switch the light on rainy days 2014 Philharmonie Luxembourg 26

Transcription

switch the light on rainy days 2014 Philharmonie Luxembourg 26
switch the light on
rainy days 2014
Philharmonie Luxembourg
26.– 30.11.2014
Établissement public Salle de Concerts
Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte
Impressum
© Philharmonie Luxembourg
2014
Établissement public Salle de
concerts Grande-Duchesse
Joséphine-Charlotte
1, Place de l’Europe
L-1499 Luxembourg
www.philharmonie.lu
www.rainydays.lu
ISBN 978-99959-909-0-9
EAN 9789995990909
Für den Inhalt verantwortlich:
Stephan Gehmacher
Redaktion:
Bernhard Günther
Karsten Nottelmann
Dominique Escande
Sofiane Boussahel
Redaktionelle Mitarbeit:
Raphaël Rippinger
Design: Pentagram Design
Limited, Berlin
Satz: Bernhard Günther
Umschlaggestaltung:
Patrick Ackermann,
Bernhard Günther
Print Management:
print solutions, Luxembourg
Die Photos auf den Seiten
8–58, 127, 130, 145 und 192
entstanden im Rahmen des
Projekts «switch the light
on» der Klasse T4CA am
Lycée Technique des Arts
et Métiers LuxembourgLimpertsberg (LTAM) für
das Festival rainy days 2014.
Wir danken den Schülern
Nathaniel Alves, Charel
Cathrein, Thoma Forgiarini,
Céline Gil Bornatici, Samuel
Hastert, Roxanne Peguet,
Nathaniel Roettgers, Laurent
Schiltz, Borin Shehu, Mario
Spahic und Fabien Spaus
sowie dem Lehrer Joseph
Tomassini für die Kooperation.
Die Kompositionsaufträge an
Manos Tsangaris (S. 92),
Michael Reudenbach (S. 132)
und Sebastian Claren (S. 152)
wurden dankenswerterweise
von der Ernst von Siemens
Musikstiftung unterstützt.
Nous remercions / Dank an:
les musiciens, auteurs et
partenaires du festival;
Ircam Paris, Cdmc Paris
Tous droits réservés /
Alle Rechte vorbehalten /
All rights reserved
Partenaire officiel:
Partenaire automobile exclusif:
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READ / LIESEN
switch the light on
Mose / Luther: Am Anfang war das Licht
Hartmut Böhme: Die absolute Metapher
Ada Günther: Mehr Licht!
Christoph Martin Wieland: Sechs Antworten auf sechs Fragen
Platon / Schleiermacher: Das Höhlengleichnis
Dominique Escande: Des chandelles à l’électricité
Jules Verne: Une fantaisie du docteur Ox
Jean-Marc Warszawski: Le clavecin pour les yeux
Tanikazi Junichirô: Éloge de l’ombre
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LOOK / LUUSSEN
27.–30.11.2014 «Light art from the Ege Art Foundation collection»
Eric Michel: Mono Light & Seven Keys Mono Blue
Christian de Portzamparc: La lumière à la Philharmonie
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LISTEN / LAUSCHTEREN
26.11.2014 20:30 «Switch the Light On: A Luminous Film Event»
27.11.2014 19:00 «Dating Scriabine»
27.11.2014 21:00 Dufourt: Burning bright
Hugues Dufourt / Bernhard Günther / James Chan-A-Sue
Enrico Bagnoli / Bernhard Günther / James Chan-A-Sue
28.11.2014 20:00 Schönberg / Cerha / Tsangaris /Scriabine
Therese Muxeneder: Arnold Schönbergs Fünf Orchesterstücke op. 16
Friedrich Cerha: Spiegel
Friedrich Cerha: Spiegel – zum szenischen Entwurf
Fabiana Piccioli: About the lighting design concept
Manos Tsangaris / Bernhard Günther
Manfred Kelkel: Prométhée ou le Poème du feu
Sigfried Schibli: Skrjabin und das Licht
29.11.2014 15:00–18:15 «Music & Light art»
Sabine Franz / Julia Galandi-Pascual: Zum Projekt «Music & Light art»
29.11.2014 15:00–18:15 «Sonovisor» / «Light & Sound»
Claude Lenners: Noise Watchers Unlimited
«Sonovisor»
29.11.2014 20:00 «iTMOi»
Ruth Little: Mind Mapping
30.11.2014 13:00 Frank / David / Schubert / Schüttler
«Enlightenment»
30.11.2014 15:00 Reudenbach / Fleischer: white radiation
Joachim Fleischer / Michael Reudenbach / Michael Zwenzner
30.11.2014 16:15 Jodlowski: Série Noire / Blanche / Bleue / Rose
Pierre Jodlowski / Sofiane Boussahel
30.11.2014 17:15 & 19:00 Claren / Kliem: Maurizio/Licht
Sebastian Claren: Maurizio / Licht für Streichorchester
Sebastian Claren / Bernhard Günther
30.11.2014 17:15 & 19:00 Maximilian Maintz: ¡Off With Their Heads!
