Perception et Réalisation du /R/ standard français en finale de mot.

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Perception et Réalisation du /R/ standard français en finale de mot.
Perception et Réalisation du /R/ standard français en
finale de mot.
Cedric Gendrot 1
(1) LPP, ILPGA, 19 rue des bernardins, 75005 Paris.
[email protected]
RESUME____________________________________________________________________________________________________________
La variabilité du /R/ en français (comme dans d'autres langues) est reconnue dans la
littérature, et ses différentes réalisations sont souvent considérées comme des variantes
libres.
Dans cette étude, afin de mieux appréhender la variabilité du /R/, nous nous
concentrons sur le /R/ final de mot, et nous avons choisi de l'étudier à l'aide d'une
approche en 2 étapes : (1) au moyen d'un test de perception. Dans un premier temps des
séquences de 2 mots séparées par la présence du /R/ (par exemple "par les" / "pas les")
ont été sélectionnées afin de constituer un continuum entre un /R/ pleinement réalisé et
un /R/ élidé. Ces items ont été soumis à 23 auditeurs pour un test d'identification afin de
relever les paramètres pertinents à la perception du /R/ et ainsi proposer une mesure de
rhoticité.
(2) Cette mesure de rhoticité, une fois utilisée sur de grands corpus de parole continue
(spontanée et journalistique) nous permet d'appréhender la variabilité du /R/ d'après des
prédicteurs tels que la fréquence de digrammes, le débit, le contexte phonémique, et la
position prosodique.
ABSTRACT _________________________________________________________________________________________________________
Variability of (French) /R/ is a frequently studied phenomenon showing that /R/ can
have multiple realizations. In French, all these studies were undertaken using small read
corpora and we have reason to believe that these corpora don't allow to look at the full
picture. Indeed factors such as local diphone and digram frequency, as well as speech
rate can have almost as much influence as phonemic context in the realization of /R/
According to Ohala's AFP's principle, /R/ would tend to be either an unvoiced fricative
or a voiced approximant. We chose to analyze word final /R/s as they tend to embrace
the largest spectrum of variation. The study realized here is two-fold: a perception study
in a specific phonemic context, between /a/ and /l/, where /R/ is realized as an
approximant, so as to better understand the parameters and their thresholds necessary
for /R/ identification, and provide a measure of rhoticity.
In a second step, keeping the rhoticity measurement in mind, we analyzed the
realizations of word final /R/s in two continuous speech corpora (journalistic and
spontaneous) and modelized the realization of /R/ using predictors such as diphone and
digram frequency, phonemic context and speech rate.
MOTS-CLES : /R/, phonétique, production, perception, prédicteurs, grands corpus.
KEYWORDS: /R/, phonetics, production, perception, predictors, large corpora.
1
1.1
Introduction
Acoustique du /R/
Cette étude est un travail préliminaire au sein de l'ANR REPER visant à comprendre la
variabilité du /R/ français standard dans une approche didactique pour les apprenants
de Français Langue Etrangère.
Walter (1988), Chafcouloff (1980,1983), Fougeron (2007), Meunier (1994) pour le
français ont évoqué la variabilité du /R/ qui peut être réalisé de voisé ([ʁ̬]) à dévoisé
([ʁ̥]), fricatif ([ʁ̝]), ou approximant ([ʁ̞]). De nombreuses études ont également
mentionné la variabilité du /R/ pour d'autres langues (Maddieson, 1984 et références
incluses, Mielke et al. 2010, Lawson et al. 2008), avec une tendance notable à se
dérhoticiser. D'un point de vue phonologique, le /R/ pourrait être à la fois considéré
comme une fricative ou comme une approximante et les évolutions mentionnées dans les
travaux ci-dessus tendent à le faire basculer dans l'une ou l'autre de ces catégories. De
même, la spécification de son voisement pourrait être reconsidérée.
