ENTRE COOPERATION ET CONCURRENCE: LE MARCHE

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ENTRE COOPERATION ET CONCURRENCE: LE MARCHE
CAHIERS DE CHAILLOT - NUMERO 44
Entre coopération et
concurrence : le marché
transatlantique de défense
Gordon Adams, Christophe Cornu
et Andrew D. James
sous la direction de Burkard Schmitt
Institut d’Etudes de Sécurité
Union de l’Europe occidentale
Paris - Janvier 2001
Contents
Preface
Introduction
Burkard Schmitt
v
1
Chapter One: Fortress America in a changing transatlantic
defence market
Gordon Adams
Contradictory transatlantic trends
The American fortress: reinforced or disappearing?
The transatlantic defence industrial agenda
3
4
21
47
Chapter Two: Fortress Europe – real or virtual?
Christophe Cornu
Fortress Europe and national ‘citadels’
The beginnings of convergence in Europe
Conclusion
51
Chapter Three: The prospects for a transatlantic defence industry
Andrew D. James
The evolution of transatlantic defence industrial relationships
Business pressures for closer transatlantic relationships
Influences on strategic options
The emerging transatlantic industrial landscape
Near- and mid-term prospects
Conclusions
93
53
72
90
94
102
104
111
117
118
Conclusion
Burkard Schmitt
123
About the authors
Abbreviations
Annexes
131
133
135
iv
Préface
Il y a quelques mois, l’Institut publiait, sous la signature de Burkard Schmitt, un
Cahier de Chaillot spécifique sur les nouvelles stratégies d’intégration industrielle
entre grands groupes européens de l’armement1. La présente livraison des Cahiers
de Chaillot, sous la direction de Burkard Schmitt, apporte un complément tout à fait
essentiel à cette réflexion, en examinant les perspectives et les contraintes d’une
coopération transatlantique en la matière.
Vieux débat s’il en est : comment permettre aux industriels européens de pénétrer
le marché de défense américain, l’un des plus protégés qui soit ? Comment penser
des partenariats industriels qui n’aboutissent ni à la dilution des groupes européens
ni au monopole des Etats-Unis sur les secteurs les plus stratégiques ? Dans quelle
mesure ces partenariats euro-américains sont-ils d’ailleurs nécessaires à la survie et
à la compétitivité des industries de défense européennes ? Or les transformations
politiques récentes, des deux côtés de l’Atlantique, autorisent désormais des
approches et peut-être des réponses nouvelles : à l’Union, la PECSD est entrée dans
une phase de montée en puissance quasi irréversible ; aux Etats-Unis, l’élection
d’une nouvelle équipe présidentielle est traditionnellement l’occasion de directives
ou d’initiatives nouvelles.
L’intérêt de programmes euro-américains n’est pas seulement de combler le « gap »
technologique et stratégique supposé exister entre les armées américaine et
européennes : la plupart des pays européens ne partagent pas l’obsession américaine
sur la RMA et ne sont guère disposés à adhérer aux concepts stratégiques définis à
Washington pour les guerres du futur. Il serait donc parfaitement illusoire, comme le
font pourtant certains Américains, de tabler sur des coopérations industrielles
transatlantiques pour obliger les Européens à se mouler dans la stratégie militaire
américaine. De la même façon, si la coopération transatlantique en matière
d’armements peut avoir des effets induits bénéfiques pour l’ensemble des relations
politiques euro-américaines, il est évident que leur mérite essentiel réside ailleurs :
dans les avantages commerciaux qui en résulteraient pour l’ensemble des partenaires
industriels.
Les grands groupes européens ont en effet tout intérêt à pouvoir pénétrer le
1
Burkard Schmitt, « De la coopération à l’intégration : les industries aéronautique et de
défense en Europe », Cahiers de Chaillot n. 40, juillet 2000.
marché américain qui reste, et de loin, le plus important. Inversement, les groupes
américains souhaitent accroître les parts qu’ils possèdent déjà sur certains marchés
nationaux en Europe et consolider leurs positions pour relever le défi annoncé d’un
futur marché européen de l’armement.
Mais la route est longue pour surmonter les contradictions inhérentes à l’idée d’un
partenariat transatlantique équilibré en matière d’armements. Deux tensions sont
particulièrement évidentes : entre des industries de défense de plus en plus
« normalisées » dans des logiques commerciales, et un marché de l’armement
toujours très captif et protégé par de multiples législations nationales, aussi bien en
Europe qu’aux Etats-Unis. Entre des principes différents selon qu’il s’agisse du volet
politique de la défense européenne ou de son volet armement : l’industrie de défense
est en effet un domaine où la concurrence et la duplication, a priori tabous dans les
relations entre l’Union et l’OTAN, sont aussi légitimes que nécessaires entre
partenaires industriels européens et américains.
Les industriels européens sont de toute évidence les plus pénalisés, et doublement
même : le protectionnisme américain est d’une part tellement puissant que la masse
des réglementations et des procédures à respecter pour tenter un partenariat aux
Etats-Unis rend de telles coopérations dissuasives au regard des bénéfices
escomptés. L’absence, d’autre part, d’un marché véritablement européen, autrement
dit d’une harmonisation minimale des besoins et des doctrines militaires entre pays
membres de l’UE handicape les industriels européens, tout en affaiblissant la marge
de négociation des Etats-membres avec des fournisseurs industriels déjà très intégrés
au niveau européen.
C’est dire si le politique reste ici fondamental : le vrai problème n’est pas tant en effet
l’étanchéité de la forteresse américaine, pourtant très réelle, que la lenteur de
l’Europe politique. Il serait en effet logique que la création d’une base industrielle
européenne, déjà en cours, s’accompagne d’un minimum de programmation militaire
commune et d’un marché européen de l’armement, étapes indispensables pour la
réussite des coopérations industrielles euro-américaines. L’Europe comme condition
d’un véritable partenariat transatlantique : en cette matière comme dans d’autres, la
chronologie sera souveraine.
Nicole Gnesotto
Décembre 2000
iv
Introduction
Burkard Schmitt
Les dynamiques sous-tendant les relations euro-américaines en matière
d’armement sont en pleine évolution. De grands changements politiques,
stratégiques, technologiques et financiers ont déjà bouleversé ces secteurs
aux Etats-Unis et en Europe ; ils se prolongent aujourd’hui au niveau
transatlantique et mettent en cause la donne traditionnelle entre les deux
marchés et les deux industries de défense les plus importants du monde.
La situation actuelle est contradictoire : la logique commerciale et
technologique pousse les grands groupes de défense vers un resserrement
des liens transatlantiques, mais les barrières sont nombreuses. Il est fort
probable que les relations euro-américaines en matière d’armement
continueront de se caractériser à la fois par la concurrence et par la
coopération, mais on sait moins quelle sera la tendance prédominante : les
gouvernements oseront-ils un saut qualitatif dans leur coopération pour se
rapprocher d’un marché vraiment transatlantique ? Ou utiliseront-ils leurs
pouvoirs pour maintenir leurs marchés fermés et protéger leurs industries ?
Quels sont les vrais intérêts des principaux protagonistes politiques,
militaires et industriels ? Quelle sera la réaction des Européens si les EtatsUnis refusent de contribuer à l’établissement d’un juste équilibre entre les
deux côtés ? Le concept même de « forteresse » est-il dépassé par les
nouvelles réalités économiques et technologiques ? Si le cadre politique
d’aujourd’hui ne change pas, quelle sera la stratégie des grands groupes
industriels ? Ceux-ci pourront-ils poursuivre la mondialisation de leur
propre initiative ? Jusqu’à quel point peuvent-ils s’émanciper des
gouvernements ?
Les enjeux sont de taille : si, par exemple, la coopération en matière
d’armement s’intensifie et se transforme en partenariat équilibré, elle
renforcera autant la cohésion de l’Alliance atlantique dans son ensemble
qu’elle bénéficiera à la compétitivité des industries. Si, en revanche, la
forteresse américaine persiste et si une Europe de l’armement se construit
« contre » les Etats-Unis, on risque d’assister à un affrontement entre deux
blocs fermés, avec les conséquences néfastes que cela implique pour les
relations industrielles en particulier, et les relations transatlantiques en
2
Entre coopération et concurrence
général. Dans la réalité, l’évolution des liens ne sera probablement pas aussi
tranchée, mais les effets de spill-over entre l’armement et la politique sont
évidents.
Etant donné l’importance et l’actualité du sujet, l’Institut a demandé à trois
experts connus de faire, chacun sous un angle différent, le point de la
situation et de présenter leurs idées sur l’avenir de la coopération transatlantique en matière d’armement.
Dans le premier chapitre, Gordon Adams analysera d’abord la multiplicité
des facteurs qui déterminent les relations entre l’Europe et les Etats-Unis
dans ce domaine. Ce rappel permettra de mieux comprendre la complexité
de la question et de discerner les pistes pour améliorer la coopération. Dans
la deuxième partie de son analyse, l’auteur examinera en détail le dispositif
de la forteresse Etats-Unis et évaluera les initiatives récentes du Pentagone
visant à faciliter la coopération internationale.
Dans le deuxième chapitre, Christophe Cornu traitera la situation en Europe.
Il évaluera les réalités budgétaires et législatives ainsi que la politique
d’achat des pays européens pour évaluer la réalité ou l’absence d’une
forteresse européenne. Ensuite, il se penchera sur les différentes initiatives
en cours dans le domaine de l’armement et sur leurs conséquences pour
l’avenir de la coopération transatlantique.
Dans le troisième chapitre, Andrew James examinera la coopération sous
l’angle des relations industrielles. Il reviendra sur l’évolution et les facteurs
moteurs de cette coopération. Puis, il analysera la stratégie des entreprises
par rapport aux arrangements transatlantiques et proposera des perspectives
à court et à moyen terme.
Tout en se suffisant à elles-mêmes, ces trois contributions sont complémentaires. Nous espérons que cette combinaison d’approches permettra de
donner une vision aussi exhaustive que possible de cette problématique.
Chapitre Un
LA FORTERESSE AMERIQUE FACE A UN MARCHE DE
DEFENSE TRANSATLANTIQUE EN PLEINE EVOLUTION
Gordon Adams
La relation de défense transatlantique connaît d’importantes évolutions,
mais l’avenir demeure incertain : se dirige-t-on vers plus d’intégration et de
coopération, ou vers l’émergence de deux forteresses ? Il existe de très
bonnes raisons d’accroître l’interdépendance entre les deux rives de
l’Atlantique tant sur le plan de la coopération militaire que sur celui de la
coopération industrielle et du commerce. Du point de vue stratégique et
militaire, la nécessité d’améliorer l’interopérabilité entre forces armées
européennes et américaines est évidente. Du point de vue budgétaire,
l’intégration des industries au niveau transatlantique permettrait
d’économiser des ressources rares et de se concentrer sur les objectifs de
défense prioritaires. Last but not least, la « civilianisation » et la
mondialisation de la base industrielle et technologique liée à la défense
rendent une coopération accrue entre les industries d’armement, attrayante,
voire inévitable.
Cependant, la rhétorique, la politique et les faits vont souvent à l’encontre
de cette interdépendance. Dans le cadre de la Politique européenne
commune de Sécurité et de Défense (PECSD), les Européens cherchent à se
doter d’une capacité de défense autonome. A l’appui de cet objectif, de
nombreux décideurs plaident en faveur d’une « préférence européenne » en
matière d’acquisition et prônent la résistance à ce que les Français surtout
appellent l’unilatéralisme américain. La consolidation de l’industrie de
défense en Europe, les évolutions institutionnelles de l’Union européenne
(UE) et l’émergence d’une organisation d’acquisition commune sont
d’autres indices d’une tendance nette à l’instauration d’une forteresse en
Europe, le partenaire et le marché le plus important des Etats-Unis en
matière de défense.
Tout aussi importantes, l’évolution de la politique de défense et la
consolidation industrielle américaines incitent à la fois à plus d’intégration
transatlantique et au renforcement de la forteresse Amérique. Les avantages
4
Entre coopération et concurrence
économiques, technologiques et opérationnels qu’offriraient le resserrement
des liens de défense et l’assouplissement du régime de coopération
industrielle transatlantique sont très nets. Ils sont néanmoins contrebalancés
par une forte opposition politique et bureaucratique à tout affaiblissement
des réglementations limitant les investissements étrangers directs sur le
marché de défense américain ou le transfert de technologies de pointe vers
des pays alliés.
Pour le futur de la relation transatlantique en matière d’armement, deux
logiques s’affrontent : la nécessité de l’interopérabilité militaire et de la
rationalité économique et technologique, d’une part ; la politique et la
lourdeur administrative, de l’autre. Ces questions sont plutôt urgentes dans
la mesure où l’Europe regroupe à la fois son industrie et ses capacités de
défense et où une nouvelle administration s’installe à Washington. Le
présent chapitre décrit brièvement les forces contradictoires qui déterminent
la relation transatlantique et examine, de manière plus approfondie,
l’évolution de la forteresse américaine. Il propose également des mesures à
prendre rapidement pour instaurer des relations industrielles plus ouvertes et
plus souples entre les deux rives de l’Atlantique.
I.1
Des tendances transatlantiques contradictoires
Planification stratégique et militaire
En matière stratégique et militaire, les visions européenne et américaine ont
nettement divergé depuis la fin de la guerre froide, en renforçant de part et
d’autre la tendance à la forteresse. En même temps, la crise des Balkans a
révélé le besoin de plus en plus urgent d’accroître l’interopérabilité au sein
de l’Alliance, renforçant ainsi la logique de convergence transatlantique.
Avec l’évanouissement de la menace soviétique, l’unité de vision qui avait
caractérisé l’OTAN pendant plus de quarante ans a disparu. Au cours des
années 1990, les Etats-Unis et leurs alliés européens ont tenté, à grandpeine, de définir une nouvelle vision commune. Les divergences entre
Américains et Européens à propos de leurs objectifs et de leurs intérêts
stratégiques ainsi que des capacités militaires nécessaires alimentent les
arguments de ceux qui souhaiteraient renforcer les forteresses industrielles
pour permettre à chaque camp de suivre sa propre stratégie.
Gordon Adams
5
La différence de vision stratégique est très importante. Celle des Etats-Unis
est devenue mondiale avec la fin de la guerre froide. En conséquence, la
défense de l’Europe et la relation transatlantique ne sont plus au cœur de la
pensée stratégique et de la planification militaire américaines1 . La Base
Force (1991) et la Bottom-Up Review (1993) ont clairement montré que le
Pentagone ne planifiait plus la défense de la trouée de Fulda en Allemagne,
mais deux affrontements régionaux (Major Regional Contingencies - MRC)
ou deux guerres de théâtre (Major Theater Wars - MTW) majeurs simultanés, le golfe Persique et la péninsule coréenne servant de références 2 .
Devant une telle mission, les forces américaines se sont orientées vers une
capacité de projection susceptible de couvrir l’ensemble du spectre des
opérations militaires, y compris celles de haute intensité 3 . La guerre du
Golfe, la crise avec la Corée du Nord en 1994 et les tensions dans le détroit
de Formose en 1996 montrèrent que les deux scénarios de MRC s’ancraient
dans la réalité géostratégique. Les déploiements américains des années 90
ont clairement été de nature expéditionnaire : Somalie, Rwanda, Haïti et
surtout Balkans. Malgré l’inertie d’une planification militaire forgée
pendant la guerre froide, et les investissements massifs dans la génération
actuelle des équipements, les forces américaines sont devenues beaucoup
plus mobiles, plus agiles et plus souples. En outre, chacune des armées
incorpore dans sa doctrine et son mode de conduite des opérations les
technologies de la guerre moderne : munitions à guidage de précision,
communications interopérables sophistiquées, renseignement en provenance
des drones et satellites, liaisons de données et systèmes d’information reliant
les matériels à l’échelon de commandement.
La vision européenne du monde est nettement influencée par l’économie ;
ce sont le commerce et les investissements qui déterminent la politique
1
2
3
Au début des années 1990, les forces américaines déployées en Europe sont rapidement
passées de 300 000 à environ 100 000 hommes. Les forces militaires naguère basées
en Allemagne et déployées lors de la guerre du Golfe en 1990-91 rentrèrent aux EtatsUnis après le conflit.
Voir ministre de la Défense Les Aspin, Report of the Bottom-Up Review, département
de la Défense, Bureau du ministre de la Défense, Washington, DC, octobre 1993 et
ministre de la Défense William Cohen, Report of the Quadrennial Defense Review,
département de la Défense, Bureau du ministre de la Défense, Washington, DC, 1997.
Voir chefs d’état-major interarmées, Joint Vision 2020, département de la Défense,
Washington, DC, 1998 et Joint Vision 2020, département de la Défense, Washington,
DC, 2000.
6
Entre coopération et concurrence
extérieure de l’Europe. Les Européens n’assument quasiment aucune
responsabilité militaire au-delà du golfe Persique. Même là, leur rôle n’est
que secondaire4 . Si la plupart des pays européens ont soutenu la campagne
de 1991 dans le Golfe, seuls les Britanniques et les Français y ont envoyé
des contingents significatifs 5 . Aujourd’hui, les Européens n’apportent
qu’une petite contribution militaire à la sécurité dans la région, et se
soucient peu de la menace balistique que pourraient présenter le Proche- et
le Moyen-Orient pour le continent européen6 . Ces divergences stratégiques
ont gêné la préparation du sommet de l’OTAN d’avril 1999 à Washington,
où les Européens se sont fermement opposés aux propositions américaines
visant à étendre la mission de l’OTAN au-delà du territoire de l’Alliance7 .
4
5
6
7
Voir Philip Gordon, « The Transatlantic Allies and the Changing Middle East »,
Adelphi Paper 332, International Institute for Strategic Studies, Londres,
septembre 1998.
En termes militaires, la contribution des Européens à la guerre du Golfe fut
relativement minime. Les Américains fournirent 1 376 avions et 532 000 fantassins, les
Britanniques 69 avions et 35 000 fantassins, et les Français 42 avions et 13 500
militaires. Les Britanniques déployèrent leurs forces lentement, avec surtout leurs
propres moyens de transport. Les Français eurent massivement recours aux moyens de
transport américains et disposaient d’équipements si légers qu’ils furent placés sur le
flanc gauche, avec le soutien de l’artillerie américaine. Voir David C. Gompert,
Richard L. Kugler et Martin C. Libicki, Mind the Gap: Promoting a Transatlantic
Revolution in Military Affairs, NDU Press, Washington, DC, 1999, p. 18. Voir
également James D. Thomas, « The Military Challenges of Transatlantic Coalitions »,
Adelphi Paper 333, International Institute for Strategic Studies, Londres, 2000,
chapitre 2.
Pour la perspective américaine sur la menace balistique, voir Commission to Assess the
Ballistic Missile Threat to the United States, Executive Summary of the Report of the
Commission to Assess the Ballistic Missile Threat to the United States (Rumsfeld
report), 15 juillet 1998.
Les Européens ont eux aussi des intérêts ailleurs ; simplement, ils ne considèrent pas la
force comme un instrument pour les satisfaire, ce qui rend la solution proposée par
Gompert et al. difficile à concrétiser. Selon ces auteurs ; « Les intérêts reflètent les
vulnérabilités et les opportunités sous-jacentes d’une société, ainsi que sa vitalité
économique, par rapport à la situation ailleurs dans le monde. Dans ce sens, les
Européens ont des intérêts mondiaux – des intérêts en fait très similaires à ceux des
Américains ». Ils citent notamment la stabilité de la Russie, la situation en Afrique, les
réserves pétrolières, la prolifération des armes de destruction massive, la réalité de
l’intégration économique mondiale, ainsi que les questions transnationales telles que le
terrorisme, la drogue et la guerre de l’information et soulignent que « les divergences
transatlantiques en matière de prévision stratégique ne concernent pas les intérêts en
tant que tels, mais l’opportunité et la façon de les protéger » (p. 20). Reste à savoir
Gordon Adams
7
La planification stratégique et militaire européenne a également suivi une
logique distincte dans les années 1990. La menace régionale était faible et
les planificateurs européens étaient « prisonniers de l’inertie », toujours
largement enfermés dans le paradigme de la guerre froide 8 . Consacrant des
sommes considérables à la défense (60 % du total américain), les pays
européens de l’OTAN n’ont acquis ni capacités de projection ni équipements de pointe. Leurs forces armées se composent donc, en général,
d’effectifs trop nombreux et de matériels viellissants, ce qui les gêne de plus
en plus pour intervenir aux côtés des Américains dans le cadre de
coalitions 9 .
A la fin des années 1990, deux développements majeurs commencèrent à
modifier la donne. Lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo de
décembre 1998, tout d’abord, Tony Blair et Jacques Chirac s’entendirent sur
l’objectif de doter l’Europe d’« une capacité autonome [italiques rajoutés]
d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les
utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises
internationales ». Opérant un véritable revirement politique, Londres
acceptait ainsi, pour la première fois, que des actions de défense
européennes puissent être décidées et mises en oeuvre hors du cadre de
l’OTAN. La France, quant à elle, s’écartait de sa politique traditionnelle
d’autonomie nationale en matière de défense et s’engageait vis-à-vis
d’éventuelles actions communes de l’Europe.
Le deuxième événement important fut la campagne aérienne au Kosovo. La
guerre du Golfe et les déploiements en Bosnie avaient déjà clairement
témoigné de l’existence d’un écart considérable entre les capacités militaires
américaines et européennes 10 . Les opérations au Kosovo montrèrent à quel
point ce fossé s’était élargi 11 . Selon les militaires américains, les carences
8
9
10
11
toutefois si les Européens sont véritablement persuadés que la force militaire fait partie
de cette équation.
Voir David Gompert et al., op. cit. dans note 5, p. 10.
Les alliés européens ont plus de 1,8 millions soldats sous les drapeaux, dont
1,3 millions (soit les deux tiers) sont allemands, britanniques, français et italiens. Ce
chiffre ne tient pas compte des personnels grecs et turcs, mais couvre les nouveaux
membres de l’OTAN d’Europe centrale. OTAN, « Financial and Economic Data
Relating to NATO Defence », Commu niqué de Presse M-DPC-2 (1999) 152, Table 6.
James Thomas, Adelphi Paper 333.
Sur les 35 satellites positionnés au-dessus du Kosovo pendant le conflit, deux
seulement étaient européens (en tout, les Européens n’en possèdent que 5, et les
8
Entre coopération et concurrence
européennes en matière de munitions à guidage de précision, de transport
aérien et de moyens intéroperables de commandement, contrôle et
communications (C3) « étaient réelles et ont considérablement réduit
l’efficacité de la coopération avec nos alliés » 12 . Allemands, Britanniques et
Français se sont également aperçu que leurs forces n’étaient pas suffisamment souples, mobiles et techniquement à niveau pour leur permettre de
mener des actions autonomes ou de jouer un rôle influent dans le cadre de
coalitions de l’OTAN 13 .
La conjugaison de Saint-Malo et du Kosovo eut un impact majeur sur la
planification de défense européenne. Au sommet de Cologne de juin 1999,
l’UE souscrivit à l’initiative franco-britannique de développer une capacité
d’action militaire européenne autonome 14 . Les Quinze décidèrent d’absorber
12
13
14
Américains 65). Les Etats-Unis ont ainsi fourni la majeure partie du renseignement
militaire. Sur le théâtre d’opérations, les Européens eurent des difficultés à
communiquer en toute sécurité entre eux ou avec leur allié, 90% des capacités de
communication venant des Etats-Unis. Ils n’avaient virtuellement aucune réserve de
munitions à guidage de précision (sauf pour les Tomahawks britanniques) et
disposaient d’une capacité réduite (mis à part certains moyens français) pour des
opérations de combats tous temps ou de nuit. En conséquence, 80% des missions de
frappe sur le théâtre d’opérations (et deux tiers de l’ensemble des sorties aériennes) ont
été entreprises par les Américains. Les Européens étaient dépendants de l’aviation
américaine pour leurs sorties, notamment pour la conduite des opérations, le
ravitaillement en vol ainsi que le brouillage et la destruction des radars serbes.
S’agissant de la question plus triviale mais complexe du transport et de la logistique,
les capacités de projection européennes ne comprenaient que 2 navires rouliers, loués
(les Etats-Unis en avaient 12), aucune capacité de transport maritime rapide (8 pour les
Etats-Unis) et aucune capacité de transport aérien stratégique (254 avions pour les
Etats-Unis). Voir International Institute for Strategic Studies, « A Common European
Military Policy », Strategic Comments, vol. 5, n. 6, juillet 1999, p. 2 ; J.A.C. Lewis,
« Building a European Force », Jane’s Defense Weekly, 23 juin 1999, p. 22 ; Carla
Anne Robbins, « Display of U.S. Might Makes Allies, Adversaries Doubt Their
Relevance », Wall Street Journal, 6 juillet 1999, p. 1. Voir également James Thomas,
Adelphi Paper 333.
Ministre de la Défense William S. Cohen et Général Henry H. Shelton, « Joint
Statement on the Kosovo After Action Review» , 14 octobre 1999, p. 8.
Voir Roger Cohen, « Uncomfortable with Dependence on U.S., Europe Aims for New
Parity », The New York Times, 15 juin 1999 et William Drozdiak, « War Showed U.S.Allied Inequality », Washington Post, 28 juin 1999, p. 1. Voir égale ment département
de la Défense, Kosovo/Operation Allied Force After-Action Report, département de la
Défense, Washington, DC, 31 janvier 2000.
Site Internet de l’Union européenne, « The Council of the European Union and the
Common Foreign and Security Policy », p. 2.
Gordon Adams
9
l’Union de l’Europe occidentale dans l’UE et de mettre sur pied leur propre
structure de décision politico-militaire : les ministres de la défense européens se réuniraient régulièrement à quinze et l’UE créerait un Comité
politique et de sécurité, un Comité militaire et un Etat-major européen. En
outre, l’ancien Secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana, fut nommé
Haut Représentant pour la PESC 15 .
Le sommet d’Helsinki de décembre 1999 concrétisa l’aspect militaire du
projet. L’UE avalisa la proposition franco-britannique de créer d’ici 2003
une force de réaction rapide européenne de 60 000 hommes capable de
mener l’ensemble des « missions de Petersberg », déployable en moins de
60 jours et capable de rester sur le terrain pendant un an grâce à une capacité
de rotation appropriée 16 . Les membres de l’UE soulignèrent leur engagement à « déterminer rapidement des objectifs collectifs de capacité en
matière de commandement et de contrôle, de renseignement et de transport
stratégique » et se félicitèrent des décisions déjà prises par certains Etats
membres de coordonner les systèmes d’alerte rapide, d’établir des étatsmajors communs, de renforcer les capacités de réaction rapide des forces
existantes et de préparer l’établissement d’un commandement européen du
transport aérien17 .
Cette évolution vers ce que l’on appelle désormais la Politique européenne
commune de Sécurité et de Défense (PECSD) reçut, à Washington, un
accueil mitigé. D’un côté, lors du sommet de Washington, les ministres de
l’OTAN se réjouirent « du nouvel élan qui a été donné au renforcement des
capacités de défense européennes pour permettre aux Alliés européens
d’agir plus efficacement ensemble, consolidant ainsi le partenariat
transatlantique » 18 . De l’autre, il était évident que les Américains craignaient
15
16
17
18
Voir David Buchan, « Solana Hoped to Add Value to EU Foreign Policy-Making »,
Financial Times, 15 septembre 1999, p. 2. Pour faciliter l’intégration de l’UEO,
M. Solana fut également nommé Secrétaire général de l’UEO en novembre 1999.
Voir « Rapport sur l’état des travaux établi par la présidence pour le Conseil européen
d’Helsinki concernant le renforcement de la politique européenne commune en matière
de sécurité et de défense », 10 et 11 décembre 1999. Les missions de Petersberg
comprennent les missions humanitaires ou d’évacuation de ressortissants, les missions
de maintien de la paix, les missions de force de combat pour la gestion des crises, y
compris des opérations de rétablissement de la paix.
Ibid.
Déclaration du sommet de l’OTAN, S(99)63, 23 avril 1999, para. 6.
10 Entre coopération et concurrence
de voir cette identité européenne s’émanciper de l’OTAN et aboutir à une
organisation séparée ayant une stratégie distincte 19 .
Le sommet d’avril 1999 conféra au débat une forte orientation
transatlantique, prônant un lien étroit entre la PECSD et l’OTAN.
L’Alliance s’engagea « à définir et à adopter les dispositions requises pour
permettre l’accès aisé de l’Union européenne aux moyens et capacités
collectifs de l’Alliance pour des opérations dans lequel l’Alliance dans son
ensemble ne serait pas engagée militairement » 20 . L’OTAN a cependant
clairement indiqué que l’autonomie européenne serait bridée par des
procédures minutieuses, notant que l’IESD « continuera[it] d’être développée au sein de l’OTAN » et que celle-ci « aidera[it] les Alliés européens à
agir eux-mêmes […] au cas par cas, et par consensus"21 .
L’OTAN s’est efforcée, parallèlement, de combler le fossé mis en évidence
au Kosovo, en lançant la DCI (Defense Capabilities Initiative). L’objectif de
cette initiative est d’améliorer les capacités de l’OTAN dans plusieurs
domaines clés : déployabilité et mobilité des forces de l’Alliance, maintien
sur le terrain et logistique, survivabilité et capacité d’engagement effective,
systèmes de contrôle, de commandement et d’information22 .
Avec la mise en œuvre de la DCI, la coopération transatlantique des
industries de défense devient encore plus importante. Néanmoins, les
tensions sous-jacentes demeurent. D’un côté, l’amélioration des capacités de
défense européennes rend les coalitions militaires plus intéressantes car
celles-ci disposent ainsi d’un potentiel accru. De l’autre, elle renforce la
tendance à la forteresse sur chaque rive de l’Atlantique : si l’UE mène des
missions de Petersberg de façon autonome, une fracture risque de se créer
entre Européens et Américains dans la planification des forces. La DCI
pourrait générer les forces adaptées à ces missions, mais ses résultats
seraient mis en cause si l’UE n’atteint pas son objectif global (ce qui est tout
19
20
21
22
Voir discours du Secrétaire d’Etat adjoint Strobe Talbott, « America’s State in a Strong
Europe », remarques au Royal Institute of International Affairs, Chatham House,
7 octobre 1999, p. 3.
Ibid. para. 10.
OTAN, « Le concept stratégique de l’Alliance », Communiqué de presse NACS(99)65, 24 avril 1999, para. 30.
Ibid. p. 3. Pour traiter ces problèmes, l’OTAN a créé un Centre logistique multinational
conjoint à la fin de 1999 et envisage un système C3 pour 2002.
Gordon Adams 11
à fait possible). La coordination entre la DCI et le headline goal, qui n’a
commencé qu’au printemps 2000, sera cruciale tant sur le plan politique que
pour la planification militaire 23 . Sans cette coordination, la prise de conscience, après le Kosovo, du besoin d’interopérabilité risque de se diluer et, à
Washington, les tendances politiques en faveur d’une forteresse Amérique
pourraient se renforcer.
Budgets
D’un côté, l’écart considérable entre les budgets de défense des Etats-Unis
et de l’Europe, notamment en matière d’acquisition et de R&D, rend le
renforcement de la coopération transatlantique encore plus important, ne
serait-ce que pour exploiter de manière plus efficace des moyens réduits. De
l’autre, le budget américain est censé augmenter (en termes réels) à partir
de 2001, ce qui n’est pas le cas des budgets européens. Ainsi, les Européens
auront probablement du mal à financer les capacités militaires qu’ils ont
promises. Si leurs performances ne sont pas à la hauteur de leurs engagements, les Américains auront, une fois de plus, l’impression que les alliés ne
remplissent pas leur part du contrat. Une aubaine pour ceux qui prônent la
forteresse américaine.
Selon des projections actuelles, le budget annuel américain d’acquisition et
de R&D devrait, au cours des cinq prochaines années, être supérieur à
100 milliards de dollars, soit plus du double des dépenses de l’ensemble des
alliés européens. La conviction est, de plus, à Washington, que même un
budget d’équipement de ce niveau ne sera peut-être pas suffisant pour
couvrir les projets d’acquisition envisagés par le Pentagone 24 .
Les Européens sont confrontés à un dilemme financier encore plus aigu.
Sans augmenter leurs investissements de défense, ils seront obligés de s’appuyer encore davantage sur le potentiel militaire américain. Ce qui pourrait
23
24
Voir Conseil de l’Union européenne, Conseil, Conclusions de la présidence, Conseil
européen de Santa Maria da Feira, 19 et 20 juin 2000, Section C.9
Voir Steven Kosiak et Elizabeth Heeter, « Cost of Defense Plan Could Exceed
Available Funding by $26 Billion a Year Over Long Run », Center for Strategic and
Budgetary Assessment, Washington, DC, mars 1998 ; et General Accounting Office,
Future Years Defense Program: Funding Increase and Planned Savings in Fiscal Year
2000 Program Are at Risk, NSIAD-00-11, GAO, Washington, DC, novembre 1999.
12 Entre coopération et concurrence
finalement exacerber les tensions transatlantiques relatives au partage du
fardeau, car les Américains ressentiraient des forces européennes non
modernisées comme un boulet dans toute coalition.
En tout état de cause, les investissements européens nécessaires en matière
de commandement, conduite, communications, renseignement, surveillance
et reconnaissance (C3ISR) – pour lesquels l’Europe dépend largement des
Etats-Unis – seront très onereux. A ces coûts viendront s’ajouter les crédits
nécessaires pour l’amélioration de la logistique, le transport maritime et
aérien, les stocks suffisants de munitions à guidage de précision, les
aéronefs jour-nuit/tous temps, le ravitaillement en vol et les capacités de
recherche et sauvetage. La somme totale est difficile à estimer, mais il
pourrait s’agir de plusieurs milliards supplémentaires par rapport aux
budgets de défense actuels.
S’il faut en croire le passé, les Européens ne parviendront pas à relever ce
défi. Globalement, leurs budgets – et en particulier ceux des alliés les plus
importants – ont été sévèrement réduits depuis 1985 : de 34,5 % au
Royaume-Uni, 28,4 % en Allemagne et 16,1 % en France 25 . Dans plusieurs
pays européens, les dépenses d’équipement, objectif clé de la PECSD, ne
représentent qu’une petite partie des budgets de défense : 13,6 % en Allemagne (en 1999), 12,2 % en Italie et 16 % aux Pays-Bas. En France (25 %
environ) et au Royaume-Uni (28 %) seulement, ces dépenses sont proches
du pourcentage américain (plus de 30 %). En outre, la tendance est vers le
bas. De 1994 à 1998, les dépenses d’acquisition françaises ont diminué de
24,7 % en dollars constants ; celles de l’Allemagne ont été réduites de
25
Ces calculs se fondent sur les définitions et les données de l’OTAN et sont exprimés en
monnaie locale constante pour éviter les problèmes liés aux variations de taux de
change. Seuls le Danemark, la Norvège et le Portugal ont augmenté leurs budgets de
défense pendant cette période. La Grèce et la Turquie ont également augmenté leur
budget de défense pendant cette période, mais pour des raisons liées surtout à leur
rivalité que pour répondre aux exigences de l’OTAN. Par comparaison, le budget de
défense américain a baissé de 27,8% pendant la même période. OTAN, Financial and
Economic Data, op. cit. dans note 9, calculs de l’auteur. Selon les données de l’IISS, la
réduction moyenne des budgets de défense européens à l’OTAN a été de 26% depuis
1986. Les nouveaux alliés de l’OTAN ne modifient pas cette tendance ; selon les
données de l’IISS, leurs budgets ont diminué depuis 1990 deux fois plus que ceux des
alliés d’Europe occidentale de l’OTAN. IISS, The Military Balance, 1998/99.
Gordon Adams 13
7,5 % ; seul le Royaume-Uni a augmenté ses dépenses d’acquisition de
15,5 %26 .
Les investissements en R&D, cruciaux pour la prochaine génération de
technologies de défense, présentent un écart encore plus important :
en 1998, le total des dépenses de R&D des alliés européens de l’OTAN
s’élevait à 9,7 milliards de dollars (dollars de 1997) dont 90 % pour l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. La même année, les Etats-Unis ont
dépensé 35,9 milliards de dollars. Qui plus est, les investissements de R&D
sont redondants en Europe, faute d’une coordination suivie entre pays
européens.
Cette tendance n’évoluera probablement pas. Aucun allié européen majeur,
sauf la Grande-Bretagne, n’envisage d’augmenter son budget de défense 27 .
La Chambre des Communes ayant indiqué que l’inadéquation des
ressources entraînait « l’annulation d’exercices, des retards dans les programmes d’acquisition et l’incapacité de résoudre les problèmes de
surexploitation et de manque d’effectifs 28 », le ministre de la Défense Geoff
Hoon annonça en juillet 2000 une augmentation du budget d’acquisition
de 1,25 milliards de livres sur trois ans. Le budget de défense global augmentera, en termes réels, de 0,1% en 2001/2, de 0,2% en 2002/3 et de 0,7%
en 2003/4.
L’Allemagne et la France sont, quant à elles, soumises à des contraintes qui
ne sont pas liées à la défense. Leurs taux de chômage demeurant élevés, les
deux gouvernements doivent toujours faire face à d’importantes dépenses
sociales. En France, le budget de défense pour 2000 a été inférieur à celui de
l’année précédente, et les dépenses d’équipement ont diminué de 3,5 % 29 .
26
27
28
29
Calculs de l’auteur, fondés sur les données de l’IISS. Par comparaison, les dépenses
américaines en matière d’équipement ont diminué de 6,1% pendant cette période.
L’Italie a également accru ses dépenses de 41,4%, alors que les nouveaux alliés, se
préparant à entrer à l’OTAN, les ont considérablement augmentées, à partir d’un point
de départ il est vrai moins élevé : République tchèque, 115,9% ; Hongrie, 30,7% ;
Pologne, 89,8%.
Voir Colin Clark, « Lack of European Spending Threatens DCI », Defense News,
13 décembre 1999, p. 4 (26) ; Douglas Barrie, « Defense Budgets Remain Tight
Throughout Europe », Defense News, 20 décembre 1999, p. 26.
D’après Reuters, BBC Online, 10 février 2000.
Douglas Barrie, « Defense Budgets Remain Tight Throughout Europe », Defense
News, 20 décembre 1999, p. 26.
14 Entre coopération et concurrence
En Allemagne, où le coût de l’absorption de l’ex-RDA continue à peser sur
le budget, le ministère des Finances insiste sur la nécessité de réduire le
budget actuel (23,2 milliards de dollars) de 1,7 à 2,4 milliards par an
pendant les cinq années à venir30 . Ces réductions pourraient toucher surtout
les projets d’équipement 31 .
Les dirigeants américains ont vivement invité les Européens à inverser cette
tendance 32 . Compte tenu de leurs moyens, les Européens éprouveront
pourtant des difficultés à réaliser des programmes communs et les acquisitions envisagées, en particulier ceux qui accroîtraient leur autonomie vis-àvis des Etats-Unis. D’un côté, l’antinomie entre la pénurie financière en
Europe et l’augmentation des budgets d’investissement aux Etats-Unis
risque d’aggraver les tensions transatlantiques. De l’autre, cette antinomie
laisse supposer que la coopération transatlantique représenterait, pour les
Européens, un moyen rentable d’acquérir les capacités technologiques
nécessaires pour les interventions modernes. Une telle politique européenne
enverrait un signal fort à l’industrie sur les avantages de la coopération. Ici
encore, les considérations politiques pourraient pourtant passer avant une
allocation plus efficace des moyens, ce qui risque d’empêcher les Européens
de s’offrir la capacité autonome qu’ils cherchent à acquérir.
Technologies
Malgré l’évidence d’un fossé technologique, tout conduit à penser qu’un
marché transatlantique de défense est quasiment inévitable. Les technologies utilisées dans le Golfe et au Kosovo relèvent de plus en plus de ce que
l’on a appelé la Révolution dans les Affaires militaires (RAM) : moyens
sophistiqués de commandement, conduite, communications, informatique,
renseignement, surveillance et reconnaissance (C4ISR), liaisons de données
et munitions à guidage de précision. Cet ensemble de capacités
30
31
32
Fondé sur les taux de change en juillet 2000.
Douglas Barrie, op. cit. dans note 29.
Voir ministre de la Défense William S. Cohen, « En dernière analyse, les alliés devront
dépenser plus en matière de défense, s’ils veulent être à la hauteur des besoins
militaires de l’OTAN et instaurer une Identité européenne de Sécurité et de Défense
séparable mais pas séparée de l’OTAN », d a n s «Europe Must Spend More on
Defense », Washington Post, 6 décembre 1999, p. 27.
Gordon Adams 15
technologiques constitue l’un des grands multiplicateurs de force du XXIe
siècle, et son impact sur les opérations militaires ne fera qu’augmenter.
La base technologique qui génère les capacités militaires du XXIe siècle est
de plus en plus civile et mondiale. L’usage de ces technologies pour des
besoins militaires constitue l’une des évolutions les plus fondamentales que
l’industrie de défense ait jamais subie. Dans toutes les économies modernes,
cette industrie a changé de manière impressionnante, à en devenir presque
méconnaissable. Elle n’est plus en majorité composée de sociétés dont
l’activité principale est la fourniture de technologies et d’équipements
exclusivement aux forces armées. Pour les entreprises qui développent les
technologies de la RAM, la défense ne représente qu’une partie très réduite,
voire invisible, de leur chiffre d’affaires global ; elle n’est qu’un marché de
plus pour les technologies destinées avant tout au marché civil mondial33 .
Cette base technologique draine les Européens comme les Américains vers
un marché commun et mondial34 . Dans la mesure où cette tendance vers la
mondialisation et la commercialisation se poursuit, il sera de plus en plus
difficile pour les gouvernements – y compris américain – de conserver un
contrôle exclusif ou de créer un fossé technologique.
La différence majeure entre l’Europe et les Etats-Unis a été l’existence
d’entreprises et d’investissements de défense permettant aux gouvernements
d’exploiter les technologies commerciales pour des plates-formes et des
capacités militaires. C’est la véritable raison de l’écart en matière de RAM :
la naissance tardive, en Europe, de grands systémiers de défense, à laquelle
se sont ajoutés la faiblesse des investissements et le manque de coordination
de la R&D entre pays européens 35 .
33
34
35
Gompert et al., « Les systèmes militaires modernes sont remplis de technologies de
l’information. Les segments non-militaires dominent néanmoins ce marché. Les
contrats de défense représentent seulement 2% des acquisitions actuelles dans ce
domaine » (pp. 68-69.) Référence à une étude de l’Institute for Defense Analysis, IDA,
Research Summary, vol. 3, n. 2 (1996).
En fait, les examens des technologies réalisées dans les années 1990 par le département
américain de la Défense suggèrent que d’importantes capacités techniques existent en
Europe, dont pourrait bénéficier l’armée américaine.
Pour un avis complètement opposé, voir John Deutch, Arnold Kanter et Brent
Scowcroft, « Saving NATO’s Foundation », Foreign Affairs, vol. 78, n. 6,
novembre/décembre 1999, pp. 54-67. Ces auteurs considèrent que la communication, le
hardware et le software sont des domaines où « les Etats-Unis ont un avantage
16 Entre coopération et concurrence
Les origines civiles de la RAM créent l’occasion d’accroître la coopération
intra-européenne et transatlantique. L’Europe dispose aujourd’hui de grands
systémiers qui sont capables d’exploiter davantage ces technologies. En
outre, les investissements américains en matière de défense et le caractère
mondial du marché des technologies drainent inévitablement les firmes
européennes vers la coopération transatlantique. Ce processus apparaît déjà
clairement au niveau des sous-traitants et équipementiers ; un marché
transatlantique estimé à 12 milliards de dollars existe en effet pour les soussystèmes et les composants, avec des ventes à peu près égales dans les deux
sens 36 . L’élément qui fait défaut en Europe est le financement. Des
investissements européens plus élevés et mieux coordonnés pour la R&D de
défense permettraient de réduire notablement le fossé et de renforcer la
coopération transatlantique des industries, tout en améliorant l’interopérabilité au sein de l’Alliance. Ici encore, c’est la volonté politique d’accroître
ou de redistribuer les ressources qui déterminera le rapprochement industriel
transatlantique.
Industries
Comme nous l’avons vu, les industries de défense ont connu, des deux côtés
de l’Atlantique, une profonde transformation. D’importantes réductions des
budgets et de nouvelles orientations politiques, d’une part, la mondialisation
et le recours aux technologies civiles de l’autre, ont radicalement modifié le
tissu industriel et technologique de défense. Avec la mondialisation progressive du secteur de la défense, les industries déterminent leur profil futur de
façon de plus en plus indépendante par rapport aux gouvernements 37 .
