switch the light on rainy days 2014 Philharmonie Luxembourg 26
Transcription
switch the light on rainy days 2014 Philharmonie Luxembourg 26
switch the light on rainy days 2014 Philharmonie Luxembourg 26.– 30.11.2014 Établissement public Salle de Concerts Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte Impressum © Philharmonie Luxembourg 2014 Établissement public Salle de concerts Grande-Duchesse Joséphine-Charlotte 1, Place de l’Europe L-1499 Luxembourg www.philharmonie.lu www.rainydays.lu ISBN 978-99959-909-0-9 EAN 9789995990909 Für den Inhalt verantwortlich: Stephan Gehmacher Redaktion: Bernhard Günther Karsten Nottelmann Dominique Escande Sofiane Boussahel Redaktionelle Mitarbeit: Raphaël Rippinger Design: Pentagram Design Limited, Berlin Satz: Bernhard Günther Umschlaggestaltung: Patrick Ackermann, Bernhard Günther Print Management: print solutions, Luxembourg Die Photos auf den Seiten 8–58, 127, 130, 145 und 192 entstanden im Rahmen des Projekts «switch the light on» der Klasse T4CA am Lycée Technique des Arts et Métiers LuxembourgLimpertsberg (LTAM) für das Festival rainy days 2014. Wir danken den Schülern Nathaniel Alves, Charel Cathrein, Thoma Forgiarini, Céline Gil Bornatici, Samuel Hastert, Roxanne Peguet, Nathaniel Roettgers, Laurent Schiltz, Borin Shehu, Mario Spahic und Fabien Spaus sowie dem Lehrer Joseph Tomassini für die Kooperation. Die Kompositionsaufträge an Manos Tsangaris (S. 92), Michael Reudenbach (S. 132) und Sebastian Claren (S. 152) wurden dankenswerterweise von der Ernst von Siemens Musikstiftung unterstützt. Nous remercions / Dank an: les musiciens, auteurs et partenaires du festival; Ircam Paris, Cdmc Paris Tous droits réservés / Alle Rechte vorbehalten / All rights reserved Partenaire officiel: Partenaire automobile exclusif: 2 READ / LIESEN switch the light on Mose / Luther: Am Anfang war das Licht Hartmut Böhme: Die absolute Metapher Ada Günther: Mehr Licht! Christoph Martin Wieland: Sechs Antworten auf sechs Fragen Platon / Schleiermacher: Das Höhlengleichnis Dominique Escande: Des chandelles à l’électricité Jules Verne: Une fantaisie du docteur Ox Jean-Marc Warszawski: Le clavecin pour les yeux Tanikazi Junichirô: Éloge de l’ombre 6 9 11 15 21 27 32 41 51 55 LOOK / LUUSSEN 27.–30.11.2014 «Light art from the Ege Art Foundation collection» Eric Michel: Mono Light & Seven Keys Mono Blue Christian de Portzamparc: La lumière à la Philharmonie 62 69 71 LISTEN / LAUSCHTEREN 26.11.2014 20:30 «Switch the Light On: A Luminous Film Event» 27.11.2014 19:00 «Dating Scriabine» 27.11.2014 21:00 Dufourt: Burning bright Hugues Dufourt / Bernhard Günther / James Chan-A-Sue Enrico Bagnoli / Bernhard Günther / James Chan-A-Sue 28.11.2014 20:00 Schönberg / Cerha / Tsangaris /Scriabine Therese Muxeneder: Arnold Schönbergs Fünf Orchesterstücke op. 16 Friedrich Cerha: Spiegel Friedrich Cerha: Spiegel – zum szenischen Entwurf Fabiana Piccioli: About the lighting design concept Manos Tsangaris / Bernhard Günther Manfred Kelkel: Prométhée ou le Poème du feu Sigfried Schibli: Skrjabin und das Licht 29.11.2014 15:00–18:15 «Music & Light art» Sabine Franz / Julia Galandi-Pascual: Zum Projekt «Music & Light art» 29.11.2014 15:00–18:15 «Sonovisor» / «Light & Sound» Claude Lenners: Noise Watchers Unlimited «Sonovisor» 29.11.2014 20:00 «iTMOi» Ruth Little: Mind Mapping 30.11.2014 13:00 Frank / David / Schubert / Schüttler «Enlightenment» 30.11.2014 15:00 Reudenbach / Fleischer: white radiation Joachim Fleischer / Michael Reudenbach / Michael Zwenzner 30.11.2014 16:15 Jodlowski: Série Noire / Blanche / Bleue / Rose Pierre Jodlowski / Sofiane Boussahel 30.11.2014 17:15 & 19:00 Claren / Kliem: Maurizio/Licht Sebastian Claren: Maurizio / Licht für Streichorchester Sebastian Claren / Bernhard Günther 30.11.2014 17:15 & 19:00 Maximilian Maintz: ¡Off With Their Heads! 