Politiques et stratégies d`insertion socio-professionnelle

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Politiques et stratégies d`insertion socio-professionnelle
Politiques et stratégies d’insertion socio-professionnelle développées par les
établissements scolaires
Université de Liège
Professeur G. HENRY
1. PRÉSENTATION DU PROJET
Les études menées à propos des processus et des modalités qui accompagnent le passage de
la vie active ont mis en évidence une série d’observations quant aux relations entre la
formation initiale et l’emploi des jeunes. Nous en rappellerons brièvement quelques unes qui
méritent de retenir l’attention en fonction de l’objet de l’enquête.
On constate actuellement un allongement des études poursuivies, phénomène caractéristique
d’une période de crise économique et qui conduit à postposer le moment où les jeunes
diplômés affrontent le monde professionnel. Malgré l’acquisition d’un niveau de formation plus
élevé et l’obtention de qualifications qui devraient se révéler, en conséquence, performantes
sur le marché du travail, le délai nécessaire à l’obtention du premier emploi augmente et cela,
quelles que soient la durée et la nature des études poursuivies.
L’origine de cette situation est de nature structurelle, les experts s’accordent à le reconnaître.
Ils estiment toutefois qu’elle ne peut être imputée, du moins de manière générale, à une
inadéquation entre la formation initiale et l’emploi. En effet, entrent en jeu des variables
complexes, malaisément dissociables l’une de l’autre et que les auteurs classent en quatre
catégories: les variables personnelles (le sexe, l’âge, l’origine sociale, la nationalité); les
variables scolaires (le niveau de formation atteint, la possession d’un diplôme, la maîtrise
d’une spécialisation); les variables spatiales (la région ou la sous-région) et enfin les
variables liées à l’emploi proprement dit.
Quelle que soit l’influence respective de ces variables, les jeunes appartiennent à un groupe
fragilisé sur le plan de l’accès au travail. Les préparer efficacement à s’insérer dans la vie
sociale et dans la vie professionnelle apparaît dès lors une priorité sur le plan d’éducation. En
vue de contrebalancer l’influence des mécanismes d’exclusion tributaires des modalités de
fonctionnement du système d’enseignement, des formations et des institutions de remédiation
sont mises en place depuis quelques années, notamment sous la forme de l’alternance
pédagogique. Or, des solutions de cette nature, loin de contribuer à la réduction des inégalités
socioculturelles et économiques, condition favorable à l’insertion sociale et professionnelle,
risquent d’entraîner un clivage définitif entre deux catégories de futurs demandeurs d’emplois:
entre les jeunes qui auront suivi un cursus scolaire «normal» et ceux qui auront bénéficié de
formations de nature compensatoire. Par conséquent, on en arrive à s’interroger sur les
capacités de socialisation de notre système d’éducation. En dehors des stages ou des diverses
formes d’alternance ou de contrats d’apprentissage, quel(s) rôle(s) peut-on attendre de la part
des établissements d’enseignement? Dans quelle mesure est-il possible d’espérer qu’ils
prennent des initiatives dans le but de favoriser l’insertion sociale et professionnelle des jeunes
qui arrivent au terme de leurs études? Observe-t-on à ce sujet la manifestation d’un intérêt
particulier de la part des chefs d’établissements d’abord? Ce rapport tente d’apporter des
réponses à ces questions.
Cette étude consiste en une première approche. Son objectif essentiel vise à déterminer
dans quelle mesure les établissements d’enseignement dépendant de la Communauté
française en tant que pouvoir organisateur pratiquent une politique d’insertion sociale
et professionnelle à l’intention de leurs étudiants.
L’enquête comprend trois parties:
La première partie vise à d’identifier les stratégies spécifiques qu’utilisent les établissements
d’enseignement concernés en vue de favoriser l’insertion sociale et professionnelle des
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1
étudiants arrivés au terme de leurs études, lorsque de telles stratégies existent. Dans ce but,
un questionnaire a été adressé aux directions des établissements d’enseignement secondaire,
d’enseignement supérieur non universitaire, d’enseignement de promotion sociale et des
centres d’enseignement secondaire à horaire réduits. Les chefs d’établissement constituent des
interlocuteurs privilégiés dans la mesure où il est vraisemblable que leurs conceptions et le
dynamisme dont ils font preuve influencent le développement d’initiatives ainsi que les
pratiques de l’établissement dans une mesure non négligeable.
La deuxième partie procède à l’analyse du contenu des plaquettes que les établissements
distribuent à titre promotionnel. Le but vise à identifier la formulation de préoccupations à
l’égard de l’insertion sociale et/ou professionnelle des étudiants.
La troisième partie cherche à approfondir certains points de l’enquête, à clarifier ou à justifier
les données recueillies. Elle vise également à situer le problème de l’insertion sociale et
professionnelle des jeunes dans le contexte général de la relation entre la formation et l’emploi.
Dans cette perspective, nous avons interrogé des responsables du système d’enseignement
ainsi que des personnes travaillant auprès d’organismes publics ou privés et qui, dans le cadre
de leurs préoccupations professionnelles, s’intéressent aux problèmes liés à l’insertion sociale
et professionnelle des jeunes.