30.11.2014 20:30 Klein: Symphonie Monoton – Silence
Frédéric Prot: La Symphonie Monoton – Silence d’Yves Klein
Éliane Radigue / Philippe Ungar
Yves Klein: About the Monotone – Silence Symphony
Rebecca François: Le théâtre du vide. Eric Michel
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LOOK UP / NOSICHEN
Compositeurs, interprètes & ensembles 174
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Hugues Dufourt: Burning bright
Jeudi / Donnerstag / Thursday
27.11.2014 21:00
Théâtre National du Luxembourg
194, route de Longwy, L-1940 Luxembourg
Percussions de Strasbourg
Claude Ferrier, Bernard Lesage, Keiko Nakamura,
Minh-Tam Nguyen, François Papirer, Olaf Tzschoppe percussion
Enrico Bagnoli lumières (commande / Auftrag Philharmonie Luxembourg)
Ilaria Mozzambani assistante aux lumières
Hugues Dufourt: Burning bright pour six percussions
(2014, commande de l’État français pour les Percussions de Strasbourg;
création de la version avec lumières / Uraufführung der Fassung mit Licht)
~60’ sans entracte / ohne Pause
Coproduction Philharmonie Luxembourg et Percussions de Strasbourg
Coopération avec le Théâtre National du Luxembourg
TTT (TotalTheaterTreffen) meets rainy days
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Hugues Dufourt
Burning bright
Répétition des Percussions de Strasbourg
avec Enrico Bagnoli,
Strasbourg, 12.09.2014
photo: Michel Goldschmidt
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«Une construction cosmique
pour l’imaginaire de notre temps»
Sur «Burning bright»
Hugues Dufourt en conversation avec Bernhard Guenther
et James Chan-A-Sue
Pourriez-vous nous donner une petite description de ce que le public va voir pendant la
création avec lumières de Burning bright au festival rainy days?
Le public va d’abord être confronté à un aspect inattendu de la percussion. C’est
une forêt. Il découvre une forêt d’instruments, avec les tréteaux et portiques qui
leur servent de supports. Ces instruments sont disposés autour d’une très grande
surface d’eau dont les pilotis et les arceaux se reflètent en miroir. Enrico Bagnoli
a conçu cette surface miroitante et irisée comme une nappe liquide calme et
inquiétante, qui agira à la fois comme le révélateur et la sourde hantise de toute la
pièce. Un peu comme un lac magique, le lac inconnu, le lac des profondeurs, le
lac de l’inconscient. Mais rien ne se passera de façon aussi didactique et explicite:
ce sont plutôt la lumière et son évolution au sein de la pièce qui créeront des
climats à la fois atmosphériques et psychologiques. Le son et la lumière inextricablement mêlés entraîneront peu à peu le spectateur dans les étapes d’une exploration des profondeurs de l’âme humaine. L’auditeur est convié à descendre au
fond des grottes, dans les recoins des volcans, pour y entrer dans une période
d’‹incubation›. Comme dans l’Antiquité, il s’approche de cette région que les
dieux même redoutaient – le Tartare, c’est-à-dire le face-à-face avec l’image de sa
propre mort. Mais ma pièce n’a rien de funèbre et, au contraire, en dépit de ces
ténèbres oscillantes, elle est extrêmement lumineuse et toujours traversée d’éclairs.
La lumière de la musique est métaphorique tandis que celle d’Enrico Bagnoli est
bien réelle, même si elle est entièrement tournée vers les mondes introspectifs de
l’imaginaire. Son éclairage n’a justement rien d’un éclairage illustratif et comme
projeté du dehors. Tout au contraire les jeux subtils et les interférences des dispositifs lumineux sont une manière d’ausculter la musique de l’intérieur et de jeter
un regard sur son secret. Ce sera toujours une lumière intime, qui explore les
replis les plus cachés de l’âme humaine.
Qu’est-ce que le public va entendre?
Cet entretien a été réalisé
le 12.09.2014 lors d’une
répétition des Percussions
de Strasbourg au Théâtre de
Hautepierre à Strasbourg.
Transcription: Dominique
Escande
Des extraits de l’entretien
ont été utilisés dans la vidéo
Burning bright – un regard
en coulisses de James
Chan-A-Sue, en ligne sur
www.youtube.com/user/
PhilharmonieLux
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Le public risque d’être déconcerté. D’abord car il sera plongé dans une durée
d’une ampleur et d’une lenteur inhabituelles. Parfois les gens sont décontenancés,
s’ennuient, toussent ou sortent. Ceux qui restent sont peu à peu captivés par la
musique, suivent son parcours et participent à son processus. Ils deviennent les
acteurs du déroulement de l’action dramatique. Car cette musique sollicite autre
chose que de l’attention, elle réclame une immersion. Il faut donc que le public
renonce à ses résistances critiques, à sa distance de spectateur, ou à son Moi, et
qu’il entre peu à peu dans des univers étranges qui ne sont pas forcément des
univers personnels.