36
37
considérable (mais certainement pas un monopole) par rapport à l’Europe » (p. 61).
Dans Gompert et al., le raisonnement est analogue mais plus détaillé (pp. 74-77). Selon
ces auteurs, les compagnies américaines telles que Motorola et Oracle devancent
l’Europe de loin et il existe des obstacles significatifs aux échanges commerciaux à
travers l’Atlantique qui renforcent encore cet avantage. Reste à savoir toutefois si elles
opèrent exclusivement sur le marché américain ; toutes font de la recherche, produisent
ou commercialisent sur une base mondiale. Le savoir-faire dans ces activités est très
éparpillé et disponible en Europe ; les entreprises européennes ne sont pas en retard
comme le suggèrent les expériences d’Ericsson et de Nokia. Voir, par exemple,
Financial Times, « FT Telecoms : Financial Times Survey », 8 octobre 1999, pp. I-L.
IISS, The Military Balance, 1998-99, p. 273.
Cette tendance du secteur de la défense suscite un nombre croissant de recherches et de
publications. Voir, entre autres, Gordon Adams, Alex Ashbourne, et al., Europe’s
Gordon Adams 17
D’un côté, la consolidation de l’industrie et le recours accru aux
technologies civiles, ont donné au marché de la défense davantage de
fluidité, de souplesse et de transparence. Dans ces conditions, une industrie
véritablement transatlantique devrait être bien accueillie, car elle améliorerait l’efficacité en matière d’acquisition de défense, augmenterait la
concurrence lors des appels d’offres, et permettrait d’exploiter pleinement
les technologies émergentes. De l’autre, tout en facilitant la consolidation
industrielle, les gouvernements ont jusqu’ici cherché à limiter la liberté des
entreprises dans ce processus. Plusieurs raisons à cela : éviter une perte de
contrôle national sur les technologies, empêcher la dissémination de cellesci vers des adversaires potentiels et éviter le manque à gagner dans certaines
régions. Ces pressions contradictoires détermineront dans une large mesure
si le marché américain restera une forteresse et si le marché européen en
deviendra une.
En 1993, le Pentagone a clairement fait savoir à l’industrie américaine
qu’elle devait se consolider. Quatre grands groupes aérospatiaux firent ainsi
leur apparition aux Etats-Unis : Northrop Grumman, Lockheed Martin,
Boeing et Raytheon. Ils absorbèrent les activités correspondantes des
sociétés plus diversifiées comme General Electric, Ford, Texas Instruments
et Hughes. Le gouvernement américain a joué un rôle actif dans ce processus en assouplissant l’application de la législation antitrust et en subventionnant les entreprises dans le cadre de la consolidation, proportionnellement
aux économies qu’elle lui permettrait de réaliser 38 .
38
Defence Industry: A Transatlantic Future?, Center for European Reform, Londres,
1999 ; Gordon Adams, « Revolution in the Arms Trade: The Emergence of a
Transnational Arms Industry », document pour le Defense Budget Project, Washington,
DC, mai 1992. Richard A. Bitzinger, The Globalization of Arms Production: Defense
Markets in Transition, The Defense Budget Project, Washington, DC, décembre 1993 ;
Richard A. Bitzinger, « Globalization in the Post-Cold War Defense Industry:
Challenges and Opportunities », dans Ann R. Markusen et Sean S. Costigan, Arming
the Future: A Defense Industry for the 21st Century, Council on Foreign Relations,
New York, 1999, pp. 305-33 ; Robert P. Grant, « Transatlantic Armament Relations
Under Strain », Survival, vol. 39, n. 1 (printemps 1997), pp. 111-37 ; International
Institute for Strategic Studies, « Transatlantic Defence Industry: Fortresses or
Integration? », dans Strategic Survey, 1998/99, IISS, Londres, 1998 ; et Andrew D.
James, Post-Merger Strategies of the Leading U.S. Defence Aerospace Companies,
Defense Research Establishment, Division of Defence Analysis, Stockholm,
décembre 1998.
Le General Accounting Office (GAO) américain a conclu que la consolidation avait
permis d’économiser 2,1 milliards de dollars, soit 64% des économies prévues par le
18 Entre coopération et concurrence
Le gouvernement a également limité la consolidation. En 1998, les
départements de la Défense et de la Justice ont empêché Lockheed Martin
d’acquérir Northrop Grumman, considérant que cette fusion donnerait naissance à une société verticalement intégrée qui réduirait la concurrence39 . Ils
ont également repoussé une tentative de fusion entre Newport News Shipbuilding et General Dynamics qui aurait créé un seul producteur de sousmarins et porte-avions à propulsion nucléaire.
La restructuration de l’industrie de défense européenne a, en réalité, précédé
celle de l’industrie américaine, avec l’apparition de « champions nationaux » dans les années 1980, qui ont atteint leur apogée à la fin des années
1990 : British Aerospace (BAe) et General Electric/Marconi au RoyaumeUni, DASA en Allemagne, Saab en Suède, Aerospatiale-Matra et ThomsonCSF en France, CASA en Espagne et les divers holdings de Finmeccanica
en Italie.
La différence majeure entre les processus de consolidation en Europe et aux
Etats-Unis a été l’internationalisation. Parallèlement aux restructurations et
aux privatisations des années 1980 et 1990, les gouvernements européens
avaient encouragé la création de joint ventures transnationaux et les projets
en coopération dans de nombreux domaines (avions civils et militaires,
missiles et hélicoptères, etc.). A la fin des années 90, tout un réseau de
coopération industrielle existait déjà en Europe, et certaines sociétés sont
même allées plus loin que des partenariats et des joint ventures en acquérant
des firmes ou en prenant des participations dans d’autres pays.
Les regroupements les plus importantes en Europe eurent lieu en 1999, avec
la fusion de BAe et GEC/Marconi au Royaume-Uni et d’AerospatialeMatra, DASA et CASA sur le continent, donnant respectivement naissance
à BAE Systems et à European Aeronautic, Defense and Space Company
(EADS). Ces deux géants européens sont liés par une trame très dense de
joint-ventures (Airbus, Eurofighter, Astrium, MBD) 40 .
39
40
Pentagone. Voir GAO, Defense Industry: Restructuring Costs Paid, Savings Realized
and Means to Ensure Benefits, NSIAD-99-22, GAO, Washington, DC,
1er décembre 1998.
Voir John J. Hamre, « Remarks to the American Institute of Aeronautics and
Astronautics », 5 mai 1999, p. 2.
Pour une analyse plus détaillée de la consolidation européenne, voir Burkard Schmitt,
« De la coopération à l’intégration : les industries aéronautique et de défense en
Gordon Adams 19
Après les consolidations aux Etats-Unis et en Europe, le marché se trouve à
la croisée des chemins. D’un côté, le marché américain est vaste, et les
sociétés issues des fusions sont en bonne position, compte tenu de la
possible augmentation du budget d’équipement aérospatial. Pour les firmes
américaines, les opportunités commerciales en Europe peuvent sembler
moins attirantes, compte tenu de la stagnation des budgets, mais elles
existent, et les aspects technologiques d’une coopération transatlantique sont
intéressants. Les gouvernements européens, en revanche, pourraient considérer « leurs » entreprises récemment consolidées comme une solide base
industrielle pour acheter « européen ». Une politique protectrice pourrait
leur sembler d’autant plus séduisante qu’ils s’orientent vers une capacité de
défense européenne 41 .
L’émergence des liens industriels transatlantiques a suivi un rythme plus
lent que celui des consolidations en Europe et aux Etats-Unis. Autrefois, la
coopération industrielle résultait essentiellement des programmes intergouvernementaux, impliquant la coproduction sous licence de matériels
américains en Europe. De tels programmes amélioraient l’interopérabilité au
sein de l’Alliance, mais la réticence des Américains à acquérir, eux aussi,
des systèmes européens a créé une voie à sens unique, qui a de plus en plus
préoccupé les alliés de ce côté de l’Atlantique 42 .
La coopération intergouvernementale à travers l’Atlantique s’est réduite à
une poignée de programmes, tous marqués par un avenir incertain. Le
véhicule américano-britannique Tracer risque toujours d’être abandonné du
fait de la restructuration de l’armée de terre américaine. Le projet
américano-germano-italien MEADS (système de défense aérienne élargie à
moyenne portée) a échappé de peu à l’annulation et ne figure pas parmi les
priorités de l’US Army. Le Joint Strike Fighter (JSF), qui se trouve encore
41
42
Europe », Cahiers de Chaillot 40, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris,
juillet 2000.
« La fusion aérospatiale Matra/DASA a eu une forte signification politique. Suite à la
fusion BAe/Marconi, elle a fait avancer l’environnement politique nécessaire pour
forger une défense européenne unifiée ». Philippe Grasset, analyste de la défense,
Bruxelles, cité dans John D. Morrocco et Pierre Sparaco, « Franco-German Merger
Will Spur Airbus Overhaul », Aviation Week and Space Technology, 18 octobre 1999,
p. 26.
Joel Johnson, « The United States : Partnership with Europe », dans Ethan B. Kapstein
(dir.), Global Arms Production: Policy Dilemmas for the 1990s, University Press of
America, Lanham, MD, p. 122.
20 Entre coopération et concurrence
dans sa phase de R&D, compte une participation active du Royaume-Uni et,
entre autres, de la Turquie, mais son avenir n’est pas clairement défini, et sa
mise en service n’interviendra pas avant plusieurs années. L’OTAN explore
un système commun de surveillance aérienne et terrestre (AGS), mais il
n’est pas certain que la technologie retenue suscitera une coopération
industrielle transatlantique 43 .
Le déclin des programmes intergouvernementaux n’a cependant pas signifié
la fin des liens industriels. Petit à petit, les entreprises de défense ont pris le
pas sur les politiques gouvernementales en explorant les possibilités pour un
rapprochement fondé sur l’intérêt mutuel commercial et l’accès aux
marchés. Les sociétés britanniques se sont montrées particulièrement agressives dans leurs tentatives de pénétration du marché américain. Grâce à
l’acquisition de compagnies locales, certaines y sont entrées avec succès.
BAE Systems en particulier est devenu l’un des principaux fournisseurs du
Pentagone et continue de renforcer sa position. Les groupes du continent
européen ont également manifesté un intérêt croissant pour le marché
américain mais les négociations n’ont débouché jusqu’ici sur aucun
arrangement.
L’approche de l’industrie de défense américaine vis-à-vis du marché
européen a été plus mesurée, mais le rythme s’est accéléré en 2000. Si
aucune firme américaine n’a encore acquis d’entreprise européenne
majeure, des discussions actives en matière de partenariat ou de joint
venture ont été entamées par Lockheed Martin (avec EADS et Airbus),
Northrop Grumman (DASA/EADS), Boeing (BAE Systems) et Raytheon
(Thomson-CSF, rebaptisé Thales en décembre 2000)44 . Le joint venture
43
44
A propos du Tracer, voir Douglas Barrie, « U.K. Deals Bog Down », Defense News,
25 octobre 1999, p. 1 ; Andrew Koch, « FSCS/Tracer still ‘on course’ despite cuts »,
Jane’s Defence Weekly, 2 février 2000, p. 8. Au sujet du MEADS, voir Colin Clark et
George I. Seffers, « U.S. Security Restrictions Hinder MEADS Cooperation », Defense
News, 18 octobre 1999, p. 1 ; Gopal Ratnam, « Technology-Sharing Plan Beset by
Skepticism », Defense News, 15 mai 2000, p. 3 ; Colin Clark, « Germany, U.S. Resolve
MEADS Tech Dispute », Defense News, 29 mai 2000, p. 1. Sur l’AGS, voir David A.
Fulghum, « Pentagon Demands Radar Upgrade Accord », Aviation Week and Space
Technology, 7 août 2000, pp. 41-42.
D’autres exemples sont le joint venture de l’américain General Electric Co. avec le
français SNECMA (fabrication et commercialisation du moteur CFM-56) et le rachat
par Boeing de l’avionneur tchèque Aero Vodochody (anticipant les acquisitions
Gordon Adams 21
Raytheon/Thales dans les radars de défense aérienne et la surveillance
aérienne du champ de bataille, annoncé en décembre 2000, constitue un
progrès important en direction d’un véritable partenariat transatlantique dans
un domaine très étendu des technologies militaires. Cependant, en général,
les groupes américains ont préféré la coopération par programme, à l’image
de l’offre gagnante de Raytheon pour le radar de surveillance terrestre
britannique ASTOR, qui fait largement appel à des sous-traitants
britanniques 45 .
Compte tenu de la consolidation industrielle et de la volonté de mettre sur
pied une capacité de défense en Europe, il reste à voir si les firmes
américaines pourront encore longtemps accéder au marché européen. Le
gouvernement britannique, qui a longtemps soutenu la coopération transatlantique, a envoyé un signal très ambigu lorsqu’il a pris, en mai 2000, un
ensemble de décisions portant sur un budget de 7,5 milliards de dollars pour
les futurs missiles d’Eurofighter et pour le futur avion de transport militaire.
A l’appui de sa nouvelle politique européenne, le gouvernement Blair a
écarté deux propositions américaines pour acheter « européen » : dans les
missiles, il a préféré le Meteor (missile à statoréacteur) en cours de développement par Matra-BAE-Dynamics (MBD) plutôt que l’offre de Raytheon,
pourtant largement soutenue par le gouvernement américain, qui proposait,
en outre, un important transfert de technologie. En même temps, tout en
annonçant son intention de conclure un contrat de leasing pour quatre
Boeing C-17, Londres a pris un engagement à long terme sur l’appareil de
transport européen, l’A400M d’Airbus, auquel BAE Systems participe à
hauteur de 20 % 46 .
45
46
d’avions par les nouveaux membres de l’OTAN). Pour plus de détails sur les liens
industriels, voir le chapitre d’Andrew James.
Nick Cook, « Raytheon’s ‘best balance’ ASTOR bid wins the day », Jane’s Defense
Weekly, 23 juin 1999, p. 3.
UK House of Commons, Geoffrey Hoon, UK Secretary of State for Defence,
« Transcript of Oral Statement on Defense Procurement to the House of Commons »,
Hansard, Column 149, 16 mai 2000 ; John D. Morrocco, « U.K.’s Tilt Toward Europe
Poses Multiple Challenges », Aviation Week and Space Technology, 22 mai 2000,
pp. 24-26. L’offre gagnante (Meteor) comportait un petit élément transatlantique
puisque Boeing participait, de manière limitée, au consortium dirigé par Matra BAe
Dynamics. La contribution de Boeing concerne l’intégration de système et les
techniques de production, pas la production en tant que telle. John D. Morrocco,
« Boeing Adds Clout to Meteor Team », Aviation Week and Space Technology,
25 octobre 1999, p. 33.
22 Entre coopération et concurrence
Même si le marché européen ne croît que lentement, l’industrie américaine
prend conscience de la nécessité d’être présente localement pour accéder
aux programmes européens. La création annoncée d’une société conjointe
par Raytheon et Thales est la première indication que les discussions
transatlantiques peuvent aboutir à des joint ventures ou à des partenariats
stratégiques. De tels arrangements garantissent aux firmes américaines une
présence en Europe et leur permettent ainsi de faire entendre leur voix dans
les politiques de défense et d’acquisition européennes émergentes au sein de
l’UE et de l’OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière
d’armement)47 . La consolidation européenne étant pratiquement achevée au
niveau des maîtres d’œuvre, les partenariats représentent désormais un passage obligé pour gagner un accès au marché européen, ce qui catalyse les
négociations entre firmes à travers l’Atlantique.
I.2 La forteresse Amérique : renforcement ou disparition ?
Toute décision américaine concernant l’ouverture du marché de défense est
un signal crucial pour la coopération et l’intégration de l’industrie de
défense transatlantique. Les dirigeants du Pentagone et l’institution militaire
sont conscients des besoins et des préoccupations des alliés, mais ont
tendance à ne leur accorder qu’une place secondaire. Refusant l’acquisition
de matériels européens et dédaignant les capacités militaires des alliés, ils ne
prennent pas en considération les vues européennes dans leur planification
stratégique et militaire.
A Washington, et notamment au Congrès, l’exportation des technologies de
défense et les investissements étrangers directs dans la base industrielle de
défense américaine ont toujours été des « patates chaudes ». Au niveau
administratif, les responsables s’opposent à tout assouplissement des
régimes d’exportation. Ils craignent d’abord des réactions politiques à une
perte éventuelle de la supériorité technologique américaine. Ensuite, ils
n’ont guère envie de trouver, sur le champ de bataille, un ennemi équipé en
matériel américain. Le service d’exportation du département d’Etat tient à
conserver jalousement ses prérogatives et à ne pas perdre la possibilité
d’utiliser son pouvoir de contrôle pour des objectifs de politique étrangère
plus vastes.
47
A propos de l’OCCAR, voir le chapitre de Christophe Cornu.
Gordon Adams 23
Ces obstacles politiques et administratifs ne sont ni rigides ni immuables.
En fait, l’évolution du marché de défense mondial et l’importance accrue de
l’interopérabilité représentent le plus grand défi que la forteresse américaine
ait jamais eu à affronter. Les institutions politiques américaines ont débattu
à de nombreuses reprises des questions des exportations et des investissements étrangers au cours des années 1990. A la fin de la décennie, le
Pentagone a dû remettre en question et revoir dans une large mesure sa position traditionnelle dans le domaine du contrôle des technologies, entraînant
la première réforme significative en la matière. Reste à savoir toutefois,
compte tenu du débat politique américain, dans quelle mesure et à quel
rythme cette réforme sera mise en oeuvre.
L’autonomie du département de la Défense
Etant donné l’opposition entre leur vision mondiale et le régionalisme de
l’Europe, les Etats-Unis ont procédé à leur planification stratégique et
militaire sans participation européenne. La Quadrennial Defense Review
(QDR) de 1997 part de l’hypothèse que les forces armées américaines
mènent leurs principales missions de combat (deux guerres de théâtre
majeures simultanées) unilatéralement.
Compte tenu de l’importance que l’OTAN accorde à la DCI, la prochaine
QDR, prévu pour 2001, traitera à nouveau cette question. Deux forces
contraires s’opposeront alors : d’un côté la tendance traditionnelle des planificateurs à privilégier la gestion unilatérale des missions avant de songer à
d’éventuelles contributions des alliés ; de l’autre, la nécessité urgente de
traiter la question de l’interopérabilité. Certains signes suggèrent que ce
thème a déjà été débattu pendant les étapes préparatoires de la QDR, mais
l’issue ne sera pas connue avant la mi-2001 48 .
48
Cette question devint sensible lorsqu’un rapport préliminaire indiqua que les CEMA
(chefs d’état-major des armées) avaient refusé de s’appuyer davantage sur les forces
européennes dans des coalitions coûtant cher aux Américains étant donné la
dépendance des alliés à l’égard des moyens de transport et logistiques des Etats-Unis.
Ce rapport fut démenti : aucune conclusion de ce type n’avait été formulée. Cet épisode
suggère toutefois que les propositions d’accroître l’interopérabilité et le partage des
rôles avec les Européens pourraient être une source de controverse dans le processus de
planification américain. Voir Robert Holzer, « Report: Allies No Substitute for U.S.
Troops », Defense News, 28 août 2000, p. 1.
24 Entre coopération et concurrence
La résistance au sein du Pentagone à une industrie transatlantique plus
intégrée s’explique, en partie, par la répugnance des armées à acheter
européen ou à coopérer avec les alliés. Pour améliorer l’interopérabilité, les
militaires américains préfèrent que les Européens achètent des équipements
américains, tels que le JSTARS pour la surveillance aérienne du champ de
bataille terrestre. Comme les besoins en matière de forces et de matériels
sont définis au Pentagone, il est généralement difficile pour les gouvernements européens de participer à la planification, et pour les industriels
européens de se qualifier pour des appels d’offre. La coopération transatlantique ne va donc pas de soi, loin de là, et les volumes de ventes européennes aux Etats-Unis restent faibles 49 .
Les obstacles aux investissements étrangers directs
Un moyen évident pour les industries européennes de rendre leurs
équipements plus attrayants aux yeux du Pentagone serait de s’implanter sur
le marché américain par le rachat d’une entreprise locale. C’est déjà le cas
des firmes britanniques. Mais il persiste, aux Etats-Unis, des résistances
traditionnelles aux investissements étrangers directs, qui renforcent la forteresse américaine.
Historiquement, cette préoccupation a ses racines dans la crainte que des
firmes sous contrôle étranger puissent ne pas approvisionner les forces
armées américaines en temps de guerre, voire constituent une « cinquième
colonne » au sein du pays. Le droit américain a abordé cette question dans
des textes tels que le Trading with the Enemy Act et l’International
Emergency Economic Powers Act (IEEPA) de 1976, qui permettent au
président de bloquer les transactions ou de saisir les biens étrangers en cas
d’état de siège ou de guerre 50 .
49
50
Voir Joel Johnson, op. cit. dans note 42, et IISS, The Military Balance, 1998-99,
p. 273.
Voir Edward M. Graham et Paul R. Krugman, Foreign Direct Investment in the United
States, Third Edition, Institute for International Economics, Washington, DC,
janvier 1995, pp. 98-110, et Robert T. Kudrle et Davis Bobrow, « Foreign Acquisition
of Defense-Related U.S. Firms: Concentration, Competition, and Reality », dans
Douglas Woodward et Douglas Night (dir.), Foreign Ownership and the Consequences
of Direct Investment in the United States, Quorum Books, Westport, CT, 1997,
pp. 303-25.
Gordon Adams 25
Si les investissements sont envisagés par un pays adversaire, la situation est
claire. Si, par contre, la proposition vient d’une firme dont le siège se trouve
dans un pays ami, tel que la France ou le Royaume-Uni, le cas est beaucoup
plus complexe. En effet, il ne s’agit pas d’empêcher la propriété étrangère
en tant que telle, mais de fixer les conditions d’examen et d’approbation de
l’acquisition, ainsi que les dispositions relatives à la protection des technologies sensibles.
La réglementation américaine en vigueur représente un obstacle majeur pour
les firmes étrangères qui cherchent à s’installer sur le marché américain par
le biais d’une fusion ou d’une acquisition51 . Le problème est à la fois
politique et administratif. Sur le plan politique, la présence locale d’une
société étrangère, surtout non britannique, a toujours été une source
d’inquiétudes et de réticences. Pendant des années, le souci a été de protéger
l’économie américaine de la concurrence ou des prises de contrôle,
notamment en ce qui concerne les investisseurs japonais 52 . S’agissant des
industries de défense en particulier, la crainte était d’éventuelles fuites de
secrets technologiques et la perte de leadership en faveur de concurrents
étrangers, voire, par leur intermédiaire, de pays hostiles53 .
Pourtant, le gouvernement américain a progressivement reconnu que
bloquer les investissements étrangers dans le secteur de la défense
comportait des inconvénients. Alors que la technologie devient plus mondiale et plus duale, cette politique risque en fait de priver les Etats-Unis de
technologies potentiellement utiles, y compris celles d’origine civile. Les
51
52
53
Voir Edouard M. Graham et Paul R. Krugman, op. cit. dans note 50, surtout chapitres 5
et 6, et Patrick Norton, « United States Foreign Investment: Restrictions and Reporting
Requirements », Lex Mundi World Reports, Supplément n. 17, mai 1992. Il convient de
noter que la réglementation américaine, malgré des divergences de détail, est très
voisine de celle d’autres pays amis et alliés tels que le Japon, le Royaume-Uni ou la
France. Graham et Krugman, pp. 144-146.
Pour une analyse globale sous cet angle, voir Martin Tolchin et Susan J. Tolchin,
Buying Into America: How Foreign Money is Changing the Face of Our Nation,
Crown Publishing Company, New York, 1998.
Le souci du secret américain ne date pas d’aujourd’hui ; il a concerné récemment
l’éventuel espionnage industriel et militaire chinois dans les laboratoires nucléaires et
l’industrie aérospatiale aux Etats-Unis. Voir U.S. House of Representatives, Report of
the Select Committee Select Committee on U.S. National Security and
Military/Commercial Concerns with the People’s Republic of China, U.S. National
Security and Military/Commercial Concerns with the People’s Republic of China,
House of Representatives, Washington, DC, 3 janvier 1999.
26 Entre coopération et concurrence
flux de technologies se font dans les deux sens, et il convient de les réguler
dans l’intérêt de la sécurité nationale, mais un régime d’investissement trop
restrictif ferait perdre aux Etats-Unis leur leadership technologique. En
outre, compte tenu de la « civilianisation » de la base technologique, il est
de plus en plus difficile de dire si ce sont les investissements étrangers dans
le secteur militaire ou ceux dans le secteur civil qui auront le plus d’impact
sur la sécurité nationale 54 .
Cette réflexion a abouti, aux Etats-Unis, au développement de procédures
complexes d’examen et d’approbation des investissements étrangers,
surtout – mais pas exclusivement – pour le secteur de la défense. Définies
dans une loi de 1988, elles octroient au président la possibilité d’empêcher
les fusions, les acquisitions et les prises de contrôle par des intérêts
étrangers si :
« le président estime (1) qu’il existe de bonnes raisons de penser que
l’intérêt étranger exerçant le contrôle pourrait mener une action
susceptible de mettre en péril la sécurité nationale et (2) que des dispositions législatives autres que [le présent texte ou l’International Emergency Economic Powers Act] ne lui confèrent pas, à son avis, l’autorité
nécesaire pour protéger la sécurité nationale... » 55 .
Sur la base de cette loi, un organisme interministériel créé en 1975, le
Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS), a été
chargé d’examiner et d’émettre des recommandations à propos des prises de
contrôle étrangères. Le CFIUS est présidé par le ministre des Finances, et
comprend la plupart des ministères concernés, dont ceux de la Défense, des
Affaires étrangères, du Commerce et de la Justice 56 . Selon la réglementation
instaurée en 1991, le CFIUS peut être saisi par une notification de proposition de prise de contrôle émanant de tout ministère ou partie à l’acquisition,
54
55
56
Voir Robert T. Kudrle et Paris Bobrow, op. cit. dans note 50, p. 308.
Section 5021 de l’Omnibus Trade and Competitiveness Act of 1988, modifiant la
Section 721 du Defense Production Act. Cette disposition est également connue sous le
nom d’amandement Exon-Florio, du nom de ses sponsors, le sénateur J. James Exon
(D-NE) et le Républicain James J. Florio (D-NJ). Cet amendement temporaire au
Defense Production Act est devenu permanent en 1991.
Il comprend également plusieurs services du Cabinet du Président : le Bureau de
Gestion et du Budget, le Bureau du représentant du Commerce américain, le Conseil
économique, le Bureau des Sciences et Technologies, le Conseil de Sécurité national et
le Conseil économique national.
Gordon Adams 27
mais peut également décider d’examiner une transaction de son propre chef.
Une fois le CFIUS officiellement saisi, trois de ses membres doivent, dans
un délai de trente jours, décider si l’affaire mérite examen. Si tel est le cas,
cet examen doit être effectué, et la recommandation associée transmise au
président, dans les quarante-cinq jours ; ce dernier dispose alors d’un délai
de quinze jours pour bloquer ou non la transaction57 .
La procédure d’examen par le CFIUS est, en soi, une mesure dissuasive
pour les investissements étrangers directs dans le secteur de la défense
américain. S’il n’existe aucune obligation formelle de notifier au CFIUS une
fusion ou une acquisition, cette notification est présumée souhaitable. Qui
plus est, il n’existe aucune définition précise de la « sécurité nationale » ou
du « contrôle étranger » dans le contexte du CFIUS, ce qui incite à la
notification par précaution.
La simple perspective d’un examen par le CFIUS, dans un contexte
politique chargé, peut rendre certaines transactions impossibles. Ce fut le
cas notamment de la tentative d’acquisition, en 1992, de Vought, la filiale
aérospatiale de LTV Corp., par Thomson-CSF (aujourd’hui Thales), société
française publique d’électronique de défense. Cette proposition fit l’objet
d’un âpre débat à la fois sur les implications en matière de concurrence aux
Etats-Unis et sur les risques de transfert de technologies américaines à un
pays tiers par l’intermédiaire de la société-mère et de son propriétaire
étatique. Thomson renonça finalement à son projet de rachat peu avant de
subir l’examen du CFIUS, présentant un avis négatif 58 .
L’affaire Thomson/LTV entraîna un durcissement de la procédure du
CFIUS qui dissuada encore davantage les investisseurs étrangers. Il fut en
fait précisé qu’une entreprise publique étrangère ne pourrait ni acquérir un
fournisseur important du Pentagone ni avoir accès à des contrats contenant
des informations classifiées « top secret ». En outre, une enquête du CFIUS
devint obligatoire pour toute tentative d’acquisition d’une firme de défense
américaine par une entreprise publique étrangère. Ces modifications ont
quelque peu précisé l’expression « sécurité nationale » mentionnée dans le
57
58
Dès 1999, le CFIUS avait reçu plus de 1300 notifications, avait conduit 18 enquêtes et
fait 11 recommandations au président, dont une seule concernait le refus d’une
transaction. Entretien avec l’Office of the Assistant Secretary of Treasury for
International Affairs, août 2000.
Voir Edward M. Graham et Paul R. Krugman, pp. 112-113 et 130-131.
28 Entre coopération et concurrence
texte de loi et renforcé le pressentiment des entreprises contrôlées ou
détenues par des gouvernements étrangers que toute proposition d’investissement serait de toute façon refusée 59 .
L’affaire Thomson et la ferme réaction politique américaine ont largement
contribué au fait que, depuis 1992, les seules acquisitions importantes aux
Etats-Unis ont été effectuées par des entreprises ayant leur siège au
Royaume-Uni. Même celles-ci ont pris le soin de sonder les ministères
américains et le Congrès avant d’annoncer les transactions, afin de préparer
le terrain pour l’examen du CFIUS et de réduire les risques politiques 60 .
Lors de leur fusion, BAe et Marconi étaient déjà présentes sur le marché
américain et participaient aux programmes Joint Strike Fighter et Tracer.
Cela n’a pas empêché l’examen du CFIUS de retarder la fusion61 . En
général, la simple perspective d’examen par le CFIUS peut suffire à ralentir
ou modifier une transaction. Les parties intéressées pourraient, par exemple,
abandonner de leur propre initiative une partie de l’accord pour éviter un
examen ou une redéfinition des termes d’une acquisition62 .
Le contrôle du CFIUS n’est pas le seul outil dissuasif pour les investisseurs
étrangers. Ces derniers doivent en effet être prêts à créer une entité distincte
au moins partiellement opaque, qui échappe largement à leur gestion. Les
procédures du Pentagone exigent en fait que l’investisseur étranger gère ses
activités aux Etats-Unis par le biais d’une filiale distincte. Celle-ci doit
passer un accord avec le DoD créant des règles de sécurité particulières
(Special Security Arrangement [SSA]) ou plaçant la participation de la
société-mère dans un fidéicommis distinct et dépourvu de droit de vote.
Dans le premier cas, la société-mère ne peut envoyer aucun membre
59
60
61
62
Les amendements prévoyaient aussi d’autres choses : extension de la participation au
CFIUS, rapports détaillés au Congrès des examens du CFIUS, examen dans le cadre du
CFIUS des fuites technologiques et de l’éventuelle perte par les Américains de leur
supériorité technologique et recueil systématique de renseignements sur les propriétés
publiques étrangères dans le secteur de la défense. Voir Edward M. Graham et Paul R.
Krugman, pp. 131-132.
Entretiens personnels de l’auteur. Edward M. Graham et Paul R. Krugman (p.132)
notèrent en 1995 que le renforcement du CFIUS pouvait inciter à clarifier à l’avance ou
à négocier les termes de leurs acquisitions avant toute notification du CFIUS.
Bien que les deux entreprises fussent britanniques, leur fusion nécessitait l’approbation
du CFIUS parce qu’elle impliquait Tracor, la filiale américaine de Marconi. Voir
Douglas Barrie, « U.K. Deals Bog Down », 25 octobre 1999, p. 1(28).
Voir Patrick Norton, op. cit. dans note 51, p. 9.
Gordon Adams 29
étranger au conseil d’administration de la filiale et peut se voir refuser
l’accès aux données financières ou opérationnelles ; dans le second cas,
assez fréquent, la société-mère n’est que le bénéficiaire fiscal des activités
de sa filiale américaine, et n’intervient aucunement dans sa gestion.
Les SSA et les fidéicommis dépourvus de vote peuvent diminuer fortement
l’attrait des investissements, car ils réduisent de manière importante les
synergies technologiques entre la société-mère étrangère et sa filiale
américaine. La relation entre les deux perd de son efficacité par souci de
garantir l’imperméabilité de la « membrane » de sécurité. Les avantages
classiques d’une fusion étant ainsi partiellement oblitérés, la transaction
perd de son intérêt financier et technologique.
Le contrôle des exportations
Le processus complexe de contrôle des exportations et les réglementations
de transfert de technologie contribuent largement à rendre la forteresse
Amérique imprenable. Ces deux barrières ont été au cœur des critiques
européennes et de la lutte au sein du gouvernement américain pour une
redéfinition des relations industrielles de défense transatlantique.
Forgé pendant la guerre froide, le régime américain de contrôle des
exportations et de transfert de technologie a joué un rôle central pour le
COCOM, conçu pour éviter les fuites des technologies vers le Pacte de
Varsovie. Avec la disparition des blocs, le COCOM s’est rapidement étiolé
et fut remplacé, en 1995, par l’accord Wassenaar. Celui-ci s’applique aux
exportations d’armements classiques et aux biens à double usage, mais il est
peu contraignant 63 . Les signataires échangent régulièrement, à titre
volontaire, des informations sur les transferts, et se notifient mutuellement
les octrois et les refus de licences d’exportation pour une liste de technologies établie en commun. Chaque pays conserve néanmoins le droit d’exercer
son contrôle souverain ; les décisions en matière de contrôle des exportations relèvent donc intégralement de la compétence nationale.
63
« The Wassenaar Arrangement on Export Controls for Conventional Arms and DualUseGoods and Technologies: Initial Elements », adopté les 11 et 12 juin 1996,
Part I(1).
30 Entre coopération et concurrence
Les règles nationales de contrôle des exportations sont censées empêcher
une société d’exporter, soit directement soit par le biais d’une tierce partie, à
des firmes ou gouvernements d’un pays représentant (potentiellement) une
menace. En principe, ces contraintes s’appliquent aux sociétés au sein d’un
seul pays. Cependant, les règles et les procédures de contrôle américaines
représentent un obstacle majeur pour la coopération avec les alliés et pour
l’intérêt croissant des entreprises à renforcer leurs liens.
La réglementation américaine impose une licence chaque fois qu’une
société souhaite exporter un produit ou un savoir-faire, mais aussi dès lors
qu’elle envisage d’entamer des pourparlers avec un partenaire étranger
potentiel. Ces dispositions s’appliquent également aux contacts entre toute
filiale américaine et sa société-mère étrangère, ainsi qu’aux négociations
d’une entreprise américaine avec un étranger sur d’éventuelles coopérations,
joint ventures, fusions ou acquisitions. Le droit américain prévoit également
des protections explicites contre le transfert de connaissances, de produits
ou de technologies à des tierces parties. A ce dispositif réglementaire
impressionnant s’ajoutent des procédures longues et complexes, qui alourdissent encore davantage toute forme de discussion et d’échange entre
industriels.
La gestion du régime de contrôle relève du département d’Etat, qui exercent
son autorité en vertu de l’Arms Export Control Act (AECA). L’AECA
prévoit que le secrétaire d’Etat est responsable de « la supervision permanente et [de] la direction générale des ventes, locations, financements,
projets de coopération et exportations » des biens et services de défense 64 .
Cette compétence recouvre aussi bien les transactions avec les pays
destinataires que la réexportation vers des pays tiers. Le chapitre 39 de
l’AECA règle les détails de l’exercice de cette autorité : il précise que le
président peut définir les « biens et services de défense » et prendre les
dispositions les concernant. Une fois regroupés, les articles ainsi désignés
64
L’Arms Export Control Act (22 U.S.C. 2778-80) a été voté en 1968 puis très souvent
amendé depuis cette date. L’autorité du Secrétaire d’Etat est définie au Chapitre 1,
Section 2b, « Coordination with Foreign Policy ». Voir U.S. Senate/U.S. House of
Representatives, Committee on Foreign Relations/Committee on Foreign Affairs,
Legislation on Foreign Relations Through 1990, vol. 1 « Current Legislation and
Related Executive Orders », Joint Committee Print, Washington, DC, février 1991,
pp. 274-347.
Gordon Adams 31
constituent la United States Munitions List, et aucun élément figurant sur
cette liste « ne peut être exporté ou importé sans licence » 65 .
Ce court texte juridique est entré en vigueur dans les années 1970 par
l’Executive Order 11958 ; il confère au secrétaire d’Etat la compétence
d’édicter des réglementations relatives aux exportations de défense. L’International Traffic in Arms Regulations (ITAR) et la Liste des munitions qui
en découlent sont gérés par l’Office of Defense Trade Controls (ODTC) du
bureau des affaires politico-militaires du département d’Etat, qui décide seul
si les réglementations et procédures d’exportation s’appliquent au bien ou
au service considéré 66 .
Les compétences de l’ODTC sont assez étendues ; elles ne se limitent pas
aux équipements de défense majeurs, mais couvrent également les données
techniques dans de multiples domaines : conception, développement, production, fabrication, assemblage, mise en oeuvre, réparation, tests, maintenance et modifications des biens de défense, y compris la formation de
tout militaire étranger67 . En outre, la gamme d’activités concernées est assez
vaste, dans la mesure où la notion d’exportation recouvre l’expédition des
biens, le transfert de propriété, la fourniture de données techniques ou
l’exécution d’un service de défense, allant jusqu’à prévoir une «licence »
préalable aux visites classifiées des sites de production de défense
américains par des ressortissants étrangers 68 . Toute personne physique ou
morale cherchant à exporter un article figurant sur la Liste des munitions
doit obtenir l’accord préalable de l’ODTC. La licence ne couvre que le pays
destinataire du produit et interdit le transfert à tout autre Etat (membres de
l’OTAN, Japon et Australie exceptés) sans approbation de l’ODTC 69 . Ce
dernier traite ainsi quelque 50 000 demandes de licence par an, tient un
registre de tous les fabricants et exportateurs américains de biens de défense
et conseille régulièrement les ministères et industriels concernés 70 .
65
66
67
68
69
70
Section 39(a)(1) et (b)(2) of the AECA statute.
L’ITAR se trouve au 22CFR 120-130. L’autorité de l’ODTC pour la désignation des
articles est définie à la section 120.4.
Section 120.6-120.10.
Section 120.17 et 125.5.
Section 123.9.
Description de l’Office of Defense Trade Controls sur le site Internet du Département
d’Etat.
32 Entre coopération et concurrence
Le département d’Etat est seul compétent pour l’octroi de licences à l’égard
des biens et services figurant sur la Liste des munitions. Il existe néanmoins
une procédure interministérielle d’examen, faisant intervenir les avis de la
Defense Threat Reduction Agency du Pentagone (qui examine chaque année
plus de 21 000 demandes de licence), du Bureau of Export Administration
du département du Commerce et, pour certains biens, du département de
l’Energie. Ces requêtes permettent d’obtenir plusieurs points de vue sur la
demande, mais augmentent le nombre d’intervenants, donc la durée de la
procédure. La complexité de ce mécanisme rend la réglementation américaine encore plus dissuasive et est au centre des récentes tentatives de
réforme.
Outre le couple ITAR/Liste des munitions, l’arsenal juridique américain
prévoit l’octroi d’une licence distincte pour les technologies et les biens à
double usage, qui ne figurent pas sur la Liste des munitions. Ceux-ci sont
couverts par la Commerce Control List du département du Commerce, qui
fut responsable par le passé de l’octroi de licence en vertu de la version
modifiée de l’Export Administration Act (EAA) de 1979. L’EAA a expiré
en 1994, mais le président a prolongé l’autorité du département du
Commerce en la matière avec l’International Emergency Economic Powers
Act. Le Bureau of Export Administration du département du Commerce gère
les réglementations d’exportation, établit les délais d’examen ministériel et
résoud les différends. Dans la mesure où le département du Commerce tend
grosso modo à promouvoir les exportations, cette procédure est moins
restrictive que celle de l’ODTC au département d’Etat. Cependant, c’est
précisément cette orientation politique qui a le plus gêné le renouvellement
par le Congrès de l’EAA, débattu sans résultat depuis 1994 au Congrès 71 .
La procédure américaine est d’autant plus complexe que les Etats-Unis ont
souvent recours aux sanctions économiques et à l’embargo contre des pays
avec lesquels des sociétés et des gouvernements non américains maintiennent des relations commerciales. Cela concerne plus de 25 pays, dont
71
Pour le dernier projet de loi ré-autorisant l’Export Administration Act, voir 106ème
Congrès, 1re session, S1712, Rapport n. 106-80, « A Bill to provide authority to control
exports, and for other purposes », sponsorisé par Phil Gramm (sénateur républicain –
Texas), Chairman of the Senate Banking, Housing and Urban Affairs Committee, qui a
la juridiction sur l’Administration Act.
Gordon Adams 33
notamment la Chine, Cuba, l’Irak et l’Iran72 . Les départements d’Etat, du
Commerce et du Trésor sont impliqués dans la gestion des sanctions, qui
sont fréquemment imposées par le Congrès.
Le rôle du Congrès met en lumière un élément important du contrôle des
exportations : il s’agit d’un processus très politique, voire politisé. Le
Congrès ne définit pas seulement les statuts des services compétents et
répartit ainsi les responsabilités, mais les parlementaires et les commissions
s’impliquent aussi fortement dans les décisions concernant les ventes et les
exportations d’armes. Différents amendements de l’Arms Export Control
Act ont encore renforcé le pouvoir législatif en la matière : le département
d’Etat est tenu de notifier au Congrès, en particulier aux comités des
relations internationales (Chambre des représentants) et des relations étrangères (Sénat), toute intention d’octroi de licence pour des ventes dépassant
certains seuils financiers. Le Congrès dispose d’un délai de trente jours
après notification pour réagir en émettant une résolution d’interdiction,
compétence qui n’a presque jamais été exercée. A la place, un peu à l’instar
de la procédure CFIUS, tout projet de vente d’armes est généralement
soumis à des discussions informelles préalables et retiré si la réaction du
Congrès s’annonce négative. La participation du Congrès au contrôle des
exportations vient encore compliquer la procédure d’examen des licences ou
les tentatives de réforme du processus global.
La politique de la forteresse Amérique : réformes et contraintes
Comme nous l’avons vu, la réglementation américaine en matière
d’investissement et de transfert est un obstacle majeur à tout assouplissement du régime commercial transatlantique. Elle a été vivement critiquée
par les Européens, mais même aux Etats-Unis, la rigidité des procédures est
de plus en plus considérée comme un vrai problème pour la coopération
transatlantique.
Au Pentagone, les responsables politiques en particulier ont pris conscience
de la nécessité d’adopter un régime plus souple. Ce changement de cap s’est
heurté néanmoins au niveau administratif à la résistance des services
72
Pour une liste complète, voir Département d’Etat, Office of Defense Trade Controls
website, « State Department Embargo Reference Chart » .
34 Entre coopération et concurrence
chargés de la protection des technologies militaires. De plus, alors que le
ministère de la Défense a plaidé pour des réformes substantielles, le département d’Etat est fermement décidé à conserver ses compétences pour l’octroi
des licences et la gestion de la Liste des munitions. Enfin, les tensions ont
été nombreuses entre l’exécutif démocrate et le congrès à majorité
républicaine, favorable à une approche plus protectionniste des sanctions, du
commerce avec la Chine et du contrôle des exportations.
Si les officiels du Pentagone ont progressivement reconnu l’impact de la
mondialisation sur les capacités militaires, c’est en 1998 seulement qu’ils
ont admis explicitement que les réglementations en vigueur faisaient
obstacle aux relations industrielles transatlantiques et à l’interopérabilité au
sein de l’OTAN 73 . En fait, ce sont largement les développements en Europe
(Saint-Malo et consolidation industrielle) et le risque qu’ils aboutissent à
une forteresse européenne, qui ont, à ce moment-là, incité le Pentagone à
agir 74 .