2. LES CONCLUSIONS DE L’ENQUÊTE MENÉE A L’AIDE DU QUESTIONNAIRE
2.1 Les établissements d’enseignement secondaire
Le questionnaire a été envoyé à 158 établissements et son contenu concernait la situation du
3e degré des filières d’enseignements dispensés; 73 questionnaires nous ont été renvoyés, soit
46,2% de la population interrogée.
Dans la mesure où les directions accordent un intérêt spécifique à l’insertion sociale et
professionnelle de leurs étudiants, cette préoccupation devrait apparaître au niveau des
objectifs qu’elles assignent à l’établissement. Qu’en est-il? Exprimés en termes généraux, les
objectifs formulés expriment une grande générosité et beaucoup d’idéalisme; les priorités que
retiennent les directions reflètent les finalités de notre système éducatif dans son ensemble.
Elles traduisent également une conception psychologisante de la fonction de l’éducation, en
insistant sur l’importance du développement de l’individu en tant qu’être singulier, de son
épanouissement, de son achèvement personnel.
Les préoccupations qui apparaissent en second lieu concernent l’adaptation des jeunes à la
société, d’une part; au monde du travail, d’autre part. Il est logique que ce soit les
établissements dont les filières d’enseignement conduisent immédiatement au monde du
travail qui s’en inquiètent le plus fréquemment.
Des conceptions similaires s’observent à propos de la réussite de l’insertion sociale et de
l’insertion professionnelle, de même qu’en ce qui concerne les moyens favorisant ces modes
d’insertion. En fonction des filières d’enseignement, c’est, soit la qualité de la personne, soit la
qualité de la formation qui est prioritairement évoquée. Par contre, la volonté de lutter contre
l’inégalité des chances face à l’éducation et à l’accès au travail, de consacrer une attention
particulière aux élèves défavorisés sur le plan socioculturel ou encore aux enfants de
travailleurs immigrés, de préparer les jeunes au futur marché européen n’est que rarement
évoquée. Quant au souci de développer des comportements d’entraide, de solidarité, l’aptitude
à travailler en collaboration, il n ‘apparaît nullement. Enfin, quelques directions insistent sur le
fait que l’insertion sociale et professionnelle relève d’un esprit qui devrait sous-tendre
l’ensemble de la formation pendant toute la durée de celle-ci, quels qu’en soient le niveau et
les contenus.
Dans l’ensemble, les directions affirment se sentir concernées par l’insertion sociale et
professionnelle de leurs étudiants. Dans cette perspective, elles reconnaissent le rôle qui
incombe à leur établissement de donner aux jeunes des moyens favorisant cette insertion. Ce
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n’est plus le cas cependant lorsqu’on envisage leur collaboration dans la recherche du premier
emploi, le temps et les ressources humaines nécessaires faisant défaut.
La nature et la fréquence des initiatives entreprises dans le but de favoriser l’insertion sociale
et professionnelle des élèves varient selon les établissements. Certains proposent un éventail
relativement large alors que d’autres semblent faire preuve de peu de dynamisme, en ce
domaine du moins. Les établissements d’enseignement dont les finalités sont professionnelles
apparaissent toutefois plus entreprenants, bien que cette motivation ne se matérialise pas de
façon systématique sous la forme de pratiques intégrées dans la vie de l’établissement. De
plus, un certain nombre de ces activités présentent un caractère formel ou académique en
réservant une large place à l’information ou à des activités pédagogiques relativement
traditionnelles. L’aménagement de situations qui offriraient aux adolescents des occasions
d’acquérir un vécu, des expériences personnelles variées, en dehors des stages que prévoit le
programme, est peu fréquent.
Dans quelle mesure les conceptions différentes et significatives sur le plan statistique
s’observent-elles entre les établissements en fonction de leur vocation spécifique? Elles se
manifestent, en toute logique, à propos des objectifs poursuivis, de la collaboration de
l’établissement dans la recherche du premier emploi et enfin des moyens et des activités
spécifiques favorisant l’insertion sociale et professionnelle des étudiants.
Les résultats de l’enquête font donc apparaître l’absence d’une politique ou de stratégies
concertées dans le but de favoriser l’insertion sociale et professionnelle des jeunes arrivés au
terme de l’enseignement secondaire. Des actions sont certes entreprises, mais dans la majorité
des cas, elles semblent être de nature sporadique, tributaires d’initiatives personnelles
émanant de la direction et/ou d’enseignants et non correspondre à une volonté délibérée ou à
une politique d’établissement qu’auraient suscitée une réflexion et une concertation préalables
de l’ensemble du personnel enseignant. Ce constat semble d’autant plus proche de la réalité
que l’on tient compte du nombre d’établissements qui, interrogés, n’ont pas répondu au
questionnaire; on peut formuler l’hypothèse en effet que ces derniers se sont sentis peu
concernés par le sujet de l’étude. Or, ainsi que quelques directions en ont fait très justement la
remarque, les préoccupations liées à l’insertion sociale et professionnelle doivent être le
résultat d’un esprit qui sous-tend et anime l’ensemble des formations, qui accompagne leur
déroulement, peu importe si l’échéance varie en fonction des finalités spécifiques des
différents enseignements. Aussi, l’importance à accorder à l’insertion sociale et professionnelle
des élèves ne peut-elle être évacuée des filières dont l’objectif principal consiste en la
préparation aux études supérieures.
L’idéal humaniste que défendent les directions mérite sans conteste d’être préservé et
poursuivi, toutefois cette dimension de la formation a besoin d’un complément qui puiserait ses
sources ou ses fondements dans les réalités du monde économique et social contemporain.
