ENTRE COOPERATION ET CONCURRENCE: LE MARCHE
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ENTRE COOPERATION ET CONCURRENCE: LE MARCHE
CAHIERS DE CHAILLOT - NUMERO 44 Entre coopération et concurrence : le marché transatlantique de défense Gordon Adams, Christophe Cornu et Andrew D. James sous la direction de Burkard Schmitt Institut d’Etudes de Sécurité Union de l’Europe occidentale Paris - Janvier 2001 Contents Preface Introduction Burkard Schmitt v 1 Chapter One: Fortress America in a changing transatlantic defence market Gordon Adams Contradictory transatlantic trends The American fortress: reinforced or disappearing? The transatlantic defence industrial agenda 3 4 21 47 Chapter Two: Fortress Europe – real or virtual? Christophe Cornu Fortress Europe and national ‘citadels’ The beginnings of convergence in Europe Conclusion 51 Chapter Three: The prospects for a transatlantic defence industry Andrew D. James The evolution of transatlantic defence industrial relationships Business pressures for closer transatlantic relationships Influences on strategic options The emerging transatlantic industrial landscape Near- and mid-term prospects Conclusions 93 53 72 90 94 102 104 111 117 118 Conclusion Burkard Schmitt 123 About the authors Abbreviations Annexes 131 133 135 iv Préface Il y a quelques mois, l’Institut publiait, sous la signature de Burkard Schmitt, un Cahier de Chaillot spécifique sur les nouvelles stratégies d’intégration industrielle entre grands groupes européens de l’armement1. La présente livraison des Cahiers de Chaillot, sous la direction de Burkard Schmitt, apporte un complément tout à fait essentiel à cette réflexion, en examinant les perspectives et les contraintes d’une coopération transatlantique en la matière. Vieux débat s’il en est : comment permettre aux industriels européens de pénétrer le marché de défense américain, l’un des plus protégés qui soit ? Comment penser des partenariats industriels qui n’aboutissent ni à la dilution des groupes européens ni au monopole des Etats-Unis sur les secteurs les plus stratégiques ? Dans quelle mesure ces partenariats euro-américains sont-ils d’ailleurs nécessaires à la survie et à la compétitivité des industries de défense européennes ? Or les transformations politiques récentes, des deux côtés de l’Atlantique, autorisent désormais des approches et peut-être des réponses nouvelles : à l’Union, la PECSD est entrée dans une phase de montée en puissance quasi irréversible ; aux Etats-Unis, l’élection d’une nouvelle équipe présidentielle est traditionnellement l’occasion de directives ou d’initiatives nouvelles. L’intérêt de programmes euro-américains n’est pas seulement de combler le « gap » technologique et stratégique supposé exister entre les armées américaine et européennes : la plupart des pays européens ne partagent pas l’obsession américaine sur la RMA et ne sont guère disposés à adhérer aux concepts stratégiques définis à Washington pour les guerres du futur. Il serait donc parfaitement illusoire, comme le font pourtant certains Américains, de tabler sur des coopérations industrielles transatlantiques pour obliger les Européens à se mouler dans la stratégie militaire américaine. De la même façon, si la coopération transatlantique en matière d’armements peut avoir des effets induits bénéfiques pour l’ensemble des relations politiques euro-américaines, il est évident que leur mérite essentiel réside ailleurs : dans les avantages commerciaux qui en résulteraient pour l’ensemble des partenaires industriels. Les grands groupes européens ont en effet tout intérêt à pouvoir pénétrer le 1 Burkard Schmitt, « De la coopération à l’intégration : les industries aéronautique et de défense en Europe », Cahiers de Chaillot n. 40, juillet 2000. marché américain qui reste, et de loin, le plus important. Inversement, les groupes américains souhaitent accroître les parts qu’ils possèdent déjà sur certains marchés nationaux en Europe et consolider leurs positions pour relever le défi annoncé d’un futur marché européen de l’armement. Mais la route est longue pour surmonter les contradictions inhérentes à l’idée d’un partenariat transatlantique équilibré en matière d’armements. Deux tensions sont particulièrement évidentes : entre des industries de défense de plus en plus « normalisées » dans des logiques commerciales, et un marché de l’armement toujours très captif et protégé par de multiples législations nationales, aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis. Entre des principes différents selon qu’il s’agisse du volet politique de la défense européenne ou de son volet armement : l’industrie de défense est en effet un domaine où la concurrence et la duplication, a priori tabous dans les relations entre l’Union et l’OTAN, sont aussi légitimes que nécessaires entre partenaires industriels européens et américains. Les industriels européens sont de toute évidence les plus pénalisés, et doublement même : le protectionnisme américain est d’une part tellement puissant que la masse des réglementations et des procédures à respecter pour tenter un partenariat aux Etats-Unis rend de telles coopérations dissuasives au regard des bénéfices escomptés. L’absence, d’autre part, d’un marché véritablement européen, autrement dit d’une harmonisation minimale des besoins et des doctrines militaires entre pays membres de l’UE handicape les industriels européens, tout en affaiblissant la marge de négociation des Etats-membres avec des fournisseurs industriels déjà très intégrés au niveau européen. C’est dire si le politique reste ici fondamental : le vrai problème n’est pas tant en effet l’étanchéité de la forteresse américaine, pourtant très réelle, que la lenteur de l’Europe politique. Il serait en effet logique que la création d’une base industrielle européenne, déjà en cours, s’accompagne d’un minimum de programmation militaire commune et d’un marché européen de l’armement, étapes indispensables pour la réussite des coopérations industrielles euro-américaines. L’Europe comme condition d’un véritable partenariat transatlantique : en cette matière comme dans d’autres, la chronologie sera souveraine. Nicole Gnesotto Décembre 2000 iv Introduction Burkard Schmitt Les dynamiques sous-tendant les relations euro-américaines en matière d’armement sont en pleine évolution. De grands changements politiques, stratégiques, technologiques et financiers ont déjà bouleversé ces secteurs aux Etats-Unis et en Europe ; ils se prolongent aujourd’hui au niveau transatlantique et mettent en cause la donne traditionnelle entre les deux marchés et les deux industries de défense les plus importants du monde. La situation actuelle est contradictoire : la logique commerciale et technologique pousse les grands groupes de défense vers un resserrement des liens transatlantiques, mais les barrières sont nombreuses. Il est fort probable que les relations euro-américaines en matière d’armement continueront de se caractériser à la fois par la concurrence et par la coopération, mais on sait moins quelle sera la tendance prédominante : les gouvernements oseront-ils un saut qualitatif dans leur coopération pour se rapprocher d’un marché vraiment transatlantique ? Ou utiliseront-ils leurs pouvoirs pour maintenir leurs marchés fermés et protéger leurs industries ? Quels sont les vrais intérêts des principaux protagonistes politiques, militaires et industriels ? Quelle sera la réaction des Européens si les EtatsUnis refusent de contribuer à l’établissement d’un juste équilibre entre les deux côtés ? Le concept même de « forteresse » est-il dépassé par les nouvelles réalités économiques et technologiques ? Si le cadre politique d’aujourd’hui ne change pas, quelle sera la stratégie des grands groupes industriels ? Ceux-ci pourront-ils poursuivre la mondialisation de leur propre initiative ? Jusqu’à quel point peuvent-ils s’émanciper des gouvernements ? Les enjeux sont de taille : si, par exemple, la coopération en matière d’armement s’intensifie et se transforme en partenariat équilibré, elle renforcera autant la cohésion de l’Alliance atlantique dans son ensemble qu’elle bénéficiera à la compétitivité des industries. Si, en revanche, la forteresse américaine persiste et si une Europe de l’armement se construit « contre » les Etats-Unis, on risque d’assister à un affrontement entre deux blocs fermés, avec les conséquences néfastes que cela implique pour les relations industrielles en particulier, et les relations transatlantiques en 2 Entre coopération et concurrence général. Dans la réalité, l’évolution des liens ne sera probablement pas aussi tranchée, mais les effets de spill-over entre l’armement et la politique sont évidents. Etant donné l’importance et l’actualité du sujet, l’Institut a demandé à trois experts connus de faire, chacun sous un angle différent, le point de la situation et de présenter leurs idées sur l’avenir de la coopération transatlantique en matière d’armement. Dans le premier chapitre, Gordon Adams analysera d’abord la multiplicité des facteurs qui déterminent les relations entre l’Europe et les Etats-Unis dans ce domaine. Ce rappel permettra de mieux comprendre la complexité de la question et de discerner les pistes pour améliorer la coopération. Dans la deuxième partie de son analyse, l’auteur examinera en détail le dispositif de la forteresse Etats-Unis et évaluera les initiatives récentes du Pentagone visant à faciliter la coopération internationale. Dans le deuxième chapitre, Christophe Cornu traitera la situation en Europe. Il évaluera les réalités budgétaires et législatives ainsi que la politique d’achat des pays européens pour évaluer la réalité ou l’absence d’une forteresse européenne. Ensuite, il se penchera sur les différentes initiatives en cours dans le domaine de l’armement et sur leurs conséquences pour l’avenir de la coopération transatlantique. Dans le troisième chapitre, Andrew James examinera la coopération sous l’angle des relations industrielles. Il reviendra sur l’évolution et les facteurs moteurs de cette coopération. Puis, il analysera la stratégie des entreprises par rapport aux arrangements transatlantiques et proposera des perspectives à court et à moyen terme. Tout en se suffisant à elles-mêmes, ces trois contributions sont complémentaires. Nous espérons que cette combinaison d’approches permettra de donner une vision aussi exhaustive que possible de cette problématique. Chapitre Un LA FORTERESSE AMERIQUE FACE A UN MARCHE DE DEFENSE TRANSATLANTIQUE EN PLEINE EVOLUTION Gordon Adams La relation de défense transatlantique connaît d’importantes évolutions, mais l’avenir demeure incertain : se dirige-t-on vers plus d’intégration et de coopération, ou vers l’émergence de deux forteresses ? Il existe de très bonnes raisons d’accroître l’interdépendance entre les deux rives de l’Atlantique tant sur le plan de la coopération militaire que sur celui de la coopération industrielle et du commerce. Du point de vue stratégique et militaire, la nécessité d’améliorer l’interopérabilité entre forces armées européennes et américaines est évidente. Du point de vue budgétaire, l’intégration des industries au niveau transatlantique permettrait d’économiser des ressources rares et de se concentrer sur les objectifs de défense prioritaires. Last but not least, la « civilianisation » et la mondialisation de la base industrielle et technologique liée à la défense rendent une coopération accrue entre les industries d’armement, attrayante, voire inévitable. Cependant, la rhétorique, la politique et les faits vont souvent à l’encontre de cette interdépendance. Dans le cadre de la Politique européenne commune de Sécurité et de Défense (PECSD), les Européens cherchent à se doter d’une capacité de défense autonome. A l’appui de cet objectif, de nombreux décideurs plaident en faveur d’une « préférence européenne » en matière d’acquisition et prônent la résistance à ce que les Français surtout appellent l’unilatéralisme américain. La consolidation de l’industrie de défense en Europe, les évolutions institutionnelles de l’Union européenne (UE) et l’émergence d’une organisation d’acquisition commune sont d’autres indices d’une tendance nette à l’instauration d’une forteresse en Europe, le partenaire et le marché le plus important des Etats-Unis en matière de défense. Tout aussi importantes, l’évolution de la politique de défense et la consolidation industrielle américaines incitent à la fois à plus d’intégration transatlantique et au renforcement de la forteresse Amérique. Les avantages 4 Entre coopération et concurrence économiques, technologiques et opérationnels qu’offriraient le resserrement des liens de défense et l’assouplissement du régime de coopération industrielle transatlantique sont très nets. Ils sont néanmoins contrebalancés par une forte opposition politique et bureaucratique à tout affaiblissement des réglementations limitant les investissements étrangers directs sur le marché de défense américain ou le transfert de technologies de pointe vers des pays alliés. Pour le futur de la relation transatlantique en matière d’armement, deux logiques s’affrontent : la nécessité de l’interopérabilité militaire et de la rationalité économique et technologique, d’une part ; la politique et la lourdeur administrative, de l’autre. Ces questions sont plutôt urgentes dans la mesure où l’Europe regroupe à la fois son industrie et ses capacités de défense et où une nouvelle administration s’installe à Washington. Le présent chapitre décrit brièvement les forces contradictoires qui déterminent la relation transatlantique et examine, de manière plus approfondie, l’évolution de la forteresse américaine. Il propose également des mesures à prendre rapidement pour instaurer des relations industrielles plus ouvertes et plus souples entre les deux rives de l’Atlantique. I.1 Des tendances transatlantiques contradictoires Planification stratégique et militaire En matière stratégique et militaire, les visions européenne et américaine ont nettement divergé depuis la fin de la guerre froide, en renforçant de part et d’autre la tendance à la forteresse. En même temps, la crise des Balkans a révélé le besoin de plus en plus urgent d’accroître l’interopérabilité au sein de l’Alliance, renforçant ainsi la logique de convergence transatlantique. Avec l’évanouissement de la menace soviétique, l’unité de vision qui avait caractérisé l’OTAN pendant plus de quarante ans a disparu. Au cours des années 1990, les Etats-Unis et leurs alliés européens ont tenté, à grandpeine, de définir une nouvelle vision commune. Les divergences entre Américains et Européens à propos de leurs objectifs et de leurs intérêts stratégiques ainsi que des capacités militaires nécessaires alimentent les arguments de ceux qui souhaiteraient renforcer les forteresses industrielles pour permettre à chaque camp de suivre sa propre stratégie. Gordon Adams 5 La différence de vision stratégique est très importante. Celle des Etats-Unis est devenue mondiale avec la fin de la guerre froide. En conséquence, la défense de l’Europe et la relation transatlantique ne sont plus au cœur de la pensée stratégique et de la planification militaire américaines1 . La Base Force (1991) et la Bottom-Up Review (1993) ont clairement montré que le Pentagone ne planifiait plus la défense de la trouée de Fulda en Allemagne, mais deux affrontements régionaux (Major Regional Contingencies - MRC) ou deux guerres de théâtre (Major Theater Wars - MTW) majeurs simultanés, le golfe Persique et la péninsule coréenne servant de références 2 . Devant une telle mission, les forces américaines se sont orientées vers une capacité de projection susceptible de couvrir l’ensemble du spectre des opérations militaires, y compris celles de haute intensité 3 . La guerre du Golfe, la crise avec la Corée du Nord en 1994 et les tensions dans le détroit de Formose en 1996 montrèrent que les deux scénarios de MRC s’ancraient dans la réalité géostratégique. Les déploiements américains des années 90 ont clairement été de nature expéditionnaire : Somalie, Rwanda, Haïti et surtout Balkans. Malgré l’inertie d’une planification militaire forgée pendant la guerre froide, et les investissements massifs dans la génération actuelle des équipements, les forces américaines sont devenues beaucoup plus mobiles, plus agiles et plus souples. En outre, chacune des armées incorpore dans sa doctrine et son mode de conduite des opérations les technologies de la guerre moderne : munitions à guidage de précision, communications interopérables sophistiquées, renseignement en provenance des drones et satellites, liaisons de données et systèmes d’information reliant les matériels à l’échelon de commandement. La vision européenne du monde est nettement influencée par l’économie ; ce sont le commerce et les investissements qui déterminent la politique 1 2 3 Au début des années 1990, les forces américaines déployées en Europe sont rapidement passées de 300 000 à environ 100 000 hommes. Les forces militaires naguère basées en Allemagne et déployées lors de la guerre du Golfe en 1990-91 rentrèrent aux EtatsUnis après le conflit. Voir ministre de la Défense Les Aspin, Report of the Bottom-Up Review, département de la Défense, Bureau du ministre de la Défense, Washington, DC, octobre 1993 et ministre de la Défense William Cohen, Report of the Quadrennial Defense Review, département de la Défense, Bureau du ministre de la Défense, Washington, DC, 1997. Voir chefs d’état-major interarmées, Joint Vision 2020, département de la Défense, Washington, DC, 1998 et Joint Vision 2020, département de la Défense, Washington, DC, 2000. 6 Entre coopération et concurrence extérieure de l’Europe. Les Européens n’assument quasiment aucune responsabilité militaire au-delà du golfe Persique. Même là, leur rôle n’est que secondaire4 . Si la plupart des pays européens ont soutenu la campagne de 1991 dans le Golfe, seuls les Britanniques et les Français y ont envoyé des contingents significatifs 5 . Aujourd’hui, les Européens n’apportent qu’une petite contribution militaire à la sécurité dans la région, et se soucient peu de la menace balistique que pourraient présenter le Proche- et le Moyen-Orient pour le continent européen6 . Ces divergences stratégiques ont gêné la préparation du sommet de l’OTAN d’avril 1999 à Washington, où les Européens se sont fermement opposés aux propositions américaines visant à étendre la mission de l’OTAN au-delà du territoire de l’Alliance7 . 4 5 6 7 Voir Philip Gordon, « The Transatlantic Allies and the Changing Middle East », Adelphi Paper 332, International Institute for Strategic Studies, Londres, septembre 1998. En termes militaires, la contribution des Européens à la guerre du Golfe fut relativement minime. Les Américains fournirent 1 376 avions et 532 000 fantassins, les Britanniques 69 avions et 35 000 fantassins, et les Français 42 avions et 13 500 militaires. Les Britanniques déployèrent leurs forces lentement, avec surtout leurs propres moyens de transport. Les Français eurent massivement recours aux moyens de transport américains et disposaient d’équipements si légers qu’ils furent placés sur le flanc gauche, avec le soutien de l’artillerie américaine. Voir David C. Gompert, Richard L. Kugler et Martin C. Libicki, Mind the Gap: Promoting a Transatlantic Revolution in Military Affairs, NDU Press, Washington, DC, 1999, p. 18. Voir également James D. Thomas, « The Military Challenges of Transatlantic Coalitions », Adelphi Paper 333, International Institute for Strategic Studies, Londres, 2000, chapitre 2. Pour la perspective américaine sur la menace balistique, voir Commission to Assess the Ballistic Missile Threat to the United States, Executive Summary of the Report of the Commission to Assess the Ballistic Missile Threat to the United States (Rumsfeld report), 15 juillet 1998. Les Européens ont eux aussi des intérêts ailleurs ; simplement, ils ne considèrent pas la force comme un instrument pour les satisfaire, ce qui rend la solution proposée par Gompert et al. difficile à concrétiser. Selon ces auteurs ; « Les intérêts reflètent les vulnérabilités et les opportunités sous-jacentes d’une société, ainsi que sa vitalité économique, par rapport à la situation ailleurs dans le monde. Dans ce sens, les Européens ont des intérêts mondiaux – des intérêts en fait très similaires à ceux des Américains ». Ils citent notamment la stabilité de la Russie, la situation en Afrique, les réserves pétrolières, la prolifération des armes de destruction massive, la réalité de l’intégration économique mondiale, ainsi que les questions transnationales telles que le terrorisme, la drogue et la guerre de l’information et soulignent que « les divergences transatlantiques en matière de prévision stratégique ne concernent pas les intérêts en tant que tels, mais l’opportunité et la façon de les protéger » (p. 20). Reste à savoir Gordon Adams 7 La planification stratégique et militaire européenne a également suivi une logique distincte dans les années 1990. La menace régionale était faible et les planificateurs européens étaient « prisonniers de l’inertie », toujours largement enfermés dans le paradigme de la guerre froide 8 . Consacrant des sommes considérables à la défense (60 % du total américain), les pays européens de l’OTAN n’ont acquis ni capacités de projection ni équipements de pointe. Leurs forces armées se composent donc, en général, d’effectifs trop nombreux et de matériels viellissants, ce qui les gêne de plus en plus pour intervenir aux côtés des Américains dans le cadre de coalitions 9 . A la fin des années 1990, deux développements majeurs commencèrent à modifier la donne. Lors du sommet franco-britannique de Saint-Malo de décembre 1998, tout d’abord, Tony Blair et Jacques Chirac s’entendirent sur l’objectif de doter l’Europe d’« une capacité autonome [italiques rajoutés] d’action, appuyée sur des forces militaires crédibles, avec les moyens de les utiliser et en étant prête à le faire afin de répondre aux crises internationales ». Opérant un véritable revirement politique, Londres acceptait ainsi, pour la première fois, que des actions de défense européennes puissent être décidées et mises en oeuvre hors du cadre de l’OTAN. La France, quant à elle, s’écartait de sa politique traditionnelle d’autonomie nationale en matière de défense et s’engageait vis-à-vis d’éventuelles actions communes de l’Europe. Le deuxième événement important fut la campagne aérienne au Kosovo. La guerre du Golfe et les déploiements en Bosnie avaient déjà clairement témoigné de l’existence d’un écart considérable entre les capacités militaires américaines et européennes 10 . Les opérations au Kosovo montrèrent à quel point ce fossé s’était élargi 11 . Selon les militaires américains, les carences 8 9 10 11 toutefois si les Européens sont véritablement persuadés que la force militaire fait partie de cette équation. Voir David Gompert et al., op. cit. dans note 5, p. 10. Les alliés européens ont plus de 1,8 millions soldats sous les drapeaux, dont 1,3 millions (soit les deux tiers) sont allemands, britanniques, français et italiens. Ce chiffre ne tient pas compte des personnels grecs et turcs, mais couvre les nouveaux membres de l’OTAN d’Europe centrale. OTAN, « Financial and Economic Data Relating to NATO Defence », Commu niqué de Presse M-DPC-2 (1999) 152, Table 6. James Thomas, Adelphi Paper 333. Sur les 35 satellites positionnés au-dessus du Kosovo pendant le conflit, deux seulement étaient européens (en tout, les Européens n’en possèdent que 5, et les 8 Entre coopération et concurrence européennes en matière de munitions à guidage de précision, de transport aérien et de moyens intéroperables de commandement, contrôle et communications (C3) « étaient réelles et ont considérablement réduit l’efficacité de la coopération avec nos alliés » 12 . Allemands, Britanniques et Français se sont également aperçu que leurs forces n’étaient pas suffisamment souples, mobiles et techniquement à niveau pour leur permettre de mener des actions autonomes ou de jouer un rôle influent dans le cadre de coalitions de l’OTAN 13 . La conjugaison de Saint-Malo et du Kosovo eut un impact majeur sur la planification de défense européenne. Au sommet de Cologne de juin 1999, l’UE souscrivit à l’initiative franco-britannique de développer une capacité d’action militaire européenne autonome 14 . Les Quinze décidèrent d’absorber 12 13 14 Américains 65). Les Etats-Unis ont ainsi fourni la majeure partie du renseignement militaire. Sur le théâtre d’opérations, les Européens eurent des difficultés à communiquer en toute sécurité entre eux ou avec leur allié, 90% des capacités de communication venant des Etats-Unis. Ils n’avaient virtuellement aucune réserve de munitions à guidage de précision (sauf pour les Tomahawks britanniques) et disposaient d’une capacité réduite (mis à part certains moyens français) pour des opérations de combats tous temps ou de nuit. En conséquence, 80% des missions de frappe sur le théâtre d’opérations (et deux tiers de l’ensemble des sorties aériennes) ont été entreprises par les Américains. Les Européens étaient dépendants de l’aviation américaine pour leurs sorties, notamment pour la conduite des opérations, le ravitaillement en vol ainsi que le brouillage et la destruction des radars serbes. S’agissant de la question plus triviale mais complexe du transport et de la logistique, les capacités de projection européennes ne comprenaient que 2 navires rouliers, loués (les Etats-Unis en avaient 12), aucune capacité de transport maritime rapide (8 pour les Etats-Unis) et aucune capacité de transport aérien stratégique (254 avions pour les Etats-Unis). Voir International Institute for Strategic Studies, « A Common European Military Policy », Strategic Comments, vol. 5, n. 6, juillet 1999, p. 2 ; J.A.C. Lewis, « Building a European Force », Jane’s Defense Weekly, 23 juin 1999, p. 22 ; Carla Anne Robbins, « Display of U.S. Might Makes Allies, Adversaries Doubt Their Relevance », Wall Street Journal, 6 juillet 1999, p. 1. Voir également James Thomas, Adelphi Paper 333. Ministre de la Défense William S. Cohen et Général Henry H. Shelton, « Joint Statement on the Kosovo After Action Review» , 14 octobre 1999, p. 8. Voir Roger Cohen, « Uncomfortable with Dependence on U.S., Europe Aims for New Parity », The New York Times, 15 juin 1999 et William Drozdiak, « War Showed U.S.Allied Inequality », Washington Post, 28 juin 1999, p. 1. Voir égale ment département de la Défense, Kosovo/Operation Allied Force After-Action Report, département de la Défense, Washington, DC, 31 janvier 2000. Site Internet de l’Union européenne, « The Council of the European Union and the Common Foreign and Security Policy », p. 2. Gordon Adams 9 l’Union de l’Europe occidentale dans l’UE et de mettre sur pied leur propre structure de décision politico-militaire : les ministres de la défense européens se réuniraient régulièrement à quinze et l’UE créerait un Comité politique et de sécurité, un Comité militaire et un Etat-major européen. En outre, l’ancien Secrétaire général de l’OTAN, Javier Solana, fut nommé Haut Représentant pour la PESC 15 . Le sommet d’Helsinki de décembre 1999 concrétisa l’aspect militaire du projet. L’UE avalisa la proposition franco-britannique de créer d’ici 2003 une force de réaction rapide européenne de 60 000 hommes capable de mener l’ensemble des « missions de Petersberg », déployable en moins de 60 jours et capable de rester sur le terrain pendant un an grâce à une capacité de rotation appropriée 16 . Les membres de l’UE soulignèrent leur engagement à « déterminer rapidement des objectifs collectifs de capacité en matière de commandement et de contrôle, de renseignement et de transport stratégique » et se félicitèrent des décisions déjà prises par certains Etats membres de coordonner les systèmes d’alerte rapide, d’établir des étatsmajors communs, de renforcer les capacités de réaction rapide des forces existantes et de préparer l’établissement d’un commandement européen du transport aérien17 . Cette évolution vers ce que l’on appelle désormais la Politique européenne commune de Sécurité et de Défense (PECSD) reçut, à Washington, un accueil mitigé. D’un côté, lors du sommet de Washington, les ministres de l’OTAN se réjouirent « du nouvel élan qui a été donné au renforcement des capacités de défense européennes pour permettre aux Alliés européens d’agir plus efficacement ensemble, consolidant ainsi le partenariat transatlantique » 18 . De l’autre, il était évident que les Américains craignaient 15 16 17 18 Voir David Buchan, « Solana Hoped to Add Value to EU Foreign Policy-Making », Financial Times, 15 septembre 1999, p. 2. Pour faciliter l’intégration de l’UEO, M. Solana fut également nommé Secrétaire général de l’UEO en novembre 1999. Voir « Rapport sur l’état des travaux établi par la présidence pour le Conseil européen d’Helsinki concernant le renforcement de la politique européenne commune en matière de sécurité et de défense », 10 et 11 décembre 1999. Les missions de Petersberg comprennent les missions humanitaires ou d’évacuation de ressortissants, les missions de maintien de la paix, les missions de force de combat pour la gestion des crises, y compris des opérations de rétablissement de la paix. Ibid. Déclaration du sommet de l’OTAN, S(99)63, 23 avril 1999, para. 6. 10 Entre coopération et concurrence de voir cette identité européenne s’émanciper de l’OTAN et aboutir à une organisation séparée ayant une stratégie distincte 19 . Le sommet d’avril 1999 conféra au débat une forte orientation transatlantique, prônant un lien étroit entre la PECSD et l’OTAN. L’Alliance s’engagea « à définir et à adopter les dispositions requises pour permettre l’accès aisé de l’Union européenne aux moyens et capacités collectifs de l’Alliance pour des opérations dans lequel l’Alliance dans son ensemble ne serait pas engagée militairement » 20 . L’OTAN a cependant clairement indiqué que l’autonomie européenne serait bridée par des procédures minutieuses, notant que l’IESD « continuera[it] d’être développée au sein de l’OTAN » et que celle-ci « aidera[it] les Alliés européens à agir eux-mêmes […] au cas par cas, et par consensus"21 . L’OTAN s’est efforcée, parallèlement, de combler le fossé mis en évidence au Kosovo, en lançant la DCI (Defense Capabilities Initiative). L’objectif de cette initiative est d’améliorer les capacités de l’OTAN dans plusieurs domaines clés : déployabilité et mobilité des forces de l’Alliance, maintien sur le terrain et logistique, survivabilité et capacité d’engagement effective, systèmes de contrôle, de commandement et d’information22 . Avec la mise en œuvre de la DCI, la coopération transatlantique des industries de défense devient encore plus importante. Néanmoins, les tensions sous-jacentes demeurent. D’un côté, l’amélioration des capacités de défense européennes rend les coalitions militaires plus intéressantes car celles-ci disposent ainsi d’un potentiel accru. De l’autre, elle renforce la tendance à la forteresse sur chaque rive de l’Atlantique : si l’UE mène des missions de Petersberg de façon autonome, une fracture risque de se créer entre Européens et Américains dans la planification des forces. La DCI pourrait générer les forces adaptées à ces missions, mais ses résultats seraient mis en cause si l’UE n’atteint pas son objectif global (ce qui est tout 19 20 21 22 Voir discours du Secrétaire d’Etat adjoint Strobe Talbott, « America’s State in a Strong Europe », remarques au Royal Institute of International Affairs, Chatham House, 7 octobre 1999, p. 3. Ibid. para. 10. OTAN, « Le concept stratégique de l’Alliance », Communiqué de presse NACS(99)65, 24 avril 1999, para. 30. Ibid. p. 3. Pour traiter ces problèmes, l’OTAN a créé un Centre logistique multinational conjoint à la fin de 1999 et envisage un système C3 pour 2002. Gordon Adams 11 à fait possible). La coordination entre la DCI et le headline goal, qui n’a commencé qu’au printemps 2000, sera cruciale tant sur le plan politique que pour la planification militaire 23 . Sans cette coordination, la prise de conscience, après le Kosovo, du besoin d’interopérabilité risque de se diluer et, à Washington, les tendances politiques en faveur d’une forteresse Amérique pourraient se renforcer. Budgets D’un côté, l’écart considérable entre les budgets de défense des Etats-Unis et de l’Europe, notamment en matière d’acquisition et de R&D, rend le renforcement de la coopération transatlantique encore plus important, ne serait-ce que pour exploiter de manière plus efficace des moyens réduits. De l’autre, le budget américain est censé augmenter (en termes réels) à partir de 2001, ce qui n’est pas le cas des budgets européens. Ainsi, les Européens auront probablement du mal à financer les capacités militaires qu’ils ont promises. Si leurs performances ne sont pas à la hauteur de leurs engagements, les Américains auront, une fois de plus, l’impression que les alliés ne remplissent pas leur part du contrat. Une aubaine pour ceux qui prônent la forteresse américaine. Selon des projections actuelles, le budget annuel américain d’acquisition et de R&D devrait, au cours des cinq prochaines années, être supérieur à 100 milliards de dollars, soit plus du double des dépenses de l’ensemble des alliés européens. La conviction est, de plus, à Washington, que même un budget d’équipement de ce niveau ne sera peut-être pas suffisant pour couvrir les projets d’acquisition envisagés par le Pentagone 24 . Les Européens sont confrontés à un dilemme financier encore plus aigu. Sans augmenter leurs investissements de défense, ils seront obligés de s’appuyer encore davantage sur le potentiel militaire américain. Ce qui pourrait 23 24 Voir Conseil de l’Union européenne, Conseil, Conclusions de la présidence, Conseil européen de Santa Maria da Feira, 19 et 20 juin 2000, Section C.9 Voir Steven Kosiak et Elizabeth Heeter, « Cost of Defense Plan Could Exceed Available Funding by $26 Billion a Year Over Long Run », Center for Strategic and Budgetary Assessment, Washington, DC, mars 1998 ; et General Accounting Office, Future Years Defense Program: Funding Increase and Planned Savings in Fiscal Year 2000 Program Are at Risk, NSIAD-00-11, GAO, Washington, DC, novembre 1999. 12 Entre coopération et concurrence finalement exacerber les tensions transatlantiques relatives au partage du fardeau, car les Américains ressentiraient des forces européennes non modernisées comme un boulet dans toute coalition. En tout état de cause, les investissements européens nécessaires en matière de commandement, conduite, communications, renseignement, surveillance et reconnaissance (C3ISR) – pour lesquels l’Europe dépend largement des Etats-Unis – seront très onereux. A ces coûts viendront s’ajouter les crédits nécessaires pour l’amélioration de la logistique, le transport maritime et aérien, les stocks suffisants de munitions à guidage de précision, les aéronefs jour-nuit/tous temps, le ravitaillement en vol et les capacités de recherche et sauvetage. La somme totale est difficile à estimer, mais il pourrait s’agir de plusieurs milliards supplémentaires par rapport aux budgets de défense actuels. S’il faut en croire le passé, les Européens ne parviendront pas à relever ce défi. Globalement, leurs budgets – et en particulier ceux des alliés les plus importants – ont été sévèrement réduits depuis 1985 : de 34,5 % au Royaume-Uni, 28,4 % en Allemagne et 16,1 % en France 25 . Dans plusieurs pays européens, les dépenses d’équipement, objectif clé de la PECSD, ne représentent qu’une petite partie des budgets de défense : 13,6 % en Allemagne (en 1999), 12,2 % en Italie et 16 % aux Pays-Bas. En France (25 % environ) et au Royaume-Uni (28 %) seulement, ces dépenses sont proches du pourcentage américain (plus de 30 %). En outre, la tendance est vers le bas. De 1994 à 1998, les dépenses d’acquisition françaises ont diminué de 24,7 % en dollars constants ; celles de l’Allemagne ont été réduites de 25 Ces calculs se fondent sur les définitions et les données de l’OTAN et sont exprimés en monnaie locale constante pour éviter les problèmes liés aux variations de taux de change. Seuls le Danemark, la Norvège et le Portugal ont augmenté leurs budgets de défense pendant cette période. La Grèce et la Turquie ont également augmenté leur budget de défense pendant cette période, mais pour des raisons liées surtout à leur rivalité que pour répondre aux exigences de l’OTAN. Par comparaison, le budget de défense américain a baissé de 27,8% pendant la même période. OTAN, Financial and Economic Data, op. cit. dans note 9, calculs de l’auteur. Selon les données de l’IISS, la réduction moyenne des budgets de défense européens à l’OTAN a été de 26% depuis 1986. Les nouveaux alliés de l’OTAN ne modifient pas cette tendance ; selon les données de l’IISS, leurs budgets ont diminué depuis 1990 deux fois plus que ceux des alliés d’Europe occidentale de l’OTAN. IISS, The Military Balance, 1998/99. Gordon Adams 13 7,5 % ; seul le Royaume-Uni a augmenté ses dépenses d’acquisition de 15,5 %26 . Les investissements en R&D, cruciaux pour la prochaine génération de technologies de défense, présentent un écart encore plus important : en 1998, le total des dépenses de R&D des alliés européens de l’OTAN s’élevait à 9,7 milliards de dollars (dollars de 1997) dont 90 % pour l’Allemagne, la France et le Royaume-Uni. La même année, les Etats-Unis ont dépensé 35,9 milliards de dollars. Qui plus est, les investissements de R&D sont redondants en Europe, faute d’une coordination suivie entre pays européens. Cette tendance n’évoluera probablement pas. Aucun allié européen majeur, sauf la Grande-Bretagne, n’envisage d’augmenter son budget de défense 27 . La Chambre des Communes ayant indiqué que l’inadéquation des ressources entraînait « l’annulation d’exercices, des retards dans les programmes d’acquisition et l’incapacité de résoudre les problèmes de surexploitation et de manque d’effectifs 28 », le ministre de la Défense Geoff Hoon annonça en juillet 2000 une augmentation du budget d’acquisition de 1,25 milliards de livres sur trois ans. Le budget de défense global augmentera, en termes réels, de 0,1% en 2001/2, de 0,2% en 2002/3 et de 0,7% en 2003/4. L’Allemagne et la France sont, quant à elles, soumises à des contraintes qui ne sont pas liées à la défense. Leurs taux de chômage demeurant élevés, les deux gouvernements doivent toujours faire face à d’importantes dépenses sociales. En France, le budget de défense pour 2000 a été inférieur à celui de l’année précédente, et les dépenses d’équipement ont diminué de 3,5 % 29 . 26 27 28 29 Calculs de l’auteur, fondés sur les données de l’IISS. Par comparaison, les dépenses américaines en matière d’équipement ont diminué de 6,1% pendant cette période. L’Italie a également accru ses dépenses de 41,4%, alors que les nouveaux alliés, se préparant à entrer à l’OTAN, les ont considérablement augmentées, à partir d’un point de départ il est vrai moins élevé : République tchèque, 115,9% ; Hongrie, 30,7% ; Pologne, 89,8%. Voir Colin Clark, « Lack of European Spending Threatens DCI », Defense News, 13 décembre 1999, p. 4 (26) ; Douglas Barrie, « Defense Budgets Remain Tight Throughout Europe », Defense News, 20 décembre 1999, p. 26. D’après Reuters, BBC Online, 10 février 2000. Douglas Barrie, « Defense Budgets Remain Tight Throughout Europe », Defense News, 20 décembre 1999, p. 26. 14 Entre coopération et concurrence En Allemagne, où le coût de l’absorption de l’ex-RDA continue à peser sur le budget, le ministère des Finances insiste sur la nécessité de réduire le budget actuel (23,2 milliards de dollars) de 1,7 à 2,4 milliards par an pendant les cinq années à venir30 . Ces réductions pourraient toucher surtout les projets d’équipement 31 . Les dirigeants américains ont vivement invité les Européens à inverser cette tendance 32 . Compte tenu de leurs moyens, les Européens éprouveront pourtant des difficultés à réaliser des programmes communs et les acquisitions envisagées, en particulier ceux qui accroîtraient leur autonomie vis-àvis des Etats-Unis. D’un côté, l’antinomie entre la pénurie financière en Europe et l’augmentation des budgets d’investissement aux Etats-Unis risque d’aggraver les tensions transatlantiques. De l’autre, cette antinomie laisse supposer que la coopération transatlantique représenterait, pour les Européens, un moyen rentable d’acquérir les capacités technologiques nécessaires pour les interventions modernes. Une telle politique européenne enverrait un signal fort à l’industrie sur les avantages de la coopération. Ici encore, les considérations politiques pourraient pourtant passer avant une allocation plus efficace des moyens, ce qui risque d’empêcher les Européens de s’offrir la capacité autonome qu’ils cherchent à acquérir. Technologies Malgré l’évidence d’un fossé technologique, tout conduit à penser qu’un marché transatlantique de défense est quasiment inévitable. Les technologies utilisées dans le Golfe et au Kosovo relèvent de plus en plus de ce que l’on a appelé la Révolution dans les Affaires militaires (RAM) : moyens sophistiqués de commandement, conduite, communications, informatique, renseignement, surveillance et reconnaissance (C4ISR), liaisons de données et munitions à guidage de précision. Cet ensemble de capacités 30 31 32 Fondé sur les taux de change en juillet 2000. Douglas Barrie, op. cit. dans note 29. Voir ministre de la Défense William S. Cohen, « En dernière analyse, les alliés devront dépenser plus en matière de défense, s’ils veulent être à la hauteur des besoins militaires de l’OTAN et instaurer une Identité européenne de Sécurité et de Défense séparable mais pas séparée de l’OTAN », d a n s «Europe Must Spend More on Defense », Washington Post, 6 décembre 1999, p. 27. Gordon Adams 15 technologiques constitue l’un des grands multiplicateurs de force du XXIe siècle, et son impact sur les opérations militaires ne fera qu’augmenter. La base technologique qui génère les capacités militaires du XXIe siècle est de plus en plus civile et mondiale. L’usage de ces technologies pour des besoins militaires constitue l’une des évolutions les plus fondamentales que l’industrie de défense ait jamais subie. Dans toutes les économies modernes, cette industrie a changé de manière impressionnante, à en devenir presque méconnaissable. Elle n’est plus en majorité composée de sociétés dont l’activité principale est la fourniture de technologies et d’équipements exclusivement aux forces armées. Pour les entreprises qui développent les technologies de la RAM, la défense ne représente qu’une partie très réduite, voire invisible, de leur chiffre d’affaires global ; elle n’est qu’un marché de plus pour les technologies destinées avant tout au marché civil mondial33 . Cette base technologique draine les Européens comme les Américains vers un marché commun et mondial34 . Dans la mesure où cette tendance vers la mondialisation et la commercialisation se poursuit, il sera de plus en plus difficile pour les gouvernements – y compris américain – de conserver un contrôle exclusif ou de créer un fossé technologique. La différence majeure entre l’Europe et les Etats-Unis a été l’existence d’entreprises et d’investissements de défense permettant aux gouvernements d’exploiter les technologies commerciales pour des plates-formes et des capacités militaires. C’est la véritable raison de l’écart en matière de RAM : la naissance tardive, en Europe, de grands systémiers de défense, à laquelle se sont ajoutés la faiblesse des investissements et le manque de coordination de la R&D entre pays européens 35 . 33 34 35 Gompert et al., « Les systèmes militaires modernes sont remplis de technologies de l’information. Les segments non-militaires dominent néanmoins ce marché. Les contrats de défense représentent seulement 2% des acquisitions actuelles dans ce domaine » (pp. 68-69.) Référence à une étude de l’Institute for Defense Analysis, IDA, Research Summary, vol. 3, n. 2 (1996). En fait, les examens des technologies réalisées dans les années 1990 par le département américain de la Défense suggèrent que d’importantes capacités techniques existent en Europe, dont pourrait bénéficier l’armée américaine. Pour un avis complètement opposé, voir John Deutch, Arnold Kanter et Brent Scowcroft, « Saving NATO’s Foundation », Foreign Affairs, vol. 78, n. 6, novembre/décembre 1999, pp. 54-67. Ces auteurs considèrent que la communication, le hardware et le software sont des domaines où « les Etats-Unis ont un avantage 16 Entre coopération et concurrence Les origines civiles de la RAM créent l’occasion d’accroître la coopération intra-européenne et transatlantique. L’Europe dispose aujourd’hui de grands systémiers qui sont capables d’exploiter davantage ces technologies. En outre, les investissements américains en matière de défense et le caractère mondial du marché des technologies drainent inévitablement les firmes européennes vers la coopération transatlantique. Ce processus apparaît déjà clairement au niveau des sous-traitants et équipementiers ; un marché transatlantique estimé à 12 milliards de dollars existe en effet pour les soussystèmes et les composants, avec des ventes à peu près égales dans les deux sens 36 . L’élément qui fait défaut en Europe est le financement. Des investissements européens plus élevés et mieux coordonnés pour la R&D de défense permettraient de réduire notablement le fossé et de renforcer la coopération transatlantique des industries, tout en améliorant l’interopérabilité au sein de l’Alliance. Ici encore, c’est la volonté politique d’accroître ou de redistribuer les ressources qui déterminera le rapprochement industriel transatlantique. Industries Comme nous l’avons vu, les industries de défense ont connu, des deux côtés de l’Atlantique, une profonde transformation. D’importantes réductions des budgets et de nouvelles orientations politiques, d’une part, la mondialisation et le recours aux technologies civiles de l’autre, ont radicalement modifié le tissu industriel et technologique de défense. Avec la mondialisation progressive du secteur de la défense, les industries déterminent leur profil futur de façon de plus en plus indépendante par rapport aux gouvernements 37 . 