Le /R/ final de mot, qu'il soit ou non suivi d'une pause, semble particulièrement sujet à
variation, d'autant qu'il peut également être élidé. Nous considérons ici que la variabilité
du /R/ français évoquée dans la littérature n'est pas parfaitement appréhendée, du fait
qu'elle est analysée principalement dans des corpus lus et parfois basée sur des
jugements impressionnistes. Nous prônons dans cette étude l'utilisation d'un test de
perception ainsi qu'un recours à une analyse sur grands corpus afin de mieux
comprendre la variabilité du /R/ en français. L'utilisation de corpus de parole continue
peut avoir deux conséquences importantes : (1) observer une variabilité plus importante
que pour de la parole lue (2) mais également de meilleures possibilités de comprendre
les modulations de ce phonème, par des critères plus variés et de plus haut niveau que
ceux fréquemment mentionnés dans les études précédentes. Au delà de critères tels que
le contexte phonémique et la position dans le mot, nous pensons que des prédicteurs tels
que le débit local, la fréquence (lexicale et/ou de digrammes), ou la position dans la
phrase prosodique sont importants.
1.2
Perception du /R/
Les critères d'identification du /R/ restent flous, notamment si l'on prend en compte sa
variabilité. Existe-t-il des critères qui restent stables quelque soit la réalisation du /R/ ?
Nous pensons qu'il est nécessaire de réaliser un test perceptif qui permettra de mettre en
parallèle l'identification du /R/ et des mesures acoustiques. On trouve peu d'études sur la
perception du /R/, particulièrement en français. Une des sources de difficultés de mettre
en place un test de perception sur le /R/ est qu'il est particulièrement difficile de le
réaliser par la synthèse de Klatt. Il apparait hasardeux de contrôler tous les paramètres
afin de réaliser un continuum tel que pour la recherche de prototype ou la perception
catégorielle. L'utilisation de grands corpus permet de contourner en partie, bien
qu'imparfaitement, ce problème en permettant de relever un nombre important
d'occurrences diversifiées et de constituer soi-même ce continuum par une sélection
appropriée des items. Les détails de cette sélection seront évoqués dans la partie
consacrée (2.1.)
1.3
Physiologie du /R/
La variabilité du /R/ pourrait être due à sa réalisation physiologique. En s'inspirant du
principe de contrainte aérodynamique de voisement (Ohala, 2013), le statut
approximant ou fricatif du /R/ impliquera in fine une dichotomie entre fricative sourde
et approximante voisée. Notamment parce que le /R/ est un phonème postérieur
(uvulaire) et que la taille de la cavité postérieure est alors très réduite, la pression orale
peut arriver rapidement à hauteur de la pression sous-glottique et ainsi "éteindre" le
voisement. Le /R/ pourrait ainsi être réalisé comme une fricative sourde ou comme une
approximante voisée selon le degré de constriction. C'est ce qui selon nous explique la
forte variabilité du /R/, le paramètre de stricture va influencer non seulement le
continuum approximante/fricative, mais également le trait de voisement, ces 2
dimensions étant corrélées.
2
2.1
Méthode d'investigation
Test d'identification du /R/
Le but de cette expérience est de fournir des digrammes naturels distingués par la
présence du /R/ (de type "par les" versus "pas les") à des auditeurs pour qu'ils les
identifient. Trois types de séquences de digrammes ont été choisis pour leur fréquence
d'usage dans les corpus : "par les" versus "pas les", "par la" vs. "pas la", "par le" vs. "pas le".
Il était difficile d'envisager de présenter des monogrammes de par leur courte durée.
Quatre locuteurs ont été choisis - au sein des 2 corpus présentés ci-dessous - sur la base
du plus grand nombre d'occurrences obtenues et de leur variété. Les digrammes avec une
pause entre les deux mots n'ont pas été retenus.