2.2 Les établissements d’enseignement supérieur non universitaire
Le questionnaire a été envoyé à vingt et un établissements d’enseignement supérieur non
universitaire. Dix questionnaires nous ont été renvoyés complétés, soit 47,6 % de la population
concernée. Le petit nombre d’établissements qui ont participé à l’enquête doit inciter le lecteur
à considérer avec prudence certains des résultats obtenus.
Ce qui retient avant tout l’attention, c’est l’articulation logique ou la cohérence interne des
conceptions relatives à l’insertion sociale et professionnelle des étudiants. Les réactions des
directions expriment en effet des préoccupations réalistes, fonctionnelles, pragmatiques,
motivées par les besoins et les exigences du monde du travail, de l’entreprise privée
particulièrement. Ce qui se dégage également, c’est l’attention réservée à la qualité de la
formation, qu’il s’agisse de la formation théorique et technologique ou de la formation pratique
acquise dans le cadre des stages ou d’autres activités. En résumé, il s’agit de former des
individus performants, des professionnels, qui se montrent compétitifs sur le marché de
l’emploi. Les activités organisées en vue de favoriser l’insertion sociale et professionnelle
témoignent d’ailleurs de la volonté des directions de promouvoir leur établissement et de
l’ouvrir aux réalités du monde socio-économique. Il semblerait que cette volonté d’intervention
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soit partagée par le corps enseignant et la direction . L’ensemble des données recueillies
permet de conclure qu’il existe au sein des établissements d’enseignement supérieur non
universitaire qui ont participé à l’enquête une politique d’insertion sociale et professionnelle à
l’égard de leurs étudiants. Une des raisons de cette mobilisation nous semble résider dans le
fait qu’une partie du corps enseignant est issue de l’entreprise ou du secteur de la recherche
scientifique, domaines avec lesquels les établissement semblent entretenir des liens réguliers.
2.3 Les établissements de promotion sociale
En raison du faible nombre d’établissements qui ont participé à l’enquête (18 établissements,
soit 28,1 %), il convient de considérer les résultats obtenus avec une certaine prudence.
Bien que les directions reconnaissent le rôle de leur établissement dans le but de favoriser
l’insertion sociale et professionnelle de leurs étudiants, elles se montrent peu concernées
lorsqu’il s’agit d’intervenir de manière effective. Ces observations se confirment lorsqu’on les
interroge à propos de l’organisation d’activités spécifiques. Celles-ci sont rares, peu fréquentes,
de même que les contacts développés avec des organismes extérieurs. Lorsque des initiatives
existent en ce sens, elles sont de nature essentiellement académique; elles consistent en
l’ouverture de nouvelles options ou spécialisations, en perfectionnement des enseignants.
Quelques initiatives visent à la promotion de l’établissement. Une partie du public qui bénéficie
de ces formations possède déjà un emploi; une autre, constituée de demandeurs d’emploi,
possède déjà une expérience de la vie active. Ces facteurs pourraient jouer un rôle dissuasif.
Quoiqu’il en soit, ces directions ne semblent pas ressentir l’utilité ou l’intérêt d’interventions de
nature à favoriser l’insertion sociale et professionnelle de leurs étudiants.
3. LES CONCLUSIONS RELATIVES A L’ANALYSE DU CONTENU DES PLAQUETTES
PUBLICITAIRES.
L’intérêt qui motive l’élaboration de ces documents consistent d’abord à informer les publics
concernés de l’organisation pédagogique et administrative de l’école. Parmi les objectifs
poursuivis, la promotion de l’établissement occupe la place la plus importante. L’intérêt formulé
à l’égard de l’insertion sociale et/ou professionnelle des étudiants apparaît peu et encore
moins, lorsque c’est le cas, de manière explicite.
4. LES CONCLUSIONS DES ENTRETIENS INDIVIDUELS
Des entretiens individuels semi-structurés ont été menés auprès de responsables de
l’enseignement, au sein du Ministère de l’Éducation de la Communauté française, et de
personnes appartenant au secteur public ou au secteur privé, dont les préoccupations
professionnelles concernent les problèmes liés à l’insertion sociale et professionnelle des
jeunes arrivés au terme de leurs études. Au total, quatorze personnes ont été interrogées.
L’idée essentielle qui se dégage à la suite des entretiens individuels est l’intérêt accordé à la
qualité de la formation, que celle-ci soit dispensée dans le cadre d’un enseignement général ou
d’un enseignement professionnalisé. Les positions défendues sont relativement proches quels
que soient les intervenants et présentent des points d’articulations logiques, indépendamment
des préoccupations professionnelles spécifiques des personnes interrogées. Le discours
exprime une vision réaliste et sans complaisance de la situation que traversent et que vivent
les jeunes au moment du passage entre la vie d’étudiant et la vie active, des attentes du
monde du travail, des réactions de celui-ci. Il reflète également un esprit plus pragmatique
qu’idéalisant. L’insertion sociale et professionnelle est perçue comme étant tributaire
essentiellement des capacités d’analyse et de compréhension des dimensions sociales et
économiques de la société d’une part, des capacités d’adaptation et d’adaptabilité d’autre part.