Sous la direction du secrétaire adjoint à la défense John Hamre, le
Pentagone s’efforça de modifier sa propre politique en la matière et
d’entraîner l’ensemble du gouvernement dans son sillage. Dans un exposé
remarqué, fait en novembre 1998 devant l’Aerospace Industries Association, M. Hamre indiqua que le DoD souhaitait développer une politique de
partenariat transatlantique qui dépasse la procédure CFIUS et qu’il verrait
d’un bon oeil des regroupements avec des industriels des alliés les plus
proches. L’Australie, le Canada, la Norvège, les Pays-Bas et le Royaume73
74
Voir « Technology, Future Warfare, and Transatlantic Cooperation », remarques de
Jacques S. Gansler, sous-secrétaire à la Défense, au colloque de l’OTAN, Norfolk,
Virginie, 12 novembre 1998 : un autre responsable militaire mit en garde contre les
risques de « forteresse Europe » : « [le DoD] est favorable à une évolution vers un
modèle transatlantique compétitif de liens industriels très divers … A l’opposé, une
« forteresse Europe » pourrait aboutir à une évolution séparée aux Etats-Unis et àune
technologie militaire européenne ; elle pourrait donc faire obstacle à l’interopérabilité
avec nos partenaires de l’OTAN ». Fonctionnaire anonyme cité dans Pierre Sparaco,
25 octobre 1999, p. 32.
John Hamre indiqua en mai 1999 : « Ma grande crainte est que nous ne voyions
émerger une forteresse Europe consolidant ce qui est en cours en Europe en ce moment
sous l’effet des forces négatives de paranoïa auxquelles est soumise l’industrie de
défense américaine… Pire encore, les institutions européennes de défense semblent être
prêtes à accepter la seconde place en termes de modernisation afin de conserver ces
entités de défense ». Discours de John Hamre, 5 mai 1999, p. 3.
Gordon Adams 35
Uni constitueraient, en particulier, de bons partenaires potentiels dans la
mesure où ils possédaient des régimes stricts de contrôle des exportations et
de respect des législations, et coopéraient avec les Etats-Unis en matière de
renseignement 75 .
Dans son exposé, M. Hamre estimait que les Etats-Unis pourraient classer
les pays de l’Alliance en trois catégories : la catégorie A regrouperait les
pays pour lesquels une souplesse et une ouverture accrues ne seraient pas
mises en cause, la catégorie B ceux dont le traitement était plus incertain, et
la catégorie C les Etats vis-à-vis desquels un assouplissement était inconcevable. Cette proposition de classement suscita la consternation parmi les
alliés dont certains s’interrogeaient sur la place qui leur serait réservée. Elle
renforça l’impression que le Royaume-Uni et l’Australie pourraient jouir
d’un traitement de faveur, tandis que les autres auraient à affronter des
obstacles plus importants. Ce concept ne s’est pas officialisé, mais le
discours a montré que le Pentagone était davantage disposé à changer ses
orientations.
Le DoD maintint son ouverture en 1999 en organisant diverses réunions
avec les représentants des gouvernements et des industries européens 76 . Il
créa, en outre, au sein de son Defense Science Board (DSB), un groupe de
travail chargé de proposer des politiques adaptées à la mondialisation de la
base industrielle de défense. Le rapport du DSB, publié en décembre 1999,
demandait au département de la Défense de se concentrer sur la protection
des capacités militaires vraiment sensibles plutôt que sur une longue liste de
technologies spécifiques, et de privilégier l’acquisition de technologies
civiles. Ce document indiquait également que « l’intégration industrielle et
de défense transatlantique pouvait se révéler extrêmement bénéfique pour
les Etats-Unis et leurs alliés ». Il soulignait le besoin pour le Pentagone
d’avoir une politique plus claire en matière de fusions et d’assouplir les
réglementations concernant les investissements étrangers et les transferts de
technologies 77 .
75
76
77
Douglas Barrie et Philip Finnegan, « DOD Scrambles to Shape Merger Approval
Policies », Defense News, 14-20 décembre 1998, p. 1.
Thomas E. Ricks, Anne Marie Squeo and Jeff Cole, « Pentagon is Encouraging More
Mergers Between European, U.S. Defense Firms », Wall Street Journal, 7 juillet 1989.
Voir Office of the Undersecretary of De fense for Acquisition and Technology, Final
Report of the Defense Science Board Task Force on Globalization and Security,
36 Entre coopération et concurrence
Au début de 2000, John Hamre a repris la notion de réciprocité pour
soutenir l’évolution de son ministère :
« Si certaines barrières de notre marché de défense sont fondées sur la
législation, d’autres reposent sur le paradigme obsolète d’autonomie
industrielle absolue des Etats-Unis dans le combat et pour l’approvisionnement en cas de conflit. Si nous voulons que les sociétés américaines
puissent accéder, à l’avenir, aux marchés de défense de nos alliés, nous
devons nous montrer, nous aussi, davantage disposés à nous appuyer sur
des entreprises situées dans les pays alliés pour satisfaire nos besoins en
matériels de défense » 78 .
Jusqu’à la mi-2000, la campagne du Pentagone n’a eu qu’un impact limité
sur les activités de fusion et de joint-ventures transatlantiques. Seules
quelques firmes britanniques sont arrivées à pénétrer le marché américain.
Cette inertie s’explique, en partie, par la dynamique de consolidation
industrielle en Europe, considérée par le Pentagone comme détournant,
temporairement du moins, les sociétés des opérations transatlantiques 79 .
Mais elle reflétait également la prudence du DoD quant à une réaction du
Congrès aux changements en matière de politique d’investissement et de
fusion.
La résistance du parlement américain à un régime transatlantique plus
libéral dérivait du débat fortement politisé sur le rapport de la commission
Cox concernant les relations sino-américaines. Ce rapport avait reproché à
Hughes et Loral d’avoir laissé les Chinois acquérir des technologies
américaines en matière de satellites et de lanceurs spatiaux80 . Sans avoir de
liens directs avec les activités transatlantiques ou l’industrie de défense, les
travaux de la commission Cox entravèrent les efforts entrepris pour
78
79
80
Defense Science Board, Washington, DC, décembre 1999 et Colin Clark, « Hamre to
Reveal Strategy for Globalization », Defense News, 1er novembre 1999, pp. 1(27).
« Testimony of Deputy Secretary of Defense John Hamre before the Senate Armed
Services Committee », 28 février 2000, p. 9.
Entretiens de l’auteur.
U.S. National Security and Military/Commercial Concerns With the People’s Republic
of China, Report of the Select Committee on U.S. National Security and
Military/Commercial Concerns with the People’s Republic of China, House of
Representatives, Washington, D.C, janvier 1999.
Gordon Adams 37
assouplir la coopération euro-américaine 81 . En octobre 1999, le DoD fit
savoir aux industriels de défense européens et américains qu’il n’était plus
aussi enthousiaste à l’égard des fusions et acquisitions transatlantiques et
qu’il encouragerait plutôt joint ventures et partenariats entre les grands
systémiers82 .
Le Pentagone poursuivit néanmoins son effort pour permettre aux sociétés
étrangères dignes de confiance d’opérer aux Etats-Unis dans de meilleures
conditions. En janvier 2000, à l’issue d’un examen d’une année, le
Pentagone leva l’obligation d’un fidéicommis pour la filiale américaine de
Rolls Royce, la société Allison Advanced Development Company, basée à
Arlington (Virginie). Le Pentagone le remplaça par un Special Security
Arrangement moins strict avec Rolls Royce North America, qui simplifierait
les visites entre la société-mère et sa filiale américaine et permettrait à des
responsables de la première de siéger au conseil d’administration de la
seconde. Le DoD a donné là un signal clair d’assouplissement, mais il ne
voulut pas y voir un précédent, considérant que « les décisions relatives à la
propriété étrangère [...] sont prises au cas par cas ; il n’existe donc aucune
raison de supposer que d’autres exigences de procuration seront levées parce
que celle-ci l’a été 83 . » Le secrétaire adjoint John Hamre précisa néanmoins
qu’une approche similaire avait été adoptée dans le cas des arrangements de
sécurité négociés avec la filiale Marconi North American de BAE
Systems 84 .
En même temps qu’il commençait à assouplir sa position en matière de
fusions et de partenariats, le Pentagone s’attaqua également à l’autre
obstacle majeur à la coopération : les contrôles des exportations. Il se concentra tout d’abord sur ses propres procédures. Tout au long de 1999, David
Oliver, l’adjoint principal du sous-secrétaire Gansler, dirigea une initiative
81
82
83
84
Préoccupé par la vive réaction du Congrès, le Pentagone n’a pas osé publier de rapport
sur la «civilianisation » de la technologie de défense et a préféré ne pas traiter
ouvertement des effets de la mondialisation,. Entretiens de l’auteur.
Robert Wall, « New Strategy Emerging for Transatlantic Linkups », Aviation Week and
Space Technology, 1er novembre 1999, p. 27 ; et entretiens personnels.
La déclaration du Pentagone précisait que la décision devrait « suggérer aux
investisseurs étrangers que nous sommes flexibles dans le cadre général de nos
réglementations de sécurité ». Colin Clark, « DOD Smoothes Path for Rolls-Royce
Operations », Defense News, 10 janvier 2000, p. 1.
Discours de John Hamre devant la Commission Forces armées du Sénat,
28 février 2000, p. 9.
38 Entre coopération et concurrence
visant à restructurer et à simplifier les procédures internes du DoD en la
matière. Les efforts furent de plusieurs ordres : standardisation des processus de traitement des demandes de licence d’exportation par les divers
services, diminution du nombre d’examens en bas de l’échelle administrative et accélération de la transmission des avis du DoD au département
d’Etat. Ces réformes permirent au Pentagone de ramener, d’une part, le
nombre de demandes de licence en souffrance réclamant plus de 60 jours de
traitement de 600 en janvier 1999 à zéro en avril 2000 et, d’autre part, de
réduire la durée de traitement moyenne de 46 jours en 1999 à 12 jours en
avril 2000 85 .
Il était clair cependant que la réforme des procédures du Pentagone ne
suffirait pas à elle seule à assouplir la relation industrielle transatlantique, la
responsabilité de l’ITAR, de la Liste des munitions et des décisions finales
en matière d’octroi de licence incombant au département d’Etat. Celui-ci a
pourtant farouchement refusé de simplifier ses propres procédures, de
modifier la Liste des munitions ou d’augmenter le nombre d’exemptions de
licence. Ainsi que l’a déclaré un responsable du département d’Etat, « il
demeure dans l’intérêt national de conserver un système complet. Ceci
correspond à nos intérêts de sécurité nationaux et représente également un
outil de politique étrangère 86 ».
De plus, le département d’Etat fut très attentif aux préoccupations du
Congrès quant à l’application des contrôles d’exportation. Les parlementaires américains avaient, en fait, vivement critiqué l’insuffisance du suivi et
des rapports concernant les négociations entre la Chine et Hughes et Loral.
Par réaction, considérant le régime de contrôle des biens à double usage trop
laxiste, le Congrès avait retiré au département du Commerce la compétence
sur les licences d’exportation de systèmes et composants de satellites pour la
restituer au département d’Etat.
Le Pentagone organisa toute une série de réunions bilatérales avec le
département d’Etat pour convaincre ce dernier de la nécessité d’alléger les
restrictions en matière de contrôle des exportations vers les alliés fiables. En
85
86
Département de la Défense, « Changes in DOD Munitions Export License Control
Performance », avril 2000. Voir également Colin Clark, « Pentagon Marches Ahead
with Export Reform », Defense News, 6 décembre 1999, p. 3.
Voir Colin Clark, « State Dept. Calls for Arms Export Control Review », Defense
News, 8 novembre 1999, p. 1(26).
Gordon Adams 39
outre, les responsables de la Défense commencèrent à critiquer de plus en
plus ouvertement la gêne que les contrôles destinés aux pays moins amicaux
créait pour les relations avec les partenaires de l’OTAN 87 . Ils étaient
d’autant plus inquiets que les protestations des gouvernements et des
industriels européens se faisaient encore plus vives dès l’automne 1999. En
octobre, DASA envoya à ses directeurs de programme un mémo les
décourageant de faire appel à des fournisseurs américains, en particulier
pour les composants de satellites. Selon le fabricant allemand, le délai
nécessaire pour obtenir une licence d’exportation retardait ses programmes :
« En raison des incertitudes que présentent les licences d’exportation, le
recours à des produits américains, et en particulier à des produits de défense
américains, doit être évité à tout prix. Il convient, partout où sont
actuellement utilisés des composants américains, de les remplacer au plus
tôt par des produits d’une autre origine. » Un responsable de DASA expliqua que cette directive s’appliquait seulement si l’octroi de la licence
d’exportation et la livraison ne pouvaient être garantis dans un délai
spécifié, mais la portée du message était claire… 88
Les pressions européennes s’accentuèrent en décembre 1999. Manfred
Bischoff, le président de DASA, écrivit à la secrétaire d’Etat, Madeleine
Albright, pour lui faire part des préoccupations de l’industrie :
« Je vous invite à réexaminer la politique et les procédures en vigueur en
matière de contrôle des exportations en vue de promouvoir la coopération
entre les alliés de l’OTAN et de préparer d’éventuelles fusions
industrielles transatlantiques […] Le système actuel […] et son application par le gouvernement américain, et en particulier par le département
87
88
Joseph C. Anselmo, « Hamre : Export Delays Hurting U.S. Alliances », Aviation Week
and Space Technology, 8 novembre 1999, p. 34.
Bloomberg News, 28 octobre 1999 et entretien de l’auteur, octobre 1999. Selon
Manfred Von Nordheim, président de DASA North America : « Nous ne voulons pas
être pris de court parce que nous serions dans l’incapacité de répondre aux demandes
des clients ou aux obligations contractuelles si une licence est refusée ou pas
appliquée ». Joseph C. Anselmo, Aviation Week, 8 novembre 1999, p. 34. Dans le
même article, le directeur de la gestion de Asia Pacific Aerospace Consultants
indiquait : « Franchement, l’Amérique n’est plus considérée comme un fournisseur ou
un partenaire fiable … Les sociétés américaines ne peuvent ni garantir la permission
d’exportation ni estimer combien de temps il faudra pour l’obtenir » .
40 Entre coopération et concurrence
d’Etat, tendent davantage à décourager qu’à encourager de telles
coopérations 89 ».
A la fin de 1999, les désaccords au sein de l’exécutif sont apparus au grand
jour 90 . Les départements d’Etat et de la Défense cherchaient à s’entendre sur
certaines réformes de la procédure existante : fourniture d’une licence
globale pour l’ensemble d’un projet ou d’un programme, accélération des
procédures pour les programmes liés à la DCI, et instauration des liaisons
informatiques entre les bases de données traitant les licences d’exportation
au sein des départements d’Etat, du Commerce et de la Défense. Mais les
progrès furent lents car le département d’Etat considérait la pugnacité du
Pentagone comme une intrusion sur son domaine de compétence et
cherchait à garder les mains libres pour pouvoir utiliser l’approbation de
licence à des fins politiques91 .
Le problème de compétence au sein de l’exécutif s’intensifia lorsque le
Pentagone annonça, en février 2000, que le ministre de la Défense William
Cohen et son homologue britannique Geoff Hoon allaient signer une
Declaration of Principles for Defense Equipment and Industrial Cooperation. Cette déclaration d’intention établissait un programme de négociations
en vue d’un accord entre ministères de la Défense, susceptible de modifier
radicalement les relations commerciales et industrielles de défense entre les
deux pays. Le DoD avait préparé cette déclaration depuis quelque temps
89
90
91
Lettre du président directeur général de Dasa Manfred Bischoff à Madeleine Albright,
le 9 décembre 1999, citée dans Vago Muradian, « Allies Call On Albright to Reform
Export Controls », Defense Daily, 6 janvier 2000, p. 2. Une semaine plus tard, tous les
ambassadeurs de l’UE auprès des Etats-Unis ont exprimé leur inquiétude à Mme
Albright que « le processus long et dépassé de contrôle des exportations se développe
de plus en plus en une entrave sérieuse à la coopération en matière de défense ». Lettre
de Joris Vos, Ambassadeur des Pays-Bas à Mme Albright, le 16 décembre 1999. Les
Européens ont également critiqué le processus de contrôle des exportations lors d’un
colloque auquel participaient des officiels américains à Toulouse, France, 68 décembre 1999. Richard Smith, « U.S. Export Rule Under Fire at Symposium »,
Defense News, 10 janvier 2000, p. 18.
Voir Colin Clark, « Pentagon Unilaterally Moves to Speed Export Reviews », Defense
News, 25 octobre 1999, p. 3 (28) ; Colin Clark, « Eased Export Controls Stalls »,
Defense News, 22 novembre 1999, p. 3 ; Colin Clark, « Pentagon Marches Ahead With
Export Reform », Defense News, 6 décembre 1999 ; Vago Muradian, « White House
Help May Be Needed to Fix Export Control Squabble », Defense Daily,
15 décembre 1999, p. 1.
Entretiens de l’auteur, printemps 2000.
Gordon Adams 41
déjà ; bien qu’ayant été tenu informé des discussions, le département d’Etat
n’y avait pas pris part.
Le Pentagone avait délibérément choisi de négocier avec les Britanniques
parce que c’étaient les relations anglo-américaines qui correspondaient le
plus à ce qu’il avait défini comme les « cinq piliers de la coopération », conditions d’une exemption de licence :
• des politiques et procédures de sécurité industrielle compatibles et permettant la réciprocité ;
• des procédures de contrôle des exportations compatibles et permettant la
réciprocité ;
• d’excellentes relations de coopération en matière d’application des lois ;
• une coopération étroite dans le domaine de l’échange d’informations en
matière de contre-espionnage, d’espionnage économique et de violations
du contrôle des exportations et de la sécurité industrielle ;
• une volonté de conclure des accords contraignants permettant un accès
réciproque aux marchés 92 .
Ces cinq piliers constituent l’assise sur laquelle le DoD entend renforcer les
liens avec les alliés. L’idée est que le Pentagone entame des négociations
pour garantir que les industries des deux pays partagent les mêmes règles et
procédures de protection des technologies classifiées et assurent le suivi de
l’habilitation de leurs employés. Les réglementations relatives à l’octroi des
licences d’exportation doivent être similaires, et le contrôle des exportations
doit être effectué en parallèle et relativement aux décisions de l’autre partie.
Les autorités responsables doivent globalement avoir la même vision des
violations de la loi et coopérer dans le cas d’éventuelles poursuites. Des
principes identiques doivent s’appliquer à la coopération entre les services
de renseignement respectifs. Enfin, pour garantir la sécurité de l’approvisionnement en temps de crise, l’accès réciproque aux marchés doit être
indissociable d’une interdépendance accrue en matière de défense.
Cette Declaration of Principles instituait également un mécanisme
susceptible d’améliorer l’harmonisation des besoins militaires des deux
92
« Testimony of Deputy Secretary of Defense John Hamre before the Senate Armed
Services Committee », 28 février 2000, p. 4. Voir également Colin Clark, « Britain,
Australia Tighten U.S. Defense Ties », Defense News, 14 février 2000, p. 1.
42 Entre coopération et concurrence
pays : ceux-ci tenteraient d’identifier très en amont des projets communs de
R&D et de production et s’efforceraient d’harmoniser les processus
d’acquisition. Enfin, les parties exploreraient les moyens d’accroître la
transparence et l’efficacité des procédures de contrôle des exportations. Il
s’agirait en particulier de simplifier le régime pour les matériels produits en
commun susceptibles d’êtres exportés vers des pays tiers. Afin d’atteindre
ces objectifs, Américains et Britanniques décidèrent de créer un « conseil de
haut niveau » pour le contrôle des exportations 93 .
Cette ambitieuse initiative du Pentagone était destinée à être étendue à
d’autres pays, tout d’abord à l’Australie, puis à l’Allemagne, la France, la
Norvège, aux Pays-Bas et à la Suède, entre autres. Selon le Pentagone, le
modèle à suivre pour les alliés est le régime qui existe déjà avec le Canada.
Considéré comme faisant partie du tissu industriel de défense nordaméricain, ce pays a bénéficié jusqu’en 1998 d’une exemption de licence
pour les transferts de technologies non classifiées, à condition d’en être le
destinataire final94 . L’expression « non classifiées » ne dévalue pas cette
exemption ; elle couvre en effet une vaste gamme de technologies figurant
sur la Liste des munitions. Elle permet, en particulier, d’importants
échanges d’information sur des coopérations technologiques et sur des
partenariats potentiels, laquelle est le plus souvent non classifiée mais
généralement protégée par les firmes concernées, car jugée sensibles et
relevant de la propriété industrielle.
Le département d’Etat réagit vivement à la déclaration américanobritannique, reprochant au Pentagone d’avoir négocié un accord dans un
domaine qui relever de sa compétence, et affirma sur-le-champ sa position
dans la perpétuelle querelle de clochers sur le contrôle des exportations :
93
94
Voir annexe A. Voir également Ann Marie Squeo, « U.S., Britain Set Defense
Agreement Boosting Trans-Atlantic Business Ties », Wall Street Journal,
8 février 2000.
Colin Clark, « Britain, Australia Tighten U.S. Defense Ties », Defense News,
14 février 2000, p. 1. En juillet 2000, le département de la Défense et le ministre
australien de la Défense signèrent une déclaration analogue. Voir Neil Baumgardner,
« United States, Australia Sign Agreement to Lower Defense Trade Barriers », Defense
Daily, 18 juillet 2000, p. 8. L’exemption canadienne de l’ITAR avait été supendue
en avril 1999, à la suite de plusieurs incidents reflétant le laxisme du contrôle des
exportations au Canada. Elle fut rétablie après un durcissement des procédures à
l’été 2000.
Gordon Adams 43
« Il s’agit d’un accord de principe entre ministères de la Défense
dépourvu de toute obligation juridique (…). Bien que le département de la
Défense estime qu’il ne lie pas les parties, il est clair que ce document
présuppose des efforts conjoints du département de la Défense
[américain] et du ministère de la Défense [britannique] en vue d’instaurer
un accord juridiquement contraignant sur la modification du régime de
contrôle des exportations de défense des deux pays. [Un tel accord]
exigerait une révision de la législation et de la réglementation en vigueur
et, par conséquent, la participation des comités de supervision du
département d’Etat [relevant du Congrès]95 ».
Les deux départements poursuivirent leurs difficiles négociations tout au
long du printemps 2000. Ils s’entendirent sur une liste de réformes significative du contrôle des exportations, mais achoppèrent sur la proposition du
Pentagone d’appliquer une exemption de type canadien à tout pays
acceptant les conditions des « cinq piliers » dans un accord officiel, tel que
celui en cours de négociation avec le Royaume-Uni. Du point de vue du
Pentagone, un tel accord permettrait des réformes en vue d’atteindre
simultanément deux objectifs : d’un côté, l’instauration d’un régime de
commerce de défense plus ouvert, plus souple et plus transparent entre pays
alliés, permettant au DoD d’exploiter pleinement les technologiques
commerciales du marché mondial. De l’autre, l’obligation pour les pays
partenaires de se mettre à niveau dans les domaines des contrôles d’exportations, d’application de la loi, de la sécurité industrielle et du partage du
renseignement, réduisant le risque de transfert de technologie vers des pays
hostiles. En fin de compte, le système de contrôle américain n’aurait plus à
s’occuper des exportations sans risque vers des pays amis et pourrait se
concentrer sur les transferts vraiment problématiques 96 .
95
96
L’industrie se félicita de cette déclaration, mais les diplomates britanniques indiquèrent
clairement qu’ils reconnaissaient que le département d’Etat devrait se trouver à la table
des négociations pour tout accord final : « Nous savons que nous devons traiter avec le
département d’Etat ». Colin Clark, « U.S. Critics Assail Export Pact with British »,
Defense News, 21 février 2000, p. 3.
Voir Colin Clark, «DOD Urges Smoother Licensing for Allies », Defense News,
20 mars 2000, p. 4. Le Royaume-Uni et l’Australie sont la destination de 30% des
licences d’exportation demandées au département d’Etat. Stan Crock, « Reining In
Out-of-Control Tech Export Controls », Business Week, 23 mars 2000.
44 Entre coopération et concurrence
La proposition du Pentagone rencontra une forte opposition de la part du
département d’Etat. Le Congrès lui fut également hostile, car il la jugeait
incompatible avec son souci de lutter la fuite de secrets technologiques
américains. Benjamin Gilman (républicain, New-York), président du comité
des relations internationales de la Chambre des représentants, se refusait à
« soutenir le recours à des exemptions dans le but de lever l’obligation de
licence pour nos alliés97 ». Son avis fut partagé par le sénateur Jessie Helms
(républicain, Caroline du Nord), président du comité des relations étrangères
du Sénat, et par les délégués de la minorité des deux comités, le représentant
Sam Gejdenson (démocrate, Connecticut) et le sénateur Joseph Biden
(démocrate, Delaware). Dans une lettre commune adressée le 16 mars 2000
à Madeleine Albright, ces parlementaires mettaient en garde contre
d’éventuelles exemptions de l’ITAR. Ils y prenaient la défense du système
actuel et prévenaient qu’une exemption de type canadien placerait 80 % du
commerce de défense entre sociétés hors du régime de licence. Ils préconisaient de ne modifier la réglementation que si le pays bénéficiaire « appliquait un système de contrôle des exportations comparable à celui en vigueur
aux Etats-Unis », et après consultation en bonne et due forme de leurs
comités 98 .
En avril 2000, il était clair que les deux ministères ne parviendraient pas à
résoudre ce désaccord. Les parlementaires étaient préoccupés par cette
proposition et ses effets sur leur compétence. Les industriels, qui avaient
demandé une réforme, hésitaient à insister sur une exemption de type
canadien99 . Le Pentagone avait à cœur de boucler le projet avant la rencontre
97
98
99
Colin Clark, « State Department Splits on Export Reform », Defense News,,
13 mars 2000, p. 1.
Chuck McCutcheon, « Industry Seeks Fresh Approach to Rewriting Export Controls »,
Congressional Quarterly Weekly, 1er avril 2000, p. 781. L’inquiétude concernant la
juridiction des comités a peut-être été une motivation essentielle de cette lettre. Elle a
reflété les préoccupations du département d’Etat à l’égard des négociations du
Pentagone dans un domaine relevant de sa compétence et avait plus de chances d’attirer
l’attention des démocrates que la question elle-même. Il est en outre possible que le
département d’Etat ait encouragé cette lettre. Entretiens de l’auteur.
Dans un e-mail du 17 avril 2000, l’adjoint de M. Gansler, David Oliver, a commenté le
soutien tiède de l’industrie pour une exemption de licence : il convenait, selon lui, de
relativiser ce que le département d’Etat considérait comme la satisfaction de l’industrie
quant à l’accord partiel auquel ce dernier et le Pentagone étaient parvenus jusque là.
Cette réaction positive ne venait pas, en effet, des directions des entreprises mais des
représentants chargés des relations avec le gouvernement. M. Oliver indiquait que les
réformes approuvées « n’allaient pas assez loin pour faciliter les relations industrielles
Gordon Adams 45
ministérielle de l’OTAN de mai 2000 à Rome, où il comptait l’annoncer. Le
National Security Council était intervenu en vue de coordonner les discussions entre les deux ministères mais, compte tenu de la ferme opposition du
département d’Etat, il incombait au président de trancher 100 .
La liste finale des 17 réformes fut annoncée le 24 mai 2000 lors de la
conférence ministérielle de l’OTAN dans la Defense Trade Security
Initiative (DTSI). Le fait le plus marquant fut la décision du président à
l’égard d’une exemption de l’ITAR au profit des « pays partageant avec les
Etats-Unis des politiques similaires et réciproques en matière de contrôle
des exportations, de sécurité industrielle, de renseignement, d’application de
la loi et d’accès réciproque aux marchés ». Comme dans le cas du Canada,
cette exemption couvrirait les exportations non classifiées. Elle dépendrait
de la conclusion « d’accords internationaux appropriés relatifs à l’usage
final et à la réexportation de biens, services et données techniques de
défense, ainis qu’à une application conforme des principes essentiels de
contrôle des exportations ». De plus, la proposition du Pentagone avait été
modifiée : pour avoir droit à une exemption, non seulement les pays
concernés, mais aussi les sociétés devraient être « jugées fiables par le
gouvernement américain ». Le Royaume-Uni et l’Australie étaient explicitement désignés comme « les deux pays les plus susceptibles de bénéficier de
cette exemption ».
D’autres modifications du contrôle américain des exportations sont
également prévues pour simplifier les procédures et faciliter la coopération
industrielle. D’un côté ont été inventés de « nouveaux » types de licence :
une licence unique et globale (major program license) de huit ans couvrant
l’ensemble d’un projet sous maîtrise d’œuvre américaine au lieu de demander une licence pour chaque transaction du programme ; une major project
100
avec nos proches alliés » et demandait instamment à l’industrie de prendre contact avec
le chef du cabinet du président, John Podesta, pour soutenir une exemption de l’ITAR
de type canadien. En fait, une lettre du président de l’AIA, John Douglas, du
12 avril 2000 n’avait manifesté qu’un enthousiasme mitigé à ce sujet, appuyant la
proposition « lorsqu’une telle procédure va dans le sens des intérêts de politique
étrangère et de sécurité nationale des Etats-Unis » et notant qu’« il serait certainement
possible de développer » un mécanisme d’exemption.
Comme l’indique David Oliver : « Ce sera une décision présidentielle car l’un des
ministères impliqués n’est pas complètement d’acccord ». Neil Baumgardner, « Oliver
Expect Presidential Decision on ITAR Exemptions for Britain, Australia », Defense
Daily, 13 avril 2000, p. 4.
46 Entre coopération et concurrence
license pour les ventes des systèmes complets à un pays membre de
l’OTAN, au Japon ou à l’Australie, et couvrant tous les éléments de
l’exportation envisagée ; ainsi qu’une global project license pour toutes les
exportations prévues dans le cadre d’un programme intergouverne-mental.
En outre, on prévoit une autorisation globale unique « d’échanger des
données techniques nécessaires à la formation d’équipes ou de joint
ventures, aux fusions et acquisitions ou accords similaires » avec des
sociétés japonaises, australiennes ou l’OTAN. Afin d’encourager la Defense
Capabilities Initiative de l’OTAN, ces réformes doivent « accélérer l’examen, par le gouvernement américain, des licences d’exportations relevant de
programmes ou projets de la DCI. ». Enfin, deux réfo rmes devraient
accroître la rapidité et l’efficacité du traitement des licences ITAR par le
département d’Etat : les liaisons entre systèmes informatiques traitant des
licences aux départements d’Etat et de la Défense seront améliorées, et, last
but not least, la Liste des munitions sera révisée à raison d’un quart chaque
année.
Ces réformes ne sont que le début d’un long processus. La négociation des
accords préalables à l’exemption de l’ITAR promet d’être difficile, compte
tenu de la mise à niveau exigée du pays bénéficiaire en ce qui concerne la
protection des droits de propriété intellectuelle, l’assise juridique des règles
de contrôle des exportations et les régimes de transfert de technologie.
L’industrie européenne a déjà averti que cette mise à niveau semblait
avantager les entreprises américaines par rapport à leurs concurrents
européens 101 . L’industrie américaine, de son côté, s’est montrée préoccupée
par le caractère limité des réformes et par d’éventuels problèmes
d’application102 .
101
102
Selon Manfred Von Nordheim of DASA, « Si […] la carrotte d’une exemption n’est
guère plus qu’une tentative d’imposer unilatéralement des normes, des valeurs et des
critères américains, la ligne de fracture entre l’Europe et les Etats-Unis va s’élargir ».
Déclaration de juin 2000.
Le président de l’AIA John Douglas fut prudent : « Même si la mise en oeuvre de ces
initiatives est satisfaisante pour tout le monde, nous n’aurons rien fait de plus que
rationaliser un système conçu à une époque révolue ». Il demandait la création d’un
groupe de réflexion pour une révision beaucoup plus poussée du régime de contrôle.
Robert Wall, « U.S. Issues New Export Regulations », Aviation Week and Space
Technology, 29 mai 2000, pp. 38-39 ; Greg Schneider, « U.S. Will Relax Arms-Sale
Curbs », Washington Post, 24 mai 2000, p. E1.
Gordon Adams 47
En outre, le Congrès peut encore s’opposer à l’exemption de l’ITAR. La
majorité républicaine a réagi de manière assez négative à cette proposition.
En particulier, les parlementaires ont signalé qu’il serait peut-être nécessaire
qu’une loi soit votée pour empêcher l’octroi d’une exemption de licence à
d’autres pays ou qu’un projet d’exemption soit soumis au Congrès avant
d’être approuvé 103 . Un assistant parlementaire fut encore plus ferme : « Nous
l’arrêterons. Elle ne passera pas. Cette idée d’exempter de licence les ventes
d’armes à divers pays est une décision que nous ne pouvons soutenir. Le
secrétaire d’Etat s’y est opposé (...) et nous nous y opposons pour les mêmes
raisons. » Le Congrès fut également préoccupé par le degré d’intrusion du
Pentagone sur les plates-bandes du département d’Etat dans cette affaire :
« Le département d’Etat s’est laissé, sur bien des plans, court-circuiter. De
ce point de vue, le département de la Défense a effectivement usurpé les
prérogatives du département d’Etat. Et c’est un point qui nous inquiète 104 ».
Les réformes du système de contrôle des exportations représentent un
premier pas important en direction d’un assouplissement de la forteresse
Amérique. Il reste cependant à les mettre en œuvre, ce qui est le seul moyen
de tester leur portée réelle. Assurée par l’Office of Defense Trade Controls,
l’application risque d’être un long processus. En outre, les négociations du
Pentagone avec les pays alliés sur les « cinq piliers » sont à peine ébauchées
et soulèvent des controverses juridiques et administratives difficiles. Reste
également à savoir quelle sera la politique définitive du Congrès vis-à-vis de
ces réformes.
Enfin, la nouvelle administration devra développer sa propre vision de la
relation industrielle de défense transatlantique. Elle sera vraisemblablement
favorable aux réformes car elle a conscience de l’importance de
l’interopérabilité et du caractère évolutif d’un marché de défense en pleine
103
104
Voir Colin Clark, « Export Reform Advocates Feel Stymied by U.S. Congress »,
Defense News, 10 juillet 2000, p. 6. A un moment donné, le Sénat envisagea d’associer
un amendement à une loi distincte en vue d’empêcher le président d’accorder une telle
exemption, mais cette idée a peu de chances de se concrétiser. Il est néanmoins possible
que le Congrès demande de spécifier davantage les critères pour l’octroi d’une
exemption. Colin Clark, « Senate Targets White House Exemption Power », Defense
News, 26 juin 2000, p. 4. Voir également, Robert Wall, « Congress Tweaks Export
Reforms », Aviation Week and Space Technology, 10 juillet 2000, p. 57.
Jay Hancock et Tom Bowman, « U.S. Set to Ease Weapons Exports », Baltimore Sun,
12 juin 2000.
48 Entre coopération et concurrence
mondialisation105 . Deux paramètres seront essentiels : la rapidité des nominations et la priorité accordée à la question par les nouvelles équipes des
départements d’Etat, de la Défense et du Commerce. La forteresse
Amérique demeure bien présente, même si, manifestement, les besoins
d’interopérabilité et les flux de technologies lézardent certains de ses
remparts.
I.3
L’agenda d’une industrie de défense transatlantique
Les marchés européen, américain et transatlantique sont tiraillés entre des
orientations contradictoires en ce qui concerne l’avenir de la coopération et
de l’intégration industrielles. Les divergences stratégiques risquent
d’éloigner les Etats-Unis de leurs partenaires de l’OTAN, tandis que
l’interopérabilité est une préoccupation commune susceptible de les
rapprocher. L’avenir de la PECSD aura un impact décisif sur l’issue de ces
tensions. Les efforts entrepris pour forger une capacité de défense européenne distincte et autonome, ainsi qu’une agence d’acquisition d’armements commune, pourraient renforcer les antagonismes sur le marché de
défense transatlantique. Les coupes budgétaires pourraient inciter les
Européens soit à accroître la rentabilité de leurs dépenses dans un cadre
transatlantique, soit à regrouper leurs acquisitions dans un cadre continental
pour protéger leur tissu industriel. Les tendances technologiques –
mondialisation et importance accrue des technologies civiles pour les
capacités de défense – devraient stimuler l’intégration à travers l’Atlantique,
mais l’insuffisance des investissement européens pourrait avoir l’effet
contraire et pérenniser la supériorité américaine. Enfin, l’industrie ellemême pourrait avoir des difficultés à se décider entre un marché transatlantique plus vaste (particulièrement aux Etats-Unis) et la protection que
pourrait apporter un système d’acquisition européenne fermé.
Les tendances contradictoires présentes sur le marché de défense transatlantique pourraient facilement donner naissance à deux forteresses
protégeant chacune ses entreprises et ses technologies. L’interopérabilité de
l’Alliance en souffrirait, l’on passerait à côté d’avantages technologiques et
un programme de recherche et d’acquisition plus efficace pour l’ensemble
des alliés tomberait aux oubliettes.
105
Entretiens de l’auteur, 2000.
Gordon Adams 49
Afin d’éviter cela, Européens et Américains doivent élaborer un programme
pour l’avenir. Compte tenu des changements qui interviendront sur les deux
rives de l’Atlantique, 2001 sera une année cruciale. Les Européens auront
défini leurs objectifs en termes de forces et de budgets (PECSD) ; la
nouvelle administration américaine, dans sa première année d’exercice du
pouvoir, aura une nouvelle équipe en place et des réformes à mettre en
oeuvre. Une attention particulière mérite d’être accordée aux points
suivants :
• Les responsables de la planification de défense américains et européens
doivent envoyer un message clair à l’industrie, en se concentrant sur le
succès de la DCI et de la PECSD, ainsi que sur les liens entre ces deux
initiatives. La participation des Américains aux discussions européennes,
la poursuite du dialogue OTAN/UE et, surtout, un rôle actif des Européens dans l’élaboration de la prochaine Quadrennial Defense Review
(QDR) américaine seront cruciaux. Si les deux opérations (PECSD et
QDR) sont menées isolément, les tensions politiques risquent de
s’aggraver entre les deux rives de l’Atlantique, mettant ainsi en cause la
réforme américaine en matière de commerce de défense.
• Il convient d’accorder beaucoup d’attention, de chaque côté, à la stabilité
des programmes et des acquisitions communs en cours et à venir. Une
intégration accrue en matière de stratégie et de planification des forces
facilitera les choses, mais les deux camps devront surtout chercher des
occasions de forger des programmes pour lesquels des sociétés de part et
d’autre peuvent soumissionner. La décision concernant le Meteor risque
de porter préjudice à une telle approche ; le sort du Joint Strike Fighter
enverra un message encore plus fort de la part des Américains.
• Un dialogue transatlantique sur les règles et pratiques de commerce et
d’investissement en matière de défense est indispensable et ce, aussi bien
au niveau bilatéral que multilatéral. Il devrait porter sur l’ensemble des
questions : contrôle des exportations, règles relatives aux investissements
étrangers, protection des transferts de technologies, sécurité industrielle,
propriété intellectuelle, juridiction et réglementation en matière d’acquisition. Une harmonisation accrue dans tous ces domaines inciterait les
industriels à coopérer et réduirait l’inquiètude de la classe politique
américaine à l’égard des stratégies et pratiques européennes. Ce dialogue
devrait être mené à la fois dans les secteurs public et privé, et inclure des
acteurs du pouvoir législatif, en particulier des membres du Congrès.
50 Entre coopération et concurrence
• Ce dialogue doit faire intervenir des acteurs multilatéraux, notamment
l’OTAN, l’Union européenne et l’OCCAR. Les règles bilatérales se révéleront inadaptées à un mécanisme décisionel de plus en plus multilatéral
en matière de réglementation.
• Les budgets de défense doivent être augmentés des deux côtés de l’Atlantique, en particulier pour les acquisitions et la R&D. L’insuffisance de
financement et de coordination de la R&D de défense en Europe pourrait
être fatale à la PECSD et à la coopération transatlantique.
• L’industrie se trouve, des deux côtés de l’Atlantique, face à un vrai défi.
Les firmes consolidées européennes ne doivent pas seulement chercher à
pénétrer le marché américain, mais soutenir l’ouverture du marché européen aux producteurs américains. Faute de quoi, le système politique
américain réagira au protectionnisme européen en reconstituant la forteresse Amérique. Les entreprises américaines doivent, quant à elles,
demeurer ouvertes à la coopération avec les Européens sur le marché
américain, mais aussi considérer avec soin leur actions en Europe. Le défi
consiste, pour elles, à devenir plus mondiales, et à agir en Europe en tant
que « firmes européennes », pas en tant que fer de lance des ventes de
produits américains aux Européens.
Le marché de défense transatlantique se trouve dans une phase délicate,
voire cruciale. Des forteresses pourraient émerger des deux côtés ; en même
temps, l’interopérabilité, la pénurie des ressources, les flux technologiques
et la coopération industrielle sont autant d’éléments qui peuvent donner
naissance à un marché euro-américain, tout en maintenant ou même en
renforçant les sauvegardes contre la dissémination des technologies
critiques. Que l’on s’oriente vers des forteresses ou l’intégration, il s’agira
avant tout d’une question de volonté politique.
Chapitre Deux
LA FORTERESSE EUROPE : REALITE OU VIRTUALITE ?
Christophe Cornu
Si les encyclopédies et dictionnaires de stratégie proposent des définitions
différentes du terme « forteresse », deux éléments en constituent le
dénominateur commun. La forteresse est, d’une part, une position
particulièrement importante qui, pour être inviolable, est protégée par des
dispositifs dissuasifs variés, à la fois défensifs et offensifs. D’autre part, la
forteresse est une des composantes d’une sphère d’influence qu’elle
contribue à contrôler et à renforcer par différents moyens, dont la capacité
de projeter des forces au-delà de cette zone. La fortification n’est donc pas a
priori un objectif en soi mais plutôt un outil facilitant une manœuvre plus
large. Elle n’est qu’un moyen parmi d’autres à la disposition d’une stratégie,
elle-même émanation d’une politique générale 1 .
Ces images militaires, aisément transposables aux relations transatlantiques
en matière d’armement, permettent de mesurer la dynamique des équilibres
et des tensions pour ce secteur très sensible, entre une puissance constituée
dominante et un groupe de pays européens en voie d’intégration2 . A ce titre,
si les Européens voulaient créer une « forteresse Europe » comparable à
celle que les Etats-Unis ont méthodiquement construite 3 , un certain nombre
d’instruments seraient à mettre en place, dont :
1
2
3
Voir Gérard Challiand, « Anthologie mondiale de la stratégie », Lafond, Paris, 1991,
1523 pages.
Voir Yves Boyer, « Technologies, défense et relations transatlantiques », Politique
Etrangère, n. 4/94, pp.1005-1015. Plus généralement, voir Paul Kennedy, « The Rise
and Fall of the Great Powers », Unwin Hyman Ltd, Londres, 1988 ; Zbigniew
Brzezinski, « Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde », Bayard, Paris,
1997 ; Nicole Gnesotto, « La puissance et l’Europe », Presses de Sciences Po, Paris,
1998 ; Joseph S. Nye Jr., « The US and Europe: continental drift ?», International
Affairs, Vol. 76, n. 1, janvier 2000, pp. 51-59.
Voir European Defence Industry Group, « Study paper on Main US Discriminatory
Measures and Practices in the Defence Field », EDIG-EPP/93/04 Revision 4, Bruxelles,
20 juin 2000 ([email protected]).
52 Entre coopération et concurrence
• le décloisonnement des marchés militaires (tant pour leur production que
pour les transferts d’équipements et de sous-ensembles, les achats et la
mise en concurrence) au sein d’un espace européen reposant sur un
système juridique unifié ;
• la création de barrières douanières pour les importations d’armements
comme outils d’un système douanier de type Union européenne ;
• la création d’une autorité unique chargée de l’armement agissant, dans un
premier temps, dans le cadre d’une politique de défense commune, puis
comme instrument d’une politique de défense unique dotée, en propre, de
budgets adéquats ;
• l’instauration d’une préférence européenne en matière d’acquisition et
par voie de conséquence, l’augmentation du taux d’équipement des
forces européennes en matériels européens.
Dans le débat permanent sur les relations transatlantiques en matière
d’armement, le paradigme de la forteresse Europe structure encore
fortement les discussions, qu’il imprègne les accusations portées par les
partenaires américains ou qu’il incarne un espoir, ou au contraire un objet de
rejet pour les Européens 4 .
Evoluant à plusieurs vitesses selon les acteurs ou les secteurs, l’Europe de
l’armement présente un panorama polymorphe et complexe 5 , dans lequel la
forteresse Europe demeure virtuelle tandis que les citadelles nationales
correspondent, elles, à une réalité indéniable (section II.1). Toutefois,
l’effort de convergence récemment entrepris par les Etats européens, pour
certaines composantes du secteur armement, pose en des termes nouveaux
l’équation de la coopération transatlantique (section II.2).
