudrait se faire tout petit et disparaître dans un trou de souris.
Dans ces moments-là, ça aide bien de pouvoir parler à une grande personne qui nous aide à
comprendre ce que l’on sent. Pourquoi on a honte ? Est-ce que c’est juste ou bien est-ce qu’il
n’y pas de quoi ?
Quelque fois les grands nous font honte et ils n’ont pas raison. Il y en a que ça amuse de nous
voir honteux. Parfois, ils se le racontent entre eux et, quand on les entend, on a encore plus
honte. Ce qui est difficile, c’est quand on croit faire une chose bien et qu’on s’aperçoit que
c’était une bêtise ou une chose dangereuse : on se sent alors très honteux.
Catherine Dolto
10. L’enfant et la honte
L’impudeur infantile des premières années permet de remarquer que, tant que le petit ne se soucie
pas de la manière dont il existe dans l’esprit de l’autre, il n’a aucune raison d’avoir honte… S’il
ressent un besoin ou une pulsion, il l’adresse à l’autre sans tenir compte de l’effet que ça pourrait
produire dans cet autre monde. En revanche, dès qu’il devient capable de se représenter que la
représentation de sa pulsion peut gêner l’autre, l’enfant devient apte à la honte, c’est le début de la
morale !...
Une petite honte est la preuve d’une bonne maturité biologique et d’un bon développement des
aptitudes relationnelles. Une grande honte révèle une sensibilité exacerbée proche de la crainte, une
tendance à se dépersonnaliser pour laisser la place à l’autre. Quand à l’absence de honte, elle
témoigne d’un arrêt du développement et d’une incapacité à se représenter d’autres mondes que le
sien.
Boris Cyrulnik
11. Un sentiment commun à tous
La honte est l'un des principaux facteurs compromettant la résilience. Dans Mourir de dire. La honte
(Odile Jacob, 2010), le neuropsychiatre et éthologue Boris Cyrulnik explore cette émotion en croisant
anecdotes personnelles, découvertes neurobiologiques et regards psychanalytiques. La honte peut
nous tourmenter, mais sans elle, nous ne sommes pas humains.
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Pour avoir choisi le thème de la
honte pour votre livre ?
Boris Cyrulnik : Il y a plusieurs
La honte a un effet
facteurs qui empêchent la résilience,
un mot désignant plusieurs processus
tranquilisant, sécurisant.
qui permettent de résister à un
traumatisme et/ou de se reconstruire
après lui. On trouve l’isolement, le
non- et la honte. La phrase typique du
honteux, c’est : "J’aurais voulu rentrer sous terre." C’est une phrase de gibier, le honteux se
terre pour se protéger. Mais ce mécanisme de protection empêche la résilience, en isolant. Par
ailleurs, le thème me touche personnellement puisqu’à cause de mon enfance, j’ai pu me sentir
monstre, hors de l’humanité… Pour vous rendre honteux, je dois provoquer en vous une
représentation verbale, familiale ou culturelle : "Tu es minable, tu es moins que moi, je te
méprise…" La honte est le pouvoir que je donne au regard de l’autre. Moi, le honteux, je désire
être près de l’autre, mais je pense qu’il va mal me juger, ce qui d’ailleurs, à mon insu, ne sera
peut-être pas le cas. Je suis malheureux sous son regard, je suis honteux d’une représentation
que j’ai de moi par rapport à ce que j’imagine que l’autre pense de moi.
Pour vous, la honte est une émotion qu’on ne peut partager. Vous évoquez des
"camouflages linguistiques" pour dissimuler cet inavouable…
B. C. : La plupart du temps, le camouflage est une compensation : un enfant très choqué par le
spectacle de ses parents se battant devant lui pourra inventer des stéréotypes pour les
dépeindre comme des gens formidables, conformes aux stéréotypes de notre culture. Ce peut
donc être le refuge dans l’imaginaire. Quand on est adulte et qu’on veut éviter la honte, par
exemple quand il faut licencier des gens qu’on aime bien, on se camoufle, comme le dit Hannah
Arendt, derrière des formules administratives permettant d’éviter l’émotion. Mais c’est un leurre
verbal. Ce n’est pas un mensonge, car le menteur ment pour se protéger parce qu’il se sent
agressé.
Jusqu’où la honte peut-elle affecter notre organisme même ?
B. C. : La honte est un stress constant : rencontrer quelqu’un d’autre n’étant pas une
exploration amusante mais une agression ("il va mal me juger, il va comprendre que je suis
minable…"), les marqueurs du stress sont biologiquement épuisants. L’inhibition de nos
comportements, avec l’immobilité de parole et de comportement, demande une décharge
d’énergie énorme. De plus, la même information, neutre pour un enfant ou un adulte qui a
confiance en lui ou qui se sent soutenu, est une alerte pour le honteux… Lorsqu’on peut agir
sur le monde intime du honteux et surtout sur sa socialisation, les mêmes informations cessent
d’être perçues comme des alertes, le honteux se sent moins honteux, il apprend à parler, à
entrer en relation.
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La honte a-t-elle joué un rôle dans l’évolution ?
B. C. : J’ai envie de répondre oui, parce que la honte nous permet de vivre ensemble, de nous
côtoyer et de partager les mêmes valeurs, les mêmes préjugés. J’ai honte de me teindre les
cheveux en vert ou d’être trop marginal : si je veux m’intégrer au groupe, je dois me soumettre
un peu à la pression de conformité. Le fait d’avoir honte ou d’être fier des mêmes
représentations participe probablement au sentiment d’appartenance, qui est un excellent
tranquillisant. La honte a un effet socialisant, sécurisant.
Propos recueillis par Jean-François Marmion
12. Les chats sans queue existent
Quand un chat est dépourvu de
queue, on dit qu’il est "anoure". Il ne
s’agit pas d’animaux malchanceux
qui l’ont perdue suite à un accident,
mais bien de véritables races
(Manx, Cymric) sélectionnées par
rapport
à
cette
étrange
caractéristique physique. Ces chats
ont un misérable pompon en guise
de queue, voire une absence totale
de cette extrémité. Mais quelles
sont les répercussions de l’absence
de queue sur la vie d’un chat ?
Le tandem clownesque formé par Marcel et Jean-Claude
présente la parade des animaux du cirque.
En premier lieu, la queue est un
Le Chat sans queue. Photo du spectacle.
moyen
de
communication
important. C’est en effet à travers
la queue que le chat envoie différents signaux, compréhensibles par tous (même les
humains apprennent aisément à les déchiffrer) et surtout visibles même à une certaine
distance.
La queue reflète son état du moment, prévient les jeunes enfants du coup de griffe
imminent lorsque le chat s’énerve et remue sa queue nerveusement de gauche à droite.
Mais ceci n’est qu’un exemple ; le chat possède une gamme de messages articulés
extrêmement variée, riche et subtile qu’il envoie par le biais de sa queue. Le chat qui en
est dépourvu rencontre donc un énorme handicap dans son mode de
communication.
Un autre aspect de la vie du chat est aussi fortement pénalisé en l’absence de queue : le
sens de l’équilibre. Les chats se servent de leur queue pour maintenir l’assiette dans
deux positions délicates : quand ils courent et quand ils tombent.
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• L’élasticité de leurs articulations leur permet d’atteindre des vitesses prodigieuses, mais
le plus surprenant reste leurs changements de direction impromptus, lorsqu’ils
pourchassent une proie ou sont eux-mêmes coursés par un chien. Les changements de
direction peuvent être effectués grâce à la queue qui sert en quelque sorte de
gouvernail. Sans queue le chat est donc un moins habile à la chasse et est plus
vulnérable.
• Quand le chat tombe d’un arbre il se met dans une position particulière ; les pattes
amortissent la chute mais c’est la queue qui permet au corps de se mettre dans la bonne
position. Elle contrôle la rotation, et fait office de parachute incorporé. C’est grâce à elle
qu’il retombe toujours sur ses pattes. Elle lui est indispensable en cas de chute.
Cette sélection de races par absence de queue n’a en conséquence pas d’autre but que
de répondre à des critères esthétiques. Aucune raison concrète ne pousse à avoir un
chat sans queue, si ce n’est celle de posséder un animal hors norme, particulier ou
exotique. Pour l’animal il ne s’agit cependant pas que d’une question de goût.
En effet, comme bien souvent, les races animales créées par l’homme à travers
différentes sélections répondent à des canons de beauté dictés par la mode et ne
tiennent presque jamais compte des difficultés que ces choix peuvent occasionner.
Site : www.waliboo.com
13. Pistes pédagogiques
Elles sont données à titre indicatif et non dans une progression linéaire stricte.
Elles peuvent être adaptées aux différents niveaux.
• "Mon petit chat" : imaginer une activité sur les petits noms que l'on se donne, en recenser
dans les familles, dans les ouvrages et témoigner du sentiment que l'on éprouve lorsqu'on
reçoit ce genre de petit nom en privé ou en public.
• Rechercher ce que les grands peuvent faire et qui est interdit aux petits, décrire ce que l'on
fera quand "on sera grand"...
• Interpréter l'état d'esprit du chat sans queue et son évolution...
• Expliciter pourquoi il cherche à se cacher et commenter (rapport à la honte, à la différence)
• Observer la construction du texte et des images.
• Observer, relever et commenter le rôle des couleurs.
• Commenter la rencontre entre Marcel et Jean-Claude.
• Débattre de ce qui est arrivé au chat sans queue et sa réaction.
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• Commenter et interpréter la fin de l'histoire.
• Tirer "la morale de l'histoire".
• Ecrire : le point de vue de Marcel, Jean-Claude et du chat sans queue...
• Jouer les dialogues, enregistrer le texte.
• Rechercher d'autres ouvrages d’Albertine pour en faire la comparaison.
• Rechercher des histoires d'amitiés et de honte.
• Dessiner d'autres animaux à la manière d’Albertine.
14. Le Monde d’Albertine
Albertine est une artiste et illustratrice genevoise. Elle a notamment collaboré à l'Hebdo comme
illustratrice de presse. Elle enseigne la sérigraphie à l'Ecole supérieure d'arts visuels de Genève.
Germano Zullo et Albertine ont reçu en 2003, au Festival international d'animation d'Annecy le prix
spécial de la SACD et le prix Canal + pour un projet de court métrage d'animation de l'album Le Génie
de la Boîte de Raviolis. Elle a publié de nombreux livres illustrés sur des scénarios de Germano Zullo
notamment. Son dernier ouvrage paru est une adaptation très personnelle du Chat botté. Où elle
habille l'histoire, fidèle en tout point à celle écrite par Perrault, des dessins pétillants et colorés qui la
caractérisent. Un "bel exercice", confie-t-elle, qui devrait donner suite à d'autres mises en images de
contes de fées.
A l’image de son album La Rumeur de Venise, ses univers sont souvent empreints d’une douce
poésie surréaliste qu’accompagnent un humour léger et une profonde tendresse envers les êtres, les
animaux et la nature. "L'album se présente dans un élégant format allongé mais se décline de
manière panoramique sous la forme d'un livre-accordéon. L'histoire se passe à Venise. Une rumeur
enfle peu à peu autour d'un poisson ramené de la pêche. Le poisson assez commun au demeurant
devient un énorme poisson dans la bouche de la voisine puis un espadon dans celle du voisin, puis
une baleine puis une énorme pieuvre et même un monstrueux monstre marin et enfin une sirène! La
rumeur se répand de maison en maison (sous la forme de bulles imagées qui grossissent
parallèlement à la rumeur) par des vénitiens accolés à leurs balcons, estomaqués et volubiles. Et
d'ailleurs, quand arrive le bout de la lagune et qu'il n'y a plus de voisin à prévenir, il n'y a plus de
rumeur : la sirène, libérée de sa bulle, peut rejoindre tranquillement les eaux de la Méditerranée.
L'illustration d'Albertine mêle avec harmonie des montages photographiques en camaïeu représentant
de beaux palais vénitiens et des dessins aquarellés aux formes longilignes tout à fait caractéristiques
de son style", nous détaille le site de l’Armitière.
Sur un texte de Germano Zullo Les Oiseaux est un album dessiné par Albertine. Parvenu au terme
d’une route, un chauffeur de camion ouvre la porte de sa remorque. Un geste qui permet à des
oiseaux de prendre leur envol. Seul reste un petit oiseau, timide. Un lien complice se tisse entre le
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camionneur et l’oiseau. Dans Ligne 135, inspiré d'un voyage au Japon, le lecteur suit le parcours
d'une ligne de monorail du cœur d'une mégapole jusqu'à la campagne. A l'intérieur du train, une petite
fille que sa maman vient de quitter sur le quai et qui va rendre visite à sa grand-mère. Les paysages
se succèdent, et les pensées de la fillette défilent à leur rythme.
Albertine a entre autres signé les affiches des plusieurs éditions de la Fête de la Musique et de la
Course de l’Escalade à Genève. Depuis la saison 2009-2010, elle réalise l’ensemble des visuels du
Théâtre des Marionnettes de Genève.
15. Bibliographie
Le Chat

Bobis Laurence, Les Neuf vies du chat, Paris, Découvertes Gallimard, 1991

Les Chats. Photographies et poèmes, Paris, Bibliothèque de l’Image, 1996

Morris Desmond, Le Chat révélé, Paris, Calmann-Lévy, 1987

Morris Desmond, Parlons chat, Paris, Calmann-Lévy, 1988

Pratchett Terry, Jolliff Gray, Sacrés chats !, Paris, City Edition, 2004

Rousselet-Blanc Dr., Larousse du chat et du chaton, Paris, Larousse, 2005
Le Cirque

Les Arts du cirque, Paris, Editions Apogée, 2001

Avant-Garde, cirque !, Les Arts de la piste en révolution, Ed. Autrement, Collection Mutations N° 209,
novembre 2001

Jacob Pascal, Le Cirque. Du théâtre équestre aux arts de la piste, Paris, Larousse, 2002

Jacob Pascal, Cirque et compagnies, Paris, Actes Sud Junior, 2009

Ben Kemoun Hubert, Martin Jean-François, Qu’est-ce que c’est que ce cirque !, Collection Père
Castor, Paris, Flammarion, 2000
La Honte

Cyrulnik Boris, Mourir de dire. La honte, Paris, Odile Jacob, 2010

Dolto Catherine, La Honte, Paris, Gallimard Jeunesse, 2007
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
Jollien Alexandre, Le Philosophe nu, Paris, Le Seuil, 2010

Labbé Brigitte. Puech Michel, La Fierté et la honte, Collection Les Goûters philo. Quand on a faim
d’idées, Toulouse, Editions Milan, 2002

Labbé Brigitte. Puech Michel, Azam Jacques, Les Goûters philo. Quand on a faim d’idées, Tome 2,
Editions Milan, 2003

Tisseron Serge, La Honte. Psychanalyse d’un lien social, Paris, Dunod, 1992.
La Résilience

Cyrulnik Boris, Seron Claude, La Résilience ou comment renaître de sa souffrance ?, Collection
Penser le monde de l’enfant, Paris, Editions Fabert, 2003.
La Différence

Klein Carole, Mère et fils, Paris, Robert Laffont, 1984.
Albums d’Albertine (Sélection)

Zinzouin le martien visite la galaxie, texte de Germano Zullo, Éditions La Joie de Lire, collection les
Versatiles, 2001.

Marta et la pieuvre, texte de Germano Zullo, Éditions La Joie de Lire, 2003.

La Java bleue, texte de Germano Zullo, Éditions La Joie de Lire, 2003.

Le Fromage, texte de Germano Zullo, Éditions La Joie de Lire, 2004.

L’imagier d’Albertine, Éditions La Joie de Lire, 2006.

Blanche et Marcel, texte Germano Zullo, Éditions La Joie de Lire, 2007.

La Marelle, texte de Germano Zullo, Éditions La joie de Lire, 2007.

La Rumeur de Venise, scénario de Germano Zullo, Éditions La Joie de Lire, 2008.

La Mer, scénario de Germano Zullo, Éditions La Joie de Lire, 2008.

Le Retour de Marta, texte de Germano Zullo, Éditions La Joie de Lire, 2008.

Le Chat botté, de Charles Perrault, illustré par Albertine. Ed. La Joie de lire, 2009.

Les Oiseaux, texte de Germano Zullo, illustré par Albertine. Ed. La Joie de lire, 2010.
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
Ligne 135, scénario de Germano Zullo, illustré par Albertine, Ed. La Joie de lire, 2012
► Les ouvrages cités dans cette sélection bibliographique ont été soigneusement lus et choisis pour vous.
Ils sont disponibles dans le cadre des Bibliothèques Municipales et de la Bibliothèque de Genève.
Photos du spectacle : Cédric Vincensini
Pour des informations complémentaires :
Bertrand Tappolet
Théâtre des Marionnettes de Genève
3, rue Rodo - cp 217 - 1205 genève 4
tél. +41 (0) 22 807 31 04
mobile +41 (0) 79 79 517 09 47
e-mail [email protected]
Pour les Réservations Ecoles :
Joëlle Fretz
Théâtre des Marionnettes de Genève
3, rue Rodo - cp 217 - 1205 genève 4
tél. +41 (0) 22 807 31 06
e-mail [email protected]
Petites notes de rappel pour les spectacles du
Théâtre des Marionnettes de Genève
Prix = CHF 4.- par élève
Note 1) La somme exacte correspondant au nombre d’élèves le jour de la représentation
(nbre d’él. x CHF 4.-), est à verser à la caisse en coupures – pas de monnaie disponible sur place.
Note 2) La prise des billets s’effectue 20 minutes avant le début du spectacle ; le temps restant est mis à profit
pour passer au vestiaire et entrer en salle.
Note 3) Les représentations débutent à l’heure. En raison de l’horaire des bus et afin de respecter la
ponctualité des sorties de classes, il n’est pas possible d’attendre les retardataires.
Davantage d’informations sur : www.marionnettes.ch
T
TT
Théâtre des Marionnettes de Genève - Rue Rodo 3, 1205 Genève / Tél. 022/807.31.00 - fax 022/807.31.07
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