Cette pièce n’a rien d’autobiographique, c’est une sorte de construction mythologique, de construction cosmique pour l’imaginaire de notre temps. Je souhaite
entraîner le spectateur dans la gestation d’un monde afin qu’il en devienne luimême le protagoniste. Il faut donc qu’il cesse d’être spectateur et devienne acteur.
Que va-t-il entendre? Des sonorités très étranges. Comme j’ai déjà beaucoup écrit
pour la percussion, je ne voulais en aucun cas revenir aux expressions du passé.
Je ne voulais pas livrer une pièce de circonstance pour la célébration, aussi prestigieuse soit-elle, d’un anniversaire. J’ai donc fait l’inventaire des ressources et me
suis interrogé sur ce que l’on a produit de vraiment nouveau depuis près de quarante ans – depuis que j’ai composé Erewhon (1972–1976) pour les Percussions
de Strasbourg. J’ai été frappé par l’échelle même de l’innovation, qui se situe à
la dimension des continents. La productivité dans le domaine des percussions
s’appréhende en effet à cette échelle et exprime, à mon sens, les couches les plus
profondes de la société. La percussion a un ancrage sociologique beaucoup plus
important que les instruments de musique plus classiques, mieux insérés dans la
tradition musicale. Il s’agit d’une production bien souvent populaire, qui est le
fait de gens qui improvisent et bricolent, surtout en Amérique du Sud où l’inventivité est impressionnante. L’Amérique du Sud façonne des instruments originaux
et fait germer des idées ingénieuses, qu’on dirait en prise directe sur le système
des pulsions. Bien souvent, l’Amérique du Nord prend le relais, modélise et industrialise l’idée. Les nouveaux instruments de percussion sont fréquemment des
hybrides; ils naissent de la rencontre de deux technologies ou de deux imaginaires
propres à deux continents. L’Amérique du Sud est entrée dans le concert de la
percussion mondiale. L’Amérique du Nord a beaucoup produit mais dans un
tout autre registre; elle s’est notamment spécialisée dans les instruments des films
d’angoisse ou de terreur et cette remarque n’a rien de péjoratif. C’est par le biais
du cinéma que l’Amérique du Nord, à mon avis, a été inventive. Elle a produit des
instruments véritablement nouveaux et parfois même géniaux.
Ces deux continents ont également mené une très grande réflexion sur la nature
des baguettes. Ce qui revient, au fond, à s’interroger sur l’essence même de la
percussion: celle-ci consiste-telle seulement à frapper des instruments? Eh bien,
non. Et j’ai pu constater qu’une percussion de frottement s’était peu à peu
substituée à une percussion de choc, de roulement ou d’ébranlement. Ce n’est
donc plus le geste percuté mais le geste frotté qui prévaut désormais. Et l’on voit
apparaître des baguettes d’un genre nouveau, qui s’appliquent d’ailleurs aussi bien
aux instruments traditionnels qu’aux instruments récents, et qui permettent de
tirer de tous des sons inouïs. Les baguettes sont faites de matières plastiques très
particulières et variées, définies par une densité, une élasticité, une épaisseur et
des coefficients d’adhérence calculés et normalisés par la production industrielle.
Il existe aux États-Unis des industries raffinées vouées à la fabrication de ce type
de baguettes, conçues pour la friction ou le frottement. Les sons qui en émanent
ressemblent pour la plupart à des voix d’outre-tombe. Évidemment, ils sont
conçus pour illustrer ou susciter l’angoisse ou la terreur. Ne voulant pas renchérir
sur la musique des films d’horreur, je me suis borné à délivrer les voix du monde
d’en-bas. En cinquante ans, les bases de la percussion ont ainsi changé. Elles
ouvrent l’imaginaire à des associations insolites de frottements, qui vont jusqu’à
l’utilisation des très grosses mailloches à friction venues d’Asie.
Les Feng gongs par exemple ont pour caractéristique d’échapper à la percussion
asiatique traditionnelle. Les métaux asiatiques traditionnels tendent, une fois
qu’ils sont mis en branle, à grimper très vite dans les harmoniques aigus. L’énergie
sonore se dissipe rapidement, avec cette sonorité à la fois explosive et éclatante
que l’on connaît bien, à l’exemple du tam-tam. Les asiatiques, les Chinois surtout,
ont inventé depuis des instruments qui répriment ou contiennent cette explosion
énergétique. Ils ont obtenu des mixtes de gongs et de tam-tams dont la sonorité
toujours soutenue semble au bord de l’explosion, sans jamais l’atteindre. Un occidental peut tirer parti de cette modulation de l’énergie, qui constitue un régime
dynamique original. Cette énergie constamment modulée s’associe remarquablement aux sonorités d’Amérique du Nord – celles des films de terreur – ainsi
qu’aux évocations du foisonnement sonore des forêts d’Amazonie. La percussion
du 21e siècle opère donc à la fois la confrontation et la synthèse des techniques
instrumentales et des sensibilités musicales de trois continents: l’Amérique du
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Nord, l’Amérique du Sud et l’Asie. La mise en œuvre d’une telle confrontation
suppose, dans la composition musicale, une très grande durée de déploiement.