36 37 considérable (mais certainement pas un monopole) par rapport à l’Europe » (p. 61). Dans Gompert et al., le raisonnement est analogue mais plus détaillé (pp. 74-77). Selon ces auteurs, les compagnies américaines telles que Motorola et Oracle devancent l’Europe de loin et il existe des obstacles significatifs aux échanges commerciaux à travers l’Atlantique qui renforcent encore cet avantage. Reste à savoir toutefois si elles opèrent exclusivement sur le marché américain ; toutes font de la recherche, produisent ou commercialisent sur une base mondiale. Le savoir-faire dans ces activités est très éparpillé et disponible en Europe ; les entreprises européennes ne sont pas en retard comme le suggèrent les expériences d’Ericsson et de Nokia. Voir, par exemple, Financial Times, « FT Telecoms : Financial Times Survey », 8 octobre 1999, pp. I-L. IISS, The Military Balance, 1998-99, p. 273. Cette tendance du secteur de la défense suscite un nombre croissant de recherches et de publications. Voir, entre autres, Gordon Adams, Alex Ashbourne, et al., Europe’s Gordon Adams 17 D’un côté, la consolidation de l’industrie et le recours accru aux technologies civiles, ont donné au marché de la défense davantage de fluidité, de souplesse et de transparence. Dans ces conditions, une industrie véritablement transatlantique devrait être bien accueillie, car elle améliorerait l’efficacité en matière d’acquisition de défense, augmenterait la concurrence lors des appels d’offres, et permettrait d’exploiter pleinement les technologies émergentes. De l’autre, tout en facilitant la consolidation industrielle, les gouvernements ont jusqu’ici cherché à limiter la liberté des entreprises dans ce processus. Plusieurs raisons à cela : éviter une perte de contrôle national sur les technologies, empêcher la dissémination de cellesci vers des adversaires potentiels et éviter le manque à gagner dans certaines régions. Ces pressions contradictoires détermineront dans une large mesure si le marché américain restera une forteresse et si le marché européen en deviendra une. En 1993, le Pentagone a clairement fait savoir à l’industrie américaine qu’elle devait se consolider. Quatre grands groupes aérospatiaux firent ainsi leur apparition aux Etats-Unis : Northrop Grumman, Lockheed Martin, Boeing et Raytheon. Ils absorbèrent les activités correspondantes des sociétés plus diversifiées comme General Electric, Ford, Texas Instruments et Hughes. Le gouvernement américain a joué un rôle actif dans ce processus en assouplissant l’application de la législation antitrust et en subventionnant les entreprises dans le cadre de la consolidation, proportionnellement aux économies qu’elle lui permettrait de réaliser 38 . 38 Defence Industry: A Transatlantic Future?, Center for European Reform, Londres, 1999 ; Gordon Adams, « Revolution in the Arms Trade: The Emergence of a Transnational Arms Industry », document pour le Defense Budget Project, Washington, DC, mai 1992. Richard A. Bitzinger, The Globalization of Arms Production: Defense Markets in Transition, The Defense Budget Project, Washington, DC, décembre 1993 ; Richard A. Bitzinger, « Globalization in the Post-Cold War Defense Industry: Challenges and Opportunities », dans Ann R. Markusen et Sean S. Costigan, Arming the Future: A Defense Industry for the 21st Century, Council on Foreign Relations, New York, 1999, pp. 305-33 ; Robert P. Grant, « Transatlantic Armament Relations Under Strain », Survival, vol. 39, n. 1 (printemps 1997), pp. 111-37 ; International Institute for Strategic Studies, « Transatlantic Defence Industry: Fortresses or Integration? », dans Strategic Survey, 1998/99, IISS, Londres, 1998 ; et Andrew D. James, Post-Merger Strategies of the Leading U.S. Defence Aerospace Companies, Defense Research Establishment, Division of Defence Analysis, Stockholm, décembre 1998. Le General Accounting Office (GAO) américain a conclu que la consolidation avait permis d’économiser 2,1 milliards de dollars, soit 64% des économies prévues par le 18 Entre coopération et concurrence Le gouvernement a également limité la consolidation. En 1998, les départements de la Défense et de la Justice ont empêché Lockheed Martin d’acquérir Northrop Grumman, considérant que cette fusion donnerait naissance à une société verticalement intégrée qui réduirait la concurrence39 . Ils ont également repoussé une tentative de fusion entre Newport News Shipbuilding et General Dynamics qui aurait créé un seul producteur de sousmarins et porte-avions à propulsion nucléaire. La restructuration de l’industrie de défense européenne a, en réalité, précédé celle de l’industrie américaine, avec l’apparition de « champions nationaux » dans les années 1980, qui ont atteint leur apogée à la fin des années 1990 : British Aerospace (BAe) et General Electric/Marconi au RoyaumeUni, DASA en Allemagne, Saab en Suède, Aerospatiale-Matra et ThomsonCSF en France, CASA en Espagne et les divers holdings de Finmeccanica en Italie. La différence majeure entre les processus de consolidation en Europe et aux Etats-Unis a été l’internationalisation. Parallèlement aux restructurations et aux privatisations des années 1980 et 1990, les gouvernements européens avaient encouragé la création de joint ventures transnationaux et les projets en coopération dans de nombreux domaines (avions civils et militaires, missiles et hélicoptères, etc.). A la fin des années 90, tout un réseau de coopération industrielle existait déjà en Europe, et certaines sociétés sont même allées plus loin que des partenariats et des joint ventures en acquérant des firmes ou en prenant des participations dans d’autres pays. Les regroupements les plus importantes en Europe eurent lieu en 1999, avec la fusion de BAe et GEC/Marconi au Royaume-Uni et d’AerospatialeMatra, DASA et CASA sur le continent, donnant respectivement naissance à BAE Systems et à European Aeronautic, Defense and Space Company (EADS). Ces deux géants européens sont liés par une trame très dense de joint-ventures (Airbus, Eurofighter, Astrium, MBD) 40 . 39 40 Pentagone. Voir GAO, Defense Industry: Restructuring Costs Paid, Savings Realized and Means to Ensure Benefits, NSIAD-99-22, GAO, Washington, DC, 1er décembre 1998. Voir John J. Hamre, « Remarks to the American Institute of Aeronautics and Astronautics », 5 mai 1999, p. 2. Pour une analyse plus détaillée de la consolidation européenne, voir Burkard Schmitt, « De la coopération à l’intégration : les industries aéronautique et de défense en Gordon Adams 19 Après les consolidations aux Etats-Unis et en Europe, le marché se trouve à la croisée des chemins. D’un côté, le marché américain est vaste, et les sociétés issues des fusions sont en bonne position, compte tenu de la possible augmentation du budget d’équipement aérospatial. Pour les firmes américaines, les opportunités commerciales en Europe peuvent sembler moins attirantes, compte tenu de la stagnation des budgets, mais elles existent, et les aspects technologiques d’une coopération transatlantique sont intéressants. Les gouvernements européens, en revanche, pourraient considérer « leurs » entreprises récemment consolidées comme une solide base industrielle pour acheter « européen ». Une politique protectrice pourrait leur sembler d’autant plus séduisante qu’ils s’orientent vers une capacité de défense européenne 41 . L’émergence des liens industriels transatlantiques a suivi un rythme plus lent que celui des consolidations en Europe et aux Etats-Unis. Autrefois, la coopération industrielle résultait essentiellement des programmes intergouvernementaux, impliquant la coproduction sous licence de matériels américains en Europe. De tels programmes amélioraient l’interopérabilité au sein de l’Alliance, mais la réticence des Américains à acquérir, eux aussi, des systèmes européens a créé une voie à sens unique, qui a de plus en plus préoccupé les alliés de ce côté de l’Atlantique 42 . La coopération intergouvernementale à travers l’Atlantique s’est réduite à une poignée de programmes, tous marqués par un avenir incertain. Le véhicule américano-britannique Tracer risque toujours d’être abandonné du fait de la restructuration de l’armée de terre américaine. Le projet américano-germano-italien MEADS (système de défense aérienne élargie à moyenne portée) a échappé de peu à l’annulation et ne figure pas parmi les priorités de l’US Army. Le Joint Strike Fighter (JSF), qui se trouve encore 41 42 Europe », Cahiers de Chaillot 40, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, juillet 2000. « La fusion aérospatiale Matra/DASA a eu une forte signification politique. Suite à la fusion BAe/Marconi, elle a fait avancer l’environnement politique nécessaire pour forger une défense européenne unifiée ». Philippe Grasset, analyste de la défense, Bruxelles, cité dans John D. Morrocco et Pierre Sparaco, « Franco-German Merger Will Spur Airbus Overhaul », Aviation Week and Space Technology, 18 octobre 1999, p. 26. Joel Johnson, « The United States : Partnership with Europe », dans Ethan B. Kapstein (dir.), Global Arms Production: Policy Dilemmas for the 1990s, University Press of America, Lanham, MD, p. 122. 20 Entre coopération et concurrence dans sa phase de R&D, compte une participation active du Royaume-Uni et, entre autres, de la Turquie, mais son avenir n’est pas clairement défini, et sa mise en service n’interviendra pas avant plusieurs années. L’OTAN explore un système commun de surveillance aérienne et terrestre (AGS), mais il n’est pas certain que la technologie retenue suscitera une coopération industrielle transatlantique 43 . Le déclin des programmes intergouvernementaux n’a cependant pas signifié la fin des liens industriels. Petit à petit, les entreprises de défense ont pris le pas sur les politiques gouvernementales en explorant les possibilités pour un rapprochement fondé sur l’intérêt mutuel commercial et l’accès aux marchés. Les sociétés britanniques se sont montrées particulièrement agressives dans leurs tentatives de pénétration du marché américain. Grâce à l’acquisition de compagnies locales, certaines y sont entrées avec succès. BAE Systems en particulier est devenu l’un des principaux fournisseurs du Pentagone et continue de renforcer sa position. Les groupes du continent européen ont également manifesté un intérêt croissant pour le marché américain mais les négociations n’ont débouché jusqu’ici sur aucun arrangement. L’approche de l’industrie de défense américaine vis-à-vis du marché européen a été plus mesurée, mais le rythme s’est accéléré en 2000. Si aucune firme américaine n’a encore acquis d’entreprise européenne majeure, des discussions actives en matière de partenariat ou de joint venture ont été entamées par Lockheed Martin (avec EADS et Airbus), Northrop Grumman (DASA/EADS), Boeing (BAE Systems) et Raytheon (Thomson-CSF, rebaptisé Thales en décembre 2000)44 . Le joint venture 43 44 A propos du Tracer, voir Douglas Barrie, « U.K. Deals Bog Down », Defense News, 25 octobre 1999, p. 1 ; Andrew Koch, « FSCS/Tracer still ‘on course’ despite cuts », Jane’s Defence Weekly, 2 février 2000, p. 8. Au sujet du MEADS, voir Colin Clark et George I. Seffers, « U.S. Security Restrictions Hinder MEADS Cooperation », Defense News, 18 octobre 1999, p. 1 ; Gopal Ratnam, « Technology-Sharing Plan Beset by Skepticism », Defense News, 15 mai 2000, p. 3 ; Colin Clark, « Germany, U.S. Resolve MEADS Tech Dispute », Defense News, 29 mai 2000, p. 1. Sur l’AGS, voir David A. Fulghum, « Pentagon Demands Radar Upgrade Accord », Aviation Week and Space Technology, 7 août 2000, pp. 41-42. D’autres exemples sont le joint venture de l’américain General Electric Co. avec le français SNECMA (fabrication et commercialisation du moteur CFM-56) et le rachat par Boeing de l’avionneur tchèque Aero Vodochody (anticipant les acquisitions Gordon Adams 21 Raytheon/Thales dans les radars de défense aérienne et la surveillance aérienne du champ de bataille, annoncé en décembre 2000, constitue un progrès important en direction d’un véritable partenariat transatlantique dans un domaine très étendu des technologies militaires. Cependant, en général, les groupes américains ont préféré la coopération par programme, à l’image de l’offre gagnante de Raytheon pour le radar de surveillance terrestre britannique ASTOR, qui fait largement appel à des sous-traitants britanniques 45 . Compte tenu de la consolidation industrielle et de la volonté de mettre sur pied une capacité de défense en Europe, il reste à voir si les firmes américaines pourront encore longtemps accéder au marché européen. Le gouvernement britannique, qui a longtemps soutenu la coopération transatlantique, a envoyé un signal très ambigu lorsqu’il a pris, en mai 2000, un ensemble de décisions portant sur un budget de 7,5 milliards de dollars pour les futurs missiles d’Eurofighter et pour le futur avion de transport militaire. A l’appui de sa nouvelle politique européenne, le gouvernement Blair a écarté deux propositions américaines pour acheter « européen » : dans les missiles, il a préféré le Meteor (missile à statoréacteur) en cours de développement par Matra-BAE-Dynamics (MBD) plutôt que l’offre de Raytheon, pourtant largement soutenue par le gouvernement américain, qui proposait, en outre, un important transfert de technologie. En même temps, tout en annonçant son intention de conclure un contrat de leasing pour quatre Boeing C-17, Londres a pris un engagement à long terme sur l’appareil de transport européen, l’A400M d’Airbus, auquel BAE Systems participe à hauteur de 20 % 46 . 45 46 d’avions par les nouveaux membres de l’OTAN). Pour plus de détails sur les liens industriels, voir le chapitre d’Andrew James. Nick Cook, « Raytheon’s ‘best balance’ ASTOR bid wins the day », Jane’s Defense Weekly, 23 juin 1999, p. 3. UK House of Commons, Geoffrey Hoon, UK Secretary of State for Defence, « Transcript of Oral Statement on Defense Procurement to the House of Commons », Hansard, Column 149, 16 mai 2000 ; John D. Morrocco, « U.K.’s Tilt Toward Europe Poses Multiple Challenges », Aviation Week and Space Technology, 22 mai 2000, pp. 24-26. L’offre gagnante (Meteor) comportait un petit élément transatlantique puisque Boeing participait, de manière limitée, au consortium dirigé par Matra BAe Dynamics. La contribution de Boeing concerne l’intégration de système et les techniques de production, pas la production en tant que telle. John D. Morrocco, « Boeing Adds Clout to Meteor Team », Aviation Week and Space Technology, 25 octobre 1999, p. 33. 22 Entre coopération et concurrence Même si le marché européen ne croît que lentement, l’industrie américaine prend conscience de la nécessité d’être présente localement pour accéder aux programmes européens. La création annoncée d’une société conjointe par Raytheon et Thales est la première indication que les discussions transatlantiques peuvent aboutir à des joint ventures ou à des partenariats stratégiques. De tels arrangements garantissent aux firmes américaines une présence en Europe et leur permettent ainsi de faire entendre leur voix dans les politiques de défense et d’acquisition européennes émergentes au sein de l’UE et de l’OCCAR (Organisation conjointe de coopération en matière d’armement)47 . La consolidation européenne étant pratiquement achevée au niveau des maîtres d’œuvre, les partenariats représentent désormais un passage obligé pour gagner un accès au marché européen, ce qui catalyse les négociations entre firmes à travers l’Atlantique. I.2 La forteresse Amérique : renforcement ou disparition ? Toute décision américaine concernant l’ouverture du marché de défense est un signal crucial pour la coopération et l’intégration de l’industrie de défense transatlantique. Les dirigeants du Pentagone et l’institution militaire sont conscients des besoins et des préoccupations des alliés, mais ont tendance à ne leur accorder qu’une place secondaire. Refusant l’acquisition de matériels européens et dédaignant les capacités militaires des alliés, ils ne prennent pas en considération les vues européennes dans leur planification stratégique et militaire. A Washington, et notamment au Congrès, l’exportation des technologies de défense et les investissements étrangers directs dans la base industrielle de défense américaine ont toujours été des « patates chaudes ». Au niveau administratif, les responsables s’opposent à tout assouplissement des régimes d’exportation. Ils craignent d’abord des réactions politiques à une perte éventuelle de la supériorité technologique américaine. Ensuite, ils n’ont guère envie de trouver, sur le champ de bataille, un ennemi équipé en matériel américain. Le service d’exportation du département d’Etat tient à conserver jalousement ses prérogatives et à ne pas perdre la possibilité d’utiliser son pouvoir de contrôle pour des objectifs de politique étrangère plus vastes. 47 A propos de l’OCCAR, voir le chapitre de Christophe Cornu. Gordon Adams 23 Ces obstacles politiques et administratifs ne sont ni rigides ni immuables. En fait, l’évolution du marché de défense mondial et l’importance accrue de l’interopérabilité représentent le plus grand défi que la forteresse américaine ait jamais eu à affronter. Les institutions politiques américaines ont débattu à de nombreuses reprises des questions des exportations et des investissements étrangers au cours des années 1990. A la fin de la décennie, le Pentagone a dû remettre en question et revoir dans une large mesure sa position traditionnelle dans le domaine du contrôle des technologies, entraînant la première réforme significative en la matière. Reste à savoir toutefois, compte tenu du débat politique américain, dans quelle mesure et à quel rythme cette réforme sera mise en oeuvre. L’autonomie du département de la Défense Etant donné l’opposition entre leur vision mondiale et le régionalisme de l’Europe, les Etats-Unis ont procédé à leur planification stratégique et militaire sans participation européenne. La Quadrennial Defense Review (QDR) de 1997 part de l’hypothèse que les forces armées américaines mènent leurs principales missions de combat (deux guerres de théâtre majeures simultanées) unilatéralement. Compte tenu de l’importance que l’OTAN accorde à la DCI, la prochaine QDR, prévu pour 2001, traitera à nouveau cette question. Deux forces contraires s’opposeront alors : d’un côté la tendance traditionnelle des planificateurs à privilégier la gestion unilatérale des missions avant de songer à d’éventuelles contributions des alliés ; de l’autre, la nécessité urgente de traiter la question de l’interopérabilité. Certains signes suggèrent que ce thème a déjà été débattu pendant les étapes préparatoires de la QDR, mais l’issue ne sera pas connue avant la mi-2001 48 . 48 Cette question devint sensible lorsqu’un rapport préliminaire indiqua que les CEMA (chefs d’état-major des armées) avaient refusé de s’appuyer davantage sur les forces européennes dans des coalitions coûtant cher aux Américains étant donné la dépendance des alliés à l’égard des moyens de transport et logistiques des Etats-Unis. Ce rapport fut démenti : aucune conclusion de ce type n’avait été formulée. Cet épisode suggère toutefois que les propositions d’accroître l’interopérabilité et le partage des rôles avec les Européens pourraient être une source de controverse dans le processus de planification américain. Voir Robert Holzer, « Report: Allies No Substitute for U.S. Troops », Defense News, 28 août 2000, p. 1. 24 Entre coopération et concurrence La résistance au sein du Pentagone à une industrie transatlantique plus intégrée s’explique, en partie, par la répugnance des armées à acheter européen ou à coopérer avec les alliés. Pour améliorer l’interopérabilité, les militaires américains préfèrent que les Européens achètent des équipements américains, tels que le JSTARS pour la surveillance aérienne du champ de bataille terrestre. Comme les besoins en matière de forces et de matériels sont définis au Pentagone, il est généralement difficile pour les gouvernements européens de participer à la planification, et pour les industriels européens de se qualifier pour des appels d’offre. La coopération transatlantique ne va donc pas de soi, loin de là, et les volumes de ventes européennes aux Etats-Unis restent faibles 49 . Les obstacles aux investissements étrangers directs Un moyen évident pour les industries européennes de rendre leurs équipements plus attrayants aux yeux du Pentagone serait de s’implanter sur le marché américain par le rachat d’une entreprise locale. C’est déjà le cas des firmes britanniques. Mais il persiste, aux Etats-Unis, des résistances traditionnelles aux investissements étrangers directs, qui renforcent la forteresse américaine. Historiquement, cette préoccupation a ses racines dans la crainte que des firmes sous contrôle étranger puissent ne pas approvisionner les forces armées américaines en temps de guerre, voire constituent une « cinquième colonne » au sein du pays. Le droit américain a abordé cette question dans des textes tels que le Trading with the Enemy Act et l’International Emergency Economic Powers Act (IEEPA) de 1976, qui permettent au président de bloquer les transactions ou de saisir les biens étrangers en cas d’état de siège ou de guerre 50 . 49 50 Voir Joel Johnson, op. cit. dans note 42, et IISS, The Military Balance, 1998-99, p. 273. Voir Edward M. Graham et Paul R. Krugman, Foreign Direct Investment in the United States, Third Edition, Institute for International Economics, Washington, DC, janvier 1995, pp. 98-110, et Robert T. Kudrle et Davis Bobrow, « Foreign Acquisition of Defense-Related U.S. Firms: Concentration, Competition, and Reality », dans Douglas Woodward et Douglas Night (dir.), Foreign Ownership and the Consequences of Direct Investment in the United States, Quorum Books, Westport, CT, 1997, pp. 303-25. Gordon Adams 25 Si les investissements sont envisagés par un pays adversaire, la situation est claire. Si, par contre, la proposition vient d’une firme dont le siège se trouve dans un pays ami, tel que la France ou le Royaume-Uni, le cas est beaucoup plus complexe. En effet, il ne s’agit pas d’empêcher la propriété étrangère en tant que telle, mais de fixer les conditions d’examen et d’approbation de l’acquisition, ainsi que les dispositions relatives à la protection des technologies sensibles. La réglementation américaine en vigueur représente un obstacle majeur pour les firmes étrangères qui cherchent à s’installer sur le marché américain par le biais d’une fusion ou d’une acquisition51 . Le problème est à la fois politique et administratif. Sur le plan politique, la présence locale d’une société étrangère, surtout non britannique, a toujours été une source d’inquiétudes et de réticences. Pendant des années, le souci a été de protéger l’économie américaine de la concurrence ou des prises de contrôle, notamment en ce qui concerne les investisseurs japonais 52 . S’agissant des industries de défense en particulier, la crainte était d’éventuelles fuites de secrets technologiques et la perte de leadership en faveur de concurrents étrangers, voire, par leur intermédiaire, de pays hostiles53 . Pourtant, le gouvernement américain a progressivement reconnu que bloquer les investissements étrangers dans le secteur de la défense comportait des inconvénients. Alors que la technologie devient plus mondiale et plus duale, cette politique risque en fait de priver les Etats-Unis de technologies potentiellement utiles, y compris celles d’origine civile. Les 51 52 53 Voir Edouard M. Graham et Paul R. Krugman, op. cit. dans note 50, surtout chapitres 5 et 6, et Patrick Norton, « United States Foreign Investment: Restrictions and Reporting Requirements », Lex Mundi World Reports, Supplément n. 17, mai 1992. Il convient de noter que la réglementation américaine, malgré des divergences de détail, est très voisine de celle d’autres pays amis et alliés tels que le Japon, le Royaume-Uni ou la France. Graham et Krugman, pp. 144-146. Pour une analyse globale sous cet angle, voir Martin Tolchin et Susan J. Tolchin, Buying Into America: How Foreign Money is Changing the Face of Our Nation, Crown Publishing Company, New York, 1998. Le souci du secret américain ne date pas d’aujourd’hui ; il a concerné récemment l’éventuel espionnage industriel et militaire chinois dans les laboratoires nucléaires et l’industrie aérospatiale aux Etats-Unis. Voir U.S. House of Representatives, Report of the Select Committee Select Committee on U.S. National Security and Military/Commercial Concerns with the People’s Republic of China, U.S. National Security and Military/Commercial Concerns with the People’s Republic of China, House of Representatives, Washington, DC, 3 janvier 1999. 26 Entre coopération et concurrence flux de technologies se font dans les deux sens, et il convient de les réguler dans l’intérêt de la sécurité nationale, mais un régime d’investissement trop restrictif ferait perdre aux Etats-Unis leur leadership technologique. En outre, compte tenu de la « civilianisation » de la base technologique, il est de plus en plus difficile de dire si ce sont les investissements étrangers dans le secteur militaire ou ceux dans le secteur civil qui auront le plus d’impact sur la sécurité nationale 54 . Cette réflexion a abouti, aux Etats-Unis, au développement de procédures complexes d’examen et d’approbation des investissements étrangers, surtout – mais pas exclusivement – pour le secteur de la défense. Définies dans une loi de 1988, elles octroient au président la possibilité d’empêcher les fusions, les acquisitions et les prises de contrôle par des intérêts étrangers si : « le président estime (1) qu’il existe de bonnes raisons de penser que l’intérêt étranger exerçant le contrôle pourrait mener une action susceptible de mettre en péril la sécurité nationale et (2) que des dispositions législatives autres que [le présent texte ou l’International Emergency Economic Powers Act] ne lui confèrent pas, à son avis, l’autorité nécesaire pour protéger la sécurité nationale... » 55 . Sur la base de cette loi, un organisme interministériel créé en 1975, le Committee on Foreign Investment in the United States (CFIUS), a été chargé d’examiner et d’émettre des recommandations à propos des prises de contrôle étrangères. Le CFIUS est présidé par le ministre des Finances, et comprend la plupart des ministères concernés, dont ceux de la Défense, des Affaires étrangères, du Commerce et de la Justice 56 . Selon la réglementation instaurée en 1991, le CFIUS peut être saisi par une notification de proposition de prise de contrôle émanant de tout ministère ou partie à l’acquisition, 54 55 56 Voir Robert T. Kudrle et Paris Bobrow, op. cit. dans note 50, p. 308. Section 5021 de l’Omnibus Trade and Competitiveness Act of 1988, modifiant la Section 721 du Defense Production Act. Cette disposition est également connue sous le nom d’amandement Exon-Florio, du nom de ses sponsors, le sénateur J. James Exon (D-NE) et le Républicain James J. Florio (D-NJ). Cet amendement temporaire au Defense Production Act est devenu permanent en 1991. Il comprend également plusieurs services du Cabinet du Président : le Bureau de Gestion et du Budget, le Bureau du représentant du Commerce américain, le Conseil économique, le Bureau des Sciences et Technologies, le Conseil de Sécurité national et le Conseil économique national. Gordon Adams 27 mais peut également décider d’examiner une transaction de son propre chef. Une fois le CFIUS officiellement saisi, trois de ses membres doivent, dans un délai de trente jours, décider si l’affaire mérite examen. Si tel est le cas, cet examen doit être effectué, et la recommandation associée transmise au président, dans les quarante-cinq jours ; ce dernier dispose alors d’un délai de quinze jours pour bloquer ou non la transaction57 . La procédure d’examen par le CFIUS est, en soi, une mesure dissuasive pour les investissements étrangers directs dans le secteur de la défense américain. S’il n’existe aucune obligation formelle de notifier au CFIUS une fusion ou une acquisition, cette notification est présumée souhaitable. Qui plus est, il n’existe aucune définition précise de la « sécurité nationale » ou du « contrôle étranger » dans le contexte du CFIUS, ce qui incite à la notification par précaution. La simple perspective d’un examen par le CFIUS, dans un contexte politique chargé, peut rendre certaines transactions impossibles. Ce fut le cas notamment de la tentative d’acquisition, en 1992, de Vought, la filiale aérospatiale de LTV Corp., par Thomson-CSF (aujourd’hui Thales), société française publique d’électronique de défense. Cette proposition fit l’objet d’un âpre débat à la fois sur les implications en matière de concurrence aux Etats-Unis et sur les risques de transfert de technologies américaines à un pays tiers par l’intermédiaire de la société-mère et de son propriétaire étatique. Thomson renonça finalement à son projet de rachat peu avant de subir l’examen du CFIUS, présentant un avis négatif 58 . L’affaire Thomson/LTV entraîna un durcissement de la procédure du CFIUS qui dissuada encore davantage les investisseurs étrangers. Il fut en fait précisé qu’une entreprise publique étrangère ne pourrait ni acquérir un fournisseur important du Pentagone ni avoir accès à des contrats contenant des informations classifiées « top secret ». En outre, une enquête du CFIUS devint obligatoire pour toute tentative d’acquisition d’une firme de défense américaine par une entreprise publique étrangère. Ces modifications ont quelque peu précisé l’expression « sécurité nationale » mentionnée dans le 57 58 Dès 1999, le CFIUS avait reçu plus de 1300 notifications, avait conduit 18 enquêtes et fait 11 recommandations au président, dont une seule concernait le refus d’une transaction. Entretien avec l’Office of the Assistant Secretary of Treasury for International Affairs, août 2000. Voir Edward M. Graham et Paul R. Krugman, pp. 112-113 et 130-131. 28 Entre coopération et concurrence texte de loi et renforcé le pressentiment des entreprises contrôlées ou détenues par des gouvernements étrangers que toute proposition d’investissement serait de toute façon refusée 59 . L’affaire Thomson et la ferme réaction politique américaine ont largement contribué au fait que, depuis 1992, les seules acquisitions importantes aux Etats-Unis ont été effectuées par des entreprises ayant leur siège au Royaume-Uni. Même celles-ci ont pris le soin de sonder les ministères américains et le Congrès avant d’annoncer les transactions, afin de préparer le terrain pour l’examen du CFIUS et de réduire les risques politiques 60 . Lors de leur fusion, BAe et Marconi étaient déjà présentes sur le marché américain et participaient aux programmes Joint Strike Fighter et Tracer. Cela n’a pas empêché l’examen du CFIUS de retarder la fusion61 . En général, la simple perspective d’examen par le CFIUS peut suffire à ralentir ou modifier une transaction. Les parties intéressées pourraient, par exemple, abandonner de leur propre initiative une partie de l’accord pour éviter un examen ou une redéfinition des termes d’une acquisition62 . Le contrôle du CFIUS n’est pas le seul outil dissuasif pour les investisseurs étrangers. Ces derniers doivent en effet être prêts à créer une entité distincte au moins partiellement opaque, qui échappe largement à leur gestion. Les procédures du Pentagone exigent en fait que l’investisseur étranger gère ses activités aux Etats-Unis par le biais d’une filiale distincte. Celle-ci doit passer un accord avec le DoD créant des règles de sécurité particulières (Special Security Arrangement [SSA]) ou plaçant la participation de la société-mère dans un fidéicommis distinct et dépourvu de droit de vote. Dans le premier cas, la société-mère ne peut envoyer aucun membre 59 60 61 62 Les amendements prévoyaient aussi d’autres choses : extension de la participation au CFIUS, rapports détaillés au Congrès des examens du CFIUS, examen dans le cadre du CFIUS des fuites technologiques et de l’éventuelle perte par les Américains de leur supériorité technologique et recueil systématique de renseignements sur les propriétés publiques étrangères dans le secteur de la défense. Voir Edward M. Graham et Paul R. Krugman, pp. 131-132. Entretiens personnels de l’auteur. Edward M. Graham et Paul R. Krugman (p.132) notèrent en 1995 que le renforcement du CFIUS pouvait inciter à clarifier à l’avance ou à négocier les termes de leurs acquisitions avant toute notification du CFIUS. Bien que les deux entreprises fussent britanniques, leur fusion nécessitait l’approbation du CFIUS parce qu’elle impliquait Tracor, la filiale américaine de Marconi. Voir Douglas Barrie, « U.K. Deals Bog Down », 25 octobre 1999, p. 1(28). Voir Patrick Norton, op. cit. dans note 51, p. 9. Gordon Adams 29 étranger au conseil d’administration de la filiale et peut se voir refuser l’accès aux données financières ou opérationnelles ; dans le second cas, assez fréquent, la société-mère n’est que le bénéficiaire fiscal des activités de sa filiale américaine, et n’intervient aucunement dans sa gestion. Les SSA et les fidéicommis dépourvus de vote peuvent diminuer fortement l’attrait des investissements, car ils réduisent de manière importante les synergies technologiques entre la société-mère étrangère et sa filiale américaine. La relation entre les deux perd de son efficacité par souci de garantir l’imperméabilité de la « membrane » de sécurité. Les avantages classiques d’une fusion étant ainsi partiellement oblitérés, la transaction perd de son intérêt financier et technologique. Le contrôle des exportations Le processus complexe de contrôle des exportations et les réglementations de transfert de technologie contribuent largement à rendre la forteresse Amérique imprenable. Ces deux barrières ont été au cœur des critiques européennes et de la lutte au sein du gouvernement américain pour une redéfinition des relations industrielles de défense transatlantique. Forgé pendant la guerre froide, le régime américain de contrôle des exportations et de transfert de technologie a joué un rôle central pour le COCOM, conçu pour éviter les fuites des technologies vers le Pacte de Varsovie. Avec la disparition des blocs, le COCOM s’est rapidement étiolé et fut remplacé, en 1995, par l’accord Wassenaar. Celui-ci s’applique aux exportations d’armements classiques et aux biens à double usage, mais il est peu contraignant 63 . Les signataires échangent régulièrement, à titre volontaire, des informations sur les transferts, et se notifient mutuellement les octrois et les refus de licences d’exportation pour une liste de technologies établie en commun. Chaque pays conserve néanmoins le droit d’exercer son contrôle souverain ; les décisions en matière de contrôle des exportations relèvent donc intégralement de la compétence nationale. 63 « The Wassenaar Arrangement on Export Controls for Conventional Arms and DualUseGoods and Technologies: Initial Elements », adopté les 11 et 12 juin 1996, Part I(1). 30 Entre coopération et concurrence Les règles nationales de contrôle des exportations sont censées empêcher une société d’exporter, soit directement soit par le biais d’une tierce partie, à des firmes ou gouvernements d’un pays représentant (potentiellement) une menace. En principe, ces contraintes s’appliquent aux sociétés au sein d’un seul pays. Cependant, les règles et les procédures de contrôle américaines représentent un obstacle majeur pour la coopération avec les alliés et pour l’intérêt croissant des entreprises à renforcer leurs liens. La réglementation américaine impose une licence chaque fois qu’une société souhaite exporter un produit ou un savoir-faire, mais aussi dès lors qu’elle envisage d’entamer des pourparlers avec un partenaire étranger potentiel. Ces dispositions s’appliquent également aux contacts entre toute filiale américaine et sa société-mère étrangère, ainsi qu’aux négociations d’une entreprise américaine avec un étranger sur d’éventuelles coopérations, joint ventures, fusions ou acquisitions. Le droit américain prévoit également des protections explicites contre le transfert de connaissances, de produits ou de technologies à des tierces parties. A ce dispositif réglementaire impressionnant s’ajoutent des procédures longues et complexes, qui alourdissent encore davantage toute forme de discussion et d’échange entre industriels. La gestion du régime de contrôle relève du département d’Etat, qui exercent son autorité en vertu de l’Arms Export Control Act (AECA). L’AECA prévoit que le secrétaire d’Etat est responsable de « la supervision permanente et [de] la direction générale des ventes, locations, financements, projets de coopération et exportations » des biens et services de défense 64 . Cette compétence recouvre aussi bien les transactions avec les pays destinataires que la réexportation vers des pays tiers. Le chapitre 39 de l’AECA règle les détails de l’exercice de cette autorité : il précise que le président peut définir les « biens et services de défense » et prendre les dispositions les concernant. Une fois regroupés, les articles ainsi désignés 64 L’Arms Export Control Act (22 U.S.C. 2778-80) a été voté en 1968 puis très souvent amendé depuis cette date. L’autorité du Secrétaire d’Etat est définie au Chapitre 1, Section 2b, « Coordination with Foreign Policy ». Voir U.S. Senate/U.S. House of Representatives, Committee on Foreign Relations/Committee on Foreign Affairs, Legislation on Foreign Relations Through 1990, vol. 1 « Current Legislation and Related Executive Orders », Joint Committee Print, Washington, DC, février 1991, pp. 274-347. Gordon Adams 31 constituent la United States Munitions List, et aucun élément figurant sur cette liste « ne peut être exporté ou importé sans licence » 65 . Ce court texte juridique est entré en vigueur dans les années 1970 par l’Executive Order 11958 ; il confère au secrétaire d’Etat la compétence d’édicter des réglementations relatives aux exportations de défense. L’International Traffic in Arms Regulations (ITAR) et la Liste des munitions qui en découlent sont gérés par l’Office of Defense Trade Controls (ODTC) du bureau des affaires politico-militaires du département d’Etat, qui décide seul si les réglementations et procédures d’exportation s’appliquent au bien ou au service considéré 66 . Les compétences de l’ODTC sont assez étendues ; elles ne se limitent pas aux équipements de défense majeurs, mais couvrent également les données techniques dans de multiples domaines : conception, développement, production, fabrication, assemblage, mise en oeuvre, réparation, tests, maintenance et modifications des biens de défense, y compris la formation de tout militaire étranger67 . En outre, la gamme d’activités concernées est assez vaste, dans la mesure où la notion d’exportation recouvre l’expédition des biens, le transfert de propriété, la fourniture de données techniques ou l’exécution d’un service de défense, allant jusqu’à prévoir une «licence » préalable aux visites classifiées des sites de production de défense américains par des ressortissants étrangers 68 . Toute personne physique ou morale cherchant à exporter un article figurant sur la Liste des munitions doit obtenir l’accord préalable de l’ODTC. La licence ne couvre que le pays destinataire du produit et interdit le transfert à tout autre Etat (membres de l’OTAN, Japon et Australie exceptés) sans approbation de l’ODTC 69 . Ce dernier traite ainsi quelque 50 000 demandes de licence par an, tient un registre de tous les fabricants et exportateurs américains de biens de défense et conseille régulièrement les ministères et industriels concernés 70 . 65 66 67 68 69 70 Section 39(a)(1) et (b)(2) of the AECA statute. L’ITAR se trouve au 22CFR 120-130. L’autorité de l’ODTC pour la désignation des articles est définie à la section 120.4. Section 120.6-120.10. Section 120.17 et 125.5. Section 123.9. Description de l’Office of Defense Trade Controls sur le site Internet du Département d’Etat. 32 Entre coopération et concurrence Le département d’Etat est seul compétent pour l’octroi de licences à l’égard des biens et services figurant sur la Liste des munitions. Il existe néanmoins une procédure interministérielle d’examen, faisant intervenir les avis de la Defense Threat Reduction Agency du Pentagone (qui examine chaque année plus de 21 000 demandes de licence), du Bureau of Export Administration du département du Commerce et, pour certains biens, du département de l’Energie. Ces requêtes permettent d’obtenir plusieurs points de vue sur la demande, mais augmentent le nombre d’intervenants, donc la durée de la procédure. La complexité de ce mécanisme rend la réglementation américaine encore plus dissuasive et est au centre des récentes tentatives de réforme. Outre le couple ITAR/Liste des munitions, l’arsenal juridique américain prévoit l’octroi d’une licence distincte pour les technologies et les biens à double usage, qui ne figurent pas sur la Liste des munitions. Ceux-ci sont couverts par la Commerce Control List du département du Commerce, qui fut responsable par le passé de l’octroi de licence en vertu de la version modifiée de l’Export Administration Act (EAA) de 1979. L’EAA a expiré en 1994, mais le président a prolongé l’autorité du département du Commerce en la matière avec l’International Emergency Economic Powers Act. Le Bureau of Export Administration du département du Commerce gère les réglementations d’exportation, établit les délais d’examen ministériel et résoud les différends. Dans la mesure où le département du Commerce tend grosso modo à promouvoir les exportations, cette procédure est moins restrictive que celle de l’ODTC au département d’Etat. Cependant, c’est précisément cette orientation politique qui a le plus gêné le renouvellement par le Congrès de l’EAA, débattu sans résultat depuis 1994 au Congrès 71 . La procédure américaine est d’autant plus complexe que les Etats-Unis ont souvent recours aux sanctions économiques et à l’embargo contre des pays avec lesquels des sociétés et des gouvernements non américains maintiennent des relations commerciales. Cela concerne plus de 25 pays, dont 71 Pour le dernier projet de loi ré-autorisant l’Export Administration Act, voir 106ème Congrès, 1re session, S1712, Rapport n. 106-80, « A Bill to provide authority to control exports, and for other purposes », sponsorisé par Phil Gramm (sénateur républicain – Texas), Chairman of the Senate Banking, Housing and Urban Affairs Committee, qui a la juridiction sur l’Administration Act. Gordon Adams 33 notamment la Chine, Cuba, l’Irak et l’Iran72 . Les départements d’Etat, du Commerce et du Trésor sont impliqués dans la gestion des sanctions, qui sont fréquemment imposées par le Congrès. Le rôle du Congrès met en lumière un élément important du contrôle des exportations : il s’agit d’un processus très politique, voire politisé. Le Congrès ne définit pas seulement les statuts des services compétents et répartit ainsi les responsabilités, mais les parlementaires et les commissions s’impliquent aussi fortement dans les décisions concernant les ventes et les exportations d’armes. Différents amendements de l’Arms Export Control Act ont encore renforcé le pouvoir législatif en la matière : le département d’Etat est tenu de notifier au Congrès, en particulier aux comités des relations internationales (Chambre des représentants) et des relations étrangères (Sénat), toute intention d’octroi de licence pour des ventes dépassant certains seuils financiers. Le Congrès dispose d’un délai de trente jours après notification pour réagir en émettant une résolution d’interdiction, compétence qui n’a presque jamais été exercée. A la place, un peu à l’instar de la procédure CFIUS, tout projet de vente d’armes est généralement soumis à des discussions informelles préalables et retiré si la réaction du Congrès s’annonce négative. La participation du Congrès au contrôle des exportations vient encore compliquer la procédure d’examen des licences ou les tentatives de réforme du processus global. La politique de la forteresse Amérique : réformes et contraintes Comme nous l’avons vu, la réglementation américaine en matière d’investissement et de transfert est un obstacle majeur à tout assouplissement du régime commercial transatlantique. Elle a été vivement critiquée par les Européens, mais même aux Etats-Unis, la rigidité des procédures est de plus en plus considérée comme un vrai problème pour la coopération transatlantique. Au Pentagone, les responsables politiques en particulier ont pris conscience de la nécessité d’adopter un régime plus souple. Ce changement de cap s’est heurté néanmoins au niveau administratif à la résistance des services 72 Pour une liste complète, voir Département d’Etat, Office of Defense Trade Controls website, « State Department Embargo Reference Chart » . 