30.11.2014 20:30 Klein: Symphonie Monoton – Silence Frédéric Prot: La Symphonie Monoton – Silence d’Yves Klein Éliane Radigue / Philippe Ungar Yves Klein: About the Monotone – Silence Symphony Rebecca François: Le théâtre du vide. Eric Michel 78 80 82 84 88 92 94 96 98 98 99 107 109 114 116 120 121 122 124 125 126 128 132 135 144 146 152 154 155 160 162 165 167 168 169 LOOK UP / NOSICHEN Compositeurs, interprètes & ensembles 174 174 3 Hugues Dufourt: Burning bright Jeudi / Donnerstag / Thursday 27.11.2014 21:00 Théâtre National du Luxembourg 194, route de Longwy, L-1940 Luxembourg Percussions de Strasbourg Claude Ferrier, Bernard Lesage, Keiko Nakamura, Minh-Tam Nguyen, François Papirer, Olaf Tzschoppe percussion Enrico Bagnoli lumières (commande / Auftrag Philharmonie Luxembourg) Ilaria Mozzambani assistante aux lumières Hugues Dufourt: Burning bright pour six percussions (2014, commande de l’État français pour les Percussions de Strasbourg; création de la version avec lumières / Uraufführung der Fassung mit Licht) ~60’ sans entracte / ohne Pause Coproduction Philharmonie Luxembourg et Percussions de Strasbourg Coopération avec le Théâtre National du Luxembourg TTT (TotalTheaterTreffen) meets rainy days 82 Hugues Dufourt Burning bright Répétition des Percussions de Strasbourg avec Enrico Bagnoli, Strasbourg, 12.09.2014 photo: Michel Goldschmidt 83 «Une construction cosmique pour l’imaginaire de notre temps» Sur «Burning bright» Hugues Dufourt en conversation avec Bernhard Guenther et James Chan-A-Sue Pourriez-vous nous donner une petite description de ce que le public va voir pendant la création avec lumières de Burning bright au festival rainy days? Le public va d’abord être confronté à un aspect inattendu de la percussion. C’est une forêt. Il découvre une forêt d’instruments, avec les tréteaux et portiques qui leur servent de supports. Ces instruments sont disposés autour d’une très grande surface d’eau dont les pilotis et les arceaux se reflètent en miroir. Enrico Bagnoli a conçu cette surface miroitante et irisée comme une nappe liquide calme et inquiétante, qui agira à la fois comme le révélateur et la sourde hantise de toute la pièce. Un peu comme un lac magique, le lac inconnu, le lac des profondeurs, le lac de l’inconscient. Mais rien ne se passera de façon aussi didactique et explicite: ce sont plutôt la lumière et son évolution au sein de la pièce qui créeront des climats à la fois atmosphériques et psychologiques. Le son et la lumière inextricablement mêlés entraîneront peu à peu le spectateur dans les étapes d’une exploration des profondeurs de l’âme humaine. L’auditeur est convié à descendre au fond des grottes, dans les recoins des volcans, pour y entrer dans une période d’‹incubation›. Comme dans l’Antiquité, il s’approche de cette région que les dieux même redoutaient – le Tartare, c’est-à-dire le face-à-face avec l’image de sa propre mort. Mais ma pièce n’a rien de funèbre et, au contraire, en dépit de ces ténèbres oscillantes, elle est extrêmement lumineuse et toujours traversée d’éclairs. La lumière de la musique est métaphorique tandis que celle d’Enrico Bagnoli est bien réelle, même si elle est entièrement tournée vers les mondes introspectifs de l’imaginaire. Son éclairage n’a justement rien d’un éclairage illustratif et comme projeté du dehors. Tout au contraire les jeux subtils et les interférences des dispositifs lumineux sont une manière d’ausculter la musique de l’intérieur et de jeter un regard sur son secret. Ce sera toujours une lumière intime, qui explore les replis les plus cachés de l’âme humaine. Qu’est-ce que le public va entendre? Cet entretien a été réalisé le 12.09.2014 lors d’une répétition des Percussions de Strasbourg au Théâtre de Hautepierre à Strasbourg. Transcription: Dominique Escande Des extraits de l’entretien ont été utilisés dans la vidéo Burning bright – un regard en coulisses de James Chan-A-Sue, en ligne sur www.youtube.com/user/ PhilharmonieLux 84 Le public risque d’être déconcerté. D’abord car il sera plongé dans une durée d’une ampleur et d’une lenteur inhabituelles. Parfois les gens sont décontenancés, s’ennuient, toussent ou sortent. Ceux qui restent sont peu à peu captivés par la musique, suivent son parcours et participent à son processus. Ils deviennent les acteurs du déroulement de l’action dramatique. Car cette musique sollicite autre chose que