Et je suis heureux d’avoir pu disposer d’une heure de musique pour une telle
expérience. Car le matériau est lent, puissant, majestueux et ne souffre aucune
précipitation dans son exposition. Il trouve, chemin faisant, sa forme, qui est une
grande forme. Ce matériau se constitue peu à peu, par couches, par strates superposées, par interférences et sa structure formelle est étrangère au développement
rationnel progressif que l’on connaît en Europe.
Quel est le rapport entre la musique et la lumière?
La musique se déploie dans une succession d’émergences, comme des couches ou
des strates qui se découvrent peu à peu. Comme je l’ai dit, la lumière n’apporte
pas un ‹éclairage› – qu’il soit physique ou métaphorique – sur la pièce, comme
on l’inspecterait du regard. Au contraire, elle la sonde du-dedans, en explore les
recoins, les replis. Elle apporte à la musique un pouvoir de résonance intime.
Comme dans le remarquable essai de Tanizaki, Éloge de l’ombre, la lumière compose
constamment avec l’ombre et plonge la musique dans son élément propre, la
pénombre.
Dans le contexte du festival rainy days, il y a beaucoup d’opportunités de rencontres entre
la musique et la lumière. Mais il n’y a aucun concert où la lumière est telle qu’elle car elle est
toujours entre les mains d’un artiste. Comment ce projet de rencontre entre la musique et la
lumière s’est-il présenté à vous?
Nous avions conçu cette commande des Percussions de Strasbourg comme une
commande mixte. Nous sommes partis de l’idée de ce composé de lumière et de
musique. Ce n’est donc pas un problème que nous ayons eu à résoudre puisque,
dès l’origine, nous étions partis de cette idée initiale que j’ai toujours prise en compte.
L’idée de la lumière est intervenue dans la composition car, au lieu d’écrire des
espaces compacts, j’ai préparé l’auditeur à des espaces vastes, à des volumes mouvants, à tout ce qui peut évoquer les évolutions, les troubles, les rencontres entre
les volumes de la lumière. Encore une fois, il s’agit d’un projet original qui exclut
toute dimension illustrative ou spectaculaire.
Vous connaissez les Percussions de Strasbourg depuis, au minimum, quarante ans…
Oui, ils ont créé mon op. 1 [Brisants pour piano et ensemble, 1968] avec lequel
nous avons inauguré la Fondation Simón I. Patiño à Genève en 1968, à l’invitation
de Jacques Guyonnet. C’est là que nous nous sommes rencontrés. J’ai écrit pour
eux, pour leur formation.
Et puis il y eu Erewhon [créé par les Percussions de Strasbourg en 1977]…
Qui fut la grande affaire, oui. À la suite de cette première rencontre, les Percussions de Strasbourg m’ont aussitôt proposé de leur écrire une pièce conçue pour
le groupe et je ne me doutais pas que cette aventure prendrait des proportions
pareilles. Pour commencer, j’ai écrit une première pièce, difficile certes mais de
proportions raisonnables. Puis, j’ai ressenti la nécessité de composer d’autres
volets. Ces volets se sont eux-mêmes dédoublés et c’était un processus à n’en
plus finir, au point qu’il a fallu y mettre un terme. L’un des Erewhon, le dernier,
le V, devenu Sombre journée, a été retiré du cycle avec mon accord car il sortait
du cadre de l’œuvre et engageait d’autres considérations musicales. J’ai mis la
patience de mes interprètes à rude épreuve: elle s’est pourtant révélée inaltérable.
Il m’a fallu quatre ans pour composer le cycle et les Percussions de Strasbourg ont
dû lui consacrer une année entière de travail. Dérogeant à leurs propres usages,
ils ont même décidé de faire exceptionnellement appel au compositeur et chef
d’orchestre Giuseppe Sinopoli pour diriger l’œuvre. Celle-ci fut créée à Royan puis
à Donaueschingen quatre mois après. Ce fut une épopée à cause des dimensions,
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de la difficulté et de la nouveauté du projet: l’effectif était gigantesque et les Percussions de Strasbourg n’avaient qu’un camion. Il a fallu en faire venir un second,
rempli du magasin de Radio-France. Vous imaginez? Nous n’avions pas assez
de portiques et n’avions même pas pu calculer les distances, ni les surfaces, ni le
volume qu’occupent ces instruments. Ensuite, nous avons réduit et rationalisé
cet espace pendant plus de vingt ans. Pourquoi avoir fait cela? Je n’en sais rien
mais je relie ce phénomène collectif à l’époque – qui était, quoi qu’on en dise,
révolutionnaire –, une époque dont les Percussions de Strasbourg étaient l’un des
emblèmes.
Quarante ans plus tard, vous composez de nouveau un grand morceau de percussions avec
le même ensemble, avec quarante ans d’expérience en plus…
Là, l’époque est très différente. D’abord, je réalise ce projet avec la seconde génération des Percussions de Strasbourg, car tous les anciens ont passé le relais. C’est
avec cette seconde génération, sous la direction de Lorraine Vaillancourt, que
s’est fait l’enregistrement du disque d’Erewhon, ce qui fut également une gageure.