4
5
Voir notamment Robert P. Grant, « Transatlantic Armament Relations Under Strain »,
Survival, Vol. 39, n. 1, printemps 1997, pp. 111-137 ; « Lockheed Chief Warns of Risks
of a Fortress Europe », Financial Times, 30 octobre 1998 ; Emma Bonino, « A single
European Army », Financial Times, 3 février 1999 ; Heinz Schulte, « Euro mergers
sparks fear of Fortress Europe », Jane’s Defence weekly, 20 octobre 1999 et le
séminaire du European Policy Centre de Bruxelles intitulé « Defence industry &
weapons cooperation: still Fortress Europe against Fortress America », Atlantic News,
7 avril 2000.
Voir Jean-Paul Hébert, « Armement : le choc de l’Europe », RAMSES 99, IFRI, Paris,
pp. 229-254.
Christophe Cornu 53
II.1
Forteresse Europe et citadelles nationales
L’examen des budgets et des marchés d’équipement militaires européens,
des législations applicables au secteur et du dispositif industriel en Europe
ainsi que les débats sur la préférence européenne nous conduiront à
constater que l’expression « forteresse Europe » ne correspond encore qu’à
une virtualité. En effet, la réalité d’aujourd’hui se caractérise par la
juxtaposition de citadelles nationales largement préservées à ce jour par les
pratiques des Etats.
Des budgets limités et fragmentés
Les dernières opérations militaires impliquant américains et européens
(conflits du Golfe persique et crises des Balkans) ont révélé que, comparé à
celui des efforts américains, le « rendement » des efforts budgétaires
européens était largement moins élevé, en raison notamment de priorités
budgétaires différentes (fonctionnement/investissement) et de l’absence de
mutualisation de moyens, qui entraîne de nombreuses duplications 6 .
Par ailleurs, en données brutes, les Européens consacrent moins de crédits à
leur défense que les Américains. Le tableau ci-dessous met en évidence des
ratios de plus en plus défavorables pour les Européens, notamment pour les
budgets de R&D, qui conditionnent la maîtrise des systèmes d’armes
futurs :
Année
Etats-Unis
Europe ( 15 pays UE)
Europe ( 17 pays OTAN)
Budget Budget Budget Budget Ratio Budget Budget Ratio
défense
R&D
défense
R&D
1 / 2 défense
R&D
1/3
(1)
(2)
(3)
1995
274,6
36,6
168,9
12,1
3
172,7
12
3
1998
253,4
36,4
143,5
9,5
3,8
150,2
9,5
3,8
1999
252,3
35,3
131,6
9
3,9
140,1
9
3,9
(en milliards de $ constants 1997) ; source : Defence spending, « The Military Balance
1999-2000 », IISS, London, p. 37.
6
Voir l’analyse de François Heisbourg, « L’Europe de la défense dans l’Alliance
atlantique » (avec notamment une réflexion novatrice sur la convergence des politiques
de défense des pays européens pour pallier les différentes lacunes et insuffisances),
Politique Etrangère, n. 2/99, pp. 219-232.
54 Entre coopération et concurrence
Une des conditions nécessaires (bien que non suffisante) pour l’édification
d’une forteresse Europe serait l’existence, en amont, d’une politique de
soutien des Etats à leur industrie nationale. Or les budgets des Etats
européens sont moins orientés vers le soutien de leurs entreprises que ceux
des Etats-Unis, qu’il s’agisse de la recherche, où les investissements sont
insuffisants, ou des acquisitions, parfois effectuées directement aux EtatsUnis. Ainsi, tant pour les missiles, avions de combat et les satellites à
finalité militaire que pour la R&D de ces secteurs, les budgets étatiques
américains bénéficiant directement à l’industrie nationale sont environ trois
fois plus élevés que pour les pays de l’Union européenne. Globalement, les
industriels américains reçoivent 70 % de plus de soutien que leurs
homologues européens 7 . On peut aussi établir un lien entre la baisse
d’activités de l’industrie aéronautique militaire européenne (de 24,5
milliards d’euros en 1980 à 20,6 milliards d’euros en 1999) et la réduction
du pourcentage des commandes des Etats de l’UE dans son chiffre d’affaires
(de 53% en 1980 à 25% en 1999), non compensée par une croissance des
exportations militaires8 . L’analyse peut être étendue aux équipements de
l’armée de terre et de la marine, même si les budgets d’acquisition et de
R&D mobilisés sont moins élevés.
Certes, ces chiffres sont une moyenne, qui recouvre des situations
diverses en Europe : certains pays, n’ayant pas d’industrie nationale (apte à
concevoir ou produire tous les matériels), achètent à des pays tiers alors que
d’autres, disposant d’une industrie nationale, pratiquent la préférence
nationale 9 . Mais le décalage global Etats-Unis/Europe est néanmoins
révélateur de l’absence d’un véritable dessein européen dans ce domaine.
En Europe, la pénurie des budgets consacrés à la R&D est aggravée par la
fragmentation du financement. Le soutien des budgets semble favoriser pour
l’armement terrestre et naval la préservation des citadelles nationales, du
moins pour les Etats disposant sur leur territoire de capacités de conception,
de production et de vente. Tant que les industries de ces secteurs restent
nationales, les budgets correspondants ne contribueront guère à la
7
8
9
AECMA (European Association of Aerospace Industries), « Government Funding for
Aerospace Industries », Bruxelles, mai 2000, p. 41 et p. 58 (www.aecma.org).
AECMA, « 1999 Statistical Survey », 5 juillet 2000.
Voir ci-après le graphique mettant en relation le chiffre d’affaires de 14 industries
d’armement européennes et la part du volume d’équipement d’origine américaine des
forces armées de ces 14 pays.
Christophe Cornu 55
construction d’une forteresse Europe en tant que telle 10 . Seuls les secteurs
aéronautique et électronique relèvent d’une logique inverse, en raison
notamment des incidences des restructurations trans-européennes 11 .
L’ouverture inégale des marchés
Un autre élément d’appréciation de l’existence d’une éventuelle forteresse
Europe réside dans le taux de pénétration américaine sur les différents
marchés européens, tant en ce qui concerne les ventes directes que les
investissements.
Les ventes américaines en Europe
Les experts estiment que, globalement, près de 40% de l’équipement des
forces armées européennes sont d’origine américaine 12 . Ce pourcentage
cache de grandes disparités et l’analyse du graphique ci-dessous, mettant en
relation le chiffre d’affaires de 14 industries d’armement européennes et la
part (estimée) du volume d’équipement d’origine américaine des forces
armées de ces 14 pays, permet de distinguer quatre groupes 13 :
• groupe A (France et Royaume-Uni) : pays pouvant maîtriser l’ensemble
des systèmes d’armes / très faibles importateurs de produits américains ;
• groupe B (Allemagne) : pays ayant la capacité de systémier / faible
acheteur de matériel américain ;
• groupe C : ensemble de pays dotés de capacités industrielles importantes
(Italie, Suède et Espagne) ou spécialisées (Finlande, Pays-Bas) ou plus
limitées (Belgique) / moyens consommateurs d’équipements américains ;
10
11
12
13
Voir Jacques Isnard, « Les forteresses nationales de l’industrie d’armement », Le
Monde, 2 juin 1999.
Voir ci-après, dans la section II.4, les analyses par secteur.
Voir le compte rendu du séminaire du groupe de réflexion sur les industries de défense
par Burkard Schmitt (5ème session, « La coopération transatlantique en matière
d’armement », Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 31 mars 2000.
L’auteur souhaite souligner que les chiffres cités doivent être considérés avec prudence
en raison surtout de la rareté des données fiables sur les pays membres de l’UE (les
données de l’AECMA concernent seulement l’aéronautique, les chiffres de l’EDIG
sont inexistants et ceux de l’UE incomplets).
56 Entre coopération et concurrence
• groupe D (Pologne, Norvège, Grèce, Turquie et Danemark) : pays faibles
producteurs / consommateurs importants de produits américains.
Production d'armement en Europe et matériels d'origine
américaine dans les armées européennes
(sources: Military Balance 1999/2000; SIPRI Yearbook 1999; Calepin International DGA/DCI, FR MOD, éd. 07/2000)
18
16
FR
14
UK
12
10
GE
8
6
IT
4
SWE
2
FIN
SP
NE
BE
PO
NO GR
TU
DE
0
0
10
20
30
40
50
60
70
80
volume estimé du matériel d'origine américaine dans l'équipement des forces
armées de 14 Etats européens (en %)
90
Christophe Cornu 57
A la lumière de ces estimations, on constate facilement qu’il n’existe pas
véritablement une industrie européenne de défense, ni un marché européen
homogène, mais plutôt des acteurs qui adoptent des comportements
particuliers vis-à-vis de leur partenaire américain14 .
Les pays du Groupe A disposent d’une autonomie technologique de défense
assez large. Ils maîtrisent les technologies pour concevoir et produire
l’ensemble des systèmes d’armes, parfois sans avoir des budgets nécessaires
pour les développer (pour ses forces nucléaires, Londres a fait un choix
d’approvisionnement partiel aux Etats-Unis). Pour les Britanniques, la
politique officielle d’équipement est de considérer les offres américaines
avec le même intérêt que les autres selon le principe du « best value for
money ». Mais si les services d’acquisition anglais affichent en priorité
l’aspect concurrence dans leur politique, on constate que les armées
britanniques sont peu équipées en matériel américain 15 . Pour les autorités
françaises, les achats aux Etats-Unis, au demeurant très faibles, résultent soit
de l’impossibilité de concevoir/produire l’équipement « en européen », soit
d’un choix d’économie conduisant à acquérir un matériel déjà développé
(systèmes d’armes AWACS, Hawkeye et C 130) 16 .
Pour l’Allemagne (Groupe B), les liens industriels avec les Etats-Unis se
limitent en fait aux missiles. Dans les autres domaines de l’aéronautique,
elle a traditionnellement participé à des coopérations européennes. C’est
seulement dans l’armement terrestre et la construction navale (qui reste
jusqu’ici largement nationaux) que l’industrie allemande est dotée d’une
capacité de maître d’œuvre. Ces spécificités conduisent l’Allemagne à
acheter peu aux Américains et à consacrer environ 70 % de son budget
d’équipement aux programmes en coopération européenne 17 .
14
15
16
17
Voir William Walker & Philip Gummet, « Nationalisme, internationalisme et marché de
l’armement en Europe », Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, Cahiers de
Chaillot, n. 9, septembre 1993, pp. 23-30.
Voir « L’acquisition intelligente des matériels de défense », Revue de la Défense
Stratégique du Royaume-Uni, ministère de la Défense, Londres, juillet 1998, pp. 40-43
et « Breaking the Bank », Jane’s Defence Weekly, 26 janvier 2000, pp. 25-28.
Voir Jean-Paul Hébert, « Stratégie française & industrie d’armement », FEDN, Paris,
1991, 391 pages ; le numéro spécial France du Jane’s Defence Weekly, 26 avril 2000 et
Robert Graham, « Government faces a financial squeeze », Financial Times,
14 juin 2000.
Voir notamment Joachim Rohde, « French-German Arms Cooperation » dans « Les
relations Franco-allemandes » sous la Direction de Hans Stark, Les cahiers de l’IFRI,
58 Entre coopération et concurrence
Les pays du Groupe C disposent de capacités significatives de conception/
production plus ou moins spécialisée sur leur sol et privilégient l’approvisionnement national ou européen (les Pays-Bas à un niveau moindre).
L’Italie est impliquée dans de nombreux programmes européens en
coopération et dispose d’une capacité technologique et industrielle assez
importante. La Suède, assez dépendante des Etats-Unis dans le domaine
aéronautique pour les sous-ensembles (moteurs, missiles, etc.), équipe
principalement son armée de terre et sa marine en matériel produit sur son
sol. L’Espagne ne maîtrise pas toute la gamme des produits mais est capable
de réaliser sur son sol des armements majeurs, dont ses forces sont
principalement équipées 18 .
Pour les pays de ces trois groupes, qui pèsent d’un poids déterminant dans la
politique européenne, le débat sur les relations transatlantiques en matière
d’armement prend moins en compte l’objectif d’une grande forteresse
Europe, que des considérations liées à la préservation des « citadelles
nationales » existantes. Toutefois, dans certains cas, la notion de citadelle
nationale tend à se réduire à la simple préservation des emplois sur le sol
national, sans attacher d’importance au maintien de capacités technologiques ou au contrôle du capital des entreprises par des nationaux. Ainsi,
on a vu, entre autres, le suédois Bofors (partie artillerie) être racheté par
United Defence (US), GMC Canada reprendre la société Mowag (SWI),
l’Etat espagnol mettre en vente le constructeur de véhiclues blindés Santa
Barbara.
Enfin, les pays du Groupe D ont une industrie peu développée, dotée d’un
niveau technologique moins élevé (sauf la Norvège). Leurs politiques
d’achat outre-Atlantique sont fondées sur une combinaison de facteurs :
acquisition d’équipements de haute technologie au meilleur prix (pays avec
budget d’équipement assez limité, Turquie exceptée), demande de transferts
de technologies pour essayer d’acquérir une certaine autonomie (Turquie)
18
Paris, IFRI, n. 25, 1998 ; numéro spécial Allemagne du Jane’s Defence Weekly,
7 juillet 1999 ; Hans Eberhard Birke, « L’industrie aérospatiale en Allemagne :
puissante et prête à coopérer », Défense Nationale, n. 6, juillet 1999, pp. 38-46.
Voir Gal Alberto Zignani, « L’Italie et l’Europe de l’Armement », Revue l’Armement,
n. 61, mars 1998, pp. 114-120 ainsi que les fiches pays (Italie, Suède, Finlande,
Belgique, Espagne et Pays-Bas) du Calepin International DGA/DCI, ministère de la
Défense, Paris, édition 07/2000 et du Military Balance 1999-2000, IISS, Londres,
pp. 30 ss.
Christophe Cornu 59
et, surtout, relations diplomatiques privilégiés avec les Etats-Unis 19 .
La situation et les choix des Etats européens expliquent que le two-way
street en soit demeuré au stade des déclarations d’intentions : le volume
d’exportations américaines vers l’Europe est, en effet, bien supérieur aux
exportations européennes vers les Etats-Unis (pénalisées par la fermeture du
marché américain) 20 . Les ratios sont de plus en plus favorables aux EtatsUnis comme le montre le tableau ci-dessous :
Exportations
Exportations
Année
Etats-Unis vers Europe
Europe vers Etats-Unis
1987
6,1 milliards de $
1,4 milliards de $
1994
4,1 milliards de $
0,7 milliards de $
1997
4,3 milliards de $
0,7 milliards de $
(sources : pour 1987 & 1994, « The Military Balance 1996-1997 », IISS
ACDA cité par Revue Aérospatiale, n. 166, mars 2000)
Ratio
4,36 / 1
5,86 / 1
6,14 / 1
; pour 1997,
Toutefois, il faut noter que ces exportations américaines vers l’Europe sont
en général concentrées sur quelques pays traditionnellement importateurs
(Groupe D) et concernent généralement les matériels électroniques et aéronautiques. Ainsi, les ventes à destination de 4 pays (Norvège, Turquie,
Danemark et Grèce) représentent chaque année entre 45 et 60 % de ces
exportations 21 .
Les investissements américains en Europe
Dans le domaine des investissements, la stratégie industrielle américaine des
dernières années vise essentiellement à multiplier les accords afin que les
19
20
21
Voir les fiches pays du Calepin International DGA/DCI, ministère de la Défense, Paris,
édition de juillet 2000 et du « Military Balance 1999-2000 », IISS, Londres, pp. 30 ss.
Voir « Making Transatlantic Defense Cooperation work », Findings and Recommendations of the CSIS Atlantic Partnership Project, Center for Strategic &
International Studies, Washington, DC, mai 1996.
Chiffres « Foreign Military Sales » additionnés aux ventes commerciales (régime du
contrôle des exportations d’armes) ; voir DSCA (Facts Book) publié par le Deputy for
Financial Management Comptroller, « Foreign Military Sales, Foreign Military
Construction Sales and Military Assistance Facts », Washington, 30 septembre 1998.
Seule la signature d’un gros contrat ponctuel certaines années réduit ce pourcentage
d’exportation vers les 4 pays (achat d’avions « F 18 » par la Finlande en 1994 ou
d’hélicoptères « Apache » par la Grande-Bretagne et les Pays-Bas en 1995).
60 Entre coopération et concurrence
intérêts américains deviennent constitutifs du tissu industriel européen,
préservant ainsi l’accès aux marchés européens dans tous les secteurs 22 .
Les accords peuvent prendre la forme de productions communes. Ainsi, par
exemple, Lockeed-Martin et BAe se sont alliés pour concevoir un véhicule
de reconnaissance, Loral et Alcatel se sont unis pour les systèmes
satellitaires Skybridge et Cyberstar. Il peut s’agir aussi d’accords de soustraitance (McDonnell-Douglas commande des pièces à Fokker aviation,
Helicopter Aviation Services (groupe Bell) achète des pilotes automatiques
SFIM), de cessions de licence ou de rachats/prises de participation (achat du
français Ratier-Figeac par le groupe UTC, vente en cours par l’Etat espagnol
du constructeur de véhicules blindés Santa Barbara à l’américain General
Dynamics, le même General Dynamics étant par ailleurs devenu actionnaire
de référence dans le constructeur autrichien de blindés légers Daimler
Puch) 23 .
Les Etats-Unis ont du se contenter de cette stratégie d’adaptation. En effet,
certains acteurs préconisaient une politique d’hégémonie 24 , mais elle eut été
politiquement trop coûteuse au sein de l’Alliance atlantique. D’autres
soutenaient l’établissement d’un véritable two-way street entre les deux
rives de l’Atlantique, finalement écarté, notamment parce que préjudiciable
à la balance commerciale américaine25 .
22
23
24
25
Voir Jean-Paul Hébert, « Dimensions économiques de la compétition euro-américaine »,
dans « Europe/Etats-Unis : coopérations et compétitions dans le domaine des systèmes
de défense et des hautes technologies », La Documentation française, Paris, 1998,
pp. 107-120.
Voir Jean-Paul Hébert et Laurence Nardon , « Concentration des industries d’armement
américaines : modèle ou menace ? », Cahiers d’Etudes Stratégiques, CIRPES/EHESS,
Paris, n. 23, 1999 (chapitre 6 : « le renforcement ambigu des liens entre industries
d’armement américaines et européennes ») ; Jacques Isnard, « L’OPA américaine sur la
défense européenne », Le Monde, 31 octobre-1 novembre 1999 ; Leslie Crawford,
« Spain to go ahead with sale of arms maker to US », Financial Times, 11 juillet 2000 ;
Nicole Beauclair & Jean Dupont, « Industrie américaine : partenaire et concurrente »,
Air & Cosmos, n. 1706, 13 octobre 2000.
Voir Ethan B. Kapstein, « America’s Arms Trade Monopoly. Lagging Sales Will Starve
Lessers Suppliers », Foreign Affairs, mai-juin 1994, vol. 73, n. 3, pp. 13-19.
Voir notamment Pamela Pohling-Brown, « Fear of transatlantic trade war as market
contracts », Jane’s Defence Contracts, mars 1997, pp. 5-7 et Jacques S. Gansler,
« Technology, Future Warfare and Transatlantic Cooperation », NATO workshop,
Norfolk-VA, 12 novembre 1998.
Christophe Cornu 61
Des législations disparates
Au sein de l’Union européenne, la réglementation du secteur armement
superpose deux types de normes : d’une part, les systèmes juridiques des
15 Etats membres, qui contribuent au maintien des forteresses nationales,
notamment en matière de passation de marchés publics, de l’autre, les règles
édictées par l’UE dans ses domaines de compétence.
Le système juridique des Etats
Tant dans la portée du droit que dans son champ d’application ou sa
spécificité par rapport au droit commun, l’hétérogénéité des législations
nationales en matière de défense a été particulièrement mise en évidence
lors des travaux réalisés par les quatre partenaires du consortium Airbus
(Aérospatiale, BAe, CASA et DASA) visant à créer une European
Aerospace and Defence Company (EADC). Suite à la déclaration du
9 décembre 1997 sur la restructuration de l’industrie européenne
aérospatiale et électronique de défense 26 , un premier rapport est finalisé par
les industriels. Ce rapport stigmatisait notamment la disparité des réglementations européennes dans trois domaines (dispositions générales, action
préférentielle ou golden share et législation à l’exportation), comme
principal frein aux restructurations industrielles en Europe.
En ce qui concerne le contrôle des investissements étrangers, on peut
distinguer deux groupes de pays. L’Allemagne n’impose pas de restrictions
légales particulières pour la prise de contrôle par un investisseur étranger
d’entreprises d’armement et l’Italie n’applique pas de dispositions spéciales
pour contrôler les accords industriels dans le domaine de la défense. Pour la
Grande-Bretagne, il n’existe pas de règles spécifiques concernant les
activités d’armement, qui relèvent du droit commun. Toutefois, la pratique
reste encore interventionniste. Ainsi, les autorités italiennes peuvent
invoquer la protection de secrets relatifs à la sécurité nationale pour
empêcher une prise de contrôle jugée « inamicale » ou inopportune. En
Allemagne, lorsque BAe a voulu racheter en 1998 STN Atlas, les autorités
compétentes ont indiqué discrètement les conséquences (éventuellement
26
Déclaration conjointe des chefs d’Etats et de gouvernements britanniques, allemands et
français du 9 décembre 1997 ; voir Annexe A.
62 Entre coopération et concurrence
négatives) pour continuer à accéder au marché allemand, si la majorité du
capital de STN passait dans des mains étrangères 27 .
Dans ce domaine, les grilles d’analyse à l’échelle européenne sont
complexes et combinent intérêts des actionnaires et objectifs des Etats qui
peuvent être divergents. Ainsi, le rachat de l’électronique de défense de
GEC par BAe en janvier 1999 a pu être interprété, soit comme la
constitution d’une forteresse britannique, soit comme le refus d’une alliance
avec une autre société européenne (DASA ou Thomson-CSF), soit comme
la simple satisfaction des intérêts des actionnaires de GEC, soit comme un
rejet d’une alliance avec une compagnie américaine ou encore comme les
quatre à la fois28 .
Un second groupe de pays utilise un corpus spécifique de règles. Ainsi la loi
française est très restrictive en imposant une autorisation préalable
(ministère de l’Economie et des Finances) pour tout investissement étranger,
qui sera limité à 20% du capital (des possibilités de dérogations existent
toutefois) 29 . En Suède, une autorisation gouvernementale globale est
nécessaire pour tout producteur d’armement et en Espagne, le gouvernement
doit approuver tout investissement étranger concernant une société espagnole de défense.
En matière d’action préférentielle, à laquelle sont attachés des droits
exorbitants du régime commercial commun, un autre clivage apparaît. Pour
l’Allemagne et la Suède, le mécanisme de l’action préférentielle n’existe
pas. En revanche, elle est utilisée en Espagne, en France (notamment dans
les processus de privatisations des sociétés comme Aérospatiale et
27
28
29
Finalement, BAe ne détient que 49 % du capital de STN Atlas (entretiens de l’auteur
avec des responsables allemands de l’armement).
Voir Jean-Pierre Maulny, « Industries et ventes d’armes », dans « l’Année Stratégique
2000 », IRIS, 1999, pp. 649-671 ; Marc Roche : « La puissance du nouveau BAe pèsera
sur l’avenir de l’Europe », Le Monde, 21 janvier 1999 ; Hugo Dixon et Alexander
Nicoll, « How Project Super Bowl Won the Day », Financial Times, 23-24 janvier 1999 ; Ralph Atkins, « DASA head gloomy over pan-European defence »,
Financial Times, 25 janvier 1999.
Sur ces réglementations ICA, voir Jean Hamiot, « La Base Industrielle et
Technologique de Défense », Revue l’Armement, n. 61, mars 1998, pp. 44-52. Les
nouvelles réalités industrielles européennes conduisent les autorités françaises à être
plus souples (voir les analyses de l’IGA Bessero et de l’ICA Coq dans Info DGA,
n. 121, mars 2000, pp. 34-35).
Christophe Cornu 63
Thomson-CSF), en Italie (aussi dans le cadre des privatisations ;
loi n. 474/94) et en Grande-Bretagne (action préférentielle comportant
quatre volets : présence d’un administrateur gouvernemental sans responsabilités, la participation étrangère ne peut dépasser 49,5 % du capital et un
investisseur étranger ne peut posséder plus de 15 % des actions ; ces
dispositions ne peuvent être modifiées sans accord gouvernemental). En ce
qui concerne la Grande-Bretagne, le seuil de 49,5 % avait été fixé initialement à 29,5 % mais, sous pression de BAe et de Rolls-Royce, il a été
rehaussé. Ces derniers ont plaidé avec succès que les 29,5 % empêchaient la
société de nouer des alliances avec des partenaires étrangers, pouvaient
avoir des effets de contraintes négatifs sur le cours de l’action et que ce seuil
de 49,5% les protégeaient encore contre d’éventuels raiders 30 .
Pour les règlementations à l’export, chacun des pays européens a ses
propres législations lourdes. Elles contraignent les entreprises à obtenir une
série d’agréments, soit selon les zones géographiques, soit dès le stade de la
prospection des marchés extérieurs ou pour l’autorisation d’exportation des
systèmes d’armes, soit au moment de la sortie du matériel du territoire
(Royaume-Uni), ou encore pour toutes les phases du processus d’exportation (France, Allemagne, Espagne). En général, ces règles sont appliquées
par des Commissions interministérielles ou au plus haut niveau de l’Etat
(France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède) et s’appuient parfois sur des
listes de produits (en Italie, loi n. 474/94 ; en France, décret n. 95-589 du 6
mai 1995 et en Allemagne, le KWKG du 20 avril 1961) 31 .
Cette multitude de règles hétérogènes interdit la libre circulation des
produits militaires à l’intérieur de l’Union européenne et attise la concurrence entre Européens sur les marchés tiers. Dans ce domaine, les 15 Etats
membres de l’UE sont aussi étrangers les uns par rapport aux autres que, par
exemple, les Pays-Bas vis-à-vis de la Russie ou de l’Argentine. La mise en
œuvre et la pratique de ces procédures par les Etats apparaît en outre
flexible, et leur respect par les entreprises d’armement relatif, notamment en
fonction des circonstances politiques et de la concurrence sur les marchés
30
31
Voir Financial Times, 26 juin 1997 et 13 mars 1998.
Sur ces réglementations complexes, voir le rapport parlementaire très complet de
MM. Jean-Claude Sandrier, Christian Martin et Alain Veyret, « Le contrôle des
exportations d’armement », Rapport d’information n. 2334, Assemblée Nationale,
Paris, 25 avril 2000, 310 pages (www.assemblee-nationale.fr).
64 Entre coopération et concurrence
tiers32 . Toutefois, pour ce domaine, deux corpus de règles communes se
développent depuis peu au niveau de l’UE et dans la LoI. (voir II.2 ).
Dans le domaine de la concurrence, le contrôle des Etats nationaux reste
large. On constate donc une discordance entre les intentions affichées et la
réalité : les pays européens annoncent des politiques d’ouverture de le urs
marchés intérieurs, mais, dans les faits, continuent encore à raisonner en
termes de capacités nationales.
Ainsi le « Document de Politique Générale » (ou Coherent Policy Document
– CPD), signé en 1990 par les 13 membres du GEIP (Groupe européen
indépendant de Programmes), visait à créer un marché européen ouvert de
l’armement 33 . Même si certains progrès ont été réalisés, les mesures de
décloisonnement, d’ouverture et de transparence des marchés restent
déclaratoires face à la préférence nationale34 .
Ainsi en Grande-Bretagne en 1996-1997, sur 730 contrats passés (dont 56%
d’appels d’offres ouverts) dans le cadre des mécanismes du CPD, 95 % ont
été remportés par de fournisseurs britanniques. En Italie, sur 341 contrats
publiés dans le bulletin du GAEO (1996-1997), 74% l’ont été sous des
conditions restreintes et 26 % avec concurrence. Pour le premier cas, 86%
des contrats ont été attribués à des entreprises italiennes (et 14% à des
sociétés européennes ou américaines), pour le deuxième cas, 68% des
contrats sont restés en Italie (et 32% pour des sociétés européennes ou
américaines) En France (1997), sur 16 992 marchés passés par le ministère
de la Défense représentant 62,9 milliards de FF, 10 218 (soit 63% et
55 milliards de FF) l’ont été par des appels d’offres restreints ou négociés
32
33
34
Voir l’analyse de Jean-Louis Scaringella, « Les Industries de Défense en Europe »,
Economica, Paris, 1998, pp. 67-100 ; Les Nouvelles du GRIP, n. 4/99 (www.grip.org) et
le dossier spécial du Monde du 22 janvier 2000 (Patrice Claude, « Tony Blair a du mal à
concilier l’éthique diplomatique et ventes d’armes », Christophe Jakubyszyn, « En
France, un outil à la discrétion du gouvernement » et Arnaud Leparmentier, «En
Allemagne, les verts obtiennent un durcissement des règles »).
Intitulé Independent European Programme group – European Defence Equipment
Market, il développait tous les aspects d’une politique européenne d’armement ;
IEPG/Perm Sec/D-12 du 30 octobre 1990.
Voir Sandra Mezzadri, « L’ouverture des marchés de la défense : enjeux et modalités »,
Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, Publications occasionnelles, n. 12 ,
février 2000, pp 6-11.
Christophe Cornu 65
sans concurrence 35 . D’ailleurs, la nouvelle version du Coherent Policy
Document agréé en 1999 par les 13 ministres de la Défense du GAEO 36 ne
prévoit rien de plus précis, ni de plus contraignant sur l’ouverture des
marchés que le document de 1990, qui a montré ses limites.
Les règles de l’Union européenne
En complément de toutes ces législations nationales, l’UE a crée un
deuxième corpus de règles. On se trouve ici en plein paradoxe : bien que les
traités disposent que les questions ayant un impact sur leur sécurité peuvent
être exclues par les Etats du champ d’application du droit communautaire 37 ,
ceux-ci ont laissé l’Union européenne (Commission et Conseil) se doter de
règles encadrant certaines activités relatives à l’armement. La Commission
peut notamment intervenir en matière de droit de la concurrence et de
fusions/acquisitions de sociétés impliquées dans l’armement, de contrôle à
l’exportation des biens et technologies à double usage et partiellement en
matière de Tarif Douanier Commun. De plus, elle a essayé de manière
continue d’aborder d’autres sujets dans trois Communications 38 . De son
coté, le Conseil peut intervenir dans le domaine armement notamment dans
le cadre des règles de la PESC (voir II.2 ).
Cette nouvelle strate réglementaire constitue, pour l’instant, un facteur
supplémentaire de complexité juridique. Nous sommes actuellement dans
une phase de transition, au terme de laquelle l’UE devrait être le niveau de
la nécessaire unification de ces règles disparates.
35
36
37
38
Voir ministère de la Défense, « Annuaire statistique de la Défense », Collection
Analyses et Références, La Documentation française, Paris, juin 2000, p. 115.
« Document
de
Politique
Générale »,
WEAG
(99)
2,
Bruxelles,
22 novembre 1999 (www.weu.int/weag).
C’est l’article 223 du traité de Rome (aujourd’hui article 296 du Traité sur l’Union
européenne - TUE) auquel est attachée une liste confidentielle de matériels militaires
(dite liste de 1958).
Les trois communications sont : « Les défis auxquels sont confrontés les industries
européennes liées à la défense - contribution en vue d’actions au niveau européen »,
Bruxelles, COM (96) 10 final du 24 janvier 1996 ; « L’industrie aérospatiale européenne face au défi mondial », Bruxelles, COM (97) 466 final du 24 septembre 1997 ;
« Mettre en oeuvre la stratégie de l’Union en matière d’industries liées à la défense »,
Bruxelles, COM (97) 583 final du 12 novembre 1997.
66 Entre coopération et concurrence
Un dispositif industriel dispersé
Le paysage industriel européen résulte de plusieurs facteurs dont les
principaux sont l’héritage de l’histoire et le degré variable, selon les
secteurs, de la pression concurrentielle américaine. Les conséquences des
restructurations industrielles dans l’armement aux Etats-Unis sont très
importantes tant sur le nombre des sociétés39 que sur le nombre d’employés
(2,7 millions en 1993 et 2,1 millions en 1998). Les mouvements en Europe
sont en retard dans certains secteurs et dépassent peu le stade des forteresses
nationales 40 .
Décalée dans le temps par rapport aux Etats-Unis, la course aux
regroupements en Europe a essentiellement concerné, à ce jour, les secteurs
de l’aéronautique, de l’espace et de l’électronique qui se sont restructurés
d’abord en national (1992/1995) puis en transnational (1998/2000). Pour
faire face à la nouvelle concurrence américaine, trois grands groupes
(EADS, BAE Systems et Thales, anciennement Thomson-CSF) se sont ainsi
constitués au travers de quatre processus : « concentration, redéfinition du
périmètre des activités, rationalisation et internationalisation » 41 . Toutefois,
il reste à réussir la réorganisation interne entre entités fusionnées et
notamment à décider si toutes les implantations industrielles réparties dans
plusieurs Etats européens seront maintenues. En outre, il conviendra de
créer une culture et un esprit européens pour les entreprises transnationales.
39
40
41
Les grandes sociétés aéronautiques américaines (Lockheed Martin, Boeing, Raytheon et
Northrop Grumman) sont issues d’un processus de concentration lancé en 1990 entre
22 entreprises ; en résultante, 3 d’entre elles (Lockheed, Boeing et Raytheon) ont
cumulé 30 milliards de $ de contrats du ministère de la Défense américain en 1999.
Toutefois aux Etats-Unis, si les secteurs électronique et aéronautique semblent
restructurés, le processus n’a pas encore vraiment commencé pour les secteurs de
l’équipement terrestre et naval (voir plus loin).
Voir « Restructuring in the USA and Western Europe », SIPRI Yearbook 1999, p. 396.
Voir l’analyse de fond de ces tendances lourdes par Burkard Schmitt, « De la
coopération à l’intégration : les industries aéronautique et de défense en Europe »,
Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, Cahiers de Chaillot, n. 40, juillet 2000,
pp. 11 ss. En 1999, les chiffres d’affaires dans l’aéronautique sont de 145,7 milliards
d’euros pour les Etats-Unis et de 65,6 milliards d’euros pour l’Europe (chiffres
AECMA).
Christophe Cornu 67
Dans ce secteur, les mouvements de restructuration vont se poursuivre pour
les équipementiers de 2ème et de 3ème niveau42 .
En ce qui concerne l’équipement (classique) des armées de terre, le secteur
n’est pas encore très affecté par les regroupements transnationaux. Plusieurs
facteurs expliquent ce retard :
•
•
•
•
•
•
•
aux Etats-Unis, le marché intérieur, dominé par les sociétés américaines,
est encore relativement morcelé (General Dynamics, Textron, United
Defense, arsenal de Rock Island), même si certains rapprochements
internes sont en cours. Jusqu’ici, les sociétés européennes ne subissent
donc pas, du moins en Europe, de pressions concurrentielles, même si la
compétition est très forte sur certains marchés tiers ;
en Europe, l’ancienneté de cette industrie (plusieurs siècles) et une
grande présence des Etats (sous diverses formes) ont créé des cultures
peu susceptible à des restructurations transnationales ;
la gamme de produits est très large (de l’équipement individuel du soldat
au char lourd de combat en passant par les engins de génie et les
matériels du service de santé) et leurs coûts sont très variables ;
les sociétés du secteur sont souvent très spécialisées et dotées de
structures capitalistiques peu concentrées. Elles sont rarement adossées à
un groupe exerçant des activités civiles (sauf en Allemagne) et dispose
des activités peu diversifiées (même sur des secteurs de proximité) ;
un grand nombre des entreprises sont de taille relativement réduite et
peuvent subsister avec de petits contrats sur des créneaux étroits ;
certains gouvernements craignent les incidences sociales que les
restructurations industrielles engendrent lorsqu’elles touchent des
régions historiquement très dépendantes de l’armement terrestre ;
le nombre de programmes en coopération est très faible, compte tenu
notamment de la lenteur des travaux sur l’harmonisation des besoins
opérationnels dans les enceintes multilatérales tant à l’OTAN, qu’à
l’UEO (groupe de travail EUROLONGTERM) ou au sein de FINABEL.
A ce jour, il subsiste environ 37 compagnies majeures dans les 17 pays
européens de l’OTAN 43 . Pour certains des responsables du secteur, le
42
Voir Douglas Barrie et Theresa Hitchens, « Europe’s Merger Wave Rolls Toward
Sectors », Defense News, 20 décembre 1999.
68 Entre coopération et concurrence
mouvement de restructuration doit être lancé au plus vite : « nous devrons
nous rassembler pour constituer quelque chose d’analogue à EADS » 44 . Déjà
une série d’opérations concernant le secteur des blindés légers a été réalisée
(rachat de PME par des industriels ayant une assise financière supérieure : le
rachat de GKN (Royaume-Uni) et de Hägglunds (Suède) par Alvis
(Royaume-Uni) et l’opération Thyssen Henschel-Kuka en sont deux
exemples). Mais ni le secteur prépondérant des blindés lourds (trois acteurs
principaux : Krauss Maffei - Wegmann (Allemagne), Vickers (RoyaumeUni) et GIAT Industries (France)), ni le secteur de l’artillerie (20 sociétés de
toute taille en Europe), ni celui des munitions (30 industriels de dimension
très variable) n’ont entamé le processus de regroupement 45 . D’autre part,
l’équipement des forces armées terrestres est très hétérogène. Seul le char de
combat Léopard de Krauss Maffei peut être considéré comme un standard
européen avec 12 armées de terre clientes.
Face à une situation financière précaire et avec des plans de charge réduits 46 ,
beaucoup d’entreprises de ce secteur sont menacées. Leur avenir est
d’autant plus incertain que les compagnies américaines développent une
stratégie dynamique d’acquisition en Europe : General Dynamics est devenu
actionnaire de référence de l’autrichien Daimler Puch et est en train de
racheter l’espagnol Santa Barbara, GMC Canada a pris le contrôle de
Mowag en Suisse, et Bofors-artillerie en Suède a été racheté par United
43
44
45
46
Voir Douglas Barrie et Jack Hoschauer, « Armour May Not Yield to Europe
Consolidation », Defense News, 31 août/6 septembre 1998.
Jacques Loppion (PDG de GIAT Industries) dans Douglas Barrie and Christina
MacKenzie, « European Land Armor Consolidation Looms », Defense News,
26 juin 2000.
Voir Bernard Chabassière et Frédéric Fossé, « L’industrie européenne des armements
terrestres - panorama et perspectives », Revue l’Armement, n. 70, juin 2000, pp. 114122.
Le lancement du programme VBCI a assuré l’avenir des constructeurs de véhicules
légers, mais la situation est inquiétante pour les producteurs de chars lourds : Vickers
(groupe Rolls-Royce) a un plan de charge très réduit suite à la fin de la livraison des
38 chars Challenger II au Sultanat d’Oman (Jane’s Defence Weekly, 16 août 2000),
GIAT Industries a un faible plan de charge et cumule depuis 5 ans plus de 2,5 milliards
d’euros de pertes alors que Krauss Maffei connaît des problèmes de stratégie : après
rachat de Mannesmann par Vodafone, la branche défense de Mannesmann (Kraus
Maffei) a été vendue au consortium Siemens/Bosch. Il semble que cette solution soit
intérimaire et le prélude à une fusion Krauss Maffei/Rheinmetall.
Christophe Cornu 69
Defense 47 . La situation dans l’armement terrestre infirme donc clairement la
thèse de la forteresse Europe.
La situation est assez différente dans le domaine des chantiers navals, en
général structuré autour d’un « leader » national qui domine son marché
(BAe Systems au Royaume-Uni, Fincantieri en Italie, Bazan en Espagne,
DCN en France, Kockums en Suède) et de chantiers navals spécialisés sur
des segments plus petits. Dans ce secteur, les sociétés américaines interviennent très peu en Europe. Le paysage américain est dominé par cinq
chantiers 48 qui conçoivent des produits très spécifiques aux besoins de la
Navy (porte-avions de 80 000 tonnes, sous-marins nucléaires) donc peu
exportables. Par ailleurs, en raison d’un manque de compétitivité, les
chantiers navals civils ont été abandonnés par les Etats-Unis.
Les constructeurs européens dominent donc leurs marchés internes
respectifs mais aussi les marchés à l’exportation, tout en étant bloqués
d’accès au marché américain49 . Le développement des synergies civil/
militaire et un début de rapprochements industriels (uniquement par
spécialité) constituent les grands mouvements actuels 50 . La seule opération
d’envergure trans-européenne est la fusion entre l’allemand HDW et le
suédois Kockums pour les sous-marins classiques.
Dans le secteur, la demande est encore structurée en marchés nationaux pour
deux types de marines : flotte océanique avec une gamme complète de
navires (Royaume-Uni et France) et marines aux ambitions plus modestes
(Allemagne, Espagne, Italie, Suède et Pays-Bas). Par ailleurs, les marines
47
48
49
50
Voir l’article de synthèse sur ce secteur par le président du GICAT, Jacques Texier,
« L’Europe de la défense et de l’armement : mythe ou réalité ? », Défense Nationale,
juin 2000, pp. 24-40.
Newport News Shipbuilding Incorporated (chantier indépendant) et deux chantiers
chacun pour General Dynamics et Litton ; en 1999, le Pentagone a bloqué le rachat de
NNS par General Dynamics.
Pour la prochaine décennie, on estime le marché mondial de l’armement naval à
24 milliards d’euros par an répartis ainsi : 34 % Europe, 32 % Etats-Unis, 27 % AsiePacifique et 7 % reste du monde (Le Monde, 24 octobre 2000).
Voir l’analyse de Fernand Maillet, « L’industrie de la construction navale en Europe et
dans le monde », l’Armement, n. 63, octobre 1998, pp. 113-120.
70 Entre coopération et concurrence
européennes sont rarement équipées de matériels communs 51 . L’offre est
dominée par BAE Systems et DCN-Thomson-CSF/Thales qui réalisent des
chiffres d’affaires respectifs de 2 et de 1,6 milliards d’euros. Les sociétés
allemandes ont des chiffres d’affaires plus modestes (0,7 milliards d’euros
pour New HDW, 0,7 pour Thyssen et 0,5 pour STN Atlas ) mais dégagent
des marges bénéficiaires plus importantes et sont très compétitives dans
certains domaines (surtout pour les sous-marins conventionnels)52 .
Le processus d’émergence d’entreprises transnationales européennes
résultant de l’évolution combinée de la coopération et des restructurations 53
apparaît donc très contrasté. Pour les domaines naval et terrestre, la question
de l’existence de la forteresse Europe se pose plus en termes de
confrontation entre les différentes industries européennes qu’en termes de
lutte d’une industrie européenne contre l’industrie américaine. En revanche,
en ce qui concerne l’aéronautique et l’électronique, secteurs où les enjeux
technologiques et industriels sont plus importants, c’est la compétition avec
l’industrie américaine qui est déterminante.
L’échec de la préférence européenne
Le concept de préférence européenne aurait pu constituer un catalyseur
politique pour la construction d’une forteresse Europe de l’armement. Dans
ce débat, où la France était particulièrement en pointe54 , il s’agissait d’établir
un parallèle avec les règles du Buy American Act et de limiter autant que
possible les achats aux Etats-Unis.
51
52
53
54
Seuls exemples significatifs : le chasseur de mines tripartite (France, Belgique et PaysBas), la torpille MU 90 (France, Italie et Allemagne) et la future frégate avec le système
PAAMS (Italie et France).
Voir l’analyse de Gilles Bessero et Benjamin Gallezot : « L’industrie navale de défense
en Europe », Défense Nationale, n. 5, mai 2000, pp. 103-115.
Voir les différents paramètres de ce processus dans Pierre Dussauge et Christophe
Cornu : « L’Industrie Française de l’Armement – coopérations, restructurations et
intégration européenne », Economica, Paris, 1998, pp. 166-173.
Dans « Le Livre Blanc sur la Défense - 1994 » qui fixe la doctrine officielle de la
défense française (SIRPA, Paris, 1994), on peut lire notamment : « Cette politique
implique aussi que les Etats européens manifestent leur solidarité à travers une
préférence européenne » (chapitre 7 : « Politique d’armement et stratégie industrielle »,
section 2 : « La dimension européenne »).