Trois hommes et une femme ont été sélectionnés : trois locuteurs (2 hommes, 1 femme)
sur le corpus de parole journalistique et le locuteur masculin restant sur le corpus de
parole spontanée. Un minimum de trois occurrences (et jusqu'à cinq quand cela était
possible) par locuteur et par type de digramme a été retenu avec une occurrence où le
/R/ est absent de façon sous-jacente ("pas"), une occurrence où le /R/ est réalisé hyperarticulé ([ʁ]) et une occurrence où le /R/ est jugé réduit ([ʁ̞]) par 3 experts phonéticiens
(dont l'auteur). Quand cela était possible, une occurrence où le /R/ a été jugé élidé par
les mêmes experts et une autre occurrence où le /R/ est réduit ont été ajoutées. La
sélection des items s'est faite en choisissant des items au débit et à la f0 comparables. Au
total, 43 items ont été sélectionnés.
Le test s'est déroulé sur ordinateur auprès de 23 étudiants de sciences du Langage de
1ère à 3ème année. Un script PRAAT a été écrit pour présenter les différents stimuli aux
sujets selon la procédure suivante. Cinq répétitions par item ont été proposées dans ce
test, dans un ordre semi-aléatoire afin d'éviter les doublons, et varié pour chaque sujet.
L'expérience s'est déroulée en trois parties distinctes ("par les", "par la" et "par le"). Après
avoir choisi entre les deux propositions en cliquant sur la case appropriée ("pas les" ou
"par les", "pas la" ou "par la" et "pas le" ou "par le"), les sujets devaient indiquer sur une
échelle de 1 à 5 le degré de certitude avec lequel ils avaient répondu, 5 étant la certitude
maximale. Chaque stimulus était précédé d'un bip et aucune autre écoute n'était possible
pour le sujet. Une phase d'entrainement avec des items nouveaux permettait aux sujets
de se familiariser à la tâche demandée.
FIGURE 1 – Capture d'écran du test d'identification
2.2
Corpus et mesures
Deux types de corpus sont utilisés pour cette étude : le corpus ESTER (Galliano et al.
2005), un corpus de parole journalistique considéré comme de la parole préparée plutôt
que lue, avec quelques séquences de parole libre ; et le corpus NCCF (Nijmegen Corpus of
Casual French), détaillé dans Torreira et al. (2010) et qui s'approche plus de la parole
spontanée. Dans les 2 cas, la segmentation et transcription orthographique a été dans un
premier temps effectuée par des auditeurs humains et l’alignement en phonèmes et en
mots a été réalisée automatiquement par le système d’alignement automatique du LIMSI
(Gauvain et al. 2002).
La segmentation du /R/ est actuellement en cours de correction manuelle, elle n'a été
effectuée que sur 11 heures du corpus de parole journalistique et 7 heures de parole
spontanée. Cette correction de segmentation montre que si les frontières de début et de
fin de /R/ sont souvent trop longues (environ 15ms au total), la position centrale du /R/
reste bonne, et la position des frontières précédant et suivant le phonème sont également
bonnes. L'élision du /R/ est rarement prévue par les systèmes de reconnaissance
automatique et la présence du /R/ est ainsi parfois corrigée par les correcteurs. La prise
de décision reste cependant difficile puisque des "traces" acoustiques permettent
d'identifier auditivement la présence du /R/ sans pour autant être capable de le localiser.
Lorsque /R/ est réalisé comme une fricative sourde, l'information spectrale contenue
dans le phonème ne pose pas de problème pour sa détection et sa segmentation. Par
contre, lorsqu'il est réalisé comme une approximante voisée, il tend à se dérhoticiser et à
être difficile à segmenter, voire à identifier, ce qui est fréquemment le cas dans le
contexte que nous avons choisi ici (i.e. précédé par une voyelle et suivi par une sonante).
Ces difficultés nous ont amené à réaliser le test de perception mentionné en 2.1 et à
proposer des mesures dites syntagmatiques, i.e. relatives aux phonèmes environnants,
décrites en 3.
