Publicité des avocats, du rêve à la réalité 269q3

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Publicité des avocats, du rêve à la réalité 269q3
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AVOCATS
Publicité des avocats, du rêve à la réalité
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L’essentiel
Même si la publicité est censée ne pas être dans leurs gènes, les avocats sont autorisés à en faire depuis le
décret du 25 août 1972 et surtout depuis la fusion avec les conseils juridiques en 1990. Les bouleversements
de la modification de l’article 10 du règlement intérieur national de la profession d’avocat en 2014 et de l’arrêt
rendu par le Conseil d’État le 9 novembre 2015 ne résident donc pas dans la possibilité elle-même, mais bien
dans les moyens de communication de plus en plus libéralisés et surtout dans la sollicitation personnalisée.
I
l est loin le temps où les
avocats devaient obtenir
Delphine IWEINS
l’autorisation de leur bâtonnier pour se rendre à des
salons. Depuis le décret n° 2014-1251 du 28 octobre 2014
relatif aux modes de communication des avocats, la modification de l’article 10 du règlement intérieur national
(RIN) en novembre 2014 et un arrêt du Conseil d’État du 9
novembre dernier (CE, 9 nov. 2015, n° 386296), les avocats
sont libres de faire de la publicité et de démarcher. À une
seule condition et non des moindres : le strict respect de
la déontologie.
Par
La libre sollicitation personnalisée. « La communication
de l’avocat est beaucoup plus vaste que de la simple publicité, elle englobe aussi la sollicitation personnalisée »,
prévient Louis-Bernard Buchman, associé du cabinet
Fieldfisher. Le démarchage ou sollicitation personnalisée
est sans nul doute la plus grande évolution issue du décret n° 2014-1251 du 28 octobre 2014. « Là où la publicité
tend à laisser le client solliciter l’avocat, la sollicitation
personnalisée permet à l’avocat de proposer directement
ses services à une personne physique ou morale déterminée qui ne l’a pas sollicité préalablement », explique
le vade-mecum de la communication des avocats publié
par le Conseil national des barreaux (CNB) le 18 mars
dernier. En d’autres termes, si le message contient une
offre de service, il s’agit d’une sollicitation personnalisée.
Si ce n’est pas le cas, il s’agit alors d’une publicité. Trois
critères définissent les actes de démarchage : le support
(un envoi postal ou un courrier électronique, à l’exclusion
des SMS, des MMS et des messages vocaux envoyés automatiquement), le destinataire (un client ou prospect visé)
et le contenu. En outre, il est primordial que le message
transmis ne ternisse pas l’image de la profession et que
l’information donnée soit sincère sur la nature de la prestation fournie. Les sollicitations personnalisées doivent
également préciser les modalités de détermination du
coût de la prestation, qui fera ensuite l’objet d’une convention d’honoraires. « Le démarchage n’est pas un outil !
C’est une stratégie pour trouver de nouveaux clients. La
sollicitation personnalisée impose aux avocats ainsi qu’à
leurs conseillers en communication d’être créatifs dans
le cadre fixé par la déontologie », insiste Nathalie Rehby,
spécialiste de la communication des avocats. Que ce soit
pour trouver de nouveaux clients en les démarchant intelligemment ou afin de renforcer l’image de leur cabinet,
l’imagination est de mise surtout dans un marché totalement ouvert à la concurrence.
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G A Z E T T E D U PA L A I S - m a r d i 2 1 j u i n 2 0 1 6 - N O 2 3
Les ajustements nécessaires de l’audiovisuel. « La communication de l’avocat comprend sa publicité personnelle
et son information personnelle. La publicité personnelle
s’étend de toutes formes de communications destinées
à promouvoir les services de l’avocat à l’opposé de la
simple diffusion en matière juridique de renseignements
et d’informations à caractère documentaire », indique le
vade-mecum du CNB. L’avocat exerçant une profession
concurrentielle comme les autres, plus rien ne lui interdit
de distribuer des prospectus ou bien de floquer sa voiture
au nom de son cabinet. Tant que la publicité respecte les
principes déontologiques et qu’elle est communiquée dès
que possible à l’ordre concerné.