Christophe Cornu 71
Le débat, lancé dans le contexte de la signature du traité de Maastricht 55 ,
s’est enflammé lors des premières réflexions sur la politique européenne
d’armement et lors des discussions sur l’Agence européenne d’Armement 56 .
Lors d’un séminaire informel (23 mars 1995) de la présidence française du
GAEO, les blocages apparaissent ouvertement. Plaidant clairement pour la
préférence européenne, le ministre français de la Défense a estimé au cours
de la conférence de presse que celle-ci « ne doit pas être un diktat mais une
construction patiente. Elle ne doit pas être fermée à l’idée de rapports
économiques et commerciaux avec les Etats-Unis ». De son côté, le
secrétaire d’Etat britannique à l’armement a souhaité que la préférence
européenne ne conduise pas à des choix de matériels plus coûteux que ce
que le marché offre ailleurs : « nous ne croyons pas à une préférence
européenne stricte. Nous devons retenir le droit de faire des affaires avec les
Etats-Unis ou avec les pays asiatiques. Mais nous croyons au principe de
réciprocité : si notre marché est ouvert, nous attendons que le marché
américain soit ouvert » 57 . Le concept de préférence européenne recevait
quelques soutiens de responsables industriels et politiques européens 58 , mais
il restait polémique, non consensuel et était perçu par certains comme une
préférence tout simplement … française.
En conséquence, la préférence européenne n’est inscrite ni dans la
Convention OCCAR du 9 septembre 1998 ni dans la Lettre d’Intention du
27 juillet 2000. Toutefois, le débat sur ce concept aura polarisé l’attention
sur une solidarité européenne défaillante59 . Il aura aussi valorisé le concept
55
56
57
58
59
Le Traité de Maastricht de 1992 donne une impulsion nouvelle à la politique
européenne d’armement (voir la déclaration n. 30 relative à l’Union de l’Europe
occidentale annexée au Traité).
Voir Giovanni de Briganti, « France: Buy from Europe or Be Left Out – France,
Germany Issue Ultimatum on European Preference », Defence News, 26 juin/
2 juillet 1995 ; sur l’Agence européenne d’Armement, voir ci-après.
Voir « Europe : débat de Ministres de la Défense autour de la préférence européenne »,
dépêche Agence France Presse du 23 mars 1995.
Le Président du directoire de DASA, Manfred Bishoff, devant le parlement européen, se
prononce pour une « préférence européenne » et se dit partisan d’un bureau d’achat
européen, Air & Cosmos, 19 mai 1995, p. 13. Voir aussi Dominique Baudis, « Pour une
préférence européenne », le Figaro , 16 juin 1995 (il signe cet article en tant que député
européen et président de l’intergroupe « Ciel et espace européen »).
Voir la déclaration signée le 21 juin 1994 par les groupements professionnels des
industries d’armement terrestre de 11 pays européens à l’occasion de l’exposition
Eurosatory 1994 dans « Vers une industrie européenne de défense terrestre », GICAT,
Paris, 1994, p.155.
72 Entre coopération et concurrence
de Base industrielle et technologique de Défense européenne (BITD)60 en le
complétant par la notion de nécessaire compétitivité de l’outil industriel.
Il n’empêche que la discussion sur la préférence européenne ressemble à un
faux débat. En fin de compte, la politique d’achat des pays européens n’est
pas très différente : ces derniers, pour des raisons industrielles, stratégiques
et sociales, préfèrent toujours leurs propres industries lors des appels
d’offres. L’émergence des société transnationales ne change rien. Tant
qu’elles disposent des filiales sur leur territoire (et que ces filiales
obtiennent une part du travail significative), les gouvernements les
considèrent comme des entreprises « nationales ». Les Etats appliquent donc
toujours une préférence nationale ; par rapport à la concurrence américaine,
la préférence européenne s’applique surtout aux systèmes fabriqués en
coopération européenne et avec participation des entreprises locales. Si ce
n’est pas le cas, « l’argument européen » peut jouer un rôle, mais il pèse
certainement moins (par rapport aux critères de coûts, de performance, de
budgets, etc).
La politique britannique illustre bien la complexité des décisions d’achat et
l’importance de l’implication de l’industrie nationale dans les projets.
En 1995, Londres a choisi d’acheter l’hélicoptère américain Apache au lieu
de son concurrent franco-allemand, le Tigre ; l’industrie britannique ne
participant pas au projet européen, les autres arguments jouaient plutôt en
faveur du produit américain (euroscepticisme du gouvernement
conservateur, « maturité » de l’Apache par rapport au Tigre, coûts, etc.). En
revanche, lors de la décision sur l’ATF et le BVRAAM (missile air-air
longue portée) en mai 2000, la situation a été complètement différente. Le
gouvernement britannique a retenu l’A 400 M (proposé par Airbus) face aux
C 130 et C 17 américains et le Meteor (proposé par Matra-BAe) face à
l’AMRAAM de Raytheon61 . Malgré de forte pressions politique américaine,
60
61
Le concept de BITD est officiellement reconnu par la Commission européenne
(introduction de la communication « les Défis auxquels sont confrontées les industries
européennes liées à la défense - contribution en vue d’actions au niveau européen »,
Bruxelles, COM (96) 10 final du 24 janvier 1996), par l’OCCAR (préambule de la
Convention de 1998) et par la LoI (préambule de l’Accord cadre de 2000).
Voir Tom Buerkle, « Europe’s Air Industry Racks Up a Gala Day – Defence Industry in
US is Snubbed », International Herald Tribune, 17 mai 2000 ; Alexander Nicoll,
« Fight for $ 7.5 bn defence orders was not a transatlantic battle », Financial Times,
17 mai 2000 ; Jacques Duplouich, « Missiles et avion de transport : les raisons du choix
Christophe Cornu 73
Londres a choisi de conjuguer l’intérêt opérationnel (matériel commun à
plusieurs armées en Europe), le calcul industriel (sociétés britanniques
fortement impliquées dans les consortiums retenus) et la dimension
diplomatique (concrétiser, dans le domaine de l’armement, le nouvel
engagement de la politique britannique pour la défense européenne depuis le
sommet de Saint-Malo de décembre 1998).
II.2 Des débuts de convergences en Europe
Contraints, à la fois par la situation des entreprises européennes (nouvelle
concurrence issue de l’ampleur des restructurations industrielles
américaines) et par les pressions budgétaires croissantes, les autorités
politiques européennes ont multiplié les initiatives sur une partie
significative du spectre des fonctions du domaine armement 62 . On peut
penser principalement aux discussions dans les forums internationaux
(OTAN, UEO/GAEO), aux travaux ayant abouti à l’OCCAR et à la Lettre
d’Intention, et enfin aux réalisations et perspectives de l’Union européenne.
A ce stade, celles-ci apparaissent plus comme des réactions empiriques et
partielles que comme l’application d’un plan cohérent très structuré pouvant
conduire à une forteresse Europe.
La complexité des travaux des enceintes multilatérales
(OTAN, UEO/GAEO)
Permettant à leurs membres de gérer des dossiers en commun et de
rechercher des convergences, les travaux au sein de ces institutions mettent
en lumière la complexité des questions armement au niveau multilatéral et
leurs incidences sur la qualité des relations transatlantiques.
62
britannique », le Figaro, 17 mai 2000 et Jacques Isnard, « Le Royaume-Uni en pointe
sur l’Europe de l’Armement », Le Monde, 23 mai 2000.
Voir « Government initiatives », SIPRI Yearbook 1999, pp. 404-405.
74 Entre coopération et concurrence
OTAN : un bilan contrasté
Au sein de l’OTAN, la fonction armement est éclatée entre plusieurs
organes, dont la Conférence des Directeurs Nationaux d’Armement
(CDNA), l’Organisation des C3 de l’OTAN (communication, commandement et conduite des opérations – NC3O), le Comité OTAN de
défense aérienne (NADC) et la Conférence de la Logistique OTAN
(SNLC)63 . Ceux-ci font rapport séparément au Conseil de l’Atlantique Nord.
Les conclusions de la dernière réforme de la fonction armement de l’OTAN
lancée en 1997 64 ont conduit à la création d’un Comité de Coordination sur
l’Armement qui, présidé par un représentant de la CDNA, rassemble les
représentants des organes impliqués.
La CDNA retiendra notre attention, dans la mesure où c’est elle (et ses 132
groupes spécialisés subordonnés) qui est compétente pour la coopération, la
planification et la normalisation en matière d’armement. La Conférence est
le reflet des alliances à géométrie variable qui se constituent en fonction du
contexte et des enjeux. Ainsi, avant chaque réunion semestrielle des 19
Directeurs d’Armement, un Groupe de quatre pays (Royaume-Uni,
Allemagne, France, Italie ou G 4) se réunit pour coordonner ses positions et
travailler sur les dossiers bilatéraux. En réaction, cette pratique (non
officielle mais bien établie) entraîne des alliances temporaires entre les nonmembres européens du G 4 et les Etats-Unis. Ceci n’empêche pas, toujours
avant la réunion de la CDNA, le G 4 de se transformer en G 5 (les quatre
plus les Etats-Unis).
En ce qui concerne la coopération industrielle, les débats de la CDNA sont
actuellement centrés sur l’analyse du document NIAG, « Moyens
d’améliorer la coopération entre les industries de défense de l’OTAN –
phase 2 » 65 . Constat sévère, ce rapport révèle les blocages sur le sujet66 .
63
64
65
66
Voir le « Manuel de l’OTAN », chapitres 8 et 13 (www.nato.int).
« Réexamen des activités de l’OTAN dans le domaine des armements », Communiqué
de presse (97) 43 du 17 avril 1997.
Document OTAN AC/259 (INV) D (98) 7 (2ème révision) / NIAG (INV) D (98) 4
(2ème révision) du 11 janvier 1999.
Ainsi, une des recommandations du rapport (§ 29) stipule que : « Le présent document a
montré que les pays perçoivent différemment la façon de mener la coopération
transatlantique et lui fixent des objectifs différents. Les tentatives précédentes pour
résoudre ces questions ont échoué parce qu’elle étaient fondamentalement orientées vers
une solution générale ne tenant pas compte des tous les aspects du problème».
Christophe Cornu 75
L’exploitation du rapport est difficile, en raison notamment de fortes
réserves avancées par certains pays pour élaborer une liste d’obstacles aux
flux de matériels entre les deux rives de l’Atlantique.
L’OTAN fournit également le cadre juridique international pour les agences
de gestion de programmes d’armement et de soutien logistique 67 .
L’assistance pour les questions industrielles est assurée par un groupe
consultatif OTAN (« NATO Industrial Advisory Group »), qui rassemble
des délégations des groupements professionnels des industries de 17 Etats
membres de l’Alliance.
Le bilan des activités de la fonction armement de l’Alliance est contrasté. Si
la gestion des programmes est fructueuse, les domaines de la planification
d’armement et de la normalisation ne sont pas des réussites, notamment
parce que ces sujets restent de la responsabilité des Etats. Ainsi, les forces
de l’OTAN au Kosovo ou en Bosnie (KFOR et SFOR) mettent en œuvre des
matériels très différents d’une armée à une autre, rendant le soutien plus
coûteux et compliqué. Des standards sont certes définis, mais les armées ont
des difficultés à les respecter. Tantôt l’armée américaine utilise une norme
de nouvelle génération non encore validée par l’Alliance, tantôt certaines
armées européennes n’ont pu appliquer une norme péniblement agréée par
le comité OTAN compétent 68 . Par ailleurs, au sein de l’OTAN il n’existe pas
de groupe de travail transversal visant à harmoniser les besoins
opérationnels des différentes armées, mais simplement des réflexions
conduites par les différents Comités dans leurs sphères de compétence
respectives (défense aérienne, système de communications, etc.).
L’OTAN éprouve beaucoup de difficultés à concrétiser le lien
transatlantique dans le domaine armement. En fait, il existe peu de
programmes en coopération entre les deux rives de l’Atlantique. En
revanche, cette enceinte apparaît particulièrement favorable aux initiatives
entre Européens (exemples : programme d’avion de combat EFA 2000 qui
67
68
On peut citer, entre autres, la NETMA (agence de gestion OTAN pour le Tornado et
l’ACE 2000-EFA), la NAHEMA (agence pour l’hélicoptère NH 90), le BGOH (bureau
de gestion pour l’amélioration du système sol-air HAWK), la NAMSO (organisation
d’approvisionnement et d’entretien).
Voir Ed. Foster, « Imbalance of Power », Jane’s Defence Weekly, 5 janvier 2000 et
Damian Kemp, « Industry cooperation vital for interoperability », Jane’s Defence
Weekly, 2 février 2000.
76 Entre coopération et concurrence
regroupe Royaume-Uni, Allemagne, Italie et Espagne et programme
d’hélicoptère NH 90 qui rassemble Allemagne, France, Italie et Pays-Bas).
Il reste à savoir si l’Initiative sur les Capacités de Défense (ou Defence
Capability Initiative, DCI) pourra véritablement améliorer ce bilan
transatlantique mitigé 69 .
UEO/GAEO : un laboratoire d’essais
Suite au traité de Maastricht, une fonction armement a été créée à l’Union
de l’Europe occidentale au travers du GAEO (Groupe Armement de
l’Europe occidentale) qui hérite des travaux du GEIP (créé en 1976 dans le
cadre de l’OTAN). Dans le même temps (1993/1994), le transfert des
Eurogroupes en provenance de l’OTAN permettait à l’UEO de disposer
notamment d’un groupe de réflexion sur les plans militaires à long terme et
les besoins opérationnels des armées (Eurolongterm).
Eurolongterm a réalisé un travail de fond sur de nombreux sujets (partage
multinational des tâches, travaux sur les missions de Petersberg, etc.) y
compris avec les comités spécialisés du GAEO. Mais la question de
l’harmonisation des besoins militaires futurs est restée sans réponse UEO
concrète, tant au sein d’Eurolongterm (les discussions portent actuellement
sur la redéfinition du mandat du groupe), que lors des débats politiques au
Conseil, où les Etats impliqués ne peuvent se mettre d’accord sur la mise en
œuvre des propositions d’Eurolongterm70 .
Le GAEO, quant à lui, constitue un forum intergouvernemental visant à
développer plus efficacement la coopération européenne en matière
d’armement. Il est le seul organisme européen dans ce domaine à se réunir
69
70
Voir le Communiqué de Presse NAC-S (99) 69 du 25 avril 1999 ; « Strategic Policy
Issues », Strategic Survey 1998/1999, IISS, Londres, pp. 21-31 ; Brooks Tigner,
« Europe’s Military Capabilities Will Fall Behind US In Next Decade, say Experts »,
Defense News, 21 février 2000 et le dossier spécial sur l’ICD « Bridging the Gap, Will
the DCI Succeed ? A Bridge too Far ? », Jane’s Defence Weekly, 14 juin 2000.
Voir le rapport très complet du parlementaire O’Hara : « La coopération en matière
d’armement dans la construction future de l’Europe de la Défense – Réponse au rapport
annuel du conseil », Commission technique et aérospatiale, Assemblée parlementaire de
l’UEO, n. 1671, Paris, 10 novembre 1999 et le document « Harmonisation des besoins
opérationnels futurs », CM (99)18, Conseil des Ministres de l’UEO de Brême,
10 mai 1999.
Christophe Cornu 77
au niveau des ministres de la Défense. Composé actuellement de
19 membres71 , le GAEO conduit des travaux sur trois volets de la politique
européenne d’armement (harmonisation des programmes et des besoins
opérationnels ; coopération en matière de recherche technologique ; ouverture des marchés). Son bilan reste pourtant modeste et il constitue plutôt un
forum de discussion et un laboratoire pour tester des procédures. Victime de
son système décisionnel (fonctionnement au consensus et pas de règles
contraignantes) et de la pusillanimité de ses membres, le GAEO n’a pu
donner une impulsion décisive à la coopération européenne72 .
Les travaux sur l’Agence européenne de l’Armement (AEA), confiés au
GAEO suite au Traité de Maastricht, ont été également décevants73 . Les
Etats participant au groupe ad hoc sur l’AEA (créé en 1994) ont rapidement
divergé sur l’objectif final et sur les compétences de la future Agence. Les
partisans d’une solution pragmatique et peu contraignante s’opposaient aux
défenseurs d’une vision plus globale 74 . L’enlisement des débats a finalement
poussé l’Allemagne et la France à lancer en décembre 1995 un projet
bilatéral hors GAEO : la structure d’armement franco-allemande. Fonctionnant sur des principes de coopération nouveaux (cinq principes dits de
Baden Baden75 ), celle-ci allait donner naissance, un an plus tard, à l’OCCAR
(voir ci-après).
71
72
73
74
75
Depuis le 13 novembre 2000 (Conseil des ministres de l’UEO), 6 nouveaux pays sont
devenus membres du GAEO (Autriche, Finlande, Hongrie, Pologne, Suède et
République tchèque).
Voir les conclusions du rapport du Président des Directeurs Nationaux d’Armement du
GAEO, « Amélioration du fonctionnement du GAEO » (23 septembre 1996) ; débattu
par les Ministres de la Défense du GAEO lors de la réunion ministérielle de l’UEO
(Ostende, 19 novembre 1996), ce rapport est resté sans effets.
Voir la déclaration n. 30 relative à l’UEO annexée au Traité (§ 5 : « une coopération
renforcée en matière d’armement, en vue de créer une agence européenne des
armements. … » ) ; www.weu.int/weag.
Voir « Shopkeepers versus strategists », The Economist, 8 avril 1995, p. 74 ; Olivier
Provost, « Europe de l’Armement : le projet est menacé », La Tribune Desfossés,
19 juillet 1995 et IGA Emile Blanc, « Le GAEO, un outil pour construire l’Europe de
l’Armement », l’Armement, n. 50, décembre 1995/janvier 1996, pp. 74-81 et « L’Europe
de l’armement, hier, aujourd’hui et demain », l’Armement, n. 61, mars 1998, pp. 121127.
Ces cinq principes sont les suivants : obtention du meilleur rapport côut/efficacité pour
les programmes ; coordination des besoins militaires à long terme ; mise en concurrence
pour les acquisitions ; coopération industrielle basée sur un équilibre global multiprogrammes et pluriannuel ; ouverture aux autres pays sous rés erve d’acceptation des
78 Entre coopération et concurrence
Parallèlement, le 19 novembre 1996 (réunion ministérielle de l’UEO
d’Ostende), les pays du GAEO choisissent la proposition minimale du
rapport du groupe ad hoc sur l’AEA et créent l’Organisation de l’Armement
de l’Europe occidentale (OAEO). Les compétences de cette dernière se
limitent aux projets multilatéraux de R&D militaire 76 . A ce jour, l’OAEO
gère plusieurs programmes 77 , qui représentent, depuis 1990, un budget
cumulé de 400 milliards d’euros (ou 3 % de la R&D européenne) dont 75
milliards d’euros en 2000. Les perspectives d’évolution de l’OAEO
résulteront de l’issue des discussions actuelles, qui portent notamment sur la
possibilité de lancer des « projets fermés » et sur l’éventuelle dévolution par
les Etats des budgets de R&D à l’Organisation.
En attendant, les travaux sur l’AEA se poursuivent laborieusement sous la
forme de discussions sur un « Plan directeur pour une Agence européenne
de l’Armement » 78 .
L’OCCAR : pour une meilleure gestion des programmes
Elargissant la structure d’armement franco-allemande de 1995, l’Organisme
conjoint de la Coopération en matière d’Armement (OCCAR) est crée le 12
novembre 1996 et accueille la Grande-Bretagne et l’Italie. L’Organisme est
transformé en Organisation par la signature le 9 septembre 1998 d’une
convention. L’OCCAR est la première organisation européenne de gestion
de programme d’armement, mais ses missions ont plus de portée 79 .
76
77
78
79
principes énoncés (déclaration sur la nouvelle organisation de la coopération francoallemande du 7 décembre 1995, Baden-Baden).
L’OAEO peut théoriquement se transformer à terme en Agence européenne
d’Armement (extraits de sa Charte (§ 12) : «Lorsque les ministres des pays du GAEO
auront décidé que les conditions permettant de passer à la mise en place d’une Agence
européenne d’armement à part entière seront réunies, ( …) »).
EUCLID (depuis 1990), EUROFINDER (1996), THALES (1996) et SOCRATE (1998).
Ce plan a été adopté par les ministres de la Défense du GAEO et officialisé par la
déclaration du Conseil des ministres de l’UEO de Rome (17 novembre 1998) ;
www.weu.int/weag.
Article 7 de la Convention de 1998 : « L’OCCAR a pour mission de coordonner, de
conduire et de faire exécuter les programmes d’armement qui lui sont confiés par les
Etats membres, de coordonner et de promouvoir des activités communes de préparation
de l’avenir améliorant ainsi l’efficacité de la conduite des programmes en coopération
en matière de coûts, de délais et de performance ». Voir Etudes Juridiques,
Christophe Cornu 79
Disposant de la personnalité juridique (indispensable pour passer des
contrats), ses principes de fonctionnement visent à établir :
•
•
•
•
une réelle complémentarité industrielle et technologique entre les quatre
pays ;
la mise en place de principes communs d’acquisition (mise en concurrence suivant des règles identiques à élaborer) ;
un renoncement au calcul analytique de juste retour industriel programme par programme au profit d’un équilibre global pluriannuel sur
plusieurs programmes ;
la constitution d’équipes intégrées transnationales (à la fois étatiques et
industrielles).
Pour les futurs membres, l’entrée dans l’OCCAR suppose l’acceptation des
ces principes et la participation à un programme au moins de coopération
significatif80 .
Ces principes sont novateurs par rapport aux mécanismes de coopération
utilisés jusqu’alors. Ils ne comportent pas de dispositions particulières visant
à constituer un bloc fermé, même si une priorité est donnée aux pays
OCCAR. Certes, l’article 6 de la Convention de 1998 mentionne la
préférence donnée aux matériels développés au sein de l’OCCAR. Mais on
ne saurait reprocher à des pays d’acheter le matériel pour lequel ils ont
consenti des efforts budgétaires. Cet article 6 constitue, plutôt qu’une
mesure protectionniste, un facteur stabilisant pour les programmes en
coopération, souvent fragilisés par le désengagement d’un partenaire. Le
paragraphe 3 de l’article 24 dispose même que la mise en concurrence peut
être étendue à l’extérieur des pays membres du GAEO (sous condition de
réciprocité).
La structure OCCAR constitue une des voies explorées vers la création
d’une véritable Agence européenne de l’Armement. En effet, l’article 8 de
la Convention dispose que l’OCCAR peut se voir confier d’autres fonctions
que la gestion de programmes : R&D, étude de besoins opérationnels, etc.
80
« L’OCCAR », n. 19, janvier 2000 par la Direction des Affaires juridiques / Secrétariat
général pour l’Administration, ministère de la Défense, Paris, pp. 57 ss.
Voir IGA Jean Fournet, « Vers une Europe de l’Armement solidaire et efficace :
l’OCCAR », Armées d’Aujourd’hui, n. 219, avril 1997, p. 47.
80 Entre coopération et concurrence
Le potentiel de l’OCCAR, encore sous-exploité, ouvre de nombreuses
possibilités aux Etats.
Toutefois, la future institutionnalisation de la structure soulève un certain
nombre de questions inédites. D’une part, il sera nécessaire de réaliser le
transfert vers la nouvelle organisation de toutes les charges et obligations
des différentes administrations nationales qui étaient autrefois gestionnaires
des programmes. D’autre part, il conviendra de vérifier si le système de
règles utilisées par l’OCCAR dans sa gestion des programmes (passation
des marchés, etc.) est compatible avec le droit communautaire, qui peut être
invoqué en cas de litige. A ce jour, la question reste sans réponse claire 81 .
L’OCCAR trouvera sa pleine justification à la condition d’être dotée de
fonctions plus larges, de voir transformé son mode de fonctionnement
interne et, surtout, d’être en charge de nouveaux programmes. Or les
conditions ne sont pas aujourd’hui réunies : un certain nombre de limites
résultant de la conception apparaissent ouvertement. La gestion des budgets
reste nationale et le contrôle financier dévolu aux directeurs de programmes,
empêchant la direction générale d’avoir une vue globale des flux financiers
de l’Organisation et de calculer un juste retour véritablement multiprogrammes. De plus, les quatre Etats fondateurs ne confient pas tous leurs
projets à l’organisation (même ceux qui répondent aux critères OCCAR :
frégate Horizon, satellites, etc.) et l’OCCAR se borne à recevoir la gestion
d’un programme sans possibilité d’intervention en amont (pas de choix du
« prime contractor » ni de mise en concurrence des équipementiers). En
résumé, l’OCCAR demeure un acteur incomplet du théâtre de l’Europe de
l’armement 82 .
Les incidences de la création de l’OCCAR pour les relations transatlantiques peuvent néanmoins être doubles. En Europe, l’existence de
l’OCCAR représente un moyen de mieux gérer les ressources budgétaires et
de générer des économies pour ses membres. L’OCCAR exerce aussi une
force d’attraction pour les autres pays. Ainsi, les Pays-Bas et la Belgique ont
demandé à adhérer et la Suède a également manifesté son intérêt. Avec de
nouveaux membres, les éléments d’une dynamique de coopération accrue se
81
82
Voir Etudes Juridiques, op. cit. dans note 78, p. 25.
Voir le compte rendu du séminaire du groupe de réflexion sur les industries de défense
par Burkard Schmitt (4ème session, « Vers une demande européenne commune des
biens de défense », Institut d’Eudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 10 décembre 1999.
Christophe Cornu 81
mettraient en place. Toutefois, pour que l’OCCAR reste attractive, certains
principes devront être assouplis. Pour les pays qui ne peuvent ou ne
souhaitent pas participer à plusieurs programmes, le mécanisme de
l’article 5 de la Convention devra être adapté. Ce dernier construit en effet
un mécanisme pour impliquer les pays dans plusieurs projets, mais apparaît
assez rigide pour les pays européens moyens producteurs. Une possibilité
d’arriver à plus de souplesse serait d’appliquer le juste retour sur un seul
programme, mais sur toute la vie de celui-ci. (Selon ce modèle, le pays A
aura, par exemple, une plus grande partie du travail lors de la phase de
développement, tandis que le pays B obtiendra une partie plus importante
dans la phase du maintien au service). Cette version limitée du juste retour
est envisagée pour l’avion de transport A 400 M afin de concilier la participation de la Turquie et la Belgique avec la gestion du programme par
OCCAR. Elle serait moins idéale que l’idée initiale, mais plus souple en
permettant de combiner une participation plus large (et donc un volume
final de commandes plus important) avec une répartition du travail selon les
capacités industrielles des participants.
Pour les Etats-Unis, ce regroupement entre pays européens peut comporter
trois conséquences. La première est de voir les pays traditionnellement
importateurs de matériel américain réduire leurs achats aux Etats-Unis. Suite
à la participation au programme A 400 M, la Turquie et la Belgique, par
exemple, risquent de ne plus être acheteurs du C 130 américain. Devenant
membres de l’OCCAR ou en y étant associés, ils peuvent même se
détourner d’autres matériels américains puisqu’ils sont incités à participer à
d’autres projets OCCAR (article 5 de la Convention) sauf si les modalités
du juste retour globalisé sont adaptées. La seconde conséquence, plus
prospective, serait la création pour les industriels américains, d’une porte
d’entrée « unique » vers l’Europe. Ceci permettra de simplifier les
mécanismes de dialogue obligeant les Etats-Unis à négocier avec un
partenaire plus fort (et non plus avec plusieurs administrations différentes).
L’OCCAR serait devenu alors l’Agence européenne d’Armement dotée
d’une palette complète de compétences. Enfin, ultérieurement, les
différentes agences d’acquisition américaines pourraient instaurer un
dialogue avec l’OCCAR dans la perspective d’un nouvel équilibre dans les
futures relations transatlantiques. En effet, on peut penser que les nouvelles
confrontations transatlantiques pourraient « opposer » les groupes industriels installés de chaque coté de l’Atlantique et les gouvernements.
82 Entre coopération et concurrence
La LoI : accompagner les restructurations industrielles
Suite à leur déclaration conjointe du 20 avril 199883 , les ministres de la
Défense de six pays – l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, le
Royaume-Uni et la Suède – ont signé une lettre d’intention (LoI) le
6 juillet 1998, dont l’objectif est de définir un cadre fixant les mesures
prises par les États pour accompagner les restructurations de l’industrie de
défense. Les experts des six pays ont travaillé sur un rapport qui, remis le
30 juin 1999, a décidé les ministres à rechercher un accord juridiquement
contraignant pour six domaines particuliers 84 .
Ce mouvement constitue la première tentative globale de rationalisation des
réglementations internes des six pays qui représentent environ 80% des
budgets d’acquisition en Europe et 90% des capacités industrielles européennes. La tentative est ambitieuse. Dans le même esprit que celui qui
préside aux mécanismes de l’OCCAR pour la gestion de programmes, cette
LoI doit faire converger les systèmes juridiques des six pays et peut inspirer
à terme les travaux de l’Union européenne85 .
L’enjeu est de taille : il est clair que les nouvelles sociétés transnationales ne
peuvent pleinement exploiter leurs atouts, que si l’Europe crée un espace
économique de défense homogène. A cet égard, la LoI est sans doute un
premier pas significatif en avant. Les faiblesses de l’accord sont pourtant
évidentes : dans le domaine des exportations, par exemple, les six Etats
établissent un mécanisme de gestion, mais n’essaient même pas de
83
84
85
Voir Annexe C (cette prise de position est une conséquence de la déclaration tripartite –
France, Allemagne, Royaume-Uni – du 9 décembre 1997).
Voir Annexe D. Ces 6 domaines sont : 1) préservation de la sécurité d’approvisionnement des Etats ; 2) simplification des procédures et adoption de règles communes
pour le contrôle des exportations ; 3) harmonisation et simplification des procédures
relatives à la sécurité des informations classifiées ; 4) coordination des programmes et
des financements en matière de recherche et développement ; 5) accès facilité aux
informations techniques dans les cas de restructurations transnationales, et harmonisation des procédures, réglementations et législations relatives aux droits de propriété
intellectuelle ; 6) harmonisation des besoins militaires (processus de planification et
d’acquisition des matériels de défense) ; voir Douglas Barrie : « European Giants to
Unify Industrial policies », Defence News, 17 avril 2000.
Pour une analyse de fond, voir Burkard Schmitt, op. cit. dans note 41.
Christophe Cornu 83
surmonter leurs divergences classiques sur la politique d’exportation86 . Il
reste également à savoir dans quelle mesure cet accord pourra faire avancer
la coopération européenne dans les domaines où les progrès sont
traditionnellement très laborieux (surtout la R&T et l’harmonisation des
besoins).
Toutefois, la LoI a une crédibilité indéniable. Les réactions d’inquiétude et
de nervosité des partenaires américains lors de la signature officielle du
document au salon de Farborough 2000 sont un signe révélateur de sa portée
potentielle 87 . Il semble que, vu des Etats-Unis, le dispositif européen évolue,
nécessitant une nouvelle approche des relations transatlantiques 88 . Face à
l’initiative de la LoI, les Américains développent des contre-stratégies
(diviser le front des adversaires en choisissant un partenaire privilégié : la
Grande-Bretagne ; proposer des offres globales avec de nouvelles modalités
de coopération).
Ainsi la signature le 5 février 2000 à Munich d’une déclaration portant sur
les principes de la coopération industrielle entre les Etats-Unis et la GrandeBretagne 89 peut provoquer de nombreuses interférences tant politiques
(facteur de division au sein des six pays de la LoI), industrielles (traitement
privilégié des sociétés britanniques par l’administration américaine) ou
juridiques (conflit entre les différentes dispositions de la LoI et les futurs
arrangements américano-britanniques). L’initiative DTSI (17 mesures),
annoncé en mai 2000 est de même nature 90 . Mais ces mesures très globales,
et plutôt destinées à améliorer les procédures internes américaines91 , tardent
à se concrétiser.
86
87
88
89
90
91
Voir Douglas Barrie, « European Giants to Unify Industrial Policies », Defence News,
17 avril 2000 ; Douglas Barrie et Colin Clark, « European Industry Calls Export policy
floated », Defence News, 31 juillet 2000.
Alexander Nicoll, « European Countries Set to Sign Security Pact », Financial Times,
24 juillet 2000.
Voir Joseph Fichett, « US seeks more Defence Technology cooperation with
European », International Herald Tribune, 14 juin 1999 ; Thierry Gadault, « Les EtatsUnis autorisent les alliances transatlantiques dans la défense », La Tribune,
8 juillet 1999.
Voir Annexe A. David Buchan et Alexander Nicoll, « Pentagon deal could help defence
group », Financial Times, 7 février 2000.
Voir la déclaration du secrétaire d’Etat américain lors de la réunion du Conseil de
l’Atlantique Nord de Florence des 24-25 mai 2000 ; www.nato.int/docu/speech/2000.
Voir le chapitre de Gordon Adams.
84 Entre coopération et concurrence
Les mécanismes instaurés par la LoI sont novateurs et s’apparentent à des
coopérations renforcées (comme ceux de l’OCCAR). Mais cette approche
peut apparaître trop complexe et trop lourde. En effet, les six pays devront
notamment modifier leur système juridique interne (sous des délais difficiles
à prévoir) alors que l’UE fournit des instruments immédiatement
utilisables 92 .
L’Union européenne : enceinte de référence, de cohérence et de mise en
œuvre ?
Paradoxalement, si les questions d’armement ont été marginalisées au cours
de la construction européenne (article 296 du TUE) et ne sont l’objet
d’aucune stratégie globale de l’Union, de nombreux éléments constitutifs
d’une véritable politique existent : des modèles théoriques, des budgets et
certains domaines de compétence 93 . A ce titre, il faut bien constater que,
malgré la réserve des certains Etats, seule l’UE, qui est dotée d’un droit
contraignant, peut fournir un cadre de cohérence et d’action.
Des modèles théoriques
Dès 1978, le rapport parlementaire du député européen Egon Klepsch
proposait un modèle avec, entre autres, la création d’une Agence
européenne de l’Armement, la mise en concurrence des marchés publics de
défense, l’harmonisation des règles d’exportation hors des Communautés
européennes et un soutien aux industries d’armement (projets de R&D,
fonds structurels)94 . On peut aussi rappeler que la Commission européenne a
proposé un système global dans le cadre de sa Communication de 1997
intitulée « Mettre en oeuvre la stratégie de l’Union en matière d’industries
liées à la défense » avec des propositions pour 14 domaines de la politique
92
93
94
Voir le compte rendu du séminaire du groupe de réflexion sur les industries de défense
par Burkard Schmitt (3ème session : « Les négociations LoI, première évaluation » ,
Institut d’Eudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 27 septembre 1999.
Hervé Dumez et Alain Jeunemaître, « Le cadre institutionnel de la restructuration des
industries d’armement – une comparaison Etats-Unis/Europe », Revue Gérer et
Comprendre, Annales des Mines (septembre 1999).
Egon Klepsch, « Report on European Armaments Procurement Cooperation »,
European Parliament Working Document, n. 83/78, 8 mai 1978.
Christophe Cornu 85
d’armement 95 . Enfin, le Conseil dispose d’une vision complète sur le sujet
au travers des conclusions du rapport très complet rendu en 1995 par un
groupe informel d’experts UE/UEO-GAEO (trois chapitres : politique européenne d’armement, politique européenne d’exportation d’armement et
mesures conjointes dans le domaine des approvisionnements) 96 .
Des éléments de budget
En montants cumulés, l’Union européenne consacre entre 1,5 et 2 milliards
d’euros par an aux questions liées à l’armement sous deux formes
principales : d’une part, les fonds structurels qui soutiennent financièrement
l’accompagnement social et économique des bassins industriels touchés par
les restructurations (« Objectif 2 : reconversion économique et sociale des
zones en difficultés structurelles ») ; d’autre part, une partie des budgets
consacrés à la recherche et la technologie dans le Programme Commun de
Recherche & Développement ou PCRD (on peut citer, par exemple, les
« chapitres aéronautiques » du 5ème PCRD)97 .
Des compétences issues des Traités
Au sein de l’Union, les trois acteurs institutionnels principaux (Parlement,
Commission et Conseil) interviennent selon les compétences qui leur sont
dévolues par les traités.
Le Parlement européen constitue la caisse de résonance de la sensibilité
publique européenne sur l’armement et la défense. Au travers d’auditions ou
95
96
97
Les 14 doma ines sont : transferts intra-communautaires, statut d’entreprise européenne,
marchés publics, R&D, normalisation, droits de douane, innovation, transfert de
technologie et PME, concurrence, exportation, fonds structurels, fiscalité directe et
indirecte, principes d’accès au marché, étalonnage des performances, élargissement.
Voir « Mettre en œuvre la stratégie de l’Union en matière d’industries liées à la
défense », Bruxelles, COM (97) 583 final du 12 novembre 1997.
Groupe informel d’experts UE/UEO-GAEO chargés d’étudier les « options d’une
politique européenne d’armement », Bruxelles, WEAG (95) 05 du 3 juillet 1995 ou
Annexe II du document du Conseil de l’Union européenne, n. 9458/95.
Voir Commission européenne, « Rapport général sur l’activité de l’Un ion européenne –
1999 », Bruxelles, 1er semestre 2000, 568 pages (www.europa.eu.int) et en particulier
les § 318 (pour les Fonds Structurels) & § 253 ss. (pour le 5ème PCRD).
86 Entre coopération et concurrence
de rapports, les parlementaires interviennent dans ce domaine, mais sans
grande portée concrète jusqu’ici98 . Toutefois, le Parlement est pleinement
impliqué dans le processus budgétaire de l’Union, notamment au travers de
la procédure de codécision, y compris pour les sujets relatifs à la PESC.
La Commission européenne est dotée de plus larges pouvoirs que le
Parlement et, s’appuyant sur le fait que l’industrie d’armement est « aussi
une industrie », intervient de façon croissante sur les domaines de sa
compétence (notamment dans le domaine des fusions/acquisitions, du
contrôle à l’exportation des biens et technologies à double usage et du Tarif
douanier commun – TDC). Sa dernière Communication propose une
approche globale du dossier armement de cette question avec notamment un
projet de « position commune relative à l’élaboration d’une Politique
européenne d’armement » soutenu par un plan d’action99 . En raison de son
monopole d’initiative réglementaire, le rôle de la Commission sera
fondamental.
Par ailleurs, la Commission est pleinement impliquée (contributeur
financier, pilote du projet) dans la gestion de programmes pouvant avoir des
retombées dans le domaine armement. Ainsi, elle joue un rôle moteur dans
la définition d’une politique spatiale européenne et dans sa mise œuvre par
le soutien qu’elle apporte à des projets importants notamment en liaison
avec l’Agence spatiale européenne (satellite de navigation « Galiléo »,
observation de la terre) 100 .
Mais ce rôle reste limité par la volonté des Etats et l’équilibre des relations
établies avec le Conseil et le Parlement 101 . Deux exemples opposés illustrent
98
99
100
101
On peut citer notamment le rapport de Gary Titley à propos de la communication de la
Commission sur les défis auxquels sont confrontées les industries européennes liées à la
défense (PE n. 219.812 du 6 mars 1997) et le rapport de Léo Tindemans sur l’établissement progressif d’une Politique de Défense commune de l’Union européenne
(PE n. 224.862 du 30 avril 1998).
Voir op. cit. dans note 96.
Voir Commission européenne, « Renforcer la cohérence de l’approche européenne de
l’espace », Bruxelles, SEC(1999)789, final du 7 juin 1999 ; ce document fait suite à
trois communications sur les questions spatiales (1988, 1992 et 1996) ;
http://europa.eu.int/comm/jrc/space
Voir Luke Hill and Brooks Tigner, « EU Armaments Reforms Stalled », Defense News,
20 décembre 1999.
Christophe Cornu 87
ce propos 102 . Le TDC de l’UE prévoit théoriquement l’application de droits
de douanes pour les équipements militaires ou à double usage. En fait, des
exonérations de droits de douanes du TDC sont accordées unilatéralement
par les Etats membres. Pour la Commission, cette pratique se situait donc en
contradiction avec les règles communautaires. Ne pouvant empêcher les
Etats d’accorder des exonérations, elle a choisi, pour reprendre l’initiative
sur ce dossier et pour remettre le droit en accord avec la réalité, de
soumettre au Conseil une proposition de règlement, visant à suspendre
temporairement les droits de douanes sur certains armements et équipements
militaires 103 . Le Conseil n’ayant pas répondu à la Commission, les Etats
membres pratiquent toujours des exonérations unilatérales au TDC.
A l’inverse, dans le domaine de l’exportation des biens et technologies à
double usage, la Commission est incontournable. Le règlement de 1995 sur
ce sujet fonctionnait déjà selon un régime « transpilier » (coopération entre
le 1er et le 2ème pilier) : le règlement de la Commission (1er pilier ) fixait
tous les principes tandis que « l’action commune » du Conseil104 (2ème
pilier) déterminait les listes de matériels et de pays destinataires. Un
nouveau régime a été adopté en juin 2000, inspiré d’une philosophie
différente : les principes et les listes relèvent de la seule Commission.
Désormais, l’industriel qui aurait à utiliser ce règlement peut l’invoquer
devant la Cour de justice des Communautés européennes en cas de litige.
Seule la délivrance des licences d’exportation reste dévolue aux Etats dans
la mesure ou la Commission ne dispose pas d’agence compétente pour ce
domaine technique (application du principe de subsidiarité).
Le Conseil européen reste l’enceinte d’élaboration d’une politique
européenne au travers de ses deux groupes de travail principaux POLARM
(groupe « POLitique européenne d’ARMement ») et COARM (groupe
« exportations d’armement conventionnelles »). Animés par la présidence en
exercice de l’UE, ces groupes de travail du Conseil réunissent les représentants des 15 Etats membres et la Commission.
102
103
104
Pour les interventions de la Commission en matière de fusions/acquisitions industrielles
touchant les domaines de l’armement et de l’aéronautique, voir les informations de la
Direction générale concurrence de la Commission (http://europa.eu.int/comm).
COM (88) 502 final (JOCE n. C 265 du 12.10.1988, p. 9).
Sur la base de l’article J.4 du Traité de Maastricht (aujourd’hui article 14 du Traité sur
l’Union européenne).
88 Entre coopération et concurrence
Créé en 1995, suite au rapport du groupe informel d’experts UE/UEOGAEO, le POLARM avait exploré de nombreux sujets (transferts intracommunautaires, spécificité du secteur armement, exportation, sécurité
d’approvisionnement). Mais son bilan est globalement faible. Ainsi, dans le
cadre de ce groupe, les 15 Etats membres avaient la possibilité d’adopter
pour la première fois une « position commune sur une politique européenne
d’armement » sur proposition de la Commission (cf supra) 105 . Ce projet a
été peu à peu vidé de son contenu. Les 15 Etats membres avaient de
nombreuses divergences de vues : proposition prématurée, opportunité
politique contestée d’une position UE sur une telle question, nécessité de
définir préalablement une politique de défense commune, querelles de
compétences entre le Conseil et la Commission. Le Conseil Affaires
générales du 15 novembre 1999 s’est donc borné à prendre note des travaux
du groupe, en soulignant l’importance de cette question dans le cadre de la
PECSD et en demandant au POLARM de poursuivre ses travaux sans lui
fixer d’objectifs précis 106 .
La création en 1993 du groupe COARM témoigne de l’intérêt des différents
acteurs européens pour l’exportation d’armements. Ses activités, à dominante technique, concernent essentiellement l’exportation des biens et
technologies à double usage et l’harmonisation des politiques d’exportation
vers les pays tiers. Le COARM s’appuie notamment sur le cadre général
fourni par les huit critères à l’exportation, définis par les Conseils de
Luxembourg (29 juin 1991) et de Lisbonne (26 et 27 juin 1992)107 , qui ont
servi de base au Code de Conduite adopté par le Conseil en juin 1998. Ce
Code de Conduite, qui discipline les ventes aux pays tiers, est la première
105
106
107
Proposition déposée sur la base de l’article J.2 du Traité de Maastricht (ou article 12 du
TUE) dans le cadre de sa communication « Mettre en œuvre al stratégie de l’Union en
matière d’industries liées à la défense » (Bruxelles, COM (97) 583 final du
12 novembre 1997).
Depuis, le groupe a vu son rythme de réunions se ralentir fortement.
1) respect des engagements internationaux des Etats membres, 2) respect des droits de
l’Homme dans le pays de destination finale, 3) situation intérieure dans le pays de
destination finale, 4) préservation de la paix et de la stabilité régionales, 5) sécurité
nationale des Etats membres, 6) comportement du pays acheteur à l’égard de la
communauté internationale, 7) existence d’un risque de détournement à l’intérieur du
pays acheteur, et 8) compatibilité des exportations d’armement avec la capacité
technique et économique du pays destinataire.