34 Entre coopération et concurrence chargés de la protection des technologies militaires. De plus, alors que le ministère de la Défense a plaidé pour des réformes substantielles, le département d’Etat est fermement décidé à conserver ses compétences pour l’octroi des licences et la gestion de la Liste des munitions. Enfin, les tensions ont été nombreuses entre l’exécutif démocrate et le congrès à majorité républicaine, favorable à une approche plus protectionniste des sanctions, du commerce avec la Chine et du contrôle des exportations. Si les officiels du Pentagone ont progressivement reconnu l’impact de la mondialisation sur les capacités militaires, c’est en 1998 seulement qu’ils ont admis explicitement que les réglementations en vigueur faisaient obstacle aux relations industrielles transatlantiques et à l’interopérabilité au sein de l’OTAN 73 . En fait, ce sont largement les développements en Europe (Saint-Malo et consolidation industrielle) et le risque qu’ils aboutissent à une forteresse européenne, qui ont, à ce moment-là, incité le Pentagone à agir 74 . Sous la direction du secrétaire adjoint à la défense John Hamre, le Pentagone s’efforça de modifier sa propre politique en la matière et d’entraîner l’ensemble du gouvernement dans son sillage. Dans un exposé remarqué, fait en novembre 1998 devant l’Aerospace Industries Association, M. Hamre indiqua que le DoD souhaitait développer une politique de partenariat transatlantique qui dépasse la procédure CFIUS et qu’il verrait d’un bon oeil des regroupements avec des industriels des alliés les plus proches. L’Australie, le Canada, la Norvège, les Pays-Bas et le Royaume73 74 Voir « Technology, Future Warfare, and Transatlantic Cooperation », remarques de Jacques S. Gansler, sous-secrétaire à la Défense, au colloque de l’OTAN, Norfolk, Virginie, 12 novembre 1998 : un autre responsable militaire mit en garde contre les risques de « forteresse Europe » : « [le DoD] est favorable à une évolution vers un modèle transatlantique compétitif de liens industriels très divers … A l’opposé, une « forteresse Europe » pourrait aboutir à une évolution séparée aux Etats-Unis et àune technologie militaire européenne ; elle pourrait donc faire obstacle à l’interopérabilité avec nos partenaires de l’OTAN ». Fonctionnaire anonyme cité dans Pierre Sparaco, 25 octobre 1999, p. 32. John Hamre indiqua en mai 1999 : « Ma grande crainte est que nous ne voyions émerger une forteresse Europe consolidant ce qui est en cours en Europe en ce moment sous l’effet des forces négatives de paranoïa auxquelles est soumise l’industrie de défense américaine… Pire encore, les institutions européennes de défense semblent être prêtes à accepter la seconde place en termes de modernisation afin de conserver ces entités de défense ». Discours de John Hamre, 5 mai 1999, p. 3. Gordon Adams 35 Uni constitueraient, en particulier, de bons partenaires potentiels dans la mesure où ils possédaient des régimes stricts de contrôle des exportations et de respect des législations, et coopéraient avec les Etats-Unis en matière de renseignement 75 . Dans son exposé, M. Hamre estimait que les Etats-Unis pourraient classer les pays de l’Alliance en trois catégories : la catégorie A regrouperait les pays pour lesquels une souplesse et une ouverture accrues ne seraient pas mises en cause, la catégorie B ceux dont le traitement était plus incertain, et la catégorie C les Etats vis-à-vis desquels un assouplissement était inconcevable. Cette proposition de classement suscita la consternation parmi les alliés dont certains s’interrogeaient sur la place qui leur serait réservée. Elle renforça l’impression que le Royaume-Uni et l’Australie pourraient jouir d’un traitement de faveur, tandis que les autres auraient à affronter des obstacles plus importants. Ce concept ne s’est pas officialisé, mais le discours a montré que le Pentagone était davantage disposé à changer ses orientations. Le DoD maintint son ouverture en 1999 en organisant diverses réunions avec les représentants des gouvernements et des industries européens 76 . Il créa, en outre, au sein de son Defense Science Board (DSB), un groupe de travail chargé de proposer des politiques adaptées à la mondialisation de la base industrielle de défense. Le rapport du DSB, publié en décembre 1999, demandait au département de la Défense de se concentrer sur la protection des capacités militaires vraiment sensibles plutôt que sur une longue liste de technologies spécifiques, et de privilégier l’acquisition de technologies civiles. Ce document indiquait également que « l’intégration industrielle et de défense transatlantique pouvait se révéler extrêmement bénéfique pour les Etats-Unis et leurs alliés ». Il soulignait le besoin pour le Pentagone d’avoir une politique plus claire en matière de fusions et d’assouplir les réglementations concernant les investissements étrangers et les transferts de technologies 77 . 75 76 77 Douglas Barrie et Philip Finnegan, « DOD Scrambles to Shape Merger Approval Policies », Defense News, 14-20 décembre 1998, p. 1. Thomas E. Ricks, Anne Marie Squeo and Jeff Cole, « Pentagon is Encouraging More Mergers Between European, U.S. Defense Firms », Wall Street Journal, 7 juillet 1989. Voir Office of the Undersecretary of De fense for Acquisition and Technology, Final Report of the Defense Science Board Task Force on Globalization and Security, 36 Entre coopération et concurrence Au début de 2000, John Hamre a repris la notion de réciprocité pour soutenir l’évolution de son ministère : « Si certaines barrières de notre marché de défense sont fondées sur la législation, d’autres reposent sur le paradigme obsolète d’autonomie industrielle absolue des Etats-Unis dans le combat et pour l’approvisionnement en cas de conflit. Si nous voulons que les sociétés américaines puissent accéder, à l’avenir, aux marchés de défense de nos alliés, nous devons nous montrer, nous aussi, davantage disposés à nous appuyer sur des entreprises situées dans les pays alliés pour satisfaire nos besoins en matériels de défense » 78 . Jusqu’à la mi-2000, la campagne du Pentagone n’a eu qu’un impact limité sur les activités de fusion et de joint-ventures transatlantiques. Seules quelques firmes britanniques sont arrivées à pénétrer le marché américain. Cette inertie s’explique, en partie, par la dynamique de consolidation industrielle en Europe, considérée par le Pentagone comme détournant, temporairement du moins, les sociétés des opérations transatlantiques 79 . Mais elle reflétait également la prudence du DoD quant à une réaction du Congrès aux changements en matière de politique d’investissement et de fusion. La résistance du parlement américain à un régime transatlantique plus libéral dérivait du débat fortement politisé sur le rapport de la commission Cox concernant les relations sino-américaines. Ce rapport avait reproché à Hughes et Loral d’avoir laissé les Chinois acquérir des technologies américaines en matière de satellites et de lanceurs spatiaux80 . Sans avoir de liens directs avec les activités transatlantiques ou l’industrie de défense, les travaux de la commission Cox entravèrent les efforts entrepris pour 78 79 80 Defense Science Board, Washington, DC, décembre 1999 et Colin Clark, « Hamre to Reveal Strategy for Globalization », Defense News, 1er novembre 1999, pp. 1(27). « Testimony of Deputy Secretary of Defense John Hamre before the Senate Armed Services Committee », 28 février 2000, p. 9. Entretiens de l’auteur. U.S. National Security and Military/Commercial Concerns With the People’s Republic of China, Report of the Select Committee on U.S. National Security and Military/Commercial Concerns with the People’s Republic of China, House of Representatives, Washington, D.C, janvier 1999. Gordon Adams 37 assouplir la coopération euro-américaine 81 . En octobre 1999, le DoD fit savoir aux industriels de défense européens et américains qu’il n’était plus aussi enthousiaste à l’égard des fusions et acquisitions transatlantiques et qu’il encouragerait plutôt joint ventures et partenariats entre les grands systémiers82 . Le Pentagone poursuivit néanmoins son effort pour permettre aux sociétés étrangères dignes de confiance d’opérer aux Etats-Unis dans de meilleures conditions. En janvier 2000, à l’issue d’un examen d’une année, le Pentagone leva l’obligation d’un fidéicommis pour la filiale américaine de Rolls Royce, la société Allison Advanced Development Company, basée à Arlington (Virginie). Le Pentagone le remplaça par un Special Security Arrangement moins strict avec Rolls Royce North America, qui simplifierait les visites entre la société-mère et sa filiale américaine et permettrait à des responsables de la première de siéger au conseil d’administration de la seconde. Le DoD a donné là un signal clair d’assouplissement, mais il ne voulut pas y voir un précédent, considérant que « les décisions relatives à la propriété étrangère [...] sont prises au cas par cas ; il n’existe donc aucune raison de supposer que d’autres exigences de procuration seront levées parce que celle-ci l’a été 83 . » Le secrétaire adjoint John Hamre précisa néanmoins qu’une approche similaire avait été adoptée dans le cas des arrangements de sécurité négociés avec la filiale Marconi North American de BAE Systems 84 . En même temps qu’il commençait à assouplir sa position en matière de fusions et de partenariats, le Pentagone s’attaqua également à l’autre obstacle majeur à la coopération : les contrôles des exportations. Il se concentra tout d’abord sur ses propres procédures. Tout au long de 1999, David Oliver, l’adjoint principal du sous-secrétaire Gansler, dirigea une initiative 81 82 83 84 Préoccupé par la vive réaction du Congrès, le Pentagone n’a pas osé publier de rapport sur la «civilianisation » de la technologie de défense et a préféré ne pas traiter ouvertement des effets de la mondialisation,. Entretiens de l’auteur. Robert Wall, « New Strategy Emerging for Transatlantic Linkups », Aviation Week and Space Technology, 1er novembre 1999, p. 27 ; et entretiens personnels. La déclaration du Pentagone précisait que la décision devrait « suggérer aux investisseurs étrangers que nous sommes flexibles dans le cadre général de nos réglementations de sécurité ». Colin Clark, « DOD Smoothes Path for Rolls-Royce Operations », Defense News, 10 janvier 2000, p. 1. Discours de John Hamre devant la Commission Forces armées du Sénat, 28 février 2000, p. 9. 38 Entre coopération et concurrence visant à restructurer et à simplifier les procédures internes du DoD en la matière. Les efforts furent de plusieurs ordres : standardisation des processus de traitement des demandes de licence d’exportation par les divers services, diminution du nombre d’examens en bas de l’échelle administrative et accélération de la transmission des avis du DoD au département d’Etat. Ces réformes permirent au Pentagone de ramener, d’une part, le nombre de demandes de licence en souffrance réclamant plus de 60 jours de traitement de 600 en janvier 1999 à zéro en avril 2000 et, d’autre part, de réduire la durée de traitement moyenne de 46 jours en 1999 à 12 jours en avril 2000 85 . Il était clair cependant que la réforme des procédures du Pentagone ne suffirait pas à elle seule à assouplir la relation industrielle transatlantique, la responsabilité de l’ITAR, de la Liste des munitions et des décisions finales en matière d’octroi de licence incombant au département d’Etat. Celui-ci a pourtant farouchement refusé de simplifier ses propres procédures, de modifier la Liste des munitions ou d’augmenter le nombre d’exemptions de licence. Ainsi que l’a déclaré un responsable du département d’Etat, « il demeure dans l’intérêt national de conserver un système complet. Ceci correspond à nos intérêts de sécurité nationaux et représente également un outil de politique étrangère 86 ». De plus, le département d’Etat fut très attentif aux préoccupations du Congrès quant à l’application des contrôles d’exportation. Les parlementaires américains avaient, en fait, vivement critiqué l’insuffisance du suivi et des rapports concernant les négociations entre la Chine et Hughes et Loral. Par réaction, considérant le régime de contrôle des biens à double usage trop laxiste, le Congrès avait retiré au département du Commerce la compétence sur les licences d’exportation de systèmes et composants de satellites pour la restituer au département d’Etat. Le Pentagone organisa toute une série de réunions bilatérales avec le département d’Etat pour convaincre ce dernier de la nécessité d’alléger les restrictions en matière de contrôle des exportations vers les alliés fiables. En 85 86 Département de la Défense, « Changes in DOD Munitions Export License Control Performance », avril 2000. Voir également Colin Clark, « Pentagon Marches Ahead with Export Reform », Defense News, 6 décembre 1999, p. 3. Voir Colin Clark, « State Dept. Calls for Arms Export Control Review », Defense News, 8 novembre 1999, p. 1(26). Gordon Adams 39 outre, les responsables de la Défense commencèrent à critiquer de plus en plus ouvertement la gêne que les contrôles destinés aux pays moins amicaux créait pour les relations avec les partenaires de l’OTAN 87 . Ils étaient d’autant plus inquiets que les protestations des gouvernements et des industriels européens se faisaient encore plus vives dès l’automne 1999. En octobre, DASA envoya à ses directeurs de programme un mémo les décourageant de faire appel à des fournisseurs américains, en particulier pour les composants de satellites. Selon le fabricant allemand, le délai nécessaire pour obtenir une licence d’exportation retardait ses programmes : « En raison des incertitudes que présentent les licences d’exportation, le recours à des produits américains, et en particulier à des produits de défense américains, doit être évité à tout prix. Il convient, partout où sont actuellement utilisés des composants américains, de les remplacer au plus tôt par des produits d’une autre origine. » Un responsable de DASA expliqua que cette directive s’appliquait seulement si l’octroi de la licence d’exportation et la livraison ne pouvaient être garantis dans un délai spécifié, mais la portée du message était claire… 88 Les pressions européennes s’accentuèrent en décembre 1999. Manfred Bischoff, le président de DASA, écrivit à la secrétaire d’Etat, Madeleine Albright, pour lui faire part des préoccupations de l’industrie : « Je vous invite à réexaminer la politique et les procédures en vigueur en matière de contrôle des exportations en vue de promouvoir la coopération entre les alliés de l’OTAN et de préparer d’éventuelles fusions industrielles transatlantiques […] Le système actuel […] et son application par le gouvernement américain, et en particulier par le département 87 88 Joseph C. Anselmo, « Hamre : Export Delays Hurting U.S. Alliances », Aviation Week and Space Technology, 8 novembre 1999, p. 34. Bloomberg News, 28 octobre 1999 et entretien de l’auteur, octobre 1999. Selon Manfred Von Nordheim, président de DASA North America : « Nous ne voulons pas être pris de court parce que nous serions dans l’incapacité de répondre aux demandes des clients ou aux obligations contractuelles si une licence est refusée ou pas appliquée ». Joseph C. Anselmo, Aviation Week, 8 novembre 1999, p. 34. Dans le même article, le directeur de la gestion de Asia Pacific Aerospace Consultants indiquait : « Franchement, l’Amérique n’est plus considérée comme un fournisseur ou un partenaire fiable … Les sociétés américaines ne peuvent ni garantir la permission d’exportation ni estimer combien de temps il faudra pour l’obtenir » . 40 Entre coopération et concurrence d’Etat, tendent davantage à décourager qu’à encourager de telles coopérations 89 ». A la fin de 1999, les désaccords au sein de l’exécutif sont apparus au grand jour 90 . Les départements d’Etat et de la Défense cherchaient à s’entendre sur certaines réformes de la procédure existante : fourniture d’une licence globale pour l’ensemble d’un projet ou d’un programme, accélération des procédures pour les programmes liés à la DCI, et instauration des liaisons informatiques entre les bases de données traitant les licences d’exportation au sein des départements d’Etat, du Commerce et de la Défense. Mais les progrès furent lents car le département d’Etat considérait la pugnacité du Pentagone comme une intrusion sur son domaine de compétence et cherchait à garder les mains libres pour pouvoir utiliser l’approbation de licence à des fins politiques91 . Le problème de compétence au sein de l’exécutif s’intensifia lorsque le Pentagone annonça, en février 2000, que le ministre de la Défense William Cohen et son homologue britannique Geoff Hoon allaient signer une Declaration of Principles for Defense Equipment and Industrial Cooperation. Cette déclaration d’intention établissait un programme de négociations en vue d’un accord entre ministères de la Défense, susceptible de modifier radicalement les relations commerciales et industrielles de défense entre les deux pays. Le DoD avait préparé cette déclaration depuis quelque temps 89 90 91 Lettre du président directeur général de Dasa Manfred Bischoff à Madeleine Albright, le 9 décembre 1999, citée dans Vago Muradian, « Allies Call On Albright to Reform Export Controls », Defense Daily, 6 janvier 2000, p. 2. Une semaine plus tard, tous les ambassadeurs de l’UE auprès des Etats-Unis ont exprimé leur inquiétude à Mme Albright que « le processus long et dépassé de contrôle des exportations se développe de plus en plus en une entrave sérieuse à la coopération en matière de défense ». Lettre de Joris Vos, Ambassadeur des Pays-Bas à Mme Albright, le 16 décembre 1999. Les Européens ont également critiqué le processus de contrôle des exportations lors d’un colloque auquel participaient des officiels américains à Toulouse, France, 68 décembre 1999. Richard Smith, « U.S. Export Rule Under Fire at Symposium », Defense News, 10 janvier 2000, p. 18. Voir Colin Clark, « Pentagon Unilaterally Moves to Speed Export Reviews », Defense News, 25 octobre 1999, p. 3 (28) ; Colin Clark, « Eased Export Controls Stalls », Defense News, 22 novembre 1999, p. 3 ; Colin Clark, « Pentagon Marches Ahead With Export Reform », Defense News, 6 décembre 1999 ; Vago Muradian, « White House Help May Be Needed to Fix Export Control Squabble », Defense Daily, 15 décembre 1999, p. 1. Entretiens de l’auteur, printemps 2000. Gordon Adams 41 déjà ; bien qu’ayant été tenu informé des discussions, le département d’Etat n’y avait pas pris part. Le Pentagone avait délibérément choisi de négocier avec les Britanniques parce que c’étaient les relations anglo-américaines qui correspondaient le plus à ce qu’il avait défini comme les « cinq piliers de la coopération », conditions d’une exemption de licence : • des politiques et procédures de sécurité industrielle compatibles et permettant la réciprocité ; • des procédures de contrôle des exportations compatibles et permettant la réciprocité ; • d’excellentes relations de coopération en matière d’application des lois ; • une coopération étroite dans le domaine de l’échange d’informations en matière de contre-espionnage, d’espionnage économique et de violations du contrôle des exportations et de la sécurité industrielle ; • une volonté de conclure des accords contraignants permettant un accès réciproque aux marchés 92 . Ces cinq piliers constituent l’assise sur laquelle le DoD entend renforcer les liens avec les alliés. L’idée est que le Pentagone entame des négociations pour garantir que les industries des deux pays partagent les mêmes règles et procédures de protection des technologies classifiées et assurent le suivi de l’habilitation de leurs employés. Les réglementations relatives à l’octroi des licences d’exportation doivent être similaires, et le contrôle des exportations doit être effectué en parallèle et relativement aux décisions de l’autre partie. Les autorités responsables doivent globalement avoir la même vision des violations de la loi et coopérer dans le cas d’éventuelles poursuites. Des principes identiques doivent s’appliquer à la coopération entre les services de renseignement respectifs. Enfin, pour garantir la sécurité de l’approvisionnement en temps de crise, l’accès réciproque aux marchés doit être indissociable d’une interdépendance accrue en matière de défense. Cette Declaration of Principles instituait également un mécanisme susceptible d’améliorer l’harmonisation des besoins militaires des deux 92 « Testimony of Deputy Secretary of Defense John Hamre before the Senate Armed Services Committee », 28 février 2000, p. 4. Voir également Colin Clark, « Britain, Australia Tighten U.S. Defense Ties », Defense News, 14 février 2000, p. 1. 42 Entre coopération et concurrence pays : ceux-ci tenteraient d’identifier très en amont des projets communs de R&D et de production et s’efforceraient d’harmoniser les processus d’acquisition. Enfin, les parties exploreraient les moyens d’accroître la transparence et l’efficacité des procédures de contrôle des exportations. Il s’agirait en particulier de simplifier le régime pour les matériels produits en commun susceptibles d’êtres exportés vers des pays tiers. Afin d’atteindre ces objectifs, Américains et Britanniques décidèrent de créer un « conseil de haut niveau » pour le contrôle des exportations 93 . Cette ambitieuse initiative du Pentagone était destinée à être étendue à d’autres pays, tout d’abord à l’Australie, puis à l’Allemagne, la France, la Norvège, aux Pays-Bas et à la Suède, entre autres. Selon le Pentagone, le modèle à suivre pour les alliés est le régime qui existe déjà avec le Canada. Considéré comme faisant partie du tissu industriel de défense nordaméricain, ce pays a bénéficié jusqu’en 1998 d’une exemption de licence pour les transferts de technologies non classifiées, à condition d’en être le destinataire final94 . L’expression « non classifiées » ne dévalue pas cette exemption ; elle couvre en effet une vaste gamme de technologies figurant sur la Liste des munitions. Elle permet, en particulier, d’importants échanges d’information sur des coopérations technologiques et sur des partenariats potentiels, laquelle est le plus souvent non classifiée mais généralement protégée par les firmes concernées, car jugée sensibles et relevant de la propriété industrielle. Le département d’Etat réagit vivement à la déclaration américanobritannique, reprochant au Pentagone d’avoir négocié un accord dans un domaine qui relever de sa compétence, et affirma sur-le-champ sa position dans la perpétuelle querelle de clochers sur le contrôle des exportations : 93 94 Voir annexe A. Voir également Ann Marie Squeo, « U.S., Britain Set Defense Agreement Boosting Trans-Atlantic Business Ties », Wall Street Journal, 8 février 2000. Colin Clark, « Britain, Australia Tighten U.S. Defense Ties », Defense News, 14 février 2000, p. 1. En juillet 2000, le département de la Défense et le ministre australien de la Défense signèrent une déclaration analogue. Voir Neil Baumgardner, « United States, Australia Sign Agreement to Lower Defense Trade Barriers », Defense Daily, 18 juillet 2000, p. 8. L’exemption canadienne de l’ITAR avait été supendue en avril 1999, à la suite de plusieurs incidents reflétant le laxisme du contrôle des exportations au Canada. Elle fut rétablie après un durcissement des procédures à l’été 2000. Gordon Adams 43 « Il s’agit d’un accord de principe entre ministères de la Défense dépourvu de toute obligation juridique (…). Bien que le département de la Défense estime qu’il ne lie pas les parties, il est clair que ce document présuppose des efforts conjoints du département de la Défense [américain] et du ministère de la Défense [britannique] en vue d’instaurer un accord juridiquement contraignant sur la modification du régime de contrôle des exportations de défense des deux pays. [Un tel accord] exigerait une révision de la législation et de la réglementation en vigueur et, par conséquent, la participation des comités de supervision du département d’Etat [relevant du Congrès]95 ». Les deux départements poursuivirent leurs difficiles négociations tout au long du printemps 2000. Ils s’entendirent sur une liste de réformes significative du contrôle des exportations, mais achoppèrent sur la proposition du Pentagone d’appliquer une exemption de type canadien à tout pays acceptant les conditions des « cinq piliers » dans un accord officiel, tel que celui en cours de négociation avec le Royaume-Uni. Du point de vue du Pentagone, un tel accord permettrait des réformes en vue d’atteindre simultanément deux objectifs : d’un côté, l’instauration d’un régime de commerce de défense plus ouvert, plus souple et plus transparent entre pays alliés, permettant au DoD d’exploiter pleinement les technologiques commerciales du marché mondial. De l’autre, l’obligation pour les pays partenaires de se mettre à niveau dans les domaines des contrôles d’exportations, d’application de la loi, de la sécurité industrielle et du partage du renseignement, réduisant le risque de transfert de technologie vers des pays hostiles. En fin de compte, le système de contrôle américain n’aurait plus à s’occuper des exportations sans risque vers des pays amis et pourrait se concentrer sur les transferts vraiment problématiques 96 . 95 96 L’industrie se félicita de cette déclaration, mais les diplomates britanniques indiquèrent clairement qu’ils reconnaissaient que le département d’Etat devrait se trouver à la table des négociations pour tout accord final : « Nous savons que nous devons traiter avec le département d’Etat ». Colin Clark, « U.S. Critics Assail Export Pact with British », Defense News, 21 février 2000, p. 3. Voir Colin Clark, «DOD Urges Smoother Licensing for Allies », Defense News, 20 mars 2000, p. 4. Le Royaume-Uni et l’Australie sont la destination de 30% des licences d’exportation demandées au département d’Etat. Stan Crock, « Reining In Out-of-Control Tech Export Controls », Business Week, 23 mars 2000. 44 Entre coopération et concurrence La proposition du Pentagone rencontra une forte opposition de la part du département d’Etat. Le Congrès lui fut également hostile, car il la jugeait incompatible avec son souci de lutter la fuite de secrets technologiques américains. Benjamin Gilman (républicain, New-York), président du comité des relations internationales de la Chambre des représentants, se refusait à « soutenir le recours à des exemptions dans le but de lever l’obligation de licence pour nos alliés97 ». Son avis fut partagé par le sénateur Jessie Helms (républicain, Caroline du Nord), président du comité des relations étrangères du Sénat, et par les délégués de la minorité des deux comités, le représentant Sam Gejdenson (démocrate, Connecticut) et le sénateur Joseph Biden (démocrate, Delaware). Dans une lettre commune adressée le 16 mars 2000 à Madeleine Albright, ces parlementaires mettaient en garde contre d’éventuelles exemptions de l’ITAR. Ils y prenaient la défense du système actuel et prévenaient qu’une exemption de type canadien placerait 80 % du commerce de défense entre sociétés hors du régime de licence. Ils préconisaient de ne modifier la réglementation que si le pays bénéficiaire « appliquait un système de contrôle des exportations comparable à celui en vigueur aux Etats-Unis », et après consultation en bonne et due forme de leurs comités 98 . En avril 2000, il était clair que les deux ministères ne parviendraient pas à résoudre ce désaccord. Les parlementaires étaient préoccupés par cette proposition et ses effets sur leur compétence. Les industriels, qui avaient demandé une réforme, hésitaient à insister sur une exemption de type canadien99 . Le Pentagone avait à cœur de boucler le projet avant la rencontre 97 98 99 Colin Clark, « State Department Splits on Export Reform », Defense News,, 13 mars 2000, p. 1. Chuck McCutcheon, « Industry Seeks Fresh Approach to Rewriting Export Controls », Congressional Quarterly Weekly, 1er avril 2000, p. 781. L’inquiétude concernant la juridiction des comités a peut-être été une motivation essentielle de cette lettre. Elle a reflété les préoccupations du département d’Etat à l’égard des négociations du Pentagone dans un domaine relevant de sa compétence et avait plus de chances d’attirer l’attention des démocrates que la question elle-même. Il est en outre possible que le département d’Etat ait encouragé cette lettre. Entretiens de l’auteur. Dans un e-mail du 17 avril 2000, l’adjoint de M. Gansler, David Oliver, a commenté le soutien tiède de l’industrie pour une exemption de licence : il convenait, selon lui, de relativiser ce que le département d’Etat considérait comme la satisfaction de l’industrie quant à l’accord partiel auquel ce dernier et le Pentagone étaient parvenus jusque là. Cette réaction positive ne venait pas, en effet, des directions des entreprises mais des représentants chargés des relations avec le gouvernement. M. Oliver indiquait que les réformes approuvées « n’allaient pas assez loin pour faciliter les relations industrielles Gordon Adams 45 ministérielle de l’OTAN de mai 2000 à Rome, où il comptait l’annoncer. Le National Security Council était intervenu en vue de coordonner les discussions entre les deux ministères mais, compte tenu de la ferme opposition du département d’Etat, il incombait au président de trancher 100 . La liste finale des 17 réformes fut annoncée le 24 mai 2000 lors de la conférence ministérielle de l’OTAN dans la Defense Trade Security Initiative (DTSI). Le fait le plus marquant fut la décision du président à l’égard d’une exemption de l’ITAR au profit des « pays partageant avec les Etats-Unis des politiques similaires et réciproques en matière de contrôle des exportations, de sécurité industrielle, de renseignement, d’application de la loi et d’accès réciproque aux marchés ». Comme dans le cas du Canada, cette exemption couvrirait les exportations non classifiées. Elle dépendrait de la conclusion « d’accords internationaux appropriés relatifs à l’usage final et à la réexportation de biens, services et données techniques de défense, ainis qu’à une application conforme des principes essentiels de contrôle des exportations ». De plus, la proposition du Pentagone avait été modifiée : pour avoir droit à une exemption, non seulement les pays concernés, mais aussi les sociétés devraient être « jugées fiables par le gouvernement américain ». Le Royaume-Uni et l’Australie étaient explicitement désignés comme « les deux pays les plus susceptibles de bénéficier de cette exemption ». D’autres modifications du contrôle américain des exportations sont également prévues pour simplifier les procédures et faciliter la coopération industrielle. D’un côté ont été inventés de « nouveaux » types de licence : une licence unique et globale (major program license) de huit ans couvrant l’ensemble d’un projet sous maîtrise d’œuvre américaine au lieu de demander une licence pour chaque transaction du programme ; une major project 100 avec nos proches alliés » et demandait instamment à l’industrie de prendre contact avec le chef du cabinet du président, John Podesta, pour soutenir une exemption de l’ITAR de type canadien. En fait, une lettre du président de l’AIA, John Douglas, du 12 avril 2000 n’avait manifesté qu’un enthousiasme mitigé à ce sujet, appuyant la proposition « lorsqu’une telle procédure va dans le sens des intérêts de politique étrangère et de sécurité nationale des Etats-Unis » et notant qu’« il serait certainement possible de développer » un mécanisme d’exemption. Comme l’indique David Oliver : « Ce sera une décision présidentielle car l’un des ministères impliqués n’est pas complètement d’acccord ». Neil Baumgardner, « Oliver Expect Presidential Decision on ITAR Exemptions for Britain, Australia », Defense Daily, 13 avril 2000, p. 4. 46 Entre coopération et concurrence license pour les ventes des systèmes complets à un pays membre de l’OTAN, au Japon ou à l’Australie, et couvrant tous les éléments de l’exportation envisagée ; ainsi qu’une global project license pour toutes les exportations prévues dans le cadre d’un programme intergouverne-mental. En outre, on prévoit une autorisation globale unique « d’échanger des données techniques nécessaires à la formation d’équipes ou de joint ventures, aux fusions et acquisitions ou accords similaires » avec des sociétés japonaises, australiennes ou l’OTAN. Afin d’encourager la Defense Capabilities Initiative de l’OTAN, ces réformes doivent « accélérer l’examen, par le gouvernement américain, des licences d’exportations relevant de programmes ou projets de la DCI. ». Enfin, deux réfo rmes devraient accroître la rapidité et l’efficacité du traitement des licences ITAR par le département d’Etat : les liaisons entre systèmes informatiques traitant des licences aux départements d’Etat et de la Défense seront améliorées, et, last but not least, la Liste des munitions sera révisée à raison d’un quart chaque année. Ces réformes ne sont que le début d’un long processus. La négociation des accords préalables à l’exemption de l’ITAR promet d’être difficile, compte tenu de la mise à niveau exigée du pays bénéficiaire en ce qui concerne la protection des droits de propriété intellectuelle, l’assise juridique des règles de contrôle des exportations et les régimes de transfert de technologie. L’industrie européenne a déjà averti que cette mise à niveau semblait avantager les entreprises américaines par rapport à leurs concurrents européens 101 . L’industrie américaine, de son côté, s’est montrée préoccupée par le caractère limité des réformes et par d’éventuels problèmes d’application102 . 101 102 Selon Manfred Von Nordheim of DASA, « Si […] la carrotte d’une exemption n’est guère plus qu’une tentative d’imposer unilatéralement des normes, des valeurs et des critères américains, la ligne de fracture entre l’Europe et les Etats-Unis va s’élargir ». Déclaration de juin 2000. Le président de l’AIA John Douglas fut prudent : « Même si la mise en oeuvre de ces initiatives est satisfaisante pour tout le monde, nous n’aurons rien fait de plus que rationaliser un système conçu à une époque révolue ». Il demandait la création d’un groupe de réflexion pour une révision beaucoup plus poussée du régime de contrôle. Robert Wall, « U.S. Issues New Export Regulations », Aviation Week and Space Technology, 29 mai 2000, pp. 38-39 ; Greg Schneider, « U.S. Will Relax Arms-Sale Curbs », Washington Post, 24 mai 2000, p. E1. Gordon Adams 47 En outre, le Congrès peut encore s’opposer à l’exemption de l’ITAR. La majorité républicaine a réagi de manière assez négative à cette proposition. En particulier, les parlementaires ont signalé qu’il serait peut-être nécessaire qu’une loi soit votée pour empêcher l’octroi d’une exemption de licence à d’autres pays ou qu’un projet d’exemption soit soumis au Congrès avant d’être approuvé 103 . Un assistant parlementaire fut encore plus ferme : « Nous l’arrêterons. Elle ne passera pas. Cette idée d’exempter de licence les ventes d’armes à divers pays est une décision que nous ne pouvons soutenir. Le secrétaire d’Etat s’y est opposé (...) et nous nous y opposons pour les mêmes raisons. » Le Congrès fut également préoccupé par le degré d’intrusion du Pentagone sur les plates-bandes du département d’Etat dans cette affaire : « Le département d’Etat s’est laissé, sur bien des plans, court-circuiter. De ce point de vue, le département de la Défense a effectivement usurpé les prérogatives du département d’Etat. Et c’est un point qui nous inquiète 104 ». Les réformes du système de contrôle des exportations représentent un premier pas important en direction d’un assouplissement de la forteresse Amérique. Il reste cependant à les mettre en œuvre, ce qui est le seul moyen de tester leur portée réelle. Assurée par l’Office of Defense Trade Controls, l’application risque d’être un long processus. En outre, les négociations du Pentagone avec les pays alliés sur les « cinq piliers » sont à peine ébauchées et soulèvent des controverses juridiques et administratives difficiles. Reste également à savoir quelle sera la politique définitive du Congrès vis-à-vis de ces réformes. Enfin, la nouvelle administration devra développer sa propre vision de la relation industrielle de défense transatlantique. Elle sera vraisemblablement favorable aux réformes car elle a conscience de l’importance de l’interopérabilité et du caractère évolutif d’un marché de défense en pleine 103 104 Voir Colin Clark, « Export Reform Advocates Feel Stymied by U.S. Congress », Defense News, 10 juillet 2000, p. 6. A un moment donné, le Sénat envisagea d’associer un amendement à une loi distincte en vue d’empêcher le président d’accorder une telle exemption, mais cette idée a peu de chances de se concrétiser. Il est néanmoins possible que le Congrès demande de spécifier davantage les critères pour l’octroi d’une exemption. Colin Clark, « Senate Targets White House Exemption Power », Defense News, 26 juin 2000, p. 4. Voir également, Robert Wall, « Congress Tweaks Export Reforms », Aviation Week and Space Technology, 10 juillet 2000, p. 57. Jay Hancock et Tom Bowman, « U.S. Set to Ease Weapons Exports », Baltimore Sun, 12 juin 2000. 48 Entre coopération et concurrence mondialisation105 . Deux paramètres seront essentiels : la rapidité des nominations et la priorité accordée à la question par les nouvelles équipes des départements d’Etat, de la Défense et du Commerce. La forteresse Amérique demeure bien présente, même si, manifestement, les besoins d’interopérabilité et les flux de technologies lézardent certains de ses remparts. I.3 L’agenda d’une industrie de défense transatlantique Les marchés européen, américain et transatlantique sont tiraillés entre des orientations contradictoires en ce qui concerne l’avenir de la coopération et de l’intégration industrielles. Les divergences stratégiques risquent d’éloigner les Etats-Unis de leurs partenaires de l’OTAN, tandis que l’interopérabilité est une préoccupation commune susceptible de les rapprocher. L’avenir de la PECSD aura un impact décisif sur l’issue de ces tensions. Les efforts entrepris pour forger une capacité de défense européenne distincte et autonome, ainsi qu’une agence d’acquisition d’armements commune, pourraient renforcer les antagonismes sur le marché de défense transatlantique. Les coupes budgétaires pourraient inciter les Européens soit à accroître la rentabilité de leurs dépenses dans un cadre transatlantique, soit à regrouper leurs acquisitions dans un cadre continental pour protéger leur tissu industriel. Les tendances technologiques – mondialisation et importance accrue des technologies civiles pour les capacités de défense – devraient stimuler l’intégration à travers l’Atlantique, mais l’insuffisance des investissement européens pourrait avoir l’effet contraire et pérenniser la supériorité américaine. Enfin, l’industrie ellemême pourrait avoir des difficultés à se décider entre un marché transatlantique plus vaste (particulièrement aux Etats-Unis) et la protection que pourrait apporter un système d’acquisition européenne fermé. Les tendances contradictoires présentes sur le marché de défense transatlantique pourraient facilement donner naissance à deux forteresses protégeant chacune ses entreprises et ses technologies. L’interopérabilité de l’Alliance en souffrirait, l’on passerait à côté d’avantages technologiques et un programme de recherche et d’acquisition plus efficace pour l’ensemble des alliés tomberait aux oubliettes. 105 Entretiens de l’auteur, 2000. Gordon Adams 49 Afin d’éviter cela, Européens et Américains doivent élaborer un programme pour l’avenir. Compte tenu des changements qui interviendront sur les deux rives de l’Atlantique, 2001 sera une année cruciale. Les Européens auront défini leurs objectifs en termes de forces et de budgets (PECSD) ; la nouvelle administration américaine, dans sa première année d’exercice du pouvoir, aura une nouvelle équipe en place et des réformes à mettre en oeuvre. Une attention particulière mérite d’être accordée aux points suivants : • Les responsables de la planification de défense américains et européens doivent envoyer un message clair à l’industrie, en se concentrant sur le succès de la DCI et de la PECSD, ainsi que sur les liens entre ces deux initiatives. La participation des Américains aux discussions européennes, la poursuite du dialogue OTAN/UE et, surtout, un rôle actif des Européens dans l’élaboration de la prochaine Quadrennial Defense Review (QDR) américaine seront cruciaux. Si les deux opérations (PECSD et QDR) sont menées isolément, les tensions politiques risquent de s’aggraver entre les deux rives de l’Atlantique, mettant ainsi en cause la réforme américaine en matière de commerce de défense. • Il convient d’accorder beaucoup d’attention, de chaque côté, à la stabilité des programmes et des acquisitions communs en cours et à venir. Une intégration accrue en matière de stratégie et de planification des forces facilitera les choses, mais les deux camps devront surtout chercher des occasions de forger des programmes pour lesquels des sociétés de part et d’autre peuvent soumissionner. La décision concernant le Meteor risque de porter préjudice à une telle approche ; le sort du Joint Strike Fighter enverra un message encore plus fort de la part des Américains. • Un dialogue transatlantique sur les règles et pratiques de commerce et d’investissement en matière de défense est indispensable et ce, aussi bien au niveau bilatéral que multilatéral. Il devrait porter sur l’ensemble des questions : contrôle des exportations, règles relatives aux investissements étrangers, protection des transferts de technologies, sécurité industrielle, propriété intellectuelle, juridiction et réglementation en matière d’acquisition. Une harmonisation accrue dans tous ces domaines inciterait les industriels à coopérer et réduirait l’inquiètude de la classe politique américaine à l’égard des stratégies et pratiques européennes. Ce dialogue devrait être mené à la fois dans les secteurs public et privé, et inclure des acteurs du pouvoir législatif, en particulier des membres du Congrès. 50 Entre coopération et concurrence • Ce dialogue doit faire intervenir des acteurs multilatéraux, notamment l’OTAN, l’Union européenne et l’OCCAR. Les règles bilatérales se révéleront inadaptées à un mécanisme décisionel de plus en plus multilatéral en matière de réglementation. • Les budgets de défense doivent être augmentés des deux côtés de l’Atlantique, en particulier pour les acquisitions et la R&D. L’insuffisance de financement et de coordination de la R&D de défense en Europe pourrait être fatale à la PECSD et à la coopération transatlantique. • L’industrie se trouve, des deux côtés de l’Atlantique, face à un vrai défi. Les firmes consolidées européennes ne doivent pas seulement chercher à pénétrer le marché américain, mais soutenir l’ouverture du marché européen aux producteurs américains. Faute de quoi, le système politique américain réagira au protectionnisme européen en reconstituant la forteresse Amérique. Les entreprises américaines doivent, quant à elles, demeurer ouvertes à la coopération avec les Européens sur le marché américain, mais aussi considérer avec soin leur actions en Europe. Le défi consiste, pour elles, à devenir plus mondiales, et à agir en Europe en tant que « firmes européennes », pas en tant que fer de lance des ventes de produits américains aux Européens. Le marché de défense transatlantique se trouve dans une phase délicate, voire cruciale. Des forteresses pourraient émerger des deux côtés ; en même temps, l’interopérabilité, la pénurie des ressources, les flux technologiques et la coopération industrielle sont autant d’éléments qui peuvent donner naissance à un marché euro-américain, tout en maintenant ou même en renforçant les sauvegardes contre la dissémination des technologies critiques. Que l’on s’oriente vers des forteresses ou l’intégration, il s’agira avant tout d’une question de volonté politique. Chapitre Deux LA FORTERESSE EUROPE : REALITE OU VIRTUALITE ? Christophe Cornu Si les encyclopédies et dictionnaires de stratégie proposent des définitions différentes du terme « forteresse », deux éléments en constituent le dénominateur commun. La forteresse est, d’une part, une position particulièrement importante qui, pour être inviolable, est protégée par des dispositifs dissuasifs variés, à la fois défensifs et offensifs. D’autre part, la forteresse est une des composantes d’une sphère d’influence qu’elle contribue à contrôler et à renforcer par différents moyens, dont la capacité de projeter des forces au-delà de cette zone. La fortification n’est donc pas a priori un objectif en soi mais plutôt un outil facilitant une manœuvre plus large. Elle n’est qu’un moyen parmi d’autres à la disposition d’une stratégie, elle-même émanation d’une politique générale 1 . Ces images militaires, aisément transposables aux relations transatlantiques en matière d’armement, permettent de mesurer la dynamique des équilibres et des tensions pour ce secteur très sensible, entre une puissance constituée dominante et un groupe de pays européens en voie d’intégration2 . A ce titre, si les Européens voulaient créer une « forteresse Europe » comparable à celle que les Etats-Unis ont méthodiquement construite 3 , un certain nombre d’instruments seraient à mettre en place, dont : 1 2 3 Voir Gérard Challiand, « Anthologie mondiale de la stratégie », Lafond, Paris, 1991, 1523 pages. Voir Yves Boyer, « Technologies, défense et relations transatlantiques », Politique Etrangère, n. 4/94, pp.1005-1015. Plus généralement, voir Paul Kennedy, « The Rise and Fall of the Great Powers », Unwin Hyman Ltd, Londres, 1988 ; Zbigniew Brzezinski, « Le grand échiquier. L’Amérique et le reste du monde », Bayard, Paris, 1997 ; Nicole Gnesotto, « La puissance et l’Europe », Presses de Sciences Po, Paris, 1998 ; Joseph S. Nye Jr., « The US and Europe: continental drift ?», International Affairs, Vol. 76, n. 1, janvier 2000, pp. 51-59. Voir European Defence Industry Group, « Study paper on Main US Discriminatory Measures and Practices in the Defence Field », EDIG-EPP/93/04 Revision 4, Bruxelles, 20 juin 2000 ([email protected]). 52 Entre coopération et concurrence • le décloisonnement des marchés militaires (tant pour leur production que pour les transferts d’équipements et de sous-ensembles, les achats et la mise en concurrence) au sein d’un espace européen reposant sur un système juridique unifié ; • la création de barrières douanières pour les importations d’armements comme outils d’un système douanier de type Union européenne ; • la création d’une autorité unique chargée de l’armement agissant, dans un premier temps, dans le cadre d’une politique de défense commune, puis comme instrument d’une politique de défense unique dotée, en propre, de budgets adéquats ; • l’instauration d’une préférence européenne en matière d’acquisition et par voie de conséquence, l’augmentation du taux d’équipement des forces européennes en matériels européens. Dans le débat permanent sur les relations transatlantiques en matière d’armement, le paradigme de la forteresse Europe structure encore fortement les discussions, qu’il imprègne les accusations portées par les partenaires américains ou qu’il incarne un espoir, ou au contraire un objet de rejet pour les Européens 4 . Evoluant à plusieurs vitesses selon les acteurs ou les secteurs, l’Europe de l’armement présente un panorama polymorphe et complexe 5 , dans lequel la forteresse Europe demeure virtuelle tandis que les citadelles nationales correspondent, elles, à une réalité indéniable (section II.1). Toutefois, l’effort de convergence récemment entrepris par les Etats européens, pour certaines composantes du secteur armement, pose en des termes nouveaux l’équation de la coopération transatlantique (section II.2). 