Des mesures acoustiques ont été effectuées sur les items utilisés lors du test de
perception. Celles-ci ont été effectuées automatiquement avec Praat et vérifiées
manuellement. Des mesures prosodiques (durée des différents segments, f0 et intensité)
et spectrales (fréquence, largeur de bande et amplitude des formants, moments
spectraux) ainsi que des mesures de HNR (harmonic-to-noise ratio) ont été choisies afin
d'avoir un panel le plus descriptif possible dans notre tentative de corréler les résultats
du test perceptif aux mesures acoustiques. Des mesures syntagmatiques (i.e. à partir des
segments adjacents) ont été effectuées. Précisément, les mesures ont été prises entre le
début du /a/ (de "pas" ou "par") et la fin de /l/ (de "les", "le" ou "la") à 20%, 40%, 60% et
80% de la durée de la séquence /aRl/. Des ratios entre chaque point de mesure ont
permis d'obtenir des mesures relatives entre /R/ et son phonème précédent /a/. Le but
de ces mesures syntagmatiques est d'obtenir des mesures relatives pour le cas où la
variation des valeurs (plutôt que des valeurs absolues) serait plus pertinente. Les mesures
relatives effectuées en comparant le /R/ et le /l/ ne se sont pas avérées significatives et
ne sont pas développées ci-après.
3
3.1
Résultats
Perception de la différence "pas" / "par"
Les résultats du test de perception sont détaillés dans la table 1. Dans l'ensemble, les
séquences "pas les" sont identifiées comme telles, i.e. sans le /R/ (à 96.25%). Les
séquences "par les" où le /R/ avait été jugé pleinement réalisé par les experts sont
identifiées comme telles à 97.1%, 87.25% pour les cas où /R/ avait été jugé
approximant, et plus surprenant jusqu'à 74.4% pour les /R/ que les experts avaient jugé
élidé. Ces premiers résultats, et particulièrement pour le dernier cas, indiquent que des
traces acoustiques subsistent dans le signal, quand bien même la présence du /R/ serait
considérée comme discutable par les experts phonéticiens. Il est à noter que seul un item
"par" (un /R/ jugé comme approximant par les experts) a été identifié comme tel par
moins de 50% des sujets. Le second item ayant recueilli le moins d'identifications "par"
est un item pour lequel /R/ avait été jugé élidé, et son taux d'identification monte tout
de même à 62.5%. Les scores de certitude indiquent une moyenne stable et proche du
maximum (autour de 4.5) pour les réponses correspondant à la majorité des votes (en
gras dans le tableau 1).
pas les /pas le /
pas la
identification
"par"
3.75% (par)
96.25% (pas)
par (ø) les /
par (ø) le /
par (ø) la
74.4% (par)
25.6% (pas)
certitude (de
1 à 5)
2.95 (par)
4.48 (pas)
4.14 (par)
3.19 (pas)
par (ʁ̞) les / par
(ʁ̞) le / par (ʁ̞)
la
87.25% (par)
12.75% (pas)
par (ʁ) les /
par (ʁ) / le
par (ʁ) la
97.1% (par)
2.9% (pas)
4.3 (par)
2.87 (pas)
4.5 (par)
2.8 (pas)
TABLE 1 – Résumé du nombre d'identifications de "par" (et ses différentes réalisations) et "pas"
Dans un premier temps, nous avons effectué une régression logistique entre la forme
"pas" et la forme "par" (jugée fricative) pour identifier les critères acoustiques entre les 2
formes sous-jacentes. L'identification du /R/ se caractérise pour tous les locuteurs par
une baisse de F2 (p=0.012), et une diminution de la durée de la voyelle précédente
(p=0.01) et de la séquence /aRl/ (p=0.04) pour l'item "par" en comparaison de "pas".