Christophe Cornu 89
manifestation d’un engagement du Conseil sur ce sujet sensible 108 . Il
s’appuie sur deux éléments principaux : une série de critères pour délimiter
les cas où ces exportations sont à éviter et un engagement politique, selon
lequel un Etat membre ne remplacera pas un autre Etat membre dans une
livraison que ce dernier aurait refusée. Il donne lieu à un rapport annuel
public sur les exportations européennes (point 8 du dispositif du Code).
Pour compléter ce dispositif, les 15 Etats membres se sont mis d’accord
(13 juin 2000) au Conseil sur la liste commune d’équipements militaires de
référence pour l’application du Code 109 . Cette liste pourrait d’ailleurs constituer un précédent pour d’autres aspects du dossier armement au sein de
l’Union européenne 110 .
Toutefois, avec ce Code, le Conseil s’est limité à un engagement de type
politique. Il n’a pas choisi de puiser dans les instruments plus contraignants
mis à sa disposition par la PESC : stratégie commune (objet de recommandations comportant objectifs, durée et moyens à fournir par l’Union article 13 du TUE), action commune (article 14 du TUE) ou encore position
commune (article 15 du TUE).
Avec les compétences des trois acteurs principaux (Parlement européen ,
Commission et Conseil) et leurs réalisations récentes, un premier dispositif
d’une politique européenne d’armement est en place. Il demeure toutefois
embryonnaire. La politique européenne d’armement reste donc clairement
un dossier piloté par les gouvernements. Seule une impulsion politique
pouvait permettre à ces éléments épars de se développer selon des objectifs
structurés.
Des nouveaux champs d’action pour l’Union européenne
En vertu des conclusions des sommets de Cologne (juin 1999), d’Helsinki
(décembre 1999), Feira (juin 2000) et de Nice (décembre 2000), l’UE s’est
108
109
110
Voir Documents Europe, n. 2092 / Document Atlantique, n. 104 du 12 juin 1998 et
Jacques Isnard « Vers un contrôle européen des exportations d’armes », Le Monde,
4 mai 2000.
Déclaration du Conseil 2000/C 191/1 du 8 juillet 2000.
Une autre liste de matériels militaires (datant de 1958 et confidentielle) est annexée à
l’article 296 du TUE. Dans la perspective d’une actualisation éventuelle de cette liste
obsolète, les Etats pourraient directement utiliser celle adoptée en juin 2000. Le Conseil,
statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut modifier cette liste.
90 Entre coopération et concurrence
dotée de nouveaux outils politico-militaires dans le cadre de la Politique
européenne commune de Sécurité et de Défense (PECSD) 111 . Bien que ces
décisions ne constituent pas une base juridique suffisante permettant de
développer une politique globale en matière d’armement, elles renouvellent
profondément le cadre de cette coopération : les 15 Ministres de la Défense
peuvent désormais se réunir en Conseil et l’Union s’engage politiquement
sur un objectif concrets de capacités militaires (l’objectif global de 2003)112 .
A ce titre, dans le cadre de cohérence que représente l’Union européenne,
ces deux innovations peuvent entraîner plusieurs conséquences dans le
domaine de l’armement :
•
•
•
111
112
113
possibilité d’utiliser pleinement toute la palette des mécanismes de l’UE
(définition des priorités politiques - 2ème pilier / dispositions
contraignantes - 1er pilier) permettant d’échapper aux lacunes et insuffisances mises en lumière dans d’autres organisations (OTAN, UEOGAEO) ;
répercussions de l’objectif global de 2003 sur le secteur de l’armement ;
en effet cet objectif appellera des engagements complémentaires pour
l’équipement de forces (planification d’armement, projets de R&D,
normalisation) 113 ;
à terme, banalisation de la matière armement qui deviendra dans l’UE un
sujet « comme un autre ».
Ces nouveaux outils sont : un Comité politique et de Sécurité (COPS), un Comité
militaire de l’UE (CM UE) et un Etat-Major de l’UE (EM UE). Voir François
Heisbourg (nombreuses contributions), « Défense européenne : la mise en oeuvre »,
Cahiers de Chaillot n. 42, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris,
septembre 2000.
Pour l’ensemble des missions de Petersberg (§ 2 de l’article 17 du TUE), il s’agit d’être
en mesure de projeter 50 000 à 60 000 hommes dans un délai de 60 jours à une distance
de plusieurs milliers de km avec les éléments de protection navale et aérienne
nécessaires et d’être capable de soutenir ces forces pendant une année (conclusions du
sommet de l’UE d’Helsinki ; communiqué de presse n. 300/99).
Voir les réflexions du ministre de la Défense français lors de son audition devant la
Commission de la Défense de l’Assemblée nationale qui estimait que l’objectif global
de 2003 pouvait conduire à un embryon de programmation européenne. A ce stade,
environ 10% des dépenses d’équipement des différents pays européens seraient
concernées (Paris, 20 septembre 2000).
Christophe Cornu 91
Plusieurs scénarios alternatifs peuvent être alors imaginés, dont :
•
•
•
le développement progressif au sein de l’UE d’une politique d’armement
soutenant la réalisation de l’objectif global de 2003 ;
la construction, indépendamment de l’objectif global de 2003 mais à
partir du nouveau cadre de la PECSD, d’une politique européenne
d’armement complète qui mettrait en cohérence et développerait les
outils UE existants ;
le maintien et le développement, en marge de l’UE, d’outils (type
OCCAR) ou d’agences pouvant être intégrés le moment venu dans
l’UE.
En termes budgétaires, et quel que soit le scénario retenu, le développement
d’une politique européenne d’armement pourrait être articulé avec de grands
engagements politiques d’Etats volontaires (stabilisation des budgets de la
défense, renoncement à réaliser des matériels sur base exclusivement
nationale, seuil minimum consacré à la recherche).
Il pourrait aussi être envisagé d’utiliser le cadre UE pour prendre en charge
budgétairement certaines opérations (militaires et humanitaires) ou certains
programmes d’armement 114 . Cette prise en charge résulterait :
•
•
•
soit d’un transfert d’une partie des budgets nationaux concernés vers
l’UE (création d’un budget spécifique) ;
soit d’une augmentation des ressources propres de l’UE ;
soit de nouveaux arbitrages internes si l’enveloppe budgétaire de
l’Union reste constante.
Dans les deux derniers cas, des marges de manœuvre budgétaires internes
seraient ainsi dégagées pour les Etats membres, facilitant l’adaptation des
structures nationales tant dans le domaine militaire (coût de la
professionnalisation des armées) que dans le secteur de l’armement (accompagnement social des restructurations industrielles, rationalisation des
centres d’essais européens).
114
Il conviendrait alors d’amender les règles actuelles de financement de la PESC
(article 28 du TUE).
92 Entre coopération et concurrence
Ces mécanismes gagneraient à être inscrits dans les documents de
programmation nationale « européanisés » ou même élaborés en coopération
entre les partenaires européens volontaires. Dans cette perspective, et pour
dépasser le stade des « convergences limitées » ou « des coopérations
renforcées » (voir les exemples de l’OCCAR et de la LoI), la véritable
révolution pour l’UE serait de créer une ligne budgétaire « défense »,
pouvant être utilisée pour des programmes d’armement.
L’Union européenne peut fournir le cadre de cohérence de la politique
européenne d’armement notamment dans sa dimension normative. Mais à ce
stade, il manque un accord des nations sur l’objectif final (création d’une
Agence européenne d’Armement ? gestion des questions armement par le
1er pilier ? par le 2ème pilier ? quels budgets ? quelle implication du Parlement européen ?) et surtout un architecte pour réaliser le projet.
Conclusion
Les débuts de convergences constatées dans plusieurs domaines de la
fonction armement ne constituent pas encore un dispositif cohérent apte à
être comparé à la « Forteresse USA ». Ces convergences apparaissent
encore hésitantes et le concept nécessite à la fois des travaux d’approfondissement et une meilleure présentation vis à vis de l’opinion publique européenne, compte tenu de ses incidences budgétaires 115 . D’ailleurs, les
responsables officiels ont de plus en plus tendance à substituer à cette
expression, trop contraignante, celle de « critères de cohérence » qui paraît
plus souple. Il s’agit, en effet, de rationaliser les ressources disponibles
plutôt que d’augmenter les budgets de défense 116 .
115
116
Voir Alyson J. K. Bailes, « European defence: what are the convergence criteria? »,
RUSI Journal, juin 1999, pp. 60-65 ; voir aussi sur ce sujet la contribution de André
Dumoulin, « Le concept de convergence, les ambitions », Colloque « Défense
européenne : le concept de convergence », organisé à l’initiative du ministre de la
Défense belge avec l’Ecole royale militaire et l’Institut royal supérieur de Défense,
Palais d’Egmont, Bruxelles, 28-29 mars 2000 et Pierre Lefèvre, « Le prix de la défense
commune », Le Soir, 31 mars 2000 .
Voir « Strategic Policy Issues », Strategic Survey, London, IISS, 1998/99, pp. 21-31 et
John Dowdy, « Of Arms and the Men Who Budget for them », The Wall Street journal
Europe, 27 juillet 2000.
Christophe Cornu 93
On assiste, on l’a vu, à deux types d’évolution : des restructurations industrielles rendues nécessaires par la concurrence américaine et des initiatives
gouvernementales en faveur d’un renforcement de la politique européenne
de sécurité et de défense. Les Etats européens ne peuvent toutefois assumer
collectivement et ouvertement le projet d’une forteresse Europe. Ce dernier
serait, en effet, politiquement difficile à afficher au sein de l’Alliance
atlantique. Même si l’armement constitue un secteur particulièrement
sensible, l’idée de forteresse, avec ses connotations protectionnistes, entre
aussi en contradiction flagrante avec le discours économique de la libre
concurrence. D’ailleurs, les industriels s’en défendent : « Notre volonté
n’est pas d’ériger une forteresse franco-allemande ni de l’invoquer. Encore
moins d’opposer une forteresse européenne à une forteresse américaine »117 .
On peut même penser que le projet d’une forteresse serait contre-productif :
dans un tel contexte, les entreprises seraient peu incitées à mener des
politiques innovantes de R&D et à maîtriser leurs coûts. Elles ne pourraient
rester compétitives par rapport à la concurrence internationale. A ce jour,
l’équilibre transatlantique pourrait être trouvé dans la mise en place d’un
marché européen de l’armement fonctionnant dans l’esprit du Buy American
Act : si un producteur américain cherche à vendre un système en Europe,
une partie de la production devrait se faire sur place, soit par implantation
d’une filiale de la société dans le(s) pays considéré(s), soit par l’utilisation
d’une société locale selon des modalités à définir (second source).
Pourtant, en pratique, les mouvements des dernières années sont
susceptibles de conduire à l’émergence sinon d’une forteresse, du moins
d’une « Force Europe » mieux intégrée. L’évolution politique et industrielle
converge vers ce résultat. En outre, on peut anticiper un effet accélérateur
des restructurations industrielles sur l’intégration politique européenne. Les
regroupements devraient, en effet, aboutir à la constitution, dans tous les
secteurs, de groupes trans-européens puissants. Le risque existe alors pour
les Etats européens de se trouver face à des situations de monopoles
industriels sur lesquels ils auront peu de prise. Les gouvernements européens doivent donc, dans le même temps, gérer le processus d’intégration
117
Philippe Camus & Rainer Hertrich, « EADS ou l’ambition de faire gagner l’Europe »,
Le Monde du 8 juin 2000.
94 Entre coopération et concurrence
européenne, qui a sa propre dynamique, et définir les capacités d’armement
réellement nécessaires pour leur sécurité.
Pour conjurer les risques de monopole industriel et rester en cohérence avec
leurs décisions politiques antérieures, les Etats n’auront alors d’autre choix
rationnel que d’accélérer leur processus d’intégration politique. Bien qu’insuffisantes, les dernières décisions des sommets de l’UE vont dans ce sens.
Chapitre Trois
LES PERSPECTIVES D’UNE INDUSTRIE DE DEFENSE
TRANSATLANTIQUE
Andrew D. James1
Depuis quelques années, il est de plus en plus souvent suggéré que la
consolidation de l’industrie de défense pourrait prendre une dimension
transatlantique. Pour les partisans d’une coopération accrue à travers
l’Atlantique, qui soulignent les dangers d’une mentalité de forteresse d’un
côté comme de l’autre, une véritable industrie de défense transatlantique
renforcerait les relations politiques au sein de l’OTAN, améliorerait
l’interopérabilité militaire et réduirait les coûts d’acquisition2 . Mais, s’il
existe de bonnes raisons politiques et stratégiques de resserrer les liens
industriels, ce sont, en définitive, les décisions commerciales des entreprises
qui modèleront le paysage d’une industrie transatlantique. Autrement dit, les
gouvernements peuvent définir l’orientation politique et les conditions
réglementaires, mais l’évolution réelle de la coopération industrielle sera
déterminée par les sociétés elles-mêmes.
1
2
L’auteur remercie, pour leurs commentaires utiles sur les avant-projets de ce chapitre,
les personnes suivantes : Alexandra Ashbourne (Centre for European Reform,
Londres), Jeffrey Roncka (Global Technology Partners, Washington, DC) et Stefan
Tornqvist (FOA, Stockholm).
Voir entre autres : Alexandra Ashbourne, « Trans-atlantic defense alliances best idea
for Europe », Defense News, 23 août 1999, p. 15 ; John Deutch, Arnold Kanter et Brent
Scowcroft, « Saving NATO’s foundation », Foreign Affairs 78, 6, (1999), pp. 54-67 ;
Charles Grant, « Transatlantic alliances and the revolution in military affairs », dans
Gordon Adams et al., Europe’s Defence Industry: A Transatlantic Future?, Centre for
European Reform, Londres, 1999 ; Joseph S. Nye, « The US and Europe: continental
drift? », International Affairs vol. 76, n. 1, 2000, pp. 51-59. Ces arguments ont
également été avancés par de nombreuses personnalités du gouvernement américain.
Voir, par exemple, Felix Rohatyn, « European defense restructuring and transatlantic
cooperation », remarques de l’ambassadeur Felix Rohatyn, Conférence sur l’industrie
de l’armement organisée par Les Echos, Paris, 15 avril 1999 et Jacques S. Gansler,
« Globalization and National Defense: Challenges and Opportunities », discours lors de
la NDIA Globalization Conference, Washington, DC, 1er mai 2000.
96 Entre coopération et concurrence
Le présent chapitre montre qu’il existe des signes d’intensification des
relations industrielles ; menées principalement par les entreprises, celles-ci
se développent à partir de liens déjà établis grâce à de précédents programmes de coopération. L’histoire suggère pourtant que d’importants obstacles
politiques, réglementaires et commerciaux jalonnent le chemin et que le
resserrement des liens sera forcément un processus prudent : à court terme,
les relations industrielles s’élargiront et s’approfondiront très probablement
à travers des coopérations sur des programmes spécifiques, des alliances
stratégiques et des joint ventures ainsi que des acquisitions de petite ou
moyenne envergure. En revanche, les spéculations chroniques de certains
commentateurs sur d’éventuelles fusions entre les grands systémiers américains et européens manquent de réalisme dans le contexte actuel.
III.1 L’histoire de la coopération industrielle
Au cours des cinquante dernières années, les relations industrielles de
défense à travers l’Atlantique ont considérablement évolué. Les projets
intergouvernementaux, lancés pendant la guerre froide dans le but surtout de
renforcer les capacités militaires européennes, ont progressivement laissé la
place à des accords purement industriels et déterminés par des calculs
commerciaux d’accès aux marchés. Tout au long de cette période, la
coopération transatlantique a été caractérisée par la suprématie des EtatsUnis et la crainte européenne d’une hégémonie américaine.
Les programmes intergouvernementaux
Les relations transatlantiques en matière d’industrie de défense ont une
longue histoire. Durant les premières décennies qui ont suivi la seconde
guerre mondiale, les Etats-Unis ont exercé un leadership incontesté dans les
technologies et les industries militaires de pointe. L’Europe peinait à
reconstruire son économie dévastée, la majeure partie de son industrie
d’armement était moribonde ou détruite, et les anciennes puissances de
l’Axe se voyaient interdire par traité la reconstruction d’une base industrielle de défense indépendante. Pour répondre à cette situation, les EtatsUnis donnaient ou vendaient des équipements militaires à leurs alliés en
Europe. L’objectif était de soutenir l’OTAN et de mettre en place une
défense conventionnelle crédible face à la menace d’une invasion par le
Andrew D. James 97
Pacte de Varsovie 3 . Ainsi, les années 1950 et 1960 ont vu les Etats-Unis
accorder des licences aux pays européens pour la production d’un certain
nombre de systèmes d’armes : le chasseur F-104 à l’Allemagne, la Belgique,
les Pays-Bas, et l’Italie ; l’avion de combat F-4 au Royaume-Uni ; le char
d’assaut M-60 à l’Italie et les missiles Sidewinder et Hawk à plusieurs alliés
européens 4 .
Au cours des années 1970, de nouvelles formes de coopération se sont
développées pour répondre aux préoccupations croissantes de l’OTAN au
sujet de la standardisation, de la rationalisation et de l’interopérabilité des
équipements, mais aussi au désir des Européens de rééquilibrer les échanges
transatlantiques. Ainsi, dans le cadre d’un accord de coproduction, l’avion
de combat F-16, développé par les Etats-Unis, a été fabriqué en Belgique et
aux Pays-Bas pour plusieurs partenaires européens (Danemark et Norvège,
puis Grèce et Turquie). Ces partenaires ont obtenu une partie du travail
d’assemblage pour l’ensemble de la production européenne et américaine 5 .
Pendant les trois décennies suivantes, toute une série d’autres initiatives
intergouvernementales ont été prises pour promouvoir la coopération en
matière d’armement au sein de l’OTAN ; mais elles se soldèrent toutes par
un succès plutôt limité, lorsque ce ne fut pas un échec. Le concept de
« famille d’armes », selon lequel un groupe de pays développerait et
produirait tout un éventail de systèmes d’armes similaires, est alors apparu.
En 1978, les alliés décidèrent pour les missiles que les Etats-Unis
dirigeraient le développement d’un membre de la famille (l’AMRAAM –
advanced medium range air-to-air missile, missile air-air moyenne portée)
et que les Européens se chargeraient de l’autre (l’ASRAAM – advanced
short range air-to-air missile, missile air-air courte portée). Les deux parties
étaient censées s’acheter mutuellement ces matériels, mais les dépassements
de coûts et de délais coulèrent les programmes 6 .
3
4
5
6
Jeffrey Becker, « The future of Atlantic defense procurement », Defense Analysis,
vol. 16, n. 1, 2000, pp. 9-32. William W. Keller, Arm in Arm – The Political Economy
of the Global Arms Trade, BasicBooks, New York, 1995.
Richard A. Bitzinger, « The globalization of the arms industry », International
Security, vol. 19, n. 2, automne 1994, pp. 170-198 ; Elisabeth Sköns, « Western
Europe: internationalization of the arms industry », dans H. Wulfs (dir.), Arms Industry
Limited, Oxford University Press for SIPRI, Oxford, 1993.
Voir Richard A. Bitzinger et Elisabeth Sköns, op. cit. dans note 4.
Trevor Taylor, «Transatlanticism versus regional consolidation », dans David G.
Haglund et S. Neil MacFarlane (dir.), Security, Strategy and the Global Economics of
98 Entre coopération et concurrence
De même, à la fin des années 1980, le gouvernement américain s’engagea
dans plusieurs projets transatlantiques, dits « de l’amendement Nunn ».
Certains d’entre eux, comme le remplacement de la frégate OTAN
(NFR 90), le programme AGPM (Autonomous Precision-Guided Munition,
munition à guidage autonome de précision) et le MSOW (Modular StandOff Weapon, arme modulaire tirée à distance de sécurité) furent rapidement
abandonnés. Leur échec illustre la difficulté d’harmoniser les besoins
militaires et la faiblesse de l’engagement politique des gouvernements
impliqués 7 .
Peu impressionnés par tous ces problèmes, les principaux responsables de
l’administration Clinton soutinrent, eux aussi, la coopération transatlantique.
Cet engagement se manifesta notamment par trois programmes spécifiques,
dont le JSF (Joint Strike Fighter) – le projet le plus ambitieux que
Washington ait jamais ouvert à la coopération (Royaume-Uni, Danemark,
Norvège, Pays-Bas et Canada, entre autres). Les Etats-Unis ont également
adhéré au programme MIDS (Multifunctional Information Distribution
System – système multifonction de diffusion de l’information) permettant
l’intégration de la communication, de la navigation et de l’identification
(France, Allemagne, Italie et Espagne) 8 . Le troisième programme intergouvernemental lancé au début de la présidence Clinton est le MEADS
(Medium Extended Air Defence System – système de défense aérienne
élargie à moyenne portée). Ce dernier illustre parfaitement les difficultés
que peut poser ce type de coopération industrielle.
L’origine du MEADS date de la fin des années 1980, lorsque l’US Army et
le Marine Corps (CORPSAM) lancèrent une initiative commune afin de
remplacer le système de défense aérienne HAWK. En février 1995, la
France, l’Allemagne, l’Italie et les Etats-Unis signèrent une déclaration
d’intention en vue de coopérer à ce programme, alors rebaptisé MEADS9 .
Cependant, des difficultés allaient rapidement apparaître. Le congrès américain ayant d’emblée considéré le MEADS comme une duplication partielle
7
8
9
Defence Production, McGill-Queen’s University Press, Montreal & Kingston, 1999.
Voir également Richard A. Bitzinger, op. cit. dans note 4.
William W. Keller, op. cit. dans note 3.
Robert P. Grant, « Transatlantic Armament Relations Under Strain », Survival 39, n. 1,
printemps 1997, pp. 111-137.
Scott Gourley, « USA may withdraw from joint MEADS programme », Jane’s Defence
Weekly, 14 octobre 1998, p. 8.
Andrew D. James 99
d’autres programmes nationaux de défense anti-balistique plus importants,
le Pentagone dut faire un lobbying intense pour en obtenir le financement,
même très réduit 10 . Simultanément, avant même la signature du protocole
d’accord en avril 1996, la France, ayant réduit son budget d’équipement, se
retira du projet 11 . Ce dernier fut ainsi restructuré en un projet tripartite, avec
une répartition des travaux et des coûts de développement de 60% pour les
Etats-Unis, 25% pour l’Allemagne et 15% pour l’Italie.
D’autres problèmes allaient suivre. En septembre 1998, le Congrès
suspendait le financement du MEADS. Bien qu’influencée par de nombreux
facteurs, cette décision refléta pour une large part le scepticisme de certains
services du Pentagone à l’égard de ce programme. Alors que les officiels du
ministère de la défense affichaient publiquement leur soutien au projet, ils
n’avaient pas suffisamment défendu son financement – faisant état de son
coût et de son double emploi avec d’autres systèmes américains déjà en
service 12 . La participation financière des Etats-Unis demeura incertaine tout
au long de l’année suivante. En mai 1999, MEADS International – joint
venture entre Lockheed Martin, DASA et Alenia Marconi Systems –
remporta l’appel d’offre américain, mais les coûts du projet demeurèrent
une pomme de discorde entre le Pentagone et le Congrès 13 .
Les réductions de financement provoquèrent également des dissensions sur
les spécifications du système. Ainsi, l’US Army, estimant que l’idée initiale
de développer un nouveau missile d’interception serait trop coûteuse, opta
pour le missile Patriot PAC-3. Cette décision engendra de nouvelles
tensions, Allemands et Italiens voyant d’un très mauvais œil que la
coopération transatlantique se limite, une fois de plus, au simple achat de
technologie américaine. Les partenaires européens finirent par accepter sous
la pression du Pentagone, qui menaçait de suspendre tout financement en
cas de refus 14 . A son tour, l’utilisation du PAC-3 divisa à nouveau les
partenaires au sujet, cette fois, du transfert de technologie. Les Etats-Unis
10
11
12
13
14
Robert P. Grant, op. cit. dans note 8.
Ibid. ; Scott Gourley, op. cit. dans note 9.
Lisa Burgess et Colin Clark, « US MEADS cutback shocks Germany, Italy », Defense
News, 5-11 octobre 1998, p. 4.
Greg Seigle, « US spending row puts MEADS in jeopardy », Jane’s Defence Weekly,
25 août 1999, p. 3.
Colin Clark and George Seffers, « US security restrictions hinder MEADS
cooperation », Defense News, 18 octobre 1999, pp. 1-98.
100 Entre coopération et concurrence
exigeaient l’autorisation de mener des inspections de sécurité sur les sites de
production allemands et italiens, tout en proposant l’usage de boîtes noires
afin de protéger la technologie américaine. Le gouvernement allemand,
considérant le MEADS comme un test de la bonne volonté américaine dans
le domaine du transfert technologique, rejeta énergiquement ces propositions. L’impasse ne fut surmontée qu’après huit mois de négociations
parfois tendues 15 . En résumé, l’expérience du MEADS montre à quel point
le transfert de technologie est une question délicate pour les relations industrielles transatlantiques et les limites de l’engagement politique que suscite
le plus souvent ce type de programmes.
La coopération d’origine industrielle
Alors que les projets intergouvernementaux étaient problématiques, les
coopérations d’origine industrielle se sont, quant à elles, multipliées pendant
les années 1990. Différentes alliances stratégiques s’établirent entre les deux
rives de l’Atlantique. Par exemple, General Dynamics Corp. et British
Aerospace s’allièrent au début de la décennie pour coopérer dans le secteur
des véhicules blindés 16 . Lockheed Martin et l’italien Alenia créèrent un joint
venture pour développer l’avion de transport tactique C-27J 17 . De plus, en
avril 2000, DASA/EADS et Northrop Grumman signèrent un protocole
d’accord en vue d’examiner les possibilités de coopération en matière de
défense 18 . Parallèlement, le nombre d’investissements directs européens aux
Etats-Unis a augmenté. Entre 1988 et 1992, soixante firmes d’armement
américaines auraient été vendues – principalement à des entreprises
européennes – pour une somme d’environ dix milliards de dollars. Ces
transactions inclurent l’acquisition en 1988 de la division des systèmes
électroniques de Singer par l’anglais Plessey et la vente de Fairchild Space
& Defense au français Matra (1989)19 .
15
16
17
18
19
Colin Clark, « Germany, US resolve MEADS tech dispute », Defense News,
29 mai 2000, pp. 1-35.
Voir Richard A. Bitzinger et Elisabeth Sköns, op. cit. dans note 4.
Pierre Sparaco, « US, Europe explore transatlantic partnerships », Aviation Week &
Space Technology, 13 septembre 1999, pp. 37-38.
John D. Morrocco, « EADS, Northrop Grumman broaden cooperative links », Aviation
Week & Space Technology, 12 juin 2000, pp. 35-36.
Chiffres cités dans William W. Keller, op. cit. dans note 3.
Andrew D. James 101
Cependant, le développement de tels liens industriels n’a pas toujours été
serein. Ainsi, Matra finit par revendre Fairchild en 1996 parce que les
réglementations américaines en matière de sécurité entravaient trop sa
liberté d’action et de gestion20 . Thomson-CSF, rebaptisé Thales en
décembre 2000, subit un échec encore plus cuisant au début des
années 1990, lors de sa tentative d’acquisition de la division missiles de
l’américain LTV. Lorsque le groupe français – en consortium avec
l’avionneur américain Hugues – fut déclaré adjudicataire, les deux autres
entreprises en lice, Martin Marietta et Lockheed, réagirent immédiatement
en se lançant dans une intense campagne de lobbying au Congrès. Les
comités concernés examinèrent le dossier, et sous la pression de parlementaires influents, Thomson finit par retirer son offre 21 . Certes, le cas de
LTV Missile fut exceptionnellement médiatisé, mais il met en évidence les
sensibilités politiques que risque d’exacerber tout investissement étranger
dans la base industrielle de défense d’un pays, en particulier quand ce type
de transaction menace les intérêts économiques de puissants concurrents
locaux.
Cet épisode troubla sans aucun doute les relations franco-américaines et ne
fit que renforcer les suspicions françaises à l’égard d’une forteresse
américaine. Mais il ne mit pas fin pour autant aux acquisitions européennes
aux Etats-Unis. Pendant les années 1990, des compagnies britanniques en
particulier prirent le contrôle d’activités industrielles américaines importantes. Ainsi, en 1994, Rolls-Royce racheta Allison Engine Company, un
motoriste militaire majeur 22 . L’autorisation donnée en 1998 par le gouvernement américain à GEC Marconi d’acquérir la compagnie d’électronique de
défense Tracor fut encore plus importante. A l’époque, de nombreux
analystes considérèrent cette approbation comme une véritable percée
politique, en raison surtout de la nature des technologies développées par
Tracor et de l’implication de celui-ci dans plusieurs programmes de défense
et de renseignement américains hautement sensibles.
Au cours des années 1990, la coopération industrielle revêtit encore d’autres
formes. En particulier, les grands systémiers firent de plus en plus souvent
20
21
22
Voir Richard A. Bitzinger, op. cit. dans note 4.
Idem.
Rolls Royce était le 31ème fournisseur du Pentagone en 1998, avec des contrats
totalisant 345 millions de dollars. Il vend des réacteurs pour deux projets angloaméricains : l’avion AV-8 Harrier et l’avion d’entraînement T-45.
102 Entre coopération et concurrence
appel aux fournisseurs de l’autre rive de l’Atlantique pour s’approvisionner
en sous-systèmes et en composants 23 . Pour ces produits, le marché
transatlantique fut estimé à plus de onze milliards de dollars en 1997, avec
des ventes européennes aux Etats-Unis représentant 6,1 milliards de
dollars24 . Cette somme résulte en grande partie des arrangements de
compensation pour des ventes américaines d’équipements en Europe. Ainsi,
pour les F-16 achetés par l’US Air Force, les équipements européens
correspondaient à 10% de la valeur des avions25 . Les composants américains
jouent aussi un rôle important dans les systèmes européens. Litton Industries, par exemple, estime à 1 million de dollars la valeur de l’avionique
qu’il fournit pour chaque Eurofighter, soit par des ventes directes soit par
ses filiales européennes 26 . Le Gripen suédois dépend, quant à lui, pour des
sous-systèmes et des composants essentiels, de plus d’une douzaine de
fournisseurs étrangers, y compris des Américains Lockheed Martin,
Sundstrand, Honeywell et General Electric 27 .
Le nouvel environnement transatlantique
Au cours des cinquante dernières années, les Etats-Unis ont presque
toujours dominé les relations transatlantiques en matière d’industrie de
défense. Le spectre d’une hégémonie américaine inquiétait l’Europe depuis
longtemps, mais dès le milieu des années 1990, la taille des compagnies
issues de la consolidation aux Etats-Unis devint une réelle obsession pour
les décideurs européens. Lorsque, en 1998, l’échec de la fusion de Lockheed
Martin avec Nothrop Grumman sonna le glas de la consolidation aux EtatsUnis, l’attention se tourna vers les possibilités de restructuration transatlantique. L’impression était, sur chaque rive, que les nouveaux géants
américains prendraient les rênes de ce processus, et certains commentateurs
européens avertirent alors sans ambages de la menace imminente d’une
23
24
25
26
27
Andrew D. James, Medium Sized Defence Electronics Companies and US Defence
Industry Restructuring, FOA Defence Research Establishment, Stockholm, avril 2000.
International Institute for Strategic Studies, The Military Balance 1998/99, Oxford
University Press for The International Institute for Strategic Studies, Oxford, 1999.
William W. Keller, op. cit. dans note 3.
Andrew D. James, op. cit. dans note 23.
Maria Andersson et Johan Lilliecreutz, Supply Chain Strategies and Sub-Tier
Structures, FOA User Report, FOA Defence Research Establishment, Stockholm,
mars 2000.
Andrew D. James 103
hégémonie américaine. Marconi Electronic Systems, mis en vente à
l’époque par le groupe britannique GEC, fut le premier objet de
spéculations : serait-il intégré dans un joint venture avec Northrop
Grumman ou Lockheed Martin, serait-il acquis par l’un des deux,
fusionnerait-il avec l’un ou l’autre ? 28 . Le Pentagone – et en particulier le
secrétaire adjoint John Hamre – affirma son soutien au renforcement de la
coopération transatlantique, et l’administration commença à réviser les
réglementations pour gérer ce qui s’annonçait comme un flux croissant
d’arrangements industriels 29 .
Marconi fut finalement racheté par British Aerospace, transaction anglobritannique qui en déçut plus d’un de part et d’autre de l’Atlantique. Au
Pentagone, différents hauts responsables y virent un revers pour la
coopération transatlantique et un pas de plus vers la forteresse Europe 30 . Sur
le continent européen, cette opération provoqua une vive réaction de la part
de DASA – qui avait courtisé British Aerospace – et ne fit que renforcer la
conviction de certains observateurs que le Royaume-Uni s’intéressait plus
aux relations transatlantiques qu’à la coopération européenne31 . Par réaction,
Aerospatiale-Matra, DASA et CASA entamèrent des négociations qui
allaient conduire à la formation d’EADS32 . Ces deux événements
modifièrent sans aucun doute les termes du débat sur les relations transatlantiques en matière d’industrie de défense. En ce qui concerne le chiffre
d’affaire et la gamme d’activités, BAE Systems et EADS sont tout à fait
comparables aux géants américains. Avec Thales (anciennement ThomsonCSF), ils représentent les trois pôles du nouveau paysage industriel de
28
29
30
31
32
Alexander Nicoll, « Gunning for top spot in defence’s complicated game », Financial
Times, 5-6 décembre, p. 21 ; Daniel Bogler, « Transatlantic target comes within range
of GEC », Financial Times, 9 décembre, p. 26 ; « Locking on to Lockheed », Financial
Times, 31 décembre, p. 20.
Bryan Bender, « USA moves to pave way for easier Europe links », Jane’s Defence
Weekly, 23 décembre 1998, p. 19.
Voir les commentaires de John Hamre, cités par Thomas E. Ricks et Anne-Marie
Squeo, « Pentagon urges caution involving trans-atlantic mergers », Wall Street
Journal, 27 octobre 1999 et les commentaires analogues de Jacques Gansler, soussecrétaire à la Défense pour l’acquisition et la technologie.
Voir Alexandra Ashbourne, « Introduction », dans Adams et al., op. cit. note 2.
Burkard Schmitt, « De la coopération à l’intégration : les industries aéronautique et de
défense en Europe », Cahiers de Chaillot, n. 40, Institut d’Etudes de Sécurité de
l’UEO, Paris, juillet 2000.
104 Entre coopération et concurrence
défense en Europe et sont les principaux protagonistes de toute coopération
transatlantique future.
III.2
Les pressions économiques
L’impact de cette évolution sur les relations industrielles entre les deux rives
de l’Atlantique a inévitablement donné lieu à nombreuses spéculations. Les
entreprises de défense nouvellement consolidées en Europe et leurs
homologues aux Etats-Unis sont fortement poussées, pour des raisons
économiques, à développer leurs activités internationales. Dans ce contexte,
les relations transatlantiques représentent sans doute une dimension clé de
leur stratégie.
Les limites budgétaires
Les industries de défense, tant américaines qu’européennes, ont intérêt à
internationaliser leurs activités surtout parce que les marchés nationaux ne
leur offrent pas des débouchés suffisants. Depuis la fin de la guerre froide,
les budgets de défense des Etats européens se sont réduits comme peau de
chagrin. De 1989 à 1998, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni (58%
au total de l’ensemble des dépenses de défense en Europe occidentale
en 1998) ont amputé leurs budgets de 12, 28 et 24% respectivement 33 . La
majorité des gouvernements européens pourraient même éprouver des
difficultés politiques à maintenir leurs budgets de défense à ce niveau réduit,
notamment s’ils veulent continuer à satisfaire les critères de Maastricht
concernant la dette publique. De plus, les Européens doivent gérer des
priorités opposées : professionnalisation des forces armées et modernisation
des équipements avec des budgets qui stagnent, voire diminuent 34 . Aucun
Etat européen n’a l’intention de suivre l’exemple américain et d’accroître
ses dépenses de défense (surtout en ce qui concerne l’acquisition) au cours
des cinq prochaines années. En fait, même aux Etats-Unis – qui ont, pour la
33
34
Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI Yearbook 1999, Oxford
University Press for SIPRI, Oxford, 1999.
International Institute for Strategic Studies, op. cit. dans note 22 ; Douglas Barrie,
« Defense budgets remain tight throughout Europe », Defense News,
20 décembre 1999, p. 26 ; « The European way of defence », The Economist,
24 juin 2000, p. 23.
Andrew D. James 105
première fois depuis la fin de la guerre froide, prévu une augmentation
soutenue et durable du budget de défense –, les industries continueront
d’avoir des difficultés à fournir les résultats qu’attendent leurs actionnaires.
L’expansion par fusions ayant pris fin, les sociétés américaines ont du mal à
augmenter les taux de croissance pour leurs activités militaires, et Wall
Street ne croit pas vraiment à leur capacité d’utiliser les technologies de
défense pour se diversifier dans le civil. C’est pourquoi elles cherchent de
plus en plus à gagner de nouveaux contrats militaires en accroissant leur
dimension internationale 35 .
L’accès aux marchés et aux programmes
Compte tenu des tendances budgétaires, il y aura peu de nouveaux
programmes d’armement dans un avenir prévisible et les programmes
existants risquent d’être revus à la baisse, voire abandonnés. Il est donc
essentiel pour les industries de défense de participer à autant de nouveaux
programmes que possible et de réduire leur dépendance vis-à-vis d’un seul
gouvernement client ou d’un contrat spécifique. D’où l’importance pour ces
entreprises d’être présentes sur les marchés tant américains qu’européens, et
de gagner une part croissante des marchés tiers 36 .
Afin de compenser, au moins en partie, le déclin de leurs marchés
nationaux, les entreprises de défense américaines et européennes ont ainsi
poursuivi des stratégies d’exportation agressives, se livrant à une compétition au coude à coude parfois frénétique dans les pays tiers37 . Cependant,
du fait de leur taille, les marchés américains et européens sont inévitablement au centre des nouvelles stratégies commerciales. Compte tenu de la
spécificité de l’armement, toute société souhaitant participer aux grands
programmes doit être présente localement. Sur le marché américain, les
barrières opposées aux ventes directes ne laissent aux entreprises
35
36
37
Voir Andrew D. James, Post-Merger Strategies of the Leading US Defence Aerospace
Companies, FOA Defence Research Establishment, Stockholm, décembre 1998 et
Andrew D. James, op. cit. dans note 23.
Keith Hayward, « The globalisation of the defence business », dans Gordon Adams et
al., op. cit. dans note 2.
Jens Van Scherpenberg, « Transatlantic competition and European defence industries: a
new look at the trade-defence linkage », International Affairs vol. 73, n. 1, 1997,
pp. 99-122.
106 Entre coopération et concurrence
européennes d’autre choix que d’acquérir des sociétés locales pour pouvoir
accéder aux programmes du Pentagone. En revanche, les groupes
américains ont eu pendant longtemps accès aux marchés européens – voie à
sens unique (one-way street) en matière d’armement que les Européens
n’ont cessé de déplorer. Ils reconnaissent cependant de plus en plus que
dans le futur, de simples compensations ne suffiront plus pour gagner des
contrats en Europe. Ils accordent ainsi une importance accrue à la
constitution de solides alliances avec des partenaires locaux, soutenues par
un transfert significatif de technologie américaine, afin de répondre aux
conditions imposées par les Européens pour participer à leurs
programmes 38 .
Le partage des coûts et des risques
Comme la conception et le développement des systèmes d’armes modernes
représentent à la fois des défis technologiques complexes et des montages
financiers de plus en plus importants, les sociétés cherchent à partager les
coûts et les risques impliqués39 . Toute entreprise – aux Etats-Unis comme
en Europe – aura, en effet, de grandes difficultés à réunir seule les fonds et
les capacités technologiques nécessaires pour développer de tels systèmes.
En conséquence, même les plus grands fournisseurs américains se tournent
vers l’international pour partager le financement d’un programme, accéder à
des technologies non américaines et trouver de nouvelles sources de
capitaux. Les entreprises européennes, quant à elles, espèrent accéder, à
travers les liens transatlantiques, aux technologies américaines, qui leur
permettraient de répondre plus facilement aux spécifications de programmes
européens.
III.3
L’impact sur les options stratégiques
Les entreprises n’auront toutefois pas le champ libre pour développer des
stratégies commerciales adaptées au nouvel environnement. Leurs options
stratégiques seront influencées par plusieurs facteurs étroitement liés, qui
38
39
Voir Andrew D. James, op. cit. dans note 23. Les programmes britanniques ASTOR et
BVRAAM illustrent très bien ces nouvelles stratégies d’appel d’offre.
Voir « Linking Arms : A Survey of the Global Defence Industry », The Economist,
14 juin 1997 et Burkard Schmitt, op. cit. dans note 32.
Andrew D. James 107
détermineront sans doute à la fois l’importance et la nature de leurs liens
avec des partenaires de l’autre côté de l’Atlantique.
La volonté politique
La volonté des décideurs et des hommes politiques de soutenir le
développement d’une industrie de défense transatlantique sera capitale pour
les décisions des sociétés. Etant donné la spécificité de l’industrie de
défense, les entreprises seront toujours très sensibles au contexte politique et
ne prendront aucune initiative sans s’être assurées du soutien des hauts
responsables des parlements, des forces armées ou des ministères de la
défense nationaux.
A bien des égards, c’est le gouvernement américain qui a mené le jeu dans
ce domaine, le Pentagone plaidant très ouvertement pour une coopération
industrielle de défense entre les deux rives de l’Atlantique. Trois facteurs
ont déterminé ses initiatives politiques. Tout d’abord, l’idée qu’une
ouverture du marché américain aux fournisseurs européens pouvait renforcer la concurrence et faire contrepoids à la domination de certains
secteurs par Boeing, Lockheed Martin et Raytheon. Ensuite, le souhait
d’empêcher l’émergence d’une forteresse Europe où les groupes américains
seraient exclus des programmes d’équipement européens. Enfin, la
conviction qu’une coopération industrielle transatlantique permettrait
d’accroître l’interopérabilité des forces de l’OTAN.
Certains industriels reprochèrent néanmoins au Pentagone d’avoir envoyé
des signaux contradictoires sur sa politique à l’égard de la mondialisation.
Ainsi, en juillet 1999, Jacques Gansler affirmait que le ministère de la
défense était ouvert à la perspective de voir une entreprise européenne
fusionner ou acheter tout ou partie de l’un des grands acteurs industriels
américains. D’après M. Gansler, les sociétés de second rang telles que
Northrop Grumman, TRW et General Dynamics pouvaient faire l’objet
d’alliances, de joint ventures ou de fusions 40 . Les observations de John
Hamre en octobre 1999 semblèrent toutefois marquer un changement
d’attitude. M. Hamre soutenait en effet qu’il était prématuré de s’attendre à
40
Bryan Bender, « USA seeking solutions to globalisation trend », Jane’s Defence
Weekly, 31 mars 1999, p. 20.
108 Entre coopération et concurrence
d’importantes fusions transatlantiques à court terme, et son message était
principalement : « Coopération maintenant, possibilité de consolidation plus
tard ». Du point de vue du Pentagone, la fusion de DASA et Aérospatiale
Matra (annoncée mi-octobre 1999) était en effet perçue comme la création
du second pilier d’une nouvelle forteresse Europe, réduisant drastiquement
les chances d’une fusion transatlantique ou d’une prise de contrôle d’une
société américaine par un Européen. Pour M. Hamre, l’avenir appartenait
désormais plutôt aux joint ventures, aux partenariats ou à d’autres formes
d’alliance 41 .
Tout investissement étranger dans la base industrielle d’un pays demeure
néanmoins une question politique sensible. Même si les décideurs de très
haut niveau sont de plus en plus favorables à l’idée d’une industrie de
défense transatlantique, il n’est pas certain que les hommes politiques, les
fonctionnaires de rang moyen et les militaires partagent cet engagement. Ainsi, quand BAE Systems a annoncé son projet de racheter les
activités d’électronique de Lockheed Martin, nombre de commentateurs y
ont vu un test de la bonne volonté du gouvernement américain à l’égard de
la mondialisation de secteurs clés de sa base industrielle de défense. Avec ce
rachat, BAE Systems serait effectivement en charge de plus de la moitié des
programmes américains très sophistiqués en matière de guerre électronique.