4 5 Voir notamment Robert P. Grant, « Transatlantic Armament Relations Under Strain », Survival, Vol. 39, n. 1, printemps 1997, pp. 111-137 ; « Lockheed Chief Warns of Risks of a Fortress Europe », Financial Times, 30 octobre 1998 ; Emma Bonino, « A single European Army », Financial Times, 3 février 1999 ; Heinz Schulte, « Euro mergers sparks fear of Fortress Europe », Jane’s Defence weekly, 20 octobre 1999 et le séminaire du European Policy Centre de Bruxelles intitulé « Defence industry & weapons cooperation: still Fortress Europe against Fortress America », Atlantic News, 7 avril 2000. Voir Jean-Paul Hébert, « Armement : le choc de l’Europe », RAMSES 99, IFRI, Paris, pp. 229-254. Christophe Cornu 53 II.1 Forteresse Europe et citadelles nationales L’examen des budgets et des marchés d’équipement militaires européens, des législations applicables au secteur et du dispositif industriel en Europe ainsi que les débats sur la préférence européenne nous conduiront à constater que l’expression « forteresse Europe » ne correspond encore qu’à une virtualité. En effet, la réalité d’aujourd’hui se caractérise par la juxtaposition de citadelles nationales largement préservées à ce jour par les pratiques des Etats. Des budgets limités et fragmentés Les dernières opérations militaires impliquant américains et européens (conflits du Golfe persique et crises des Balkans) ont révélé que, comparé à celui des efforts américains, le « rendement » des efforts budgétaires européens était largement moins élevé, en raison notamment de priorités budgétaires différentes (fonctionnement/investissement) et de l’absence de mutualisation de moyens, qui entraîne de nombreuses duplications 6 . Par ailleurs, en données brutes, les Européens consacrent moins de crédits à leur défense que les Américains. Le tableau ci-dessous met en évidence des ratios de plus en plus défavorables pour les Européens, notamment pour les budgets de R&D, qui conditionnent la maîtrise des systèmes d’armes futurs : Année Etats-Unis Europe ( 15 pays UE) Europe ( 17 pays OTAN) Budget Budget Budget Budget Ratio Budget Budget Ratio défense R&D défense R&D 1 / 2 défense R&D 1/3 (1) (2) (3) 1995 274,6 36,6 168,9 12,1 3 172,7 12 3 1998 253,4 36,4 143,5 9,5 3,8 150,2 9,5 3,8 1999 252,3 35,3 131,6 9 3,9 140,1 9 3,9 (en milliards de $ constants 1997) ; source : Defence spending, « The Military Balance 1999-2000 », IISS, London, p. 37. 6 Voir l’analyse de François Heisbourg, « L’Europe de la défense dans l’Alliance atlantique » (avec notamment une réflexion novatrice sur la convergence des politiques de défense des pays européens pour pallier les différentes lacunes et insuffisances), Politique Etrangère, n. 2/99, pp. 219-232. 54 Entre coopération et concurrence Une des conditions nécessaires (bien que non suffisante) pour l’édification d’une forteresse Europe serait l’existence, en amont, d’une politique de soutien des Etats à leur industrie nationale. Or les budgets des Etats européens sont moins orientés vers le soutien de leurs entreprises que ceux des Etats-Unis, qu’il s’agisse de la recherche, où les investissements sont insuffisants, ou des acquisitions, parfois effectuées directement aux EtatsUnis. Ainsi, tant pour les missiles, avions de combat et les satellites à finalité militaire que pour la R&D de ces secteurs, les budgets étatiques américains bénéficiant directement à l’industrie nationale sont environ trois fois plus élevés que pour les pays de l’Union européenne. Globalement, les industriels américains reçoivent 70 % de plus de soutien que leurs homologues européens 7 . On peut aussi établir un lien entre la baisse d’activités de l’industrie aéronautique militaire européenne (de 24,5 milliards d’euros en 1980 à 20,6 milliards d’euros en 1999) et la réduction du pourcentage des commandes des Etats de l’UE dans son chiffre d’affaires (de 53% en 1980 à 25% en 1999), non compensée par une croissance des exportations militaires8 . L’analyse peut être étendue aux équipements de l’armée de terre et de la marine, même si les budgets d’acquisition et de R&D mobilisés sont moins élevés. Certes, ces chiffres sont une moyenne, qui recouvre des situations diverses en Europe : certains pays, n’ayant pas d’industrie nationale (apte à concevoir ou produire tous les matériels), achètent à des pays tiers alors que d’autres, disposant d’une industrie nationale, pratiquent la préférence nationale 9 . Mais le décalage global Etats-Unis/Europe est néanmoins révélateur de l’absence d’un véritable dessein européen dans ce domaine. En Europe, la pénurie des budgets consacrés à la R&D est aggravée par la fragmentation du financement. Le soutien des budgets semble favoriser pour l’armement terrestre et naval la préservation des citadelles nationales, du moins pour les Etats disposant sur leur territoire de capacités de conception, de production et de vente. Tant que les industries de ces secteurs restent nationales, les budgets correspondants ne contribueront guère à la 7 8 9 AECMA (European Association of Aerospace Industries), « Government Funding for Aerospace Industries », Bruxelles, mai 2000, p. 41 et p. 58 (www.aecma.org). AECMA, « 1999 Statistical Survey », 5 juillet 2000. Voir ci-après le graphique mettant en relation le chiffre d’affaires de 14 industries d’armement européennes et la part du volume d’équipement d’origine américaine des forces armées de ces 14 pays. Christophe Cornu 55 construction d’une forteresse Europe en tant que telle 10 . Seuls les secteurs aéronautique et électronique relèvent d’une logique inverse, en raison notamment des incidences des restructurations trans-européennes 11 . L’ouverture inégale des marchés Un autre élément d’appréciation de l’existence d’une éventuelle forteresse Europe réside dans le taux de pénétration américaine sur les différents marchés européens, tant en ce qui concerne les ventes directes que les investissements. Les ventes américaines en Europe Les experts estiment que, globalement, près de 40% de l’équipement des forces armées européennes sont d’origine américaine 12 . Ce pourcentage cache de grandes disparités et l’analyse du graphique ci-dessous, mettant en relation le chiffre d’affaires de 14 industries d’armement européennes et la part (estimée) du volume d’équipement d’origine américaine des forces armées de ces 14 pays, permet de distinguer quatre groupes 13 : • groupe A (France et Royaume-Uni) : pays pouvant maîtriser l’ensemble des systèmes d’armes / très faibles importateurs de produits américains ; • groupe B (Allemagne) : pays ayant la capacité de systémier / faible acheteur de matériel américain ; • groupe C : ensemble de pays dotés de capacités industrielles importantes (Italie, Suède et Espagne) ou spécialisées (Finlande, Pays-Bas) ou plus limitées (Belgique) / moyens consommateurs d’équipements américains ; 10 11 12 13 Voir Jacques Isnard, « Les forteresses nationales de l’industrie d’armement », Le Monde, 2 juin 1999. Voir ci-après, dans la section II.4, les analyses par secteur. Voir le compte rendu du séminaire du groupe de réflexion sur les industries de défense par Burkard Schmitt (5ème session, « La coopération transatlantique en matière d’armement », Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 31 mars 2000. L’auteur souhaite souligner que les chiffres cités doivent être considérés avec prudence en raison surtout de la rareté des données fiables sur les pays membres de l’UE (les données de l’AECMA concernent seulement l’aéronautique, les chiffres de l’EDIG sont inexistants et ceux de l’UE incomplets). 56 Entre coopération et concurrence • groupe D (Pologne, Norvège, Grèce, Turquie et Danemark) : pays faibles producteurs / consommateurs importants de produits américains. Production d'armement en Europe et matériels d'origine américaine dans les armées européennes (sources: Military Balance 1999/2000; SIPRI Yearbook 1999; Calepin International DGA/DCI, FR MOD, éd. 07/2000) 18 16 FR 14 UK 12 10 GE 8 6 IT 4 SWE 2 FIN SP NE BE PO NO GR TU DE 0 0 10 20 30 40 50 60 70 80 volume estimé du matériel d'origine américaine dans l'équipement des forces armées de 14 Etats européens (en %) 90 Christophe Cornu 57 A la lumière de ces estimations, on constate facilement qu’il n’existe pas véritablement une industrie européenne de défense, ni un marché européen homogène, mais plutôt des acteurs qui adoptent des comportements particuliers vis-à-vis de leur partenaire américain14 . Les pays du Groupe A disposent d’une autonomie technologique de défense assez large. Ils maîtrisent les technologies pour concevoir et produire l’ensemble des systèmes d’armes, parfois sans avoir des budgets nécessaires pour les développer (pour ses forces nucléaires, Londres a fait un choix d’approvisionnement partiel aux Etats-Unis). Pour les Britanniques, la politique officielle d’équipement est de considérer les offres américaines avec le même intérêt que les autres selon le principe du « best value for money ». Mais si les services d’acquisition anglais affichent en priorité l’aspect concurrence dans leur politique, on constate que les armées britanniques sont peu équipées en matériel américain 15 . Pour les autorités françaises, les achats aux Etats-Unis, au demeurant très faibles, résultent soit de l’impossibilité de concevoir/produire l’équipement « en européen », soit d’un choix d’économie conduisant à acquérir un matériel déjà développé (systèmes d’armes AWACS, Hawkeye et C 130) 16 . Pour l’Allemagne (Groupe B), les liens industriels avec les Etats-Unis se limitent en fait aux missiles. Dans les autres domaines de l’aéronautique, elle a traditionnellement participé à des coopérations européennes. C’est seulement dans l’armement terrestre et la construction navale (qui reste jusqu’ici largement nationaux) que l’industrie allemande est dotée d’une capacité de maître d’œuvre. Ces spécificités conduisent l’Allemagne à acheter peu aux Américains et à consacrer environ 70 % de son budget d’équipement aux programmes en coopération européenne 17 . 14 15 16 17 Voir William Walker & Philip Gummet, « Nationalisme, internationalisme et marché de l’armement en Europe », Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, Cahiers de Chaillot, n. 9, septembre 1993, pp. 23-30. Voir « L’acquisition intelligente des matériels de défense », Revue de la Défense Stratégique du Royaume-Uni, ministère de la Défense, Londres, juillet 1998, pp. 40-43 et « Breaking the Bank », Jane’s Defence Weekly, 26 janvier 2000, pp. 25-28. Voir Jean-Paul Hébert, « Stratégie française & industrie d’armement », FEDN, Paris, 1991, 391 pages ; le numéro spécial France du Jane’s Defence Weekly, 26 avril 2000 et Robert Graham, « Government faces a financial squeeze », Financial Times, 14 juin 2000. Voir notamment Joachim Rohde, « French-German Arms Cooperation » dans « Les relations Franco-allemandes » sous la Direction de Hans Stark, Les cahiers de l’IFRI, 58 Entre coopération et concurrence Les pays du Groupe C disposent de capacités significatives de conception/ production plus ou moins spécialisée sur leur sol et privilégient l’approvisionnement national ou européen (les Pays-Bas à un niveau moindre). L’Italie est impliquée dans de nombreux programmes européens en coopération et dispose d’une capacité technologique et industrielle assez importante. La Suède, assez dépendante des Etats-Unis dans le domaine aéronautique pour les sous-ensembles (moteurs, missiles, etc.), équipe principalement son armée de terre et sa marine en matériel produit sur son sol. L’Espagne ne maîtrise pas toute la gamme des produits mais est capable de réaliser sur son sol des armements majeurs, dont ses forces sont principalement équipées 18 . Pour les pays de ces trois groupes, qui pèsent d’un poids déterminant dans la politique européenne, le débat sur les relations transatlantiques en matière d’armement prend moins en compte l’objectif d’une grande forteresse Europe, que des considérations liées à la préservation des « citadelles nationales » existantes. Toutefois, dans certains cas, la notion de citadelle nationale tend à se réduire à la simple préservation des emplois sur le sol national, sans attacher d’importance au maintien de capacités technologiques ou au contrôle du capital des entreprises par des nationaux. Ainsi, on a vu, entre autres, le suédois Bofors (partie artillerie) être racheté par United Defence (US), GMC Canada reprendre la société Mowag (SWI), l’Etat espagnol mettre en vente le constructeur de véhiclues blindés Santa Barbara. Enfin, les pays du Groupe D ont une industrie peu développée, dotée d’un niveau technologique moins élevé (sauf la Norvège). Leurs politiques d’achat outre-Atlantique sont fondées sur une combinaison de facteurs : acquisition d’équipements de haute technologie au meilleur prix (pays avec budget d’équipement assez limité, Turquie exceptée), demande de transferts de technologies pour essayer d’acquérir une certaine autonomie (Turquie) 18 Paris, IFRI, n. 25, 1998 ; numéro spécial Allemagne du Jane’s Defence Weekly, 7 juillet 1999 ; Hans Eberhard Birke, « L’industrie aérospatiale en Allemagne : puissante et prête à coopérer », Défense Nationale, n. 6, juillet 1999, pp. 38-46. Voir Gal Alberto Zignani, « L’Italie et l’Europe de l’Armement », Revue l’Armement, n. 61, mars 1998, pp. 114-120 ainsi que les fiches pays (Italie, Suède, Finlande, Belgique, Espagne et Pays-Bas) du Calepin International DGA/DCI, ministère de la Défense, Paris, édition 07/2000 et du Military Balance 1999-2000, IISS, Londres, pp. 30 ss. Christophe Cornu 59 et, surtout, relations diplomatiques privilégiés avec les Etats-Unis 19 . La situation et les choix des Etats européens expliquent que le two-way street en soit demeuré au stade des déclarations d’intentions : le volume d’exportations américaines vers l’Europe est, en effet, bien supérieur aux exportations européennes vers les Etats-Unis (pénalisées par la fermeture du marché américain) 20 . Les ratios sont de plus en plus favorables aux EtatsUnis comme le montre le tableau ci-dessous : Exportations Exportations Année Etats-Unis vers Europe Europe vers Etats-Unis 1987 6,1 milliards de $ 1,4 milliards de $ 1994 4,1 milliards de $ 0,7 milliards de $ 1997 4,3 milliards de $ 0,7 milliards de $ (sources : pour 1987 & 1994, « The Military Balance 1996-1997 », IISS ACDA cité par Revue Aérospatiale, n. 166, mars 2000) Ratio 4,36 / 1 5,86 / 1 6,14 / 1 ; pour 1997, Toutefois, il faut noter que ces exportations américaines vers l’Europe sont en général concentrées sur quelques pays traditionnellement importateurs (Groupe D) et concernent généralement les matériels électroniques et aéronautiques. Ainsi, les ventes à destination de 4 pays (Norvège, Turquie, Danemark et Grèce) représentent chaque année entre 45 et 60 % de ces exportations 21 . Les investissements américains en Europe Dans le domaine des investissements, la stratégie industrielle américaine des dernières années vise essentiellement à multiplier les accords afin que les 19 20 21 Voir les fiches pays du Calepin International DGA/DCI, ministère de la Défense, Paris, édition de juillet 2000 et du « Military Balance 1999-2000 », IISS, Londres, pp. 30 ss. Voir « Making Transatlantic Defense Cooperation work », Findings and Recommendations of the CSIS Atlantic Partnership Project, Center for Strategic & International Studies, Washington, DC, mai 1996. Chiffres « Foreign Military Sales » additionnés aux ventes commerciales (régime du contrôle des exportations d’armes) ; voir DSCA (Facts Book) publié par le Deputy for Financial Management Comptroller, « Foreign Military Sales, Foreign Military Construction Sales and Military Assistance Facts », Washington, 30 septembre 1998. Seule la signature d’un gros contrat ponctuel certaines années réduit ce pourcentage d’exportation vers les 4 pays (achat d’avions « F 18 » par la Finlande en 1994 ou d’hélicoptères « Apache » par la Grande-Bretagne et les Pays-Bas en 1995). 60 Entre coopération et concurrence intérêts américains deviennent constitutifs du tissu industriel européen, préservant ainsi l’accès aux marchés européens dans tous les secteurs 22 . Les accords peuvent prendre la forme de productions communes. Ainsi, par exemple, Lockeed-Martin et BAe se sont alliés pour concevoir un véhicule de reconnaissance, Loral et Alcatel se sont unis pour les systèmes satellitaires Skybridge et Cyberstar. Il peut s’agir aussi d’accords de soustraitance (McDonnell-Douglas commande des pièces à Fokker aviation, Helicopter Aviation Services (groupe Bell) achète des pilotes automatiques SFIM), de cessions de licence ou de rachats/prises de participation (achat du français Ratier-Figeac par le groupe UTC, vente en cours par l’Etat espagnol du constructeur de véhicules blindés Santa Barbara à l’américain General Dynamics, le même General Dynamics étant par ailleurs devenu actionnaire de référence dans le constructeur autrichien de blindés légers Daimler Puch) 23 . Les Etats-Unis ont du se contenter de cette stratégie d’adaptation. En effet, certains acteurs préconisaient une politique d’hégémonie 24 , mais elle eut été politiquement trop coûteuse au sein de l’Alliance atlantique. D’autres soutenaient l’établissement d’un véritable two-way street entre les deux rives de l’Atlantique, finalement écarté, notamment parce que préjudiciable à la balance commerciale américaine25 . 22 23 24 25 Voir Jean-Paul Hébert, « Dimensions économiques de la compétition euro-américaine », dans « Europe/Etats-Unis : coopérations et compétitions dans le domaine des systèmes de défense et des hautes technologies », La Documentation française, Paris, 1998, pp. 107-120. Voir Jean-Paul Hébert et Laurence Nardon , « Concentration des industries d’armement américaines : modèle ou menace ? », Cahiers d’Etudes Stratégiques, CIRPES/EHESS, Paris, n. 23, 1999 (chapitre 6 : « le renforcement ambigu des liens entre industries d’armement américaines et européennes ») ; Jacques Isnard, « L’OPA américaine sur la défense européenne », Le Monde, 31 octobre-1 novembre 1999 ; Leslie Crawford, « Spain to go ahead with sale of arms maker to US », Financial Times, 11 juillet 2000 ; Nicole Beauclair & Jean Dupont, « Industrie américaine : partenaire et concurrente », Air & Cosmos, n. 1706, 13 octobre 2000. Voir Ethan B. Kapstein, « America’s Arms Trade Monopoly. Lagging Sales Will Starve Lessers Suppliers », Foreign Affairs, mai-juin 1994, vol. 73, n. 3, pp. 13-19. Voir notamment Pamela Pohling-Brown, « Fear of transatlantic trade war as market contracts », Jane’s Defence Contracts, mars 1997, pp. 5-7 et Jacques S. Gansler, « Technology, Future Warfare and Transatlantic Cooperation », NATO workshop, Norfolk-VA, 12 novembre 1998. Christophe Cornu 61 Des législations disparates Au sein de l’Union européenne, la réglementation du secteur armement superpose deux types de normes : d’une part, les systèmes juridiques des 15 Etats membres, qui contribuent au maintien des forteresses nationales, notamment en matière de passation de marchés publics, de l’autre, les règles édictées par l’UE dans ses domaines de compétence. Le système juridique des Etats Tant dans la portée du droit que dans son champ d’application ou sa spécificité par rapport au droit commun, l’hétérogénéité des législations nationales en matière de défense a été particulièrement mise en évidence lors des travaux réalisés par les quatre partenaires du consortium Airbus (Aérospatiale, BAe, CASA et DASA) visant à créer une European Aerospace and Defence Company (EADC). Suite à la déclaration du 9 décembre 1997 sur la restructuration de l’industrie européenne aérospatiale et électronique de défense 26 , un premier rapport est finalisé par les industriels. Ce rapport stigmatisait notamment la disparité des réglementations européennes dans trois domaines (dispositions générales, action préférentielle ou golden share et législation à l’exportation), comme principal frein aux restructurations industrielles en Europe. En ce qui concerne le contrôle des investissements étrangers, on peut distinguer deux groupes de pays. L’Allemagne n’impose pas de restrictions légales particulières pour la prise de contrôle par un investisseur étranger d’entreprises d’armement et l’Italie n’applique pas de dispositions spéciales pour contrôler les accords industriels dans le domaine de la défense. Pour la Grande-Bretagne, il n’existe pas de règles spécifiques concernant les activités d’armement, qui relèvent du droit commun. Toutefois, la pratique reste encore interventionniste. Ainsi, les autorités italiennes peuvent invoquer la protection de secrets relatifs à la sécurité nationale pour empêcher une prise de contrôle jugée « inamicale » ou inopportune. En Allemagne, lorsque BAe a voulu racheter en 1998 STN Atlas, les autorités compétentes ont indiqué discrètement les conséquences (éventuellement 26 Déclaration conjointe des chefs d’Etats et de gouvernements britanniques, allemands et français du 9 décembre 1997 ; voir Annexe A. 62 Entre coopération et concurrence négatives) pour continuer à accéder au marché allemand, si la majorité du capital de STN passait dans des mains étrangères 27 . Dans ce domaine, les grilles d’analyse à l’échelle européenne sont complexes et combinent intérêts des actionnaires et objectifs des Etats qui peuvent être divergents. Ainsi, le rachat de l’électronique de défense de GEC par BAe en janvier 1999 a pu être interprété, soit comme la constitution d’une forteresse britannique, soit comme le refus d’une alliance avec une autre société européenne (DASA ou Thomson-CSF), soit comme la simple satisfaction des intérêts des actionnaires de GEC, soit comme un rejet d’une alliance avec une compagnie américaine ou encore comme les quatre à la fois28 . Un second groupe de pays utilise un corpus spécifique de règles. Ainsi la loi française est très restrictive en imposant une autorisation préalable (ministère de l’Economie et des Finances) pour tout investissement étranger, qui sera limité à 20% du capital (des possibilités de dérogations existent toutefois) 29 . En Suède, une autorisation gouvernementale globale est nécessaire pour tout producteur d’armement et en Espagne, le gouvernement doit approuver tout investissement étranger concernant une société espagnole de défense. En matière d’action préférentielle, à laquelle sont attachés des droits exorbitants du régime commercial commun, un autre clivage apparaît. Pour l’Allemagne et la Suède, le mécanisme de l’action préférentielle n’existe pas. En revanche, elle est utilisée en Espagne, en France (notamment dans les processus de privatisations des sociétés comme Aérospatiale et 27 28 29 Finalement, BAe ne détient que 49 % du capital de STN Atlas (entretiens de l’auteur avec des responsables allemands de l’armement). Voir Jean-Pierre Maulny, « Industries et ventes d’armes », dans « l’Année Stratégique 2000 », IRIS, 1999, pp. 649-671 ; Marc Roche : « La puissance du nouveau BAe pèsera sur l’avenir de l’Europe », Le Monde, 21 janvier 1999 ; Hugo Dixon et Alexander Nicoll, « How Project Super Bowl Won the Day », Financial Times, 23-24 janvier 1999 ; Ralph Atkins, « DASA head gloomy over pan-European defence », Financial Times, 25 janvier 1999. Sur ces réglementations ICA, voir Jean Hamiot, « La Base Industrielle et Technologique de Défense », Revue l’Armement, n. 61, mars 1998, pp. 44-52. Les nouvelles réalités industrielles européennes conduisent les autorités françaises à être plus souples (voir les analyses de l’IGA Bessero et de l’ICA Coq dans Info DGA, n. 121, mars 2000, pp. 34-35). Christophe Cornu 63 Thomson-CSF), en Italie (aussi dans le cadre des privatisations ; loi n. 474/94) et en Grande-Bretagne (action préférentielle comportant quatre volets : présence d’un administrateur gouvernemental sans responsabilités, la participation étrangère ne peut dépasser 49,5 % du capital et un investisseur étranger ne peut posséder plus de 15 % des actions ; ces dispositions ne peuvent être modifiées sans accord gouvernemental). En ce qui concerne la Grande-Bretagne, le seuil de 49,5 % avait été fixé initialement à 29,5 % mais, sous pression de BAe et de Rolls-Royce, il a été rehaussé. Ces derniers ont plaidé avec succès que les 29,5 % empêchaient la société de nouer des alliances avec des partenaires étrangers, pouvaient avoir des effets de contraintes négatifs sur le cours de l’action et que ce seuil de 49,5% les protégeaient encore contre d’éventuels raiders 30 . Pour les règlementations à l’export, chacun des pays européens a ses propres législations lourdes. Elles contraignent les entreprises à obtenir une série d’agréments, soit selon les zones géographiques, soit dès le stade de la prospection des marchés extérieurs ou pour l’autorisation d’exportation des systèmes d’armes, soit au moment de la sortie du matériel du territoire (Royaume-Uni), ou encore pour toutes les phases du processus d’exportation (France, Allemagne, Espagne). En général, ces règles sont appliquées par des Commissions interministérielles ou au plus haut niveau de l’Etat (France, Allemagne, Italie, Espagne, Suède) et s’appuient parfois sur des listes de produits (en Italie, loi n. 474/94 ; en France, décret n. 95-589 du 6 mai 1995 et en Allemagne, le KWKG du 20 avril 1961) 31 . Cette multitude de règles hétérogènes interdit la libre circulation des produits militaires à l’intérieur de l’Union européenne et attise la concurrence entre Européens sur les marchés tiers. Dans ce domaine, les 15 Etats membres de l’UE sont aussi étrangers les uns par rapport aux autres que, par exemple, les Pays-Bas vis-à-vis de la Russie ou de l’Argentine. La mise en œuvre et la pratique de ces procédures par les Etats apparaît en outre flexible, et leur respect par les entreprises d’armement relatif, notamment en fonction des circonstances politiques et de la concurrence sur les marchés 30 31 Voir Financial Times, 26 juin 1997 et 13 mars 1998. Sur ces réglementations complexes, voir le rapport parlementaire très complet de MM. Jean-Claude Sandrier, Christian Martin et Alain Veyret, « Le contrôle des exportations d’armement », Rapport d’information n. 2334, Assemblée Nationale, Paris, 25 avril 2000, 310 pages (www.assemblee-nationale.fr). 64 Entre coopération et concurrence tiers32 . Toutefois, pour ce domaine, deux corpus de règles communes se développent depuis peu au niveau de l’UE et dans la LoI. (voir II.2 ). Dans le domaine de la concurrence, le contrôle des Etats nationaux reste large. On constate donc une discordance entre les intentions affichées et la réalité : les pays européens annoncent des politiques d’ouverture de le urs marchés intérieurs, mais, dans les faits, continuent encore à raisonner en termes de capacités nationales. Ainsi le « Document de Politique Générale » (ou Coherent Policy Document – CPD), signé en 1990 par les 13 membres du GEIP (Groupe européen indépendant de Programmes), visait à créer un marché européen ouvert de l’armement 33 . Même si certains progrès ont été réalisés, les mesures de décloisonnement, d’ouverture et de transparence des marchés restent déclaratoires face à la préférence nationale34 . Ainsi en Grande-Bretagne en 1996-1997, sur 730 contrats passés (dont 56% d’appels d’offres ouverts) dans le cadre des mécanismes du CPD, 95 % ont été remportés par de fournisseurs britanniques. En Italie, sur 341 contrats publiés dans le bulletin du GAEO (1996-1997), 74% l’ont été sous des conditions restreintes et 26 % avec concurrence. Pour le premier cas, 86% des contrats ont été attribués à des entreprises italiennes (et 14% à des sociétés européennes ou américaines), pour le deuxième cas, 68% des contrats sont restés en Italie (et 32% pour des sociétés européennes ou américaines) En France (1997), sur 16 992 marchés passés par le ministère de la Défense représentant 62,9 milliards de FF, 10 218 (soit 63% et 55 milliards de FF) l’ont été par des appels d’offres restreints ou négociés 32 33 34 Voir l’analyse de Jean-Louis Scaringella, « Les Industries de Défense en Europe », Economica, Paris, 1998, pp. 67-100 ; Les Nouvelles du GRIP, n. 4/99 (www.grip.org) et le dossier spécial du Monde du 22 janvier 2000 (Patrice Claude, « Tony Blair a du mal à concilier l’éthique diplomatique et ventes d’armes », Christophe Jakubyszyn, « En France, un outil à la discrétion du gouvernement » et Arnaud Leparmentier, «En Allemagne, les verts obtiennent un durcissement des règles »). Intitulé Independent European Programme group – European Defence Equipment Market, il développait tous les aspects d’une politique européenne d’armement ; IEPG/Perm Sec/D-12 du 30 octobre 1990. Voir Sandra Mezzadri, « L’ouverture des marchés de la défense : enjeux et modalités », Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, Publications occasionnelles, n. 12 , février 2000, pp 6-11. Christophe Cornu 65 sans concurrence 35 . D’ailleurs, la nouvelle version du Coherent Policy Document agréé en 1999 par les 13 ministres de la Défense du GAEO 36 ne prévoit rien de plus précis, ni de plus contraignant sur l’ouverture des marchés que le document de 1990, qui a montré ses limites. Les règles de l’Union européenne En complément de toutes ces législations nationales, l’UE a crée un deuxième corpus de règles. On se trouve ici en plein paradoxe : bien que les traités disposent que les questions ayant un impact sur leur sécurité peuvent être exclues par les Etats du champ d’application du droit communautaire 37 , ceux-ci ont laissé l’Union européenne (Commission et Conseil) se doter de règles encadrant certaines activités relatives à l’armement. La Commission peut notamment intervenir en matière de droit de la concurrence et de fusions/acquisitions de sociétés impliquées dans l’armement, de contrôle à l’exportation des biens et technologies à double usage et partiellement en matière de Tarif Douanier Commun. De plus, elle a essayé de manière continue d’aborder d’autres sujets dans trois Communications 38 . De son coté, le Conseil peut intervenir dans le domaine armement notamment dans le cadre des règles de la PESC (voir II.2 ). Cette nouvelle strate réglementaire constitue, pour l’instant, un facteur supplémentaire de complexité juridique. Nous sommes actuellement dans une phase de transition, au terme de laquelle l’UE devrait être le niveau de la nécessaire unification de ces règles disparates. 35 36 37 38 Voir ministère de la Défense, « Annuaire statistique de la Défense », Collection Analyses et Références, La Documentation française, Paris, juin 2000, p. 115. « Document de Politique Générale », WEAG (99) 2, Bruxelles, 22 novembre 1999 (www.weu.int/weag). C’est l’article 223 du traité de Rome (aujourd’hui article 296 du Traité sur l’Union européenne - TUE) auquel est attachée une liste confidentielle de matériels militaires (dite liste de 1958). Les trois communications sont : « Les défis auxquels sont confrontés les industries européennes liées à la défense - contribution en vue d’actions au niveau européen », Bruxelles, COM (96) 10 final du 24 janvier 1996 ; « L’industrie aérospatiale européenne face au défi mondial », Bruxelles, COM (97) 466 final du 24 septembre 1997 ; « Mettre en oeuvre la stratégie de l’Union en matière d’industries liées à la défense », Bruxelles, COM (97) 583 final du 12 novembre 1997. 66 Entre coopération et concurrence Un dispositif industriel dispersé Le paysage industriel européen résulte de plusieurs facteurs dont les principaux sont l’héritage de l’histoire et le degré variable, selon les secteurs, de la pression concurrentielle américaine. Les conséquences des restructurations industrielles dans l’armement aux Etats-Unis sont très importantes tant sur le nombre des sociétés39 que sur le nombre d’employés (2,7 millions en 1993 et 2,1 millions en 1998). Les mouvements en Europe sont en retard dans certains secteurs et dépassent peu le stade des forteresses nationales 40 . Décalée dans le temps par rapport aux Etats-Unis, la course aux regroupements en Europe a essentiellement concerné, à ce jour, les secteurs de l’aéronautique, de l’espace et de l’électronique qui se sont restructurés d’abord en national (1992/1995) puis en transnational (1998/2000). Pour faire face à la nouvelle concurrence américaine, trois grands groupes (EADS, BAE Systems et Thales, anciennement Thomson-CSF) se sont ainsi constitués au travers de quatre processus : « concentration, redéfinition du périmètre des activités, rationalisation et internationalisation » 41 . Toutefois, il reste à réussir la réorganisation interne entre entités fusionnées et notamment à décider si toutes les implantations industrielles réparties dans plusieurs Etats européens seront maintenues. En outre, il conviendra de créer une culture et un esprit européens pour les entreprises transnationales. 39 40 41 Les grandes sociétés aéronautiques américaines (Lockheed Martin, Boeing, Raytheon et Northrop Grumman) sont issues d’un processus de concentration lancé en 1990 entre 22 entreprises ; en résultante, 3 d’entre elles (Lockheed, Boeing et Raytheon) ont cumulé 30 milliards de $ de contrats du ministère de la Défense américain en 1999. Toutefois aux Etats-Unis, si les secteurs électronique et aéronautique semblent restructurés, le processus n’a pas encore vraiment commencé pour les secteurs de l’équipement terrestre et naval (voir plus loin). Voir « Restructuring in the USA and Western Europe », SIPRI Yearbook 1999, p. 396. Voir l’analyse de fond de ces tendances lourdes par Burkard Schmitt, « De la coopération à l’intégration : les industries aéronautique et de défense en Europe », Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, Cahiers de Chaillot, n. 40, juillet 2000, pp. 11 ss. En 1999, les chiffres d’affaires dans l’aéronautique sont de 145,7 milliards d’euros pour les Etats-Unis et de 65,6 milliards d’euros pour l’Europe (chiffres AECMA). Christophe Cornu 67 Dans ce secteur, les mouvements de restructuration vont se poursuivre pour les équipementiers de 2ème et de 3ème niveau42 . En ce qui concerne l’équipement (classique) des armées de terre, le secteur n’est pas encore très affecté par les regroupements transnationaux. Plusieurs facteurs expliquent ce retard : • • • • • • • aux Etats-Unis, le marché intérieur, dominé par les sociétés américaines, est encore relativement morcelé (General Dynamics, Textron, United Defense, arsenal de Rock Island), même si certains rapprochements internes sont en cours. Jusqu’ici, les sociétés européennes ne subissent donc pas, du moins en Europe, de pressions concurrentielles, même si la compétition est très forte sur certains marchés tiers ; en Europe, l’ancienneté de cette industrie (plusieurs siècles) et une grande présence des Etats (sous diverses formes) ont créé des cultures peu susceptible à des restructurations transnationales ; la gamme de produits est très large (de l’équipement individuel du soldat au char lourd de combat en passant par les engins de génie et les matériels du service de santé) et leurs coûts sont très variables ; les sociétés du secteur sont souvent très spécialisées et dotées de structures capitalistiques peu concentrées. Elles sont rarement adossées à un groupe exerçant des activités civiles (sauf en Allemagne) et dispose des activités peu diversifiées (même sur des secteurs de proximité) ; un grand nombre des entreprises sont de taille relativement réduite et peuvent subsister avec de petits contrats sur des créneaux étroits ; certains gouvernements craignent les incidences sociales que les restructurations industrielles engendrent lorsqu’elles touchent des régions historiquement très dépendantes de l’armement terrestre ; le nombre de programmes en coopération est très faible, compte tenu notamment de la lenteur des travaux sur l’harmonisation des besoins opérationnels dans les enceintes multilatérales tant à l’OTAN, qu’à l’UEO (groupe de travail EUROLONGTERM) ou au sein de FINABEL. A ce jour, il subsiste environ 37 compagnies majeures dans les 17 pays européens de l’OTAN 43 . Pour certains des responsables du secteur, le 42 Voir Douglas Barrie et Theresa Hitchens, « Europe’s Merger Wave Rolls Toward Sectors », Defense News, 20 décembre 1999. 68 Entre coopération et concurrence mouvement de restructuration doit être lancé au plus vite : « nous devrons nous rassembler pour constituer quelque chose d’analogue à EADS » 44 . Déjà une série d’opérations concernant le secteur des blindés légers a été réalisée (rachat de PME par des industriels ayant une assise financière supérieure : le rachat de GKN (Royaume-Uni) et de Hägglunds (Suède) par Alvis (Royaume-Uni) et l’opération Thyssen Henschel-Kuka en sont deux exemples). Mais ni le secteur prépondérant des blindés lourds (trois acteurs principaux : Krauss Maffei - Wegmann (Allemagne), Vickers (RoyaumeUni) et GIAT Industries (France)), ni le secteur de l’artillerie (20 sociétés de toute taille en Europe), ni celui des munitions (30 industriels de dimension très variable) n’ont entamé le processus de regroupement 45 . D’autre part, l’équipement des forces armées terrestres est très hétérogène. Seul le char de combat Léopard de Krauss Maffei peut être considéré comme un standard européen avec 12 armées de terre clientes. Face à une situation financière précaire et avec des plans de charge réduits 46 , beaucoup d’entreprises de ce secteur sont menacées. Leur avenir est d’autant plus incertain que les compagnies américaines développent une stratégie dynamique d’acquisition en Europe : General Dynamics est devenu actionnaire de référence de l’autrichien Daimler Puch et est en train de racheter l’espagnol Santa Barbara, GMC Canada a pris le contrôle de Mowag en Suisse, et Bofors-artillerie en Suède a été racheté par United 43 44 45 46 Voir Douglas Barrie et Jack Hoschauer, « Armour May Not Yield to Europe Consolidation », Defense News, 31 août/6 septembre 1998. Jacques Loppion (PDG de GIAT Industries) dans Douglas Barrie and Christina MacKenzie, « European Land Armor Consolidation Looms », Defense News, 26 juin 2000. Voir Bernard Chabassière et Frédéric Fossé, « L’industrie européenne des armements terrestres - panorama et perspectives », Revue l’Armement, n. 70, juin 2000, pp. 114122. Le lancement du programme VBCI a assuré l’avenir des constructeurs de véhicules légers, mais la situation est inquiétante pour les producteurs de chars lourds : Vickers (groupe Rolls-Royce) a un plan de charge très réduit suite à la fin de la livraison des 38 chars Challenger II au Sultanat d’Oman (Jane’s Defence Weekly, 16 août 2000), GIAT Industries a un faible plan de charge et cumule depuis 5 ans plus de 2,5 milliards d’euros de pertes alors que Krauss Maffei connaît des problèmes de stratégie : après rachat de Mannesmann par Vodafone, la branche défense de Mannesmann (Kraus Maffei) a été vendue au consortium Siemens/Bosch. Il semble que cette solution soit intérimaire et le prélude à une fusion Krauss Maffei/Rheinmetall. Christophe Cornu 69 Defense 47 . La situation dans l’armement terrestre infirme donc clairement la thèse de la forteresse Europe. La situation est assez différente dans le domaine des chantiers navals, en général structuré autour d’un « leader » national qui domine son marché (BAe Systems au Royaume-Uni, Fincantieri en Italie, Bazan en Espagne, DCN en France, Kockums en Suède) et de chantiers navals spécialisés sur des segments plus petits. Dans ce secteur, les sociétés américaines interviennent très peu en Europe. Le paysage américain est dominé par cinq chantiers 48 qui conçoivent des produits très spécifiques aux besoins de la Navy (porte-avions de 80 000 tonnes, sous-marins nucléaires) donc peu exportables. Par ailleurs, en raison d’un manque de compétitivité, les chantiers navals civils ont été abandonnés par les Etats-Unis. Les constructeurs européens dominent donc leurs marchés internes respectifs mais aussi les marchés à l’exportation, tout en étant bloqués d’accès au marché américain49 . Le développement des synergies civil/ militaire et un début de rapprochements industriels (uniquement par spécialité) constituent les grands mouvements actuels 50 . La seule opération d’envergure trans-européenne est la fusion entre l’allemand HDW et le suédois Kockums pour les sous-marins classiques. Dans le secteur, la demande est encore structurée en marchés nationaux pour deux types de marines : flotte océanique avec une gamme complète de navires (Royaume-Uni et France) et marines aux ambitions plus modestes (Allemagne, Espagne, Italie, Suède et Pays-Bas). Par ailleurs, les marines 47 48 49 50 Voir l’article de synthèse sur ce secteur par le président du GICAT, Jacques Texier, « L’Europe de la défense et de l’armement : mythe ou réalité ? », Défense Nationale, juin 2000, pp. 24-40. Newport News Shipbuilding Incorporated (chantier indépendant) et deux chantiers chacun pour General Dynamics et Litton ; en 1999, le Pentagone a bloqué le rachat de NNS par General Dynamics. Pour la prochaine décennie, on estime le marché mondial de l’armement naval à 24 milliards d’euros par an répartis ainsi : 34 % Europe, 32 % Etats-Unis, 27 % AsiePacifique et 7 % reste du monde (Le Monde, 24 octobre 2000). Voir l’analyse de Fernand Maillet, « L’industrie de la construction navale en Europe et dans le monde », l’Armement, n. 63, octobre 1998, pp. 113-120. 70 Entre coopération et concurrence européennes sont rarement équipées de matériels communs 51 . L’offre est dominée par BAE Systems et DCN-Thomson-CSF/Thales qui réalisent des chiffres d’affaires respectifs de 2 et de 1,6 milliards d’euros. Les sociétés allemandes ont des chiffres d’affaires plus modestes (0,7 milliards d’euros pour New HDW, 0,7 pour Thyssen et 0,5 pour STN Atlas ) mais dégagent des marges bénéficiaires plus importantes et sont très compétitives dans certains domaines (surtout pour les sous-marins conventionnels)52 . Le processus d’émergence d’entreprises transnationales européennes résultant de l’évolution combinée de la coopération et des restructurations 53 apparaît donc très contrasté. Pour les domaines naval et terrestre, la question de l’existence de la forteresse Europe se pose plus en termes de confrontation entre les différentes industries européennes qu’en termes de lutte d’une industrie européenne contre l’industrie américaine. En revanche, en ce qui concerne l’aéronautique et l’électronique, secteurs où les enjeux technologiques et industriels sont plus importants, c’est la compétition avec l’industrie américaine qui est déterminante. L’échec de la préférence européenne Le concept de préférence européenne aurait pu constituer un catalyseur politique pour la construction d’une forteresse Europe de l’armement. Dans ce débat, où la France était particulièrement en pointe54 , il s’agissait d’établir un parallèle avec les règles du Buy American Act et de limiter autant que possible les achats aux Etats-Unis. 51 52 53 54 Seuls exemples significatifs : le chasseur de mines tripartite (France, Belgique et PaysBas), la torpille MU 90 (France, Italie et Allemagne) et la future frégate avec le système PAAMS (Italie et France). Voir l’analyse de Gilles Bessero et Benjamin Gallezot : « L’industrie navale de défense en Europe », Défense Nationale, n. 5, mai 2000, pp. 103-115. Voir les différents paramètres de ce processus dans Pierre Dussauge et Christophe Cornu : « L’Industrie Française de l’Armement – coopérations, restructurations et intégration européenne », Economica, Paris, 1998, pp. 166-173. Dans « Le Livre Blanc sur la Défense - 1994 » qui fixe la doctrine officielle de la défense française (SIRPA, Paris, 1994), on peut lire notamment : « Cette politique implique aussi que les Etats européens manifestent leur solidarité à travers une préférence européenne » (chapitre 7 : « Politique d’armement et stratégie industrielle », section 2 : « La dimension européenne »). Christophe Cornu 71 Le débat, lancé dans le contexte de la signature du traité de Maastricht 55 , s’est enflammé lors des premières réflexions sur la politique européenne d’armement et lors des discussions sur l’Agence européenne d’Armement 56 . Lors d’un séminaire informel (23 mars 1995) de la présidence française du GAEO, les blocages apparaissent ouvertement. Plaidant clairement pour la préférence européenne, le ministre français de la Défense a estimé au cours de la conférence de presse que celle-ci « ne doit pas être un diktat mais une construction patiente. Elle ne doit pas être fermée à l’idée de rapports économiques et commerciaux avec les Etats-Unis ». De son côté, le secrétaire d’Etat britannique à l’armement a souhaité que la préférence européenne ne conduise pas à des choix de matériels plus coûteux que ce que le marché offre ailleurs : « nous ne croyons pas à une préférence européenne stricte. Nous devons retenir le droit de faire des affaires avec les Etats-Unis ou avec les pays asiatiques. Mais nous croyons au principe de réciprocité : si notre marché est ouvert, nous attendons que le marché américain soit ouvert » 57 . Le concept de préférence européenne recevait quelques soutiens de responsables industriels et politiques européens 58 , mais il restait polémique, non consensuel et était perçu par certains comme une préférence tout simplement … française. En conséquence, la préférence européenne n’est inscrite ni dans la Convention OCCAR du 9 septembre 1998 ni dans la Lettre d’Intention du 27 juillet 2000. Toutefois, le débat sur ce concept aura polarisé l’attention sur une solidarité européenne défaillante59 . Il aura aussi valorisé le concept 55 56 57 58 59 Le Traité de Maastricht de 1992 donne une impulsion nouvelle à la politique européenne d’armement (voir la déclaration n. 30 relative à l’Union de l’Europe occidentale annexée au Traité). Voir Giovanni de Briganti, « France: Buy from Europe or Be Left Out – France, Germany Issue Ultimatum on European Preference », Defence News, 26 juin/ 2 juillet 1995 ; sur l’Agence européenne d’Armement, voir ci-après. Voir « Europe : débat de Ministres de la Défense autour de la préférence européenne », dépêche Agence France Presse du 23 mars 1995. Le Président du directoire de DASA, Manfred Bishoff, devant le parlement européen, se prononce pour une « préférence européenne » et se dit partisan d’un bureau d’achat européen, Air & Cosmos, 19 mai 1995, p. 13. Voir aussi Dominique Baudis, « Pour une préférence européenne », le Figaro , 16 juin 1995 (il signe cet article en tant que député européen et président de l’intergroupe « Ciel et espace européen »). Voir la déclaration signée le 21 juin 1994 par les groupements professionnels des industries d’armement terrestre de 11 pays européens à l’occasion de l’exposition Eurosatory 1994 dans « Vers une industrie européenne de défense terrestre », GICAT, Paris, 1994, p.155. 