Conscients de ces nouvelles opportunités, certains avocats
se sont récemment emparés des marchés publicitaires de
la télévision et de la radio. Premier cabinet d’avocat en
France à diffuser un spot télévisé, la démarche du cabinet
Coll Avocats a fait couler beaucoup d’encre. Notamment
parce qu’il se présentait comme le « premier réseau
d’avocat où le prix de la procédure est forfaitaire, connu
d’avance et payable en dix fois sans frais ». Simple coup
de publicité ou stratégie mûrement réfléchie ? Sûrement
un peu des deux. Pour ce cabinet connu pour ses campagnes de communication actives, notamment dans la
presse écrite, et sa participation à des prix d’innovation
tels que ceux de l’Incubateur du barreau de Paris ou
celui du Village de la Justice, il fallait marquer le coup à
la suite de l’arrêt du Conseil d’État du 9 novembre 2015,
ôtant les doutes persistants sur la possibilité pour les
professionnels du droit de faire de la publicité. Diffusée
sur BFM TV puis sur France 3 le 6 avril dernier, la publicité a été tournée dans le cabinet de Lyon avec un acteur
comme protagoniste principal et certains membres de
Coll Avocats comme personnages secondaires.
“ Nous mettons des curseurs
au fur et à mesure que les moyens
de communication se développent
”
« Les clients ont bien perçu notre spot télévisuel, mais
c’est un travail sur le long terme pour les habituer à ce
type de communication », explique Anne-Constance Coll.
Validé par l’Autorité de régulation professionnelle de
la publicité (ARPP), le spot a été transmis à l’ordre du
barreau de Paris qui demande aujourd’hui certaines précisions. « Nous mettons des curseurs au fur et à mesure
que ces moyens de communications se développent »,
Actual ité
explique Elisabeth Oster, responsable de la commission
publicité du barreau de Paris. Et il est vrai que ce type
de publicité soulève de nombreuses questions : est-il
possible d’utiliser un acteur ou l’avocat doit-il être le protagoniste principal ? La publicité peut elle être tournée
dans un lieu qui n’est pas le cabinet ? À la suite de la diffusion de ce spot, le barreau de Paris a modifié l’article
10 de son règlement intérieur. Ce dernier précise, désormais, que le délai de transmission doit être suffisant pour
vérifier le contenu avant la diffusion et avant le montage
final. « Face à la nécessité de concurrencer les start-up
du droit, je trouve dommageable pour la profession de
freiner des communications d’avocats respectant la déontologie », regrette Anne-Constance Coll. Pour autant, la
télévision n’est pas l’unique canal visé par cet ajustement,
tous les moyens de communication sont concernés. « Les
messages et descriptifs complets des publicités télévisées et radiophoniques ou diffusés par tout autre moyen
de communication de masse devront être préalablement
communiqués au conseil de l’ordre dans des délais lui
permettant de faire utilement ses observations avant le
montage définitif dont la date devra être précisée par
l’avocat dans sa saisine », indique la dernière version de
l’article P. 10.0.3 du RIN et du règlement intérieur du barreau de Paris, voté en séance du conseil le 12 avril dernier.
Qu’importe le canal, tout est dans le message. Le
message diffusé a effectivement son importance. « La
communication doit être avant tout sincère et loyale. Nous
ne sommes pas dans le cadre d’une simple publicité commerciale », rappelle Elisabeth Oster. Les avocats ne sont
pas des publicitaires comme les autres, un équilibre doit
donc être trouvé. La déontologie n’empêche pas de saisir des opportunités, mais les avocats intéressés doivent
réfléchir à plusieurs données avant de se lancer : quels
sont les objectifs d’une telle publicité ? De quel budget
disposent-ils ? Quelles sont les cibles ? Quel message
souhaitent-ils transmettre ? Etc. En effet, une diffusion
audiovisuelle rapporte rarement des clients. Tout comme
des publicités dans des magazines, des publi-reportages,
ou bien encore la participation à des salons ou conférences, l’objectif de ces canaux est avant tout de renforcer
l’image du cabinet et les liens avec les clients. « La radio
est un support de plus pour construire notre image et un
nouveau champ de communication du cabinet », témoigne
Amaury Nardone, associé du cabinet Delsol Avocats.