Une montée de F1 et du HNR ('harmonic-to-noise-ratio'), ainsi qu'une diminution de f0
est observée pour trois locuteurs sur quatre seulement.
3.2
Perception de la différence entre les différents types de "par"
Dans un deuxième temps, les différentes formes de /R/ jugées par les experts
phonéticiens (élidé, approximant, fricatif) ont été comparées afin d'identifier les critères
de variation du /R/. Une régression linéaire a permis de mettre en évidence les facteurs
acoustiques impliquant un nombre plus grand de détections du /R/ (i.e. du mot "par").
Seule une baisse de F2 (p=0.005) et de la durée de la séquence /aRl/ (p=0.013) permet
de prédire significativement un taux plus important de détections de /R/. La durée de la
voyelle précédente s'approche du seuil de significativité sans toutefois l'atteindre. Les 2
items "par" mentionnés en 3.1 ayant recueilli moins d'identification du /R/ lors du test
de perception sont d'ailleurs caractérisés par une valeur plus haute de F2 véhiculant un
timbre moins postérieur de la voyelle.
3.3
Regroupement de tous les items et calcul d'une mesure de rhoticité
Puisque les paramètres récurrents impliqués dans la réalisation et la variation du /R/
sont la durée de la voyelle précédente et de la séquence, et l'abaissement de F2 (ou plus
précisément le rapprochement de F1 et F2 depuis la voyelle jusqu'au /R/), nous avons
regroupé ces mesures en une mesure de rhoticité calculée de la façon suivante : durée de
la voyelle précédente/(variation F2 - variation F1). Dans une travail en cours, nous
espérons que cette mesure calculée et affichée sur un diagramme en temps réel
permettra à des apprenants du Français Langue Etrangère de s'entrainer à la production
du /R/ français.
Un arbre de décision (cf. figure 2) calculé dans le logiciel R (version 2.15.1) à l'aide de
la fonction ctree a permis de déterminer les seuils d'identification du /R/ à 0.5 pour la
mesure de rhoticité (/R/ est détecté au dessus de ce seuil), avec une variation nécessaire
de F2 (depuis la voyelle /a/) estimée à 73 Hz et une diminution de durée vocalique
d'environ 30ms.
FIGURE 2 – Arbre de décision indiquant le seuil de détection du /R/ dans le test de perception
4
4.1
Analyse sur corpus
Variations du /R/ en finale de mot
Les mesures acoustiques sur corpus ont été effectuées de façon identique à celles
effectuées sur les stimuli du test de perception, i.e. en mesurant les variations sur des
séquences /aR/ en fin de mot pour les quatre locuteurs du test de perception, soit
environ 6000 occurrences au total. La mesure de rhoticité calculée dans la section
précédente a été utilisée en variable dépendante afin de tester sa variation en fonction de
prédicteurs que l'on peut appréhender sur des corpus de parole continue, à savoir : le
débit mesuré comme le nombre de phonèmes en 1 seconde (en incluant les pauses), le
contexte phonémique suivant, la position dans le mot et dans la phrase prosodique, le
nombre de syllabes dans mot, sa catégorie grammaticale, la fréquence dans le corpus du
mot (contenant le /R/ ainsi que le mot suivant). La position du /R/ dans le groupe
prosodique a été mesurée d'après une annotation spécifique détaillée dans Gendrot et
Gerdes (2011). Deux positions ont été retenues : position finale ou médiane, mais une
catégorisation plus fine pourra être envisagée prochainement.
FIGURE 3 – Variation du /R/ selon notre mesure de rhoticité en fonction du débit et de la
fréquence du mot porteur du /R/.