72 Entre coopération et concurrence de Base industrielle et technologique de Défense européenne (BITD)60 en le complétant par la notion de nécessaire compétitivité de l’outil industriel. Il n’empêche que la discussion sur la préférence européenne ressemble à un faux débat. En fin de compte, la politique d’achat des pays européens n’est pas très différente : ces derniers, pour des raisons industrielles, stratégiques et sociales, préfèrent toujours leurs propres industries lors des appels d’offres. L’émergence des société transnationales ne change rien. Tant qu’elles disposent des filiales sur leur territoire (et que ces filiales obtiennent une part du travail significative), les gouvernements les considèrent comme des entreprises « nationales ». Les Etats appliquent donc toujours une préférence nationale ; par rapport à la concurrence américaine, la préférence européenne s’applique surtout aux systèmes fabriqués en coopération européenne et avec participation des entreprises locales. Si ce n’est pas le cas, « l’argument européen » peut jouer un rôle, mais il pèse certainement moins (par rapport aux critères de coûts, de performance, de budgets, etc). La politique britannique illustre bien la complexité des décisions d’achat et l’importance de l’implication de l’industrie nationale dans les projets. En 1995, Londres a choisi d’acheter l’hélicoptère américain Apache au lieu de son concurrent franco-allemand, le Tigre ; l’industrie britannique ne participant pas au projet européen, les autres arguments jouaient plutôt en faveur du produit américain (euroscepticisme du gouvernement conservateur, « maturité » de l’Apache par rapport au Tigre, coûts, etc.). En revanche, lors de la décision sur l’ATF et le BVRAAM (missile air-air longue portée) en mai 2000, la situation a été complètement différente. Le gouvernement britannique a retenu l’A 400 M (proposé par Airbus) face aux C 130 et C 17 américains et le Meteor (proposé par Matra-BAe) face à l’AMRAAM de Raytheon61 . Malgré de forte pressions politique américaine, 60 61 Le concept de BITD est officiellement reconnu par la Commission européenne (introduction de la communication « les Défis auxquels sont confrontées les industries européennes liées à la défense - contribution en vue d’actions au niveau européen », Bruxelles, COM (96) 10 final du 24 janvier 1996), par l’OCCAR (préambule de la Convention de 1998) et par la LoI (préambule de l’Accord cadre de 2000). Voir Tom Buerkle, « Europe’s Air Industry Racks Up a Gala Day – Defence Industry in US is Snubbed », International Herald Tribune, 17 mai 2000 ; Alexander Nicoll, « Fight for $ 7.5 bn defence orders was not a transatlantic battle », Financial Times, 17 mai 2000 ; Jacques Duplouich, « Missiles et avion de transport : les raisons du choix Christophe Cornu 73 Londres a choisi de conjuguer l’intérêt opérationnel (matériel commun à plusieurs armées en Europe), le calcul industriel (sociétés britanniques fortement impliquées dans les consortiums retenus) et la dimension diplomatique (concrétiser, dans le domaine de l’armement, le nouvel engagement de la politique britannique pour la défense européenne depuis le sommet de Saint-Malo de décembre 1998). II.2 Des débuts de convergences en Europe Contraints, à la fois par la situation des entreprises européennes (nouvelle concurrence issue de l’ampleur des restructurations industrielles américaines) et par les pressions budgétaires croissantes, les autorités politiques européennes ont multiplié les initiatives sur une partie significative du spectre des fonctions du domaine armement 62 . On peut penser principalement aux discussions dans les forums internationaux (OTAN, UEO/GAEO), aux travaux ayant abouti à l’OCCAR et à la Lettre d’Intention, et enfin aux réalisations et perspectives de l’Union européenne. A ce stade, celles-ci apparaissent plus comme des réactions empiriques et partielles que comme l’application d’un plan cohérent très structuré pouvant conduire à une forteresse Europe. La complexité des travaux des enceintes multilatérales (OTAN, UEO/GAEO) Permettant à leurs membres de gérer des dossiers en commun et de rechercher des convergences, les travaux au sein de ces institutions mettent en lumière la complexité des questions armement au niveau multilatéral et leurs incidences sur la qualité des relations transatlantiques. 62 britannique », le Figaro, 17 mai 2000 et Jacques Isnard, « Le Royaume-Uni en pointe sur l’Europe de l’Armement », Le Monde, 23 mai 2000. Voir « Government initiatives », SIPRI Yearbook 1999, pp. 404-405. 74 Entre coopération et concurrence OTAN : un bilan contrasté Au sein de l’OTAN, la fonction armement est éclatée entre plusieurs organes, dont la Conférence des Directeurs Nationaux d’Armement (CDNA), l’Organisation des C3 de l’OTAN (communication, commandement et conduite des opérations – NC3O), le Comité OTAN de défense aérienne (NADC) et la Conférence de la Logistique OTAN (SNLC)63 . Ceux-ci font rapport séparément au Conseil de l’Atlantique Nord. Les conclusions de la dernière réforme de la fonction armement de l’OTAN lancée en 1997 64 ont conduit à la création d’un Comité de Coordination sur l’Armement qui, présidé par un représentant de la CDNA, rassemble les représentants des organes impliqués. La CDNA retiendra notre attention, dans la mesure où c’est elle (et ses 132 groupes spécialisés subordonnés) qui est compétente pour la coopération, la planification et la normalisation en matière d’armement. La Conférence est le reflet des alliances à géométrie variable qui se constituent en fonction du contexte et des enjeux. Ainsi, avant chaque réunion semestrielle des 19 Directeurs d’Armement, un Groupe de quatre pays (Royaume-Uni, Allemagne, France, Italie ou G 4) se réunit pour coordonner ses positions et travailler sur les dossiers bilatéraux. En réaction, cette pratique (non officielle mais bien établie) entraîne des alliances temporaires entre les nonmembres européens du G 4 et les Etats-Unis. Ceci n’empêche pas, toujours avant la réunion de la CDNA, le G 4 de se transformer en G 5 (les quatre plus les Etats-Unis). En ce qui concerne la coopération industrielle, les débats de la CDNA sont actuellement centrés sur l’analyse du document NIAG, « Moyens d’améliorer la coopération entre les industries de défense de l’OTAN – phase 2 » 65 . Constat sévère, ce rapport révèle les blocages sur le sujet66 . 63 64 65 66 Voir le « Manuel de l’OTAN », chapitres 8 et 13 (www.nato.int). « Réexamen des activités de l’OTAN dans le domaine des armements », Communiqué de presse (97) 43 du 17 avril 1997. Document OTAN AC/259 (INV) D (98) 7 (2ème révision) / NIAG (INV) D (98) 4 (2ème révision) du 11 janvier 1999. Ainsi, une des recommandations du rapport (§ 29) stipule que : « Le présent document a montré que les pays perçoivent différemment la façon de mener la coopération transatlantique et lui fixent des objectifs différents. Les tentatives précédentes pour résoudre ces questions ont échoué parce qu’elle étaient fondamentalement orientées vers une solution générale ne tenant pas compte des tous les aspects du problème». Christophe Cornu 75 L’exploitation du rapport est difficile, en raison notamment de fortes réserves avancées par certains pays pour élaborer une liste d’obstacles aux flux de matériels entre les deux rives de l’Atlantique. L’OTAN fournit également le cadre juridique international pour les agences de gestion de programmes d’armement et de soutien logistique 67 . L’assistance pour les questions industrielles est assurée par un groupe consultatif OTAN (« NATO Industrial Advisory Group »), qui rassemble des délégations des groupements professionnels des industries de 17 Etats membres de l’Alliance. Le bilan des activités de la fonction armement de l’Alliance est contrasté. Si la gestion des programmes est fructueuse, les domaines de la planification d’armement et de la normalisation ne sont pas des réussites, notamment parce que ces sujets restent de la responsabilité des Etats. Ainsi, les forces de l’OTAN au Kosovo ou en Bosnie (KFOR et SFOR) mettent en œuvre des matériels très différents d’une armée à une autre, rendant le soutien plus coûteux et compliqué. Des standards sont certes définis, mais les armées ont des difficultés à les respecter. Tantôt l’armée américaine utilise une norme de nouvelle génération non encore validée par l’Alliance, tantôt certaines armées européennes n’ont pu appliquer une norme péniblement agréée par le comité OTAN compétent 68 . Par ailleurs, au sein de l’OTAN il n’existe pas de groupe de travail transversal visant à harmoniser les besoins opérationnels des différentes armées, mais simplement des réflexions conduites par les différents Comités dans leurs sphères de compétence respectives (défense aérienne, système de communications, etc.). L’OTAN éprouve beaucoup de difficultés à concrétiser le lien transatlantique dans le domaine armement. En fait, il existe peu de programmes en coopération entre les deux rives de l’Atlantique. En revanche, cette enceinte apparaît particulièrement favorable aux initiatives entre Européens (exemples : programme d’avion de combat EFA 2000 qui 67 68 On peut citer, entre autres, la NETMA (agence de gestion OTAN pour le Tornado et l’ACE 2000-EFA), la NAHEMA (agence pour l’hélicoptère NH 90), le BGOH (bureau de gestion pour l’amélioration du système sol-air HAWK), la NAMSO (organisation d’approvisionnement et d’entretien). Voir Ed. Foster, « Imbalance of Power », Jane’s Defence Weekly, 5 janvier 2000 et Damian Kemp, « Industry cooperation vital for interoperability », Jane’s Defence Weekly, 2 février 2000. 76 Entre coopération et concurrence regroupe Royaume-Uni, Allemagne, Italie et Espagne et programme d’hélicoptère NH 90 qui rassemble Allemagne, France, Italie et Pays-Bas). Il reste à savoir si l’Initiative sur les Capacités de Défense (ou Defence Capability Initiative, DCI) pourra véritablement améliorer ce bilan transatlantique mitigé 69 . UEO/GAEO : un laboratoire d’essais Suite au traité de Maastricht, une fonction armement a été créée à l’Union de l’Europe occidentale au travers du GAEO (Groupe Armement de l’Europe occidentale) qui hérite des travaux du GEIP (créé en 1976 dans le cadre de l’OTAN). Dans le même temps (1993/1994), le transfert des Eurogroupes en provenance de l’OTAN permettait à l’UEO de disposer notamment d’un groupe de réflexion sur les plans militaires à long terme et les besoins opérationnels des armées (Eurolongterm). Eurolongterm a réalisé un travail de fond sur de nombreux sujets (partage multinational des tâches, travaux sur les missions de Petersberg, etc.) y compris avec les comités spécialisés du GAEO. Mais la question de l’harmonisation des besoins militaires futurs est restée sans réponse UEO concrète, tant au sein d’Eurolongterm (les discussions portent actuellement sur la redéfinition du mandat du groupe), que lors des débats politiques au Conseil, où les Etats impliqués ne peuvent se mettre d’accord sur la mise en œuvre des propositions d’Eurolongterm70 . Le GAEO, quant à lui, constitue un forum intergouvernemental visant à développer plus efficacement la coopération européenne en matière d’armement. Il est le seul organisme européen dans ce domaine à se réunir 69 70 Voir le Communiqué de Presse NAC-S (99) 69 du 25 avril 1999 ; « Strategic Policy Issues », Strategic Survey 1998/1999, IISS, Londres, pp. 21-31 ; Brooks Tigner, « Europe’s Military Capabilities Will Fall Behind US In Next Decade, say Experts », Defense News, 21 février 2000 et le dossier spécial sur l’ICD « Bridging the Gap, Will the DCI Succeed ? A Bridge too Far ? », Jane’s Defence Weekly, 14 juin 2000. Voir le rapport très complet du parlementaire O’Hara : « La coopération en matière d’armement dans la construction future de l’Europe de la Défense – Réponse au rapport annuel du conseil », Commission technique et aérospatiale, Assemblée parlementaire de l’UEO, n. 1671, Paris, 10 novembre 1999 et le document « Harmonisation des besoins opérationnels futurs », CM (99)18, Conseil des Ministres de l’UEO de Brême, 10 mai 1999. Christophe Cornu 77 au niveau des ministres de la Défense. Composé actuellement de 19 membres71 , le GAEO conduit des travaux sur trois volets de la politique européenne d’armement (harmonisation des programmes et des besoins opérationnels ; coopération en matière de recherche technologique ; ouverture des marchés). Son bilan reste pourtant modeste et il constitue plutôt un forum de discussion et un laboratoire pour tester des procédures. Victime de son système décisionnel (fonctionnement au consensus et pas de règles contraignantes) et de la pusillanimité de ses membres, le GAEO n’a pu donner une impulsion décisive à la coopération européenne72 . Les travaux sur l’Agence européenne de l’Armement (AEA), confiés au GAEO suite au Traité de Maastricht, ont été également décevants73 . Les Etats participant au groupe ad hoc sur l’AEA (créé en 1994) ont rapidement divergé sur l’objectif final et sur les compétences de la future Agence. Les partisans d’une solution pragmatique et peu contraignante s’opposaient aux défenseurs d’une vision plus globale 74 . L’enlisement des débats a finalement poussé l’Allemagne et la France à lancer en décembre 1995 un projet bilatéral hors GAEO : la structure d’armement franco-allemande. Fonctionnant sur des principes de coopération nouveaux (cinq principes dits de Baden Baden75 ), celle-ci allait donner naissance, un an plus tard, à l’OCCAR (voir ci-après). 71 72 73 74 75 Depuis le 13 novembre 2000 (Conseil des ministres de l’UEO), 6 nouveaux pays sont devenus membres du GAEO (Autriche, Finlande, Hongrie, Pologne, Suède et République tchèque). Voir les conclusions du rapport du Président des Directeurs Nationaux d’Armement du GAEO, « Amélioration du fonctionnement du GAEO » (23 septembre 1996) ; débattu par les Ministres de la Défense du GAEO lors de la réunion ministérielle de l’UEO (Ostende, 19 novembre 1996), ce rapport est resté sans effets. Voir la déclaration n. 30 relative à l’UEO annexée au Traité (§ 5 : « une coopération renforcée en matière d’armement, en vue de créer une agence européenne des armements. … » ) ; www.weu.int/weag. Voir « Shopkeepers versus strategists », The Economist, 8 avril 1995, p. 74 ; Olivier Provost, « Europe de l’Armement : le projet est menacé », La Tribune Desfossés, 19 juillet 1995 et IGA Emile Blanc, « Le GAEO, un outil pour construire l’Europe de l’Armement », l’Armement, n. 50, décembre 1995/janvier 1996, pp. 74-81 et « L’Europe de l’armement, hier, aujourd’hui et demain », l’Armement, n. 61, mars 1998, pp. 121127. Ces cinq principes sont les suivants : obtention du meilleur rapport côut/efficacité pour les programmes ; coordination des besoins militaires à long terme ; mise en concurrence pour les acquisitions ; coopération industrielle basée sur un équilibre global multiprogrammes et pluriannuel ; ouverture aux autres pays sous rés erve d’acceptation des 78 Entre coopération et concurrence Parallèlement, le 19 novembre 1996 (réunion ministérielle de l’UEO d’Ostende), les pays du GAEO choisissent la proposition minimale du rapport du groupe ad hoc sur l’AEA et créent l’Organisation de l’Armement de l’Europe occidentale (OAEO). Les compétences de cette dernière se limitent aux projets multilatéraux de R&D militaire 76 . A ce jour, l’OAEO gère plusieurs programmes 77 , qui représentent, depuis 1990, un budget cumulé de 400 milliards d’euros (ou 3 % de la R&D européenne) dont 75 milliards d’euros en 2000. Les perspectives d’évolution de l’OAEO résulteront de l’issue des discussions actuelles, qui portent notamment sur la possibilité de lancer des « projets fermés » et sur l’éventuelle dévolution par les Etats des budgets de R&D à l’Organisation. En attendant, les travaux sur l’AEA se poursuivent laborieusement sous la forme de discussions sur un « Plan directeur pour une Agence européenne de l’Armement » 78 . L’OCCAR : pour une meilleure gestion des programmes Elargissant la structure d’armement franco-allemande de 1995, l’Organisme conjoint de la Coopération en matière d’Armement (OCCAR) est crée le 12 novembre 1996 et accueille la Grande-Bretagne et l’Italie. L’Organisme est transformé en Organisation par la signature le 9 septembre 1998 d’une convention. L’OCCAR est la première organisation européenne de gestion de programme d’armement, mais ses missions ont plus de portée 79 . 76 77 78 79 principes énoncés (déclaration sur la nouvelle organisation de la coopération francoallemande du 7 décembre 1995, Baden-Baden). L’OAEO peut théoriquement se transformer à terme en Agence européenne d’Armement (extraits de sa Charte (§ 12) : «Lorsque les ministres des pays du GAEO auront décidé que les conditions permettant de passer à la mise en place d’une Agence européenne d’armement à part entière seront réunies, ( …) »). EUCLID (depuis 1990), EUROFINDER (1996), THALES (1996) et SOCRATE (1998). Ce plan a été adopté par les ministres de la Défense du GAEO et officialisé par la déclaration du Conseil des ministres de l’UEO de Rome (17 novembre 1998) ; www.weu.int/weag. Article 7 de la Convention de 1998 : « L’OCCAR a pour mission de coordonner, de conduire et de faire exécuter les programmes d’armement qui lui sont confiés par les Etats membres, de coordonner et de promouvoir des activités communes de préparation de l’avenir améliorant ainsi l’efficacité de la conduite des programmes en coopération en matière de coûts, de délais et de performance ». Voir Etudes Juridiques, Christophe Cornu 79 Disposant de la personnalité juridique (indispensable pour passer des contrats), ses principes de fonctionnement visent à établir : • • • • une réelle complémentarité industrielle et technologique entre les quatre pays ; la mise en place de principes communs d’acquisition (mise en concurrence suivant des règles identiques à élaborer) ; un renoncement au calcul analytique de juste retour industriel programme par programme au profit d’un équilibre global pluriannuel sur plusieurs programmes ; la constitution d’équipes intégrées transnationales (à la fois étatiques et industrielles). Pour les futurs membres, l’entrée dans l’OCCAR suppose l’acceptation des ces principes et la participation à un programme au moins de coopération significatif80 . Ces principes sont novateurs par rapport aux mécanismes de coopération utilisés jusqu’alors. Ils ne comportent pas de dispositions particulières visant à constituer un bloc fermé, même si une priorité est donnée aux pays OCCAR. Certes, l’article 6 de la Convention de 1998 mentionne la préférence donnée aux matériels développés au sein de l’OCCAR. Mais on ne saurait reprocher à des pays d’acheter le matériel pour lequel ils ont consenti des efforts budgétaires. Cet article 6 constitue, plutôt qu’une mesure protectionniste, un facteur stabilisant pour les programmes en coopération, souvent fragilisés par le désengagement d’un partenaire. Le paragraphe 3 de l’article 24 dispose même que la mise en concurrence peut être étendue à l’extérieur des pays membres du GAEO (sous condition de réciprocité). La structure OCCAR constitue une des voies explorées vers la création d’une véritable Agence européenne de l’Armement. En effet, l’article 8 de la Convention dispose que l’OCCAR peut se voir confier d’autres fonctions que la gestion de programmes : R&D, étude de besoins opérationnels, etc. 80 « L’OCCAR », n. 19, janvier 2000 par la Direction des Affaires juridiques / Secrétariat général pour l’Administration, ministère de la Défense, Paris, pp. 57 ss. Voir IGA Jean Fournet, « Vers une Europe de l’Armement solidaire et efficace : l’OCCAR », Armées d’Aujourd’hui, n. 219, avril 1997, p. 47. 80 Entre coopération et concurrence Le potentiel de l’OCCAR, encore sous-exploité, ouvre de nombreuses possibilités aux Etats. Toutefois, la future institutionnalisation de la structure soulève un certain nombre de questions inédites. D’une part, il sera nécessaire de réaliser le transfert vers la nouvelle organisation de toutes les charges et obligations des différentes administrations nationales qui étaient autrefois gestionnaires des programmes. D’autre part, il conviendra de vérifier si le système de règles utilisées par l’OCCAR dans sa gestion des programmes (passation des marchés, etc.) est compatible avec le droit communautaire, qui peut être invoqué en cas de litige. A ce jour, la question reste sans réponse claire 81 . L’OCCAR trouvera sa pleine justification à la condition d’être dotée de fonctions plus larges, de voir transformé son mode de fonctionnement interne et, surtout, d’être en charge de nouveaux programmes. Or les conditions ne sont pas aujourd’hui réunies : un certain nombre de limites résultant de la conception apparaissent ouvertement. La gestion des budgets reste nationale et le contrôle financier dévolu aux directeurs de programmes, empêchant la direction générale d’avoir une vue globale des flux financiers de l’Organisation et de calculer un juste retour véritablement multiprogrammes. De plus, les quatre Etats fondateurs ne confient pas tous leurs projets à l’organisation (même ceux qui répondent aux critères OCCAR : frégate Horizon, satellites, etc.) et l’OCCAR se borne à recevoir la gestion d’un programme sans possibilité d’intervention en amont (pas de choix du « prime contractor » ni de mise en concurrence des équipementiers). En résumé, l’OCCAR demeure un acteur incomplet du théâtre de l’Europe de l’armement 82 . Les incidences de la création de l’OCCAR pour les relations transatlantiques peuvent néanmoins être doubles. En Europe, l’existence de l’OCCAR représente un moyen de mieux gérer les ressources budgétaires et de générer des économies pour ses membres. L’OCCAR exerce aussi une force d’attraction pour les autres pays. Ainsi, les Pays-Bas et la Belgique ont demandé à adhérer et la Suède a également manifesté son intérêt. Avec de nouveaux membres, les éléments d’une dynamique de coopération accrue se 81 82 Voir Etudes Juridiques, op. cit. dans note 78, p. 25. Voir le compte rendu du séminaire du groupe de réflexion sur les industries de défense par Burkard Schmitt (4ème session, « Vers une demande européenne commune des biens de défense », Institut d’Eudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 10 décembre 1999. Christophe Cornu 81 mettraient en place. Toutefois, pour que l’OCCAR reste attractive, certains principes devront être assouplis. Pour les pays qui ne peuvent ou ne souhaitent pas participer à plusieurs programmes, le mécanisme de l’article 5 de la Convention devra être adapté. Ce dernier construit en effet un mécanisme pour impliquer les pays dans plusieurs projets, mais apparaît assez rigide pour les pays européens moyens producteurs. Une possibilité d’arriver à plus de souplesse serait d’appliquer le juste retour sur un seul programme, mais sur toute la vie de celui-ci. (Selon ce modèle, le pays A aura, par exemple, une plus grande partie du travail lors de la phase de développement, tandis que le pays B obtiendra une partie plus importante dans la phase du maintien au service). Cette version limitée du juste retour est envisagée pour l’avion de transport A 400 M afin de concilier la participation de la Turquie et la Belgique avec la gestion du programme par OCCAR. Elle serait moins idéale que l’idée initiale, mais plus souple en permettant de combiner une participation plus large (et donc un volume final de commandes plus important) avec une répartition du travail selon les capacités industrielles des participants. Pour les Etats-Unis, ce regroupement entre pays européens peut comporter trois conséquences. La première est de voir les pays traditionnellement importateurs de matériel américain réduire leurs achats aux Etats-Unis. Suite à la participation au programme A 400 M, la Turquie et la Belgique, par exemple, risquent de ne plus être acheteurs du C 130 américain. Devenant membres de l’OCCAR ou en y étant associés, ils peuvent même se détourner d’autres matériels américains puisqu’ils sont incités à participer à d’autres projets OCCAR (article 5 de la Convention) sauf si les modalités du juste retour globalisé sont adaptées. La seconde conséquence, plus prospective, serait la création pour les industriels américains, d’une porte d’entrée « unique » vers l’Europe. Ceci permettra de simplifier les mécanismes de dialogue obligeant les Etats-Unis à négocier avec un partenaire plus fort (et non plus avec plusieurs administrations différentes). L’OCCAR serait devenu alors l’Agence européenne d’Armement dotée d’une palette complète de compétences. Enfin, ultérieurement, les différentes agences d’acquisition américaines pourraient instaurer un dialogue avec l’OCCAR dans la perspective d’un nouvel équilibre dans les futures relations transatlantiques. En effet, on peut penser que les nouvelles confrontations transatlantiques pourraient « opposer » les groupes industriels installés de chaque coté de l’Atlantique et les gouvernements. 82 Entre coopération et concurrence La LoI : accompagner les restructurations industrielles Suite à leur déclaration conjointe du 20 avril 199883 , les ministres de la Défense de six pays – l’Allemagne, l’Espagne, la France, l’Italie, le Royaume-Uni et la Suède – ont signé une lettre d’intention (LoI) le 6 juillet 1998, dont l’objectif est de définir un cadre fixant les mesures prises par les États pour accompagner les restructurations de l’industrie de défense. Les experts des six pays ont travaillé sur un rapport qui, remis le 30 juin 1999, a décidé les ministres à rechercher un accord juridiquement contraignant pour six domaines particuliers 84 . Ce mouvement constitue la première tentative globale de rationalisation des réglementations internes des six pays qui représentent environ 80% des budgets d’acquisition en Europe et 90% des capacités industrielles européennes. La tentative est ambitieuse. Dans le même esprit que celui qui préside aux mécanismes de l’OCCAR pour la gestion de programmes, cette LoI doit faire converger les systèmes juridiques des six pays et peut inspirer à terme les travaux de l’Union européenne85 . L’enjeu est de taille : il est clair que les nouvelles sociétés transnationales ne peuvent pleinement exploiter leurs atouts, que si l’Europe crée un espace économique de défense homogène. A cet égard, la LoI est sans doute un premier pas significatif en avant. Les faiblesses de l’accord sont pourtant évidentes : dans le domaine des exportations, par exemple, les six Etats établissent un mécanisme de gestion, mais n’essaient même pas de 83 84 85 Voir Annexe C (cette prise de position est une conséquence de la déclaration tripartite – France, Allemagne, Royaume-Uni – du 9 décembre 1997). Voir Annexe D. Ces 6 domaines sont : 1) préservation de la sécurité d’approvisionnement des Etats ; 2) simplification des procédures et adoption de règles communes pour le contrôle des exportations ; 3) harmonisation et simplification des procédures relatives à la sécurité des informations classifiées ; 4) coordination des programmes et des financements en matière de recherche et développement ; 5) accès facilité aux informations techniques dans les cas de restructurations transnationales, et harmonisation des procédures, réglementations et législations relatives aux droits de propriété intellectuelle ; 6) harmonisation des besoins militaires (processus de planification et d’acquisition des matériels de défense) ; voir Douglas Barrie : « European Giants to Unify Industrial policies », Defence News, 17 avril 2000. Pour une analyse de fond, voir Burkard Schmitt, op. cit. dans note 41. Christophe Cornu 83 surmonter leurs divergences classiques sur la politique d’exportation86 . Il reste également à savoir dans quelle mesure cet accord pourra faire avancer la coopération européenne dans les domaines où les progrès sont traditionnellement très laborieux (surtout la R&T et l’harmonisation des besoins). Toutefois, la LoI a une crédibilité indéniable. Les réactions d’inquiétude et de nervosité des partenaires américains lors de la signature officielle du document au salon de Farborough 2000 sont un signe révélateur de sa portée potentielle 87 . Il semble que, vu des Etats-Unis, le dispositif européen évolue, nécessitant une nouvelle approche des relations transatlantiques 88 . Face à l’initiative de la LoI, les Américains développent des contre-stratégies (diviser le front des adversaires en choisissant un partenaire privilégié : la Grande-Bretagne ; proposer des offres globales avec de nouvelles modalités de coopération). Ainsi la signature le 5 février 2000 à Munich d’une déclaration portant sur les principes de la coopération industrielle entre les Etats-Unis et la GrandeBretagne 89 peut provoquer de nombreuses interférences tant politiques (facteur de division au sein des six pays de la LoI), industrielles (traitement privilégié des sociétés britanniques par l’administration américaine) ou juridiques (conflit entre les différentes dispositions de la LoI et les futurs arrangements américano-britanniques). L’initiative DTSI (17 mesures), annoncé en mai 2000 est de même nature 90 . Mais ces mesures très globales, et plutôt destinées à améliorer les procédures internes américaines91 , tardent à se concrétiser. 86 87 88 89 90 91 Voir Douglas Barrie, « European Giants to Unify Industrial Policies », Defence News, 17 avril 2000 ; Douglas Barrie et Colin Clark, « European Industry Calls Export policy floated », Defence News, 31 juillet 2000. Alexander Nicoll, « European Countries Set to Sign Security Pact », Financial Times, 24 juillet 2000. Voir Joseph Fichett, « US seeks more Defence Technology cooperation with European », International Herald Tribune, 14 juin 1999 ; Thierry Gadault, « Les EtatsUnis autorisent les alliances transatlantiques dans la défense », La Tribune, 8 juillet 1999. Voir Annexe A. David Buchan et Alexander Nicoll, « Pentagon deal could help defence group », Financial Times, 7 février 2000. Voir la déclaration du secrétaire d’Etat américain lors de la réunion du Conseil de l’Atlantique Nord de Florence des 24-25 mai 2000 ; www.nato.int/docu/speech/2000. Voir le chapitre de Gordon Adams. 84 Entre coopération et concurrence Les mécanismes instaurés par la LoI sont novateurs et s’apparentent à des coopérations renforcées (comme ceux de l’OCCAR). Mais cette approche peut apparaître trop complexe et trop lourde. En effet, les six pays devront notamment modifier leur système juridique interne (sous des délais difficiles à prévoir) alors que l’UE fournit des instruments immédiatement utilisables 92 . L’Union européenne : enceinte de référence, de cohérence et de mise en œuvre ? Paradoxalement, si les questions d’armement ont été marginalisées au cours de la construction européenne (article 296 du TUE) et ne sont l’objet d’aucune stratégie globale de l’Union, de nombreux éléments constitutifs d’une véritable politique existent : des modèles théoriques, des budgets et certains domaines de compétence 93 . A ce titre, il faut bien constater que, malgré la réserve des certains Etats, seule l’UE, qui est dotée d’un droit contraignant, peut fournir un cadre de cohérence et d’action. Des modèles théoriques Dès 1978, le rapport parlementaire du député européen Egon Klepsch proposait un modèle avec, entre autres, la création d’une Agence européenne de l’Armement, la mise en concurrence des marchés publics de défense, l’harmonisation des règles d’exportation hors des Communautés européennes et un soutien aux industries d’armement (projets de R&D, fonds structurels)94 . On peut aussi rappeler que la Commission européenne a proposé un système global dans le cadre de sa Communication de 1997 intitulée « Mettre en oeuvre la stratégie de l’Union en matière d’industries liées à la défense » avec des propositions pour 14 domaines de la politique 92 93 94 Voir le compte rendu du séminaire du groupe de réflexion sur les industries de défense par Burkard Schmitt (3ème session : « Les négociations LoI, première évaluation » , Institut d’Eudes de Sécurité de l’UEO, Paris, 27 septembre 1999. Hervé Dumez et Alain Jeunemaître, « Le cadre institutionnel de la restructuration des industries d’armement – une comparaison Etats-Unis/Europe », Revue Gérer et Comprendre, Annales des Mines (septembre 1999). Egon Klepsch, « Report on European Armaments Procurement Cooperation », European Parliament Working Document, n. 83/78, 8 mai 1978. Christophe Cornu 85 d’armement 95 . Enfin, le Conseil dispose d’une vision complète sur le sujet au travers des conclusions du rapport très complet rendu en 1995 par un groupe informel d’experts UE/UEO-GAEO (trois chapitres : politique européenne d’armement, politique européenne d’exportation d’armement et mesures conjointes dans le domaine des approvisionnements) 96 . Des éléments de budget En montants cumulés, l’Union européenne consacre entre 1,5 et 2 milliards d’euros par an aux questions liées à l’armement sous deux formes principales : d’une part, les fonds structurels qui soutiennent financièrement l’accompagnement social et économique des bassins industriels touchés par les restructurations (« Objectif 2 : reconversion économique et sociale des zones en difficultés structurelles ») ; d’autre part, une partie des budgets consacrés à la recherche et la technologie dans le Programme Commun de Recherche & Développement ou PCRD (on peut citer, par exemple, les « chapitres aéronautiques » du 5ème PCRD)97 . Des compétences issues des Traités Au sein de l’Union, les trois acteurs institutionnels principaux (Parlement, Commission et Conseil) interviennent selon les compétences qui leur sont dévolues par les traités. Le Parlement européen constitue la caisse de résonance de la sensibilité publique européenne sur l’armement et la défense. Au travers d’auditions ou 95 96 97 Les 14 doma ines sont : transferts intra-communautaires, statut d’entreprise européenne, marchés publics, R&D, normalisation, droits de douane, innovation, transfert de technologie et PME, concurrence, exportation, fonds structurels, fiscalité directe et indirecte, principes d’accès au marché, étalonnage des performances, élargissement. Voir « Mettre en œuvre la stratégie de l’Union en matière d’industries liées à la défense », Bruxelles, COM (97) 583 final du 12 novembre 1997. Groupe informel d’experts UE/UEO-GAEO chargés d’étudier les « options d’une politique européenne d’armement », Bruxelles, WEAG (95) 05 du 3 juillet 1995 ou Annexe II du document du Conseil de l’Union européenne, n. 9458/95. Voir Commission européenne, « Rapport général sur l’activité de l’Un ion européenne – 1999 », Bruxelles, 1er semestre 2000, 568 pages (www.europa.eu.int) et en particulier les § 318 (pour les Fonds Structurels) & § 253 ss. (pour le 5ème PCRD). 86 Entre coopération et concurrence de rapports, les parlementaires interviennent dans ce domaine, mais sans grande portée concrète jusqu’ici98 . Toutefois, le Parlement est pleinement impliqué dans le processus budgétaire de l’Union, notamment au travers de la procédure de codécision, y compris pour les sujets relatifs à la PESC. La Commission européenne est dotée de plus larges pouvoirs que le Parlement et, s’appuyant sur le fait que l’industrie d’armement est « aussi une industrie », intervient de façon croissante sur les domaines de sa compétence (notamment dans le domaine des fusions/acquisitions, du contrôle à l’exportation des biens et technologies à double usage et du Tarif douanier commun – TDC). Sa dernière Communication propose une approche globale du dossier armement de cette question avec notamment un projet de « position commune relative à l’élaboration d’une Politique européenne d’armement » soutenu par un plan d’action99 . En raison de son monopole d’initiative réglementaire, le rôle de la Commission sera fondamental. Par ailleurs, la Commission est pleinement impliquée (contributeur financier, pilote du projet) dans la gestion de programmes pouvant avoir des retombées dans le domaine armement. Ainsi, elle joue un rôle moteur dans la définition d’une politique spatiale européenne et dans sa mise œuvre par le soutien qu’elle apporte à des projets importants notamment en liaison avec l’Agence spatiale européenne (satellite de navigation « Galiléo », observation de la terre) 100 . Mais ce rôle reste limité par la volonté des Etats et l’équilibre des relations établies avec le Conseil et le Parlement 101 . Deux exemples opposés illustrent 98 99 100 101 On peut citer notamment le rapport de Gary Titley à propos de la communication de la Commission sur les défis auxquels sont confrontées les industries européennes liées à la défense (PE n. 219.812 du 6 mars 1997) et le rapport de Léo Tindemans sur l’établissement progressif d’une Politique de Défense commune de l’Union européenne (PE n. 224.862 du 30 avril 1998). Voir op. cit. dans note 96. Voir Commission européenne, « Renforcer la cohérence de l’approche européenne de l’espace », Bruxelles, SEC(1999)789, final du 7 juin 1999 ; ce document fait suite à trois communications sur les questions spatiales (1988, 1992 et 1996) ; http://europa.eu.int/comm/jrc/space Voir Luke Hill and Brooks Tigner, « EU Armaments Reforms Stalled », Defense News, 20 décembre 1999. Christophe Cornu 87 ce propos 102 . Le TDC de l’UE prévoit théoriquement l’application de droits de douanes pour les équipements militaires ou à double usage. En fait, des exonérations de droits de douanes du TDC sont accordées unilatéralement par les Etats membres. Pour la Commission, cette pratique se situait donc en contradiction avec les règles communautaires. Ne pouvant empêcher les Etats d’accorder des exonérations, elle a choisi, pour reprendre l’initiative sur ce dossier et pour remettre le droit en accord avec la réalité, de soumettre au Conseil une proposition de règlement, visant à suspendre temporairement les droits de douanes sur certains armements et équipements militaires 103 . Le Conseil n’ayant pas répondu à la Commission, les Etats membres pratiquent toujours des exonérations unilatérales au TDC. A l’inverse, dans le domaine de l’exportation des biens et technologies à double usage, la Commission est incontournable. Le règlement de 1995 sur ce sujet fonctionnait déjà selon un régime « transpilier » (coopération entre le 1er et le 2ème pilier) : le règlement de la Commission (1er pilier ) fixait tous les principes tandis que « l’action commune » du Conseil104 (2ème pilier) déterminait les listes de matériels et de pays destinataires. Un nouveau régime a été adopté en juin 2000, inspiré d’une philosophie différente : les principes et les listes relèvent de la seule Commission. Désormais, l’industriel qui aurait à utiliser ce règlement peut l’invoquer devant la Cour de justice des Communautés européennes en cas de litige. Seule la délivrance des licences d’exportation reste dévolue aux Etats dans la mesure ou la Commission ne dispose pas d’agence compétente pour ce domaine technique (application du principe de subsidiarité). Le Conseil européen reste l’enceinte d’élaboration d’une politique européenne au travers de ses deux groupes de travail principaux POLARM (groupe « POLitique européenne d’ARMement ») et COARM (groupe « exportations d’armement conventionnelles »). Animés par la présidence en exercice de l’UE, ces groupes de travail du Conseil réunissent les représentants des 15 Etats membres et la Commission. 102 103 104 Pour les interventions de la Commission en matière de fusions/acquisitions industrielles touchant les domaines de l’armement et de l’aéronautique, voir les informations de la Direction générale concurrence de la Commission (http://europa.eu.int/comm). COM (88) 502 final (JOCE n. C 265 du 12.10.1988, p. 9). Sur la base de l’article J.4 du Traité de Maastricht (aujourd’hui article 14 du Traité sur l’Union européenne). 88 Entre coopération et concurrence Créé en 1995, suite au rapport du groupe informel d’experts UE/UEOGAEO, le POLARM avait exploré de nombreux sujets (transferts intracommunautaires, spécificité du secteur armement, exportation, sécurité d’approvisionnement). Mais son bilan est globalement faible. Ainsi, dans le cadre de ce groupe, les 15 Etats membres avaient la possibilité d’adopter pour la première fois une « position commune sur une politique européenne d’armement » sur proposition de la Commission (cf supra) 105 . Ce projet a été peu à peu vidé de son contenu. Les 15 Etats membres avaient de nombreuses divergences de vues : proposition prématurée, opportunité politique contestée d’une position UE sur une telle question, nécessité de définir préalablement une politique de défense commune, querelles de compétences entre le Conseil et la Commission. Le Conseil Affaires générales du 15 novembre 1999 s’est donc borné à prendre note des travaux du groupe, en soulignant l’importance de cette question dans le cadre de la PECSD et en demandant au POLARM de poursuivre ses travaux sans lui fixer d’objectifs précis 106 . La création en 1993 du groupe COARM témoigne de l’intérêt des différents acteurs européens pour l’exportation d’armements. Ses activités, à dominante technique, concernent essentiellement l’exportation des biens et technologies à double usage et l’harmonisation des politiques d’exportation vers les pays tiers. Le COARM s’appuie notamment sur le cadre général fourni par les huit critères à l’exportation, définis par les Conseils de Luxembourg (29 juin 1991) et de Lisbonne (26 et 27 juin 1992)107 , qui ont servi de base au Code de Conduite adopté par le Conseil en juin 1998. Ce Code de Conduite, qui discipline les ventes aux pays tiers, est la première 105 106 107 Proposition déposée sur la base de l’article J.2 du Traité de Maastricht (ou article 12 du TUE) dans le cadre de sa communication « Mettre en œuvre al stratégie de l’Union en matière d’industries liées à la défense » (Bruxelles, COM (97) 583 final du 12 novembre 1997). Depuis, le groupe a vu son rythme de réunions se ralentir fortement. 1) respect des engagements internationaux des Etats membres, 2) respect des droits de l’Homme dans le pays de destination finale, 3) situation intérieure dans le pays de destination finale, 4) préservation de la paix et de la stabilité régionales, 5) sécurité nationale des Etats membres, 6) comportement du pays acheteur à l’égard de la communauté internationale, 7) existence d’un risque de détournement à l’intérieur du pays acheteur, et 8) compatibilité des exportations d’armement avec la capacité technique et économique du pays destinataire. Christophe Cornu 89 manifestation d’un engagement du Conseil sur ce sujet sensible 108 . Il s’appuie sur deux éléments principaux : une série de critères pour délimiter les cas où ces exportations sont à éviter et un engagement politique, selon lequel un Etat membre ne remplacera pas un autre Etat membre dans une livraison que ce dernier aurait refusée. Il donne lieu à un rapport annuel public sur les exportations européennes (point 8 du dispositif du Code). Pour compléter ce dispositif, les 15 Etats membres se sont mis d’accord (13 juin 2000) au Conseil sur la liste commune d’équipements militaires de référence pour l’application du Code 109 . Cette liste pourrait d’ailleurs constituer un précédent pour d’autres aspects du dossier armement au sein de l’Union européenne 110 . Toutefois, avec ce Code, le Conseil s’est limité à un engagement de type politique. Il n’a pas choisi de puiser dans les instruments plus contraignants mis à sa disposition par la PESC : stratégie commune (objet de recommandations comportant objectifs, durée et moyens à fournir par l’Union article 13 du TUE), action commune (article 14 du TUE) ou encore position commune (article 15 du TUE). Avec les compétences des trois acteurs principaux (Parlement européen , Commission et Conseil) et leurs réalisations récentes, un premier dispositif d’une politique européenne d’armement est en place. Il demeure toutefois embryonnaire. La politique européenne d’armement reste donc clairement un dossier piloté par les gouvernements. Seule une impulsion politique pouvait permettre à ces éléments épars de se développer selon des objectifs structurés. Des nouveaux champs d’action pour l’Union européenne En vertu des conclusions des sommets de Cologne (juin 1999), d’Helsinki (décembre 1999), Feira (juin 2000) et de Nice (décembre 2000), l’UE s’est 108 109 110 Voir Documents Europe, n. 2092 / Document Atlantique, n. 104 du 12 juin 1998 et Jacques Isnard « Vers un contrôle européen des exportations d’armes », Le Monde, 4 mai 2000. Déclaration du Conseil 2000/C 191/1 du 8 juillet 2000. Une autre liste de matériels militaires (datant de 1958 et confidentielle) est annexée à l’article 296 du TUE. Dans la perspective d’une actualisation éventuelle de cette liste obsolète, les Etats pourraient directement utiliser celle adoptée en juin 2000. Le Conseil, statuant à l’unanimité sur proposition de la Commission, peut modifier cette liste. 