J’entame donc cette seconde œuvre avec une nouvelle génération, en ayant moimême près de quarante ans de plus. En ce qui concerne Burning bright, qui est
une commande de l’État tout comme le fut Erewhon, j’ai voulu tourner la page,
éviter les redites ou la surenchère. On ne revient pas en arrière. Je me suis efforcé
d’oublier le passé, en prenant soin de ne pas me donner de défi à relever. Le temps
n’est plus à la démesure mais à la réflexion. Il me fallait écrire dans une relative
indifférence au passé, à mon propre passé. En revanche, je me suis attaqué aux
grands problèmes de ce temps, ce que dont je n’aurais pas été capable, même
il y a vingt ans. Occuper une heure de musique de façon assez tranquille, assez
naturelle, avec des matériaux qui respirent d’eux-mêmes, qui s’établissent d’euxmêmes, et dont la présence est hiératique ou au contraire très fluide, voilà un type
d’ambition qui appartient en propre à notre époque et qui eût été inconcevable ne
serait-ce même qu’il y a une vingtaine d’années. On y respire l’air des continents.
Cette nouvelle brise n’appartient pas au passé.
Vous avez participé à la première édition du festival rainy days à la Philharmonie, il y a
dix ans. C’était un grand moment du festival…
Pour moi, c’était plus qu’un grand moment. Cela fait partie des moments décisifs,
notamment grâce à la rencontre d’un orchestre auquel je suis redevable et suis
resté très attaché. Nous avons fait ensemble un certain nombre de disques vraiment réussis, qui ont été primés, et avons soudé des liens. Il y a dix ans, le festival
rainy days a représenté bien plus qu’un tournant dans ma carrière. Ce fut un moment privilégié de rencontre avec un public, dans un certain esprit de culture, avec
même une exigence de haute culture. Je me souviens du climat des répétitions,
d’un orchestre extrêmement attentif, parfois même tendu; le soliste, le grand altiste
Gérard Caussé [dans Le Cyprès blanc, 2004, le 25.11.2005 avec l’OPL sous la direction de Pierre-André Valade] était toujours très exigeant, très directif, pointilleux
même. Il émanait de l’orchestre une volonté de réussir. La pièce était très difficile
et longue. C’était une symphonie avec alto, qui posait des problèmes constants
d’équilibre. Le soliste est constamment confronté à la marée montante des sonorités d’orchestre et l’orchestre craint de le couvrir. J’ai placé le soliste dans une
situation qui symbolise notre préoccupation la plus communément partagée:
échapper à la noyade. Tout le monde a compris et j’ai obtenu ces sonorités de
clair-obscur à la Rembrandt que je recherchais. Il faudrait aussi parler de l’accueil
du public et de sa qualité d’écoute. La musique au Luxembourg représente déjà
pour moi le monde du Nord mais ce n’est pas l’Allemagne ni la Hollande. Il s’agit
d’autre chose, de plus pacifique. Je dois beaucoup à ce festival. C’est avec l’OPL
que j’ai fait les principaux disques de musique symphonique ces dix dernières
années, ce qui représente une œuvre commune. Et les liens qui ont été noués ont
été vraiment très forts.
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Deux rivières qui prennent leur source
dans la même montagne
Sur la création lumière pour «Burning bright»
Enrico Bagnoli en conversation avec Bernhard Günther et James Chan-A-Sue
Que va voir le public pendant la création avec lumières de Burning bright dans le cadre du
festival rainy days au Théâtre National de Luxembourg?
Le public va voir un concert: il va voir des musiciens faire de la musique. Il faut
partir de ce point de vue: le public ne va pas voir un ‹son et lumière›, ni un spectacle de lumières, ni une installation. Il va assister à un concert des Percussions
de Strasbourg, durant lequel la lumière va accompagner la compréhension de la
musique; mais elle ne va pas se poser comme sujet.
Que peut-on dire alors de l’aspect visuel de ce spectacle, qui est quand même conçu pour les yeux?
Le public va voir des musiciens, mais de temps à autre, grâce aux propriétés physiques de la lumière, il va les voir se dédoubler, se réfléchir dans un grand miroir.
Le public va aussi voir se développer une relation un peu plus approfondie
entre les instruments. Par moments, le public va peut-être ressentir un peu plus
d’émotion à travers mon interprétation du travail de Dufourt. Mais ce que je
cherche à mettre en valeur ici, je cherche toujours à le faire dans le respect de la
partition. C’est certes une question très ancienne.