Quant au rôle attribué aux établissements d’enseignement, il peut se résumer en une phase
lapidaire: «responsabiliser» les jeunes, c’est-à-dire, sur le plan formel, les informer sur la vie
professionnelle; sur le plan pratique, aménager des situations pédagogiques qui
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correspondent à la réalité, sur le plan psychologique, intervenir au niveau de la maturation
vocationnelle en aidant les jeunes à mieux se connaître et à s’orienter en conséquence
sur le plan des études ou des professions. Dans cette perspective les capacités des
établissements d’enseignement à préparer les jeunes à affronter la vie active avec un
minimum d’efficacité sont remises en cause, du moins en ce qui concerne les établissements
d’enseignement secondaire. Ce manque d’habileté est imputé au caractère institutionnel de ces
derniers, à la formation des enseignants et à leur cursus professionnel. Les principaux
reproches formulés à l’égard des établissements insistent sur leur manque d’ouverture sur le
monde extérieur, mais également sur la connaissance insuffisant que les enseignants
possèdent des réalités économiques et sociales. L’école est un monde à part affirmera
d’ailleurs l’un de nos interlocuteurs.
Les conditions étant telles, il s’ensuit que la communication entre l’école et l’entreprise suscite
des incompréhensions réciproques, les interlocuteurs poursuivant des intérêts difficilement
compatibles et raisonnant selon des logiques différentes. Par conséquent, c’est avec un
optimisme relatif que les personnes interrogées envisagent le rôle que pourrait remplir
l’institution dans le but de favoriser l’insertion sociale et professionnelle des jeunes. Par contre,
leurs positions sont favorables à l’égard de la collaboration que l’on peut attendre de la part des
milieux professionnels. Encore convient-il, qu’à la base d’une telle entreprise, se trouve une
volonté politique et que celle-ci soit partagée par toutes les parties concernées.
5. CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
Il est malaisé de séparer avec précision les concepts d’insertion sociale et d’insertion
professionnelle. Ceux-ci impliquent en effet la maîtrise d’une série de compétences
communes: la compréhension des modes de fonctionnement du secteur socio-économique; la
capacité à communiquer, à nouer des contacts avec des personnes ou avec des groupes de
natures et de statuts différents, à se sentir à l’aise au niveau relationnel; l’acquisition
d’expériences sociales et culturelles diversifiées; l’aptitude à s’adapter à des situations
nouvelles et à évoluer en même temps que celles-ci. L’insertion professionnelle demande en
outre des connaissances théoriques, l’utilisation d’habiletés instrumentales, ainsi qu’une
tolérance suffisante à l’insécurité de l’emploi, à la mobilité professionnelle. L’insertion sociale et
l’insertion professionnelle apparaissent dont étroitement liées à l’acquisition de savoir, de
savoir-être, de savoir-faire, mais également de savoir-devenir.
Les conceptions qui dominent à l’égard des missions des établissements d’enseignement
secondaire et que cette étude a mises en évidence puisent leurs sources dans la tradition
humaniste qui, historiquement, est à l’origine de l’enseignement général. Elles sont également
imprégnées des conceptions classiques de la psychologie à l’égard de la fonction de
l’éducation. Cependant, c’est une vision individualiste, sinon égocentrique, de l’achèvement de
l’être humain qu’elles décrivent en tendant à abstraire celui-ci du contexte politique,
économique et social dans lequel il est amené à évoluer. En outre, l’idéologie démocratique de
notre société contemporaine veut que l’on accorde quelqu’intérêt, et en période de crise plus
particulièrement, au développement de comportements d’entraide, de solidarité, d’un esprit de
collaboration ainsi qu’à la réduction des inégalités socio-culturelles face à l’accès à l’éducation
et à l’accès au monde du travail. Or, des objectifs de cette nature ne rencontrent que peu
d’intérêt de la part des chefs d’établissement ayant répondu au questionnaire.
Il apparaît que des conceptions similaires sont partagées par une grande partie des
enseignants, les conclusions de la «Radioscopie de l’enseignement en Communauté française
de Belgique» le montrent1 . Quant aux préoccupations recueillies à l’égard de l’insertion sociale
et professionnelle des étudiants, elles sont loin de retenir l’attention qu’elles méritent puisque
quinze pourcents des chefs d’établissement et moins d’un tiers des enseignants ayant participé
à la Radioscopie les désignent parmi les missions de l’enseignement qu’ils considèrent
prioritaires. Ces résultats corroborent ceux que nous avons obtenus. Le discours pédagogique
idéaliste qui est tenu semble ne s’adresser qu’à une catégorie de jeunes qui appartiendraient à
une élite intellectuelle et morale, peu soucieuse de contingences d’ordre matériel et libérée de
1
Rapport technique du questionnaire destiné aux enseignants de l’enseignement secondaire ordinaire, Mars 82, p 73
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l’obligation de gagner sa vie. Le terme «école» ne vient-il pas d’ailleurs du grec skolé qui
signifie qui possède des loisirs. Par contre, les réactions des directions des établissements
d’enseignement supérieur non universitaire à l’égard de l’insertion sociale et professionnelle de
leurs étudiants ainsi que celles des personnes interrogées individuellement et appartenant au
secteur public ou privé témoignent d’une perception plus pragmatique et plus fonctionnelle des
réalités quotidiennes. Sur un plan général, ce qui se dégage de l’étude, c’est l’importance que
ces derniers accordent à la qualité de la formation de base et à la qualité de la formation
professionnelle, au développement d’habiletés sociales et instrumentales répondant aux
exigences du monde du travail, à la reconnaissance des compétences professionnelles.