Devant la perspective d’une participation étrangère significative à un secteur
aussi crucial, les spéculations allèrent bon train sur l’opposition de hauts
responsables militaires américains. En novembre 2000, le gouvernement
américain donna le feu vert à la transaction, franchissant ainsi un cap dans la
coopération industrielle. Cependant, cette approbation n’a pas, semble-t-il,
été vue d’un bon œil par le Département d’Etat, inquiet des incidences de
l’entrée d’une société européenne au cœur même de la technologie américaine de pointe 42 . En Europe, invoquant les droits de propriété intellectuelle,
l’Allemagne exerça de fortes pressions sur le gouvernement espagnol pour
empêcher la vente de d’Empressa Santa Barbara de Industrias Militares
(ENSB), fabricant espagnol de véhicules de combat et de munitions, à
41
42
Voir Thomas E. Ricks et Anne Marie Squeo, op. cit. dans note 30.
Anthony L. Velocci et Philip J. Klass, « BAE Systems bid unsettling to many »,
Aviation Week & Space Technology, 29 mai 2000, pp. 37-38 ; « BAE Systems opens
door for European defence companies in US », Defence Systems Daily,
27 novembre 2000 (http:// www.defence-data.com).
Andrew D. James 109
l’américain General Dynamics 43 . Il semble néanmoins que le véritable enjeu
dans cette affaire ait été le rôle de l'Allemagne dans la consolidation de
l’industrie des véhicules blindés. Force est donc de constater, une fois de
plus, que les gouvernements n’hésitent pas à recourir à des arguments politiques lorsqu’une transaction internationale ne favorise pas leurs industries
nationales.
Le cadre réglementaire
Les réglementations mises en place par les gouvernements pour contrôler les
investissements étrangers, les transferts de technologie, les exportations
d’armes, etc., auront un impact considérable sur les choix stratégiques des
industriels. Les Européens ont longtemps considéré les règles et procédures
américaines régissant les investissements étrangers directs comme un
obstacle majeur aux regroupements transatlantiques44 . Même BAE Systems,
pourtant fortement implanté aux Etats-Unis, a indiqué à plusieurs reprises
qu’une fusion avec un grand systémier américain n’est pas envisageable
compte tenu des barrières réglementaires existantes. Le groupe britannique
considère qu’il faudrait créer un cadre commun permettant à des sociétés
américaines et britanniques de gérer les technologies sensibles dans les deux
pays 45 . Les industriels américains et européens ainsi que l’Association
américaine des Industries Aérospatiales ont mené une intense campagne de
lobbying à ce sujet, et le Pentagone et le Département d’Etat ont effectivement proposé toute une série de réformes. La déclaration de principe
américano-britannique signée en février 2000 est un modèle bilatéral de
gestion des coopérations transatlantiques, couvrant l’harmonisation des
besoins, les procédures d’exportation, la sécurité de l’information ainsi que
la coopération en R&D46 . La Defense Trade Security Initiative (DTSI),
annoncée en mai 2000, pourrait modifier profondément les règles américaines d’exportation. Elle prévoit la rationalisation des procédures de
l’octroi de licences d’exportation, avec des exemptions pour les transferts de
43
44
45
46
Ralph Atkins et Alexander Nicoll, « Spain ‘must halt sale of arms maker to US’ »,
Financial Times, 7 juillet 2000, p. 8.
Voir Richard A. Bitzinger, op. cit. dans note 4.
Voir Alexander Nicoll, « The coming battle to survive and dominate in the defence
industry », Financial Times, 30 novembre 1999, p. 30.
En juillet 2000, une Statement of Principles a été signée par les ministères de la défense
américain et australien.
110 Entre coopération et concurrence
technologies non classifiées vers des sociétés étrangères qualifiées, sous
réserve d’un accord entre les Etats-Unis et le pays concerné. Indépendamment de la DTSI, mais dans le même esprit, l’administration a atténué les
restrictions de sécurité imposées à Rolls Royce pour la gestion de sa filiale
américaine Allison, par l’élimination du fidéicommis et par l’intégration de
l’ensemble des activités d’Allison dans un Special Security Agreement
unique. Ce nouveau statut a fait disparaître la situation étrange interdisant à
des ingénieurs d’une partie d’Allison de parler à leurs collègues d’une autre
partie du même site sans l’aval du Pentagone.
Les opportunités
Il est clair que les liens transatlantiques évolueront aussi en fonction des
opportunités de coopération. Ainsi, l’actuelle redéfinition du portefeuille
d’activités dans les grands groupes américains et européens ainsi que la
consolidation des entreprises de deuxième et troisième rang ouvrent la porte
aux acquisitions transatlantiques. Aux Etats-Unis, Lockheed Martin et
Raytheon, en particulier, sont passés de la consolidation par fusions à la
restructuration du portfolio par des cessions. Ainsi, la mise en vente par
Lockheed Martin de ses activités de systèmes de contrôle et d’électronique
aérospatiale a permis à BAE Systems de renforcer sa position aux EtatsUnis. A une échelle plus modeste, la division bouées accoustiques de
Raytheon a été vendue à l’anglais Ultra Electronics. De même, en Europe, le
changement de portfolio effectué par le suédois Saab après sa fusion avec
Celsius a entraîné la vente de sa filiale Bofors Weapon Systems à l’américain United Defense 47 .
Tandis que les changements de périmètre peuvent offrir la possibilité
d’accéder à de nouveaux marchés et à des programmes en cours, le nombre
limité de projets à venir risque de freiner l’évolution des relations transatlantiques. De nouveaux projets pourraient théoriquement structurer la
création d’alliances euro-américaines, mais les perspectives sont assez
réduites : en Europe, l’A400 M et le Meteor sont les deux seuls programmes
importants dans le domaine de l’aérospatial ; aux Etats-Unis, le remplacement de l’avion de ravitaillement KC-135 par le KC-X pourrait encourager
47
Christopher Brown-Humes, « United Defense set to buy Bofors of Sweden », Financial
Times, 16 juin 2000, p. 30.
Andrew D. James 111
la formation d’alliances, tout comme le besoin d’un nouveau missile de
défense aérienne navale et d’un nouveau système radar naval embarqué 48 .
Mais les occasions de coopération ne se limitent pas nécessairement au
marché transatlantique. Ainsi, BAE Systems et Boeing se sont alliés pour
acquérir une participation minoritaire dans Korean Aerospace Industries
(KAI), et d’autres accords de ce type pourraient avoir lieu en Asie 49 . De
même, les partenariats pourraient servir à obtenir un accès aux pays tiers.
Dans cette optique, Boeing, par exemple, a considéré BAE Systems comme
un partenaire très intéressant vu sa présence en Arabie saoudite 50 .
Cependant, il n’est pas facile de trouver des opportunités commerciales
mutuellement bénéfiques. Même au sein de groupes américains dont les
dirigeants se disent favorables aux fusions transatlantiques, certains
directeurs de programme demeurent convaincus que leurs entreprises ont
peu à gagner en échange de l’aide fournie à une société européenne pour
pénétrer le marché américain51 . Des incertitudes subsistent aussi en ce qui
concerne la marge acceptable pour accéder à de nouveaux marchés ainsi que
les capacités technologiques qu’une société serait prête à partager dans ce
but.
L’après-fusion : les défis de l’intégration
Pour certains groupes, les difficultés de digérer les fusions antérieures
pourraient également limiter les options stratégiques. Ainsi, suite à la vague
d’acquisitions et de fusions des années précédentes, Raytheon et Lockheed
Martin ont été obligés, pour restaurer la confiance des investisseurs, de
concentrer leurs efforts en 1999/2000 sur la rationalisation interne, la
redéfinition du périmètre, l’amélioration de la gestion et la réduction de
l’endettement. BAE Systems et EADS doivent, eux aussi, gérer les
48
49
50
51
Robert Holzer, « Standard missile pact could shape pattern for naval cooperation »,
Defense News, 15 mai 2000, pp. 1-20 ; Robert Holzer, « US Navy seeks foreign aid for
new radars », Defense News, 22 mai 2000, p. 4.
Au sujet de KAI, voir John D. Morrocco, « Boeing looks to boost global presence »,
Aviation Week & Space Technology, 3 avril 2000, p. 37. En ce qui concerne la
restructuration de l’industrie aérospatiale en Asie, voir Philip Finnegan, « Aerospace
merger trend takes hold in Asia », Defense News, 28 février 2000, pp. 1-60.
Voir Andrew D. James, op. cit. dans note 35.
Entretiens de l’auteur avec des directeurs de programme de Boeing et Lockheed
Martin.
112 Entre coopération et concurrence
incidences internes de leur intégration52 . Les problèmes rencontrés à ce
niveau n’empêcheront certainement pas les sociétés d’explorer les perspectives transatlantiques, mais ils pourraient bien réduire les choix stratégiques,
notamment si l’impact financier est important. Il vaudrait effectivement
mieux que les groupes des deux côtés de l’Atlantique retiennent les leçons
de la consolidation aux Etats-Unis, à savoir le surdéveloppement des principaux acteurs, à la fois financièrement et en termes d’organisation, avec les
conséquences négatives que cela implique 53 .
Considérations financières et « shareholder value »
L’essoufflement financier des grands groupes américains a considérablement pesé sur leur réflexion stratégique. Compte tenu de la chute de leurs
actions en bourse et de la montée de leur niveau d’endettement, tout
arrangement capitalistique, acquisition et autre, est devenu très difficile.
Ainsi, les problèmes financiers et de gestion interne ont obligé Raytheon à
renoncer au rachat de la branche d’électronique de défense du britannique
Racal, finalement acquise par Thomson-CSF/Thales. La situation financière
des groupes européens est généralement plus saine que celle de leurs
homologues américains, parce que la plupart des fusions en Europe se sont
scellées par des échanges de titres. Aux Etats-Unis, la consolidation s’est en
revanche faite principalement par des transactions en cash et financées par
des crédits. Les groupes ayant procédé à plusieurs acquisitions consécutives
ont ainsi subi une augmentation dramatique de leur ratio d’endettement net
sur fonds propres et vu leur solvabilité se réduire fortement 54 .
Le shareholder value (création de valeur) est devenu un thème prédominant
pour les grands groupes américains étant donné la faiblesse de leur
performance financière récente. La confiance des investisseurs en a
beaucoup souffert, et toute initiative au niveau transatlantique sera probablement étudiée en détail pour ses implications en termes de retour sur
investissement, de marge brute d’autofinancement (cash flow),
52
53
54
Voir Pierre Sparaco, « EADS foresess cultural hurdles », Aviation Week & Space
Technology, 21 février 2000, pp. 42-43.
Voir Andrew D. James, op. cit. dans note 23.
Kevin Done, « European aerospace profits booming », Financial Times, 6 juillet 2000,
p. 13.
Andrew D. James 113
d’endettement, etc. 55 . Le sentiment général est que, dans l’environnement
actuel, il demeure difficile pour les sociétés de trouver des arguments
commerciaux convaincants pour justifier des acquisitions transatlantiques.
De nombreux analystes financiers de Wall Street ont une vision négative à
ce sujet, et une étude industrielle confirme que les fusions transatlantiques
dilueraient les bénéfices faute de perspectives réelles en termes de réduction
des coûts 56 . En Europe, les aspects financiers soulèvent également des
questions intéressantes. Etant donné la structure dispersée de son
actionnariat, BAE Systems – comme ses homologues américaines – a mis
l’accent sur la création de valeur capitalistique. D’autres groupes européens
– en particulier EADS – sont obligés de gérer des structures d’actionnariat
plus complexes dont les conséquences pour les priorités d’investissement et
les stratégies ne sont pas encore claires. EADS devra certainement faire face
à des pressions croissantes pour démontrer son attachement à la valeur de sa
cotation, notamment après sa faible performance lors de son émission en
souscription publique sur le marché 57 . Il sera intéressant de savoir quel
impact ces facteurs auront sur la stratégie des groupes européens au moment
où ces derniers étudient les opportunités commerciales d’un renforcement
des liens transatlantiques.
III.4
Le nouveau paysage industriel transatlantique
Les entreprises tant américaines qu’européennes élaborent désormais des
stratégies qui tiennent compte des différentes influences politiques,
réglementaires et commerciales de ce nouvel environnement. Les évolutions
au cours de l’année 1999 et dans la première moitié de l’année 2000 ont jeté
les bases d’un nouveau paysage industriel transatlantique, même si la
situation est évolutive et peut donc encore changer dans un avenir proche.
55
56
57
Voir Andrew D. James, op. cit. dans note 23. Ces contraintes valent surtout pour
Lockheed Martin et Raytheon. D’autres compagnies – telles que General Dynamics –
sont vues sous un angle plus positif par les analystes de Wall Street.
Industry Outlook – GEIA Ten Year Forecast, Government Electronics & Information
Technology Association, Arlington, VA, 1999.
Kevin Done, « Share price in EADS float well below hopes », Financial Times,
10 juillet 2000, p. 21 ; Alexander Nicoll, « EADS market debut fails to take-off »,
Financial Times, 11 juillet 2000, p. 34.
114 Entre coopération et concurrence
Les stratégies émergentes
BAE Systems fut le premier à concevoir une stratégie réellement
transatlantique. En rachetant Marconi Electronic Systems, et notamment sa
filiale américaine Tracor, British Aerospace s’est créé un point d’ancrage
dans le marché américain. Le nouveau-né BAE Systems s’est appuyé sur
cette présence aux Etats-Unis lorsqu’il a annoncé son acquisition des
activités de systèmes de contrôle de Lockheed Martin en mai 2000 pour 510
millions de dollars, puis son rachat de la branche d’électronique aérospatiale
de Lockheed Martin en juillet 2000 pour 1,67 milliards de dollars 58 . Cette
dernière acquisition s’est avérée importante non seulement parce qu’elle
incluait la filiale renommée Sanders de Lockheed Martin – leader sur le
marché d’électronique de défense –, mais aussi parce que BAE Systems
prenait ainsi la place de Lockheed Martin de premier groupe mondial dans
le domaine de la défense 59 .
EADS a également exprimé son intention de conférer une dimension
transatlantique à sa stratégie. Allié avec la société d’électronique de défense
américaine L-3 Communications, EADS fut en lice pour l’acquisition des
activités d’électronique de défense de Lockheed. Le groupe signa en outre
un protocole d’accord avec Northrop Grumman, en vertu duquel les deux
sociétés explorent les opportunités de coopérer en matière de surveillance
terrestre ainsi que dans plusieurs autres domaines de l’électronique de
défense, tels que les cibles et leurres aériens, les radars embarqués d’attaque
et de conduite de tir. Le premier résultat de cette relation a été la décision
d’offrir pour l’avion de transport militaire Airbus A400M une version
européenne du radar météorologique et de navigation développé par
Northrop Grumman60 . Le PDG français du groupe, Philippe Camus, a
récemment confirmé qu’EADS envisage de renforcer ses activités de
défense (afin de réduire sa dépendance d’Airbus) par des acquisitions aux
Etats-Unis. Il a pourtant exclu une fusion avec Northrop Grumman,
58
59
60
Alexander Nicoll, « GEC in $1.4bn takeover of US defence group Tracor », Financial
Times, 22 avril, p. 1 ; John D. Morrocco, « BAE Systems boosting North American
clout », Aviation Week & Space Technology, 1er mai 2000, p. 31 ; Andrew EdgecliffeJohnson and Christopher Parkes, « BAe in $1.6bn US purchase », Financial Times,
14 juillet 2000.
Kevin Done, « BAe set to top the defence league », Financial Times, 15/16 juillet 2000, p. 14.
John D. Morrocco, op. cit. dans note 18.
Andrew D. James 115
soulignant qu’une transaction de cette taille ne serait pas réaliste pour
l’instant 61 .
Thales (anciennement Thomson-CSF) cherche aussi à étendre sa présence
américaine. Malgré ses liens avec Raytheon, l’électronicien de défense a
toujours été contrecarré dans ses efforts pour pénétrer le marché américain
par la méfiance constante du Pentagone à l’égard des intentions françaises.
L’acquisition du britannique Racal en 2000 pourrait cependant renforcer la
position du groupe aux Etats-Unis. En fait, l’une des principales raisons de
ce rachat fut la position bien établie de Racal sur le marché américain (la
société est l’un des principaux fournisseurs de systèmes radio et d’enregistreurs de données pour les forces armées américaines). De plus, l’acquisition
permet à Thales d’absorber le fidéicommis de Racal aux Etats-Unis. Ce
dernier, en combinaison avec le SSA « niveau Secret » que Thales s’est vu
accorder en 1999 pour ses activités d’entraînement et de simulation basées
au Texas, donne au groupe français un statut de sécurité lui permettant de
développer sa présence aux Etats-Unis. En effet, Thales a déjà montré son
intention de renforcer ses contacts avec des sociétés américaines en
remportant deux contrats de premier plan pour équiper des F16 produits par
Lockheed Martin. Le premier de ces contrats prévoit l’équipement en
système de guerre électronique des F16 en service dans l’armée de l’air
turque, le deuxième porte sur la fourniture de postes radio protégés et
d’équipement de communication pour les F-16 (Block 60) que Lockheed
s’apprête à livrer aux Emirats arabes unis. Thales espère que ces contrats lui
ouvriront les portes d’une participation au programme JSF, probablement à
travers ses filiales néerlandaise (Signaal) ou britannique (Racal) 62 .
En comparaison, les sociétés américaines ont évolué de manière prudente,
préférant attendre les résultats de la consolidation européenne avant
d’entamer de nouvelles relations. Northrop Grumman a été une des compagnies les plus manifestement actives avec son protocole d’accord avec
EADS. Raytheon a une relation de longue durée avec Thales et a examiné,
comme nous l’avons vu, les possibilités d’acquérir Racal avant de faire
marche arrière pour des raisons financières. Lockheed Martin a longtemps
été engagé dans des pourparlers avec Aérospatiale-Matra. De même, Boeing
61
62
Entretien avec la Frankfurter Allgemeine Zeitung, 2 décembre 2000, p. 17
Jean-Pierre Neu, « Thomson-CSF monte en puissance sur le F16 », Les Echos, 2930 septembre 2000.
116 Entre coopération et concurrence
a cherché à s’établir en Europe et en Asie et explore les opportunités de joint
venture et d’acquisitions sur les principaux marchés63 . Grâce à une balance
des paiements solide et une marge brute d’autofi-nancement (cash flow)
sain, Boeing pourrait en effet avoir plus d’options stratégiques à sa portée
que Raytheon ou Lockheed Martin. En même temps, de nombreuses
sociétés américaines considèrent la participation de Boeing dans le consortium Meteor comme un modèle de coopération sur un programme
spécifique.
Les groupements par programme
Les groupes utilisent différentes stratégies pour développer les relations
transatlantiques, des groupements par programme aux alliances stratégiques
et, dans certains cas, aux acquisitions. L’entrée de Boeing dans l’équipe
Meteor, par exemple, ouvre la voie à tout un éventail d’opportunités pour
les partenaires des deux côtés. Pour les Européens, elle offre la possibilité
d’équiper les F/A-18 et F-15 (produits par Boeing) lors de leur modernisation avec le Meteor. Pour Boeing, elle permet de renforcer sa présence
dans un secteur où il est relativement faible, dans la mesure où le Meteor
pourrait devenir une alternative à Raytheon pour l’armement du Joint Strike
Fighter64 . Le succès de la stratégie de Raytheon lors de l’appel d’offre
britannique pour l’ASTOR (Advanced Stand-Off Radar) donne un autre
exemple du potentiel des groupements par programme. En fait, le consortium dirigé par Raytheon pour ce projet (d’une valeur de 750 millions de
livres) incluait GEC Marconi, Bombardier Short Brothers et Ultra
Electronics.
L’évolution des relations commerciales
En même temps, certains signes montrent un approfondissement des
relations commerciales existantes et une évolution des simples accords de
coopération ad hoc vers des alliances parfois plus formelles.
63
64
Voir John D. Morrocco, « Boeing looks to boost global presence », Aviation Week &
Space Technology, 3 avril 2000.
Voir John D. Morrocco, «Looming missile decision to shape transatlantic ties »,
Aviation Week & Space Technology, 7 février 2000.
Andrew D. James 117
Raytheon et Thales illustrent très bien la façon dont les sociétés peuvent
développer des liens existants. Depuis plusieurs années déjà, les deux
groupes collaborent à la fois comme développeurs conjoints, intégrateurs et
fournisseurs mutuels pour dix-sept programmes industriels 65 . Un consortium
Raytheon-Thales installe un nouveau système de défense aérienne pour la
Suisse, et le contrat de commandement et de contrôle aérien de l’OTAN a
été attribué à un joint venture Raytheon-Thales (Air Command Systems
International). Raytheon fait aussi partie du groupement de Thales en
compétition pour fournir de nouveaux porte-avions au Royaume-Uni. Les
spéculations sur un rapprochement des deux groupes se sont multipliées
depuis 1999. En février 2000, Denis Ranque, le PdG du groupe français,
affirmait que les deux groupes cherchaient, en consultation avec leurs
gouvernements respectifs, à resserrer des liens, mais que les résultats
dépendaient beaucoup d’une évolution de la pensée politique 66 . En
juin 2000, les deux groupes ont, semble-t-il, cherché à créer un joint venture
dans les radars terrestres et les systèmes de commandement et de contrôle de
la défense aérienne 67 . En décembre 2000, la spéculation qui durait depuis
plusieurs mois prit fin lorsque Raytheon et Thales ont annoncé qu’ils
venaient de s’entendre sur la création d’une filiale commune spécialisée
dans les centres de commandement, les radars de défense aérienne et la
surveillance aérienne du champ de bataille. Composée de 1 300 employés,
cette société aura un chiffre d’affaire de 500 à 700 millions de dollars. Dans
le cas de Raytheon et Thales, les tentatives de développement des liens
établis vers des alliances stratégiques plus poussées dans les domaines
d’intérêts commerciaux mutuels se dessinent clairement.
Boeing et BAE Systems veulent apparemment, eux aussi, renforcer leurs
liens. Les deux groupes coopèrent depuis longtemps sur les programmes
AV-8B et T-45 aux Etats-Unis et la modernisation de l’avion de reconnaissance maritime Nimrod en Grande-Bretagne. Leurs relations tendent
actuellement à s’approfondir à travers différentes alliances formelles et
informelles. Ainsi, Boeing est entré dans le consortium Meteor dirigé par
Matra BAe Dynamics, et BAE Systems aurait fait pression sur le ministère
65
66
67
Brooks Tigner, « Raytheon and Thomson-CSF plan joint venture in radar », Defense
News, 3 juillet 2000, pp. 1-18.
Christophe Jakubyszyn et Anne-Marie Rocco, « Thomson-CSF travaille à un
rapprochement avec l’américain Raytheon », Le Monde, 3 février 2000.
Alexander Nicoll, «Thomson and Raytheon discuss link », Financial Times, 29
juin 2000, p. 1 ; Brooks Tigner, op. cit. dans note 65.
118 Entre coopération et concurrence
de la défense britannique pour assurer le leasing des C-17 de Boeing à la
RAF. Les deux groupes se sont, en outre, alliés pour acquérir en commun
une participation minoritaire dans Korea Aerospace Industries.
EADS cherche, quant à lui, à développer les liens établis par ses membres
fondateurs. D’une part, le rapprochement entre DASA et Northrop Grumman a constitué un élément clé pour le protocole d’accord que ce dernier a
signé par la suite avec EADS. D’autre part, EADS semble profiter des
relations entre Aerospatiale-Matra et Lockheed Martin. Les deux groupes
avaient exploré pendant plusieurs années les possibilités de coopération
pour les avions de mission. L’une des options examinées a été de s’allier
pour proposer un dérivé en transporteur/ravitailleur multifonction de
l’appareil commercial Airbus A310 comme candidat possible pour le KC-X
américain. En 1999, les deux groupes ont soumis une offre commune en
Grande-Bretagne pour un nouvel avion de ravitaillement 68 .
Les acquisitions
BAE Systems a toutefois été le seul des grands groupes à persévérer sur la
voie des acquisitions transatlantiques, les autres opérations de ce type
concernant des fabricants moins importants ou de deuxième rang. Il
n’empêche que le nombre global d’acquisitions s’est multiplié ces dernières
années. Ainsi, des sociétés britanniques telles que Smiths Industries et Ultra
Electronics ont conforté leur position sur le marché américain par toute une
série de rachats. En même temps, l’acquisition de Lucas Varity par l’américain TRW, bien que motivée prioritairement par les intérêts respectifs dans
l’automobile, a donné naissance à un fournisseur transatlantique important
de composants aérospatiaux et de défense. Avec le rachat de Lucas
Aerospace, TRW dispose d’une position non négligeable en Europe qu’il
utilisera comme point d’ancrage pour l’expansion sur le marché européen.
TRW a d’ores et déjà montré ses intentions en rachetant en 1999 la société
française de systèmes de vol SAAM et envisage de transférer ses capacités
UAV (drones) des Etats-Unis au Royaume-Uni afin de répondre aux futurs
68
Pierre Sparaco et John D. Morrocco, « Aerospatiale to explore Lockheed Martin link »,
Aviation Week & Space Technology, 20 janvier 1997, p. 26 ; John D. Morrocco,
« Lockheed Martin talks with Airbus partners », Aviation Week & Space Technology,
5 mai 1997, pp. 20-21 ; Pierre Sparaco, « US, Europe explore transatlantic
partnerships », Aviation Week & Space Technology, 13 septembre 1999, pp. 37-38.
Andrew D. James 119
besoins britanniques dans ce domaine. Parallèlement, TRW s’associe à BAE
Systems pour répondre à un appel d’offre du ministère de la défense
britannique concernant la digitalisation du champ de bataille 69 . Notons que
la grande majorité de ces opérations concernent des activités au niveau des
sous-systèmes ou des composants, et que ces transactions plus modestes et
politiquement moins sensibles n’ont suscité quasiment aucun commentaire.
Il est révélateur que d’autres sociétés américaines aient annoncé des
acquisitions en Europe pendant le premier semestre 2000. United Defense a
ainsi l’intention de racheter Bofors Weapon Systems à Saab-Celsius pour
entrer sur le marché européen et établir des relations avec d’autres sociétés
européennes 70 . De même, General Dynamics a annoncé l’acquisition du
fabricant Santa Barbara Blindados 71 . Cette dernière transaction est la seule à
concerner le rachat d’un plate-formiste, et c’est peut-être la raison pour
laquelle elle a provoqué une aussi vive polémique.
III.5
Les perspectives à court et moyen terme
Malgré ces évolutions récentes, l’avenir doit être envisagé avec prudence.
Les expériences passées suggèrent que le chemin menant à une dimension
transatlantique de l’industrie de défense risque d’être long et semé d’obstacles tant politiques que réglementaires et commerciaux.
Les méga-fusions
Bien qu’un certain nombre d’acquisitions aient été réalisées, des fusions
complètes entre les grands systémiers européens et américains semblent fort
improbables dans le contexte actuel. De telles opérations nécessiteraient un
engagement politique énorme de la part des gouvernements et un changement radical de l’attitude envers les industries de défense et la sécurité
nationale. De plus, les risques et coûts associés à une telle méga-fusion
69
70
71
Teresa Hitchens, « TRW Aeronautical Systems strengthens with SAAM buy », Defense
News, 28 juin 1999, p. 22. Pour une étude de cas concernant TRW, voir Andrew D.
James, op. cit. note 23.
Christopher Brown-Humes, op. cit. dans note 47.
General Dynamics Corp., « General Dynamics to buy Spain’s ENSB, maker of combat
vehicles and munitions », News Release, General Dynamics Corp., Falls Church, VA,
13 avril 2000.
120 Entre coopération et concurrence
dépasseraient probablement les avantages potentiels. Pour présenter un
véritable intérêt commercial, toute opération devrait permettre bien plus
qu’un simple accès au marché ou une influence politique, en l’occurrence de
réelles réductions de coûts grâce à des synergies opérationnelles. Last but
not least, il serait plutôt irréaliste de s’attendre à des méga-fusions alors que
la plupart des entreprises viennent à peine de faire leurs premières
expériences avec des arrangements beaucoup moins risqués et contraignants 72 . Au niveau des systémiers, il est très probable que des liens capitalistiques émergeront lentement et seulement après avoir surmonté de
nombreux obstacles politiques et commerciaux. Cela ne veut pas dire que
les transactions transatlantiques ne continueront pas d’avoir lieu, voire de se
multiplier. Les grands systémiers effectueront certainement d’autres acquisitions de petite ou moyenne envergure si celles-ci présentent un intérêt
économique. Ainsi, on pourrait assister à plus de transactions comme celles
de BAE Systems aux Etats-Unis et United Defense en Europe, et il y aura
certainement d’autres acquisitions au niveau des sous-systèmes et des
composants.
Le renforcement de la coopération
Les principaux groupes essayeront sans doute de développer leurs liens
transatlantiques par des coopérations plutôt que par des fusions. En
conséquence, il y a de fortes chances pour que le nombre de groupements
euro-américains par programmes augmente, que ce soit pour des projets
européens, américains ou transatlantiques. Dans des secteurs spécifiques,
certaines sociétés pourraient même rassembler leurs activités par des
alliances informelles ou des accords formels, voire des joint ventures. Ainsi,
les tendances actuelles se poursuivraient, ce qui serait sans doute la solution
la plus pragmatique pour lier les systémiers des deux côtés de l’Atlantique.
A terme, les relations pourraient évoluer : les sociétés ayant coopéré sur des
programmes spécifiques pourraient envisager de former des alliances
stratégiques, et les alliances existantes évoluer vers des fusions. Cette
approche par étapes constituerait une réponse pragmatique aux problèmes
politiques, économiques et réglementaires actuels ; elle permettrait d’instaurer la confiance entre les gouvernements et d’acquérir, au sein des
72
Robert P. Grant, op. cit. dans note 8.
Andrew D. James 121
entreprises, une expérience de la gestion de telles relations, indispensable
pour construire une industrie de défense transatlantique.
III. 6 Conclusion
Le débat sur une éventuelle dimension transatlantique de la consolidation
des industries de défense a porté en grande partie sur les obstacles politiques
et réglementaires. Ces questions sont très importantes, certes, mais la forme
future de toute industrie transatlantique sera déterminée in fine par les
décisions commerciales des entreprises. Les dirigeants politiques commencent à s’apercevoir que les sociétés de défense – désormais presque exclusivement dans le secteur privé – prendront leurs décisions davantage en
fonction de la réaction des places boursières, de l’impact sur leur bilan et de
leur stratégie commerciale que des considérations gouvernementales sur
l’interopérabilité et les relations politiques au sein de l’OTAN. Il est révélateur à cet égard que l’actuelle multiplication des liens transatlantiques soit
menée par l’industrie plutôt que par les gouvernements.
Alors que l’industrie de défense pose peut-être les premiers jalons d’une
dimension transatlantique, le chemin restant à parcourir est semé
d’embûches politiques, réglementaires, et économiques. Dans ce contexte,
l’attitude des dirigeants politiques américains n’est pas le moindre
problème. Washington devra – probablement dans un avenir proche –
prouver son sérieux au sujet d’une véritable voie à double sens entre les
Etats-Unis et l’Europe en matière d’armement. Pour le moment, la majorité
des alliances et des groupements ont émergé pour réaliser des programmes
européens, et l’accès au marché américain a été refusé à toutes les
compagnies, sauf aux groupes britanniques. Les industries françaises et
allemandes ont de bonnes raisons de demander quand cet accès leur sera
accordé. Par exemple, les Etats-Unis seraient-ils prêts à acheter pour l’US
Air Force un ravitailleur auprès d’une alliance Lockheed Martin-EADS dont
la plate-forme serait un Airbus construite sous licence par Lockheed Martin
aux Etats-Unis ? Achèteraient-ils le Meteor pour créer une concurrence avec
Raytheon ? Le gouvernement américain accepterait-il l’acquisition d’une
société américaine par EADS ou Thales ? Les discussions euro-américaines
sur l’industrie de défense regorgent de déclarations de bonne volonté et de
vœux pieux sur l’accès au marché ou la réciprocité. Créer un marché de la
défense ouvert, fondé sur des politiques d’acquisition dépassant les instincts
122 Entre coopération et concurrence
protectionnistes est, bien entendu, plus facile à dire qu’à faire et, dans la
pratique, la sécurité nationale et l’emploi local seront toujours des sujets
sensibles. Néanmoins, le gouvernement américain dispose des moyens de
promouvoir une voie à double sens en matière d’armement. Ainsi, pour les
décisions d’achat d’équipements, le Pentagone pourrait donner la priorité
aux alliances ou aux joint ventures transatlantiques, de préférence à des
candidats exclusivement américains. Une telle initiative aurait un impact
énorme sur la coopération industrielle entre l’Europe et les Etats-Unis.
Les Etats-Unis pourraient également mettre un terme à l’inégalité de
traitement en matière de régulation. Les gouvernements français et allemand
– et leurs industries de défense – se demandent déjà quand le nouveau cadre
réglementaire proposé par Washington sera étendu afin de pouvoir
l’intégrer. Pour que les principales industries de défense européennes
puissent en profiter, la DTSI ne doit pas se limiter aux relations angloaméricaines. De plus, le système réglementaire doit comprendre une
dimension à la fois multilatérale et bilatérale. En fait, on ne sait pas
vraiment si les réformes américaines actuelles tiennent compte de la nature
transnationale de nombreuses entreprises clés en Europe telles que EADS et
Matra BAe Dynamics. Il s’agit là de questions importantes qui permettront
de tester les préjugés politiques traditionnels, et notamment les suspicions
mutuelles qui ont constamment marqué les relations franco-américaines. De
plus, elles influenceront les opportunités offertes à EADS et Thales ainsi
que la nature de leurs relations transatlantiques naissantes. Dans une
industrie transatlantique, il n’y a aucune raison pour que ces groupes ou
leurs gouvernements tolèrent l’avantage réglementaire dont bénéficient de
facto BAE Systems et d’autres compagnies britanniques.
Ces problèmes restent à résoudre, mais une première étape a été franchie
pour donner une dimension transatlantique à la restructuration de l’industrie
de défense. Quel sera le prochain stade ? Les conditions politiques, réglementaires et économiques actuelles montrent que les spéculations sur des
méga-fusions entre les principaux systémiers sont irréalistes, au moins dans
un proche avenir. Il semble que le resserrement des liens se poursuivra
prudemment, exigeant des protagonistes une attention constante à l’égard de
l’évolution des réalités politiques et économiques. C’est ainsi qu’une industrie de défense transatlantique émergera, progressivement.
Andrew D. James 123
Tableau 1 : Exemples de relations transatlantiques actuelles dans le domaine de
l’industrie de défense
Type
Exemple
Participants
Accord de
licence
Modernisation du Patriot
PAC-3 pour l’armée
allemande
Rolling Airframe Missile
Lockheed Martin (Etats-Unis)
EADS (France/Allemagne/Espagne)
Codéveloppement
Joint Strike Fighter
Partenaires à part entière :
Royaume-Uni, Etats-Unis
Partenaires associés :
Danemark, Pays-Bas, Norvège
Partenaires informels :
Canada, Italie
Participants majeurs :
Singapour, Turquie, Israël
Groupement
Meteor
MBD (France/Royaume-Uni)
Alenia Marconi Systems (Italie)
EADS (France/Allemagne/Espagne)
Saab Dynamics (Suède)
Boeing (Etats-Unis)
Alliances
stratégiques
alliance pour les munitions
de calibre moyen
Primex Technologies (Etats-Unis)
NAMMO, AS (Norvège)
Joint venture
Lockheed Martin Alenia
Tactical Transport Systems
Lockheed Martin (Etats-Unis)
Alenia Aerospazio (Italie)
Acquisition
Branche électronique de
défense de Lockheed Martin
BAE Systems (Royaume-Uni)
Lockheed Martin (Etats-Unis)
Chaîne d’approvisionnement
Saab JAS-39 Gripen
General Electric-Volvo Aero (EtatsUnis/Suède)
Honeywell (Etats-Unis)
Lockheed Martin (Etats-Unis)
Sundstrand (Etats-Unis)
Coproduction
Raytheon (Etats-Unis)
BGT (Allemagne)
124 Entre coopération et concurrence
Tableau 2 : Exemples de fusions et d’acquisitions transatlantiques, 1998-2000
Année
1998
1999
2000 (avril)
2000 (mai)
2000 (juin)
2000 (juillet)
Compagnie
achetée
Tracor
(Etats-Unis)
LucasVarity
(Etats-Unis/
Royaume-Uni)
Santa Barbara
(Espagne)
Lockheed Martin
Control Systems
(Etats-Unis)
Bofors Weapons
Systems
(Suède)
Branche
électoronique
aérospatiale de
Lockheed Martin
(Etats-Unis)
Acquéreur
Secteur
Prix payé
GEC (RoyaumeUni)
TRW
(Etats-Unis)
Electronique
1,4M$
Electronique
7M$
General Dynamics
(Etats-Unis)
BAE Systems
(Royaume-Uni)
Véhicules de
combat
Electronique
0,05M$
United Defense
(Etats-Unis)
Armes de
précision et
artillerie
Electronique
NC
BAE Systems
(Royaume-Uni)
0,51M$
1,67M$
Conclusion
Burkard Schmitt
Malgré plus de 50 années de coopération militaire au sein de l’OTAN,
l’armement a toujours été un domaine difficile pour les relations transatlantiques. L’importance de la coopération en la matière est généralement
reconnue, mais les obstacles restent de taille.
L’un des problèmes majeurs qui s’opposent à un vrai partenariat euroaméricain est le fort déséquilibre entre une forteresse américaine puissante
et très réelle, et une multitude de petites forteresses nationales, rivales entre
elles, en Europe. Les données sont donc fondamentalement différentes des
deux côtés. Le paradoxe est que ce soient justement les Etats-Unis qui
soupçonnent la création d’une forteresse dès que les Européens prennent
l’initiative d’améliorer leur coopération. Pour se rapprocher d’un marché
transatlantique, il faudrait effectivement veiller à ce que la future Europe de
l’armement ne se transforme pas en bastion imprenable – mais il serait au
moins aussi important de raser les fortifications américaines.
Aux Etats-Unis, les obstacles qui freinent la coopération sont d’autant plus
difficiles à surmonter qu’ils prennent racine dans une « culture insulaire »
très répandue, n’accordant que peu d’attention aux préoccupations des
alliés. Le renforcement de la coopération transatlantique passera donc par
une prise de conscience à Washington qu’il existe un réel besoin de changement. Même si l’on considère les récentes initiatives comme le début d’une
telle évolution, la sensibilisation de la classe politique américaine aux vertus
de la coopération demeure un travail de longue haleine, qui doit impliquer
toutes les parties concernées des deux côtés de l’Atlantique, et notamment
les parlementaires américains.
Comme Gordon Adams le souligne, le Pentagone a une volonté réelle de
faciliter la coopération transatlantique, tandis que le département d’Etat et le
Congrès demeurent réticents. Face à ces résistances politiques, le danger
existe que la DTSI soit « diluée » lors de son application concrète. Quant à
la « déclaration des principes », il ne s’agit que d’une simple déclaration
126 Entre coopération et concurrence
d’intention, qui, de plus, implique aujourd’hui la Grande-Bretagne
seulement. Les restrictions en matière d’investissements restent également
en vigueur. Les réformes envisagées sont donc potentiellement importantes,
mais guère suffisantes. Reste, en outre, à savoir si tous les pays européens
en profiteront dans la même mesure, ou si l’application du nouveau
dispositif réglementaire privilégiera encore une fois les entreprises
britanniques. Abandonner la discrimination traditionnelle des continentaux
serait essentiel pour que la coopération transatlantique ne se réduise pas de
facto à une relation spéciale entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne.
Comme dans d’autres domaines, l’avenir des relations transatlantiques en
matière d’armement dépendra de deux questions clés : les Etats-Unis sontils prêts à accepter les Européens comme des partenaires à droits égaux?
Les Européens parviendront-ils à se donner les moyens de devenir des partenaires égaux ?
Au niveau des industries de pointe, les conditions d’une relation équilibrée
entre les deux rives de l’Atlantique sont aujourd’hui réunies : après la
création de BAE Systems et d’EADS ainsi que quelques regroupements
sectoriels, l’Europe dispose de groupes qui ont la taille et la gamme technologique leur permettant de jouer dans la même division que les géants
américains.
S’il existe un handicap des nouveaux champions européens vis-à-vis de
leurs concurrents américains, il est dû aux faiblesses politiques de l’Europe.
Le problème n’est pas simplement budgétaire : ayant des visions, des
concepts et des objectifs différents, il est naturel que les Européens
dépensent moins que les Etats-Unis pour la défense et que leurs priorités ne
soient pas les mêmes. Même le déséquilibre de nombreux budgets
européens entre dépenses de personnel et d’équipement pourra se résoudre
une fois que la professionnalisation et la restructuration des forces armées
seront accomplies. Le vrai problème (et, du point de vue du contribuable, le
vrai scandale) est la persistance de duplications en Europe et le gaspillage de
ressources qui en résulte. Ce phénomène ne concerne pas seulement les
capacités industrielles ou les équipements, mais aussi les agences d’acquisition et les réglementations liées à la défense. Face à la pénurie des finances
publiques en général, et aux restrictions des budgets de défense en
particulier, l’absence d’un système d’acquisition commun et d’un espace
Burkard Schmitt 127
économique de défense homogène est un luxe qui échappe à toute logique
politique et économique.
Les Européens réussiront-ils à créer un marché et une politique communs en
matière d’armement ? Cette Europe de l’armement sera-t-elle construite en
tant que partie intégrale de l’Union européenne ? Dans l’affirmative, y aurat-il participation de tous les membres de l’Union, ou prendra-t-elle la forme
d’une coopération renforcée ? Sinon, sera-t-elle organisée hors traité ou
assistera-t-on à la création d’un ensemble mixte d’organisations relevant de
différents cadres ?
Les réponses à ces questions seront essentielles pour l’avenir de la défense
européenne, mais aussi pour l’avenir de la coopération transatlantique. On
voit mal comment les Européens pourraient devenir de « vrais » partenaires
des Etats-Unis sans donner une qualité nouvelle à leur propre coopération.
Pour y parvenir, il importe de :
• maintenir le dynamisme de la PECSD et l’utiliser comme catalyseur pour
la coopération en matière d’armement ;
• mieux coordonner les différentes initiatives en matière d’armement (LoI,
OCCAR, etc.), les compléter et les intégrer progressivement dans un
cadre commun ;
• trouver des moyens suffisants pour assurer la réalisation des projets en
cours et pour financer de nouveaux programmes de R&D/T.
Développer la politique européenne selon ces axes n’aboutira pas
(forcément) à la création d’une forteresse. Le renforcement des capacités
militaires dans le cadre de la PECSD, par exemple, soutiendra la
coopération en matière d’armement dans la mesure où il rendra la standardisation et l’interopérabilité du matériel encore plus urgentes. Dans les
circonstances actuelles, il est pourtant probable que la standardisation reste,
avant tout, une affaire exclusivement européenne, et que l’OTAN se
contentera de l’interopérabilité entre les forces américaines et européennes.
Les Etats-Unis et de l’Europe ont en effet des intérêts stratégiques et des
cultures politico-militaires trop divergents pour parvenir à une harmonisation plus poussée de leurs besoins. Si cette hypothèse se vérifie, la DCI et
le headline goal renforceront la coopération transatlantique surtout dans le
domaine C3 (commandement, contrôle et communication). Les effets
positifs se limiteraient donc à un segment spécifique du marché de
128 Entre coopération et concurrence
l’armement, qui acquiert néanmoins une importance croissante (en termes
financiers et technologiques).
Si la réalisation du headline goal aboutit à une meilleure harmonisation des
besoins européens, la coopération en R&D en profitera aussi. Le défi n’est
ni de dépenser autant que les Etats-Unis, ni (forcément) d’investir dans les
mêmes domaines, mais d’obtenir une meilleure relation coût-efficacité au
niveau européen. Pour y parvenir, il faudrait à la fois restructurer les budgets
de défense nationaux (pour trouver plus de moyens d’investissement sans
augmenter les dépenses globales) et réorganiser les structures de la coopération (pour éviter les duplications et coordonner les efforts). Améliorer la
performance européenne en R&D permettrait de dégager des ressources
supplémentaires pour de nouveaux investissements, qui soutiendraient
également la coopération transatlantique : avec de nouveaux programmes de
recherche, les opportunités de projets communs se multiplieraient et les
industries européennes deviendraient des partenaires plus attractifs.