Quand on fait un spectacle avec de la lumière sur de la musique, on court toujours
le danger de faire un ‹son et lumière›. Cela plaît beaucoup et exerce une certaine
fascination sur le public, mais parfois la lumière se pose presque en sujet principal
de la pièce, comme la chose qu’il faut regarder, et le public a alors tendance à se
laisser fasciner par la lumière, à ne pas trop regarder ni écouter le concert. Pour
que ça fonctionne, il faudrait que le public, en voyant la lumière, entende mieux
le concert – en un mot, lorsqu’on écoute la musique, il faudrait que l’on soit aidé
par la lumière. Pour moi, il doit y avoir interaction entre les deux travaux, celui
sur la musique et celui sur la lumière. Je travaille beaucoup à l’opéra et je fais
beaucoup de mises en scène. Un bon metteur en scène d’opéra, c’est celui qui se
met à la place du chef d’orchestre et un bon chef d’orchestre est celui qui pense
comme un metteur en scène. Mais lorsqu’un metteur en scène pense simplement
comme un metteur en scène et qu’il exclut la musique, quand le chef d’orchestre
veut que la musique soit au centre et qu’il se moque complètement de la mise en
scène, alors le spectacle ne fonctionne pas.
Que dira le créateur de lumières que vous êtes pour décrire ce que le public s’apprête à entendre?
Cet entretien a été réalisé
le 12.09.2014 lors d’une
répétition des Percussions
de Strasbourg au Théâtre de
Hautepierre à Strasbourg.
Transcription: Sofiane
Boussahel
Des extraits de l’entretien
ont été utilisés dans la vidéo
Burning bright – un regard
en coulisses de James
Chan-A-Sue, en ligne sur
www.youtube.com/user/
PhilharmonieLux
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Il est toujours difficile de décrire un phénomène artistique avec des mots, qu’il
s’agisse d’un poème, de la musique ou encore de l’art visuel, les mots sont insuffisants. Ils peuvent tout au plus décrire des sentiments, des émotions, mais je
pense que c’est un peu compliqué. Si je parvenais à résumer avec des mots ce que
la musique cherche à exprimer avec ses propres moyens, je serais un champion,
car rien qu’avec la percussion, il y a une telle palette de nuances, de sons, de registres… Tout cela est très difficile à transcrire par les mots. Si je devais trouver
des mots, je dirais que je trouve cette musique très limpide, qu’elle suit des développements très clairs, très précis, très bien écrits. L’ensemble pourrait facilement
prendre une tournure chaotique à cause de la masse, mais il reste toujours extrême-
ment lisible. Les événements très contrastés qui se produisent à l’intérieur du
parcours est tout de même important: composer ou mettre en lumières une heure
de percussions tout en suivant une direction, en cherchant le renouvellement des
idées, a quelque chose d’assez virtuose. Chaque artiste est face à une page blanche
au moment où il se met à créer, ce qui le confronte à deux problématiques: comment remplir son temps avec les éléments qu’il a à sa disposition, comment donner l’impression d’entraîner l’auditeur dans un voyage d’une heure en évitant de
tomber dans la répétition. Pour moi, le fait de créer la sensation d’un développement est quelque chose d’assez virtuose. Le développement introduit une variété,
on pourrait même parler d’un développement dramaturgique au sein de la pièce.
Tout cela est à mon avis relativement rare dans la musique contemporaine, car je
ne comprends pas toujours le fil. Ici, chez Hugues Dufourt, j’en perçois un. Je ne
pourrais pas le décrire avec des mots mais j’ai l’impression qu’il peut être perçu
avec beaucoup d’évidence.
La musique est tout de même un élément fondamental de votre activité créatrice?
La musique représente une très grande partie de ma vie. Pour moi, la musique et
la lumière sont deux domaines très proches l’un de l’autre. Je n’irais pas aussi loin
que Goethe, qui établissait une relation presque mathématique entre un son et
une couleur et qui pensait qu’il s’agissait dans les deux cas d’une même vibration,
d’une même fréquence, l’une visible, l’autre audible. Je pense cependant qu’il y
a une relation, et que cette relation a passionné beaucoup de monde, aussi bien
dans les arts visuels qu’en musique. Cette relation a été beaucoup plus étudiée et
approfondie aux 18e et 20e siècles que maintenant au 21e, à travers les recherches
de Goethe, de Scriabine, de Wittgenstein ou encore Kandinsky – tous ont essayé
de se poser des questions sur cette relation. Goethe nous a donné une très belle
définition de ce rapport: pour lui, la musique et la lumière sont comme deux
rivières qui prennent leur source dans la même montagne, avant de traverser des
vallées différentes. Il ne faut pas toujours chercher des similitudes. Il ne me semble
pas intéressant de faire ce que Scriabine a essayé de faire en attribuant des couleurs à chacune des notes de la gamme. Toutefois, quand j’ai travaillé sur Prométhée
de Scriabine, j’ai créé un instrument avec lequel je voulais réaliser le rêve de
Scriabine sur plusieurs octaves. Quand on a travaillé avec un musicien et que
sur cet instrument on a commencé à jouer une autre musique, celle de Bach, des
combinaisons se sont fait jour, qui sont tellement claires et pour lesquelles on
comprend qu’il y a un véritable fondement. La musique de Bach est une musique
extrêmement codée, mathématique, et si on la joue avec cette sorte d’instrument
visuel qu’est le clavier de lumières, on comprend que chaque accord de couleurs a
un sens. La lumière est à la base d’à peu près tout. Fassbinder disait que le cinéma,
ce n’est que de la lumière et de l’ombre [n.d.l.r.: dans Veronika Voss, «Licht und
Schatten sind die beiden Geheimnisse des Films»], donc la lumière est à peu près
tout, le seul élément qu’il est impossible d’évacuer au théâtre. Même en partant
de zéro il faut toujours se poser la question de la lumière. L’analyse de la lumière
est fondamentale. Un concert bien éclairé est toujours plus facile à écouter qu’un
concert mal éclairé. Au théâtre, si on voit les acteurs, on comprend mieux ce
qu’ils disent. Le contact avec le monde se fait à travers la lumière. Chacun d’entre
nous a une grande sensibilité à la lumière et la lumière a une influence énorme sur
la vie de chacun de nous.