90 Entre coopération et concurrence dotée de nouveaux outils politico-militaires dans le cadre de la Politique européenne commune de Sécurité et de Défense (PECSD) 111 . Bien que ces décisions ne constituent pas une base juridique suffisante permettant de développer une politique globale en matière d’armement, elles renouvellent profondément le cadre de cette coopération : les 15 Ministres de la Défense peuvent désormais se réunir en Conseil et l’Union s’engage politiquement sur un objectif concrets de capacités militaires (l’objectif global de 2003)112 . A ce titre, dans le cadre de cohérence que représente l’Union européenne, ces deux innovations peuvent entraîner plusieurs conséquences dans le domaine de l’armement : • • • 111 112 113 possibilité d’utiliser pleinement toute la palette des mécanismes de l’UE (définition des priorités politiques - 2ème pilier / dispositions contraignantes - 1er pilier) permettant d’échapper aux lacunes et insuffisances mises en lumière dans d’autres organisations (OTAN, UEOGAEO) ; répercussions de l’objectif global de 2003 sur le secteur de l’armement ; en effet cet objectif appellera des engagements complémentaires pour l’équipement de forces (planification d’armement, projets de R&D, normalisation) 113 ; à terme, banalisation de la matière armement qui deviendra dans l’UE un sujet « comme un autre ». Ces nouveaux outils sont : un Comité politique et de Sécurité (COPS), un Comité militaire de l’UE (CM UE) et un Etat-Major de l’UE (EM UE). Voir François Heisbourg (nombreuses contributions), « Défense européenne : la mise en oeuvre », Cahiers de Chaillot n. 42, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, septembre 2000. Pour l’ensemble des missions de Petersberg (§ 2 de l’article 17 du TUE), il s’agit d’être en mesure de projeter 50 000 à 60 000 hommes dans un délai de 60 jours à une distance de plusieurs milliers de km avec les éléments de protection navale et aérienne nécessaires et d’être capable de soutenir ces forces pendant une année (conclusions du sommet de l’UE d’Helsinki ; communiqué de presse n. 300/99). Voir les réflexions du ministre de la Défense français lors de son audition devant la Commission de la Défense de l’Assemblée nationale qui estimait que l’objectif global de 2003 pouvait conduire à un embryon de programmation européenne. A ce stade, environ 10% des dépenses d’équipement des différents pays européens seraient concernées (Paris, 20 septembre 2000). Christophe Cornu 91 Plusieurs scénarios alternatifs peuvent être alors imaginés, dont : • • • le développement progressif au sein de l’UE d’une politique d’armement soutenant la réalisation de l’objectif global de 2003 ; la construction, indépendamment de l’objectif global de 2003 mais à partir du nouveau cadre de la PECSD, d’une politique européenne d’armement complète qui mettrait en cohérence et développerait les outils UE existants ; le maintien et le développement, en marge de l’UE, d’outils (type OCCAR) ou d’agences pouvant être intégrés le moment venu dans l’UE. En termes budgétaires, et quel que soit le scénario retenu, le développement d’une politique européenne d’armement pourrait être articulé avec de grands engagements politiques d’Etats volontaires (stabilisation des budgets de la défense, renoncement à réaliser des matériels sur base exclusivement nationale, seuil minimum consacré à la recherche). Il pourrait aussi être envisagé d’utiliser le cadre UE pour prendre en charge budgétairement certaines opérations (militaires et humanitaires) ou certains programmes d’armement 114 . Cette prise en charge résulterait : • • • soit d’un transfert d’une partie des budgets nationaux concernés vers l’UE (création d’un budget spécifique) ; soit d’une augmentation des ressources propres de l’UE ; soit de nouveaux arbitrages internes si l’enveloppe budgétaire de l’Union reste constante. Dans les deux derniers cas, des marges de manœuvre budgétaires internes seraient ainsi dégagées pour les Etats membres, facilitant l’adaptation des structures nationales tant dans le domaine militaire (coût de la professionnalisation des armées) que dans le secteur de l’armement (accompagnement social des restructurations industrielles, rationalisation des centres d’essais européens). 114 Il conviendrait alors d’amender les règles actuelles de financement de la PESC (article 28 du TUE). 92 Entre coopération et concurrence Ces mécanismes gagneraient à être inscrits dans les documents de programmation nationale « européanisés » ou même élaborés en coopération entre les partenaires européens volontaires. Dans cette perspective, et pour dépasser le stade des « convergences limitées » ou « des coopérations renforcées » (voir les exemples de l’OCCAR et de la LoI), la véritable révolution pour l’UE serait de créer une ligne budgétaire « défense », pouvant être utilisée pour des programmes d’armement. L’Union européenne peut fournir le cadre de cohérence de la politique européenne d’armement notamment dans sa dimension normative. Mais à ce stade, il manque un accord des nations sur l’objectif final (création d’une Agence européenne d’Armement ? gestion des questions armement par le 1er pilier ? par le 2ème pilier ? quels budgets ? quelle implication du Parlement européen ?) et surtout un architecte pour réaliser le projet. Conclusion Les débuts de convergences constatées dans plusieurs domaines de la fonction armement ne constituent pas encore un dispositif cohérent apte à être comparé à la « Forteresse USA ». Ces convergences apparaissent encore hésitantes et le concept nécessite à la fois des travaux d’approfondissement et une meilleure présentation vis à vis de l’opinion publique européenne, compte tenu de ses incidences budgétaires 115 . D’ailleurs, les responsables officiels ont de plus en plus tendance à substituer à cette expression, trop contraignante, celle de « critères de cohérence » qui paraît plus souple. Il s’agit, en effet, de rationaliser les ressources disponibles plutôt que d’augmenter les budgets de défense 116 . 115 116 Voir Alyson J. K. Bailes, « European defence: what are the convergence criteria? », RUSI Journal, juin 1999, pp. 60-65 ; voir aussi sur ce sujet la contribution de André Dumoulin, « Le concept de convergence, les ambitions », Colloque « Défense européenne : le concept de convergence », organisé à l’initiative du ministre de la Défense belge avec l’Ecole royale militaire et l’Institut royal supérieur de Défense, Palais d’Egmont, Bruxelles, 28-29 mars 2000 et Pierre Lefèvre, « Le prix de la défense commune », Le Soir, 31 mars 2000 . Voir « Strategic Policy Issues », Strategic Survey, London, IISS, 1998/99, pp. 21-31 et John Dowdy, « Of Arms and the Men Who Budget for them », The Wall Street journal Europe, 27 juillet 2000. Christophe Cornu 93 On assiste, on l’a vu, à deux types d’évolution : des restructurations industrielles rendues nécessaires par la concurrence américaine et des initiatives gouvernementales en faveur d’un renforcement de la politique européenne de sécurité et de défense. Les Etats européens ne peuvent toutefois assumer collectivement et ouvertement le projet d’une forteresse Europe. Ce dernier serait, en effet, politiquement difficile à afficher au sein de l’Alliance atlantique. Même si l’armement constitue un secteur particulièrement sensible, l’idée de forteresse, avec ses connotations protectionnistes, entre aussi en contradiction flagrante avec le discours économique de la libre concurrence. D’ailleurs, les industriels s’en défendent : « Notre volonté n’est pas d’ériger une forteresse franco-allemande ni de l’invoquer. Encore moins d’opposer une forteresse européenne à une forteresse américaine »117 . On peut même penser que le projet d’une forteresse serait contre-productif : dans un tel contexte, les entreprises seraient peu incitées à mener des politiques innovantes de R&D et à maîtriser leurs coûts. Elles ne pourraient rester compétitives par rapport à la concurrence internationale. A ce jour, l’équilibre transatlantique pourrait être trouvé dans la mise en place d’un marché européen de l’armement fonctionnant dans l’esprit du Buy American Act : si un producteur américain cherche à vendre un système en Europe, une partie de la production devrait se faire sur place, soit par implantation d’une filiale de la société dans le(s) pays considéré(s), soit par l’utilisation d’une société locale selon des modalités à définir (second source). Pourtant, en pratique, les mouvements des dernières années sont susceptibles de conduire à l’émergence sinon d’une forteresse, du moins d’une « Force Europe » mieux intégrée. L’évolution politique et industrielle converge vers ce résultat. En outre, on peut anticiper un effet accélérateur des restructurations industrielles sur l’intégration politique européenne. Les regroupements devraient, en effet, aboutir à la constitution, dans tous les secteurs, de groupes trans-européens puissants. Le risque existe alors pour les Etats européens de se trouver face à des situations de monopoles industriels sur lesquels ils auront peu de prise. Les gouvernements européens doivent donc, dans le même temps, gérer le processus d’intégration 117 Philippe Camus & Rainer Hertrich, « EADS ou l’ambition de faire gagner l’Europe », Le Monde du 8 juin 2000. 94 Entre coopération et concurrence européenne, qui a sa propre dynamique, et définir les capacités d’armement réellement nécessaires pour leur sécurité. Pour conjurer les risques de monopole industriel et rester en cohérence avec leurs décisions politiques antérieures, les Etats n’auront alors d’autre choix rationnel que d’accélérer leur processus d’intégration politique. Bien qu’insuffisantes, les dernières décisions des sommets de l’UE vont dans ce sens. Chapitre Trois LES PERSPECTIVES D’UNE INDUSTRIE DE DEFENSE TRANSATLANTIQUE Andrew D. James1 Depuis quelques années, il est de plus en plus souvent suggéré que la consolidation de l’industrie de défense pourrait prendre une dimension transatlantique. Pour les partisans d’une coopération accrue à travers l’Atlantique, qui soulignent les dangers d’une mentalité de forteresse d’un côté comme de l’autre, une véritable industrie de défense transatlantique renforcerait les relations politiques au sein de l’OTAN, améliorerait l’interopérabilité militaire et réduirait les coûts d’acquisition2 . Mais, s’il existe de bonnes raisons politiques et stratégiques de resserrer les liens industriels, ce sont, en définitive, les décisions commerciales des entreprises qui modèleront le paysage d’une industrie transatlantique. Autrement dit, les gouvernements peuvent définir l’orientation politique et les conditions réglementaires, mais l’évolution réelle de la coopération industrielle sera déterminée par les sociétés elles-mêmes. 1 2 L’auteur remercie, pour leurs commentaires utiles sur les avant-projets de ce chapitre, les personnes suivantes : Alexandra Ashbourne (Centre for European Reform, Londres), Jeffrey Roncka (Global Technology Partners, Washington, DC) et Stefan Tornqvist (FOA, Stockholm). Voir entre autres : Alexandra Ashbourne, « Trans-atlantic defense alliances best idea for Europe », Defense News, 23 août 1999, p. 15 ; John Deutch, Arnold Kanter et Brent Scowcroft, « Saving NATO’s foundation », Foreign Affairs 78, 6, (1999), pp. 54-67 ; Charles Grant, « Transatlantic alliances and the revolution in military affairs », dans Gordon Adams et al., Europe’s Defence Industry: A Transatlantic Future?, Centre for European Reform, Londres, 1999 ; Joseph S. Nye, « The US and Europe: continental drift? », International Affairs vol. 76, n. 1, 2000, pp. 51-59. Ces arguments ont également été avancés par de nombreuses personnalités du gouvernement américain. Voir, par exemple, Felix Rohatyn, « European defense restructuring and transatlantic cooperation », remarques de l’ambassadeur Felix Rohatyn, Conférence sur l’industrie de l’armement organisée par Les Echos, Paris, 15 avril 1999 et Jacques S. Gansler, « Globalization and National Defense: Challenges and Opportunities », discours lors de la NDIA Globalization Conference, Washington, DC, 1er mai 2000. 96 Entre coopération et concurrence Le présent chapitre montre qu’il existe des signes d’intensification des relations industrielles ; menées principalement par les entreprises, celles-ci se développent à partir de liens déjà établis grâce à de précédents programmes de coopération. L’histoire suggère pourtant que d’importants obstacles politiques, réglementaires et commerciaux jalonnent le chemin et que le resserrement des liens sera forcément un processus prudent : à court terme, les relations industrielles s’élargiront et s’approfondiront très probablement à travers des coopérations sur des programmes spécifiques, des alliances stratégiques et des joint ventures ainsi que des acquisitions de petite ou moyenne envergure. En revanche, les spéculations chroniques de certains commentateurs sur d’éventuelles fusions entre les grands systémiers américains et européens manquent de réalisme dans le contexte actuel. III.1 L’histoire de la coopération industrielle Au cours des cinquante dernières années, les relations industrielles de défense à travers l’Atlantique ont considérablement évolué. Les projets intergouvernementaux, lancés pendant la guerre froide dans le but surtout de renforcer les capacités militaires européennes, ont progressivement laissé la place à des accords purement industriels et déterminés par des calculs commerciaux d’accès aux marchés. Tout au long de cette période, la coopération transatlantique a été caractérisée par la suprématie des EtatsUnis et la crainte européenne d’une hégémonie américaine. Les programmes intergouvernementaux Les relations transatlantiques en matière d’industrie de défense ont une longue histoire. Durant les premières décennies qui ont suivi la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis ont exercé un leadership incontesté dans les technologies et les industries militaires de pointe. L’Europe peinait à reconstruire son économie dévastée, la majeure partie de son industrie d’armement était moribonde ou détruite, et les anciennes puissances de l’Axe se voyaient interdire par traité la reconstruction d’une base industrielle de défense indépendante. Pour répondre à cette situation, les EtatsUnis donnaient ou vendaient des équipements militaires à leurs alliés en Europe. L’objectif était de soutenir l’OTAN et de mettre en place une défense conventionnelle crédible face à la menace d’une invasion par le Andrew D. James 97 Pacte de Varsovie 3 . Ainsi, les années 1950 et 1960 ont vu les Etats-Unis accorder des licences aux pays européens pour la production d’un certain nombre de systèmes d’armes : le chasseur F-104 à l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, et l’Italie ; l’avion de combat F-4 au Royaume-Uni ; le char d’assaut M-60 à l’Italie et les missiles Sidewinder et Hawk à plusieurs alliés européens 4 . Au cours des années 1970, de nouvelles formes de coopération se sont développées pour répondre aux préoccupations croissantes de l’OTAN au sujet de la standardisation, de la rationalisation et de l’interopérabilité des équipements, mais aussi au désir des Européens de rééquilibrer les échanges transatlantiques. Ainsi, dans le cadre d’un accord de coproduction, l’avion de combat F-16, développé par les Etats-Unis, a été fabriqué en Belgique et aux Pays-Bas pour plusieurs partenaires européens (Danemark et Norvège, puis Grèce et Turquie). Ces partenaires ont obtenu une partie du travail d’assemblage pour l’ensemble de la production européenne et américaine 5 . Pendant les trois décennies suivantes, toute une série d’autres initiatives intergouvernementales ont été prises pour promouvoir la coopération en matière d’armement au sein de l’OTAN ; mais elles se soldèrent toutes par un succès plutôt limité, lorsque ce ne fut pas un échec. Le concept de « famille d’armes », selon lequel un groupe de pays développerait et produirait tout un éventail de systèmes d’armes similaires, est alors apparu. En 1978, les alliés décidèrent pour les missiles que les Etats-Unis dirigeraient le développement d’un membre de la famille (l’AMRAAM – advanced medium range air-to-air missile, missile air-air moyenne portée) et que les Européens se chargeraient de l’autre (l’ASRAAM – advanced short range air-to-air missile, missile air-air courte portée). Les deux parties étaient censées s’acheter mutuellement ces matériels, mais les dépassements de coûts et de délais coulèrent les programmes 6 . 3 4 5 6 Jeffrey Becker, « The future of Atlantic defense procurement », Defense Analysis, vol. 16, n. 1, 2000, pp. 9-32. William W. Keller, Arm in Arm – The Political Economy of the Global Arms Trade, BasicBooks, New York, 1995. Richard A. Bitzinger, « The globalization of the arms industry », International Security, vol. 19, n. 2, automne 1994, pp. 170-198 ; Elisabeth Sköns, « Western Europe: internationalization of the arms industry », dans H. Wulfs (dir.), Arms Industry Limited, Oxford University Press for SIPRI, Oxford, 1993. Voir Richard A. Bitzinger et Elisabeth Sköns, op. cit. dans note 4. Trevor Taylor, «Transatlanticism versus regional consolidation », dans David G. Haglund et S. Neil MacFarlane (dir.), Security, Strategy and the Global Economics of 98 Entre coopération et concurrence De même, à la fin des années 1980, le gouvernement américain s’engagea dans plusieurs projets transatlantiques, dits « de l’amendement Nunn ». Certains d’entre eux, comme le remplacement de la frégate OTAN (NFR 90), le programme AGPM (Autonomous Precision-Guided Munition, munition à guidage autonome de précision) et le MSOW (Modular StandOff Weapon, arme modulaire tirée à distance de sécurité) furent rapidement abandonnés. Leur échec illustre la difficulté d’harmoniser les besoins militaires et la faiblesse de l’engagement politique des gouvernements impliqués 7 . Peu impressionnés par tous ces problèmes, les principaux responsables de l’administration Clinton soutinrent, eux aussi, la coopération transatlantique. Cet engagement se manifesta notamment par trois programmes spécifiques, dont le JSF (Joint Strike Fighter) – le projet le plus ambitieux que Washington ait jamais ouvert à la coopération (Royaume-Uni, Danemark, Norvège, Pays-Bas et Canada, entre autres). Les Etats-Unis ont également adhéré au programme MIDS (Multifunctional Information Distribution System – système multifonction de diffusion de l’information) permettant l’intégration de la communication, de la navigation et de l’identification (France, Allemagne, Italie et Espagne) 8 . Le troisième programme intergouvernemental lancé au début de la présidence Clinton est le MEADS (Medium Extended Air Defence System – système de défense aérienne élargie à moyenne portée). Ce dernier illustre parfaitement les difficultés que peut poser ce type de coopération industrielle. L’origine du MEADS date de la fin des années 1980, lorsque l’US Army et le Marine Corps (CORPSAM) lancèrent une initiative commune afin de remplacer le système de défense aérienne HAWK. En février 1995, la France, l’Allemagne, l’Italie et les Etats-Unis signèrent une déclaration d’intention en vue de coopérer à ce programme, alors rebaptisé MEADS9 . Cependant, des difficultés allaient rapidement apparaître. Le congrès américain ayant d’emblée considéré le MEADS comme une duplication partielle 7 8 9 Defence Production, McGill-Queen’s University Press, Montreal & Kingston, 1999. Voir également Richard A. Bitzinger, op. cit. dans note 4. William W. Keller, op. cit. dans note 3. Robert P. Grant, « Transatlantic Armament Relations Under Strain », Survival 39, n. 1, printemps 1997, pp. 111-137. Scott Gourley, « USA may withdraw from joint MEADS programme », Jane’s Defence Weekly, 14 octobre 1998, p. 8. Andrew D. James 99 d’autres programmes nationaux de défense anti-balistique plus importants, le Pentagone dut faire un lobbying intense pour en obtenir le financement, même très réduit 10 . Simultanément, avant même la signature du protocole d’accord en avril 1996, la France, ayant réduit son budget d’équipement, se retira du projet 11 . Ce dernier fut ainsi restructuré en un projet tripartite, avec une répartition des travaux et des coûts de développement de 60% pour les Etats-Unis, 25% pour l’Allemagne et 15% pour l’Italie. D’autres problèmes allaient suivre. En septembre 1998, le Congrès suspendait le financement du MEADS. Bien qu’influencée par de nombreux facteurs, cette décision refléta pour une large part le scepticisme de certains services du Pentagone à l’égard de ce programme. Alors que les officiels du ministère de la défense affichaient publiquement leur soutien au projet, ils n’avaient pas suffisamment défendu son financement – faisant état de son coût et de son double emploi avec d’autres systèmes américains déjà en service 12 . La participation financière des Etats-Unis demeura incertaine tout au long de l’année suivante. En mai 1999, MEADS International – joint venture entre Lockheed Martin, DASA et Alenia Marconi Systems – remporta l’appel d’offre américain, mais les coûts du projet demeurèrent une pomme de discorde entre le Pentagone et le Congrès 13 . Les réductions de financement provoquèrent également des dissensions sur les spécifications du système. Ainsi, l’US Army, estimant que l’idée initiale de développer un nouveau missile d’interception serait trop coûteuse, opta pour le missile Patriot PAC-3. Cette décision engendra de nouvelles tensions, Allemands et Italiens voyant d’un très mauvais œil que la coopération transatlantique se limite, une fois de plus, au simple achat de technologie américaine. Les partenaires européens finirent par accepter sous la pression du Pentagone, qui menaçait de suspendre tout financement en cas de refus 14 . A son tour, l’utilisation du PAC-3 divisa à nouveau les partenaires au sujet, cette fois, du transfert de technologie. Les Etats-Unis 10 11 12 13 14 Robert P. Grant, op. cit. dans note 8. Ibid. ; Scott Gourley, op. cit. dans note 9. Lisa Burgess et Colin Clark, « US MEADS cutback shocks Germany, Italy », Defense News, 5-11 octobre 1998, p. 4. Greg Seigle, « US spending row puts MEADS in jeopardy », Jane’s Defence Weekly, 25 août 1999, p. 3. Colin Clark and George Seffers, « US security restrictions hinder MEADS cooperation », Defense News, 18 octobre 1999, pp. 1-98. 100 Entre coopération et concurrence exigeaient l’autorisation de mener des inspections de sécurité sur les sites de production allemands et italiens, tout en proposant l’usage de boîtes noires afin de protéger la technologie américaine. Le gouvernement allemand, considérant le MEADS comme un test de la bonne volonté américaine dans le domaine du transfert technologique, rejeta énergiquement ces propositions. L’impasse ne fut surmontée qu’après huit mois de négociations parfois tendues 15 . En résumé, l’expérience du MEADS montre à quel point le transfert de technologie est une question délicate pour les relations industrielles transatlantiques et les limites de l’engagement politique que suscite le plus souvent ce type de programmes. La coopération d’origine industrielle Alors que les projets intergouvernementaux étaient problématiques, les coopérations d’origine industrielle se sont, quant à elles, multipliées pendant les années 1990. Différentes alliances stratégiques s’établirent entre les deux rives de l’Atlantique. Par exemple, General Dynamics Corp. et British Aerospace s’allièrent au début de la décennie pour coopérer dans le secteur des véhicules blindés 16 . Lockheed Martin et l’italien Alenia créèrent un joint venture pour développer l’avion de transport tactique C-27J 17 . De plus, en avril 2000, DASA/EADS et Northrop Grumman signèrent un protocole d’accord en vue d’examiner les possibilités de coopération en matière de défense 18 . Parallèlement, le nombre d’investissements directs européens aux Etats-Unis a augmenté. Entre 1988 et 1992, soixante firmes d’armement américaines auraient été vendues – principalement à des entreprises européennes – pour une somme d’environ dix milliards de dollars. Ces transactions inclurent l’acquisition en 1988 de la division des systèmes électroniques de Singer par l’anglais Plessey et la vente de Fairchild Space & Defense au français Matra (1989)19 . 15 16 17 18 19 Colin Clark, « Germany, US resolve MEADS tech dispute », Defense News, 29 mai 2000, pp. 1-35. Voir Richard A. Bitzinger et Elisabeth Sköns, op. cit. dans note 4. Pierre Sparaco, « US, Europe explore transatlantic partnerships », Aviation Week & Space Technology, 13 septembre 1999, pp. 37-38. John D. Morrocco, « EADS, Northrop Grumman broaden cooperative links », Aviation Week & Space Technology, 12 juin 2000, pp. 35-36. Chiffres cités dans William W. Keller, op. cit. dans note 3. Andrew D. James 101 Cependant, le développement de tels liens industriels n’a pas toujours été serein. Ainsi, Matra finit par revendre Fairchild en 1996 parce que les réglementations américaines en matière de sécurité entravaient trop sa liberté d’action et de gestion20 . Thomson-CSF, rebaptisé Thales en décembre 2000, subit un échec encore plus cuisant au début des années 1990, lors de sa tentative d’acquisition de la division missiles de l’américain LTV. Lorsque le groupe français – en consortium avec l’avionneur américain Hugues – fut déclaré adjudicataire, les deux autres entreprises en lice, Martin Marietta et Lockheed, réagirent immédiatement en se lançant dans une intense campagne de lobbying au Congrès. Les comités concernés examinèrent le dossier, et sous la pression de parlementaires influents, Thomson finit par retirer son offre 21 . Certes, le cas de LTV Missile fut exceptionnellement médiatisé, mais il met en évidence les sensibilités politiques que risque d’exacerber tout investissement étranger dans la base industrielle de défense d’un pays, en particulier quand ce type de transaction menace les intérêts économiques de puissants concurrents locaux. Cet épisode troubla sans aucun doute les relations franco-américaines et ne fit que renforcer les suspicions françaises à l’égard d’une forteresse américaine. Mais il ne mit pas fin pour autant aux acquisitions européennes aux Etats-Unis. Pendant les années 1990, des compagnies britanniques en particulier prirent le contrôle d’activités industrielles américaines importantes. Ainsi, en 1994, Rolls-Royce racheta Allison Engine Company, un motoriste militaire majeur 22 . L’autorisation donnée en 1998 par le gouvernement américain à GEC Marconi d’acquérir la compagnie d’électronique de défense Tracor fut encore plus importante. A l’époque, de nombreux analystes considérèrent cette approbation comme une véritable percée politique, en raison surtout de la nature des technologies développées par Tracor et de l’implication de celui-ci dans plusieurs programmes de défense et de renseignement américains hautement sensibles. Au cours des années 1990, la coopération industrielle revêtit encore d’autres formes. En particulier, les grands systémiers firent de plus en plus souvent 20 21 22 Voir Richard A. Bitzinger, op. cit. dans note 4. Idem. Rolls Royce était le 31ème fournisseur du Pentagone en 1998, avec des contrats totalisant 345 millions de dollars. Il vend des réacteurs pour deux projets angloaméricains : l’avion AV-8 Harrier et l’avion d’entraînement T-45. 102 Entre coopération et concurrence appel aux fournisseurs de l’autre rive de l’Atlantique pour s’approvisionner en sous-systèmes et en composants 23 . Pour ces produits, le marché transatlantique fut estimé à plus de onze milliards de dollars en 1997, avec des ventes européennes aux Etats-Unis représentant 6,1 milliards de dollars24 . Cette somme résulte en grande partie des arrangements de compensation pour des ventes américaines d’équipements en Europe. Ainsi, pour les F-16 achetés par l’US Air Force, les équipements européens correspondaient à 10% de la valeur des avions25 . Les composants américains jouent aussi un rôle important dans les systèmes européens. Litton Industries, par exemple, estime à 1 million de dollars la valeur de l’avionique qu’il fournit pour chaque Eurofighter, soit par des ventes directes soit par ses filiales européennes 26 . Le Gripen suédois dépend, quant à lui, pour des sous-systèmes et des composants essentiels, de plus d’une douzaine de fournisseurs étrangers, y compris des Américains Lockheed Martin, Sundstrand, Honeywell et General Electric 27 . Le nouvel environnement transatlantique Au cours des cinquante dernières années, les Etats-Unis ont presque toujours dominé les relations transatlantiques en matière d’industrie de défense. Le spectre d’une hégémonie américaine inquiétait l’Europe depuis longtemps, mais dès le milieu des années 1990, la taille des compagnies issues de la consolidation aux Etats-Unis devint une réelle obsession pour les décideurs européens. Lorsque, en 1998, l’échec de la fusion de Lockheed Martin avec Nothrop Grumman sonna le glas de la consolidation aux EtatsUnis, l’attention se tourna vers les possibilités de restructuration transatlantique. L’impression était, sur chaque rive, que les nouveaux géants américains prendraient les rênes de ce processus, et certains commentateurs européens avertirent alors sans ambages de la menace imminente d’une 23 24 25 26 27 Andrew D. James, Medium Sized Defence Electronics Companies and US Defence Industry Restructuring, FOA Defence Research Establishment, Stockholm, avril 2000. International Institute for Strategic Studies, The Military Balance 1998/99, Oxford University Press for The International Institute for Strategic Studies, Oxford, 1999. William W. Keller, op. cit. dans note 3. Andrew D. James, op. cit. dans note 23. Maria Andersson et Johan Lilliecreutz, Supply Chain Strategies and Sub-Tier Structures, FOA User Report, FOA Defence Research Establishment, Stockholm, mars 2000. Andrew D. James 103 hégémonie américaine. Marconi Electronic Systems, mis en vente à l’époque par le groupe britannique GEC, fut le premier objet de spéculations : serait-il intégré dans un joint venture avec Northrop Grumman ou Lockheed Martin, serait-il acquis par l’un des deux, fusionnerait-il avec l’un ou l’autre ? 28 . Le Pentagone – et en particulier le secrétaire adjoint John Hamre – affirma son soutien au renforcement de la coopération transatlantique, et l’administration commença à réviser les réglementations pour gérer ce qui s’annonçait comme un flux croissant d’arrangements industriels 29 . Marconi fut finalement racheté par British Aerospace, transaction anglobritannique qui en déçut plus d’un de part et d’autre de l’Atlantique. Au Pentagone, différents hauts responsables y virent un revers pour la coopération transatlantique et un pas de plus vers la forteresse Europe 30 . Sur le continent européen, cette opération provoqua une vive réaction de la part de DASA – qui avait courtisé British Aerospace – et ne fit que renforcer la conviction de certains observateurs que le Royaume-Uni s’intéressait plus aux relations transatlantiques qu’à la coopération européenne31 . Par réaction, Aerospatiale-Matra, DASA et CASA entamèrent des négociations qui allaient conduire à la formation d’EADS32 . Ces deux événements modifièrent sans aucun doute les termes du débat sur les relations transatlantiques en matière d’industrie de défense. En ce qui concerne le chiffre d’affaire et la gamme d’activités, BAE Systems et EADS sont tout à fait comparables aux géants américains. Avec Thales (anciennement ThomsonCSF), ils représentent les trois pôles du nouveau paysage industriel de 28 29 30 31 32 Alexander Nicoll, « Gunning for top spot in defence’s complicated game », Financial Times, 5-6 décembre, p. 21 ; Daniel Bogler, « Transatlantic target comes within range of GEC », Financial Times, 9 décembre, p. 26 ; « Locking on to Lockheed », Financial Times, 31 décembre, p. 20. Bryan Bender, « USA moves to pave way for easier Europe links », Jane’s Defence Weekly, 23 décembre 1998, p. 19. Voir les commentaires de John Hamre, cités par Thomas E. Ricks et Anne-Marie Squeo, « Pentagon urges caution involving trans-atlantic mergers », Wall Street Journal, 27 octobre 1999 et les commentaires analogues de Jacques Gansler, soussecrétaire à la Défense pour l’acquisition et la technologie. Voir Alexandra Ashbourne, « Introduction », dans Adams et al., op. cit. note 2. Burkard Schmitt, « De la coopération à l’intégration : les industries aéronautique et de défense en Europe », Cahiers de Chaillot, n. 40, Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO, Paris, juillet 2000. 104 Entre coopération et concurrence défense en Europe et sont les principaux protagonistes de toute coopération transatlantique future. III.2 Les pressions économiques L’impact de cette évolution sur les relations industrielles entre les deux rives de l’Atlantique a inévitablement donné lieu à nombreuses spéculations. Les entreprises de défense nouvellement consolidées en Europe et leurs homologues aux Etats-Unis sont fortement poussées, pour des raisons économiques, à développer leurs activités internationales. Dans ce contexte, les relations transatlantiques représentent sans doute une dimension clé de leur stratégie. Les limites budgétaires Les industries de défense, tant américaines qu’européennes, ont intérêt à internationaliser leurs activités surtout parce que les marchés nationaux ne leur offrent pas des débouchés suffisants. Depuis la fin de la guerre froide, les budgets de défense des Etats européens se sont réduits comme peau de chagrin. De 1989 à 1998, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni (58% au total de l’ensemble des dépenses de défense en Europe occidentale en 1998) ont amputé leurs budgets de 12, 28 et 24% respectivement 33 . La majorité des gouvernements européens pourraient même éprouver des difficultés politiques à maintenir leurs budgets de défense à ce niveau réduit, notamment s’ils veulent continuer à satisfaire les critères de Maastricht concernant la dette publique. De plus, les Européens doivent gérer des priorités opposées : professionnalisation des forces armées et modernisation des équipements avec des budgets qui stagnent, voire diminuent 34 . Aucun Etat européen n’a l’intention de suivre l’exemple américain et d’accroître ses dépenses de défense (surtout en ce qui concerne l’acquisition) au cours des cinq prochaines années. En fait, même aux Etats-Unis – qui ont, pour la 33 34 Stockholm International Peace Research Institute, SIPRI Yearbook 1999, Oxford University Press for SIPRI, Oxford, 1999. International Institute for Strategic Studies, op. cit. dans note 22 ; Douglas Barrie, « Defense budgets remain tight throughout Europe », Defense News, 20 décembre 1999, p. 26 ; « The European way of defence », The Economist, 24 juin 2000, p. 23. Andrew D. James 105 première fois depuis la fin de la guerre froide, prévu une augmentation soutenue et durable du budget de défense –, les industries continueront d’avoir des difficultés à fournir les résultats qu’attendent leurs actionnaires. L’expansion par fusions ayant pris fin, les sociétés américaines ont du mal à augmenter les taux de croissance pour leurs activités militaires, et Wall Street ne croit pas vraiment à leur capacité d’utiliser les technologies de défense pour se diversifier dans le civil. C’est pourquoi elles cherchent de plus en plus à gagner de nouveaux contrats militaires en accroissant leur dimension internationale 35 . L’accès aux marchés et aux programmes Compte tenu des tendances budgétaires, il y aura peu de nouveaux programmes d’armement dans un avenir prévisible et les programmes existants risquent d’être revus à la baisse, voire abandonnés. Il est donc essentiel pour les industries de défense de participer à autant de nouveaux programmes que possible et de réduire leur dépendance vis-à-vis d’un seul gouvernement client ou d’un contrat spécifique. D’où l’importance pour ces entreprises d’être présentes sur les marchés tant américains qu’européens, et de gagner une part croissante des marchés tiers 36 . Afin de compenser, au moins en partie, le déclin de leurs marchés nationaux, les entreprises de défense américaines et européennes ont ainsi poursuivi des stratégies d’exportation agressives, se livrant à une compétition au coude à coude parfois frénétique dans les pays tiers37 . Cependant, du fait de leur taille, les marchés américains et européens sont inévitablement au centre des nouvelles stratégies commerciales. Compte tenu de la spécificité de l’armement, toute société souhaitant participer aux grands programmes doit être présente localement. Sur le marché américain, les barrières opposées aux ventes directes ne laissent aux entreprises 35 36 37 Voir Andrew D. James, Post-Merger Strategies of the Leading US Defence Aerospace Companies, FOA Defence Research Establishment, Stockholm, décembre 1998 et Andrew D. James, op. cit. dans note 23. Keith Hayward, « The globalisation of the defence business », dans Gordon Adams et al., op. cit. dans note 2. Jens Van Scherpenberg, « Transatlantic competition and European defence industries: a new look at the trade-defence linkage », International Affairs vol. 73, n. 1, 1997, pp. 99-122. 106 Entre coopération et concurrence européennes d’autre choix que d’acquérir des sociétés locales pour pouvoir accéder aux programmes du Pentagone. En revanche, les groupes américains ont eu pendant longtemps accès aux marchés européens – voie à sens unique (one-way street) en matière d’armement que les Européens n’ont cessé de déplorer. Ils reconnaissent cependant de plus en plus que dans le futur, de simples compensations ne suffiront plus pour gagner des contrats en Europe. Ils accordent ainsi une importance accrue à la constitution de solides alliances avec des partenaires locaux, soutenues par un transfert significatif de technologie américaine, afin de répondre aux conditions imposées par les Européens pour participer à leurs programmes 38 . Le partage des coûts et des risques Comme la conception et le développement des systèmes d’armes modernes représentent à la fois des défis technologiques complexes et des montages financiers de plus en plus importants, les sociétés cherchent à partager les coûts et les risques impliqués39 . Toute entreprise – aux Etats-Unis comme en Europe – aura, en effet, de grandes difficultés à réunir seule les fonds et les capacités technologiques nécessaires pour développer de tels systèmes. En conséquence, même les plus grands fournisseurs américains se tournent vers l’international pour partager le financement d’un programme, accéder à des technologies non américaines et trouver de nouvelles sources de capitaux. Les entreprises européennes, quant à elles, espèrent accéder, à travers les liens transatlantiques, aux technologies américaines, qui leur permettraient de répondre plus facilement aux spécifications de programmes européens. III.3 L’impact sur les options stratégiques Les entreprises n’auront toutefois pas le champ libre pour développer des stratégies commerciales adaptées au nouvel environnement. Leurs options stratégiques seront influencées par plusieurs facteurs étroitement liés, qui 38 39 Voir Andrew D. James, op. cit. dans note 23. Les programmes britanniques ASTOR et BVRAAM illustrent très bien ces nouvelles stratégies d’appel d’offre. Voir « Linking Arms : A Survey of the Global Defence Industry », The Economist, 14 juin 1997 et Burkard Schmitt, op. cit. dans note 32. Andrew D. James 107 détermineront sans doute à la fois l’importance et la nature de leurs liens avec des partenaires de l’autre côté de l’Atlantique. La volonté politique La volonté des décideurs et des hommes politiques de soutenir le développement d’une industrie de défense transatlantique sera capitale pour les décisions des sociétés. Etant donné la spécificité de l’industrie de défense, les entreprises seront toujours très sensibles au contexte politique et ne prendront aucune initiative sans s’être assurées du soutien des hauts responsables des parlements, des forces armées ou des ministères de la défense nationaux. A bien des égards, c’est le gouvernement américain qui a mené le jeu dans ce domaine, le Pentagone plaidant très ouvertement pour une coopération industrielle de défense entre les deux rives de l’Atlantique. Trois facteurs ont déterminé ses initiatives politiques. Tout d’abord, l’idée qu’une ouverture du marché américain aux fournisseurs européens pouvait renforcer la concurrence et faire contrepoids à la domination de certains secteurs par Boeing, Lockheed Martin et Raytheon. Ensuite, le souhait d’empêcher l’émergence d’une forteresse Europe où les groupes américains seraient exclus des programmes d’équipement européens. Enfin, la conviction qu’une coopération industrielle transatlantique permettrait d’accroître l’interopérabilité des forces de l’OTAN. Certains industriels reprochèrent néanmoins au Pentagone d’avoir envoyé des signaux contradictoires sur sa politique à l’égard de la mondialisation. Ainsi, en juillet 1999, Jacques Gansler affirmait que le ministère de la défense était ouvert à la perspective de voir une entreprise européenne fusionner ou acheter tout ou partie de l’un des grands acteurs industriels américains. D’après M. Gansler, les sociétés de second rang telles que Northrop Grumman, TRW et General Dynamics pouvaient faire l’objet d’alliances, de joint ventures ou de fusions 40 . Les observations de John Hamre en octobre 1999 semblèrent toutefois marquer un changement d’attitude. M. Hamre soutenait en effet qu’il était prématuré de s’attendre à 40 Bryan Bender, « USA seeking solutions to globalisation trend », Jane’s Defence Weekly, 31 mars 1999, p. 20. 108 Entre coopération et concurrence d’importantes fusions transatlantiques à court terme, et son message était principalement : « Coopération maintenant, possibilité de consolidation plus tard ». Du point de vue du Pentagone, la fusion de DASA et Aérospatiale Matra (annoncée mi-octobre 1999) était en effet perçue comme la création du second pilier d’une nouvelle forteresse Europe, réduisant drastiquement les chances d’une fusion transatlantique ou d’une prise de contrôle d’une société américaine par un Européen. Pour M. Hamre, l’avenir appartenait désormais plutôt aux joint ventures, aux partenariats ou à d’autres formes d’alliance 41 . Tout investissement étranger dans la base industrielle d’un pays demeure néanmoins une question politique sensible. Même si les décideurs de très haut niveau sont de plus en plus favorables à l’idée d’une industrie de défense transatlantique, il n’est pas certain que les hommes politiques, les fonctionnaires de rang moyen et les militaires partagent cet engagement. Ainsi, quand BAE Systems a annoncé son projet de racheter les activités d’électronique de Lockheed Martin, nombre de commentateurs y ont vu un test de la bonne volonté du gouvernement américain à l’égard de la mondialisation de secteurs clés de sa base industrielle de défense. Avec ce rachat, BAE Systems serait effectivement en charge de plus de la moitié des programmes américains très sophistiqués en matière de guerre électronique. Devant la perspective d’une participation étrangère significative à un secteur aussi crucial, les spéculations allèrent bon train sur l’opposition de hauts responsables militaires américains. En novembre 2000, le gouvernement américain donna le feu vert à la transaction, franchissant ainsi un cap dans la coopération industrielle. Cependant, cette approbation n’a pas, semble-t-il, été vue d’un bon œil par le Département d’Etat, inquiet des incidences de l’entrée d’une société européenne au cœur même de la technologie américaine de pointe 42 . En Europe, invoquant les droits de propriété intellectuelle, l’Allemagne exerça de fortes pressions sur le gouvernement espagnol pour empêcher la vente de d’Empressa Santa Barbara de Industrias Militares (ENSB), fabricant espagnol de véhicules de combat et de munitions, à 41 42 Voir Thomas E. Ricks et Anne Marie Squeo, op. cit. dans note 30. Anthony L. Velocci et Philip J. Klass, « BAE Systems bid unsettling to many », Aviation Week & Space Technology, 29 mai 2000, pp. 37-38 ; « BAE Systems opens door for European defence companies in US », Defence Systems Daily, 27 novembre 2000 (http:// www.defence-data.com). Andrew D. James 109 l’américain General Dynamics 43 . Il semble néanmoins que le véritable enjeu dans cette affaire ait été le rôle de l'Allemagne dans la consolidation de l’industrie des véhicules blindés. Force est donc de constater, une fois de plus, que les gouvernements n’hésitent pas à recourir à des arguments politiques lorsqu’une transaction internationale ne favorise pas leurs industries nationales. Le cadre réglementaire Les réglementations mises en place par les gouvernements pour contrôler les investissements étrangers, les transferts de technologie, les exportations d’armes, etc., auront un impact considérable sur les choix stratégiques des industriels. Les Européens ont longtemps considéré les règles et procédures américaines régissant les investissements étrangers directs comme un obstacle majeur aux regroupements transatlantiques44 . Même BAE Systems, pourtant fortement implanté aux Etats-Unis, a indiqué à plusieurs reprises qu’une fusion avec un grand systémier américain n’est pas envisageable compte tenu des barrières réglementaires existantes. Le groupe britannique considère qu’il faudrait créer un cadre commun permettant à des sociétés américaines et britanniques de gérer les technologies sensibles dans les deux pays 45 . Les industriels américains et européens ainsi que l’Association américaine des Industries Aérospatiales ont mené une intense campagne de lobbying à ce sujet, et le Pentagone et le Département d’Etat ont effectivement proposé toute une série de réformes. La déclaration de principe américano-britannique signée en février 2000 est un modèle bilatéral de gestion des coopérations transatlantiques, couvrant l’harmonisation des besoins, les procédures d’exportation, la sécurité de l’information ainsi que la coopération en R&D46 . La Defense Trade Security Initiative (DTSI), annoncée en mai 2000, pourrait modifier profondément les règles américaines d’exportation. Elle prévoit la rationalisation des procédures de l’octroi de licences d’exportation, avec des exemptions pour les transferts de 43 44 45 46 Ralph Atkins et Alexander Nicoll, « Spain ‘must halt sale of arms maker to US’ », Financial Times, 7 juillet 2000, p. 8. Voir Richard A. Bitzinger, op. cit. dans note 4. Voir Alexander Nicoll, « The coming battle to survive and dominate in the defence industry », Financial Times, 30 novembre 1999, p. 30. En juillet 2000, une Statement of Principles a été signée par les ministères de la défense américain et australien. 