En résumé, l’ultime finalité à atteindre vise à rendre les jeunes responsables, à les stimuler à
se prendre en charge, à diriger leur vie affective, professionnelle et sociale, et non à la subir.
On observe donc un clivage entre deux catégories de positions à propos de l’objectif de
l’institution d’enseignement: former un humaniste, d’une part; former un travailleur performant
de l’autre. Or, il semble que les chefs d’établissements d’enseignement secondaire considèrent
ces deux orientations comme étant peu compatibles ou, en tout cas, difficilement conciliables
dans le but de réaliser entre elles un certain équilibre.
Les critiques que formulent les médias et les milieux de l’entreprise à l’égard de l’adéquation
entre la formation et l’emploi ne semblent pas stimuler une réflexion systématique de la part
des établissements d’enseignement secondaire. C’est ce qui explique probablement le manque
de diversité et le faible nombre d’activités entreprises dans cette perspective ou encore leur
nature sporadique lorsque celles-ci existent, le manque de réactions de ces établissements visà-vis de propositions émanant d’organismes extérieurs à l’institution et enfin le nombre
relativement important des établissements qui, interrogés, n’ont pas participé à l’enquête. Ces
observations nous semblent mériter d’être considérées comme autant d’indices révélateurs de
l’absence de politique ou de stratégies d’insertion. Les actions entreprises avec des personnes
ou des organismes extérieurs demeurent rares, dans l’ensemble; la tendance est de rester
entre soi. En fait, une tradition de partenariat n’existe pas au niveau de l’enseignement
secondaire dans notre pays, contrairement à ce qui se passe en Allemagne où elle date des
débuts de l’industrialisation. Les établissements d’enseignement supérieur non universitaire par
contre entretiennent des liens réguliers avec les milieux de l’entreprise publique ou privée.
L’importance accordée à la réputation de l’établissement, la compétitivité qui s’observe sur le
marché du travail, les impératifs que constituent les demandes des entreprises, le
développement du marché européen constituent des enjeux importants. Le fait qu’une partie du
corps enseignant soit issue de milieux professionnels ou du monde de la recherche scientifique
semble constituer également un facteur favorable.
Ce qui est à craindre, c’est que les directions et les enseignants considèrent l’institution
d’enseignement secondaire comme une fin en soi, oubliant que les élèves sont déjà des
citoyens et seront bientôt des travailleurs. C’est ce manque d’ouverture sur le monde extérieur
que les intervenants regrettent de manière unanime lorsqu’ils affirment que l’institution scolaire
est fermée sur elle-même, qu’elle perçoit une menace dans la société et qu’elle cherche à s’en
défendre. Comment expliquer les origines de cette situation? Nous ne prétendons pas procéder
à une analyse exhaustive des facteurs qui entrent en jeu; quelques uns retiennent cependant
l’attention. Il s’agit du caractère institutionnel des établissements d’enseignement, des contenus
de la formation des enseignants et de ses modalités, du cursus scolaire et professionnel des
chefs d’établissement.
Le caractère institutionnel des établissements d’enseignement provoque la rigidité de leur
organisation, de leur fonctionnement et des idées qui y sont en vigueur. Il y freine l’introduction
d’innovations pédagogiques, en limite fortement l’autonomie. Les conditions présentes sont
telles que l’école peut se permettre de vivre dans une certaine autarcie, de rester relativement
à l’abri des conflits sociaux et d’ignorer les réalités socio-économiques. Les enseignants
méconnaissent en outre le monde socio-économique et ses mécanismes de fonctionnement.
L’expérience que les professeurs de pratique professionnelle possèdent du monde du travail
est, dans l’ensemble, de courte durée et leurs acquis sont rapidement dépassés en regard de la
rapidité de l’évolution des techniques et de la technologie. Au cours des entretiens individuels,
des intervenants ont également mis en cause la féminisation de la profession. Le cursus
pédagogique et professionnel des directeurs(trices) des établissements d’enseignement
secondaire les a rarement conduits à acquérir les compétences nécessaires à la gestion d’une
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institution de formation, encore moins àson management, même si 62 % d’entre eux possèdent
un titre universitaire ou équivalent2. Les chefs d’établissements qui ont bénéficié d’une
formation préparatoire à la fonction de direction demeurent peu nombreux (12,8 % de
l’ensemble des répondants à l’enquête de la Radioscopie, soit 234 sujets3 . Assumer la
direction d’un établissement d’enseignement exige certes de posséder des qualités
personnelles, mais également la maîtrise de techniques de gestion, de management,
d’animation, la capacité de développer des relations avec le monde extérieur. Si l’on souhaite
que les directeurs introduisent, avec une efficacité suffisante, des stratégies d’insertion sociale
et professionnelle à l’intention de leurs étudiants, l’expérience professionnelle, la bonne volonté
et les relations personnelles ne suffisent pas; une connaissance précise du marché du travail,
des diverses instances sociales et économiques et du parti que l’on peut en tirer est également
nécessaire ainsi que la volonté et la capacité à stimuler et à développer des actions en
collaboration avec des partenaires extérieurs. Or, étant donné le volume des tâches réservées
aux chefs d’établissements, leur en assigner de nouvelles serait peu souhaitable, aussi
pourquoi n’envisagerait-on pas un partage des pouvoirs en fonction de la nature des
responsabilités ou des compétences spécifiques qu’elles requièrent? A l’intérieur de
l’établissement scolaire, la responsabilité d’innover dans le domaine qui nous préoccupe ne
peut se limiter à la direction, c’est la collaboration de l’ensemble des enseignants et de
l’inspection qu’il convient de susciter et toute initiative en ce sens s’avérerait bienvenue. Dans
le but d’éviter l’entreprise d’actions incohérentes ou anarchiques, d’éparpiller les
investissements humains et matériels, la création d’une cellule de coordination conduirait à une
économie de temps et d’efforts, à une rationalisation des activités organisées, à une meilleure
cohérence interne et à une certaine continuité dans le temps.