Il est fort probable que l’intensification de la coopération dans les domaines
de la défense et de l’armement influencera aussi la politique d’achat des
Européens. A cet égard, la crainte américaine de voir apparaître une forteresse n’est pas totalement injustifiée, mais largement exagérée. En effet, une
certaine préférence européenne pourrait, à terme, succéder aux préférences
nationales d’aujourd’hui et ce, pour deux raisons :
•
•
l’intégration des industries des pays de la LoI crée de facto un marché
européen de producteurs dont l’ouverture à la concurrence américaine
dépendra de la volonté politique des pays concernés de maintenir des
capacités industrielles et technologiques propres. Dans les domaines où
c’est le cas, les principaux pays producteurs appliqueront certainement
une préférence européenne.
Pour les autres pays, les perspectives sont moins claires : ils pourraient,
eux aussi, se diriger à terme vers une politique d’achat plus européenne
dans la mesure où la réalisation du headline goal pousse à la standardisation du matériel européen. La participation active à la PECSD et aux
institutions d’une future Europe de l’armement encouragerait également
les pays non producteurs à s’orienter vers une préférence européenne. La
multiplication des liens entre les entreprises locales et les grands
groupes européens serait un troisième élément déterminant la politique
d’achat des gouvernements concernés.
Burkard Schmitt 129
Les conséquences d’une telle préférence doivent pourtant être relativisées :
d’abord, elle semble logique dans la mesure où les facteurs déterminant les
acquisitions d’armes ne sont jamais purement financiers, mais aussi de
nature politique, stratégique, économique et technologique. Ensuite, une
préférence européenne correspondrait à la stratégie des Etats-Unis qui continueront certainement aussi à favoriser leur propres industries. Last but not
least, la préférence pour l’un n’aboutit pas nécessairement à l’exclusion
systématique de l’autre :
• Pour les pays non producteurs, il est peu probable que la réorientation
vers une politique d’achat plus européenne signifierait la fermeture totale
de leur marché de défense aux fournisseurs américains. Maintenir la
concurrence industrielle et les garanties de sécurité des Etats-Unis restera
une bonne raison pour ces pays de ne pas appliquer une forme exclusive
de préférence européenne.
• Pour les pays producteurs, un tel choix n’exclut nullement l’ouverture
partielle des marchés : il reste les projets transatlantiques, les achats sur
étagère dans les domaines où l’Europe renonce à des capacités propres,
mais aussi la participation d’entreprises américaines à des programmes
européens. Au niveau des sous-systèmes et des composants, l’importance
des producteurs américains pour des projets sous maîtrise d’œuvre
européenne continuera sans doute d’augmenter. Même au niveau des
systémiers, rien n’empêche les gouvernements européens d’encourager
des alliances transatlantiques lors de leurs appels d’offre, et les entreprises européennes d’y adhérer – à condition que les accords industriels
soient équilibrés.
La question d’une préférence européenne est d’autant plus complexe que le
marché européen demeure fragmenté. Les désavantages du morcellement
actuel sont évidents : du point de vue industriel, il rend la vie interne des
entreprises transnationales extrêmement compliquée et oblige les sociétés à
passer par des coopérations complexes pour arriver à un volume de
commandes suffisant. Du point de vue politique, il crée des duplications
coûteuses et affaiblit la position des gouvernements en tant que clients face
aux nouveaux champions trans-européens. L’idée d’un marché commun,
voire unique, de défense en Europe reste pourtant utopique. Dans un avenir
prévisible, il semble plus réaliste de rechercher une multiplication de
programmes communs, une meilleure coordination entre les pays
130 Entre coopération et concurrence
producteurs et une abrogation partielle de l’article 296 pour les biens
militaires non sensibles. Un élément essentiel – surtout pour le
fonctionnement des sociétés transnationales – serait, dans ce contexte,
l’établissement d’un régime de libre circulation des biens de défense. A cet
égard, l’accord de la LoI prévoit un premier mécanisme pour les pays
producteurs, mais une réglementation communautaire selon le modèle du
régime pour les technologies à double usage serait sans doute préférable1 .
Ni une certaine préférence européenne ni un régime de libre circulation
intra-communautaire n’empêcheraient le rapprochement progressif des
industries à travers l’Atlantique, décrit par Andrew James. Les grands
groupes aéronautiques et électroniques sont en effet ceux qui sont le plus
intéressés par la dimension transatlantique. Pour eux, et notamment pour les
sociétés européennes, l’accès aux nouveaux marchés et la recherche des
solutions les plus rentables sont des raisons très importantes de plaider en
faveur d’une réforme du régime actuel. En même temps, les possibilités – et
l’importance – des programmes intergouvernementaux sont limitées par les
divergences des intérêts et des concepts politico-militaires. Dans ces
conditions, l’essentiel dans les relations euro-américaines en matière
d’armement n’est pas le lancement de nouveaux projets communs, mais la
réforme des cadres réglementaires et des politiques d’acquisition, pour que
les entreprises puissent agir des deux côtés de l’Atlantique.
Jusqu’ici, les discussions transatlantiques sur les aspects commerciaux en
matière d’armement ont été menées dans des cadres strictement bilatéraux.
Du point de vue européen, cette approche semble d’autant plus délicate – et
anachronique – que la plupart des capacités industrielles de pointe en
Europe sont d’ores et déjà organisées dans des entités transnationales.
Même si ces négociations bilatérales aboutissent, le résultat sera une multitude d’accords distincts, ce qui risque de perpétuer les discriminations (et
donc les tensions) entre « bons » et « mauvais élèves transatlantiques » et ne
peut que compliquer la tentative d’harmoniser les réglementations en
Europe.
1
Les biens à double usage peuvent circuler librement au sein de l’Union, parce que tous les
Etats membres reconnaissent mutuellement leurs autorisations d’exportation à des pays
tiers.
Burkard Schmitt 131
Dans ce contexte, la Grande-Bretagne se trouve dans une position clé : d’un
côté, elle est l’un des grands pays producteurs européens et profondément
impliquée dans le processus LoI ; de l’autre, elle entretient une relation
privilégiée avec les Etats-Unis et elle est particulièrement bien placée pour
satisfaire les conditions américaines d’une coopération approfondie.
L’industrie britannique fait aussi le grand écart entre une participation à
d’importantes co-entreprises européennes et une présence accrue sur le
marché américain. Si Washington propose un arrangement concret exclusivement à Londres, celui-ci risque de troubler les tentatives de consolidation des liens industriels et politiques en Europe. La politique britannique
sera donc déterminante pour le futur développement de la coopération euroaméricaine en matière d’armement.
Qu’il s’agisse de la planification militaire, de l’harmonisation des besoins,
de la coopération en R&D ou des questions réglementaires, l’absence d’une
politique commune affaiblit la position des Européens et rend la coopération
euro-américaine difficile. Et pourtant, comme Christophe Cornu le souligne,
on est encore loin d’une Europe de l’armement. Les pays européens
divergent toujours sur des questions aussi fondamentales que l’importance
stratégique attribuée à l’industrie de défense, la politique d’exportation ou
l’approche à adopter à l’égard des Etats-Unis. Concernant les organes de
coopération, le bilan est également mitigé : les acteurs traditionnels comme
le GAEO sont moribonds, l’OCCAR demeure pour l’instant plutôt un
concept et la réussite de la LoI dépendra de la rapidité et de la rigueur de son
application, y compris dans les domaines voisins comme la R&D et
l’harmonisation des besoins.
Néanmoins, l’armement est un élément trop important de la politique de
défense pour qu’il ne soit pas inclus dans la PECSD. A terme, il faudra
probablement même dépasser l’approche purement intergouvernementale
qui caractérise aujourd’hui la coopération européenne en matière d’armement et de défense. Au moins pour certains aspects économiques, réglementaires et technologiques, il serait sans doute plus rationnel et efficace
d’impliquer la Commission européenne. La communautarisation tout court
de l’armement étant exclue, il faut réfléchir à des arrangements imaginatifs
qui assurent à la fois efficacité, flexibilité et cohérence.
Parce que la création d’une Europe de l’armement n’exclut nullement ni
d’améliorer l’interopérabilité au sein de l’OTAN ni de resserrer les liens
132 Entre coopération et concurrence
industriels à travers l’Atlantique, les inquiétudes américaines à l’égard d’une
forteresse Europe sont infondées. L’objectif européen n’est pas une lutte de
forteresses, mais un partenariat équilibré. Il faut cependant être deux pour
faire la paire.
Les auteurs
Gordon Adams est directeur du Security Policy Studies Program de la
Elliott School of International Affairs (université George Washington,
Washington, DC). Il était auparavant directeur adjoint de l’International
Institute for Strategic Studies et, pendant cinq ans, directeur associé pour la
sécurité nationale et les affaires internationales de l’Office of Management
and Budget de la Maison blanche.
Christophe Cornu a été responsable pendant quatre ans de la communication et de la coopération européenne en matière d’armement au GICAT
(Groupement des industries concernées par l’armement terrestre). Après
avoir été conseiller « armement » à la délégation française auprès de l’UEO
à Bruxelles pendant plus de trois ans, il est actuellement expert, chargé des
relations avec l’OTAN au sein de la division politique du Secrétariat général
de l’UEO. Il est, par ailleurs, l’auteur d’articles sur l’industrie de défense et
de l’ouvrage, en collaboration avec Pierre Dussauge, « L’Industrie française
de l’Armement – coopération, restructurations et intégration européenne ».
Andrew D. James est chercheur et membre de la faculté de Manchester au
Royaume-Uni. Il s’intéresse tout particulièrement à la stratégie et à la
gestion technologique dans l’industrie de l’armement et il est l’auteur de
différents rapports récents sur la consolidation de l’industrie américaine de
l’armement et sur ses implications pour l’Europe. Il a été consultant dans ce
domaine pour des projets de la Commission européenne, le FOA (service du
gouvernement suédois s’occupant de recherche en matière de défense) et de
l’Economic and Social Research Council britannique.
Burkard Schmitt est actuellement chargé de recherche à l’Institut d’Etudes
de Sécurité de l’UEO. Il a été auparavant chercheur indépendant et
journaliste ; il a notamment écrit des articles sur la relation francoallemande et sur la dissuasion nucléaire. Il est l’auteur de l’ouvrage
Frankreich und die Nuklear-debatte der Atlantischen Allianz 1956-1966. A
l’Institut d’Etudes de Sécurité, il couvre les questions nucléaires, la
coopération dans le domaine de la défense et il est responsable d’un groupe
de réflexion sur l’industrie de l’armement.
Sigles
AEA
AECA
AGPM
AGS
AMRAAM
ASRAAM
ASTOR
BITD
CDNA
CORPSAM
CFIUS
COCOM
C3
C3ISR
C4ISR
DCI
DoD
DSB
DTSI
EAA
EADS
GEIP
IEEPA
IESD
ITAR
JSF
MBD
MEADS
MIDS
MRC
MSOW
MTW
OCCAR
ODTC
Agence européenne de l’Armement
Arms Export Control Act
Autonomous Precision-Guided Munition
Munition à guidage autonome de précision
Air-to-ground surveillance
Système de surveillance aéroporté de théâtre
Advanced Medium Range Air-to-Air Missile
missile air-air moyenne portée
Advanced Short Range Air-to-Air Missile
missile air-air courte portée
Advanced Stand-Off Radar
Base industrielle et technologique de Défense européenne
Conférence des Directeurs Nationaux d’Armement
US Marine Corps
Committee on Foreign Investment in the United States
Comité de coordination des contrôles multilatéraux d’exportation
commandement, contrôle et communications
commandement, conduite, communications, renseignement,
surveillance et reconnaissance
commandement, conduite, communications, informatique,
renseignement, surveillance et reconnaissance
Initiative sur les capacités de défense
Département (américain) de la Défense
Defense Science Board
Defense Trade Security Initiative
Export Administration Act
European Aeronautic, Defense and Space Company
Groupe européen indépendant de Programmes
International Emergency Economic Powers Act
Identité européenne de Sécurité et de Défense
International Traffic in Arms Regulations
Joint Strike Fighter
Matra BAe Dynamics
Medium Extended Air Defence System
système de défense aérienne élargie à moyenne portée
Multifunctional Information Distribution System
système multifonction de diffusion de l’information
Major Regional Contingencies
Modular Stand-Off Weapon
Arme modulaire tirée à distance de sécurité
Major Theater Wars
Organisation conjointe de coopération en matière d’armement
Office of Defense Trade Controls
136 Entre coopération et concurrence
OTAN
PCRD
PECSD
PESC
QDR
RAM
RDA
R&D
SSA
TDC
UE
Organisation du Traité de l’Atlantique Nord
Programme Commun de Recherche & Développement
Politique européenne commune de sécurité et de défense
Politique étrangère et de Sécurité commune
Quadrennial Defense Review
Révolution dans les affaires militaires
République démocratique allemande
Recherche et développement
Special Security Arrangement
Tarif douanier commun
Union européenne
Liste des annexes
Annexe A US/UK Declaration of principles for defence equipment and
industrial cooperation, 5 February 2000
Annexe B Déclaration conjointe du 9 décembre 1997 (Allemagne, France
et Royaume-Uni)
Annexe C Déclaration conjointe du 20 avril 1998 (Allemagne, Espagne,
France, Italie et Royaume-Uni)
Annexe D Extraits de la Lettre d’intention du 6 juillet 1998 (Allemagne,
Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède)
ANNEXE A
DECLARATION OF PRINCIPLES FOR DEFENCE
EQUIPMENT AND INDUSTRIAL COOPERATION
The Department of Defense of the United States of America
and
The Ministry of Defence of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland
Declaration of Principles for Defense Equipment and Industrial Cooperation
The Governments of the United States of America and the United Kingdom of Great
Britain and Northern Ireland have a longstanding cooperative relationship across a broad
spectrum of defense activities, including strict enforcement of export policies for
armaments and technologies; strong industrial security systems and compatible industrial
security practices; close relationships in law enforcement and cooperation on industrial
security matters and export control violations; and close relationships in intelligence
sharing on matters of counterintelligence and industrial security, and countering economic
espionage and export control violations. Moreover, the Department of Defense of the
United States of America (U.S. DoD) and the Ministry of Defence of the United Kingdom
of Great Britain and Northern Ireland (U.K. MOD) desire to maximize value for money in
defense equipment acquisition, based on the principle of competition.
Our relationship is underpinned by the Memorandum of Understanding between the
Department of Defense of the United States of America and the Secretary of State for
Defence of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland concerning
Principles for Research, Development, Production and Procurement, dated December 13,
1994, and other bilateral arrangements and agreements.
Our past efforts to improve the level of defense equipment cooperation and trade have not
realized their full potential. Nonetheless, we believe that it is fundamental to our common
interests to enhance the environment for mutual defense equipment and industrial
cooperation. We therefore intend to improve significantly the cooperative framework that
will facilitate both traditional and new types of collaboration by our defense companies and
a more integrated and stronger industrial base. It is also our intention to take the necessary
steps to ensure that U.K. industry doing business in the United States will be treated no less
favorably than U.S. industry doing business in the United Kingdom . We believe that this
initiative will provide an important and welcome opportunity to enhance our mutual
interdependence in the defense equipment field.
The U.S. DOD and U.K. MOD intend to apply the provisions of this Declaration and
Annex to those matters within their respective areas of responsibility. They affirm the
prerogatives of other agencies of their respective governments on certain matters related to
this Declaration and Annex and note that in the case of the United States, the provisions of
the Declaration and Annex do not apply to matters that are under the jurisdiction of other
agencies of the government including the Department of State. They also note that within
their respective governments there is ongoing work related to such matters to further the
objective of cooperation between their governments, the outcome of which is not
140 Entre coopération et concurrence
prejudiced by the provisions of this Declaration and Annex. They also affirm their desire to
promote similar cooperation between each of them and other allies, both bilaterally and
multilaterally.
Therefore, the U.S. DOD and U.K. MOD have reached the understandings reflected in this
Declaration of Principles and its Annex attached hereto. The principles established in this
Declaration and in the Annex to this Declaration, which is an integral part of the
Declaration, are not intended to be legally binding, nor to entail new fiscal obligations on
the part of either the U.S. DoD or the U.K. MOD, but to point the way to arriving at future
arrangements or agreements which may be legally binding. It is further understood that
these future arrangements or agreements may entail amendments to national laws or
regulations.
Signed in duplicate at Munich, Federal Republic of Germany, on the 5th day of February
2000.
William S. Cohen, Secretary of Defense, United States of America
Geoffrey Hoon, Secretary of State for Defence, United Kingdom of Great Britain and
Northern Ireland
Annex
Purpose
1. The purpose of this Annex to the Declaration of Principles (Declaration) is to indicate the
areas in which the U.S. DoD and the U.K. MOD ("the Participants") intend to find common
solutions to the problems identified; to define the principles on which appropriate follow-on
arrangements or agreements, or amendments to existing arrangements or agreements, will
be based; and to establish a process and intended timescale for the negotiation of follow-on
arrangements or agreements, or amendments to existing arrangements or agreements, to
implement these principles.
2. This Declaration is intended to establish principles for future arrangements or
agreements, or amendments to existing arrangements or agreements, which may cover the
industrial, investment, and export sectors of defense in both countries.
3. The Participants have the firm intention to pursue the objectives of this Declaration and
to adopt, where appropriate, specific arrangements or agreements, or amendments to
existing arrangements or agreements between them, to underpin the effective application of
the principles specified in this Declaration.
Harmonization of Military Requirements and Acquisition Processes
1. The Participants will seek better means to harmonize the military requirements of their
armed forces. To this end, and proceeding from identified capabilities of common interest,
the Participants will identify areas in which better harmonization is considered possible. In
doing so, they will seek to make use of existing fora, wherever practicable.
2. The Participants will identify projects at an early stage for cooperative research,
development, production, and procurement. (See Research and Development, below.)
3. The Participants will examine the possibility of harmonizing the procedures applicable to
Annexes 141
armaments acquisition, so as to remove impediments to effective cooperation.
Meeting National Defense Requirements
1. Each Participant will require assurance that the other Participant will facilitate the supply
of certain specified defense articles and defense services necessary to discharge their
national security and foreign policy commitments. The Participants acknowledge that this
assurance of supply is as important for industry as it is for governments, if industry is to
adapt to the process of globalization.
2. The Participants recognize the potential for a degree of interdependence of supplies
needed for national security. In order to achieve acceptance of this concept, the Participants
will explore solutions for achieving assurance of supply for both Participants. These
solutions may include obtaining assurances, some of which may be legally binding, relating
to the supply of defense articles and defense services, including technical data, agreed upon
by the Participants.
3. To further enhance this assurance, and with due consideration for the right of each
Participant’s government to control the disclosure and use of technical information,
arrangements will be considered to enable the other Participant to reconstitute, in
exceptional circumstances to be defined, an indigenous supply of a particular defense
article or defense service.
Export Procedures
1. The Participants confirm their desire to maintain a strong defense industrial capability as
part of their industrial bases and the ability to export defense articles and defense services.
Consistent with the intent of this Declaration, they will explore possible approaches to
achieving greater transparency and efficiency in their national procedures for exports of
defense articles and defense services.
2. The Participants will explore means of simplifying the procedures for export of defense
articles and defense services between themselves for their own use.
3. The Participants desire to see an improvement in the efficiency of the procedures for
exports of jointly produced military goods to third parties. They will therefore examine the
scope for establishing a procedure based on mutually agreed lists of acceptable export
destinations for jointly developed and produced military goods and technologies on a
project by project basis. These lists would be updated on a continuing basis.
4. The Participants will seek to ensure that their national laws and regulations for defense
exports to third parties are implemented in a spirit of cooperation and with maximum
efficiency. They will reinforce their cooperation and promote convergence in the field of
conventional arms exports. They will pursue necessary measures to harmonize their
conventional arms export policies as far as possible and examine means of establishing
common standards of implementation.
5. The Participants will establish a high-level council on export control and coordination
measures, with a view towards accomplishing the preceding measures.
6. Pending agreements reached pursuant to paragraph 5, above, re-transfers by a Participant
of defense articles and services, including technical information, originating in the territory
of the other Participant will be made in accordance with existing agreements, arrangements,
contracts and procedures between the Participants.
142 Entre coopération et concurrence
Security
1. The Participants recognize the need to ensure that adequate and appropriate security
provisions for the protection of classified information are in force in any relevant U.S. or
U.K. company, regardless of any multinational aspects of a company’s ownership or
management structure. The Participants will endeavor to avoid placing unnecessary
restrictions on the movement of staff, information, or material between the Participants or
their industry.
2. The Participants will examine means to expedite the transmission of classified
information between themselves or between their industries while maintaining the requisite
degree of security protection.
3. In doing so, consistent with the General Security Agreement of 1961 between the
Governments of the United States of America and the United Kingdom of Great Britain and
Northern Ireland, the Participants will ensure that no classified information is passed to
companies or persons not suitably cleared or needing to receive it; that no classified
information originated by one Participant is passed to a third country national without the
consent of the originating Participant; and no information carrying national caveats is
passed to foreign nationals.
4. Consistent with the preceding paragraphs, the Participants will use their best efforts, both
individually and working together, to lessen the administrative burdens placed on their
industry in the establishment and oversight of industrial security measures.
5. The Participants intend to develop procedures to streamline the process for approving
visits to government or contractor facilities by employees of the government or contractors
of the other Participant that may involve access to classified information.
6. The Participants will jointly address security vulnerabilities posed by new technologies.
7. The Participants will endeavor to harmonize and streamline their security regulations.
Ownership and Corporate Governance
1. The Participants believe that the ownership of defense companies sited in the United
States and the United Kingdom is a matter for the companies to determine, subject to the
application of the relevant national merger control, anti-trust and other relevant laws. They
wish to encourage the freest possible cross-border investment in defense-related industry.
2. While considering the implications for national security of any proposed international
merger or acquisition, the Participants will not place unreasonable or unnecessary security
restrictions on corporate governance.
3. The Participants will seek to establish arrangements or agreements whereby, on a
reciprocal basis, each Participant will apply substantially the same standards in the granting
of facility security clearances to companies that are organized and incorporated within its
territory but are owned or controlled by entities within the territory of the other Participant,
considering, among other factors, any connection with entities owned, controlled, or
influenced by entities of any third country. These arrangements or agreements will include
measures to address issues of corporate governance as well as security of information held
by companies and compliance with national export control regimes.
Research and Development
1. The Participants recognize that technology, research and development are indispensable
for maintaining an effective defense industrial base and therefore recognize the need to use
the limited resources available for defense-related research and development in an efficient
Annexes 143
and effective manner.
2. In the context of this Declaration, the Participants intend to establish arrangements or
agreements and make use of existing fora to:
(a) harmonize research and development programs and exchange information about
national research activities where there are common interests with a view towards setting
common objectives for research and development, avoiding unnecessary duplication of
effort or major gaps in technology and technical capability, and making the most effective
use of dual-use and commercial off-the-shelf (COTS) technology;
(b) increase cooperation in programs that follow-on from research activity, in particular by
undertaking technological developments with each other; and
(c) ensure the adequate funding, and efficient cost sharing, of cooperative research and
development.
Technical Information
1. The Participants confirm their desire to maximize the flow of technologies and technical
information between themselves and between their defense-related industries. Accordingly,
they will explore methods that could facilitate the flow of technologies and technical
information between them and between their defense-related industries, while ensuring that
the further flow of these technologies and technical information is strictly regulated by the
governments. (See Export Procedures, above.)
2. These methods could include, where appropriate, the removal of unnecessary controls on
the flow of technology and technical information, different ways to authorize the flow of
technology, and different ways to optimize the exploitation for defense of technology
investments.
3. The Participants will seek the establishment of arrangements relating to the disclosure,
transfer, and use of technical information which will facilitate the efficient operation of
U.S. and U.K. defense companies, consistent with proper safeguards. The Participants
recognize that technical information received from the other Participant shall not be further
disclosed without the authority of the owner and, in the case of classified or export
controlled unclassified information, without the authority of that Participant under whose
authority the information was created.
4. The Participants will encourage the harmonization of their laws, regulations, and
procedures for controlling disclosure and use of technical information in the field of
defense.
Promoting Defense Trade
1. The Participants will, on a reciprocal basis, endeavor to diminish legislative and
regulatory impediments to optimizing market competition.
2. The Participants will endeavor to revise their acquisition practices to remove
impediments to efficient global market operations and to support reciprocity of
international market access for each other’s companies.
3. The Participants will give full consideration to all qualified sources in each other’s
country in accordance with the policies and criteria of the purchasing government.
4. Each Participant will explore means to eliminate laws, regulations, practices and policies
that require or favor national industrial participation in its defense acquisitions.
144 Entre coopération et concurrence
Timetable
1. Policy-level discussions concerning the principles underlying this Declaration and its
Annex and the intended U.S.-U.K. cooperation and collaboration in facilitating the
restructuring of their defense industry will be carried out by appropriate national
authorities.
2. Working-level discussions will be held by working groups of subject matter experts,
which may include representatives from other government agencies. These working groups
may consult with the Participants’ defense industries, as appropriate.
3. It is the intent of the Participants that the agreements and arrangements, or amendments
to existing agreements or arrangements, envisioned by this Declaration and its Annex be
put in place as expeditiously as possible. Accordingly, they will endeavor to develop such
agreements and arrangements so that they can be presented to the Secretary of Defense and
the Secretary of State for Defence within one year after signature of this Declaration and its
Annex. In addition, they will make periodic reports to the Secretary of Defense and the
Secretary of State for Defence on the progress that is being made on achieving the goals of
this Declaration and its Annex.
ANNEXE B
DECLARATION CONJOINTE
DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ET DU PREMIER MINISTRE FRANÇAIS,
DU CHANCELIER DE LA REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE
ET DU PREMIER MINISTRE DU ROYAUME-UNI
La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni partagent un intérêt politique et
économique essentiel à ce que l’Europe dispose d’une industrie aérospatiale et
d’électronique de défense efficace et compétitive. Ceci permettra à l’Europe d’améliorer sa
position commerciale dans le monde, de renforcer sa sécurité et de garantir qu’elle joue
pleinement son rôle dans sa propre défense.
Nous sommes convenus de la nécessité urgente d’une réorganisation des industries
aérospatiale et d’électronique de défense. Ce processus devrait inclure, dans le secteur
aérospatial, les activités tant civiles que militaires, et aboutir à une intégration européenne
fondée sur un partenariat équilibré.
En ce qui concerne le domaine aérospatial et des industries de défense connexes,
nous nous félicitons du fait que plusieurs entreprises européennes, parmi lesquelles Daimler
Benz Aerospace, Aérospatiale et British Aerospace, aient déjà manifesté leur intention de
regrouper leurs activités. Nous leur demandons de présenter pour le 31 mars 1998 un projet
clair et un échéancier détaillé en vue de cette réorganisation et de cette intégration.
Les premières étapes de ce processus d’intégration européenne civile et militaire
devraient comprendre des progrès rapides dans la transformation d’Airbus en une société
intégrée, dans le sens préconisé par les quatre Présidents d’Airbus le 13 janvier 1997.
Il revient en premier lieu à l'industrie de définir la structure requise. Afin de
faciliter une telle réorganisation, nous nous engageons pour notre part à mettre en oeuvre
les mesures nécessaires en matière de politiques nationales.
Nous serions heureux de voir participer, selon des modalités appropriées et au fur
et à mesure que le processus se déroule, d'autres entreprises et d'autres nations européennes,
et notamment celles qui sont déjà engagées dans des projets en collaboration.
Cette initiative constitue un exemple concret de coopération entre partenaires
européens, que nous soutiendrons activement.
Le 9 décembre 1997
ANNEXE C
DECLARATION CONJOINTE DU 20 AVRIL 1998
Le Ministre Fédéral de la Défense de la République Fédérale d’Allemagne, le Ministre
de la Défense du Royaume d’Espagne, le Ministre de la Défense de la République
française, le Ministre de la Défense de la République d’Italie et le Secrétaire d’Etat à la
Défense du Royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord se sont réunis le 20 avril
1998 afin de débattre de leurs intérêts communs dans les domaines de la défense et de la
restructuration des industries de défense.
Les Ministres estiment qu’une industrie de défense forte compétitive et efficace
constitue un élément clé de la sécurité et de l’identité de l’Europe, et de la base scientifique
et technologique européenne. Un certain nombre de conditions doivent être remplies si l’on
veut tirer le maximum d’avantages de cette restructuration. Il faut procéder à
l’harmonisation des besoins des forces armées, afin de rechercher, là où c’est possible, des
solutions communes, et d’éviter des développements et des fabrications qui fassent
inutilement double emploi. Dans ce contexte, il faudrait qu’il y ait consultation avant que
les décisions ne soient prises. Il convient de rechercher une harmonisation des aspects
« défense » des politiques d’acquisition – qui comporteraient des règles à respecter en
matière de concurrence et de recherche et développement – et des procédures d’exportation.
La participation à l’industrie européenne d’armements devrait être équilibrée et devrait
refléter le principe de l’interdépendance.
Les Ministres ont rappelé la Déclaration signée par les Chefs d’Etat et de Gouvernement
de la République Fédérale d’Allemagne, de la République française et du Royaume-Uni de
Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord le 9 décembre 1997, soutenue par les Chefs de
Gouvernement du Royaume d’Espagne et de la République d’Italie, dont le but est d’aider à
la restructuration de l’industrie européenne aérospatiale et de l’électronique de défense.
Ils ont pris note des progrès considérables en cours en matière de rationalisation des
industries de défense dans leurs pays et au sein des différentes enceintes européennes qu’ils
animent, ainsi que de leur volonté de voir se développer une industrie européenne forte,
compétitive et efficace.
Ils ont reconnu qu’il appartenait principalement à l’industrie de créer une base
industrielle de défense européenne rationalisée et ont salué le récent rapport sur les
restructurations industrielles du domaine aérospatial et les industries de défense connexes.
Ils ont encouragé les industries de défense, dans leurs pays, à se concentrer sur les objectifs
et les moyens des restructurations et à maintenir cet élan.
Les Ministres sont convenus, afin de tirer pleinement profit des restructurations
européennes au niveau européen, de donner la priorité à la recherche d’une harmonisation
des besoins de leurs forces armées, de leurs politiques d’acquisitions, de recherche et de
développement technologique ainsi que des aspects « défense » de leurs procédures
Annexes 147
d’exportation. Afin d’atteindre ces objectifs, ils accordent une haute priorité à l’élimination
de certains obstacles aux restructurations industrielles, relevant principalement de la
compétence des Ministres de la Défense, dans les domaines suivants :
- sécurité d’approvisionnement ;
- procédures d’exportation ;
- financement de la recherche et technologie ;
- sécurité de l’information et habilitation des personnels ;
- droit de propriété intellectuelle.
Les Ministres ont décidé d’approuver en juin 1998 une lettre d’intention fixant les
objectifs et principes qu’ils retiennent pour ce faire et décrivant l’organisation et le
calendrier des travaux correspondants.
ANNEXE D
LETTRE D’INTENTION
entre
LE MINISTRE FEDERAL DE LA DEFENSE DE LA REPUBLIQUE FEDERALE
D’ALLEMAGNE,
LE MINISTRE DE LA DEFENSE DU ROYAUME D’ESPAGNE,
LE MINISTRE DE LA DEFENSE DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE,
LE MINISTRE DE LA DEFENSE DE LA REPUBLIQUE ITALIENNE,
LE SECRÉTAIRE D’ETAT À LA DÉFENSE DU ROYAUME-UNI
DE GRANDE-BRETAGNE ET D’IRLANDE DU NORD
et
LE MINISTRE POUR LA DÉFENSE DU ROYAUME DE SUÈDE
concernant
LES MESURES DESTINEES A FACILITER LES RESTRUCTURATIONS DE
L’INDUSTRIE EUROPEENNE DE DEFENSE [Extraits]
SECTION 1. OBJECTIFS ET PRINCIPES
Généralités
1.1 Les parties souhaitent définir un cadre de coopération pour faciliter la restructuration
de l’industrie européenne de défense.
1.2 L’objectif de la présente Lettre d’intention est :
1.2.1 d’indiquer les domaines pour lesquels les Parties ont l’intention de trouver des
solutions communes aux problèmes identifiés ;
1.2.2 à cette fin, de définir les principes, l’organisation et les responsabilités, afin de
négocier les attangements et accords contraignants appropriés faisant suite à la
présente lettre d’intention, qui pourraient entraîner l’adaptation des réglementations
nationales en tant que de besoin.
Sécurité d’Approvisionnement
1.3 Les Parties ont besoin de s’assurer que la restructuration de l’industrie européenne de
défense ne constituera pas une entrave à leur approvisionnement en Biens et Services de
Défense nécessaires à la tenue de leurs engagements militaires. Par ailleurs, l’industrie
souhaitera également être assurée que les approvisionnements seront maintenus après la
mise en œuvre d’une rationalisation transnationale.
1.4 En conséquence, les Parties accepteront une mutuelle dépendance et la possibilité
d’abandons de capacités industrielles. A cette fin, elles examineront les solutions
permettant d’obtenir une Sécurité d’Approvisionnement dans les mêmes conditions pour
chacune des Parties. Cela comprendra l’obtention d’engagements, pour certains
juridiquement contraignants, de chacune des Parties impliquées lors de la constitution d’une
Société Transnationale dans le domaine de la Défense (STD), ou lors d’un abandon
concerté d’activités d’une société située sur le territoire d’une Partie au profit d’une société
située sur le territoire d’une ou plusieurs autres Parties.
Annexes 149
1.5 Ces engagements devront prévoir que les Parties sur les territoires desquelles se trouve
la STD ou la société au profit de laquelle ont été abandonnées certaines activités d’une
société située sur le territoire d’une autre Partie, s’engagent vis-à-vis des autres Parties
inpliquées :
1.5.1 à ne pas entraver leurs livraisons en temps de paix, de crise et de guerre. A
cette fin, les procédures de contrôle des transferts d’armements entre les Parties
devraient être simplifiées, en aspirant à leur réduction progressive et à leur
suppression en tant que de besoin le moment venu.
1.5.2 à garantir que la prise de contrôle totale ou partielle d’une Société de défense
située sur leur territoire par une entité légale située en dehors du territoire des Parties
n’entravera pas la Sécurité d’Approvisionnement, ni ne lésera aucun intérêt légitime
de sécurité nationale, des autres Parties ;
1.5.3 à se coordonner avec elles sur les activités, biens et installations stratégiques de
la STD ;
1.5.4 à prendre au cas par cas des mesures conservatoires permettant le transfert
d’activités de la STD jugées stratégiques vers au moins l’une des autres Parties.
Procédures d’exportations
1.6 La restructuration de l’industrie européenne de défense ne devrait pas entraver la
capacité des Parties à exporter des Biens et Services de Défense.
1.7 Les Parties confirment leur souhait de maintenir une industrie de défense comme
partie intégrante de leur base industrielle, ainsi que leur capacité d’exportation de Biens et
Services de Défense. Compte tenu du caractère très sensible des exportations de défense,
elles se référeront au Code de Conduite de l’Union européenne sur les exportations
d’armements agréé dans le cadre de la PESC de manière à rechercher une plus grande
transparence et une plus grande efficacité dans les procédures d’exportation des Biens et
Services de Défense.
1.8 Les Parties renforceront leur coopération et promouvront leur convergence en matière
d’exportation d’armes conventionnelles. Elles prendront les mesures nécessaires au
développement de règles communes d’exportation de défense, incluant une harmonisation
de leurs politiques de contrôle (procédures, listes et niveaux d’autorisation) et examineront
la possibilité d’établir une procédure standard.
1.9 Elles rechercheront des moyens de simplifier la circulation des Biens et Services de
Défense entre elles, sauf exceptions limitées, pour leurs besoins propres ou pour toute
réexportation ultérieure au sein de l’Union européenne, en aspirant à une réduction
progressive et le moment venu à une suppression en tant que de besoin des procédures de
contrôle pour les transferts entre elles.
1.10 Elles appliqueront, pour les exportations de défense vers des pays tiers, leurs lois et
réglementations nationales en vigueur dans un esprit de coopération et d’une manière plus
efficace.
1.11 En outre, elles traiteront de la question de la reconnaissance de la responsabilité
politique du dernier exportateur, en intégrant le besoin d’une consultation préalable avec les
Parties impliquées, dans le Code de Conduite de l’Union européenne sur les exportations
d’armements.
150 Entre coopération et concurrence
Sécurité de l’information
1.12 Les Parties reconnaissent qu’il est nécessaire de s’assurer que des mesures de sécurité
appropriées en vue de la protection des informations classifiées sont en vigueur au sein
d’une STD, sans imposer des restrictions inutiles à la circulation du personnel, des
informations et des matériels.
1.13 Les Parties statueront sur l’ensemble minimal de mesures nécessaires à la protection
des informations classifées. Les dispositions relatives à la sécurité nationale pour chaque
STD seront stipulées dans un protocole de sécurité entre les Autorités de Sécurité
compétentes désignées et la STD. En outre, les Parties étudieront les méthodes visant à
permettre que :
1.13.1 des informations classifiées, détenues par une STD, soient échangées entre des
employés dûment habilités de différentes nationalités en fonction de leur besoin d’en
connaître ;
1.13.2 les habilitations du personnel national pour une STD soient promptement
délivrées et acceptées par l’autre Partie ;
1.13.3 les procédures de visites internationales soient rendues plus efficaces.
A cette fin, les Parties examineront les possibilités d’harmonisation et d’allègemment
de leurs réglementations.
Recherche et Technologie (R&T)
1.14 Les Parties sont conscientes du caractère indispensable de la R&T pour maintenir une
industrie européenne de défense efficace, et par conséquent de la nécessité d’utiliser de
manière effective et efficace la quantité limitée de ressources consacrées à la R&T liées à la
défense.
1.15 Les Parties reconnaissent le travail entrepris dans d’autres forums européens en
matière de R&T. Les Parties, dans le contexte de la présente lettre d’intention, ont
l’intention de prendre des dispositions et d’exploiter les travaux des forums existants,
selon le cas, pour :
1.15.1 harmoniser les programmes de recherche et développement et s’informer
mutuellement des travaux de recherche nationaux, en vue de fixer des objectifs
communs à leurs programmes de R&T et d’éviter les redondances inutiles dans les
efforts qu’elles déploient, ainsi que des lacunes majeures de technologie et de
compétences techniques, et de maximiser l’emploi des technologies duales ;
1.15.2 rechercher l’amorce de coopérations, en aval des activités de recherche,
notamment en menant des développements technologiques en partenariat entre eux;
1.15.3 veiller à un financement adéquat et à une répartition efficace des financements
de R&T par les Parties impliquées et permettre aux Parties un accès aux résultats à des
conditions justes et raisonnables.
Traitement des Informations Techniques
1.16 Les Parties s’accordent sur le fait que les restrictions actuellement imposées à la
communication et à l’utilisation des Informations Techniques risquent de faire obstacle à un
fonctionnement efficace d’une STD. Ce faisant, les Parties reconnaissent que les
Informations Techniques ne peuvent pas être communiquées par les Parties sans
l’autorisation du propriétaire.
Annexes 151
1.17 Dans le but de faciliter les restructurations de l’industrie européenne de défense, les
Parties envisageront en conséquence des dispositions qui refléteront les principes et
objectifs suivants :
1.17.1 la propriété des informations Techniques reviendra, en règle générale, à leur
générateur ;
1.17.2 sous réserve qu’elle ait le droit d’autoriser la communication et l’utilisation
d’une Information Technique, une Partie envisagera favorablement la communication
et l’utilisation de cette Information Technique, en tenant compte des éventuelles
contraintes légales relatives à la protection de cette information Technique ;
1.17.3 sous réserve des droits des tiers, les Parties faciliteront le transfert de toute
Information Technique pertinente ;
1.17.4 les droits préexistants des Parties relatifs aux Informations Techniques
détenues par les Sociétés Transnationales dans le domaine de la Défense seront
préservés de manière adéquate ;
1.17.5 des dispositions seront examinées afin de permettre à une Partie de
reconstituer, dans des circonstances exceptionnelles à définir, une capacité propre
d’approvisionnement d’un Bien ou d’un Service de Défense, afin de garantir plus
avant sa Sécurité d’Approvisionnement.
1.18 Les Parties encourageront l’harmonisation de leurs législations, réglementations et
procédures visant à contrôler la communication et l’utilisation d’Informations Techniques
dans le domaine de la défense.
Harmonisation des besoins opérationnels
1.19 Les Parties ont l’intention de mener une analyse de leurs capacités militaires adaptées
au spectre de missions de leurs forces armées qui tienne compte des différentes
caractéristiques de ces missions. Les Parties se fonderont sur cette analyse pour rechercher
une harmonisation des besoins opérationnels de leurs forces armées.
1.19.1 Les futures capacités des forces doivent refléter les défis posés par les
opérations potentielles (y compris les opérations de maintien et de soutien de la paix),
par l’interopérabilité et par les développements de la technologie. Les Parties
devraient dériver des capacités identifiées comme d’intérêt commun des domaines
pour lesquels une harmonisation est jugée possible.
1.19.2 Les Parties identifieront aussi des projets à un stade peu avancé susceptibles de
faire l’objet de recherche, développement et acquisition en coopération.
1.19.3 Les Parties examineront également les possibilités d’harmoniser leurs
procédures de base applicables à leurs programmes d’armement (cycle d’acquisition
des matériels de défense).
Cadre juridique
1.20 Les Parties ont la ferme intention de poursuivre les objectifs de cette lettre d’intention
et d’adopter en tant que de besoin des arrangements et des accords contraignants
spécifiques, selon le calendrier fixé au 2.5, afin de garantir l’application effective des
principes définis dans la présente lettre d’intention.
1.21 Les Parties reconnaissent que la présente lettre d’intention :
1.21.1 ne constitue pas un engagement juridiquement contraignant entre elles en vertu
du droit international ou national ; et
1.21.2 ne comporte aucun engagement financier en leur nom.
152 Entre coopération et concurrence
SECTION 2. ORGANISATION ET CALENDRIER
Comité Exécutif
2.1 La seule organisation permanente envisagée est le Comité Exécutif. Le Comité
Exécutif sera composé d’un représentant de haut niveau de chaque Partie, lequel peut se
faire représenter et être assisté des experts supplémentaires dont il a besoin. Chaque
membre devrait agir comme point focal dans son pays pour les besoins de la présente lettre
d’intention. Les Parties ont l’intention de confier au Comité Exécutif les responsabilités
suivantes :
2.1.1 coordination de la rédaction des arrangements et accords contraignants faisant
suite à la présente lettre d’intention ;
2.1.2 contrôle de l’efficacité de la mise en œuvre de tout instrument international
établi suite à cette lettre d’intention ;
2.1.3 établissement en fonction des besoins, des Groupes de Travail pour mener à
bien les tâches découlant de la présente lettre d’intention ;
2.1.4 coordination, revue et évaluation des travaux des Groupes de Travail ;
2.1.5 préparation de rapports périodiques aux Parties, en tant que de besoin.
2.2 Le Comité Exécutif prendra ses décisions à l’unanimité de ses membres.
Lorsqu’aucun consensus ne pourra être atteint, la question en suspens sera soumise aux
Parties pour être résolue. Exceptionnellement, le Comité Exécutif peut décider par avance à
l’unanimité que certaines décisions spécifiques peuvent ne pas nécessiter un accord
unanime de ses membres.
Groupes de Travail
2.3 Les Groupes de Travail, une fois établis, seront responsables de la fourniture d’avis
sur les lignes d’actions à conduire par le Comité Exécutif, ou de l’exécution de tâches
spécifiques au profit de ce dernier. Ses membres, qui peuvent comprendre des représentants
des industries de chacune des Parties nommés par l’industrie, seront désignés par le Comité
Exécutif. Le Comité Exécutif définira le mandat de chaque Groupe de Travail.
Relations avec d’autres organisations
2.4 Le Comité Exécutif, et ses Groupes de Travail, tiendront dûment compte de tous les
travaux similaires conduits dans d’autres forums, afin d’éviter des évaluations différentes
sur des problèmes identiques et d’établir, lorsque c’est possible, une position commune et
cohérente. Ceci s’appliquera en particulier aux travaux similaires entrepris par les Ministres
de l’Industrie.
Calendrier de travail
2.5 Le travail sera programmé comme suit :
de juillet 1998 à juin 1999 - Le Comité Exécutif et les Groupes de Travail se réuniront afin
de négocier les arrangements et accords contraignants faisant suite à la présente lettre
d’intention ;
de juillet à décembre 1999 - Finalisation et signature de ces arrangements et accords
contraignants.
2.6 Chaque arrangement et accord contraignant décrira, en tant que de besoin, le
calendrier de sa transposition dans les législations et réglementations nationales.