110 Entre coopération et concurrence technologies non classifiées vers des sociétés étrangères qualifiées, sous réserve d’un accord entre les Etats-Unis et le pays concerné. Indépendamment de la DTSI, mais dans le même esprit, l’administration a atténué les restrictions de sécurité imposées à Rolls Royce pour la gestion de sa filiale américaine Allison, par l’élimination du fidéicommis et par l’intégration de l’ensemble des activités d’Allison dans un Special Security Agreement unique. Ce nouveau statut a fait disparaître la situation étrange interdisant à des ingénieurs d’une partie d’Allison de parler à leurs collègues d’une autre partie du même site sans l’aval du Pentagone. Les opportunités Il est clair que les liens transatlantiques évolueront aussi en fonction des opportunités de coopération. Ainsi, l’actuelle redéfinition du portefeuille d’activités dans les grands groupes américains et européens ainsi que la consolidation des entreprises de deuxième et troisième rang ouvrent la porte aux acquisitions transatlantiques. Aux Etats-Unis, Lockheed Martin et Raytheon, en particulier, sont passés de la consolidation par fusions à la restructuration du portfolio par des cessions. Ainsi, la mise en vente par Lockheed Martin de ses activités de systèmes de contrôle et d’électronique aérospatiale a permis à BAE Systems de renforcer sa position aux EtatsUnis. A une échelle plus modeste, la division bouées accoustiques de Raytheon a été vendue à l’anglais Ultra Electronics. De même, en Europe, le changement de portfolio effectué par le suédois Saab après sa fusion avec Celsius a entraîné la vente de sa filiale Bofors Weapon Systems à l’américain United Defense 47 . Tandis que les changements de périmètre peuvent offrir la possibilité d’accéder à de nouveaux marchés et à des programmes en cours, le nombre limité de projets à venir risque de freiner l’évolution des relations transatlantiques. De nouveaux projets pourraient théoriquement structurer la création d’alliances euro-américaines, mais les perspectives sont assez réduites : en Europe, l’A400 M et le Meteor sont les deux seuls programmes importants dans le domaine de l’aérospatial ; aux Etats-Unis, le remplacement de l’avion de ravitaillement KC-135 par le KC-X pourrait encourager 47 Christopher Brown-Humes, « United Defense set to buy Bofors of Sweden », Financial Times, 16 juin 2000, p. 30. Andrew D. James 111 la formation d’alliances, tout comme le besoin d’un nouveau missile de défense aérienne navale et d’un nouveau système radar naval embarqué 48 . Mais les occasions de coopération ne se limitent pas nécessairement au marché transatlantique. Ainsi, BAE Systems et Boeing se sont alliés pour acquérir une participation minoritaire dans Korean Aerospace Industries (KAI), et d’autres accords de ce type pourraient avoir lieu en Asie 49 . De même, les partenariats pourraient servir à obtenir un accès aux pays tiers. Dans cette optique, Boeing, par exemple, a considéré BAE Systems comme un partenaire très intéressant vu sa présence en Arabie saoudite 50 . Cependant, il n’est pas facile de trouver des opportunités commerciales mutuellement bénéfiques. Même au sein de groupes américains dont les dirigeants se disent favorables aux fusions transatlantiques, certains directeurs de programme demeurent convaincus que leurs entreprises ont peu à gagner en échange de l’aide fournie à une société européenne pour pénétrer le marché américain51 . Des incertitudes subsistent aussi en ce qui concerne la marge acceptable pour accéder à de nouveaux marchés ainsi que les capacités technologiques qu’une société serait prête à partager dans ce but. L’après-fusion : les défis de l’intégration Pour certains groupes, les difficultés de digérer les fusions antérieures pourraient également limiter les options stratégiques. Ainsi, suite à la vague d’acquisitions et de fusions des années précédentes, Raytheon et Lockheed Martin ont été obligés, pour restaurer la confiance des investisseurs, de concentrer leurs efforts en 1999/2000 sur la rationalisation interne, la redéfinition du périmètre, l’amélioration de la gestion et la réduction de l’endettement. BAE Systems et EADS doivent, eux aussi, gérer les 48 49 50 51 Robert Holzer, « Standard missile pact could shape pattern for naval cooperation », Defense News, 15 mai 2000, pp. 1-20 ; Robert Holzer, « US Navy seeks foreign aid for new radars », Defense News, 22 mai 2000, p. 4. Au sujet de KAI, voir John D. Morrocco, « Boeing looks to boost global presence », Aviation Week & Space Technology, 3 avril 2000, p. 37. En ce qui concerne la restructuration de l’industrie aérospatiale en Asie, voir Philip Finnegan, « Aerospace merger trend takes hold in Asia », Defense News, 28 février 2000, pp. 1-60. Voir Andrew D. James, op. cit. dans note 35. Entretiens de l’auteur avec des directeurs de programme de Boeing et Lockheed Martin. 112 Entre coopération et concurrence incidences internes de leur intégration52 . Les problèmes rencontrés à ce niveau n’empêcheront certainement pas les sociétés d’explorer les perspectives transatlantiques, mais ils pourraient bien réduire les choix stratégiques, notamment si l’impact financier est important. Il vaudrait effectivement mieux que les groupes des deux côtés de l’Atlantique retiennent les leçons de la consolidation aux Etats-Unis, à savoir le surdéveloppement des principaux acteurs, à la fois financièrement et en termes d’organisation, avec les conséquences négatives que cela implique 53 . Considérations financières et « shareholder value » L’essoufflement financier des grands groupes américains a considérablement pesé sur leur réflexion stratégique. Compte tenu de la chute de leurs actions en bourse et de la montée de leur niveau d’endettement, tout arrangement capitalistique, acquisition et autre, est devenu très difficile. Ainsi, les problèmes financiers et de gestion interne ont obligé Raytheon à renoncer au rachat de la branche d’électronique de défense du britannique Racal, finalement acquise par Thomson-CSF/Thales. La situation financière des groupes européens est généralement plus saine que celle de leurs homologues américains, parce que la plupart des fusions en Europe se sont scellées par des échanges de titres. Aux Etats-Unis, la consolidation s’est en revanche faite principalement par des transactions en cash et financées par des crédits. Les groupes ayant procédé à plusieurs acquisitions consécutives ont ainsi subi une augmentation dramatique de leur ratio d’endettement net sur fonds propres et vu leur solvabilité se réduire fortement 54 . Le shareholder value (création de valeur) est devenu un thème prédominant pour les grands groupes américains étant donné la faiblesse de leur performance financière récente. La confiance des investisseurs en a beaucoup souffert, et toute initiative au niveau transatlantique sera probablement étudiée en détail pour ses implications en termes de retour sur investissement, de marge brute d’autofinancement (cash flow), 52 53 54 Voir Pierre Sparaco, « EADS foresess cultural hurdles », Aviation Week & Space Technology, 21 février 2000, pp. 42-43. Voir Andrew D. James, op. cit. dans note 23. Kevin Done, « European aerospace profits booming », Financial Times, 6 juillet 2000, p. 13. Andrew D. James 113 d’endettement, etc. 55 . Le sentiment général est que, dans l’environnement actuel, il demeure difficile pour les sociétés de trouver des arguments commerciaux convaincants pour justifier des acquisitions transatlantiques. De nombreux analystes financiers de Wall Street ont une vision négative à ce sujet, et une étude industrielle confirme que les fusions transatlantiques dilueraient les bénéfices faute de perspectives réelles en termes de réduction des coûts 56 . En Europe, les aspects financiers soulèvent également des questions intéressantes. Etant donné la structure dispersée de son actionnariat, BAE Systems – comme ses homologues américaines – a mis l’accent sur la création de valeur capitalistique. D’autres groupes européens – en particulier EADS – sont obligés de gérer des structures d’actionnariat plus complexes dont les conséquences pour les priorités d’investissement et les stratégies ne sont pas encore claires. EADS devra certainement faire face à des pressions croissantes pour démontrer son attachement à la valeur de sa cotation, notamment après sa faible performance lors de son émission en souscription publique sur le marché 57 . Il sera intéressant de savoir quel impact ces facteurs auront sur la stratégie des groupes européens au moment où ces derniers étudient les opportunités commerciales d’un renforcement des liens transatlantiques. III.4 Le nouveau paysage industriel transatlantique Les entreprises tant américaines qu’européennes élaborent désormais des stratégies qui tiennent compte des différentes influences politiques, réglementaires et commerciales de ce nouvel environnement. Les évolutions au cours de l’année 1999 et dans la première moitié de l’année 2000 ont jeté les bases d’un nouveau paysage industriel transatlantique, même si la situation est évolutive et peut donc encore changer dans un avenir proche. 55 56 57 Voir Andrew D. James, op. cit. dans note 23. Ces contraintes valent surtout pour Lockheed Martin et Raytheon. D’autres compagnies – telles que General Dynamics – sont vues sous un angle plus positif par les analystes de Wall Street. Industry Outlook – GEIA Ten Year Forecast, Government Electronics & Information Technology Association, Arlington, VA, 1999. Kevin Done, « Share price in EADS float well below hopes », Financial Times, 10 juillet 2000, p. 21 ; Alexander Nicoll, « EADS market debut fails to take-off », Financial Times, 11 juillet 2000, p. 34. 114 Entre coopération et concurrence Les stratégies émergentes BAE Systems fut le premier à concevoir une stratégie réellement transatlantique. En rachetant Marconi Electronic Systems, et notamment sa filiale américaine Tracor, British Aerospace s’est créé un point d’ancrage dans le marché américain. Le nouveau-né BAE Systems s’est appuyé sur cette présence aux Etats-Unis lorsqu’il a annoncé son acquisition des activités de systèmes de contrôle de Lockheed Martin en mai 2000 pour 510 millions de dollars, puis son rachat de la branche d’électronique aérospatiale de Lockheed Martin en juillet 2000 pour 1,67 milliards de dollars 58 . Cette dernière acquisition s’est avérée importante non seulement parce qu’elle incluait la filiale renommée Sanders de Lockheed Martin – leader sur le marché d’électronique de défense –, mais aussi parce que BAE Systems prenait ainsi la place de Lockheed Martin de premier groupe mondial dans le domaine de la défense 59 . EADS a également exprimé son intention de conférer une dimension transatlantique à sa stratégie. Allié avec la société d’électronique de défense américaine L-3 Communications, EADS fut en lice pour l’acquisition des activités d’électronique de défense de Lockheed. Le groupe signa en outre un protocole d’accord avec Northrop Grumman, en vertu duquel les deux sociétés explorent les opportunités de coopérer en matière de surveillance terrestre ainsi que dans plusieurs autres domaines de l’électronique de défense, tels que les cibles et leurres aériens, les radars embarqués d’attaque et de conduite de tir. Le premier résultat de cette relation a été la décision d’offrir pour l’avion de transport militaire Airbus A400M une version européenne du radar météorologique et de navigation développé par Northrop Grumman60 . Le PDG français du groupe, Philippe Camus, a récemment confirmé qu’EADS envisage de renforcer ses activités de défense (afin de réduire sa dépendance d’Airbus) par des acquisitions aux Etats-Unis. Il a pourtant exclu une fusion avec Northrop Grumman, 58 59 60 Alexander Nicoll, « GEC in $1.4bn takeover of US defence group Tracor », Financial Times, 22 avril, p. 1 ; John D. Morrocco, « BAE Systems boosting North American clout », Aviation Week & Space Technology, 1er mai 2000, p. 31 ; Andrew EdgecliffeJohnson and Christopher Parkes, « BAe in $1.6bn US purchase », Financial Times, 14 juillet 2000. Kevin Done, « BAe set to top the defence league », Financial Times, 15/16 juillet 2000, p. 14. John D. Morrocco, op. cit. dans note 18. Andrew D. James 115 soulignant qu’une transaction de cette taille ne serait pas réaliste pour l’instant 61 . Thales (anciennement Thomson-CSF) cherche aussi à étendre sa présence américaine. Malgré ses liens avec Raytheon, l’électronicien de défense a toujours été contrecarré dans ses efforts pour pénétrer le marché américain par la méfiance constante du Pentagone à l’égard des intentions françaises. L’acquisition du britannique Racal en 2000 pourrait cependant renforcer la position du groupe aux Etats-Unis. En fait, l’une des principales raisons de ce rachat fut la position bien établie de Racal sur le marché américain (la société est l’un des principaux fournisseurs de systèmes radio et d’enregistreurs de données pour les forces armées américaines). De plus, l’acquisition permet à Thales d’absorber le fidéicommis de Racal aux Etats-Unis. Ce dernier, en combinaison avec le SSA « niveau Secret » que Thales s’est vu accorder en 1999 pour ses activités d’entraînement et de simulation basées au Texas, donne au groupe français un statut de sécurité lui permettant de développer sa présence aux Etats-Unis. En effet, Thales a déjà montré son intention de renforcer ses contacts avec des sociétés américaines en remportant deux contrats de premier plan pour équiper des F16 produits par Lockheed Martin. Le premier de ces contrats prévoit l’équipement en système de guerre électronique des F16 en service dans l’armée de l’air turque, le deuxième porte sur la fourniture de postes radio protégés et d’équipement de communication pour les F-16 (Block 60) que Lockheed s’apprête à livrer aux Emirats arabes unis. Thales espère que ces contrats lui ouvriront les portes d’une participation au programme JSF, probablement à travers ses filiales néerlandaise (Signaal) ou britannique (Racal) 62 . En comparaison, les sociétés américaines ont évolué de manière prudente, préférant attendre les résultats de la consolidation européenne avant d’entamer de nouvelles relations. Northrop Grumman a été une des compagnies les plus manifestement actives avec son protocole d’accord avec EADS. Raytheon a une relation de longue durée avec Thales et a examiné, comme nous l’avons vu, les possibilités d’acquérir Racal avant de faire marche arrière pour des raisons financières. Lockheed Martin a longtemps été engagé dans des pourparlers avec Aérospatiale-Matra. De même, Boeing 61 62 Entretien avec la Frankfurter Allgemeine Zeitung, 2 décembre 2000, p. 17 Jean-Pierre Neu, « Thomson-CSF monte en puissance sur le F16 », Les Echos, 2930 septembre 2000. 116 Entre coopération et concurrence a cherché à s’établir en Europe et en Asie et explore les opportunités de joint venture et d’acquisitions sur les principaux marchés63 . Grâce à une balance des paiements solide et une marge brute d’autofi-nancement (cash flow) sain, Boeing pourrait en effet avoir plus d’options stratégiques à sa portée que Raytheon ou Lockheed Martin. En même temps, de nombreuses sociétés américaines considèrent la participation de Boeing dans le consortium Meteor comme un modèle de coopération sur un programme spécifique. Les groupements par programme Les groupes utilisent différentes stratégies pour développer les relations transatlantiques, des groupements par programme aux alliances stratégiques et, dans certains cas, aux acquisitions. L’entrée de Boeing dans l’équipe Meteor, par exemple, ouvre la voie à tout un éventail d’opportunités pour les partenaires des deux côtés. Pour les Européens, elle offre la possibilité d’équiper les F/A-18 et F-15 (produits par Boeing) lors de leur modernisation avec le Meteor. Pour Boeing, elle permet de renforcer sa présence dans un secteur où il est relativement faible, dans la mesure où le Meteor pourrait devenir une alternative à Raytheon pour l’armement du Joint Strike Fighter64 . Le succès de la stratégie de Raytheon lors de l’appel d’offre britannique pour l’ASTOR (Advanced Stand-Off Radar) donne un autre exemple du potentiel des groupements par programme. En fait, le consortium dirigé par Raytheon pour ce projet (d’une valeur de 750 millions de livres) incluait GEC Marconi, Bombardier Short Brothers et Ultra Electronics. L’évolution des relations commerciales En même temps, certains signes montrent un approfondissement des relations commerciales existantes et une évolution des simples accords de coopération ad hoc vers des alliances parfois plus formelles. 63 64 Voir John D. Morrocco, « Boeing looks to boost global presence », Aviation Week & Space Technology, 3 avril 2000. Voir John D. Morrocco, «Looming missile decision to shape transatlantic ties », Aviation Week & Space Technology, 7 février 2000. Andrew D. James 117 Raytheon et Thales illustrent très bien la façon dont les sociétés peuvent développer des liens existants. Depuis plusieurs années déjà, les deux groupes collaborent à la fois comme développeurs conjoints, intégrateurs et fournisseurs mutuels pour dix-sept programmes industriels 65 . Un consortium Raytheon-Thales installe un nouveau système de défense aérienne pour la Suisse, et le contrat de commandement et de contrôle aérien de l’OTAN a été attribué à un joint venture Raytheon-Thales (Air Command Systems International). Raytheon fait aussi partie du groupement de Thales en compétition pour fournir de nouveaux porte-avions au Royaume-Uni. Les spéculations sur un rapprochement des deux groupes se sont multipliées depuis 1999. En février 2000, Denis Ranque, le PdG du groupe français, affirmait que les deux groupes cherchaient, en consultation avec leurs gouvernements respectifs, à resserrer des liens, mais que les résultats dépendaient beaucoup d’une évolution de la pensée politique 66 . En juin 2000, les deux groupes ont, semble-t-il, cherché à créer un joint venture dans les radars terrestres et les systèmes de commandement et de contrôle de la défense aérienne 67 . En décembre 2000, la spéculation qui durait depuis plusieurs mois prit fin lorsque Raytheon et Thales ont annoncé qu’ils venaient de s’entendre sur la création d’une filiale commune spécialisée dans les centres de commandement, les radars de défense aérienne et la surveillance aérienne du champ de bataille. Composée de 1 300 employés, cette société aura un chiffre d’affaire de 500 à 700 millions de dollars. Dans le cas de Raytheon et Thales, les tentatives de développement des liens établis vers des alliances stratégiques plus poussées dans les domaines d’intérêts commerciaux mutuels se dessinent clairement. Boeing et BAE Systems veulent apparemment, eux aussi, renforcer leurs liens. Les deux groupes coopèrent depuis longtemps sur les programmes AV-8B et T-45 aux Etats-Unis et la modernisation de l’avion de reconnaissance maritime Nimrod en Grande-Bretagne. Leurs relations tendent actuellement à s’approfondir à travers différentes alliances formelles et informelles. Ainsi, Boeing est entré dans le consortium Meteor dirigé par Matra BAe Dynamics, et BAE Systems aurait fait pression sur le ministère 65 66 67 Brooks Tigner, « Raytheon and Thomson-CSF plan joint venture in radar », Defense News, 3 juillet 2000, pp. 1-18. Christophe Jakubyszyn et Anne-Marie Rocco, « Thomson-CSF travaille à un rapprochement avec l’américain Raytheon », Le Monde, 3 février 2000. Alexander Nicoll, «Thomson and Raytheon discuss link », Financial Times, 29 juin 2000, p. 1 ; Brooks Tigner, op. cit. dans note 65. 118 Entre coopération et concurrence de la défense britannique pour assurer le leasing des C-17 de Boeing à la RAF. Les deux groupes se sont, en outre, alliés pour acquérir en commun une participation minoritaire dans Korea Aerospace Industries. EADS cherche, quant à lui, à développer les liens établis par ses membres fondateurs. D’une part, le rapprochement entre DASA et Northrop Grumman a constitué un élément clé pour le protocole d’accord que ce dernier a signé par la suite avec EADS. D’autre part, EADS semble profiter des relations entre Aerospatiale-Matra et Lockheed Martin. Les deux groupes avaient exploré pendant plusieurs années les possibilités de coopération pour les avions de mission. L’une des options examinées a été de s’allier pour proposer un dérivé en transporteur/ravitailleur multifonction de l’appareil commercial Airbus A310 comme candidat possible pour le KC-X américain. En 1999, les deux groupes ont soumis une offre commune en Grande-Bretagne pour un nouvel avion de ravitaillement 68 . Les acquisitions BAE Systems a toutefois été le seul des grands groupes à persévérer sur la voie des acquisitions transatlantiques, les autres opérations de ce type concernant des fabricants moins importants ou de deuxième rang. Il n’empêche que le nombre global d’acquisitions s’est multiplié ces dernières années. Ainsi, des sociétés britanniques telles que Smiths Industries et Ultra Electronics ont conforté leur position sur le marché américain par toute une série de rachats. En même temps, l’acquisition de Lucas Varity par l’américain TRW, bien que motivée prioritairement par les intérêts respectifs dans l’automobile, a donné naissance à un fournisseur transatlantique important de composants aérospatiaux et de défense. Avec le rachat de Lucas Aerospace, TRW dispose d’une position non négligeable en Europe qu’il utilisera comme point d’ancrage pour l’expansion sur le marché européen. TRW a d’ores et déjà montré ses intentions en rachetant en 1999 la société française de systèmes de vol SAAM et envisage de transférer ses capacités UAV (drones) des Etats-Unis au Royaume-Uni afin de répondre aux futurs 68 Pierre Sparaco et John D. Morrocco, « Aerospatiale to explore Lockheed Martin link », Aviation Week & Space Technology, 20 janvier 1997, p. 26 ; John D. Morrocco, « Lockheed Martin talks with Airbus partners », Aviation Week & Space Technology, 5 mai 1997, pp. 20-21 ; Pierre Sparaco, « US, Europe explore transatlantic partnerships », Aviation Week & Space Technology, 13 septembre 1999, pp. 37-38. Andrew D. James 119 besoins britanniques dans ce domaine. Parallèlement, TRW s’associe à BAE Systems pour répondre à un appel d’offre du ministère de la défense britannique concernant la digitalisation du champ de bataille 69 . Notons que la grande majorité de ces opérations concernent des activités au niveau des sous-systèmes ou des composants, et que ces transactions plus modestes et politiquement moins sensibles n’ont suscité quasiment aucun commentaire. Il est révélateur que d’autres sociétés américaines aient annoncé des acquisitions en Europe pendant le premier semestre 2000. United Defense a ainsi l’intention de racheter Bofors Weapon Systems à Saab-Celsius pour entrer sur le marché européen et établir des relations avec d’autres sociétés européennes 70 . De même, General Dynamics a annoncé l’acquisition du fabricant Santa Barbara Blindados 71 . Cette dernière transaction est la seule à concerner le rachat d’un plate-formiste, et c’est peut-être la raison pour laquelle elle a provoqué une aussi vive polémique. III.5 Les perspectives à court et moyen terme Malgré ces évolutions récentes, l’avenir doit être envisagé avec prudence. Les expériences passées suggèrent que le chemin menant à une dimension transatlantique de l’industrie de défense risque d’être long et semé d’obstacles tant politiques que réglementaires et commerciaux. Les méga-fusions Bien qu’un certain nombre d’acquisitions aient été réalisées, des fusions complètes entre les grands systémiers européens et américains semblent fort improbables dans le contexte actuel. De telles opérations nécessiteraient un engagement politique énorme de la part des gouvernements et un changement radical de l’attitude envers les industries de défense et la sécurité nationale. De plus, les risques et coûts associés à une telle méga-fusion 69 70 71 Teresa Hitchens, « TRW Aeronautical Systems strengthens with SAAM buy », Defense News, 28 juin 1999, p. 22. Pour une étude de cas concernant TRW, voir Andrew D. James, op. cit. note 23. Christopher Brown-Humes, op. cit. dans note 47. General Dynamics Corp., « General Dynamics to buy Spain’s ENSB, maker of combat vehicles and munitions », News Release, General Dynamics Corp., Falls Church, VA, 13 avril 2000. 120 Entre coopération et concurrence dépasseraient probablement les avantages potentiels. Pour présenter un véritable intérêt commercial, toute opération devrait permettre bien plus qu’un simple accès au marché ou une influence politique, en l’occurrence de réelles réductions de coûts grâce à des synergies opérationnelles. Last but not least, il serait plutôt irréaliste de s’attendre à des méga-fusions alors que la plupart des entreprises viennent à peine de faire leurs premières expériences avec des arrangements beaucoup moins risqués et contraignants 72 . Au niveau des systémiers, il est très probable que des liens capitalistiques émergeront lentement et seulement après avoir surmonté de nombreux obstacles politiques et commerciaux. Cela ne veut pas dire que les transactions transatlantiques ne continueront pas d’avoir lieu, voire de se multiplier. Les grands systémiers effectueront certainement d’autres acquisitions de petite ou moyenne envergure si celles-ci présentent un intérêt économique. Ainsi, on pourrait assister à plus de transactions comme celles de BAE Systems aux Etats-Unis et United Defense en Europe, et il y aura certainement d’autres acquisitions au niveau des sous-systèmes et des composants. Le renforcement de la coopération Les principaux groupes essayeront sans doute de développer leurs liens transatlantiques par des coopérations plutôt que par des fusions. En conséquence, il y a de fortes chances pour que le nombre de groupements euro-américains par programmes augmente, que ce soit pour des projets européens, américains ou transatlantiques. Dans des secteurs spécifiques, certaines sociétés pourraient même rassembler leurs activités par des alliances informelles ou des accords formels, voire des joint ventures. Ainsi, les tendances actuelles se poursuivraient, ce qui serait sans doute la solution la plus pragmatique pour lier les systémiers des deux côtés de l’Atlantique. A terme, les relations pourraient évoluer : les sociétés ayant coopéré sur des programmes spécifiques pourraient envisager de former des alliances stratégiques, et les alliances existantes évoluer vers des fusions. Cette approche par étapes constituerait une réponse pragmatique aux problèmes politiques, économiques et réglementaires actuels ; elle permettrait d’instaurer la confiance entre les gouvernements et d’acquérir, au sein des 72 Robert P. Grant, op. cit. dans note 8. Andrew D. James 121 entreprises, une expérience de la gestion de telles relations, indispensable pour construire une industrie de défense transatlantique. III. 6 Conclusion Le débat sur une éventuelle dimension transatlantique de la consolidation des industries de défense a porté en grande partie sur les obstacles politiques et réglementaires. Ces questions sont très importantes, certes, mais la forme future de toute industrie transatlantique sera déterminée in fine par les décisions commerciales des entreprises. Les dirigeants politiques commencent à s’apercevoir que les sociétés de défense – désormais presque exclusivement dans le secteur privé – prendront leurs décisions davantage en fonction de la réaction des places boursières, de l’impact sur leur bilan et de leur stratégie commerciale que des considérations gouvernementales sur l’interopérabilité et les relations politiques au sein de l’OTAN. Il est révélateur à cet égard que l’actuelle multiplication des liens transatlantiques soit menée par l’industrie plutôt que par les gouvernements. Alors que l’industrie de défense pose peut-être les premiers jalons d’une dimension transatlantique, le chemin restant à parcourir est semé d’embûches politiques, réglementaires, et économiques. Dans ce contexte, l’attitude des dirigeants politiques américains n’est pas le moindre problème. Washington devra – probablement dans un avenir proche – prouver son sérieux au sujet d’une véritable voie à double sens entre les Etats-Unis et l’Europe en matière d’armement. Pour le moment, la majorité des alliances et des groupements ont émergé pour réaliser des programmes européens, et l’accès au marché américain a été refusé à toutes les compagnies, sauf aux groupes britanniques. Les industries françaises et allemandes ont de bonnes raisons de demander quand cet accès leur sera accordé. Par exemple, les Etats-Unis seraient-ils prêts à acheter pour l’US Air Force un ravitailleur auprès d’une alliance Lockheed Martin-EADS dont la plate-forme serait un Airbus construite sous licence par Lockheed Martin aux Etats-Unis ? Achèteraient-ils le Meteor pour créer une concurrence avec Raytheon ? Le gouvernement américain accepterait-il l’acquisition d’une société américaine par EADS ou Thales ? Les discussions euro-américaines sur l’industrie de défense regorgent de déclarations de bonne volonté et de vœux pieux sur l’accès au marché ou la réciprocité. Créer un marché de la défense ouvert, fondé sur des politiques d’acquisition dépassant les instincts 122 Entre coopération et concurrence protectionnistes est, bien entendu, plus facile à dire qu’à faire et, dans la pratique, la sécurité nationale et l’emploi local seront toujours des sujets sensibles. Néanmoins, le gouvernement américain dispose des moyens de promouvoir une voie à double sens en matière d’armement. Ainsi, pour les décisions d’achat d’équipements, le Pentagone pourrait donner la priorité aux alliances ou aux joint ventures transatlantiques, de préférence à des candidats exclusivement américains. Une telle initiative aurait un impact énorme sur la coopération industrielle entre l’Europe et les Etats-Unis. Les Etats-Unis pourraient également mettre un terme à l’inégalité de traitement en matière de régulation. Les gouvernements français et allemand – et leurs industries de défense – se demandent déjà quand le nouveau cadre réglementaire proposé par Washington sera étendu afin de pouvoir l’intégrer. Pour que les principales industries de défense européennes puissent en profiter, la DTSI ne doit pas se limiter aux relations angloaméricaines. De plus, le système réglementaire doit comprendre une dimension à la fois multilatérale et bilatérale. En fait, on ne sait pas vraiment si les réformes américaines actuelles tiennent compte de la nature transnationale de nombreuses entreprises clés en Europe telles que EADS et Matra BAe Dynamics. Il s’agit là de questions importantes qui permettront de tester les préjugés politiques traditionnels, et notamment les suspicions mutuelles qui ont constamment marqué les relations franco-américaines. De plus, elles influenceront les opportunités offertes à EADS et Thales ainsi que la nature de leurs relations transatlantiques naissantes. Dans une industrie transatlantique, il n’y a aucune raison pour que ces groupes ou leurs gouvernements tolèrent l’avantage réglementaire dont bénéficient de facto BAE Systems et d’autres compagnies britanniques. Ces problèmes restent à résoudre, mais une première étape a été franchie pour donner une dimension transatlantique à la restructuration de l’industrie de défense. Quel sera le prochain stade ? Les conditions politiques, réglementaires et économiques actuelles montrent que les spéculations sur des méga-fusions entre les principaux systémiers sont irréalistes, au moins dans un proche avenir. Il semble que le resserrement des liens se poursuivra prudemment, exigeant des protagonistes une attention constante à l’égard de l’évolution des réalités politiques et économiques. C’est ainsi qu’une industrie de défense transatlantique émergera, progressivement. Andrew D. James 123 Tableau 1 : Exemples de relations transatlantiques actuelles dans le domaine de l’industrie de défense Type Exemple Participants Accord de licence Modernisation du Patriot PAC-3 pour l’armée allemande Rolling Airframe Missile Lockheed Martin (Etats-Unis) EADS (France/Allemagne/Espagne) Codéveloppement Joint Strike Fighter Partenaires à part entière : Royaume-Uni, Etats-Unis Partenaires associés : Danemark, Pays-Bas, Norvège Partenaires informels : Canada, Italie Participants majeurs : Singapour, Turquie, Israël Groupement Meteor MBD (France/Royaume-Uni) Alenia Marconi Systems (Italie) EADS (France/Allemagne/Espagne) Saab Dynamics (Suède) Boeing (Etats-Unis) Alliances stratégiques alliance pour les munitions de calibre moyen Primex Technologies (Etats-Unis) NAMMO, AS (Norvège) Joint venture Lockheed Martin Alenia Tactical Transport Systems Lockheed Martin (Etats-Unis) Alenia Aerospazio (Italie) Acquisition Branche électronique de défense de Lockheed Martin BAE Systems (Royaume-Uni) Lockheed Martin (Etats-Unis) Chaîne d’approvisionnement Saab JAS-39 Gripen General Electric-Volvo Aero (EtatsUnis/Suède) Honeywell (Etats-Unis) Lockheed Martin (Etats-Unis) Sundstrand (Etats-Unis) Coproduction Raytheon (Etats-Unis) BGT (Allemagne) 124 Entre coopération et concurrence Tableau 2 : Exemples de fusions et d’acquisitions transatlantiques, 1998-2000 Année 1998 1999 2000 (avril) 2000 (mai) 2000 (juin) 2000 (juillet) Compagnie achetée Tracor (Etats-Unis) LucasVarity (Etats-Unis/ Royaume-Uni) Santa Barbara (Espagne) Lockheed Martin Control Systems (Etats-Unis) Bofors Weapons Systems (Suède) Branche électoronique aérospatiale de Lockheed Martin (Etats-Unis) Acquéreur Secteur Prix payé GEC (RoyaumeUni) TRW (Etats-Unis) Electronique 1,4M$ Electronique 7M$ General Dynamics (Etats-Unis) BAE Systems (Royaume-Uni) Véhicules de combat Electronique 0,05M$ United Defense (Etats-Unis) Armes de précision et artillerie Electronique NC BAE Systems (Royaume-Uni) 0,51M$ 1,67M$ Conclusion Burkard Schmitt Malgré plus de 50 années de coopération militaire au sein de l’OTAN, l’armement a toujours été un domaine difficile pour les relations transatlantiques. L’importance de la coopération en la matière est généralement reconnue, mais les obstacles restent de taille. L’un des problèmes majeurs qui s’opposent à un vrai partenariat euroaméricain est le fort déséquilibre entre une forteresse américaine puissante et très réelle, et une multitude de petites forteresses nationales, rivales entre elles, en Europe. Les données sont donc fondamentalement différentes des deux côtés. Le paradoxe est que ce soient justement les Etats-Unis qui soupçonnent la création d’une forteresse dès que les Européens prennent l’initiative d’améliorer leur coopération. Pour se rapprocher d’un marché transatlantique, il faudrait effectivement veiller à ce que la future Europe de l’armement ne se transforme pas en bastion imprenable – mais il serait au moins aussi important de raser les fortifications américaines. Aux Etats-Unis, les obstacles qui freinent la coopération sont d’autant plus difficiles à surmonter qu’ils prennent racine dans une « culture insulaire » très répandue, n’accordant que peu d’attention aux préoccupations des alliés. Le renforcement de la coopération transatlantique passera donc par une prise de conscience à Washington qu’il existe un réel besoin de changement. Même si l’on considère les récentes initiatives comme le début d’une telle évolution, la sensibilisation de la classe politique américaine aux vertus de la coopération demeure un travail de longue haleine, qui doit impliquer toutes les parties concernées des deux côtés de l’Atlantique, et notamment les parlementaires américains. Comme Gordon Adams le souligne, le Pentagone a une volonté réelle de faciliter la coopération transatlantique, tandis que le département d’Etat et le Congrès demeurent réticents. Face à ces résistances politiques, le danger existe que la DTSI soit « diluée » lors de son application concrète. Quant à la « déclaration des principes », il ne s’agit que d’une simple déclaration 126 Entre coopération et concurrence d’intention, qui, de plus, implique aujourd’hui la Grande-Bretagne seulement. Les restrictions en matière d’investissements restent également en vigueur. Les réformes envisagées sont donc potentiellement importantes, mais guère suffisantes. Reste, en outre, à savoir si tous les pays européens en profiteront dans la même mesure, ou si l’application du nouveau dispositif réglementaire privilégiera encore une fois les entreprises britanniques. Abandonner la discrimination traditionnelle des continentaux serait essentiel pour que la coopération transatlantique ne se réduise pas de facto à une relation spéciale entre les Etats-Unis et la Grande-Bretagne. Comme dans d’autres domaines, l’avenir des relations transatlantiques en matière d’armement dépendra de deux questions clés : les Etats-Unis sontils prêts à accepter les Européens comme des partenaires à droits égaux? Les Européens parviendront-ils à se donner les moyens de devenir des partenaires égaux ? Au niveau des industries de pointe, les conditions d’une relation équilibrée entre les deux rives de l’Atlantique sont aujourd’hui réunies : après la création de BAE Systems et d’EADS ainsi que quelques regroupements sectoriels, l’Europe dispose de groupes qui ont la taille et la gamme technologique leur permettant de jouer dans la même division que les géants américains. S’il existe un handicap des nouveaux champions européens vis-à-vis de leurs concurrents américains, il est dû aux faiblesses politiques de l’Europe. Le problème n’est pas simplement budgétaire : ayant des visions, des concepts et des objectifs différents, il est naturel que les Européens dépensent moins que les Etats-Unis pour la défense et que leurs priorités ne soient pas les mêmes. Même le déséquilibre de nombreux budgets européens entre dépenses de personnel et d’équipement pourra se résoudre une fois que la professionnalisation et la restructuration des forces armées seront accomplies. Le vrai problème (et, du point de vue du contribuable, le vrai scandale) est la persistance de duplications en Europe et le gaspillage de ressources qui en résulte. Ce phénomène ne concerne pas seulement les capacités industrielles ou les équipements, mais aussi les agences d’acquisition et les réglementations liées à la défense. Face à la pénurie des finances publiques en général, et aux restrictions des budgets de défense en particulier, l’absence d’un système d’acquisition commun et d’un espace Burkard Schmitt 127 économique de défense homogène est un luxe qui échappe à toute logique politique et économique. Les Européens réussiront-ils à créer un marché et une politique communs en matière d’armement ? Cette Europe de l’armement sera-t-elle construite en tant que partie intégrale de l’Union européenne ? Dans l’affirmative, y aurat-il participation de tous les membres de l’Union, ou prendra-t-elle la forme d’une coopération renforcée ? Sinon, sera-t-elle organisée hors traité ou assistera-t-on à la création d’un ensemble mixte d’organisations relevant de différents cadres ? Les réponses à ces questions seront essentielles pour l’avenir de la défense européenne, mais aussi pour l’avenir de la coopération transatlantique. On voit mal comment les Européens pourraient devenir de « vrais » partenaires des Etats-Unis sans donner une qualité nouvelle à leur propre coopération. Pour y parvenir, il importe de : • maintenir le dynamisme de la PECSD et l’utiliser comme catalyseur pour la coopération en matière d’armement ; • mieux coordonner les différentes initiatives en matière d’armement (LoI, OCCAR, etc.), les compléter et les intégrer progressivement dans un cadre commun ; • trouver des moyens suffisants pour assurer la réalisation des projets en cours et pour financer de nouveaux programmes de R&D/T. Développer la politique européenne selon ces axes n’aboutira pas (forcément) à la création d’une forteresse. Le renforcement des capacités militaires dans le cadre de la PECSD, par exemple, soutiendra la coopération en matière d’armement dans la mesure où il rendra la standardisation et l’interopérabilité du matériel encore plus urgentes. Dans les circonstances actuelles, il est pourtant probable que la standardisation reste, avant tout, une affaire exclusivement européenne, et que l’OTAN se contentera de l’interopérabilité entre les forces américaines et européennes. Les Etats-Unis et de l’Europe ont en effet des intérêts stratégiques et des cultures politico-militaires trop divergents pour parvenir à une harmonisation plus poussée de leurs besoins. Si cette hypothèse se vérifie, la DCI et le headline goal renforceront la coopération transatlantique surtout dans le domaine C3 (commandement, contrôle et communication). Les effets positifs se limiteraient donc à un segment spécifique du marché de 128 Entre coopération et concurrence l’armement, qui acquiert néanmoins une importance croissante (en termes financiers et technologiques). Si la réalisation du headline goal aboutit à une meilleure harmonisation des besoins européens, la coopération en R&D en profitera aussi. Le défi n’est ni de dépenser autant que les Etats-Unis, ni (forcément) d’investir dans les mêmes domaines, mais d’obtenir une meilleure relation coût-efficacité au niveau européen. Pour y parvenir, il faudrait à la fois restructurer les budgets de défense nationaux (pour trouver plus de moyens d’investissement sans augmenter les dépenses globales) et réorganiser les structures de la coopération (pour éviter les duplications et coordonner les efforts). Améliorer la performance européenne en R&D permettrait de dégager des ressources supplémentaires pour de nouveaux investissements, qui soutiendraient également la coopération transatlantique : avec de nouveaux programmes de recherche, les opportunités de projets communs se multiplieraient et les industries européennes deviendraient des partenaires plus attractifs. Il est fort probable que l’intensification de la coopération dans les domaines de la défense et de l’armement influencera aussi la politique d’achat des Européens. A cet égard, la crainte américaine de voir apparaître une forteresse n’est pas totalement injustifiée, mais largement exagérée. En effet, une certaine préférence européenne pourrait, à terme, succéder aux préférences nationales d’aujourd’hui et ce, pour deux raisons : • • l’intégration des industries des pays de la LoI crée de facto un marché européen de producteurs dont l’ouverture à la concurrence américaine dépendra de la volonté politique des pays concernés de maintenir des capacités industrielles et technologiques propres. Dans les domaines où c’est le cas, les principaux pays producteurs appliqueront certainement une préférence européenne. Pour les autres pays, les perspectives sont moins claires : ils pourraient, eux aussi, se diriger à terme vers une politique d’achat plus européenne dans la mesure où la réalisation du headline goal pousse à la standardisation du matériel européen. La participation active à la PECSD et aux institutions d’une future Europe de l’armement encouragerait également les pays non producteurs à s’orienter vers une préférence européenne. La multiplication des liens entre les entreprises locales et les grands groupes européens serait un troisième élément déterminant la politique d’achat des gouvernements concernés. Burkard Schmitt 129 Les conséquences d’une telle préférence doivent pourtant être relativisées : d’abord, elle semble logique dans la mesure où les facteurs déterminant les acquisitions d’armes ne sont jamais purement financiers, mais aussi de nature politique, stratégique, économique et technologique. Ensuite, une préférence européenne correspondrait à la stratégie des Etats-Unis qui continueront certainement aussi à favoriser leur propres industries. Last but not least, la préférence pour l’un n’aboutit pas nécessairement à l’exclusion systématique de l’autre : • Pour les pays non producteurs, il est peu probable que la réorientation vers une politique d’achat plus européenne signifierait la fermeture totale de leur marché de défense aux fournisseurs américains. Maintenir la concurrence industrielle et les garanties de sécurité des Etats-Unis restera une bonne raison pour ces pays de ne pas appliquer une forme exclusive de préférence européenne. • Pour les pays producteurs, un tel choix n’exclut nullement l’ouverture partielle des marchés : il reste les projets transatlantiques, les achats sur étagère dans les domaines où l’Europe renonce à des capacités propres, mais aussi la participation d’entreprises américaines à des programmes européens. Au niveau des sous-systèmes et des composants, l’importance des producteurs américains pour des projets sous maîtrise d’œuvre européenne continuera sans doute d’augmenter. Même au niveau des systémiers, rien n’empêche les gouvernements européens d’encourager des alliances transatlantiques lors de leurs appels d’offre, et les entreprises européennes d’y adhérer – à condition que les accords industriels soient équilibrés. La question d’une préférence européenne est d’autant plus complexe que le marché européen demeure fragmenté. Les désavantages du morcellement actuel sont évidents : du point de vue industriel, il rend la vie interne des entreprises transnationales extrêmement compliquée et oblige les sociétés à passer par des coopérations complexes pour arriver à un volume de commandes suffisant. Du point de vue politique, il crée des duplications coûteuses et affaiblit la position des gouvernements en tant que clients face aux nouveaux champions trans-européens. L’idée d’un marché commun, voire unique, de défense en Europe reste pourtant utopique. Dans un avenir prévisible, il semble plus réaliste de rechercher une multiplication de programmes communs, une meilleure coordination entre les pays 130 Entre coopération et concurrence producteurs et une abrogation partielle de l’article 296 pour les biens militaires non sensibles. Un élément essentiel – surtout pour le fonctionnement des sociétés transnationales – serait, dans ce contexte, l’établissement d’un régime de libre circulation des biens de défense. A cet égard, l’accord de la LoI prévoit un premier mécanisme pour les pays producteurs, mais une réglementation communautaire selon le modèle du régime pour les technologies à double usage serait sans doute préférable1 . Ni une certaine préférence européenne ni un régime de libre circulation intra-communautaire n’empêcheraient le rapprochement progressif des industries à travers l’Atlantique, décrit par Andrew James. Les grands groupes aéronautiques et électroniques sont en effet ceux qui sont le plus intéressés par la dimension transatlantique. Pour eux, et notamment pour les sociétés européennes, l’accès aux nouveaux marchés et la recherche des solutions les plus rentables sont des raisons très importantes de plaider en faveur d’une réforme du régime actuel. En même temps, les possibilités – et l’importance – des programmes intergouvernementaux sont limitées par les divergences des intérêts et des concepts politico-militaires. Dans ces conditions, l’essentiel dans les relations euro-américaines en matière d’armement n’est pas le lancement de nouveaux projets communs, mais la réforme des cadres réglementaires et des politiques d’acquisition, pour que les entreprises puissent agir des deux côtés de l’Atlantique. Jusqu’ici, les discussions transatlantiques sur les aspects commerciaux en matière d’armement ont été menées dans des cadres strictement bilatéraux. Du point de vue européen, cette approche semble d’autant plus délicate – et anachronique – que la plupart des capacités industrielles de pointe en Europe sont d’ores et déjà organisées dans des entités transnationales. Même si ces négociations bilatérales aboutissent, le résultat sera une multitude d’accords distincts, ce qui risque de perpétuer les discriminations (et donc les tensions) entre « bons » et « mauvais élèves transatlantiques » et ne peut que compliquer la tentative d’harmoniser les réglementations en Europe. 