Ce qui nous semble néanmoins important, c’est le rôle essentiel que doit conserver
l’enseignement de plein exercice, même au prix d’une restructuration complète; c’est
également l’intérêt d’éviter l’accumulation ou le développement de structures-relais qui tendent
de remédier à des situations d’exclusion ou de marginalisation du système scolaire, mais qui
risquent au contraire de les «officialiser».
Les auteurs sont nombreux à regretter l’absence d’une structure institutionnelle chargée de
recueillir des données statistiques de manière régulière et systématique à propos de l’évolution
des qualifications et du marché de l’emploi, de les interpréter et de les répercuter vers les
responsables de l’enseignement. Une telle situation contribue à occulter le manque de
rationalisation du système, ce qu’illustrent le nombre et les contenus des filières
d’enseignement et des qualifications proposées. Certes des réunions de concertation sont
organisées entre des groupements professionnels et des milieux de l’enseignement, mais cette
pratique est loin d’être généralisée; elle s’intègre dans le cadre de relations individualisées ou
d’initiatives personnelles essentiellement. Par conséquent, c’est auprès des employeurs que
l’on est amené à rechercher des informations à propos de l’efficacité des capacités d’insertion
des jeunes et de l’adéquation entre la formation et l’emploi. Or, les opinions formulées risquent
d’être très subjectives en se laissant influencer par la présence de besoins à satisfaire
rapidement ou encore par des mobiles utilitaristes ou mercantiles. Par ailleurs, réagir en se
soumettant aux desiderata des entreprises conduirait à une dévaluation d’un côté et à une
inflation de l’autre des diplômes et des qualifications et à fournir une main d’oeuvre taillable et
corvéable à merci. Ce qui est évident, c’est qu’à partir du moment où l’offre dépasse la
demande, l’égalité des chances d’accès à l’emploi s’avère fortement compromise.
L’examen du marché de l’emploi incite les auteurs à insister sur l’intérêt d’une formation
polyvalente, c’est-à-dire qui construise des savoirs transversaux, qui permette aux jeunes
d’acquérir une formation de base large et solide, une culture générale et une culture
d’entreprise, sur les capacités à transférer des habiletés sociales et des habiletés
instrumentales dans des situations professionnelles différentes ou imprévues. Les personnes
interrogées individuellement au cours de l’enquête ont également insisté sur ces points. La
variabilité des situations de travail et leur caractère hétérogène justifient l’adoption de ce point
de vue. Une formation polyvalente favoriserait l’accès à un secteur professionnel relativement
large ou à un éventail de professions demandant de bonnes capacités d’adaptabilité et de
2
3
Radioscopie de l’Enseignement en Communauté française de Belgique; Rapport thématique, p. 5.2
Radioscopie, Rapport thématique, op. cit, p.5.8.
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mobilité professionnelle. Un second type d’orientation consisterait à préparer l’individu à une
catégorie précise de tâches demandant la maîtrise de savoir-faire relativement bien identifiés,
en relation avec le maniement des nouvelles technologies.
Dans l’un et dans l’autre cas, il s’agirait d’opérationaliser des profils de sortie, de définir au
moins les compétences sociales et professionnelles considérées comme minimales,
nécessaires et suffisantes pour obtenir une certification ou une qualification qui permettrait aux
jeunes d’accéder à l’emploi. En fin de compte, le dilemme se pose entre la formation à une
culture technologique et la formation à des postes de travail. Dans cette optique, la structure de
l’enseignement secondaire devrait être modifiée. Trois types d’orientation pourraient être
envisagés à la suite d’une formation de base commune dont la durée serait allongée: une
formation générale dont le but serait la préparation à l’enseignement supérieur, une formation
polyvalente débouchant sur un secteur socio-économique déterminé et enfin une formation
qualifiante, à forte composante technologique, en relation avec une catégorie de tâches
déterminées.
Néanmoins, même si l’on procède à une réforme pédagogique, l’intérêt de développer entre
l’enseignement et les milieux professionnels des relations nouvelles et intégrées est reconnu
unanimement. Ces derniers proposeraient notamment une gamme d’activités précises dans le
cadre de collaboration entre l’institution scolaire et/ou des milieux socio-économiques ou
professionnels dans le but de préparer efficacement l’insertion sociale et professionnelle des
jeunes. En fait, les termes de révolution pédagogique seraient plus adéquats car une telle
conception de la formation justifie la restructuration complète du système d’enseignement. La
frontière entre milieu scolaire et milieu professionnel deviendrait ainsi perméable.