Auditeurs de Radio classique, les associés de ce cabinet
ont décidé, fin 2014, de prendre contact avec la radio pour
créer une annonce publicitaire. Diffusés en avril 2016,
leurs spots contenaient un message court de présentation
globale de Delsol Avocat puis une rapide interview des responsables de chaque département afin qu’ils soient tous
mis en valeur par ce biais. « Nous avons réussi à délivrer
un message qui nous convenait sans faire de la publicité
réellement « commerciale » », continue Amaury Nardone.
Un message bien rodé, qui se retrouve aussi sur leur site
web et sur leur plaquette. Tout comme d’autres cabinets
tels qu’AGN Avocats, à l’origine de l’arrêt du Conseil d’État,
ces professionnels sont présents sur le marché en utilisant tous les outils mis à leur disposition. « Les avocats se
rendent compte qu’ils produisent de plus en plus d’informations et qu’ils doivent choisir un « mix d’outils » pour
relayer leur message », confirme Nathalie Rehby, fondatrice de la société de communication Satellitis. Pourtant,
ces professionnels font encore figures d’exceptions. Les
publicités audiovisuelles représentent un certain coût et
du temps que tous les avocats ne sont pas prêts à donner
pour un résultat moindre.
Peu importe l’outil, l’important est de communiquer.
Pour Louis-Bernard Buchman, membre du conseil
de l’ordre de Paris, une autre réalité est à prendre en
compte : « les avocats n’ont pas assez conscience des
possibilités existantes ». Par exemple, les professionnels
du droit n’ont pas tous mis en place un site Internet. Il est
vrai que les structures de plus de dix avocats sont toutes
titulaires d’un site en ligne, plus ou moins fonctionnel.
« Généralement ce sont des sites vitrines qui permettent
simplement d’informer sur les activités du cabinet », précise Elisabeth Oster. Néanmoins, d’après une étude de My
Cercle publiée en mars dernier, les petits cabinets restent
peu équipés en site Internet : un cabinet individuel sur
trois seulement en possède un. Pour ces avocats, la plateforme « Avocat.fr », mise en place par le Conseil national
des barreaux, peut être une bonne alternative afin d’être
présent sur Internet dans le respect des règles déontologiques sans réelle stratégie web à mettre en place.
« L’absence des mentions légales ainsi que les noms de
domaines sont les problèmes récurrents que nous rencontrons lors de l’examen du site Internet », continue la
responsable de la commission publicité du barreau de
Paris. Pour éviter de tels écueils, les professionnels du
droit peuvent se référer au guide de l’avocat numérique
ainsi qu’au vade-mecum de la communication, disponibles
en ligne sur le site du CNB. L’expansion de la communication à l’audiovisuel ainsi qu’aux publicités papiers, ne
doit pas faire oublier l’intérêt des outils un peu plus traditionnels que sont les plaquettes et cartes de visites. Les
plaquettes ont changé d’usage, mais pour Nathalie Rehby
elles restent « un outil de notoriété concret ». Un avis
partagé par Amaury Narbonne : « Nous tenons à nos plaquettes. Les clients connaissent très bien l’associé avec
lequel ils travaillent, mais n’ont pas forcément conscience
de tout l’environnement et des autres spécialités du cabinet ». Plus modernes, les cartes de visites contiennent par
exemple une référence à un compte Twitter ou un flash
code et les Powerpoint de présentation peuvent être complétés par des messages animés.
Quelle que soit la forme choisie, l’essentiel est que les
avocats se saisissent du marché publicitaire, à leur façon.
Les justiciables n’en pourront être que reconnaissants.
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