Comment s’est déroulée la rencontre avec le compositeur?
La rencontre entre la musique et la lumière, on l’imagine souvent tel un événement
extraordinaire. Ici, c’est assez ordinaire. Le travail avec la lumière est un travail
qui demande d’écouter et de comprendre la pièce avant de faire des propositions.
Je ne rencontre Hugues Dufourt qu’aujourd’hui. Certes, nous avons beaucoup
échangé à distance. Il a composé sa musique, je l’ai écoutée et c’est sur cette base
que je formule mes propositions. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de dialoguer
trop en amont avec le compositeur, en réalité. J’ai surtout travaillé et discuté avec
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les percussionnistes. Il me semble que c’est une bonne solution. Les deux mondes
ne doivent pas être ensemble dès le début. Ce point de vue peut générer quelque
chose d’intéressant. La partition a été écrite et c’est après que je me suis greffé
sur ce travail qui sera présenté au préalable par les musiciens des Percussions de
Strasbourg le 25 septembre. Ma proposition est une proposition parmi d’autres
possibles. Il y a pas mal de points communs entre l’analyse de la lumière, l’analyse
d’une ligne, d’un décor, et celle de la musique, d’une composition musicale: de
nombreux points se rejoignent dans le développement dramaturgique de la pièce.
Nous n’avons pas encore travaillé sur la phase finale du projet. D’ailleurs, à mon
avis, on ne peut pas travailler en même temps sur la musique et sur la lumière!
Que retiendrez-vous du travail avec les Percussions de Strasbourg?
Quand on entend les Percussions de Strasbourg en concert, on a devant soit, de
tout évidence, un groupe qui se connaît très bien. C’est la raison pour laquelle le
travail avec ces musiciens est extrêmement efficace. Pour moi, selon mes barèmes,
une semaine de travail, ce n’est rien, on n’a pas le temps de faire ce qu’on voudrait
faire. Pour eux, c’est une condition exceptionnelle. Ils ont la concentration nécessaire durant toute la durée qui leur est impartie pour se mettre au travail, une précision qu’il serait impossible d’avoir au théâtre. La percussion, par ailleurs, est
pour moi à la limite entre la musique et autre chose, c’est une musique très chorégraphique, où il y a beaucoup à voir, par rapport à un récital de clavecin ou de
piano, qui visuellement est plus limité. Les percussionnistes utilisent, fabriquent,
rabotent, adaptent une quantité d’objets fabuleuse. Ils sont forcés de développer
une très grande créativité. Ce sont des musiciens mais en même temps aussi des
artisans. Dans notre projet, le même concept aurait été radicalement différent s’il
avait fallu travailler avec de la musique jouée par des bois ou un clavecin. Avec les
percussions, ce qui me semble important, c’est cette relation avec les objets, un
aspect très physique du travail musical.
Quel est précisément le rôle du miroir d’eau dans votre création?
Le miroir d’eau n’est pas un vrai miroir, c’est une sorte d’anamorphose, un miroir
qui peut être modifié, comme le serait une goutte d’eau, par les musiciens. J’ai
souhaité créer un double: pour la première fois à ma connaissance, on peut apercevoir dans un concert ce qui se passe en dessous des instruments, des parties
qu’on ne voit pas habituellement, car elles sont cachées. Tout cela sera fait sans
aucun artifice: il n’y a pas de vidéo, rien d’externe au monde dans lequel on est
né, il était pour moi absolument important que tout naisse de l’eau. Aussi, il n’y
a pas d’effet créé par la vidéo. L’ensemble du matériel visuel est généré par les
musiciens, ce qu’on voit est ainsi plus ambigu que ce qu’on pense. Il se produit
un certain nombre d’événements: la lumière change ou quelque chose tombe
dans l’eau. L’eau entre en vibration, l’une des deux images se trouble et n’est donc
plus aussi claire. On peut changer la lumière encore une fois et voir encore autre
chose. Je fais appel à des phénomènes naturels, des phénomènes physiques. Une
moitié de l’image est droite, parce qu’on la voit frontalement, une autre moitié
est inversée: on voit un personnage qui est à l’envers et on se demande pourquoi
il est à l’envers. Ce sont des phénomènes optiques, toujours naturels, jamais
artificiels. Le miroir fascine depuis toujours. Dans le miroir, notre cerveau inverse
l’image mais pas complètement, l’image que nous voyons filtrée est le résultat
d’une opération du cerveau, lequel inverse une partie de l’image, l’autre pas. Dans
mon travail, habituellement, je fais aussi appel à cette forme de perception à
travers la vidéo. Ici, je pourrais certes filmer et projeter mais il y aurait encore un
artifice créé par une machine alors qu’ici, quelque chose de complètement naturel
mais plus compliqué, plus ambigu se produit. Je me réjouis à l’idée de présenter
dans cette installation cet élément qu’est le miroir d’eau, qui sera présent dans la
pièce – cet élément repose sur une écriture ‹naturelle›, analogique et pas du tout
électronique. Les éléments physiques, naturels, changent notre perception et les
miroirs y contribuent pour beaucoup.