La préparation à l’insertion sociale et professionnelle et l’amélioration de ‘adéquation entre la
formation et l’emploi ne peuvent donc être abandonnées au seul système éducatif, la
consultation et la participation des milieux professionnels jouent un rôle primordial si l’on
souhaite arriver à mieux cerner les besoins. Toutefois, il convient de demeurer conscient des
problèmes qui ne manqueront pas de se poser. Le délai qui s’écoule entre le moment où se
développent les premières réflexions, celui où les profils sont élaborés, le moment où ils sont
implantés dans les établissements d’enseignement et enfin celui où sortiront les premiers
diplômés est tel que l’actualité de la formation risque d’être décalée par rapport à l’évolution
des technologies et/ou du marché de l’emploi. Il paraît donc inévitable, que l’enseignement
n’accuse un certain retard sur l’entreprise, même si on assouplit les procédures de décisions et
si on accélère les modalités de fonctionnement. Cette réalité justifie d’autant plus le
développement des capacités d’apprendre à apprendre et d’adaptabilité de l’individu. D’autre
part, le risque existe que ce soit de grosses entreprises ou des entreprises ayant besoin de
qualifications «pointues» qui se montrent particulièrement motivées à l’élaboration de profils.
Or, le marché de l’emploi que constituent les PME ne peut être ni ignoré, ni négligé dans notre
pays où celles-ci représentent une partie importante du secteur économique. On perçoit
combien la médiation entre la formation et l’emploi fait intervenir des variables multiples et
complexes et consiste elle-même en un processus de nature compliquée, entre autre en raison
du fait que les objectifs du système d’éducation et les objectifs du système d’éducation et les
objectifs du monde socio-économique ne sont pas tous superposables. Néanmoins, le défi
mérite d’être relevé.
C’est avec scepticisme et désarroi que les jeunes considèrent le futur. Ce qui apparaît d’abord
paradoxal, c’est leur manque d’information à propos de ce qui les attend, ce qui a été souligné
à plusieurs reprises au cours de l’enquête. A l’inverse, si certains d’entre eux sont sur-informés,
c’est avec difficulté qu’ils procèdent à un tri efficace. Si l’on considère maintenant les jeunes
qui entrent dans l’enseignement supérieur, nombreux sont ceux qui possèdent les qualités
intellectuelles et les connaissances requises, mais qui ne parviennent pas à utiliser des
méthodes de travail efficaces, compétence qui fait cependant partie des objectifs
pédagogiques assignés aux filières de l’enseignement secondaire général. Les difficultés que
soulèvent l’organisation du travail, la prise de notes, l’identification des relations entre les
différentes parties d’un cours, l’élaboration de synthèses, l’utilisation des unités de
documentation,... expliquent une partie des échecs observés en première année de
l’enseignement supérieur, particulièrement à l’université où les étudiants sont livrés à eux-
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mêmes dès l’entrée. C’est cette situation regrettable qui a motivé la création de services de
guidance pédagogique à leur intention au sein des universités.
Les capacités d’insertion sociale et professionnelle que les jeunes possèdent au sortir des
études sont loin de les placer sur un pied d’égalité des chances d’accès au premier emploi.
Une série de facteurs dont certains relèvent du secteur non formel de l’éducation interviennent
de manière enchevêtrée et font en sorte que la qualité de la préparation à l’insertion varie de
manière importante d’un individu à l’autre. Nous ne retiendrons que quelques uns de ces
facteurs fréquemment évoqués par les autres: l’origine socioculturelle et ethnique de l’individu,
les aspirations du milieu familial et l’appui dont le jeune y bénéficie, les filières d’études suivies
et parfois l’établissement fréquenté, la réussite scolaire, les réorientations d’études et le retard
scolaire dont le jeune a été victime, la diversité des expériences sociales vécues depuis le plus
jeune âge et les conditions dans lesquelles elles se sont déroulées, les premières expériences
acquises du monde du travail grâce notamment à l’exercice de jobs-étudiants, dans l’espoir
placé en l’avenir ou, au contraire, son appréhension, le degré de confiance en ses possibilités.
Le résultat du jeu de ces différents facteurs conduit les jeunes à aborder la vie active avec des
potentialités de réussite variables. A titre illustratif, les conclusions d’enquêtes menées en
Belgique confirment les pratiques discriminatoires dont font l’objet certains jeunes d’origine
étrangère dans l’accès à l’emploi. Les principales victimes en sont les jeunes d’origine turque et
maghrébine4 . Selon un rapport des Communautés Européennes5 , c’est le plus souvent grâce
aux relations de leur famille ou de leurs amis que les jeunes trouvent un emploi (37 %); l’apport
de l’école ou des centres de formation est extrêmement faible, il ne concerne que sept
pourcents des jeunes interrogés. Des études menées en France conduisent à de conclusions
similaires.