de l’attention, elle réclame une immersion. Il faut donc que le public renonce à ses résistances critiques, à sa distance de spectateur, ou à son Moi, et qu’il entre peu à peu dans des univers étranges qui ne sont pas forcément des univers personnels. Cette pièce n’a rien d’autobiographique, c’est une sorte de construction mythologique, de construction cosmique pour l’imaginaire de notre temps. Je souhaite entraîner le spectateur dans la gestation d’un monde afin qu’il en devienne luimême le protagoniste. Il faut donc qu’il cesse d’être spectateur et devienne acteur. Que va-t-il entendre? Des sonorités très étranges. Comme j’ai déjà beaucoup écrit pour la percussion, je ne voulais en aucun cas revenir aux expressions du passé. Je ne voulais pas livrer une pièce de circonstance pour la célébration, aussi prestigieuse soit-elle, d’un anniversaire. J’ai donc fait l’inventaire des ressources et me suis interrogé sur ce que l’on a produit de vraiment nouveau depuis près de quarante ans – depuis que j’ai composé Erewhon (1972–1976) pour les Percussions de Strasbourg. J’ai été frappé par l’échelle même de l’innovation, qui se situe à la dimension des continents. La productivité dans le domaine des percussions s’appréhende en effet à cette échelle et exprime, à mon sens, les couches les plus profondes de la société. La percussion a un ancrage sociologique beaucoup plus important que les instruments de musique plus classiques, mieux insérés dans la tradition musicale. Il s’agit d’une production bien souvent populaire, qui est le fait de gens qui improvisent et bricolent, surtout en Amérique du Sud où l’inventivité est impressionnante. L’Amérique du Sud façonne des instruments originaux et fait germer des idées ingénieuses, qu’on dirait en prise directe sur le système des pulsions. Bien souvent, l’Amérique du Nord prend le relais, modélise et industrialise l’idée. Les nouveaux instruments de percussion sont fréquemment des hybrides; ils naissent de la rencontre de deux technologies ou de deux imaginaires propres à deux continents. L’Amérique du Sud est entrée dans le concert de la percussion mondiale. L’Amérique du Nord a beaucoup produit mais dans un tout autre registre; elle s’est notamment spécialisée dans les instruments des films d’angoisse ou de terreur et cette remarque n’a rien de péjoratif. C’est par le biais du cinéma que l’Amérique du Nord, à mon avis, a été inventive. Elle a produit des instruments véritablement nouveaux et parfois même géniaux. Ces deux continents ont également mené une très grande réflexion sur la nature des baguettes. Ce qui revient, au fond, à s’interroger sur l’essence même de la percussion: celle-ci consiste-telle seulement à frapper des instruments? Eh bien, non. Et j’ai pu constater qu’une percussion de frottement s’était peu à peu substituée à une percussion de choc, de roulement ou d’ébranlement. Ce n’est donc plus le geste percuté mais le geste frotté qui prévaut désormais. Et l’on voit apparaître des baguettes d’un genre nouveau, qui s’appliquent d’ailleurs aussi bien aux instruments traditionnels qu’aux instruments récents, et qui permettent de tirer de tous des sons inouïs. Les baguettes sont faites de matières plastiques très particulières et variées, définies par une densité, une élasticité, une épaisseur et des coefficients d’adhérence calculés et normalisés par la production industrielle. Il existe aux États-Unis des industries raffinées vouées à la fabrication de ce type de baguettes, conçues pour la friction ou le frottement. Les sons qui en émanent ressemblent pour la plupart à des voix d’outre-tombe. Évidemment, ils sont conçus pour illustrer ou susciter l’angoisse ou la terreur. Ne voulant pas renchérir sur la musique des films d’horreur, je me suis borné à délivrer les voix du monde d’en-bas. En cinquante ans, les bases de la percussion ont ainsi changé. Elles ouvrent l’imaginaire à des associations insolites de frottements, qui vont jusqu’à l’utilisation des très grosses mailloches à friction venues d’Asie. Les Feng gongs par exemple ont pour caractéristique d’échapper à la percussion asiatique