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Hugues Dufourt: Burning bright
Burning bright, komponiert zum fünfzigjährigen Jubiläum der Percussions de Strasbourg, hat seinen Titel von einem der berühmtesten Gedichte der englischsprachigen Literatur, William Blakes The Tyger aus dem Jahr 1794.
In diesem leidenschaftlichen Gedicht treibt William Blake die Schockwirkung aufeinanderprallender Gegensätze auf die Spitze, die in gewisser Weise den Ursprung
der Welt und die Bedingung jeder Äußerung von schöpferischer Kraft bilden.
Die grundsätzliche Unvereinbarkeit von ‹Unschuld› und ‹Erfahrung› als zwei
extremen Zuständen der menschlichen Seele umspannt das gesamte dichterische
Werk Blakes und verleiht ihm seine tragische Größe und seinen visionären Stil.
Als Nonkonformist und Freidenker stand er repressiver Moral und jeglicher Form
religiöser Unterdrückung ablehnend gegenüber, ergriff Partei für die Französische
Revolution und verurteilte die Sklaverei in den Vereinigten Staaten, ohne auf
eine gewissermaßen mystische Suche zu verzichten – ganz in der Tradition Dantes
und Miltons –, die seiner Meinung nach das einzig geeignete Mittel war, der
Herrlichkeit der inneren Erleuchtung Ausdruck zu verleihen. Die eruptive und
halluzinative Wut seiner Visionen flößt Angst und Ehrfurcht ein. Der in den Abgrund eines elenden Zustands gestürzte Mensch kann sieht allerdings ein brennendes Licht schimmern, das, ohne etwas zu versprechen, doch die Möglichkeit
einer anderen Herrschaft als die der vorherigen zulässt.
In einem großen Bogen, wie ein riesiges Bruckner’sches Adagio, bricht Burning
bright als poetische Vision mit allen möglichen Grenzen der Tradition. Die Musik
erhebt sich in einzelnen Schichten und Schwaden oder taucht plötzlich breit
und diffus auf. Timbres schaffen sich ihren eigenen Resonanzraum und ordnen
sich in der Tiefe, einem unbestimmten Fluchtpunkt am Horizont gleich. Klänge
schwellen an, lösen sich auf oder verdrehen sich und vermengen sich dabei wie
Flüssigkeiten oder Gas. Die Arbeit am Timbre ist nicht nur eine kunstvolle Retusche. Das Abdriften der farbigen Massen ersetzt die Spiele jener formalen Konfigurationen, die typisch für das vergangene Jahrhundert sind. Reibende Techniken
sind wichtiger als schlagende.
Ganz wie Blakes Gedicht setzt Burning bright auf ursprüngliche Energien: Ein Drama
ohne Story und ohne Anekdoten, eine Form, die sich aus sich selbst heraus bildet
und die, unterbrochen durch Erdbeben unterschiedlichster Art, stets auf der Suche
nach ihrer Einheit ist. In den unermesslichen Raum, der sich hier dem Betrachter
öffnet, einen Raum à la Kubrick, sind wir möglicherweise – trotz aller Hoffnungen
unserer Gegenwart – für immer eingeschlossen.
(Hugues Dufourt)
The Tyger
William Blake
(Songs of Experience, 1794)
Tyger Tyger, burning bright,
In the forests of the night,
What immortal hand or eye
Could frame thy fearful symmetry?
What the hammer? what the chain?
In what furnace was thy brain?
What the anvil? what dread grasp
Dare its deadly terrors clasp?
In what distant deeps or skies
Burnt the fire of thine eyes?
On what wings dare he aspire?
What the hand dare sieze the fire?
When the stars threw down their spears,
And water’d heaven with their tears,
Did he smile his work to see?
Did he who made the Lamb make thee?
And what shoulder, & what art,
Could twist the sinews of thy heart?
And when thy heart began to beat,
What dread hand? & what dread feet?
Tyger, Tyger burning bright
In the forests of the night:
What immortal hand or eye
Dare frame thy fearful symmetry?
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