Dès lors est-il encore besoin de démontrer le caractère crucial de la qualité de la préparation
dont les jeunes doivent être l’objet dans le but de favoriser leur insertion sur le plan social et
professionnel et la nécessité de sensibiliser le système d’éducation à cette mission. Il devient
urgent de motiver les milieux de l’enseignement ainsi que les milieux de l’entreprise à entamer
une réflexion sérieuse sur le sujet, dans le but de mettre en place diverses formes de
collaborations et des stratégies précises dans ce but. Cette tâche, c’est évident, ne peut être
réservée aux seuls établissements d’enseignement, et on peut s’en estimer satisfait, même si,
dans cette optique, l’ensemble de la gestion des établissements devrait être repensée dans le
sens d’une plus grande autonomie. Nous pensons aux établissements d’enseignement
secondaire plus particulièrement. Certes, une école ne se gère pas comme une entreprise, la
recherche de bénéfices, de profits au sens matériel du terme n’existe pas. Néanmoins, c’est un
lieu où les produits s’élaborent, aussi serait-il logique d’en évaluer la qualité, le degré de finition
et cela, en utilisant des critères qui correspondent aux exigences du monde socio-économique.
Une autre démarche à entreprendre viserait à déscolariser l’école, à décloisonner école et
monde extérieur: en fait, c’est la société tout entière et la manière dont vivent les autres que les
jeunes sont avides de découvrir. Cela peut paraître étonnant de la part d’adolescents plongés
dès leur première enfance dans un bain audio-visuel d’images et de discours qui ne cessent
d’en présenter dans le détail les aspects les plus divers et les plus minutieux.6 Dans cette
perspective, la création d’un interface et de concertations systématiques et régulières entre les
différentes parties intéressées s’impose. Il s’agit d’arriver à une synthèse et à une intégration
des visions d’origines différentes: la vision du politique qui, dans les jeunes, considère les
futurs citoyens; celle de l’entreprise qui considèrent les futurs travailleurs, celle des
enseignants qui considèrent les apprenants et enfin celle des jeunes eux-mêmes. Ces derniers
mériteraient en effet qu’on leur accorde un plus grand intérêt, qu’on les interroge sur la façon
dont ils se perçoivent et dont ils envisagent leur avenir, sur leurs aspirations personnelles car
c’est en se fondant sur leurs aspirations personnelles d’abord qu’il convient d’élaborer des
solutions. Si l’on parle beaucoup des jeunes en ce moment, il semble que ce soit des adultes
essentiellement qui monopolisent la parole.
4
Point d’Appui; Travail, Emploi, Formation, Lettre d’information n° 1/1992, Université Libre de Bruxelles, pp. 9 à 21
5
Les jeunes Européens en 1990, Commission des Communautés Européennes, Task Force «Ressources Humaines, Éducation,
Formation, et jeunesse», Bruxelles, Luxembourg, 1991, p. 147.
6
J. ROUSSELET, la jeunesse malade du savoir, Paris, Grasset, 1980 p. 183
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Sur un plan général, une politique d’insertion sociale et professionnelle des jeunes doit
s’intégrer dans une politique d’ensemble du développement économique et social, notamment
dans une politique de gestion du marché de l’emploi et de gestion du système d’éducation. Au
niveau de l’enseignement, l’application d’une telle politique demande, cela va de soi, la
modification de l’institution elle-même, la révision des contenus qu’elle enseigne, des
processus d’apprentissages auxquels elle recourt, de ses modalités d’organisation interne et de
fonctionnement, de la formation du personnel enseignant et de ses méthodes de travail des
modalités de relations entre l’établissement et l’inspection, entre l’établissement et les milieux
socio-économiques. Cette volonté doit donc dépasser le stade du discours politique et prendre
la forme d’actions concrètes sur le terrain. La préparation à l’insertion sociale et professionnelle
et l’adéquation entre la formation et l’emploi ne peuvent être conçues que dans le cadre de
l’élaboration simultanée d’un projet de société et en relation avec le développement du secteur
socio-économique en Communauté française de Belgique. Or, ce développement implique la
création d’emplois nouveaux et d’emplois destinés aux jeunes. Toutefois, il ne peut conforter
l’installation d’une société duale, mais il a pour obligation de s’attacher à l’accroissement de la
qualité de la vie sous ses formes multiples, de promouvoir une société juste, humaine,
hospitalière à l’égard des jeunes générations. S’il est nécessaire d’informer les jeunes de leurs
devoirs, il l’est tout autant de les informer de leurs droits et de les respecter, notamment en les
plaçant en position d’obtenir un emploi en relation avec l’orientation et la qualité de la
formation suivie et répondant à leurs aspirations personnelles. C’est en effet manifester
beaucoup d’indifférence ou de légèreté de coeur et d’esprit d’ignorer les efforts investis de la
part des jeunes eux-mêmes en prévision de leur avenir, mais également de la part de leur
famille, des établissements d’enseignement et finalement de l’ensemble de la communauté. Il
convient en outre de mettre en oeuvre des moyens contribuant à accroître l’égalité des
chances d’accès au monde du travail, à contrecarrer les processus de marginalisation
professionnelle et sociale des groupes fragilisés. Si l’on veut arriver à rendre les jeunes
responsables, ainsi que le souhait en a été formulé à plusieurs reprises, il convient d’abord
que la société fasse preuve de responsabilité à leur égard et qu’elle utilise un autre langage
que celui de la «langue de bois» Ainsi que certains intervenants l’ont souligné, préparer les
jeunes à s’insérer socialement et professionnellement avec harmonie, c’est d’abord créer un
état d’esprit, état d’esprit qui doit animer l’ensemble du système éducatif et que les différents
acteurs de la formation doivent intériorisér.
C. STRAUVEN et J. ROBERT
Université de Liège.
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