Des régressions linéaires (cf. figure 3) ont été effectuées pour montrer que la fréquence
du mot porteur du /R/ (p=0.001), la position dans le groupe prosodique (p=0.012) et
le débit (p=0.04) prédisent une variation du /R/ (avec un R² à 40.2 %). La fréquence
lexicale recouvre ici la catégorie grammaticale du mot qui serait significative sinon. Les
occurrences identifiées comme ayant une valeur de rhoticité basse ont été vérifiées
manuellement sur le corpus et apparaissent comme élidées par l'auteur mais devront
dans une prochaine étape faire l'objet d'un nouveau test d'identification.
5
Discussion et Conclusion
Les conclusions de cette étude restent limitées puisqu'évaluées principalement sur un
seul contexte phonémique (entre /a/ et /l/ pour le test de perception ou après /a/ dans
l'analyse sur corpus) et ne permettent pas de prendre en considération les réalisations de
/R/ en tant que fricatives sourdes par exemple. Le but de ce projet est de poursuivre ces
analyses sur d'autres contextes : s'il apparait difficile de demander à des auditeurs naïfs
de distinguer des variations de friction et/ou de voisement du /R/, nous envisageons la
mise en place d'un test de perception de type AXB qui permettra ainsi de mettre en
évidence des regroupements de catégories perceptives sur les différentes réalisations de
/R/ (fricative sourde, fricative voisée, approximante voisée, etc).
Des mesures et des analyses statistiques - non détaillées ici - ont été effectuées sur
d'autres contextes phonémiques que ceux du test de perception, notamment la séquence
/ɛʁ/ en position finale de mot (la voyelle /ɛ/ remplaçant /a/) puisque le /a/ est
caractérisé par un F1 maximalement élevé pour une voyelle, ce qui a limité l'observation
d'une montée de F1 souvent notée dans la littérature. Si les trois prédicteurs mentionnés
dans cette étude sont retrouvés dans les régressions linéaires, d'autres prédicteurs telle
que la f0 franchissent le seuil de significativité, suggérant une variabilité plus complexe
encore que celle mesurée ici. Il sera intéressant de vérifier sur des /R/s réalisés comme
fricatives sourdes (où la segmentation entre voyelle et /R/ est plus nette) si les mesures
acoustiques observées sont reportées plus franchement sur la voyelle adjacente.
Au banc des limitations de cette étude, la prédiction de la variation du /R/ dans nos
données n'apparait finalement que peu élevée avec un R² à 40%. Il semble que les
mesures acoustiques proposées n'arrivent pas à la hauteur de la précision de l'oreille de
nos auditeurs. Nous avions porté certains espoirs sur la mesure de HNR qui selon nous
permettrait de mesurer progressivement le degré de friction dans le signal, mais la
mesure de HNR est inadaptée en plusieurs points : elle détecte théoriquement le bruit au
niveau glottique avant tout et se mesure en principe sur une fenêtre de périodicité
proche de 100ms (Severin, 2005), ce qui dans les deux cas n'est pas valable pour le /R/.
Nous travaillons donc sur l'élaboration d'une mesure de ratio entre friction et voisement
plus appropriée pour notre cas.
Toujours est-il que des résultats intéressants sont visibles dès cette étude préliminaire.
Pour le /R/ approximant voisé ici visé dans le test des perception, nous avons pu
proposer une mesure de rhoticité - valable pour les rhotiques uvulaires seulement caractérisée par une baisse du 2ème formant d'environ 70Hz et une baisse de la durée de
la voyelle précédente (d'environ 30ms) permettant de favoriser l'identification du /R/.
Cette mesure est à son tour influencée de façon systématique par la fréquence lexicale, le
débit et la position dans le groupe prosodique ce qui laisse à penser que la variabilité
observée pour le /R/ se rapproche pour beaucoup de la variabilité observée sur d'autres
phonèmes. Elle semble seulement plus remarquable perceptivement à cause de
contraintes aérodynamiques comme mentionné en 1.3.
Remerciements
Cette étude a été financée grâce au projet ANR jeunes chercheurs REPER (édition 2013)
ANR-13-JSH2-0005-01 et également grâce au Labex EFL CGI.
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