1 Les biens à double usage peuvent circuler librement au sein de l’Union, parce que tous les Etats membres reconnaissent mutuellement leurs autorisations d’exportation à des pays tiers. Burkard Schmitt 131 Dans ce contexte, la Grande-Bretagne se trouve dans une position clé : d’un côté, elle est l’un des grands pays producteurs européens et profondément impliquée dans le processus LoI ; de l’autre, elle entretient une relation privilégiée avec les Etats-Unis et elle est particulièrement bien placée pour satisfaire les conditions américaines d’une coopération approfondie. L’industrie britannique fait aussi le grand écart entre une participation à d’importantes co-entreprises européennes et une présence accrue sur le marché américain. Si Washington propose un arrangement concret exclusivement à Londres, celui-ci risque de troubler les tentatives de consolidation des liens industriels et politiques en Europe. La politique britannique sera donc déterminante pour le futur développement de la coopération euroaméricaine en matière d’armement. Qu’il s’agisse de la planification militaire, de l’harmonisation des besoins, de la coopération en R&D ou des questions réglementaires, l’absence d’une politique commune affaiblit la position des Européens et rend la coopération euro-américaine difficile. Et pourtant, comme Christophe Cornu le souligne, on est encore loin d’une Europe de l’armement. Les pays européens divergent toujours sur des questions aussi fondamentales que l’importance stratégique attribuée à l’industrie de défense, la politique d’exportation ou l’approche à adopter à l’égard des Etats-Unis. Concernant les organes de coopération, le bilan est également mitigé : les acteurs traditionnels comme le GAEO sont moribonds, l’OCCAR demeure pour l’instant plutôt un concept et la réussite de la LoI dépendra de la rapidité et de la rigueur de son application, y compris dans les domaines voisins comme la R&D et l’harmonisation des besoins. Néanmoins, l’armement est un élément trop important de la politique de défense pour qu’il ne soit pas inclus dans la PECSD. A terme, il faudra probablement même dépasser l’approche purement intergouvernementale qui caractérise aujourd’hui la coopération européenne en matière d’armement et de défense. Au moins pour certains aspects économiques, réglementaires et technologiques, il serait sans doute plus rationnel et efficace d’impliquer la Commission européenne. La communautarisation tout court de l’armement étant exclue, il faut réfléchir à des arrangements imaginatifs qui assurent à la fois efficacité, flexibilité et cohérence. Parce que la création d’une Europe de l’armement n’exclut nullement ni d’améliorer l’interopérabilité au sein de l’OTAN ni de resserrer les liens 132 Entre coopération et concurrence industriels à travers l’Atlantique, les inquiétudes américaines à l’égard d’une forteresse Europe sont infondées. L’objectif européen n’est pas une lutte de forteresses, mais un partenariat équilibré. Il faut cependant être deux pour faire la paire. Les auteurs Gordon Adams est directeur du Security Policy Studies Program de la Elliott School of International Affairs (université George Washington, Washington, DC). Il était auparavant directeur adjoint de l’International Institute for Strategic Studies et, pendant cinq ans, directeur associé pour la sécurité nationale et les affaires internationales de l’Office of Management and Budget de la Maison blanche. Christophe Cornu a été responsable pendant quatre ans de la communication et de la coopération européenne en matière d’armement au GICAT (Groupement des industries concernées par l’armement terrestre). Après avoir été conseiller « armement » à la délégation française auprès de l’UEO à Bruxelles pendant plus de trois ans, il est actuellement expert, chargé des relations avec l’OTAN au sein de la division politique du Secrétariat général de l’UEO. Il est, par ailleurs, l’auteur d’articles sur l’industrie de défense et de l’ouvrage, en collaboration avec Pierre Dussauge, « L’Industrie française de l’Armement – coopération, restructurations et intégration européenne ». Andrew D. James est chercheur et membre de la faculté de Manchester au Royaume-Uni. Il s’intéresse tout particulièrement à la stratégie et à la gestion technologique dans l’industrie de l’armement et il est l’auteur de différents rapports récents sur la consolidation de l’industrie américaine de l’armement et sur ses implications pour l’Europe. Il a été consultant dans ce domaine pour des projets de la Commission européenne, le FOA (service du gouvernement suédois s’occupant de recherche en matière de défense) et de l’Economic and Social Research Council britannique. Burkard Schmitt est actuellement chargé de recherche à l’Institut d’Etudes de Sécurité de l’UEO. Il a été auparavant chercheur indépendant et journaliste ; il a notamment écrit des articles sur la relation francoallemande et sur la dissuasion nucléaire. Il est l’auteur de l’ouvrage Frankreich und die Nuklear-debatte der Atlantischen Allianz 1956-1966. A l’Institut d’Etudes de Sécurité, il couvre les questions nucléaires, la coopération dans le domaine de la défense et il est responsable d’un groupe de réflexion sur l’industrie de l’armement. Sigles AEA AECA AGPM AGS AMRAAM ASRAAM ASTOR BITD CDNA CORPSAM CFIUS COCOM C3 C3ISR C4ISR DCI DoD DSB DTSI EAA EADS GEIP IEEPA IESD ITAR JSF MBD MEADS MIDS MRC MSOW MTW OCCAR ODTC Agence européenne de l’Armement Arms Export Control Act Autonomous Precision-Guided Munition Munition à guidage autonome de précision Air-to-ground surveillance Système de surveillance aéroporté de théâtre Advanced Medium Range Air-to-Air Missile missile air-air moyenne portée Advanced Short Range Air-to-Air Missile missile air-air courte portée Advanced Stand-Off Radar Base industrielle et technologique de Défense européenne Conférence des Directeurs Nationaux d’Armement US Marine Corps Committee on Foreign Investment in the United States Comité de coordination des contrôles multilatéraux d’exportation commandement, contrôle et communications commandement, conduite, communications, renseignement, surveillance et reconnaissance commandement, conduite, communications, informatique, renseignement, surveillance et reconnaissance Initiative sur les capacités de défense Département (américain) de la Défense Defense Science Board Defense Trade Security Initiative Export Administration Act European Aeronautic, Defense and Space Company Groupe européen indépendant de Programmes International Emergency Economic Powers Act Identité européenne de Sécurité et de Défense International Traffic in Arms Regulations Joint Strike Fighter Matra BAe Dynamics Medium Extended Air Defence System système de défense aérienne élargie à moyenne portée Multifunctional Information Distribution System système multifonction de diffusion de l’information Major Regional Contingencies Modular Stand-Off Weapon Arme modulaire tirée à distance de sécurité Major Theater Wars Organisation conjointe de coopération en matière d’armement Office of Defense Trade Controls 136 Entre coopération et concurrence OTAN PCRD PECSD PESC QDR RAM RDA R&D SSA TDC UE Organisation du Traité de l’Atlantique Nord Programme Commun de Recherche & Développement Politique européenne commune de sécurité et de défense Politique étrangère et de Sécurité commune Quadrennial Defense Review Révolution dans les affaires militaires République démocratique allemande Recherche et développement Special Security Arrangement Tarif douanier commun Union européenne Liste des annexes Annexe A US/UK Declaration of principles for defence equipment and industrial cooperation, 5 February 2000 Annexe B Déclaration conjointe du 9 décembre 1997 (Allemagne, France et Royaume-Uni) Annexe C Déclaration conjointe du 20 avril 1998 (Allemagne, Espagne, France, Italie et Royaume-Uni) Annexe D Extraits de la Lettre d’intention du 6 juillet 1998 (Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni et Suède) ANNEXE A DECLARATION OF PRINCIPLES FOR DEFENCE EQUIPMENT AND INDUSTRIAL COOPERATION The Department of Defense of the United States of America and The Ministry of Defence of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland Declaration of Principles for Defense Equipment and Industrial Cooperation The Governments of the United States of America and the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland have a longstanding cooperative relationship across a broad spectrum of defense activities, including strict enforcement of export policies for armaments and technologies; strong industrial security systems and compatible industrial security practices; close relationships in law enforcement and cooperation on industrial security matters and export control violations; and close relationships in intelligence sharing on matters of counterintelligence and industrial security, and countering economic espionage and export control violations. Moreover, the Department of Defense of the United States of America (U.S. DoD) and the Ministry of Defence of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland (U.K. MOD) desire to maximize value for money in defense equipment acquisition, based on the principle of competition. Our relationship is underpinned by the Memorandum of Understanding between the Department of Defense of the United States of America and the Secretary of State for Defence of the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland concerning Principles for Research, Development, Production and Procurement, dated December 13, 1994, and other bilateral arrangements and agreements. Our past efforts to improve the level of defense equipment cooperation and trade have not realized their full potential. Nonetheless, we believe that it is fundamental to our common interests to enhance the environment for mutual defense equipment and industrial cooperation. We therefore intend to improve significantly the cooperative framework that will facilitate both traditional and new types of collaboration by our defense companies and a more integrated and stronger industrial base. It is also our intention to take the necessary steps to ensure that U.K. industry doing business in the United States will be treated no less favorably than U.S. industry doing business in the United Kingdom . We believe that this initiative will provide an important and welcome opportunity to enhance our mutual interdependence in the defense equipment field. The U.S. DOD and U.K. MOD intend to apply the provisions of this Declaration and Annex to those matters within their respective areas of responsibility. They affirm the prerogatives of other agencies of their respective governments on certain matters related to this Declaration and Annex and note that in the case of the United States, the provisions of the Declaration and Annex do not apply to matters that are under the jurisdiction of other agencies of the government including the Department of State. They also note that within their respective governments there is ongoing work related to such matters to further the objective of cooperation between their governments, the outcome of which is not 140 Entre coopération et concurrence prejudiced by the provisions of this Declaration and Annex. They also affirm their desire to promote similar cooperation between each of them and other allies, both bilaterally and multilaterally. Therefore, the U.S. DOD and U.K. MOD have reached the understandings reflected in this Declaration of Principles and its Annex attached hereto. The principles established in this Declaration and in the Annex to this Declaration, which is an integral part of the Declaration, are not intended to be legally binding, nor to entail new fiscal obligations on the part of either the U.S. DoD or the U.K. MOD, but to point the way to arriving at future arrangements or agreements which may be legally binding. It is further understood that these future arrangements or agreements may entail amendments to national laws or regulations. Signed in duplicate at Munich, Federal Republic of Germany, on the 5th day of February 2000. William S. Cohen, Secretary of Defense, United States of America Geoffrey Hoon, Secretary of State for Defence, United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland Annex Purpose 1. The purpose of this Annex to the Declaration of Principles (Declaration) is to indicate the areas in which the U.S. DoD and the U.K. MOD ("the Participants") intend to find common solutions to the problems identified; to define the principles on which appropriate follow-on arrangements or agreements, or amendments to existing arrangements or agreements, will be based; and to establish a process and intended timescale for the negotiation of follow-on arrangements or agreements, or amendments to existing arrangements or agreements, to implement these principles. 2. This Declaration is intended to establish principles for future arrangements or agreements, or amendments to existing arrangements or agreements, which may cover the industrial, investment, and export sectors of defense in both countries. 3. The Participants have the firm intention to pursue the objectives of this Declaration and to adopt, where appropriate, specific arrangements or agreements, or amendments to existing arrangements or agreements between them, to underpin the effective application of the principles specified in this Declaration. Harmonization of Military Requirements and Acquisition Processes 1. The Participants will seek better means to harmonize the military requirements of their armed forces. To this end, and proceeding from identified capabilities of common interest, the Participants will identify areas in which better harmonization is considered possible. In doing so, they will seek to make use of existing fora, wherever practicable. 2. The Participants will identify projects at an early stage for cooperative research, development, production, and procurement. (See Research and Development, below.) 3. The Participants will examine the possibility of harmonizing the procedures applicable to Annexes 141 armaments acquisition, so as to remove impediments to effective cooperation. Meeting National Defense Requirements 1. Each Participant will require assurance that the other Participant will facilitate the supply of certain specified defense articles and defense services necessary to discharge their national security and foreign policy commitments. The Participants acknowledge that this assurance of supply is as important for industry as it is for governments, if industry is to adapt to the process of globalization. 2. The Participants recognize the potential for a degree of interdependence of supplies needed for national security. In order to achieve acceptance of this concept, the Participants will explore solutions for achieving assurance of supply for both Participants. These solutions may include obtaining assurances, some of which may be legally binding, relating to the supply of defense articles and defense services, including technical data, agreed upon by the Participants. 3. To further enhance this assurance, and with due consideration for the right of each Participant’s government to control the disclosure and use of technical information, arrangements will be considered to enable the other Participant to reconstitute, in exceptional circumstances to be defined, an indigenous supply of a particular defense article or defense service. Export Procedures 1. The Participants confirm their desire to maintain a strong defense industrial capability as part of their industrial bases and the ability to export defense articles and defense services. Consistent with the intent of this Declaration, they will explore possible approaches to achieving greater transparency and efficiency in their national procedures for exports of defense articles and defense services. 2. The Participants will explore means of simplifying the procedures for export of defense articles and defense services between themselves for their own use. 3. The Participants desire to see an improvement in the efficiency of the procedures for exports of jointly produced military goods to third parties. They will therefore examine the scope for establishing a procedure based on mutually agreed lists of acceptable export destinations for jointly developed and produced military goods and technologies on a project by project basis. These lists would be updated on a continuing basis. 4. The Participants will seek to ensure that their national laws and regulations for defense exports to third parties are implemented in a spirit of cooperation and with maximum efficiency. They will reinforce their cooperation and promote convergence in the field of conventional arms exports. They will pursue necessary measures to harmonize their conventional arms export policies as far as possible and examine means of establishing common standards of implementation. 5. The Participants will establish a high-level council on export control and coordination measures, with a view towards accomplishing the preceding measures. 6. Pending agreements reached pursuant to paragraph 5, above, re-transfers by a Participant of defense articles and services, including technical information, originating in the territory of the other Participant will be made in accordance with existing agreements, arrangements, contracts and procedures between the Participants. 142 Entre coopération et concurrence Security 1. The Participants recognize the need to ensure that adequate and appropriate security provisions for the protection of classified information are in force in any relevant U.S. or U.K. company, regardless of any multinational aspects of a company’s ownership or management structure. The Participants will endeavor to avoid placing unnecessary restrictions on the movement of staff, information, or material between the Participants or their industry. 2. The Participants will examine means to expedite the transmission of classified information between themselves or between their industries while maintaining the requisite degree of security protection. 3. In doing so, consistent with the General Security Agreement of 1961 between the Governments of the United States of America and the United Kingdom of Great Britain and Northern Ireland, the Participants will ensure that no classified information is passed to companies or persons not suitably cleared or needing to receive it; that no classified information originated by one Participant is passed to a third country national without the consent of the originating Participant; and no information carrying national caveats is passed to foreign nationals. 4. Consistent with the preceding paragraphs, the Participants will use their best efforts, both individually and working together, to lessen the administrative burdens placed on their industry in the establishment and oversight of industrial security measures. 5. The Participants intend to develop procedures to streamline the process for approving visits to government or contractor facilities by employees of the government or contractors of the other Participant that may involve access to classified information. 6. The Participants will jointly address security vulnerabilities posed by new technologies. 7. The Participants will endeavor to harmonize and streamline their security regulations. Ownership and Corporate Governance 1. The Participants believe that the ownership of defense companies sited in the United States and the United Kingdom is a matter for the companies to determine, subject to the application of the relevant national merger control, anti-trust and other relevant laws. They wish to encourage the freest possible cross-border investment in defense-related industry. 2. While considering the implications for national security of any proposed international merger or acquisition, the Participants will not place unreasonable or unnecessary security restrictions on corporate governance. 3. The Participants will seek to establish arrangements or agreements whereby, on a reciprocal basis, each Participant will apply substantially the same standards in the granting of facility security clearances to companies that are organized and incorporated within its territory but are owned or controlled by entities within the territory of the other Participant, considering, among other factors, any connection with entities owned, controlled, or influenced by entities of any third country. These arrangements or agreements will include measures to address issues of corporate governance as well as security of information held by companies and compliance with national export control regimes. Research and Development 1. The Participants recognize that technology, research and development are indispensable for maintaining an effective defense industrial base and therefore recognize the need to use the limited resources available for defense-related research and development in an efficient Annexes 143 and effective manner. 2. In the context of this Declaration, the Participants intend to establish arrangements or agreements and make use of existing fora to: (a) harmonize research and development programs and exchange information about national research activities where there are common interests with a view towards setting common objectives for research and development, avoiding unnecessary duplication of effort or major gaps in technology and technical capability, and making the most effective use of dual-use and commercial off-the-shelf (COTS) technology; (b) increase cooperation in programs that follow-on from research activity, in particular by undertaking technological developments with each other; and (c) ensure the adequate funding, and efficient cost sharing, of cooperative research and development. Technical Information 1. The Participants confirm their desire to maximize the flow of technologies and technical information between themselves and between their defense-related industries. Accordingly, they will explore methods that could facilitate the flow of technologies and technical information between them and between their defense-related industries, while ensuring that the further flow of these technologies and technical information is strictly regulated by the governments. (See Export Procedures, above.) 2. These methods could include, where appropriate, the removal of unnecessary controls on the flow of technology and technical information, different ways to authorize the flow of technology, and different ways to optimize the exploitation for defense of technology investments. 3. The Participants will seek the establishment of arrangements relating to the disclosure, transfer, and use of technical information which will facilitate the efficient operation of U.S. and U.K. defense companies, consistent with proper safeguards. The Participants recognize that technical information received from the other Participant shall not be further disclosed without the authority of the owner and, in the case of classified or export controlled unclassified information, without the authority of that Participant under whose authority the information was created. 4. The Participants will encourage the harmonization of their laws, regulations, and procedures for controlling disclosure and use of technical information in the field of defense. Promoting Defense Trade 1. The Participants will, on a reciprocal basis, endeavor to diminish legislative and regulatory impediments to optimizing market competition. 2. The Participants will endeavor to revise their acquisition practices to remove impediments to efficient global market operations and to support reciprocity of international market access for each other’s companies. 3. The Participants will give full consideration to all qualified sources in each other’s country in accordance with the policies and criteria of the purchasing government. 4. Each Participant will explore means to eliminate laws, regulations, practices and policies that require or favor national industrial participation in its defense acquisitions. 144 Entre coopération et concurrence Timetable 1. Policy-level discussions concerning the principles underlying this Declaration and its Annex and the intended U.S.-U.K. cooperation and collaboration in facilitating the restructuring of their defense industry will be carried out by appropriate national authorities. 2. Working-level discussions will be held by working groups of subject matter experts, which may include representatives from other government agencies. These working groups may consult with the Participants’ defense industries, as appropriate. 3. It is the intent of the Participants that the agreements and arrangements, or amendments to existing agreements or arrangements, envisioned by this Declaration and its Annex be put in place as expeditiously as possible. Accordingly, they will endeavor to develop such agreements and arrangements so that they can be presented to the Secretary of Defense and the Secretary of State for Defence within one year after signature of this Declaration and its Annex. In addition, they will make periodic reports to the Secretary of Defense and the Secretary of State for Defence on the progress that is being made on achieving the goals of this Declaration and its Annex. ANNEXE B DECLARATION CONJOINTE DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE ET DU PREMIER MINISTRE FRANÇAIS, DU CHANCELIER DE LA REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE ET DU PREMIER MINISTRE DU ROYAUME-UNI La France, l’Allemagne et le Royaume-Uni partagent un intérêt politique et économique essentiel à ce que l’Europe dispose d’une industrie aérospatiale et d’électronique de défense efficace et compétitive. Ceci permettra à l’Europe d’améliorer sa position commerciale dans le monde, de renforcer sa sécurité et de garantir qu’elle joue pleinement son rôle dans sa propre défense. Nous sommes convenus de la nécessité urgente d’une réorganisation des industries aérospatiale et d’électronique de défense. Ce processus devrait inclure, dans le secteur aérospatial, les activités tant civiles que militaires, et aboutir à une intégration européenne fondée sur un partenariat équilibré. En ce qui concerne le domaine aérospatial et des industries de défense connexes, nous nous félicitons du fait que plusieurs entreprises européennes, parmi lesquelles Daimler Benz Aerospace, Aérospatiale et British Aerospace, aient déjà manifesté leur intention de regrouper leurs activités. Nous leur demandons de présenter pour le 31 mars 1998 un projet clair et un échéancier détaillé en vue de cette réorganisation et de cette intégration. Les premières étapes de ce processus d’intégration européenne civile et militaire devraient comprendre des progrès rapides dans la transformation d’Airbus en une société intégrée, dans le sens préconisé par les quatre Présidents d’Airbus le 13 janvier 1997. Il revient en premier lieu à l'industrie de définir la structure requise. Afin de faciliter une telle réorganisation, nous nous engageons pour notre part à mettre en oeuvre les mesures nécessaires en matière de politiques nationales. Nous serions heureux de voir participer, selon des modalités appropriées et au fur et à mesure que le processus se déroule, d'autres entreprises et d'autres nations européennes, et notamment celles qui sont déjà engagées dans des projets en collaboration. Cette initiative constitue un exemple concret de coopération entre partenaires européens, que nous soutiendrons activement. Le 9 décembre 1997 ANNEXE C DECLARATION CONJOINTE DU 20 AVRIL 1998 Le Ministre Fédéral de la Défense de la République Fédérale d’Allemagne, le Ministre de la Défense du Royaume d’Espagne, le Ministre de la Défense de la République française, le Ministre de la Défense de la République d’Italie et le Secrétaire d’Etat à la Défense du Royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord se sont réunis le 20 avril 1998 afin de débattre de leurs intérêts communs dans les domaines de la défense et de la restructuration des industries de défense. Les Ministres estiment qu’une industrie de défense forte compétitive et efficace constitue un élément clé de la sécurité et de l’identité de l’Europe, et de la base scientifique et technologique européenne. Un certain nombre de conditions doivent être remplies si l’on veut tirer le maximum d’avantages de cette restructuration. Il faut procéder à l’harmonisation des besoins des forces armées, afin de rechercher, là où c’est possible, des solutions communes, et d’éviter des développements et des fabrications qui fassent inutilement double emploi. Dans ce contexte, il faudrait qu’il y ait consultation avant que les décisions ne soient prises. Il convient de rechercher une harmonisation des aspects « défense » des politiques d’acquisition – qui comporteraient des règles à respecter en matière de concurrence et de recherche et développement – et des procédures d’exportation. La participation à l’industrie européenne d’armements devrait être équilibrée et devrait refléter le principe de l’interdépendance. Les Ministres ont rappelé la Déclaration signée par les Chefs d’Etat et de Gouvernement de la République Fédérale d’Allemagne, de la République française et du Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord le 9 décembre 1997, soutenue par les Chefs de Gouvernement du Royaume d’Espagne et de la République d’Italie, dont le but est d’aider à la restructuration de l’industrie européenne aérospatiale et de l’électronique de défense. Ils ont pris note des progrès considérables en cours en matière de rationalisation des industries de défense dans leurs pays et au sein des différentes enceintes européennes qu’ils animent, ainsi que de leur volonté de voir se développer une industrie européenne forte, compétitive et efficace. Ils ont reconnu qu’il appartenait principalement à l’industrie de créer une base industrielle de défense européenne rationalisée et ont salué le récent rapport sur les restructurations industrielles du domaine aérospatial et les industries de défense connexes. Ils ont encouragé les industries de défense, dans leurs pays, à se concentrer sur les objectifs et les moyens des restructurations et à maintenir cet élan. Les Ministres sont convenus, afin de tirer pleinement profit des restructurations européennes au niveau européen, de donner la priorité à la recherche d’une harmonisation des besoins de leurs forces armées, de leurs politiques d’acquisitions, de recherche et de développement technologique ainsi que des aspects « défense » de leurs procédures Annexes 147 d’exportation. Afin d’atteindre ces objectifs, ils accordent une haute priorité à l’élimination de certains obstacles aux restructurations industrielles, relevant principalement de la compétence des Ministres de la Défense, dans les domaines suivants : - sécurité d’approvisionnement ; - procédures d’exportation ; - financement de la recherche et technologie ; - sécurité de l’information et habilitation des personnels ; - droit de propriété intellectuelle. Les Ministres ont décidé d’approuver en juin 1998 une lettre d’intention fixant les objectifs et principes qu’ils retiennent pour ce faire et décrivant l’organisation et le calendrier des travaux correspondants. ANNEXE D LETTRE D’INTENTION entre LE MINISTRE FEDERAL DE LA DEFENSE DE LA REPUBLIQUE FEDERALE D’ALLEMAGNE, LE MINISTRE DE LA DEFENSE DU ROYAUME D’ESPAGNE, LE MINISTRE DE LA DEFENSE DE LA REPUBLIQUE FRANÇAISE, LE MINISTRE DE LA DEFENSE DE LA REPUBLIQUE ITALIENNE, LE SECRÉTAIRE D’ETAT À LA DÉFENSE DU ROYAUME-UNI DE GRANDE-BRETAGNE ET D’IRLANDE DU NORD et LE MINISTRE POUR LA DÉFENSE DU ROYAUME DE SUÈDE concernant LES MESURES DESTINEES A FACILITER LES RESTRUCTURATIONS DE L’INDUSTRIE EUROPEENNE DE DEFENSE [Extraits] SECTION 1. OBJECTIFS ET PRINCIPES Généralités 1.1 Les parties souhaitent définir un cadre de coopération pour faciliter la restructuration de l’industrie européenne de défense. 1.2 L’objectif de la présente Lettre d’intention est : 1.2.1 d’indiquer les domaines pour lesquels les Parties ont l’intention de trouver des solutions communes aux problèmes identifiés ; 1.2.2 à cette fin, de définir les principes, l’organisation et les responsabilités, afin de négocier les attangements et accords contraignants appropriés faisant suite à la présente lettre d’intention, qui pourraient entraîner l’adaptation des réglementations nationales en tant que de besoin. Sécurité d’Approvisionnement 1.3 Les Parties ont besoin de s’assurer que la restructuration de l’industrie européenne de défense ne constituera pas une entrave à leur approvisionnement en Biens et Services de Défense nécessaires à la tenue de leurs engagements militaires. Par ailleurs, l’industrie souhaitera également être assurée que les approvisionnements seront maintenus après la mise en œuvre d’une rationalisation transnationale. 1.4 En conséquence, les Parties accepteront une mutuelle dépendance et la possibilité d’abandons de capacités industrielles. A cette fin, elles examineront les solutions permettant d’obtenir une Sécurité d’Approvisionnement dans les mêmes conditions pour chacune des Parties. Cela comprendra l’obtention d’engagements, pour certains juridiquement contraignants, de chacune des Parties impliquées lors de la constitution d’une Société Transnationale dans le domaine de la Défense (STD), ou lors d’un abandon concerté d’activités d’une société située sur le territoire d’une Partie au profit d’une société située sur le territoire d’une ou plusieurs autres Parties. Annexes 149 1.5 Ces engagements devront prévoir que les Parties sur les territoires desquelles se trouve la STD ou la société au profit de laquelle ont été abandonnées certaines activités d’une société située sur le territoire d’une autre Partie, s’engagent vis-à-vis des autres Parties inpliquées : 1.5.1 à ne pas entraver leurs livraisons en temps de paix, de crise et de guerre. A cette fin, les procédures de contrôle des transferts d’armements entre les Parties devraient être simplifiées, en aspirant à leur réduction progressive et à leur suppression en tant que de besoin le moment venu. 1.5.2 à garantir que la prise de contrôle totale ou partielle d’une Société de défense située sur leur territoire par une entité légale située en dehors du territoire des Parties n’entravera pas la Sécurité d’Approvisionnement, ni ne lésera aucun intérêt légitime de sécurité nationale, des autres Parties ; 1.5.3 à se coordonner avec elles sur les activités, biens et installations stratégiques de la STD ; 1.5.4 à prendre au cas par cas des mesures conservatoires permettant le transfert d’activités de la STD jugées stratégiques vers au moins l’une des autres Parties. Procédures d’exportations 1.6 La restructuration de l’industrie européenne de défense ne devrait pas entraver la capacité des Parties à exporter des Biens et Services de Défense. 1.7 Les Parties confirment leur souhait de maintenir une industrie de défense comme partie intégrante de leur base industrielle, ainsi que leur capacité d’exportation de Biens et Services de Défense. Compte tenu du caractère très sensible des exportations de défense, elles se référeront au Code de Conduite de l’Union européenne sur les exportations d’armements agréé dans le cadre de la PESC de manière à rechercher une plus grande transparence et une plus grande efficacité dans les procédures d’exportation des Biens et Services de Défense. 1.8 Les Parties renforceront leur coopération et promouvront leur convergence en matière d’exportation d’armes conventionnelles. Elles prendront les mesures nécessaires au développement de règles communes d’exportation de défense, incluant une harmonisation de leurs politiques de contrôle (procédures, listes et niveaux d’autorisation) et examineront la possibilité d’établir une procédure standard. 1.9 Elles rechercheront des moyens de simplifier la circulation des Biens et Services de Défense entre elles, sauf exceptions limitées, pour leurs besoins propres ou pour toute réexportation ultérieure au sein de l’Union européenne, en aspirant à une réduction progressive et le moment venu à une suppression en tant que de besoin des procédures de contrôle pour les transferts entre elles. 1.10 Elles appliqueront, pour les exportations de défense vers des pays tiers, leurs lois et réglementations nationales en vigueur dans un esprit de coopération et d’une manière plus efficace. 1.11 En outre, elles traiteront de la question de la reconnaissance de la responsabilité politique du dernier exportateur, en intégrant le besoin d’une consultation préalable avec les Parties impliquées, dans le Code de Conduite de l’Union européenne sur les exportations d’armements. 150 Entre coopération et concurrence Sécurité de l’information 1.12 Les Parties reconnaissent qu’il est nécessaire de s’assurer que des mesures de sécurité appropriées en vue de la protection des informations classifiées sont en vigueur au sein d’une STD, sans imposer des restrictions inutiles à la circulation du personnel, des informations et des matériels. 1.13 Les Parties statueront sur l’ensemble minimal de mesures nécessaires à la protection des informations classifées. Les dispositions relatives à la sécurité nationale pour chaque STD seront stipulées dans un protocole de sécurité entre les Autorités de Sécurité compétentes désignées et la STD. En outre, les Parties étudieront les méthodes visant à permettre que : 1.13.1 des informations classifiées, détenues par une STD, soient échangées entre des employés dûment habilités de différentes nationalités en fonction de leur besoin d’en connaître ; 1.13.2 les habilitations du personnel national pour une STD soient promptement délivrées et acceptées par l’autre Partie ; 1.13.3 les procédures de visites internationales soient rendues plus efficaces. A cette fin, les Parties examineront les possibilités d’harmonisation et d’allègemment de leurs réglementations. Recherche et Technologie (R&T) 1.14 Les Parties sont conscientes du caractère indispensable de la R&T pour maintenir une industrie européenne de défense efficace, et par conséquent de la nécessité d’utiliser de manière effective et efficace la quantité limitée de ressources consacrées à la R&T liées à la défense. 1.15 Les Parties reconnaissent le travail entrepris dans d’autres forums européens en matière de R&T. Les Parties, dans le contexte de la présente lettre d’intention, ont l’intention de prendre des dispositions et d’exploiter les travaux des forums existants, selon le cas, pour : 1.15.1 harmoniser les programmes de recherche et développement et s’informer mutuellement des travaux de recherche nationaux, en vue de fixer des objectifs communs à leurs programmes de R&T et d’éviter les redondances inutiles dans les efforts qu’elles déploient, ainsi que des lacunes majeures de technologie et de compétences techniques, et de maximiser l’emploi des technologies duales ; 1.15.2 rechercher l’amorce de coopérations, en aval des activités de recherche, notamment en menant des développements technologiques en partenariat entre eux; 1.15.3 veiller à un financement adéquat et à une répartition efficace des financements de R&T par les Parties impliquées et permettre aux Parties un accès aux résultats à des conditions justes et raisonnables. Traitement des Informations Techniques 1.16 Les Parties s’accordent sur le fait que les restrictions actuellement imposées à la communication et à l’utilisation des Informations Techniques risquent de faire obstacle à un fonctionnement efficace d’une STD. Ce faisant, les Parties reconnaissent que les Informations Techniques ne peuvent pas être communiquées par les Parties sans l’autorisation du propriétaire. Annexes 151 1.17 Dans le but de faciliter les restructurations de l’industrie européenne de défense, les Parties envisageront en conséquence des dispositions qui refléteront les principes et objectifs suivants : 1.17.1 la propriété des informations Techniques reviendra, en règle générale, à leur générateur ; 1.17.2 sous réserve qu’elle ait le droit d’autoriser la communication et l’utilisation d’une Information Technique, une Partie envisagera favorablement la communication et l’utilisation de cette Information Technique, en tenant compte des éventuelles contraintes légales relatives à la protection de cette information Technique ; 1.17.3 sous réserve des droits des tiers, les Parties faciliteront le transfert de toute Information Technique pertinente ; 1.17.4 les droits préexistants des Parties relatifs aux Informations Techniques détenues par les Sociétés Transnationales dans le domaine de la Défense seront préservés de manière adéquate ; 1.17.5 des dispositions seront examinées afin de permettre à une Partie de reconstituer, dans des circonstances exceptionnelles à définir, une capacité propre d’approvisionnement d’un Bien ou d’un Service de Défense, afin de garantir plus avant sa Sécurité d’Approvisionnement. 1.18 Les Parties encourageront l’harmonisation de leurs législations, réglementations et procédures visant à contrôler la communication et l’utilisation d’Informations Techniques dans le domaine de la défense. Harmonisation des besoins opérationnels 1.19 Les Parties ont l’intention de mener une analyse de leurs capacités militaires adaptées au spectre de missions de leurs forces armées qui tienne compte des différentes caractéristiques de ces missions. Les Parties se fonderont sur cette analyse pour rechercher une harmonisation des besoins opérationnels de leurs forces armées. 1.19.1 Les futures capacités des forces doivent refléter les défis posés par les opérations potentielles (y compris les opérations de maintien et de soutien de la paix), par l’interopérabilité et par les développements de la technologie. Les Parties devraient dériver des capacités identifiées comme d’intérêt commun des domaines pour lesquels une harmonisation est jugée possible. 1.19.2 Les Parties identifieront aussi des projets à un stade peu avancé susceptibles de faire l’objet de recherche, développement et acquisition en coopération. 1.19.3 Les Parties examineront également les possibilités d’harmoniser leurs procédures de base applicables à leurs programmes d’armement (cycle d’acquisition des matériels de défense). Cadre juridique 1.20 Les Parties ont la ferme intention de poursuivre les objectifs de cette lettre d’intention et d’adopter en tant que de besoin des arrangements et des accords contraignants spécifiques, selon le calendrier fixé au 2.5, afin de garantir l’application effective des principes définis dans la présente lettre d’intention. 1.21 Les Parties reconnaissent que la présente lettre d’intention : 1.21.1 ne constitue pas un engagement juridiquement contraignant entre elles en vertu du droit international ou national ; et 1.21.2 ne comporte aucun engagement financier en leur nom. 152 Entre coopération et concurrence SECTION 2. ORGANISATION ET CALENDRIER Comité Exécutif 2.1 La seule organisation permanente envisagée est le Comité Exécutif. Le Comité Exécutif sera composé d’un représentant de haut niveau de chaque Partie, lequel peut se faire représenter et être assisté des experts supplémentaires dont il a besoin. Chaque membre devrait agir comme point focal dans son pays pour les besoins de la présente lettre d’intention. Les Parties ont l’intention de confier au Comité Exécutif les responsabilités suivantes : 2.1.1 coordination de la rédaction des arrangements et accords contraignants faisant suite à la présente lettre d’intention ; 2.1.2 contrôle de l’efficacité de la mise en œuvre de tout instrument international établi suite à cette lettre d’intention ; 2.1.3 établissement en fonction des besoins, des Groupes de Travail pour mener à bien les tâches découlant de la présente lettre d’intention ; 2.1.4 coordination, revue et évaluation des travaux des Groupes de Travail ; 2.1.5 préparation de rapports périodiques aux Parties, en tant que de besoin. 2.2 Le Comité Exécutif prendra ses décisions à l’unanimité de ses membres. Lorsqu’aucun consensus ne pourra être atteint, la question en suspens sera soumise aux Parties pour être résolue. Exceptionnellement, le Comité Exécutif peut décider par avance à l’unanimité que certaines décisions spécifiques peuvent ne pas nécessiter un accord unanime de ses membres. Groupes de Travail 2.3 Les Groupes de Travail, une fois établis, seront responsables de la fourniture d’avis sur les lignes d’actions à conduire par le Comité Exécutif, ou de l’exécution de tâches spécifiques au profit de ce dernier. Ses membres, qui peuvent comprendre des représentants des industries de chacune des Parties nommés par l’industrie, seront désignés par le Comité Exécutif. Le Comité Exécutif définira le mandat de chaque Groupe de Travail. Relations avec d’autres organisations 2.4 Le Comité Exécutif, et ses Groupes de Travail, tiendront dûment compte de tous les travaux similaires conduits dans d’autres forums, afin d’éviter des évaluations différentes sur des problèmes identiques et d’établir, lorsque c’est possible, une position commune et cohérente. Ceci s’appliquera en particulier aux travaux similaires entrepris par les Ministres de l’Industrie. Calendrier de travail 2.5 Le travail sera programmé comme suit : de juillet 1998 à juin 1999 - Le Comité Exécutif et les Groupes de Travail se réuniront afin de négocier les arrangements et accords contraignants faisant suite à la présente lettre d’intention ; de juillet à décembre 1999 - Finalisation et signature de ces arrangements et accords contraignants. 2.6 Chaque arrangement et accord contraignant décrira, en tant que de besoin, le calendrier de sa transposition dans les législations et réglementations nationales.