traditionnelle. Les métaux asiatiques traditionnels tendent, une fois qu’ils sont mis en branle, à grimper très vite dans les harmoniques aigus. L’énergie sonore se dissipe rapidement, avec cette sonorité à la fois explosive et éclatante que l’on connaît bien, à l’exemple du tam-tam. Les asiatiques, les Chinois surtout, ont inventé depuis des instruments qui répriment ou contiennent cette explosion énergétique. Ils ont obtenu des mixtes de gongs et de tam-tams dont la sonorité toujours soutenue semble au bord de l’explosion, sans jamais l’atteindre. Un occidental peut tirer parti de cette modulation de l’énergie, qui constitue un régime dynamique original. Cette énergie constamment modulée s’associe remarquablement aux sonorités d’Amérique du Nord – celles des films de terreur – ainsi qu’aux évocations du foisonnement sonore des forêts d’Amazonie. La percussion du 21e siècle opère donc à la fois la confrontation et la synthèse des techniques instrumentales et des sensibilités musicales de trois continents: l’Amérique du 85 Nord, l’Amérique du Sud et l’Asie. La mise en œuvre d’une telle confrontation suppose, dans la composition musicale, une très grande durée de déploiement. Et je suis heureux d’avoir pu disposer d’une heure de musique pour une telle expérience. Car le matériau est lent, puissant, majestueux et ne souffre aucune précipitation dans son exposition. Il trouve, chemin faisant, sa forme, qui est une grande forme. Ce matériau se constitue peu à peu, par couches, par strates superposées, par interférences et sa structure formelle est étrangère au développement rationnel progressif que l’on connaît en Europe. Quel est le rapport entre la musique et la lumière? La musique se déploie dans une succession d’émergences, comme des couches ou des strates qui se découvrent peu à peu. Comme je l’ai dit, la lumière n’apporte pas un ‹éclairage› – qu’il soit physique ou métaphorique – sur la pièce, comme on l’inspecterait du regard. Au contraire, elle la sonde du-dedans, en explore les recoins, les replis. Elle apporte à la musique un pouvoir de résonance intime. Comme dans le remarquable essai de Tanizaki, Éloge de l’ombre, la lumière compose constamment avec l’ombre et plonge la musique dans son élément propre, la pénombre. Dans le contexte du festival rainy days, il y a beaucoup d’opportunités de rencontres entre la musique et la lumière. Mais il n’y a aucun concert où la lumière est telle qu’elle car elle est toujours entre les mains d’un artiste. Comment ce projet de rencontre entre la musique et la lumière s’est-il présenté à vous? Nous avions conçu cette commande des Percussions de Strasbourg comme une commande mixte. Nous sommes partis de l’idée de ce composé de lumière et de musique. Ce n’est donc pas un problème que nous ayons eu à résoudre puisque, dès l’origine, nous étions partis de cette idée initiale que j’ai toujours prise en compte. L’idée de la lumière est intervenue dans la composition car, au lieu d’écrire des espaces compacts, j’ai préparé l’auditeur à des espaces vastes, à des volumes mouvants, à tout ce qui peut évoquer les évolutions, les troubles, les rencontres entre les volumes de la lumière. Encore une fois, il s’agit d’un projet original qui exclut toute dimension illustrative ou spectaculaire. Vous connaissez les Percussions de Strasbourg depuis, au minimum, quarante ans… Oui, ils ont créé mon op. 1 [Brisants pour piano et ensemble, 1968] avec lequel nous avons inauguré la Fondation Simón I. Patiño à Genève en 1968, à l’invitation de Jacques Guyonnet. C’est là que nous nous sommes rencontrés. J’ai écrit pour eux, pour leur formation. Et puis il y eu Erewhon [créé par les Percussions de Strasbourg en 1977]… Qui fut la grande affaire, oui. À la suite de cette première rencontre, les Percussions de Strasbourg m’ont aussitôt proposé de leur écrire une pièce conçue pour le groupe et je ne me doutais pas que cette aventure prendrait des proportions pareilles. Pour commencer, j’ai écrit une première pièce, difficile certes mais de proportions raisonnables. Puis, j’ai ressenti la nécessité de composer d’autres volets. