La course technologique en matière d`armement : une

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La course technologique en matière d`armement : une
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CHEAr 2009 45e session nationale
COMITÉ #7
La course technologique en matière d’armement :
une nécessité qui peut être maîtrisée ou,
au contraire, un risque technologique déconnecté
de la réalité opérationnelle et géostratégique
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« L’un des pires démons de la civilisation technologique est la soif de croissance. »
René Dubos
INTRODUCTION
Exposé de la problématique et compréhension du sujet
Dans un monde en perpétuel changement, la technologie demeure un facteur
de progrès évident. Elle innerve tous les secteurs économiques au plan national et
international. Elle peut même se révéler décisive lorsqu’une logique de compétition
s’instaure. Les affaires de défense ont, de ce fait, un rapport très fort avec la
technologie, notamment dans le cas de conflits ouverts et de préservation des
intérêts de la nation face à un ou plusieurs types de menace.
Le paramètre temporel entre évidemment en ligne de compte. En matière de
défense, l’avantage opérationnel s’évalue à un instant donné face aux adversaires.
La situation peut différer selon le positionnement dans le continuum paix-criseguerre. Dans le cas extrême (celui de la guerre), l’issue victorieuse reste l’objectif
à atteindre. Il se pose alors la question d’une transposition technologique. Dans la
mesure où la technologie peut induire une supériorité opérationnelle, elle risque de
se retrouver au cœur d’une véritable escalade dénommée couramment "course aux
armements". Le terme de course n’est pas innocent car il résume bien l’émulation
d’une compétition entre prétendants à la victoire ou, à tout le moins, à un objectif
partagé.
Une telle affirmation est à resituer dans le contexte actuel de défense et de
sécurité. Les analyses prospectives sont nombreuses et convergent sur un point : la
complexification du paysage géostratégique engendre des situations de menaces
et de conflits nouvelles, difficiles à appréhender. Par ailleurs, les priorités nationales
évoluent. D’une part, comme le Livre blanc le détaille, la défense et la sécurité
intérieure trouvent un terrain d’intérêt et de coopération commun. D’autre part les
contraintes budgétaires, l’Europe, mais aussi les préoccupations de notre société
occidentale, rentrent en ligne de compte pour structurer la politique de défense.
Enfin, les objectifs de développement durable et de préservation environnementale
sont à intégrer à l’analyse.
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Dès lors, la course à la technologie mérite d’être repensée : quelle technologie
pour quel armement, quel lien nouveau entre technologie et armement ? Il faut
reprendre totalement les modes de pensée et d’analyse des situations en intégrant
l’ensemble des contraintes qui pèsent sur les choix en matière de défense.
Le sujet traité par le comité n° 7 participe à une telle réflexion. En fait, il relève
de plusieurs problématiques qu’il convient de distinguer :
– la notion de course technologique, largement répandue dans tous les secteurs
industriels et notamment dans l’industrie de l’armement, a-t-elle encore un sens
aujourd’hui ? Comment la course actuelle aux armements se manifeste -t-elle alors
que les problématiques de conflit ont fortement évolué, que le cadre géostratégique
s’est compliqué et que les contraintes économiques remettent en question les
priorités en matière de défense et de sécurité ? – sous réserve qu’un consensus puisse se dégager sur le caractère inéluctable
de cette course technologique, est-elle pour autant maîtrisée par les différents
participants? Y a-t-il un ou plusieurs leaders et quels sont leurs moyens
d’atteindre leurs objectifs de supériorité militaire, industrielle voire politique ?
Les règles du jeu sont-elles partagées par tous les compétiteurs et respectées
comme telles ou y a-t-il un risque de dérapage et d’escalade ?
– en corollaire de la question précédente, comment se prémunir du risque de
surenchère technologique et de ses conséquences sur le système de défense ?
Le risque de déconnection avec la réalité opérationnelle doit être maîtrisé,
ce qui implique une approche méthodologique. De quels outils dispose-t-on
actuellement et à l’avenir pour assurer le juste équilibre entre besoin de
défense et réponse technologique ? Cette question mérite d’être abordée de
façon prospective et en tenant compte de l’environnement géostratégique.
Démarche retenue par le comité
Dès le début des travaux, s’est imposée l’idée d’une réflexion tirant partie des
enseignements de l’Histoire. En effet, les exemples de course technologique sont
nombreux et leurs conséquences s’avèrent emblématiques. Cela a logiquement
abouti à un recensement qui, s’il ne prétend pas être exhaustif, a le mérite d’être
suffisamment diversifié pour permettre de dégager de réelles tendances. Il fait
l’objet du chapitre "La course à la technologie en matière d’armement : des réussites
flagrantes et des échecs cuisants".
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Ces tendances permettent d’identifier clairement les acteurs en présence et
leurs motivations. Au-delà de ce constat, l’analyse doit être confrontée au contexte
géostratégique actuel et futur. La dimension internationale, les contraintes
environnementales, l’émergence de nouvelles menaces mais aussi la prise en
compte de contraintes économiques et politiques impactent significativement les
caractéristiques de la course technologique en matière d’armement. Il s’avère donc
indispensable de dégager les relations entre les différents paramètres de cette
course. Cette phase, objet du chapitre "La course technologique aux armements : des
enjeux multiples", est le cœur de notre réflexion. Elle s’est enrichie des entretiens
menés tout au long de l’année et qui ont concerné un éventail très large de
personnalités : dirigeants industriels, opérationnels, scientifiques, responsables
stratégiques, académiques, internationaux…
Les enjeux de la course technologique actuelle et future ont pu être formalisés
ainsi que leurs interactions. Un véritable ensemble systémique focalisé sur la
recherche technologique et ses applications militaires a pu être déterminé. C’est
sur cette nouvelle base que le comité a axé ses travaux pour rechercher une
optimisation et établir des propositions concrètes. Dans la mesure où le secteur
de la défense n’est pas le seul à conduire des travaux de recherche technologique,
il s’est avéré également souhaitable de s’inspirer d’expériences issues d’autres
domaines industriels et d’effectuer une analyse comparative au plan international.
Au terme de la démarche, des conclusions ont pu être tirées sous forme de
constats et de recommandations pour garantir la maîtrise au juste nécessaire des
développements technologiques pour les systèmes d’armes. Le chapitre 4 présente
ces recommandations et définit des perspectives pour un éventuel approfondissement.
Limitations de l’étude
Les travaux devant s’inscrire dans un délai relativement court, il n’a pas été
possible d’explorer en profondeur la totalité des facettes de la problématique. En
particulier, le recensement des cas de course technologique à l’échelle mondiale
a été réduit, le comité préférant se focaliser sur le contexte national et européen.
De même, il n’a pas été jugé nécessaire, ni même pertinent, de balayer l’ensemble
des domaines technologiques de l’armement pour dégager une quelconque
quantification. En conséquence, les recommandations de l’étude restent relativement
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générales et focalisées sur une approche méthodologique. Toutefois, elles demeurent
suffisamment robustes pour s’appliquer à la quasi-totalité des secteurs de défense.
Enfin, un léger regret pourrait être formulé quant à l’analyse comparative avec
d’autres secteurs économiques. Il aurait été intéressant de poursuivre l’étude des
outils et problématiques traités notamment par le ministère de la Recherche et
creuser les pistes de synergie entre domaines civil et militaire.
Quelques définitions de base
Course : "Épreuve de vitesse, compétition sur une distance, parcours donné".(1)
Cette définition met le doigt sur le paramètre temporel inhérent à l’épreuve ainsi
que sur la notion de parcours. Il est important de déterminer la trajectoire visant à
l’atteinte de l’objectif.
Technologie : Théorie générale et études spécifiques des techniques (outils,
procédés, machines) au sens didactique. Ce terme désigne également, dans une
acception anglo-saxonne, une technique moderne et complexe. C’est donc bien en
ce sens que l’on peut parler de technologies de pointe, de nouvelles technologies
de l’information et de la communication (NTIC), de biotechnologies… ou encore de
transfert de technologie. C’est également d’après cette définition que se comprend
la notion de course technologique.
La technologie est directement concernée par cette action d’investigation d’où
la notion de recherche et technologie (R&T) qui englobe les travaux dédiés à
l’exploration de nouvelles technologies pouvant avoir une application pratique.
Technique : La technique relève de domaines particuliers de la connaissance
ayant des applications, au delà de la théorie, dans le domaine de la production et de
l’économie. Toujours selon une définition académique, la technique peut également
désigner un ensemble de procédés méthodiques fondés sur des connaissances
scientifiques et employés en production. Les différentes techniques (de pointe,
informatique, managériales, etc.) se conçoivent ainsi comme une déclinaison
scientifique de domaines variés. Il est également intéressant de souligner que
(1)
Définition du dictionnaire Le Robert.
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dans un sens très général, une technique est mise en œuvre dans le cadre d’actions
d’investigation ou de transformation de la nature.
Il existe donc un lien évident entre technique et technologie. Afin de le prendre
en compte, c’est dans le sens le plus large que le terme de technologie est employé
par la suite dans ce rapport.
« Il n’y a que deux puissances au monde, le sabre et l’esprit : à la longue, le sabre
est toujours vaincu par l’esprit. »
Napoléon
LA COURSE À LA TECHNOLOGIE
EN MATIÈRE D’ARMEMENT :
DES RÉUSSITES FLAGRANTES ET DES ÉCHECS CUISANTS
Un concept vieux comme le monde
Depuis que l’homme a découvert la guerre, soit probablement dès l’aube de
l’humanité, il s’est attaché à développer de nouvelles technologies pour ses
armements en vue d’obtenir la supériorité sur l’adversaire. Sans remonter jusqu’à
la préhistoire et les premiers silex taillés, l’histoire abonde d’exemples de ce type
comme nous allons le voir.
Un exemple intéressant est l’évolution du char de guerre, non pas le monstre
d’acier de plusieurs dizaines de tonnes que nous connaissons aujourd’hui, mais
celui de quelques dizaines de kilos, principalement fait de bois qui domine les
champs de bataille proche-orientaux entre 3000 et 500 av. J.-C. Apparu dans les
cités mésopotamiennes vers 2600 av. J.-C., tiré initialement par des onagres, il ne
s’agit au début que d’une plateforme sommaire servant uniquement de véhicule
d’apparat. Il devient petit à petit une arme de guerre, tout d’abord simple plateforme
de tir (chars égyptiens du Nouveau Royaume par exemple), avant de s’alourdir et de
devenir une arme de choc (chars assyriens de la dynastie sargonide par exemple).
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Symbole de puissance, arme de suprématie du champ de bataille(2), le char de guerre
fait durant ces siècles l’objet d’une recherche technologique poussée, afin de lui
donner une robustesse maximale pour un poids minimum.
L’évolution de l’artillerie à poudre est également instructive. Inventée en Chine au
XIIe siècle, elle est mise en œuvre pour la première fois en Europe lors de la bataille
de Crécy en 1346, même si la victoire anglaise est davantage due à l’arc long des
archers gallois et à l’impétuosité folle des chevaliers français qu’à la puissance
de feu des 5 bombardes déployées ce jour là. Une vraie course à l’armement est
néanmoins lancée à partir de cette date entre les différentes grandes nations
européennes pour se doter de l’artillerie la plus performante. Les princes d’Europe
n’hésitent pas à offrir de véritables ponts d’or pour prendre à leur service les
maîtres canonniers les plus réputés. C’est le cas des frères Bureau sous le règne
de Charles VII, dont les canons jouent un rôle décisif à Castillon en 1453, puisque
cette victoire française marque la fin de la guerre de 100 ans. Certains privilégient
des canons de fort calibre, comme par exemple les Turcs, avec leurs monstrueux
canons d’un calibre de 750 mm, construits au XVIe siècle pour détruire les murs
de Constantinople ou défendre les Dardanelles(3). D’autres nations privilégient des
pièces de plus petit calibre mais plus mobiles, destinées à être engagées en masse
sur le champ de bataille. C’est par exemple le cas de l’armée bourguignonne de
Charles le Téméraire qui dispose, en 1476 à Grandson, de 400 canons pour 18 000
combattants. L’avènement de l’ère industrielle ne fera qu’accélérer le phénomène.
Il y a naturellement des exceptions, des cas où des nations se sont abstenues de
développer des technologies liées à l’armement, pour des raisons philosophiques
ou religieuses. L’exemple le plus significatif est celui de la Chine à partir de la
dynastie Ming. Alors que l’Empire du Milieu s’était toujours trouvé à la pointe du
développement technologique en matière militaire(4), un brutal coup d’arrêt est
marqué à partir de la fin du XVe siècle sous l’influence du confucianisme. La Chine
n’est alors menacée que par quelques tribus turco-mongoles, que les armes en
service suffisent à contenir. Même en cas d’invasion réussie, la richesse de la culture
et de la civilisation chinoise entraîne une assimilation rapide des vainqueurs. Le
réveil sera brutal lorsqu’à partir du XIXe siècle, la Chine se trouve confrontée aux
Ainsi à Kadesh, en 1300 av. J.-C., s’affrontent pour la domination de la Syrie près de 6000 chars égyptiens et hittites.
http://en.wikipedia.org/wiki/Great_Turkish_Bombard.
(4)
Citons l’invention de la poudre à canon, des fusées, de l’arbalète, des navires de guerre hauturiers.
(2)
(3)
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puissances européennes et au Japon, qui a rapidement rattrapé son retard à partir
de l’ère Meïji. Un autre exemple moins connu touche à l’influence de l’Église au
Moyen Âge qui s’efforça, en vain, de freiner le développement de nouvelles armes,
comme l’arbalète sous prétexte qu’elle permettait de tuer des adversaires sans les
voir.
Ces quelques exemples illustrent bien le caractère permanent de la course
technologique au fil de l’Histoire. La course aux armements a toujours été entretenue
par la recherche technologique, une carence d’investissement en la matière se
traduisant, tôt ou tard, en défaite militaire.
Pour autant, la technologie a-t-elle toujours été synonyme de supériorité
militaire ? Là encore quelques exemples méritent d’être étudiés.
La course aux armements comme élément clé de la victoire
Nous avons évoqué précédemment le cas de la Chine et du Japon. Le succès
des puissances européennes en Chine au XIXe siècle, et de manière plus générale
dans leur expansion coloniale, a été directement lié à la supériorité technologique
des armements des troupes européennes face aux armées indigènes. Le XIXe siècle
regorge de succès de corps expéditionnaires européens, balayant des adversaires
indigènes à la fois plus nombreux et ayant l’avantage du terrain. Les seuls échecs
rencontrés par des corps européens sont dus à des circonstances particulières,
liés notamment à l’exercice de commandants particulièrement incompétents
(Islandwhana en 1879 pour les Britanniques face aux Zoulous, Adoua en 1896 pour
les Italiens face aux Éthiopiens(5)). À noter que les Boers d’Afrique du Sud furent
parmi les adversaires les plus coriaces rencontrés dans ces guerres. Contrairement
aux autres peuples indigènes, les Boers, d’origine européenne, s’étaient dotés
d’armement modernes (fusils Mauser et canons Krupp, Creusot et Schneider)
supérieurs à ceux de leurs adversaires britanniques. Il fallut quatre années de durs
combats, l’envoi de milliers de soldats (au summum du conflit, 250 000 hommes
venus de tout l’Empire britannique affrontaient 30 000 Boers) et le recours à des
méthodes radicales (notamment l’emploi de camps de concentration pour couper
les Boers de la population locale), pour que les Britanniques finissent par s’imposer.
Mais ceux-ci prendront leur revanche en 1936, grâce à leur armement moderne comparé à celui des troupes du Négus
(troupes motorisées, aviation, gaz de combat…).
(5)
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Le cas du Japon est particulièrement intéressant. Plongé pendant des siècles dans
une léthargie profonde, il se lance à partir de l’ère Meïji dans la construction d’une
armée moderne, équipée à l’occidentale. Si au début il se contente d’importer des
matériels de guerre d’origine européenne, il bâtit en quelques années une industrie
de défense capable de produire des armements de qualité équivalente, voire même
supérieure à ceux des autres nations. L’Empire du Soleil Levant ne tarde pas à tirer
rapidement les bénéfices de cette politique en matière d’armement : victoire sur la
Chine en 1895, victoire sur la Russie en 1905. Et pendant les premiers mois de la
campagne du Pacifique, les avions chasseurs Zéro et les torpilles "longue lance"
permettent à la marine japonaise de dominer le Pacifique face à l’US Navy et de
conquérir l’essentiel de ses objectifs territoriaux. C’est pourtant la technologie qui
va coûter la victoire au Japon car il ne dispose pas de la puissance industrielle
et de la capacité de R&T des États-Unis durant la Seconde Guerre mondiale.
Ces derniers parviennent simultanément à développer et mettre en service des
armements supérieurs en quantité et en qualité à ceux des japonais (par exemple
les chasseurs Hellcat et autres Corsair qui balaient des cieux le Zéro). De plus, ils
exploitent totalement leur suprématie technologique. C’est le radar qui permet à la
marine américaine de s’imposer lors des féroces combats de nuit dans les eaux de
Guadalcanal, neutralisant l’entraînement supérieur des marins japonais dans ce type
de combat. Mais c’est surtout l’arme nucléaire qui donne la victoire aux États‑Unis
en brisant l’esprit de résistance japonais, illustration parfaite de la technologie
comme élément clé de la victoire.
Plus près de nous, c’est la supériorité technologique avérée des États-Unis qui
leur donne la victoire dans la guerre froide, l’URSS se révélant incapable de suivre
la course technologique lancée par les États-Unis à l’occasion de leur Strategic
Defense Initiative (SDI).
Il n’est pas surprenant que les États-Unis se livrent aujourd’hui encore à une
course aux armements même s’ils n’ont plus en face d’eux de challengers dignes
de ce nom. En effet, les Américains ont toujours été fascinés par la technologie,
que ce soit dans la vie courante ou en matière militaire. Ainsi les différents conflits
reflètent une véritable doctrine américaine fondée sur le principe que tout problème
peut être traité par la technologie. Cette supériorité technologique dans le domaine
de la défense permet aux États-Unis d’être la seule superpuissance militaire dans
le monde.
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Nous voyons donc que les exemples abondent où une supériorité technologique
en matière d’armement constitue un élément clé de la victoire. Dans le cadre des
États-Unis, la politique très volontariste depuis de nombreuses années a conduit ce
pays à acquérir une avance technologique décisive qui ne semble pas susceptible
d’être remise en cause de manière globale.
Une option qui ne garantit pas la victoire opérationnelle
Quand tactique et effet de masse priment
Cependant l’Histoire montre que la suprématie technologique en matière
d’armement peut aussi se révéler une option coûteuse non décisive pour la
victoire finale. Par exemple, avant la Première Guerre mondiale, Grande-Bretagne
et Allemagne se sont livrées à une intense course aux armements dans le domaine
naval, en construisant de nombreux bâtiments cuirassés. Les autres nations
européennes ont suivi la logique participant de fait à la course technologique
(France, Italie, Autriche-Hongrie, etc.). Pourtant ces systèmes d’arme se sont révélés
totalement inadaptés aux besoins opérationnels réels. Ils ont passé la majeure partie
du conflit à l’ancre dans des ports, devenant même dans le cas de l’Allemagne des
foyers d’insurrection. Nul n’avait perçu le potentiel d’un nouveau système d’armes,
le sous-marin, arme peu coûteuse en comparaison des cuirassés et qui a failli donner
la victoire à l’Allemagne.
Toujours pendant la Première Guerre Mondiale, sur le front terrestre, les
puissances de l’entente cordiale et celle de l’Axe Central se sont livrées en vain à une
course effrénée aux armements : canons de plus en plus gros, nouvelles armes (gaz
de combat, mortiers de tranchée, pistolet mitrailleur, char, avion, etc.). La logique
des tranchées résiste à toutes ces innovations, réseaux de barbelés et mitrailleuses
brisant tous les assauts. La solution allait venir non pas de la technologie, mais
d’un changement de tactique. Ce sont les Allemands, qui bien qu’ils aient eu dans
la plupart des domaines une suprématie technologique face aux alliés, développent
des tactiques d’infiltrations, à l’opposé des assauts massifs des années précédentes.
Ces nouvelles tactiques brisent le statu quo des tranchées et relancent la guerre
de mouvement. Mais il est trop tard, l’armée allemande est épuisée par quatre
années de conflit et ses adversaires sont trop nombreux. L’offensive allemande est
un échec et les contre-offensives de l’Entente qui lui succèdent ne rencontrent que
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peu d’opposition ; les chars dont sont massivement dotées les armées de l’Entente
jouent certes un rôle important, mais c’est l’épuisement de l’armée allemande et
l’avantage numérique des alliés qui leur donnent la victoire.
Un scénario similaire se produit durant la Deuxième Guerre mondiale.
Globalement, quelle que soit la période du conflit, les armements des deux camps
sont sensiblement équivalents. La différence se fera tout d’abord sur la tactique (le
Blitzkrieg des premières années de guerre) puis sur la quantité de matériels dont
disposeront les Alliés en fin de conflit.
L’inadéquation technologique dans les conflits asymétriques
Même si la suprématie technologique n’est pas toujours l’élément déterminant
de la victoire, elle reste un atout important dans le cadre d’un conflit conventionnel.
Néanmoins, elle s’avère beaucoup moins pertinente dans le cadre de confrontations
asymétriques. L’adversaire, dans ce type de conflit, s’engage sur des terrains ou
choisit des modes d’actions où la technologie est inefficace. C’est notamment
le cas des différents conflits de guérilla ou de terrorisme qui ont marqué les 50
dernières années.
Ainsi, bien que l’État d’Israël ait su militairement vaincre les nations arabes
dans tous les conflits qui les ont opposés, en jouant habilement d’armements, de
technologies, et de tactiques supérieures, il s’est révélé incapable de briser la volonté
et la capacité de résistance des Palestiniens. Que peut faire le char ou l’avion le
plus sophistiqué contre un terroriste kamikaze ?
La situation peut même être aggravée quand l’adversaire a recours à des
technologies civiles facilement disponibles pour des applications militaires. C’est,
par exemple, le recours à des téléphones mobiles pour déclencher des Improvised
Explosive Device IED en Irak et Afghanistan, ou l’emploi de fibres optiques pour les
communications du Hezbollah au Sud Liban, lors du conflit de 2006.
Ce dernier cas qui peut remettre en cause la pertinence du tout technologique
constitue un des paradigmes actuels qui mérite une analyse plus approfondie.
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La technologie à l’épreuve du temps
Il apparaît qu’un élément fondamental du succès de la technologie est le
paramètre temporel. En effet, l’effet de surprise lié à l’apparition d’une nouvelle
arme est souvent décisif pour son succès. Une fois celui-ci passé, l’adversaire ne
tarde pas à développer des matériels ou des tactiques pour contrer cette arme, avant
de la copier. Un bon exemple est le premier emploi des chars lors de la bataille
de Cambrai en 1917. Lors de leur premier engagement initial dans cette bataille,
ils obtiennent une percée décisive mais totalement inespérée côté anglais. À tel
point que les généraux n’ont pas prévu les troupes nécessaires pour l’exploiter. Les
Allemands ne tardent pas à ramener leurs réserves pour colmater la brèche. Plus
tard, ils développeront un panel d’armes antichars qui se révéleront relativement
efficaces lors de la suite du conflit, et les chars n’obtiendront plus jamais de succès
d’une telle ampleur.
Plus près de nous, le conflit du Kippour est éloquent. Dans les premiers jours
des combats, l’armée de l’Air israélienne est pratiquement neutralisée par les
réseaux de défense sol-air des nations arabes, permettant à celles-ci d’obtenir
des gains territoriaux significatifs, en particulier dans le Sinaï. Ce n’est que grâce
à la fourniture de systèmes de guerre électronique par les États-Unis et la mise au
point de tactiques adaptées que les Israéliens pourront reprendre partiellement la
supériorité aérienne, ce qui leur permettra de reprendre l’initiative et de remporter
au finish une courte victoire.
Les conflits asymétriques sont également représentatifs de cette problématique.
Au Liban, en 2006, même après plusieurs semaines de conflit, l’armée israélienne
n’a pas su trouver les dispositifs aptes à contrer les tactiques et armements du
Hezbollah. En Irak, il a fallu plusieurs années aux États-Unis pour trouver les moyens
de réduire leurs pertes par IED.
Avec le développement rapide des technologies civiles, dont un certain
nombre peuvent avoir des applications duales (systèmes de télécommunication,
d’observation, etc.), l’aspect temporel de la course technologique deviendra de plus
en plus important à traiter. En effet, les cycles de développement des programmes
d’armement étant relativement longs, il faudra faire preuve de réactivité et d’agilité
dans le futur pour faire face aux nouvelles formes de combat.
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La technologie à l’épreuve du moral
Autre point souvent négligé au niveau de la technologie, l’importance de l’effet
du moral. Il est surprenant de constater le peu d’impact de la technologie militaire
sur la volonté de résistance d’une nation ou d’un peuple. Que ce soit pendant
la Deuxième Guerre mondiale, au Viêt-Nam, en Cisjordanie, des campagnes de
bombardement massives n’ont eu que peu d’effet sur la volonté de résistance des
populations bombardées, quand elle ne la renforçait pas. Plus près de nous, la petite
Serbie a résisté 78 jours avant de céder aux bombardements des avions de l’Otan.
En fait, la résilience de l’être humain est beaucoup plus importante qu’il n’y
parait, à moins d’un choc psychologique extrême. Ce fut notamment le cas avec les
bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki, qui conduisirent le Japon à capituler.
En synthèse, il convient de noter que jusqu’à présent la technologie est clairement
un atout dans la résolution des conflits, mais qu’elle ne garantit pas la victoire dans
tous les cas. De multiples paramètres venant interagir, il est nécessaire de bien les
identifier.
« La technologie n’est ni bonne ni mauvaise, elle est ce que l’on en fait. »
Général d’armée aérienne Stéphane Abrial
LA COURSE TECHNOLOGIQUE AUX ARMEMENTS
DES ENJEUX MULTIPLES
À ce stade de la réflexion, il importe de s’intéresser aux différents facteurs entrant
en ligne de compte et pouvant avoir un impact sur la course technologique en
matière d’armement. Si le besoin opérationnel reste le point de départ de l’analyse,
il convient aussi de passer en revue les enjeux scientifiques, l’intérêt industriel et
son incidence économique voire politique. Même les enjeux sociétaux, notamment
ceux qui relèvent du développement durable, doivent également être confrontés
aux impératifs de défense. L’ensemble des entretiens a permis de dresser un bilan
qui est présenté dans le présent chapitre.
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Point de vue opérationnel
De tout temps, le besoin militaire a été de rechercher la prise de l’ascendant
sur l’ennemi si possible en profitant d’une supériorité technologique. Il fallait tirer
plus loin, plus vite, plus juste, voler plus longtemps, naviguer par tous les temps,
etc. De nos jours, avec la quasi disparition des menaces symétriques au profit de
la résurgence d’affrontements asymétriques, la course technologique perd de son
intérêt et peut devenir contre-productive.
Cependant il convient de nuancer cette affirmation. La doctrine terrestre a mis
en exergue l’existence de trois phases dans le déroulement des conflits actuels :
intervention, stabilisation et normalisation. Il est évident que cette dernière ne nécessite
pas d’avantage technologique particulier. En revanche, la phase d’intervention impose
d’avoir une forte supériorité tactique, donc des armements dont le niveau technologique
doit permettre de prendre cet ascendant le plus vite possible, avec le moins de pertes
possibles, tout en minimisant les dommages collatéraux. Concernant la stabilisation, il
faut pouvoir "transformer" les engins et véhicules utilisés précédemment, mais avec une
empreinte moins agressive. Cela demande un changement fort dans la conception des
matériels terrestres. D’un point de vue militaire, le concept de polyvalence de systèmes
d’armes prend une importance croissante.
En raisonnant sur le besoin de chaque armée, il semble notable que la Marine
et l’armée de l’Air aient besoin de technologies pouvant leur conférer un avantage
capacitaire important. Mais si la technologie peut rendre plus efficace et donner des
éléments nécessaires pour gagner la guerre, il est illusoire de penser qu’elle est à
même de rendre plus fort et plus puissant. Ce constat est désormais reconnu depuis
les années 2000 ; en effet, plus les équipements seront chers, plus le format des
armées diminuera. On peut donc très facilement entrer dans une spirale d’évolution/
dépendance de la technologie en échange d’un format de plus en plus réduit. Or, rien
ne garantie que la technologie soit suffisante à suppléer cette diminution des forces ;
à titre d’exemple peut-on déduire des performances techniques qu’un hélicoptère
Tigre équivaut opérationnellement à 5 à 10 Gazelles, ou qu’un système Felin peut
remplacer quatre ou cinq fantassins ?
Il est donc nécessaire de déterminer la zone d’efficacité entre la technologie,
son coût et le nombre d’unités disponibles comme le résume le graphique ci-après.
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Zone d’efficacité
Complexité technologique
Nombre
d’unités
La politique industrielle
a tendance à déplacer
cette zone vers la droite
Niveau technologique
À budget constant, plus la technologie est complexe et donc chère, moins les unités en
seront équipées, d’où un format réduit.
On doit chercher la zone d’efficacité. Il y a forcement conflit entre politique industrielle
qui inclut plus de technologie et besoin militaire (armée efficace au juste format).
�Pour compléter cette analyse, il est apparu que la notion de course technologique
ne soulève pas un enthousiasme fort auprès des responsables opérationnels. Il
n’y a pas de véritable besoin d’une course avec quiconque, stricto sensu. Le terme
"coopération" ressort beaucoup plus souvent que celui de course et dans un sens
le plus large possible. Compte tenu des budgets actuels, du moins en Europe de
l’ouest, il serait quasiment suicidaire de vouloir se livrer à une course en matière de
technologie que ce soit au sein de l’Union européenne ou même vis-à-vis d’autres
pays comme les États-Unis. Le besoin reste de conserver quelques pôles d’excellence
permettant de pouvoir tenir son rang ou sa place avec des équipements fiables.
Un autre volet possible est de raccourcir les délais entre l’expression du besoin
militaire et la livraison de la série. Il est aussi envisageable d’avoir des moyens légèrement
différents entre l’entraînement et l’engagement opérationnel, pour limiter les coûts.
Pour comprendre cette mutation, on peut se référer à la transformation de l’armée
de Terre 2009-2014(6). Selon cette référence, l’armée de Terre devra avoir une aptitude
(6)
N° 500034/Def/Emat/PS du 01/10/08 p.14.
133
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45e session nationale 2009 CHEAr
à remonter en puissance, sur préavis de six mois, par l’acquisition d’équipements ou
de compléments opérationnels. C’est donc une nouvelle orientation de la "politique"
d’équipement de l’armée de Terre(7). Les entretiens menés auprès des responsables
opérationnels conduisent à penser que les plates-formes futures pourraient ne remplir
qu’un pourcentage partiel de l’ensemble du besoin total. L’écart correspondrait soit
à des technologies non abouties, soit à un besoin opérationnel particulier en rapport
avec un engagement soudain de nos forces.
Cette nouvelle approche va nécessiter un changement dans le dialogue au sein
du trinôme État-major (des Armées ou d’Armées), DGA et industrie. Le besoin
opérationnel devra vraisemblablement être l’objet de multiples déclinaisons, avec
des priorités hiérarchisées.
Enfin, parmi les enjeux de la compétition technologique, il demeure important
de définir et de concevoir des systèmes suffisamment ouverts tout en ayant des
avancées technologiques pertinentes. En effet, il est primordial que les nouveaux
systèmes destinés aux armées soient compétitifs sur le marché international
permettant, grâce aux ventes à l’export, des séries conséquentes et donc des coûts
de développement et de fabrication plus largement répartis.
Il apparaît donc qu’il n’y a pas de besoin opérationnel intrinsèque nécessitant de
mener une course technologique. En revanche, il est important de pouvoir disposer
du matériel suffisant au moment adéquat. Ceci requiert un changement dans le
dialogue entre État-major, DGA et Industrie.
Enjeu scientifique
Introduction
La course technologique est intimement dépendante de la recherche et
technologie (R&T). La R&T reste essentielle pour développer les futurs systèmes
d’armes, acquérir et maintenir les compétences scientifiques requises pour explorer
les pistes technologiques prometteuses, évaluer les menaces…
Compte tenu de la composition du comité n° 7, ce paragraphe sera assez orienté armement terrestre. Dans le Livre blanc,
la période de la prochaine loi de programmation militaire (LPM) prévoit d’être centrée sur la restauration des capacités
terrestres. Il nous est donc apparu que cette orientation n’était pas un non-sens.
(7)
134
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CHEAr 2009 45e session nationale
L’enjeu de la R&T est très fort pour ce qui touche aux bas niveaux de TRL
(TRL1‑3(8)) ce qui a conduit certaines personnes interrogées à affirmer que le
leadership de la course technologique revenait aux laboratoires de recherche. Les
avancées technologiques présentent effectivement une capacité de réactivité aux
menaces émergentes et d’anticipation des besoins opérationnels futurs. Ces deux
paramètres sont d’ailleurs mis en valeur par le Livre blanc.(9)
Pour mieux saisir cet enjeu, les critères suivants doivent être approfondis :
– le choix des domaines technologiques à explorer ;
– l’efficacité de l’effort de recherche Européen au plan mondial ;
– l’intérêt de la dualité civile - militaire ;
– la mise en œuvre opérationnelle et la pérennité d’une technologie.
Le choix des domaines technologiques
Les choix doivent anticiper les besoins de demain et ainsi préparer l’avenir de
nos forces. La difficulté reste que les besoins de demain ne sont pas toujours
imaginables à partir des solutions d’aujourd’hui.
La limitation des ressources financières reste le principal frein à une véritable course
technologique tous azimuts et impose de faire des choix ciblés. Cette situation n’est
pas complètement négative car elle force à décider plus clairement quelles sont nos
priorités. Si la contrainte financière exclut de fait tout risque de surarmement, elle
ne doit pas non plus conduire à faire des impasses technologiques qui pourraient
déboucher sur un retard ultérieur sur certaines capacités opérationnelles. Il faut donc
disposer de puissants outils d’appréciation. La veille technologique constitue donc
un enjeu majeur et doit faire l’objet d’une circulation à tous les niveaux (top-down
depuis le besoin opérationnel au bottom-up à partir des perspectives technologiques).
À titre de comparaison, les États-Unis (Darpa) ont depuis des années adopté une
stratégie systématique consistant à lancer plusieurs études en parallèle, chacune
par une piste différente, pour résoudre le défi technologique. Cette stratégie est
bien entendu beaucoup plus coûteuse mais produit des résultats spectaculaires.
TRL – Technology Readiness Level. Une échelle qui comprend 9 niveaux de maturité d’un système ou équipement. Les
niveaux 1-3 correspondent aux principes, conceptions ou développements très basiques d’une technologie de faible maturité.
(Référence : Guide TRL-RCTI).
(9)
Chapitre 16 – L’industrie et la recherche.
(8)
135
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45e session nationale 2009 CHEAr
L’efficacité de l’effort en recherche et technologie (ERT) en Europe
La dimension internationale est importante car elle conditionne la performance
des centres de compétences scientifiques. Le bilan actuel que l’on peut établir
montre que le budget Américain en R&T est six fois supérieur à celui des pays
Européens. Un tel écart n’est pas acceptable et doit être réduit au travers d’une
véritable politique de R&T européenne. Celle-ci devrait s’attacher à réduire les
doublons et privilégier les coopérations, dans la mesure où elles ne portent pas
atteinte aux souverainetés nationales. Actuellement 20 % seulement des études
R&T des pays européens font l’objet de coopération.
L’Agence européenne de défense dont c’est l’une des principales missions, doit
développer son action pour harmoniser les politiques de R&T et de coopération
entre les pays européens, en veillant à limiter les domaines de souveraineté.
La dualité civile - militaire
Suite à la fin de la guerre froide, les budgets militaires ont fortement diminué
entraînant la fin du leadership de la recherche militaire sur la recherche civile.
Néanmoins, sur les TRL bas niveau et à quelques domaines technologiques près, il
est difficile de faire une distinction entre recherche civile et militaire.
En revanche, la logique de marchés a imposé des règles distinctes : le marché civil exige des temps de développement très rapides comparés à ceux constatés pour
les systèmes militaires. Les pressions commerciales donnent lieu à un investissement
en R&T bien supérieur à celui des budgets militaires. Il faut donc savoir profiter
de technologies civiles, tout en intégrant leurs limites car les normes de sécurité,
de conditions environnementales, de robustesse ou de fiabilité diffèrent parfois
radicalement. La transposition à moindre coût reste donc exceptionnelle. La plupart
du temps, il est impératif de requalifier une technologie dans son environnement
opérationnel, au risque d’échec douloureux.
Au bilan, la recherche civile est bénéficiaire de l’effort de défense puisqu’il ressort
que 60 % des technologies développées pour le secteur militaire sont transposables,
contre 20 % seulement en sens inverse. De même, la synergie est croissante entre
les programmes de sécurité et de défense, et 15 % des programmes d’études amont
intéressent directement la sécurité intérieure.
136
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CHEAr 2009 45e session nationale
Mise en œuvre opérationnelle et pérennité technologique
Une première étape importante consiste à transférer une technologie du domaine
du chercheur à celui de l’ingénieur.
Lors de la conception d’un programme, il peut s’avérer nécessaire de recourir
aux démonstrateurs de technologie afin de mieux maîtriser les risques associés à la
faible maturité d’une technologie. Ces démonstrateurs peuvent aussi aider à affiner
le besoin opérationnel et comprendre les capacités émergentes d’une nouvelle
technologie. Le processus conduit à définir, bien en avance, la technologie choisie
alors que cette technologie ne sera mature qu’à la mise en service opérationnel.
Dans cette démarche, il y a forcement un risque compte tenu de la durée de
développement, que le système ne soit plus cohérent à sa mise en service avec le
besoin opérationnel du moment. Pour minimiser l’écart entre le besoin pressenti
et réel, il est donc nécessaire d’avoir un délai le plus faible possible entre le choix
d’une technologie et son application.
Dans la mesure où ce choix technologique doit se faire assez tôt dans le
déroulement d’un programme, la question se pose de garantir la pérennité de
la technologie jusqu’à la phase de mise en service. Dans les premiers temps
d’utilisation, la performance technologique du système d’armes va devenir la
référence mais deviendra rapidement obsolète, ce qui entraîne le plus souvent une
nécessaire modernisation à mi-vie. Il est fort possible que la fréquence de telles
modernisations évolue selon le besoin opérationnel et l’émergence de technologies
de rupture. Pour permettre la réactivité et l’adaptabilité de nos matériels, il faut
donc continuer à mener des travaux de R&T tout au long de l’utilisation en veillant
systématiquement à déterminer et piloter le point d’application opérationnelle.
Nous voyons donc que l’enjeu scientifique est très fort et en interaction avec l’enjeu
opérationnel en terme d’applicabilité à un horizon donné et à un coût acceptable.
La R&T demeure stratégique pour les programmes d’armement et doit, malgré les
contraintes financières, être préservée. L’ERT est donc à maintenir à un niveau élevé
même si toutes les pistes explorées ne trouveront pas d’applications opérationnelles.
137
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45e session nationale 2009 CHEAr
Intérêt industriel
Il a semblé évident, pour la plupart des personnes interrogées, que l’industrie
a sa part de responsabilité dans la course technologique. Mais au-delà de cette
évidence, il convient d’examiner quelles sont les raisons qui incitent un industriel
à rechercher toujours plus d’innovation. Nous verrons que ces raisons peuvent
être regroupées en trois catégories : la réponse à une demande très exigeante, la
recherche de l’avantage concurrentiel par rapport aux autres industriels du même
secteur, et enfin, le maintien des compétences.
Ceci étant posé, nous regarderons quels sont les éléments modérateurs face à
la course technologique. D’un point de vue industriel, il s’agit principalement des
contraintes financières qui limitent les investissements dans la R&T, des modalités
de prise en compte des risques et de l’aptitude à savoir innover de manière pérenne.
Ce qui pousse l’industrie à la course technologique
Le point de vue des industriels laisse à penser que le besoin opérationnel a tendance
à entretenir la course à la technologie par simple comparaison avec ce qui se fait de
mieux au sein des armées potentiellement ennemies, ou plus souvent même, alliées.
Il est vrai que les armées françaises, très largement déployées et au contact d’autres
armées, identifient en permanence des capacités nouvelles "intéressantes", parce
qu’elles multiplient l’efficacité des troupes déployées, ou parce qu’elles facilitent
l’interopérabilité ou encore parce qu’elles permettent de nouveaux modes d’action.
Ces nouvelles capacités identifiées seront demandées aux industriels. Or, pour
que deux équipements fabriqués par deux industriels différents soient au même
niveau technologique, à peu près au même moment, il faut que les industriels aient
atteint le même niveau de développement dans les technologies considérées. Ainsi,
le seul moyen de satisfaire sans délais excessifs une demande tirée par l’exemple
de ce qui est disponible dans d’autres armées, ne peut se faire qu’au travers de
programmes en coopération et/ou d’investissements permanents en R&T. Pour être
en phase avec l’offre d’un fournisseur, une entreprise n’a d’autre possibilité que de
coopérer avec celui-ci en matière de R&T ou d’innover de manière autonome, sans
attendre qu’une technologie intéressante à copier ou intégrer n’arrive sur le marché.
C’est incontestablement une forte incitation à "courir" derrière la technologie.
138
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CHEAr 2009 45e session nationale
Au-delà de la réponse aux attentes d’un client particulier, il est évident que la
question de l’avantage concurrentiel se pose pour toutes les campagnes export.
Les facteurs différentiateurs, lors d’une mise en concurrence, sont de quatre ordres :
– financier (le prix ainsi que les modalités de paiement) ;
– opérationnel (la réponse du produit aux demandes du client) ;
– industriel (l’importance des compensations ainsi que la nature des technologies
qui seront transférées au pays client) ;
– politique (tout ce qui, en marge de l’acquisition proprement dite, peut inciter
un pays à acheter son équipement à tel ou tel fournisseur).
Parmi ces quatre facteurs, on note que trois d’entre eux ont un rapport direct avec
la technologie mise en œuvre au sein de l’équipement : le prix (l’introduction de
nouveaux procédés de fabrication peut permettre de réduire les coûts de production
d’un équipement donné), la réponse au besoin opérationnel (dont les conséquences
sur la course à la technologie ont été évoquées supra) et les transferts de technologie
associés au contrat. Ces derniers ne sont possibles qu’à la condition que la technologie
transférée soit suffisamment attractive pour constituer un apport pour le pays client
sans pour autant faire perdre tout avantage concurrentiel à l’industriel qui exporte.
Celui-ci doit donc avoir, en quelque sorte, "une longueur d’avance" dans son réservoir
de technologies pour se permettre de transférer une technologie dont il sait qu’une
fois exportée, il ne sera plus en mesure d’en contrôler l’utilisation.
En résumé, la recherche de l’avantage concurrentiel est un moteur de la course
à la technologie pour :
– réduire les coûts en agissant sur la composition de l’équipement et/ou sur les
procédés de fabrication et/ou de soutien ;
– offrir un produit plus performant ;
– permettre au vendeur de transférer des technologies sans compromettre son
avenir ;
– s’ouvrir vers de nouveaux "marchés" en proposant des fonctionnalités
nouvelles.
Ces aspects s’observent de manière similaire sur les marchés civils et militaires,
chaque domaine faisant l’objet d’une veille technologique de plus en plus active ainsi
que d’une réévaluation fréquente de la criticité des technologies employées vis-à-vis
de la concurrence (la terminologie consacrée étant celle de core/non core).
139
I
45e session nationale 2009 CHEAr
Mais il convient également d’examiner les aspects de maintien de compétences,
qui recouvrent en fait deux notions différentes. Il s’agit d’une part de se donner
les moyens d’entretenir un réservoir d’ingénieurs aux connaissances critiques pour
l’entreprise, d’autre part de faire en sorte qu’un équipement produit une année
donnée puisse l’être encore, de manière parfaitement fonctionnelle, plusieurs
années après.
Pour entretenir un réservoir d’ingénieurs, il faut que ceux-ci aient un plan
de charge stable et des perspectives d’évolution valorisantes. Or, lorsque le
développement d’un programme s’achève, il est fort probable que le programme
suivant ne sera pas immédiatement lancé, de sorte que des effectifs importants
du bureau d’études vont se retrouver sans études spécifiques. Cette situation a
en général deux conséquences : certains des ingénieurs désœuvrés se mettent en
quête d’un emploi chez un autre employeur alors que ceux qui restent n’arrivent
pas à transmettre leur savoir, faute d’études capables de faire venir des plus
jeunes. Le risque de perdre des compétences est d’autant plus grand que le cycle
des grands programmes d’armement tend à espacer les différentes générations
de matériel, de sorte que le temps qui passe entre deux programmes majeurs
successifs multiplie les départs, sans permettre le maintien et la transmission
du savoir en interne. La seule solution pour éviter cette fuite des cerveaux est
de recourir aux études de R&T, pour maintenir un niveau de charge minimal du
bureau d’études entre deux programmes.
Conséquence entre autres de la course à la technologie, mais également de
l’introduction de nombreux règlements en faveur du développement durable, le
renouvellement des procédés de fabrication et des matériaux utilisés pour réaliser
un composant donné est de plus en plus rapide. Cet aspect est perceptible en
partie au travers des nombreuses obsolescences que connaît un matériel au cours
de sa vie. Mais au-delà des obsolescences et en supposant que celles-ci seront
gérées convenablement, il est considéré comme fort probable que l’on ne saura
pas produire dans vingt ans un produit rigoureusement identique à celui que l’on
produit aujourd’hui, du simple fait que la composition des matières premières
aura évolué (les matériaux pourront être d’une pureté différente) et que le niveau
de finition des sous-composants sera différent parce que les outils et procédés de
fabrication le seront ou simplement parce que la formation des personnels mis à
contribution sera différente. Aussi, fabriquer un armement à un moment donné
140
I
CHEAr 2009 45e session nationale
n’implique pas toujours la capacité à le reproduire de nouveau plus tard. Selon ce
principe, une technologie n’est jamais pérenne. C’est en particulier vrai pour les
armements de la dissuasion, ce qui rend nécessaire la prise en compte de marges
dans la conception des armes actuelles et le développement de moyens capables de
vérifier que les armes produites ultérieurement seront fonctionnelles. Ainsi, même
lorsqu’une technologie peut être considérée comme suffisante pour répondre à
un besoin donné, il est vraisemblable que celle-ci ne puisse continuer à répondre
à ce besoin, fut-il inchangé, sans un minimum d’études complémentaires afin de
garantir sa durabilité.
En comparant les domaines civil et militaire, il apparaît que la principale différence
réside dans l’origine du besoin. Dans le domaine militaire, ce sont principalement
les utilisateurs finaux qui sont force de proposition et d’innovation au travers des
besoins exprimés, alors que dans le domaine civil, c’est avant tout la concurrence
qui tire l’innovation au niveau de l’offre. Il est d’ailleurs assez logique dans ces
conditions que les modes de financements de la R&T diffèrent selon les domaines :
la R&T destinée aux équipements militaires est justifiée par la réponse à un besoin,
au regard de son coût mais aussi et surtout au regard des performances souhaitées,
alors que la R&T destinée aux équipements civils est évaluée en permanence sous
le prisme du retour sur investissement.
La durée des cycles, souvent évoquée, n’est pas différente pour un secteur
d’activité donné ; en revanche on observe en général une bonne complémentarité
des cycles civils et militaires, de sorte que l’activité moyenne civile et militaire
connaît une évolution plus mesurée que celle d’un seul des deux domaines, ce qui
incite logiquement beaucoup d’industriels à équilibrer, lorsque c’est possible, leurs
portefeuilles entre ces deux domaines, avec des retombées évidemment favorables
pour les technologies duales.
Une autre différence, enfin, entre le civil et le militaire, concerne les aspects
de propriété intellectuelle, appréciée dans le civil sous l’angle des enjeux de
concurrence et considérée dans le militaire comme constitutive d’un enjeu de
souveraineté nationale. Ce dernier point est, nous le verrons dans le paragraphe
"poids politique", une autre clé de la course à la technologie.
141
I
45e session nationale 2009 CHEAr
Les freins industriels à la course technologique
Les montants consacrés à la R&T, dans le domaine de la Défense, sont assez
faibles, de l’ordre de quelques pourcents du chiffre d’affaires. Ils sont, en pratique, du
même ordre de grandeur que les marges opérationnelles des industriels concernés,
ce qui illustre bien le choix cornélien auquel ceux-ci sont confrontés chaque année,
lorsqu’il faut choisir entre le résultat immédiat, au bénéfice d’actionnaires pressés
avec lesquels le marché est souvent en phase, et la préparation de l’avenir au
détriment de la rémunération à court terme des actionnaires. D’une manière
générale, c’est l’équilibre qui prévaut, ce qui donne de fait une limite aux montants
investis dans la recherche.
Au bilan, il est difficile pour un industriel de faire varier de façon franche et/
ou irrégulière le volume de son activité de R&T. Aussi, la course aux technologies,
lorsqu’elle est menée, aura tendance à se faire à un rythme constant ou en faibles
variations. C’est donc ici une limitation.
Autre facteur limitant : le risque technologique. En effet, la complexité croissante
des armements rend l’intégration d’une nouvelle technologie dans un environnement
existant de plus en plus délicate, alors qu’elle allonge les durées de développement
de systèmes entièrement nouveaux. Certes, les moyens de CAO et de simulation,
sans cesse plus performants, permettent de réduire les incertitudes associées à
une innovation donnée, mais ils ne les lèvent pas complètement. À contrario, les
incertitudes résiduelles sont d’autant plus difficiles à évaluer que l’homme a pris
l’habitude de s’en remettre aux outils informatiques pour prévoir le comportement
d’un système et a ainsi parfois perdu l’usage du bon sens, du "flair" dans son analyse
des dysfonctionnements possibles. À cela s’ajoute la complexité des moyens de
simulation et de tests, dont les paramétrages sont devenus tellement évolués, pour
mieux prendre en compte les infimes variations des conditions environnementales
réelles, qu’ils génèrent par eux-mêmes de nouvelles sources d’incertitude et d’erreurs.
Or les risques sont difficilement partageables. La multiplication des exemples où des
partenaires censés partager les risques (communément appelés risk sharing partners),
se retrouvent en fait dans une logique de rejet de la responsabilité sur l’autre dès
qu’un problème survient, tant les enjeux financiers, voire légaux, sont importants. En
matière de programmes d’armements, il y a ces dernières années une tendance de
fond qui vise à transférer le plus possible de risques de l’État vers l’industrie, pour
142
I
CHEAr 2009 45e session nationale
différentes raisons qui vont de la recherche de la moindre responsabilité personnelle
(face au juridisme croissant de notre société) à la meilleure prédiction possible des
flux financiers (à l’extrême, un programme où l’industriel maîtrise effectivement tous
les risques ne devrait pas connaître la moindre dérive, ni calendaire ni financière).
Ainsi, les mécanismes mis en place par la Lolf ne laissent pas de place aux surcoûts
inattendus et ne permettent pas de dégager facilement les ressources requises face
à un risque qui aurait été sous-évalué côté étatique. En résumé, la tendance observée
ces dernières années est celle d’une augmentation des risques liés à l’introduction
de nouvelles technologies, doublée d’une moindre répartition de ces risques entre
différents partenaires. Les parades sont malheureusement peu nombreuses : soit
les risques sont réduits par recours à des technologies davantage matures, soit des
provisions calendaires et financières pour risques sont prises, ce qui se répercute dans
le coût du programme. Là encore, nous avons affaire à un facteur limitant la course
à la technologie.
Dernier facteur limitant : la nature variable des innovations. Il est désormais
acquis que l’innovation procède par une combinaison de petits sauts, souvent
appelés "évolutions", et par des grands bonds, communément qualifiés de "ruptures
technologiques". Or il est très difficile de choisir entre innovation incrémentale et saut
technologique comme il est rare de savoir distinguer dans les différentes trouvailles
celle qui pourra déclencher une rupture technologique, de sorte que l’innovation
suit un rythme peu prédictif en dehors de quelques règles statistiques élaborées de
manière empirique et jamais vraiment prises en compte lors de la définition d’un
produit futur, par crainte que la règle, non démontrée, ne devienne fausse. Or les
matériels développés pour répondre aux besoins de la Défense ont tendance à
être de plus en plus complexes et interdépendants. Ces deux aspects, complexité
et interdépendance, ont comme conséquence que les cycles de développement des
différents systèmes doivent être régulièrement recalés. Il est peu vraisemblable qu’une
technologie de rupture puisse facilement être intégrée dans un environnement dont la
plupart des composants ne connaîtraient que de simples évolutions. Par exemple, en
matière de télécommunications, l’accroissement très significatif des débits de données
transmissibles avec le passage de l’analogique au numérique n’a pu être pleinement
pris en compte qu’à partir du moment où les éléments d’interface (écrans de contrôles,
postes radio, outils de programmation de fréquences, etc.) et le format des données ont
été rendus compatibles avec le numérique. Pour poursuivre l’exemple, la transmission
d’images par voie radio est arrivée bien après la capacité de transmettre des signaux
143
I
45e session nationale 2009 CHEAr
numériques par cette voie ; elle a en effet dû attendre l’introduction de capteurs
d’images numériques. Une limitation similaire se retrouve pour des systèmes dont au
moins un des composants ne peut évoluer pendant plusieurs années, soit parce qu’il
est difficile techniquement de le faire évoluer facilement (cas du moteur d’un avion
de combat, par opposition à ses calculateurs) soit que cela ne soit pas acceptable
économiquement (cas d’un satellite de communications dont il est impossible de faire
évoluer la gamme de fréquences sans changer le satellite lui-même). Il apparaît donc
que l’interdépendance des différents composants d’un système d’armes introduit des
limites importantes à l’introduction de nouvelles technologies dans une partie de ce
système et, de fait, freine la course à la technologie.
Notons enfin, pour ajouter un peu à la complexité de l’ensemble, que
l’augmentation de l’écart entre deux générations consécutives d’un système d’armes
devrait inciter les concepteurs à rechercher des technologies de rupture, plus à
même de donner un écart significatif de performances entre les deux générations,
alors même que la maîtrise des risques associée à cet écart important entre deux
programmes incite, au contraire, à se contenter d’innovations limitées.
En synthèse, il apparaît un intérêt fort pour l’industrie à entretenir la course
technologique en réponse au besoin opérationnel exprimé ou pressenti, tout en
gardant en mémoire les facteurs limitants que sont la capacité des bureaux d’étude,
la maîtrise du risque technologique et les investissements requis.
Incidence économique
L’armement au cœur du développement économique de la nation
De tous temps, l’armement a permis de développer une industrie de pointe au
service d’un projet politique, celui d’affirmer la puissance d’une nation.
Le XXe siècle est très révélateur de cette course aux armements ayant eu une
incidence économique : reconstruction de l’Allemagne après la défaite de 1918,
course à l’arme nucléaire, bouclier antimissiles… Très logiquement, les avancées
technologiques réclament des investissements majeurs que seuls les pays riches
peuvent s’offrir. Elles peuvent servir un véritable projet de société comme ce fut
144
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CHEAr 2009 45e session nationale
le cas pour la conquête spatiale aux États-Unis. Une telle volonté suppose la
hiérarchisation des priorités de la Nation. Ainsi, une grande cause nationale est
facilement évoquée pour accéder à une nouvelle capacité de défense et allouer
des budgets massifs à la Défense dans la mesure où le pays demeure sous le coup
d’une menace d’agression connue ou pressentie.
L’exemple français mérite d’être souligné. À l’issue de la Seconde Guerre
mondiale et dans le contexte de la guerre froide entre les États-Unis et les pays
du Pacte de Varsovie, l’indépendance stratégique, dont la Nation française avait
fait sa priorité, s’est traduite par l’acquisition d’un outil de défense de premier
rang mondial. La DGA a été constituée pour répondre à cet objectif politique
basé principalement sur la dissuasion nucléaire. L’outil industriel a largement
bénéficié des finances publiques jusqu’à la fin des années 1980. Un tel cycle a pu
s’accomplir en bénéficiant du développement économique de l’après guerre (les
Trente Glorieuses) et a résisté aux deux chocs pétroliers de 1973 et 1979.
Avec l’effondrement du Mur de Berlin en 1989 et la constitution progressive de
l’Europe de la Défense, la situation a changé radicalement. Même si des risques de
conflits intra-européens peuvent encore être identifiés, la plupart des pays occidentaux
ne vivent plus sous une menace adverse. De façon naturelle, les priorités économiques
ont été revues depuis le début des années 1990. Confortée par la maturité de son
industrie de Défense et son niveau technologique, la France a pu revoir sa politique de
la défense en adaptant l’effort financier au juste nécessaire. Une logique d’acquisition
de capacités militaires a laissé place à une logique de gestion financière, avec le risque
de voir la défense être régulièrement la variable d’ajustement d’un budget contraint.
Selon les données actuellement recensées, il est difficile d’évaluer précisément le
nombre d’emplois concernés par les programmes de R&T de défense mais on peut
raisonnablement l’estimer à 30 000 emplois directs en France.
Aspects budgétaires
Au plan national
Pour mesurer l’effort consenti par la nation dans le domaine des technologies
de sécurité et de défense, il convient d’extraire la part budgétaire relevant de
l’effort de recherche technologique (ERT) en amont des programmes d’armement
145
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45e session nationale 2009 CHEAr
et permettant d'acquérir l'expertise, les connaissances et capacités scientifiques,
et techniques nécessaires à la définition et au lancement des futurs équipements.
Celle-ci relève principalement des crédits d’études amont regroupés pour la majeure
partie dans l'action 4 "Maintien des capacités technologiques et industrielles" du
programme 144 "Environnement et prospective de la politique de défense" et aux
subventions versées aux organismes de recherche sous tutelle du ministère (Onera,
ISL). L’ERT a représenté 850 M€ en 2008.
En élargissant aux programmes de recherche duale de la MIRES (P191), aux
études de défense et à la part R&D des développements de systèmes d’armes,
on constate que l’agrégat de la R&D de défense atteint 3,62 G€ en 2008 contre
3,46€ en 2007 soit une progression de 4,6 %.(10)�
Toutefois, on peut constater que la part défense dans la dépense nationale R&D
totale est en baisse depuis 1998 : elle était de 9,5 % en 1998 alors qu’elle ne
représente plus que 7,4 % en 2008.(11)
Au plan international
Selon les données recensées par l’Agence européenne de défense(12), la France
et le Royaume-Uni représentent à eux seuls les deux tiers de l'effort de recherche
et technologie de défense européen (2,5 G€) et de R&D (9,5 G€ en 2007) ce qui
atteste du rôle majeur que jouent ces deux nations dans la construction de l’Europe
de la défense. Les autres grands contributeurs sont l’Allemagne, l’Italie, l’Espagne et
la Suède, tous signataires de la LOI. L’ensemble des dépenses européennes en matière
de défense représentaient 41,8 G€ en 2007 d’où un ratio R&T/total de 6 %.
Concernant plus particulièrement la France, la contribution à l’effort européen
de R&T est croissant depuis 2003 : l’effort de recherche technologique est ainsi
passé de 497,7 M€ en 2003 à 850 M€ en 2008. Il est significatif car il intervient
dans une loi de programmation caractérisée principalement par l’équipement des
forces(13) et le soutien opérationnel. Il demeure néanmoins modeste au regard des
dépenses consacrées par les États-Unis estimées à 13,3 milliards d'euros en 2008.
Source : "Projet de Loi de Finances", 2008.
Source : Annuaire statistique de la Défense, 2007-2008, publié le 26 juin 2008.
(12)
Source : "National Defence Expenditure 2006-2007".
(13)
Notamment Rafale, Tigre, Felin, VBCI, Fremm, Barracuda, A400M.
(10)
(11)
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L'écart avec les États-Unis est encore plus marqué si l'on se réfère à l'agrégat R&D :
l'effort français ne représente alors qu’à peine 5 % de l'effort américain (3,6 G€
contre 77,3 G€) !
Face aux contraintes économiques qui pèsent sur l’ensemble des pays
occidentaux, il devient indispensable de privilégier la mutualisation des budgets
dédiés à la préparation de l’avenir. C’est bien dans cette perspective que s’inscrit la
France qui consacre une part importante de sa R&T à des coopérations européennes
confiées à l’Agence européenne de défense (AED). Outre sa participation au budget
opérationnel commun qui s'élève depuis 2005 à environ 5 millions par an pour des
études de recherche et technologie, la France est présente dans tous les grands
projets de l'AED financés sur budget dédié : Musis, programme de protection
des forces (Force Protection), radio-logicielle (Essor) ou programme de concepts
innovants et technologies émergentes (ICET)…
Nécessité d’une BITD
L’investissement de R&T consenti par la défense bénéficie principalement
à l’industrie de défense et aux PME du secteur. L’objectif principal est bien de
constituer et entretenir une industrie de défense et de sécurité compétitive au plan
mondial.
La constitution d’une véritable base industrielle et technologique de défense
(BITD) innovante et à la pointe des technologies de défense restera principalement
alimentée par les contrats étatiques. Les contrats de R&T représentaient ainsi,
en 2005, à 1,79 milliard d’euros, soit les deux tiers du financement public de la
R&D des entreprises (2,56 G€). Ils concernaient près d’une centaine d’entreprises,
dont environ 60 PME (moins de 500 salariés). Il faut noter que le nombre de PME
bénéficiaires de contrats de R&D pour la défense s’est sensiblement accru après
1996, tout en connaissant des évolutions fluctuantes. Leur part du montant total
des contrats reste cependant très faible.
Ce constat, regretté par les PME, paraît difficile à faire évoluer car les grands
industriels systémiers souhaitent légitimement maîtriser le risque de transposition
technologique à leurs produits.
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45e session nationale 2009 CHEAr
L’enjeu économique des exportations d’armement
L’enjeu économique des exportations d’armement est double. D’une part, elles
allègent l’effort financier de l’État que ce soit sur les matériels actuels (effet de
volume des commandes) ou les programmes futurs (participation au développement
de nouveaux systèmes d’armes dont la France pourrait être cliente). D’autre part,
elles confortent l’implantation de l’industrie française à l’étranger et accroissent le
chiffre d’affaires total.
Le marché des exportations d’armement reflète la performance de notre outil
industriel et l’effort d’innovation technologique qui est indispensable pour maintenir
la place de la France sur l’échiquier mondial. Or, la place de la France est menacée.
L’étude des exportations françaises d’armement(14)� montre que les commandes
ont régressé en volume entre 1998 (8,64 G€) et 2004 (3,49 G€) avant d’amorcer
une remontée. L’objectif est désormais d’atteindre 7G€ d’ici 2010 soit 13 % du
marché mondial. Cet objectif reste ambitieux au regard des difficultés rencontrées
précédemment : certains programmes emblématiques n’ont pas encore trouvé de
débouchés à l’export (exemple typique du Rafale), d’autres ne convainquent pas
dans la mesure où ils ne sont pas acquis par la France. De façon générale, la part
française des exportations d’armement est en réduction sous l’effet de lobbying des
grandes Nations exportatrices et l’émergence de nouveaux acteurs sur ce marché
stratégique.
Même si le niveau des exportations demeure somme toute modeste au regard
d’un budget national, la branche armement se caractérise par un taux d’exportation
important, de l’ordre de 60%, largement imputable à l’innovation technologique
de l’industrie de défense(15).
La course technologique participe donc au développement économique de la nation
mais induit un effort budgétaire conséquent, qui peut partiellement être allégé
par les exportations d’armement et les perspectives de coopération entre pays
européens.
(14)
(15)
Source DGA/DDI.
Source : comptes nationaux, branche armement base 2000 et Insee.
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CHEAr 2009 45e session nationale
Poids politique
Le Livre blanc(16) précise que les « compétences scientifiques, technologiques
et industrielles de la France conditionnent sa capacité à satisfaire les besoins des
armées, ceux de nos partenaires européens, et de plus en plus ceux des forces
de sécurité intérieure et de sécurité civile. Elles doivent permettre à la France
de conserver son autonomie stratégique et contribuent à promouvoir l’Europe
comme pôle d’excellence industriel et technologique. » La dimension politique
de la technologie employée dans les outils de défense est ainsi clairement posée.
Après avoir présenté la compétitivité de l’industrie française, le Livre blanc
constate la fragmentation de l’industrie de défense européenne, précisant que seuls
« certains secteurs, essentiellement l’aéronautique et l’électronique de défense, ont
vu l’émergence de grands groupes européens. » Et encore, ceux-ci sont le fruit de
rapprochements guidés par « la volonté des États de conserver sur leur territoire des
capacités de R&D de production et de maintenance jugées stratégiques, » de sorte
que les capacités technologiques et industrielles n’ont pas été réparties dans un but
de performance économique. Or il est précisé plus loin qu’il « existe, entre tous les
acteurs de la sécurité nationale, des problématiques technologiques partagées, pour
lesquelles seule une approche d’ensemble est de nature à dégager des synergies.
Des approches séparées pourraient créer des duplications et nuire à l’interopérabilité
des équipements. »
C’est là tout le paradoxe lié à l’innovation et aux technologies mises en œuvre
dans les équipements de défense, considérées par les uns comme instrument de
coopération et, par les autres, comme parties intégrantes de la souveraineté.
D’ailleurs, les préconisations du Livre blanc en matière de mutualisation des
démarches de recherche abordent le problème sous l’angle strictement national
(avec la recherche d’efficience au travers du renforcement des synergies des
programmes de R&T de sécurité et de défense, dans le cadre d’une coordination
interministérielle) mais également dans le cadre européen, qui constitue « une
opportunité pour fédérer les efforts en matière de R&T » et « pour jeter les bases
de coopérations futures. »
(16)
Préambule du chapitre 16 : "l’industrie et la recherche".
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45e session nationale 2009 CHEAr
La technologie au service de la coopération
Si les enjeux de souveraineté associés à certaines technologies sont évidents,
il est en revanche beaucoup moins simple, aujourd’hui, de définir le contour des
technologies susceptibles d’être partagées, ainsi que les raisons de ce partage. Ce
point est sans doute le premier à examiner et peut se résumer à une question :
pourquoi coopérer ? Un bref retour sur les coopérations lancées ces cinquante
dernières années permet de mettre en évidence trois catégories de motivation :
– la recherche d’un partage des coûts et des risques ;
– l’acquisition des compétences et/ou l’accession à un marché export, dans le
cadre d’une politique industrielle ;
– une volonté de coopération inter-étatique à travers des industriels, dans le
cadre d’une politique étrangère.
Or, en examinant chacune de ces trois catégories, les résultats sont pour le moins
mitigés. En effet :
• En matière de partage des coûts et des risques dans le domaine des
technologies, il apparaît que la coopération permet des investissements qui
n’auraient été tout simplement pas possibles en national mais a également
tendance à renchérir le coût des programmes et à compliquer la résolution des
problèmes techniques par une inévitable dilution des responsabilités.
• Dans le cadre d’une politique industrielle, l’Eurofighter est un exemple de
véritable réussite au sens de l’acquisition de compétences et de la mise
en œuvre d’une politique de développement d’une industrie nationale, en
particulier dans le cas de l’Espagne. En revanche, les limites de cette politique
industrielle peuvent se trouver confrontées aux intérêts des industriels
concernés. En matière d’accès à un marché, le Scalp/Storm Shadow est souvent
cité comme l’exemple d’un programme en coopération réussie, dans l’intérêt
commun des industriels et des armées acheteuses. En revanche, il existe des cas
où la volonté politique d’avoir un programme commun n’a pas été couronnée
de succès. Ainsi, le lancement dans les années 1950 d’un projet de char de
combat commun à l’Allemagne, la France et l’Italie a débouché sur l’acquisition
de trois chars différents.
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CHEAr 2009 45e session nationale
Les politiques volontaristes de coopération ont connu de francs succès, avec, par
exemple, le Transall, fruit d’une coopération politique entre l’Allemagne et la France,
et les achats croisés d’hélicoptères Gazelle, Puma et Lynx, qui sont le reflet d’une
volonté politique de coopération entre la France et le Royaume Uni. En revanche,
la volonté politique ne suffit pas toujours, en particulier si elle ne s’accompagne
pas d’une convergence des besoins tant calendaires que capacitaires. Le VBCI et le
missile anti-char AC3G sont ainsi de bons exemples d’une coopération voulue au
niveau politique, mais insuffisamment déclinée sur les plans calendaire, capacitaire,
voire industriel.
Il ressort des exemples précédents que la technologie ne peut être considérée
comme un instrument efficace de coopération que dans certaines conditions, la
principale d’entre elles étant l’existence d’une volonté politique forte et pérenne
de coopération. Il faut, en outre, que les industriels concernés par cette coopération
y trouvent un intérêt et ne soient pas contraints de procéder par des alliances de
circonstance lorsqu’il est prévu de faire travailler ensemble sur un programme
conjoint des entreprises concurrentes sur d’autres. Enfin si la convergence des
calendriers et des besoins capacitaires n’est pas satisfaite, la technologie devient
le plus petit dénominateur commun.
Les réflexions menées dans le cadre de la préparation du Livre blanc ont abouti
à la conclusion que la France considère qu’en dehors du domaine de souveraineté,
concentré sur les capacités nécessaires au maintien de l‘autonomie stratégique
et politique de la nation, c’est le cadre européen qui doit être privilégié pour
l’ensemble des technologies et capacités qu’elle souhaite acquérir. Ce cadre
européen n’exclut pas, bien au contraire, l’existence d’une politique industrielle
nationale, même s’il est par ailleurs admis que l’industrie d’armement ne peut plus
s’en remettre aux seules dépenses militaires des États pour assurer l’intégralité
de ses plans de charge.
La technologie joue ici un rôle tout particulier puisque le gouvernement considère
que l’industrie de défense peut en revanche attendre des États qu’ils lui assurent
les conditions de son développement, en lui donnant les moyens de se maintenir
au plus haut niveau de la technologie, en favorisant ses exportations (elles-mêmes
bien souvent conditionnées par le contenu technologique des équipements), et en
la protégeant contre des concurrences déloyales.
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45e session nationale 2009 CHEAr
La première priorité : se maintenir aux frontières de la technologie
Dans son discours du 10 octobre 2008 devant la convention de l’Association
européenne des industries de l’aéronautique, de l’espace et de la défense, M. Fillon,
Premier ministre, a ainsi déclaré, que « la première priorité pour cette industrie, c’est de
se maintenir aux frontières de la technologie. C’est vrai pour l’ensemble de la filière :
naturellement pour les grands ensembliers qui ne peuvent exister qu’au niveau mondial,
mais aussi pour les équipementiers, pour les sous-traitants qui ont leurs assises au
niveau national et européen, un niveau pour lequel l’implication des pouvoirs publics est
déterminante. C'est la raison pour laquelle notre effort de recherche et de développement
ne peut pas se limiter aux grands ensembliers. » La conclusion du discours fait la part
belle à la technologie, indiquant que « dans l’instabilité actuelle, les pouvoirs publics ont
plus que jamais le devoir d'investir dans la sécurité naturellement, mais aussi d'investir
dans la technologie, parce que la recherche et la technologie constituent […] la meilleure
réponse à la crise que nous rencontrons. »
La France place donc, résolument, la technologie au centre du débat sur l’avenir de
l’industrie nationale et européenne d’armement. Ce qui ne constitue pas pour autant
un chèque en blanc fait à l’industrie. Ainsi, le gouvernement est pleinement conscient
des résultats publiés dans un récent rapport du General Accounting Office américain,
selon lequel 70 % des 96 principaux programmes d’armement américains accusent
de sérieux retards et dépassements de coûts, pour l’essentiel dus à l’utilisation de
technologies insuffisamment matures (ce qui découle notamment de prototypes
dont la faisabilité opérationnelle n’était pas pleinement démontrée), ainsi qu’à des
modifications de spécifications au cours du développement des systèmes. En France,
le constat de dérives similaires a incité les auteurs du Livre blanc à préconiser le
renforcement de la maîtrise technique, économique et financière des programmes
d’armement, notamment à travers le renforcement des capacités d’analyse
économique et financière du ministère de la Défense, la mise en place d’un comité
ministériel des investissements de défense et la consolidation progressive des devis
des programmes, au fur et à mesure de l’avancement des travaux de préparation.
L’importance de la volonté politique est donc bien démontrée, elle est une des raisons
de la course technologique et s’appuie sur des outils décrits dans l’annexe 1.
Le cas du Royaume Uni est décrit en annexe 3.
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CHEAr 2009 45e session nationale
Développement durable et course à la technologie
Le métier des armes et l’utilisation de l’armement ne peuvent plus se concevoir
sans prendre en compte les règles posées par la protection de l’environnement,
que ce soit en conflit armé ou dans le cadre de l’entraînement de nos forces.
L’environnement doit faire partie des missions de la défense à tous les stades :
– éco-conception des systèmes d’armes ;
– utilisation des armes à travers le droit des conflits (interdiction des armes
chimiques) ;
– fin de vie des équipements à travers le démantèlement des matériels.
Nous avons donc choisi d’illustrer l’impact des nouvelles réglementations, Reach
en particulier (détaillé en annexe 2), sur la recherche et les progrès technologiques.
Ces réglementations et leurs objectifs, dont chacun reconnaît la nécessité, sont
malgré tout souvent ressentis comme un mal nécessaire, impliquant des surcoûts qui
par nature ne sont pas, ou rarement, financés, puisqu’il ne s’agit que d’appliquer la
loi. Elles sont cependant à l’origine de nouveaux champs de recherche technologique,
qui ont d’ores et déjà abouti à des résultats et des applications en rapport avec le
domaine de l’armement.
Il faut noter que Reach prône l’innovation en réponse aux nouvelles contraintes et
prévoit à cet effet des dérogations pour les activités de recherche et développement
sur les substances.
Les progrès technologiques associés au développement durable
Les substances objet de la directive Rohs et du règlement Reach sont en général
toxiques, cancérigènes ou mutagènes. Elles représentent souvent un danger pour
l’environnement de par leur très longue durée de vie. Une de leurs particularités
est la résistance aux "agressions" extérieures (exemple du Chrome 6 utilisé pour
ses propriétés anticorrosives). L’abandon de telles substances constitue donc un
défi technologique, dans la mesure ou il faudra essayer de développer des solutions
alternatives présentant les mêmes avantages ou performances que les substances
interdites, mais n’en ayant pas les inconvénients.
153
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45e session nationale 2009 CHEAr
Un facteur indéniable de progrès sera la course que ne manqueront pas de faire
les industriels, afin de pénétrer le marché des substances conformes aux nouvelles
réglementations et y gagner des parts significatives.
Les nombreux développements menés dans des domaines diversifiés reflètent
bien cette évolution. À titre d’exemple, citons :
Les biocarburants : produits à partir de matériaux organiques non fossiles, ils
ont atteint des degrés de maturité divers. Ceux de première génération (filière
huile et alcool), du type bio-éthanol, sont déjà utilisés dans de nombreux cas. Les
biocarburants dits de deuxième génération sont développés pour se substituer, au
moins partiellement, au kérosène. Deux vols d'essais ont eu lieu fin 2008 et début
2009 sur un Boeing 747, puis un 737, dont un des réacteurs a été alimenté avec 50
% de biocarburant et 50 % de kérosène traditionnel. Les mélanges se sont comportés
sans altérer le fonctionnement des moteurs, sinon une baisse de consommation
inférieure à 2 %. Les biocarburants à partir de micro-algues sont appelés de "troisième
génération". D’un point de vue théorique 30 à 100 fois plus efficaces que les
oléagineux terrestres, les agro-carburants pourront être produits avec les meilleurs
rendements, rendant ainsi envisageable une production de masse (par exemple pour
l'aviation), sans déforestation massive ni concurrence avec les cultures alimentaires. La
Darpa américaine a décidé de financer à hauteur de 25 M$ des projets de recherche
sur la production de biocarburant pour l’aviation militaire.
Toujours dans le domaine des énergies propres, les piles à combustible sont des
convertisseurs d’énergie en progrès permanent, dont les applications se développent
dans différents domaines, et commencent à intéresser la défense, en particulier aux
États-Unis et au Canada.
Le MIT a développé une membrane semblable à du papier buvard, constituée
de nano-fibres. Totalement imperméable à l’eau, elle peut absorber jusqu’à 20 fois
son poids d’huile. L’Army Environmental Policy Institute a relevé les implications
militaires de ce nouveau matériel et le MoD américain est intéressé par cette
technologie pour ses capacités d’absorption de solvants.
De manière plus générale, les textiles techniques offrent une perspective
d’utilisation écologique pour la défense : structures gonflables pour créer des
hôpitaux mobiles, stores économiseurs d’énergie, etc.
154
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CHEAr 2009 45e session nationale
Il apparaît donc que ceux qui auront maîtrisé, voire anticipé, les contraintes
imposées par le domaine du développement durable, auront un avantage certain.
Synthèse :
La course technologique dépend de plusieurs paramètres qui interagissent entre
eux. En se basant sur le cas très concret d’un programme d’armement, on peut
illustrer la plupart de ces interactions par le schéma suivant :
États-majors
opérationnels
Besoin
opérationnel,
flexibilité
adaptabilité
Études technicoopérationnelles,
Retex
Contraintes
économiques
et réglementaires
Pression du
politique et de
la compétitivité
Industriel
Laboratoires
R&T
Coordination
ASF, DP/OP
DGA
Contrat
Le trinôme des relations dans un programme d’armement.
155
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45e session nationale 2009 CHEAr
« Le monde que nous avons créé est le résultat de notre niveau de réflexion, mais les
problèmes qu'il engendre ne sauraient être résolus à ce même niveau. »
Albert Einstein
COMMENT RENDRE LE SYSTÈME PLUS EFFICACE ?
Les enjeux et interactions entre les différents acteurs de la course technologique
étant déterminés, il incombait au comité de réfléchir à l’évolution d’un tel système
au regard de l’environnement actuel et futur de notre outil de défense.
Cette étude prospective s’est basée sur les orientations suivantes :
– maîtriser le coût technologique des systèmes d’armes ;
– maîtriser l’intégration de la technologie dans les systèmes de défense ;
– concilier évolution technologique, enjeux politiques et sociétaux et impératifs
opérationnels ;
– cibler les domaines technologiques prioritaires pour notre outil de défense.
Maîtriser le coût technologique des systèmes d’armes
La plupart des entretiens effectués par notre comité a mis en lumière le
caractère primordial du paramètre coût. Il semble que, tant pour les responsables
opérationnels que pour les industriels de l’armement, la limite financière demeure
le principal frein à la recherche de solutions technologiques pouvant garantir
la supériorité opérationnelle. Il est donc à la fois nécessaire de rentabiliser au
mieux les investissements en matière de R&T et de les maintenir à un niveau
nécessaire et suffisant en cohérence avec les objectifs capacitaires de la Nation.
Une telle maîtrise suppose une stratégie visant à optimiser l’effort financier en
amont des programmes d’armement, mais également tout au long du cycle de
vie des systèmes d’armes.
L’optimisation n’est pas un objectif irréaliste : pour s’en convaincre, il suffit de
constater que, malgré des investissements de R&T dix fois supérieurs, l’avancée
technologique des États-Unis par rapport aux Nations européennes ne se traduit
pas par un écart capacitaire et qualitatif équivalent. Toutefois, il est raisonnable de
penser que les marges de progrès sont réduites.
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CHEAr 2009 45e session nationale
En amont des programmes d’armement, la recherche technologique demeure
stratégique pour la Nation. Dans la mesure où elle conditionne la majorité du coût
des systèmes futurs, elle doit rester à un niveau d’investissement important. Il est
donc indispensable de piloter l’ERT non pas comme un pourcentage du budget
global de Défense, mais comme une valeur absolue. Cet ERT doit être conçu en
tenant compte des capacités que la France veut préserver afin de maintenir son
rang. En effet, réduire les financements en deçà d’un certain seuil reviendrait à
renoncer à un secteur technologique et à devenir dépendant d’autres Nations. La
cartographie technologique doit être mise à jour régulièrement afin de mieux cerner
les priorités de dépenses R&T et alerter sur la criticité de leur évolution. À l’inverse,
les investissements doivent être pensés beaucoup plus en termes de rentabilité sur
la durée. Le rôle de la DGA/D4S est, sur ce point, déterminant.
Recommandation n° 1
Maintenir l’ERT et veiller à la rentabilité sur le long terme des investissements par
grands secteurs technologiques.
Une piste d’allègement de l’effort consenti par l’État pourrait consister à
formaliser un retour sur investissement : à l’instar de ce qui se pratique dans le
domaine de l’aviation civile, il conviendrait de recourir à des avances remboursables
selon des critères préétablis et basés sur le nombre de matériels vendus, notamment
à l’export, intégrant la technologie concernée. Le financement des développements
militaires s’en trouverait ainsi réduit a posteriori.
Face aux impératifs budgétaires qui peuvent se traduire par des réductions
importantes pour les budgets de Défense, la préservation d’un budget R&T passera
également par la mutualisation des efforts de recherche avec d’autres partenaires.
Deux composantes doivent ainsi être exploitées :
La dualité des technologies civiles et militaires : les avis ont pu être partagés
sur les perspectives et limites d’une telle dualité. S’il est vrai que les technologies
de pointe ont souvent été développées initialement pour des applications militaires,
le secteur civil est aujourd’hui leader sur de nombreux secteurs technologiques
intéressant le monde militaire. On peut citer toutes les NTIC, les systèmes embarqués
de détection, reconnaissance, navigation, les systèmes énergétiques et propulsifs,
les nanotechnologies, etc. De telles technologies seront développées, pour une
157
I
45e session nationale 2009 CHEAr
grande partie, dans un contexte d’applications civiles pour lesquelles les volumes
seront importants (cf. annexe 4 pour la vision du ministère de l’Industrie sur le
sujet et l’annexe 5 pour l’application à un cas concret, celui de l’automobile). Leur
transposition au monde militaire devrait donc se faire à coût raisonnable.
La mutualisation des coûts de développement est déjà une réalité et la bonne
collaboration entre le ministère de la Défense et le ministère de la Recherche a pu
être constatée. De même le partage de responsabilité entre DGA et DGAC pour ce
qui touche au domaine aéronautique apparaît globalement satisfaisant. La R&T doit
rester l’un des principaux domaines de coopération interministérielle ce qui peut
nécessiter le renfort des structures actuelles. En revanche la dualité ne peut être
considérée comme la solution miracle aux questions de défense.
La dissymétrie des transferts technologiques entre les mondes civil et militaire
est déjà un signal instructif, car il montre que le militaire continue globalement à
irriguer le monde civil. Par ailleurs, les cycles de développement industriel sont le
plus souvent différents. L’exemple de l’automobile est instructif : alors que des fortes
similitudes, possibilités de transferts de technologies ou d’utilisation d’items duaux
pourraient être envisagées, la réalité montre qu’il n’en est rien. Les modèles de la
gamme civile évoluent tous les trois à cinq ans alors que les véhicules militaires
similaires restent en service de 20 à 25 ans. Cela induit deux problèmes, la maîtrise
des évolutions et le suivi des obsolescences. Actuellement la durée de vie et de
soutien des équipements de l’industrie automobile est de dix ans. Il faut donc que
le cycle de rénovation des véhicules militaires soit inférieur à cette limite malgré un
taux d’emploi et d’usure faible comparativement au civil (par exemple le moteur
du VBL est un moteur PSA, prévu pour parcourir 250 000 km en dix ans, alors que
le VBL a été conçu pour un emploi de 2 500 km/an soit 25 000 km en dix ans …).
Le MRTT, dont la plate-forme est dérivée de plates-formes civiles (qu’il s’agisse
de l’A330 ou du B767) est une bonne illustration des technologies civiles réutilisées
pour des applications militaires ; il aurait été illusoire aujourd’hui de développer une
plate-forme militaire spécifique à cette fin, ce qui avait pourtant été le cas dans les
années 1950, avec le KC135 dont a été dérivé le Boeing 707.
Une tendance générale peut être dégagée sous forme de recommandation.
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CHEAr 2009 45e session nationale
Recommandation n° 2
Dans le cas de transposition de technologies civiles, piloter systématiquement le
coût financier et calendaire d’adaptation aux contraintes opérationnelles les plus
dimensionnantes (disponibilité, maintenabilité et obsolescence des composants
notamment).
La dualité deviendra stratégique notamment pour les programmes de sécurité. Le
Livre blanc insiste sur le lien étroit entre sécurité et défense et les armées assurent
déjà de nombreuses missions à vocation sécuritaire : sûreté aérienne, sauvegarde
maritime, assistance à la sécurité civile, sécurité des forces et des populations en
opérations. De fait, beaucoup de technologies intéressent la Défense et la Sécurité :
renseignement, drone, système de communication et de gestion de crise, surveillance
des frontières, détection, protection, NRBC… Leur mutualisation doit passer par
une forte coopération avec les ministères civils (Intérieur, Transports, SGDN) comme
c’est déjà le cas mais aussi par une plus grande implication dans les programmes
sécurité sous l’égide de l’Agence nationale pour la recherche (programme Sécurité)
ou des projets sécurité des pôles de compétitivité.
Recommandation n° 3
Renforcer l’implication du ministère de la Défense dans les instances de gouvernance
des pôles de compétitivité, afin de garantir la prise en compte des applications
militaires dans les projets R&T de sécurité.
La coopération internationale : Souvent promue, parfois décriée, la coopération
demeure un moyen efficace de partager les coûts de développement technologique
entre les pays. Se pose régulièrement la question de l’équité du partage de
responsabilité et du retour sur investissement. Le débat dépasse largement le strict
cadre de cette étude et ne sera donc pas approfondi ici. Cependant de grandes
lignes peuvent être dégagées. D’une part, le Livre blanc confirme très clairement la
volonté d'accentuer la part des recherches réalisées en coopération européenne,
essentiellement au travers de l'Agence européenne de défense à laquelle la France
proposera des "projets mobilisateurs" et dont elle souhaite voir le budget propre
s'accroître significativement. Il est en effet indispensable de mettre en commun
les réflexions et de recouper les résultats, d'éviter la dispersion des ressources
européennes en la matière, déjà très inférieures à celles dégagées par les États-Unis
et de favoriser l'émergence de programmes communs sur les équipements futurs.
159
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Par ailleurs, le projet de loi de programmation militaire mentionne des « projets
ambitieux en coopération européenne de recherche et acquisition de technologies visant à :
– augmenter l'effort d'innovation très en amont pour détecter et soutenir les
technologies émergentes et de rupture, dans les laboratoires de recherche et
les PME innovantes, au travers de la coopération avec l'Agence nationale de
la recherche et les pôles de compétitivité ; – consolider le socle technologique en portant à maturité les technologies pour les
drones, les robots, les radars passifs, la communication numérique, les systèmes
de systèmes et la protection de l'homme et des sites et les technologies
spatiales des futurs programmes de télécommunications, d'observation et de
surveillance, à la base de la supériorité de l'information ;
– développer l'approche des démonstrateurs technologiques qui servent à
maîtriser les risques technologiques des programmes, à s'assurer très tôt
de l'adéquation des solutions technologiques à un emploi militaire et qui
fournissent un cadre structurant pour l'industrie européenne. »
Face aux investissements américains et à la montée du potentiel scientifique
asiatique, une politique scientifique à l’échelle européenne demeure nécessaire.
Dans cette optique, la participation de la défense aux réseaux de la recherche
civile européenne (PERS, PCRD…) continue à se développer. Dans le domaine
de la défense, l’Agence européenne de défense devrait non seulement avoir
l’ambition de piloter des démonstrateurs technologiques d’envergure, mais aussi
des programmes de R&T de base. Même si ceux-ci n’ont pas la visibilité politique
de démonstrateurs technologiques, ils n’en sont pas moins utiles pour consolider les
capacités scientifiques indispensables au maintien à long terme de l’indépendance
technologique européenne dans certains secteurs stratégiques pour la défense.
La recherche systématique de coopérations R&T en amont des programmes
d’armement doit permettre de partager les coûts et d’aider à la rationalisation
des capacités opérationnelles en Europe. Cette construction prendra du temps et
implique une forte volonté politique de tous les États membres. Compte tenu de
la forte disparité économique et industrielle des pays de l’Union, il est plus réaliste
de rechercher des coopérations entre pays signataires de la Letter of Intent (Loi). Si
des choix devaient intervenir au niveau européen, il est probable que ces pays se
verraient confortés dans leur leadership tout en veillant à offrir des compensations
160
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CHEAr 2009 45e session nationale
aux petits pays n’ayant pas de réelle industrie de défense. L’approche pragmatique,
signalée par plusieurs personnalités interrogées, consiste à initier des coopérations
bilatérales équilibrées puis à étudier leur possible élargissement à d’autres
partenaires européens. La fin de la règle du juste retour par pays coopérant et la
montée en puissance d’agence internationale ayant mandat des nations (telles que
l’AED et l’Occar) devrait rendre l’approche plus objective et limiter les coûts par
programme. Enfin, la constitution de véritables programmes d’armement européens
devrait être bénéfique pour les exportations intra et extracommunautaires.
Recommandation n° 4
Privilégier les coopérations bilatérales sur des technologies innovantes dont
l’applicabilité opérationnelle justifie d’aller jusqu’au niveau démonstrateur. Ces
coopérations doivent permettre de légitimer le rôle majeur de l’AED.
Maîtriser l’intégration de la technologie dans les futurs systèmes d’armes
Si nous avons pu voir tout l’enjeu du paramètre coût, il convient également de mieux
appréhender la déclinaison de nouvelles technologies dans les futurs systèmes d’armes.
Cela suppose d’avoir une parfaite maîtrise des enjeux scientifiques (maturité de la
technologie), mais également industriels (faisabilité industrielle, maîtrise en production)
et opérationnels (capacité sur le terrain, soutien et formation) donc de maîtriser la prise
en compte de la technologie à tous les stades du cycle décrit ci-après :
La doctrine
La formation
Le Retex
La R&T
La mise
en œuvre
opérationnelle
161
I
45e session nationale 2009 CHEAr
Formalisation du besoin opérationnel et mise en œuvre opérationnelle
Il n’est pas souhaitable de spécifier une solution technologique, néanmoins
l’impact technologique est sous-jacent et ne peut être traité de façon indépendante.
Il est donc nécessaire d’avoir dès cette étape une idée des technologies qui seront
appliquées et leur coût respectif. Cela suppose une parfaite communication entre les
acteurs de la conduite des programmes d’armement. Comme évoqué par certains
industriels, il n’y a donc pas opposition entre technologie et besoin, l’essentiel étant
d’avoir une analyse fonctionnelle rigoureuse, véritable outil de dialogue entre maître
d’ouvrage étatique et maîtres d’œuvre industriels.
Recommandation n° 5
Disposer dans la phase d’expression du besoin d’une analyse fonctionnelle et de la
valeur orientée "technologie" qui mettent en évidence la maturité des technologies
concernées ainsi que les risques, coût d’acquisition et coût de soutien.
De plus, de nombreux outils sont déjà mis en place par les industriels en phase
de conception et méritent d’être cités : ingénierie concourante prenant en compte
les problématiques de soutien, conception à coût objectif, Lean Engineering et Lean
Manufacturing(17), développements incrémentaux, tableau de bord technologique
s’appuyant sur les TRL, etc.
Il n’en demeure pas moins que la conception d’un système hautement technologique
implique une prise de risque qui ne peut être portée uniquement par le maître d’œuvre.
À ce sujet, plusieurs idées émises lors des entretiens sont à signaler :
– renforcement de l’implication du client étatique dans le processus de
conception, notamment au travers de tableaux de bord technologiques partagés
entre la DGA et les industriels. De tels outils de pilotage doivent permettre de
suivre, tout au long de la conception, l’applicabilité des technologies en termes
de calendrier et de coût ;
– recherche d’architectures de systèmes ouvertes, autorisant la prise en compte
ultérieure de nouvelles capacités technologiques. Cela doit passer par une
gestion de configuration rigoureuse, en particulier au niveau des interfaces entre
sous-ensembles, l’idée étant de concevoir une capacité technico-opérationnelle
comme un équipement plug-and-play sur une plate-forme modulaire ;
Le Lean Engineering est une optimisation de l'organisation R&D qui permet de diminuer les gaspillages dans les phases
de recherche et de développement. Le Lean Manufacturing est, lui, dédié au processus de production.
(17)
162
I
CHEAr 2009 45e session nationale
– afin de limiter le risque technologique en cours de développement, recours à des
audits réguliers jugeant de la cohérence système et focalisée sur la compatibilité
intersystème ou sous-systèmes. En effet les problèmes apparaissent souvent
aux interfaces et la technologie doit être évaluée dans son environnement
opérationnel.
Recommandation n° 6
Privilégier les architectures ouvertes et la notion de plug-and-play sur des
plateformes modulaires, systématiser les tableaux de bord visant à piloter
l’application de nouvelles capacités technologiques dans les systèmes futurs.
La validation d’une capacité technologique passe souvent par la réalisation d’un
démonstrateur technologique. Si certains industriels maintiennent leur souhait
de voir de grands démonstrateurs, il n’est en revanche pas évident qu’il faille y
recourir systématiquement. Il est illusoire de s’en remettre au "tout démonstrateur"
pour juger de la pertinence d’une technologie en réponse à un besoin. D’une
part, le démonstrateur est rarement un démonstrateur opérationnel et ne peut
prétendre valider un concept d’emploi. D’autre part, le démonstrateur technologique
est insuffisant pour lever tous les risques et juger du coût complet de prise en
compte d’une technologie dans un système d’armes opérationnel (cf. les déboires
rencontrés par les États-Unis dans leurs programmes d’avions de combat qui ont
eu systématiquement recours aux démonstrateurs technologiques avant le choix du
maître d’œuvre). Il faut notamment intégrer la mise au point de l’outil industriel de
production et de soutien, les conséquences de formation du personnel nécessaire
pour opérer et assurer le maintien en condition opérationnelle.
Il est donc hautement souhaitable de traiter ce point au cas par cas selon le
niveau de complexité de la technologie et les enjeux opérationnels et industriels
concernés.
Retex
Indispensable pour valider un concept opérationnel et adapter la doctrine
d’emploi, le retour d’expérience (Retex) contribue également à la validation
technologique. Il est le juge de paix et se traduit souvent par une évolution, parfois
en profondeur, du besoin. Il serait intéressant de mutualiser ce Retex avec d’autres
nations, européennes en particulier, impliquées dans des opérations conjointes.
163
I
45e session nationale 2009 CHEAr
Doctrine
Les opérationnels interrogés ont été clairs : la technologie doit rester au service
du besoin opérationnel en tant que solution et non pas comme but en soi. La
doctrine pourra cependant tirer les enseignements de l’emploi d’une capacité
technologique pour faire évoluer le concept d’emploi. Ainsi, elle contribue à modifier
le besoin opérationnel. L’enjeu de ce décalage progressif entre besoin initial et
besoin instantané est traité au § "Concilier impératifs opérationnels et cycle de
développement technologique".
Formation
L’impact technologique est souvent sous-estimé. En particulier la technicité
nécessaire pour l’emploi de fonctions complexes (interconnectivité, reconfigurabilité
des systèmes, sophistication de l’interface homme-machine) doit être mieux intégrée
au dimensionnement des futurs systèmes. La technologie doit être facilitatrice et
garantir l’adaptation des armes aux hommes(18).
La formation à la technologie sera un des enjeux essentiels de systèmes futurs.
L’entraînement des forces mais également le maintien en condition opérationnelle
des systèmes d’armes vont fortement impacter les choix technologiques à venir. Il
faut donc s’assurer que la R&T intègre bien cette dimension dès les premiers travaux
de recherche jusqu’au niveau ultime de démonstration opérationnelle.
Recommandation n° 7
Au-delà des aspects techniques purs liés aux progrès technologiques des systèmes
d’armes, il faut prendre en compte, le plus en amont possible, les impacts sur la
doctrine, la formation et le soutien de ces nouveaux systèmes.
Concilier impératifs opérationnels
et cycle de développement technologique
Le paramètre temporel reste une clé essentielle de la réalisation de système de
défense adapté à la menace. Tous les opérationnels et industriels interrogés ont
souligné la difficulté à anticiper le besoin futur. Cela conduit souvent à sur-spécifier
le besoin initial ou à faire des évolutions coûteuses en cours de développement
(18)
Voir les travaux du comité n° 5.
164
I
CHEAr 2009 45e session nationale
et à gérer les obsolescences. Le bilan des entretiens réalisés nous a également
confortés dans l’idée qu’une des plus grandes difficultés auxquelles le monde
militaro-industriel(19) est confronté de nos jours est celle de l’allongement des délais
de réalisation. Il faut absolument que le processus soit revu et que les délais soient
raccourcis. Dans une période où les budgets sont de plus en plus contraints, les
délais sont une source de surcoût exorbitant.
En priorité, le cycle présenté au paragraphe précédent doit être raccourci pour
en garantir toute son efficacité. Il faut se rapprocher des temps de développement
et de fabrication actuellement en vigueur dans l’industrie civile. Cela justifie
une augmentation des budgets de recherche et technologie (R&T) et de
recherche et développement (R&D) pour mener en parallèle les différentes pistes
technologiques prometteuses. Par ailleurs et comme déjà évoqué précédemment,
la nécessité d’aller jusqu’au niveau du démonstrateur poussé est jugée ni
nécessaire ni suffisante dans la plupart des cas. En effet, seul le passage en
production permet de valider un prototype et d’assurer la réalisation d’un système
répondant vraiment au besoin.
Recommandation n° 8
Raccourcir les cycles de développement, et ne pas se contenter uniquement de
prototypes pour valider des choix technologiques.
L’approche incrémentale(20) des nouveaux systèmes implique la meilleure
compréhension possible des attendus instantanés et futurs. La DGA est naturellement
l’acteur majeur du côté étatique, mais il doit être possible de gagner encore plus
en efficacité en faisant intervenir les opérationnels dans la validation des solutions
technologiques. Il nous est ainsi apparu que l’immersion(21) d’un opérationnel au
sein de l’équipe chargée du développement industriel permettrait d’optimiser le
processus. Cette implication suppose une stabilité dans la durée, au-delà des trois
ans classiquement retenus pour un poste opérationnel.
Ce terme est utilisé ici pour définir l’ensemble des intervenant, dans un programme d’armement ou dans une opération
d’achat, soit l’état-major qui exprime le besoin opérationnel, la DGA qui lance la consultation et procède à l’acquisition et
l’industriel qui réalise le système d’armes (au sens le plus large du terme).
(20)
Principe de développement en intégrant de nouvelles capacités par versions successives.
(21)
Il faut que les états-majors acceptent de détacher un officier pour une durée longue (supérieure à 3 ans) comme cela se
fait au profit des certains ministères.
(19)
165
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La diversité des théâtres d’opérations et des phases d’engagements (Intervention,
Stabilisation ou Normalisation) oblige à rédiger une expression de besoin de plus
en plus large et globale. L’idée serait de réaliser un système ne répondant qu’à
une partie "centrale" des capacités totales demandées, le reste correspondant des
évolutions ou ajouts et serait alors réalisé sous forme d’urgence opérationnelle ou
d’adaptation réactive.
Dans le prolongement de la recommandation R6, l’application d’une sorte de
règle de partage sur l’insertion de technologies est apparue comme une bonne
idée. Ainsi, X % du besoin par rapport à l’expression initiale (FCM & STB) lors de
l’adoption d’un système (plate-forme) serait acceptable pour toute la durée de vie,
alors que les Y % restant (correspondant à des sous-parties) seraient réalisés dans
une sorte d’urgence opérationnelle en fonction du type d’engagement du moment.
Ces Y % peuvent alors représenter les équipements très sensibles au développement
ou demandant une avance technologique (système d’armes). Cela débouche sur
une notion de "plate-forme adaptative". Cette proposition demande toutefois une
étude approfondie des aspects relatifs à la formation, l’entraînement et au maintien
en condition opérationnelle.
Recommandation n° 9
Impliquer plus fortement les opérationnels dans le développement industriel
et concevoir des plates-formes modulaires compatibles avec une approche
incrémentale du besoin.
La dichotomie entre programmes de R&T et programmes d’armement demeure.
Les acteurs ne sont pas exactement les mêmes. Il n’y a pas non plus de véritable vase
communicant au niveau budgétaire, la R&T ne tirant pas de bénéfice d’éventuels
reports de programmes d’armement. Il faut donc revoir cette cohérence d’ensemble.
Cela ne passe pas forcément par la création de nouveaux outils de planification, ces
derniers étant déjà suffisamment développés : plan pluriannuel à trente ans (PP30),
plan stratégique des ressources techniques (PSRT), politique et objectifs scientifiques
(Pos), etc. En revanche, l’articulation n’est pas évidente et sa déclinaison jusqu’au
programme d’armement n’est pas garantie. Cette déclinaison doit se traduire par
un véritable plan d’actions technologiques. Ce plan, dont l’horizon type serait de
15 ans, serait positionné entre le PP30 et le Pos et définissant la feuille de route
technologique avec les objectifs visés et la politique de coopération associée.
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CHEAr 2009 45e session nationale
Recommandation n° 10
Disposer d’un véritable plan d’actions technologiques couvrant du grand programme
d’armement jusqu’à l’achat sur étagère.
En accord avec le Livre blanc, la réflexion doit s’appuyer sur les trois "cercles"
de la politique industrielle :
– le premier concerne les domaines pour lesquels la France veut et doit garder une
autonomie complète (nucléaire, système de communication et d’information,
spatial…). Ce premier cercle nécessite de maîtriser la chaîne complète depuis
la R&T jusqu’à la fabrication ;
– le second serait "européen" avec une sorte de partage des technologies et des
capacités de production au sein de l’Union européenne sous-pilotage de l’AED ;
– le troisième ne serait pas du même ordre et concernerait les systèmes achetés
clés en main sur le marché mondial.
Cette classification apporte également une certaine souplesse dans la gestion
des achats. À ce sujet, il a semblé à certains opérationnels et industriels que l’achat
dit "sur étagère" demeurait très perfectible. La mise en place de structure de type
"achat urgent opérations" est donc une bonne chose si elle prévoit des circuits
de décision courts. De façon générale, il faut continuer à lutter contre l’idée que
les règles contractuelles entravent l’acquisition de matériels identifiés comme
répondant parfaitement au besoin opérationnel�(22).
Enfin, la place grandissante des normes environnementales et des préoccupations de
développement durable justifie leur prise en compte à tous les niveaux de l’expression
du besoin au démantèlement des armements. Cette tendance est encore très limitée
et le secteur de la Défense n’est pas le premier concerné. Néanmoins, comme précisé
au § "Développement durable et course à la technologie", le développement durable
est perçu comme un facteur concurrentiel et l’innovation technologique intégrant cette
problématique sera donc de plus en plus forte dans les systèmes d’armes futurs. Pour s’y
préparer, le comité a retenu le principe de réserver un paragraphe spécifique à ces normes
environnementales dans les STB des contrats d’armement et demander aux industriels de
chiffrer le coût (et économies attendues) de leur prise en compte. Cela doit contribuer à
affiner progressivement le poids technologique et financier de ces spécifications.
Procès souvent fait à la DGA par les états-majors : ne pas être capable d’acheter à un industriel donné son matériel,
souvent par ignorance des règles de mise en concurrence européenne.
(22)
167
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Recommandation n° 11
Dédier un paragraphe dans les STB des contrats aux exigences de développement
durable et demander le chiffrage de leur prise en compte.
Cibler les domaines technologiques à privilégier
L’ensemble de la démarche prospective (PP30, Pos) doit s’inscrire dans le
cadre des objectifs stratégiques nationaux. Le Livre blanc a détaillé les priorités
technologiques et industrielles à l'horizon 2025. En matière de R&T, un effort
important sera consacré aux technologies spatiales, afin de préparer les futurs
programmes de télécommunications, d'observation et de surveillance. Par ailleurs,
alors que la phase de développement de nombreux grands programmes s'achève,
une politique de maintien des compétences industrielles et technologiques
critiques sera mise en œuvre, notamment avec la réalisation de démonstrateurs
technologiques.
Le projet de loi de programmation militaire précise clairement les priorités par
grandes fonctions stratégiques :
– maintien de la crédibilité de la dissuasion avec démarrage des études du futur
moyen océanique de dissuasion et adaptation des vecteurs balistiques et
aérobies à l'évolution de la menace ;
– maîtrise des technologies pour la connaissance et l'anticipation : renseignement
spatial, surveillance, exploitation du renseignement, charges utiles pour le
renseignement spatial et tactique, opérations en réseaux, lutte informatique,
technologies militaires de surveillance de l'espace et de radio logicielle ;
– poursuite de l'effort technologique pour la protection : surveillance des espaces
nationaux, interception de cibles furtives, défense NRBC, soutien santé et
protection des systèmes informatiques ;
– maintien de l'effort pour l'intervention : protection des forces, adaptation des
systèmes d'armes aux menaces asymétriques, maintien de la capacité à frapper
dans la profondeur, aviation de combat, technologies des missiles complexes
et des munitions de précision ;
– prévention : maîtrise de l'énergie, impact des systèmes sur l'environnement.
168
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CHEAr 2009 45e session nationale
Les axes d’effort sont donc bien formalisés et doivent être désormais pilotés au
travers de projets structurants. Le rôle des ASF est sur ce point déterminant et doit
être réaffirmé. La politique nationale et européenne du transfert de technologie est
à concevoir en cohérence.
« Dans la course à la [technologie], il n’y a pas de ligne d’arrivée. »
David Kearns
C
ette étude a montré que la course technologique en matière d’armement
est une constante de l’histoire. Elle découle d’une multiplicité de facteurs :
opérationnels, technologiques, économiques, politiques, industriels dont
aucun ne peut être considéré comme prédominant. La conjonction de ces facteurs
crée la course technologique, celle-ci n’étant pas directement corrélée avec le strict
besoin opérationnel. Disponible au bon moment, la technologie s’est avérée être un
élément clé dans la victoire dans certains conflits ; dans d’autres, elle n’a été qu’un
leurre.
Les récents conflits asymétriques ont démontré que la technologie et la
sophistication n’apportent souvent pas la réponse attendue. Cependant, les étatsmajors expriment toujours plus de besoins en termes de performances, modularité,
interopérabilité, maintenabilité et pérennité. Ces besoins conduisent à développer
de nouvelles capacités technologiques.
De plus, les principaux pays développés se doivent de rester dans le peloton de
tête, donc être compétitifs en matière de technologie. Il en est de même des grands
industriels qui doivent, a minima, se maintenir au niveau de leurs homologues
étrangers afin de rester concurrentiels à l’export. À défaut, l’Histoire est là pour
rappeler les conséquences désastreuses sur le long terme d’un arrêt unilatéral de
course à la technologie.
Pour toutes ces raisons, la course technologique perdurera, mais il est devenu
nécessaire de mieux la maîtriser dans un contexte budgétaire de plus en plus
contraint. Pour limiter les coûts, deux axes se dégagent :
169
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45e session nationale 2009 CHEAr
– le partage :
• BITD européenne et programmes en coopération : cette orientation
doit encore faire ses preuves. L’Europe de la défense se cherche encore,
les retombées de l’AED sont faibles et les membres de l’UE dépensent
la majeure partie de leur énergie à régler des problèmes internes aux
27 pays. Les programmes en coopération n’arrivent à montrer leur
efficacité que lorsqu’ils se limitent à 2 ou 3 partenaires.
•
ualité civil/militaire : la R&T peut souvent être partagée, en revanche,
D
on constate que c’est en général le civil qui profite des retombées des
développements militaires et non l’inverse.
•
ualité défense/sécurité, conformément aux orientations du Livre blanc,
D
qui implique une plus grande coopération avec les ministères civils.
– le contrôle, la maîtrise, voire la réduction des coûts des programmes, à tous les
stades : préparation, conception, réalisation, utilisation. Les recommandations
formulées par le comité visent à améliorer l’efficacité des dépenses, la maîtrise/
réduction des coûts des systèmes d’armes ainsi que l’optimisation des délais,
tant en matière de processus d’acquisition que de réalisation. Ces efforts ciblés
doivent nous prémunir d’être "en retard d’une guerre" malgré un contexte
budgétaire très contraint.
Les axes viables à court ou moyen terme concernent principalement ce dernier
point. À plus long terme, la coopération européenne demeure une nécessité pour
la défense. Les recommandations formulées dans ce rapport constituent le point de
départ de plans d’actions à élaborer plus finement. La priorité devrait être accordée
à la réduction de la durée du cycle des programmes d’armement, gage de réactivité
et d’efficacité opérationnelle accrue.
170
I
CHEAr 2009 45e session nationale
BIBLIOGRAPHIE
Ouvrages et publications officielles
– Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, juin 2008.
– La technologie militaire en question, le cas américain, par Joseph Henrotin.
– Defence Industrial Strategy – Defence white paper. Cm 6697, MoD R.-U decembre
2005.
– Defence Innovation Strategy – Creating a new environment for innovation within
the defence supply chain. Rapport MoD de decembre 2007.
– Maximising benefit from defence research – A review of defence research and
technology for alignment, quality and exploitation. Rapport MoD de septembre
2006.
– Defence Technology Strategy for the demands of the 21st Century. Rapport MoD
de 2006.
– Maximising Defence Capability through R&D – A review of defence research and
development, rapport MoD d’octobre 2007.
Articles divers
– "Le champ de bataille du futur : le défi technologique" par Michel Ascencio,
octobre 2008.
– "Technologies et innovations militaires" par Joseph Henrotin et Jean-Jacques
Mercier, DSI Technologies, mars-avril 2009.
– "L’innovation technologique dans les conflits irréguliers" Col. Lassalle – DGA,
25 novembre 2008.
– "Quelle articulation pour les dispositions technico-militaires dans la période à venir,
réflexions pour des temps de crise" Jacques Sapir, directeur d’études à l’EHESS.
– "Striking the right balance" par Robert.M. Gates paru dans le National Defence
Strategy de juin 2008.
– Articles de Jean-Paul Hebert (EHESS)
• La dérive des prix des programmes d’armement est un phénomène
stratégique
• Une nouvelle course aux armements ?
• L’évolution des relations stratégiques transatlantiques vers une nouvelle
course aux armements
171
I
45e session nationale 2009 CHEAr
– Extrait de Defense news du 19 mars 2009 Elbit Touts Incremental Approach par
Antonie Boessenkool .
– "Le danger du fétichisme technologique" par Alain Bauer, paru dans TTU du
27 mars 2009.
– Intervention de Louis Gautier au colloque "Participation et Progrès" – ADEDS École militaire, 15 octobre 2008.
– Discours de François Fillon, Premier ministre à la Convention de l’Association
européenne des industries de l’aéronautique, de l’espace et de la défense - Paris,
10 octobre 2008.
Rapports CHEAr
SN 39 comité n° 4 "Conséquences du développement des conflits asymétriques
sur les systèmes de défense".
• SN 39 comité n° 6 "Les armes modernes répondent-elles aux évolutions des
besoins pour faire face au nouvel environnement mondial".
• SN 44 comité n° 7 "Comment susciter et favoriser l’innovation au profit de la
défense et la sécurité ?".
•
172
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CHEAr 2009 45e session nationale
LISTE DES ACRONYMES
AED
Agence européenne de défense
ANR
Agence nationale pour la recherche
ASF
Architecte de systèmes de force
BITD
Base industrielle technologique de défense
CAO
Conception assistée par ordinateur
Darpa
Defence Applied Research Projects Agency
DGA
Délégation générale pour l’armement
DGAC
Délégation générale de l’aviation civile
DP/OP
Directeur de programme/Officier de programme
ERT
Effort de recherche technologique
FCM
Fiche de caractéristiques militaires
Felin
Fantassin équipé de liaison intégrée
IED
Improvised Explosive Device (Engin explosif improvisé)
ISL
Institut franco-allemand de recherche de Saint-Louis
LPM
Loi de programmation militaire
Loi
Letter of Intent
Lolf
Loi organique des lois de finances
MiresMission interministérielle pour la recherche et l’innovation scientifique
MoD
Ministry of Defence
MRIS
Mission pour la recherche et l’innovation scientifique
MRTT
Multi-Role Transport Tanker
MCO
Maintien en condition opérationnelle
MSO
Mise en service opérationnelle
NRBC
Nucléaire, radiologique, biologique, chimique
NTIC
Nouvelles technologies de l’information et de la communication
Occar
Organisation conjointe de coopération en matière d’armement
Oco
Officiers de cohérence opérationnelle
Onera
Organisation national d’études et de recherches aéronautiques
Otan
Organisation du traité de l’Atlantique du Nord
PCRD
Programme cadre de recherche et développement
PESD
Politique européenne de sécurité et de défense
Pers
Politique européenne de recherche et de science
PME
Petite ou moyenne entreprise
PP30
Plan pluriannuel à trente ans
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Pos
PSRT
REACH
Retex
ROHS
R&D
R&T
SDI
SGDN
SSI
STB
TRL
VBCI
VBL
Politique et objectifs scientifiques
Plan stratégique des ressources techniques
Registration, Evaluation, Autorisation of CHemicals
Retour d’expérience
Restriction of the use of certain Hazardous Substances
Recherche et développement
Recherche et technologie
Strategic Defence Initiative (aux États-Unis)
Secrétariat général de la défense nationale
Sécurité des systèmes d’information
Spécification technique de besoin
Technology Readiness Level (Mesure de maturité technologique)
Véhicule blindé de combat d’infanterie
Véhicule blindé léger 174
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CHEAr 2009 45e session nationale
ANNEXE 1
Des outils pour une politique de l’innovation
Prospective des systèmes de force
L’identification des domaines technologiques clés s’inscrit dans la démarche
plus globale de la prospective des systèmes de force. Celle-ci regroupe les activités
destinées à identifier les besoins opérationnels, à orienter et à exploiter les études
de défense en vue de les satisfaire. Ces activités sont conduites conjointement par
les architectes de systèmes de forces (ASF), qui relèvent de la DGA, et les officiers
de cohérence opérationnelle (Oco), qui relèvent de l'État-major des Armées. Il s’agit
d’éclairer les choix nationaux qui vont permettre de définir l’outil de défense futur
en contribuant à la construction européenne en matière de sécurité et de défense.
On peut noter qu’une telle démarche prospective n’est aujourd’hui développée que
par quelques États de manière indépendante.
Les cinq systèmes de forces sur lesquels l’ensemble de la démarche est décliné sont :
– dissuasion ;
– commandement et la maîtrise de l’information ;
– projection, mobilité, soutien ;
– engagement combat ;
– protection sauvegarde.
PP30
L’élaboration du "PP30", plan prospectif à 30 ans, est également inscrite dans
cette démarche prospective. Sous la responsabilité du collège ASF-Oco, le PP30
est, au sein du ministère de la Défense, l’instrument principal d’identification des
besoins en équipements et d’orientation des études et des recherches de défense. Il
fait partie du processus conduisant à leur planification et programmation. Actualisé
chaque année, il matérialise l’avancement des travaux prospectifs et capacitaires. Il
est également un instrument de dialogue privilégié avec les organismes du ministère
impliqués dans la préparation du futur, les partenaires étatiques européens et les
industriels européens des domaines de l’armement et de la sécurité. Il contient
une partie consacrée à la prospective des systèmes de forces qui a vocation à
175
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45e session nationale 2009 CHEAr
évoluer chaque année au fur et à mesure des résultats des études menées et des
déclinaisons des thèmes transverses, ainsi qu’un corpus documentaire qui comprend
les éléments généraux de prospective et reprend, en les mettant à jour, tous les
acquis encore pertinents des thèmes transverses des éditions précédentes.
MRIS et Pos
La "Mission pour la recherche et l’innovation scientifique" (MRIS), créée en
2005, est dirigée par le conseiller scientifique du Délégué. Cette mission élabore
le document de "Politique et objectifs scientifiques" (Pos), assure la lisibilité et la
cohérence des actions de la DGA vis-à-vis de la communauté scientifique et est
chargée d’identifier, de développer et de capitaliser les actions de recherche et
d’innovation dans le domaine des sciences et technologies de base. La MRIS assure
une veille scientifique et technique, un soutien de la formation par la recherche, un
financement réactif de travaux de recherche et d’innovation scientifique. Elle est
organisée en 8 domaines scientifiques :
– informatique, mathématiques, automatique ;
– traitement de l’information ;
– physique et mécanique des fluides et des solides ;
– ondes et systèmes associés ;
– électronique ;
– optique et photonique ;
– matériaux et chimie ;
– biologie ;
– facteurs humains.
Le Pos a vocation à orienter l’effort d’investissement que représente le budget
d’études amont consacré par la DGA à la R&T de base et à l’innovation. Il présente
les grandes thématiques scientifiques d’intérêt pour la Défense et les différents modes
d’action permettant de soutenir ces thématiques en partenariat avec la recherche civile.
C’est un document évolutif dont la réactualisation est prévue tous les deux ans. Les
orientations scientifiques, proposées dans le Pos, se répartissent en deux catégories.
D’un côté, on trouve les thématiques visant à lever des obstructions techniques majeures
dans des domaines essentiels identifiés par la Défense. De l’autre, des thématiques
récentes porteuses de ruptures technologiques potentielles, faisant souvent l’objet d’un
"bouillonnement" mais dont l’intérêt pour la Défense reste à confirmer.
176
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CHEAr 2009 45e session nationale
Les principales données d’entrées du Pos sont le PP30, les plans stratégiques de la
DGA, les documents équivalents établis par des partenaires en France ou à l’étranger,
les feuilles de route des capacités technologiques de la Défense, des éléments de
prospective et de veille scientifique et technique, les rapports scientifiques des
laboratoires et des grands organismes de recherche et les orientations scientifiques
et techniques des industriels.
Synergie avec la recherche civile
Recherche militaire et recherche civile évoluaient jusque récemment dans des
mondes distincts. Mais l’heure est désormais au rapprochement entre chercheurs
civils et militaires. Mise en place en 2005 à la DGA, la Mission pour la recherche et
l’innovation scientifique est aujourd’hui le point focal de la DGA pour l’ensemble
de la communauté scientifique. Élaboré par la MRIS, le Pos présente les grandes
thématiques scientifiques d’intérêt pour la Défense et les différents modes d’action
permettant de soutenir ces thématiques en partenariat avec la recherche civile.
La DGA participe par ailleurs à de nombreux comités de pilotage de programmes
de l’Agence nationale pour la recherche (ANR) (par exemple dans les domaines
sécurité globale, biotechnologies, piles à combustibles, matériaux et procédés,
nanotechnologies…).
De manière plus générale, la recherche de Défense occupe une place importante
dans le dispositif de recherche français. Elle a été principalement tirée par le
nucléaire et les grands programmes aéronautiques et a conduit à de prestigieuses
réalisations. Aujourd'hui, l'effort national de 1,4 milliard d'euros représente près de
15 % de l'effort national en matière de recherche. La France est au premier rang
européen à un niveau comparable au Royaume-Uni et devant l’Allemagne.
Enfin, les pôles de compétitivité constituent des lieux privilégiés pour les
programmes de recherche duale soutenus par le ministère de la Défense, ces pôles
facilitent la coopération autour de projets innovants sur un espace géographique
donné, entre des entreprises, des centres de formation et des unités de recherche
publiques ou privées. Le ministère de la Défense contribue largement à la politique
des pôles de compétitivité, puisque sur les 66 pôles de compétitivité labellisés, le
ministère est correspondant chef de file de 7 pôles (2 pôles mondiaux (AESE et
Systematic), 2 pôles à vocation mondiale (mer Bretagne et mer PACA) et 3 pôles
177
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nationaux (route des lasers, photonique et Elopsys)) et 2e contributeur au fonds
interministériel commun, qui constitue un guichet unique pour le financement des
projets de R&D des pôles par l'État (45 millions d'euros sur 3 ans, pour un total
de 300 millions de crédits ministériels, portés à 600 millions d'euros grâce à un
abondement décidé par le Premier ministre).
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ANNEXE 2 : LE RÈGLEMENT REACH
Entré en vigueur le 1er juin 2007, cinq ans après la directive européenne ROHS
qui visait à restreindre de l'utilisation de 6 substances dangereuses dans les
équipements électriques et électroniques, REACH permet l’application harmonisée
dans toute l’Union européenne d’un système de contrôle et de mise sur le marché
des produits chimiques géré intégralement par l’Agence européenne des produits
chimiques basée à Helsinki. Il a pour objectif de faire reposer sur les producteurs la
responsabilité de l’évaluation des caractéristiques toxicologiques, écotoxicologiques
de quelque 30 000 substances, ainsi que les mesures de réduction de risques liés
à leurs usages afin qu’ils soient valablement maîtrisés et ceci tout au long du
cycle de vie des substances. Toutes les substances chimiques en tant que telles,
ou contenues dans les préparations ou dans les articles, sont visées, et toutes
les matières premières, les composants, les alliages sont donc potentiellement
concernés.
REACH appelle deux principes fondamentaux : le renversement de la charge de
la preuve de l’innocuité des substances (vers les producteurs et les industriels et
non plus les États), et la traçabilité totale et transparente ("no data, no market").
Sont concernés les fabricants européens, les importateurs, les utilisateurs en aval
et les distributeurs.
L’objectif in fine est d’identifier les substances à interdire ou dont l’usage doit
être restreint, afin de mieux protéger de l’environnement et la santé des personnes
(fabricants, utilisateurs).
Il faut noter que REACH prône l’innovation en réponse aux nouvelles
contraintes, et prévoit à cet effet des dérogations pour les activités de recherche et
développement sur les substances. Enfin, les intérêts de la Défense demeurent un
cas d’exemption à l’application du règlement :
• Le présent règlement devrait assurer un niveau élevé de protection de la santé
humaine et de l’environnement ainsi que la libre circulation des substances,
telles quelles ou contenues dans des préparations ou des articles, tout en
améliorant la compétitivité et l’innovation. Le présent règlement devrait aussi
promouvoir le développement de méthodes alternatives pour l’évaluation des
dangers liés aux substances (…)
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• (…) Toutefois, pour encourager l'innovation, les activités de recherche et de
développement axées sur les produits et les processus devraient être exemptées
de l'obligation d'enregistrement pendant une certaine période, au cours de
laquelle une substance n'est pas encore destinée à être mise sur le marché à
l'intention d'un nombre indéfini de clients, parce que son application dans des
préparations ou des articles exige encore que des activités de recherche et de
développement supplémentaires soient réalisées par le déclarant potentiel luimême ou en coopération avec un nombre limité de clients connus. Il convient,
en outre, de prévoir une exemption analogue pour les utilisateurs en aval qui
utilisent la substance à des fins d'activités de recherche et de développement
axées sur les produits et les processus, à condition que les risques pour la
santé humaine et l'environnement soient valablement maîtrisés conformément
aux prescriptions de la législation relative à la protection des travailleurs et à
l'environnement.
• Les États membres peuvent prévoir des exemptions du présent règlement dans
des cas spécifiques pour certaines substances, telles quelles ou contenues dans
une préparation ou un article, lorsque cela s'avère nécessaire aux intérêts de
la défense.
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ANNEXE 3 :
Cas du Royaume-Uni
en matière de politique de R&T de défense
Politique générale
Suite aux publications par le ministère de la défense (MoD) britannique des
Defence Industrial Strategy de 2002 et 2005, l’approche vis-à-vis de l’industrie
britannique en matière de R&T a changé et une nouvelle stratégie a été définie. Il
a été reconnu dans ces documents le besoin de promouvoir une base industrielle et
technologique de défense qui maintiendrait les capacités industrielles nécessaires
pour garantir la sécurité nationale. Les principes et les processus qui doivent être
appliqués lors des acquisitions ont été posés. Une analyse sur les lacunes en termes
capacités industrielles et technologiques du Royaume-Uni a été faite, ainsi que sur
la manière dont elles pourraient être comblées.
Ces revues ont précisé que : Technology is a key driver in the modern world and is
crucial to network enabled, adaptable and rapidly deployable forces(23). Elles ont mis
en évidence que les grands programmes d’armement auront une durée de vie de
plus en plus longue. Une réorganisation de la base industrielle et technologique
de défense sera nécessaire pour prendre en compte l’importance croissante de
soutenir les équipements ou systèmes déjà en service. L’importance du maintien en
condition opérationnelle (MCO) et l’insertion rapide de technologie pour répondre
aux nouvelles menaces et saisir les opportunités d’innovation seront accrues. Il ne
s’agira plus, comme précédemment, de développer systématiquement de nouvelles
générations d’équipements ou de systèmes.
Au Royaume-Uni, il faudra que :
– la recherche soit cohérente avec le besoin opérationnel ;
– soit maintenue une capacité world class dans les domaines critiques pour la
souveraineté et la sécurité nationale (voir graphique ci-après) ;
– soit préservée l’attractivité du Royaume-Uni pour les partenariats ou la
coopération avec d’autres nations ;
Dans le monde moderne, la technologie est un facteur clé et est fondamentale pour le travail en réseau, l’adaptabilité
et le déploiement rapide de forces.
(23)
181
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– le MoD agisse comme un acheteur "éclairé" de systèmes et technologies et
se fournisse sur le marché mondial ;
– puissent être adoptés et modifiés rapidement pour répondre aux besoins
militaires les matériels civils adéquats ;
– soient identifiés les domaines essentiels.
Financement
Suite à la fin de la guerre froide, le ministère de la Défense britannique a connu
une réduction de la part de son budget consacré à la recherche de 30 % entre
1994 et 2004. Sur cette même période, le budget de défense n’a été diminué
que de 4,5 %. Le budget de recherche annuel du MoD est de l’ordre de 500 M£
(soit environ 550 M€), mais chaque année 83 % de ce budget est consacré aux
paiements inéluctables. En 2005, les sommes allouées à la recherche au RoyaumeUni correspondaient à 1,9 % du PIB (22 Md£), réparties entre les investissements
de l’industrie (1,1 %) et du gouvernement (0,8 %). Le gouvernement britannique,
en prenant en compte la productivité et les succès économiques du RoyaumeUni, a défini une stratégie visant à porter entre 2004 et 2014 à 2,5 % de PIB
l’investissement en R&D par l’industrie et le gouvernement.
Source: Defence Technology Strategy for the demands of the 21st Century. Rapport MoD de 2006
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Politique en matière de R&D de défense
En 2007 la Defence Innovation Strategy (DIS) était publiée. Elle a précisé
que l’innovation était fondamentale, puisqu’elle menait à l’apparition et au
développement d’opportunités et à l’amélioration de la rentabilité des entreprises.
Afin de développer une culture d’innovation, elle identifiait des points clés :
– définir une vision des capacités partagée entre le MoD et l’industrie ;
– mettre en œuvre les principes de road-mapping de capacités et de technologies.
Le principe est développé dans le Defence technology Plan et sera mis en
œuvre par le Future Business Group et les programmes d’armement ;
–améliorer l’application de l’ingénierie de systèmes dans les domaines de la
modularité et des architectures ouvertes ;
– mettre à point des business models entre le gouvernement et l’industrie pour
partager une vision commune ;
– améliorer la réactivité, notamment au niveau du processus de contractualisation
et de l’organisation de la recherche.
Cette stratégie a précisé aussi les domaines d’intérêt stratégiques qui sont
l’anticipation, la protection, l’identification rapide et la mise en réseau.
Le document Maximising Benefit from Defence Research, publié en 2006,
était le premier rapport bisannuel, revue de la R&T de défense. Il établissait un
processus qui avait pour but de mesurer la performance, la qualité et l’efficacité
d’exploitation de la recherche et de la technologie. Il est désormais clair qu’un
certain nombre de domaines, qui étaient tirés par les grands programmes de
recherche militaires pendant la guerre froide, par exemple les communications et
les systèmes d’information, sont désormais pilotés par le domaine civil. Le défi pour
le MoD a été d’identifier les domaines clés (soit militaires, soit civils) qui doivent
être maintenus pour des raisons de sécurité ou de souveraineté. Le RoyaumeUni doit maintenir son effort d’investissement en R&T en mettant l’accent sur les
menaces émergentes, sans négliger celles conventionnelles. La cohérence entre
les programmes de recherche et les programmes d’armement doit être vérifiée
et maintenue. L’exploitation de la R&T doit être fondamentale afin de faciliter
l’insertion de technologie pendant toute la durée de vie d’un système. Le document
conclut en évaluant la cohérence de la politique de R&T par rapport aux objectifs
stratégiques définis (85 % des programmes de recherche ont eu un lien clair
183
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par rapport aux objectifs). Il recommande l’exploitation commerciale de l’effort
de R&T dans le domaine de la défense, en proposant à des sociétés dites "Spin
out", qui s’appuieraient sur la dualité des marchés civils et militaires, d’exploiter
potentiellement ces technologies. Le principe est décrit dans le graphique ci-dessous,
où le gouvernement britannique veut transférer vers l’industrie le développement
et l’exploitation de technologies.
Source: Defence Technology Strategy for the demands of the 21st Century. Rapport MoD de 2006.
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ANNEXE 4
L’innovation technologique vue par le ministère de l’Industrie
Identification des technologies clés en R&T
Afin d’aider les chercheurs et industriels à trouver les compétences
complémentaires requises pour mener à bien un projet de R&D ou de transfert
technologique, le ministère de l’Industrie a conduit une étude "Technologies clés
2010" publiée en décembre 2006(24). Cette étude répertorie les principaux centres
de recherche privés et publics qui contribuent au développement de 83 technologies
clés classées selon 8 domaines technologiques :
– technologies de l'information et de la communication ;
– matériaux – chimie ;
– bâtiment ;
– énergie – environnement ;
– technologies du vivant-santé – agroalimentaire ;
– transports ;
– distribution – consommation ;
– technologies et méthodes de production.
Cette étude constitue ainsi un complément d’informations par rapport aux
champs couverts par les pôles de compétitivité dont les thèmes de R&D ne couvrent
pas la totalité des 83 technologies clés.
Le ministère de l’Industrie dispose donc d’outils organisationnels et opérationnels
pour piloter une véritable stratégie technologique. Il privilégie la constitution de
champions territoriaux incluant les centres de recherche et de formation et focalisés
sur des projets innovants. Le développement international des pôles passe par la
recherche de coopérations technologiques avec des clusters étrangers, afin d’y
trouver des briques manquantes ou de nouveaux marchés. Les dispositifs financiers
impliquent les entreprises et les collectivités locales.
(24)
Voir détail sur le site internet www.industrie.gouv.fr/techno_cles_2010/.
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Les pôles de compétitivité
Les pôles de compétitivité rassemblent, sur un territoire donné, des entreprises,
des centres de recherche et des organismes de formation, afin de développer
des synergies et des coopérations, notamment au travers de projets coopératifs
innovants. Ils peuvent s'inscrire dans une perspective internationale : l'enjeu est
de permettre aux entreprises impliquées de prendre une position de premier plan
dans leurs domaines, tant en France qu'à l'international. Créés en 2004, ils sont au
nombre de 71 répartis sur tout le territoire français(25). On peut les assimiler à des
clusters thématiques ayant une forte visibilité internationale.
Une politique stratégique a été mise en place pour cadrer les financements
alloués par l’État aux pôles de compétitivité. Elle a pour objectifs de développer
la compétitivité de l’économie française en accroissant l’effort d’innovation et
de conforter sur des territoires des activités, principalement industrielles, à fort
contenu technologique ou de création. Au sein du ministère de l’Économie, de
l'Industrie et de l’Emploi, la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie
et des services (DGCIS) assure, conjointement avec la Délégation interministérielle
à l'Aménagement et à la Compétitivité des territoires (Diact), la mise en œuvre,
l'animation et le suivi de la politique des pôles de compétitivité.
La première phase (2006-2008) a porté sur un financement global de 1,5 G€
répartis entre l’État (830 M€), les agences (520 M€ au titre de l’ANR, Oseo, AII et
la CDC) et 160 M€ d’exonération fiscale. Les financements principaux sont destinés
à soutenir les projets de R&D. Les exonérations fiscales et une partie des crédits
d’intervention sont réservées aux entreprises implantées dans la zone de recherche
et développement d’un pôle et qui participent à un projet de R&D.
De nombreuses collectivités territoriales apportent un soutien supplémentaire
aux pôles implantés sur leur territoire. Les pôles peuvent également s’appuyer sur
les réseaux de recherche mis en place par le ministère de la Recherche et sur les
programmes européens (PCRD de la Commission européenne notamment).
(25)
Voir le détail sur le site internet www.competitivite.gouv.fr.
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CHEAr 2009 45e session nationale
Le programme entre dans sa seconde phase (2009-2011). Doté d’une enveloppe
globale équivalente à la première phase, elle permettra l’accompagnement de la
R&D civile selon trois axes :
– le renforcement de l’animation et du pilotage stratégique des pôles,
notamment avec la création des "contrats de performance" et le renforcement
des correspondants d’État : ces contrats en cours d’élaboration visent
à responsabiliser plus fortement les acteurs industriels, étatiques et les
collectivités locales. Ils se basent sur une feuille de route stratégique à 3-5
ans à l’instar des stratégies d’entreprise. Celle-ci précisera les domaines et
thématiques prioritaires, les objectifs technologiques et de marchés visés et
les objectifs de développement du pôle ;
– de nouvelles modalités de financements notamment pour les plates-formes
d’innovation. Ces plates-formes regrouperont des moyens humains et matériels
dédiés à des projets de R&D et d’innovation fortement concurrentiels. Plus
particulièrement attachées aux pôles mondiaux ou à vocation mondiale, elles
seront le fer de lance de l’excellence scientifique nationale ;
– le développement d’un écosystème d’innovation et de croissance, notamment
le recours plus important aux financements privés et la recherche de meilleures
synergies territoriales. La notion d’écosystème est intéressante car elle traduit
bien l’interaction entre les différents acteurs et éléments contributeurs de la
R&D comme l’illustre le schéma ci après.
�
Le fonctionnement des pôles réside essentiellement sur les coopérations croisées
entre les acteurs. On peut identifier plusieurs types de coopération :
• Le partenariat entreprises-centres de formation : l'objectif est de définir des
formations spécialisées, d'approfondir la gestion des compétences, etc.
• Le partenariat entreprises-organismes de recherche : création d'incubateurs
technologiques, valorisation, recherche contractuelle, travaux de R&D
collaboratifs, etc.
• Le partenariat centres de formation-organismes de recherche : ils couvrent la
recherche universitaire, l'attractivité vis-à-vis des enseignants chercheurs, etc.
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Cœur du dispositif = acteurs économiques et académiques dans un espace géographique donné (entreprises,
centres de recherche, organismes de formation).
L’assise du dispositif (les racines) = Les compétences
des hommes, notamment leurs idées et leurs talents, ainsi
que les moyens financiers tels les financements privés
(investisseurs providentiels ou business angels, "capitaux
risqueurs") et les aides publiques ciblées, sont la "sève"
de ces pôles de compétitivité. Elles conditionnent
largement leur dynamisme et leur développement.
L’ancrage territorial (le substrat) = L’ancrage du pôle
dans son territoire est lié à la définition même d’un pôle
de compétitivité.
Le rôle des clients et des fournisseurs spécialisés
La présence à proximité des pôles, de fournisseurs spécialisés, mais aussi de clients susceptibles d’adopter de
manière précoce des solutions innovantes, voire de les
tester avant mise sur le marché et de contribuer à leur
amélioration comme c’est le cas dans les laboratoires
d’usage, constitue un atout essentiel.
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CHEAr 2009 45e session nationale
ANNEXE 5
Un exemple dans le secteur de la grande distribution : l'automobile
Un marché sous fortes contraintes
Le marché automobile est l’un des tous premiers au plan mondial. En 2007,
il a représenté 70,46 millions de véhicules neufs vendus dans le monde? dont
23,8 millions en Europe. Il couvre 2,25 millions d’emplois dans l’Union européenne
et a dégagé un chiffre d’affaires 2007 de 728 Ge(26). Ayant fait l’objet de profondes
restructurations depuis les années 1980, le secteur automobile demeure fortement
concurrentiel, les rares alliances entre constructeurs se faisant sur des programmes
spécifiques.
Ce marché caractérisé par une forte valeur ajoutée technologique (VA/Production
de l’ordre de 20 %) subit actuellement de plein fouet l’effet de la crise financière
et économique. Les difficultés de financement des particuliers et des entreprises
couplées à l’inflation des matières premières conduisent le secteur à revoir
drastiquement les coûts de structure et à demander l’aide des pouvoirs publics.
Pour ces raisons, le secteur est au cœur des priorités gouvernementales du plan de
relance économique.
Sur le plan technique, la fin programmée des énergies fossiles et les impératifs
de limitation de l’effet de serre vont conditionner fortement les développements
technologiques des voitures de demain(27). La réduction des taux d’émission de CO2
devient obligatoire tandis que les consommateurs souhaitent voir développer de
nouvelles solutions alternatives au pétrole et sont en train de repenser leur besoin
de mobilité. La prise de conscience est réelle et les dispositions du Grenelle de
l’environnement (bonus/malus écologique, primes) contribuent aussi à l’évolution du
marché. Le véhicule propre fait partie des priorités liées au développement durable.
L’enjeu technologique est de taille puisqu’il se double d’une recherche d’assistance
à la conduite (gestion informatisée, reconnaissance, navigation…) et de sécurité.
Source : Comité des constructeurs français d’automobiles (CCFA).
Le domaine des transports consomme plus de la moitié de la production mondiale de pétrole et contribue à hauteur de
13 % à l’effet de serre (référence : Observatoire de l’automobile 2009).
(26)
(27)
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La stratégie technique des constructeurs automobiles
Les constructeurs automobiles sont dans une situation fortement contrainte : ils
doivent développer des solutions alternatives au moteur à combustion interne et
améliorer la qualité environnementale de leurs produits tout en restant compétitifs.
En réponse aux attentes liées au développement durable, ils doivent mettre en place
l’éco-conception de leurs futurs véhicules en optimisant son impact sur l’environnement
tout au long du cycle de vie. Le recyclage fait partie inhérente de cette conception : la
réglementation européenne stipule que 8 à 9 millions de véhicules mis à la casse chaque
année doivent être recyclés à 85 %. Ce niveau sera porté à 95 % à l’horizon 2015.
Le virage technologique a été amorcé il y a trois ans par l’ensemble des constructeurs.
Pour tenir dans des enveloppes budgétaires acceptables par les consommateurs, les
futurs véhicules limiteront leur taille à l’inverse des modèles précédents qui avaient
tendance à prendre du poids et du volume sur le même segment. Du coup, tout est fait
pour alléger les véhicules : nouveaux aciers et aluminium, développement de petites
motorisations turbocompressées. Ce processus de downsizing permet de réduire la
consommation tout en maintenant le niveau de confort.
La R&D en matière d’énergie devient stratégique et porte sur les modes de
propulsion et les nouveaux carburants : pile à combustible, électricité, hydrogène,
agro-carburants et carburants synthétiques, solutions de motorisation hybrides. Un
véritable foisonnement d’innovations caractérisera donc la période 2010-2020,
avec notamment des solutions hybrides. Une projection 2015 laisse penser que les
énergies nouvelles ne concerneront toutefois que 20 % du parc.
En parallèle, les recherches se poursuivent sur la voiture électrique considérée
comme la meilleure solution accessible à moyen terme. L’objectif visé est de trouver
le bon compromis entre coût et autonomie : il est aujourd’hui possible de concevoir
un véhicule de 300 km d’autonomie mais coûtant encore plus de 100 ke. Les
futures technologies de batteries imposeront de construire de nouvelles usines et
doivent donc être intégrées dans les investissements futurs (exemple du programme
Renault-Nissan avec une usine de 74 Me). À plus long terme la maîtrise de la pile
à combustible hydrogène suscite de nombreux espoirs mais les investissements
seront lourds L’ensemble des énergies alternatives sont plutôt perçues comme des
marchés de niche pour les dix ans à venir.
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CHEAr 2009 45e session nationale
Un bel exemple de course technologique : la F1
La Formule 1 concrétise la course technologique par excellence puisque les
victoires se gagnent essentiellement sur l’innovation des voitures et la préparation
technique. Il est important que les innovations techniques soient valorisées au
travers de tels évènements à vocation sportive. En revanche, il serait illusoire de
penser qu’elles sont définies en fonction de cette recherche de performances
extrêmes.
La Formule 1 représente un investissement important des constructeurs (3 G$
en 2008 dont 445 M$ pour Toyota et 350 M$ pour BMW ), mais très faible au
regard des profits attendus sur le marché grand public. Car il s’agit bien, avant tout,
d’un vecteur de publicité à l’attention des consommateurs. Vitrine technologique,
la Formule 1 vise surtout à renforcer l’image d’excellence et à doper les ventes de
véhicules. Les constructeurs qui se sont retirés du monde de la course automobile
l’ont tous fait pour des raisons commerciales plus que pour des raisons techniques.
M
algré la fin programmée du pétrole et les aspirations des consommateurs,
le marché de l’automobile ne connaîtra pas à moyen terme de rupture
technologique brutale compte tenu des infrastructures existantes et
des impératifs économiques. La question essentielle des constructeurs demeure de
savoir si une technologie peut se développer rapidement pour arriver à être produite
à moindre coût et en grande série. Cela les conduit à raisonner par continuité et à
s’orienter naturellement sur les solutions hybrides sur le court - moyen terme tout
en continuant à explorer les solutions plus innovantes sur le long terme.
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45e session nationale 2009 CHEAr
Remerciements :
Ce rapport n’aurait pu être rédigé sans les informations, conseils et
recommandations des différentes personnalités rencontrées à l’occasion des
interviews menées pendant la durée de la session.
Les auditeurs du comité n° 7 leur adressent donc leurs plus sincères
remerciements, ainsi qu’aux conseillers du comité pour leurs conseils avisés et leur
soutien actif et sans faille tout au long de cette année.
Conseillers Monsieur Patrick Michon,
directeur adjoint export optronique Sagem Défense et Sécurité
Monsieur Emmanuel Nommick, avocat à la Cour
Commissaire Colonel Eric Rémy-Néris, chef du bureau finances de l’Ema/CPCO
Personnalités rencontrées GCA Palomeros, Emaa/ MGAA
GDI Desportes, directeur du collège interarmées de Défense
GDI Helly Emat/Sous-chef plans programmes
GBR Giaume, Ema/ESMG
CA Brulez, Ema/Oco
IGA Devaux DGA/D4S/SASF
IGA Queffelec EMM/Sous-chef plans programmes
IGA Berthet, DGA/DDI
IGA Moraillon DGA/D4S/SRTS
IGA Burg DGA/D4S/SIIE
IGETA Marchis DGA/DSA/Dum Ter
M. Cornut-Gentile, député-maire de St Dizier
M. l’ambassadeur Guntmann, conseil scientifique de Défense
Mme Grogran, attachée d’armement, ambassade britannique
M. Veillard, directeur de la prospective stratégique, CEIS
M. Battesti, directeur stratégie systèmes terre et interarmées, Thales
M. Pujes, ministère de la recherche, chargé de l’espace
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CHEAr 2009 45e session nationale
M. Sahut d’Izarn, responsable des programmes moteurs militaires Snecma
M. Couillard, président du conseil d’administration de l’Isae
M. Lahoud, directeur général adjoint EADS
M. Renouil, directeur du développement commercial de Bertin
M. de la Sayette, directeur technique adjoint Dassault Aviation
MM. Stoufflet et Hermann, direction de la prospective Dassault Aviation
MM. Hervé et Bouty, direction du marketing stratégique Nexter Systems
COMPOSITION DU COMITE
Président :
Secrétaire :
Rapporteur :
Autres auditeurs :
Conseillers :
Col. Jean-Baptiste de Fontenilles
ICA François Bouchet
ICA Claude Chenuil
Mark Way
Alexandre Dupuy
Emmanuel Jullien
Patrick Michon
Emmanuel Nommick
Commissaire-colonel Éric Remy-Neris
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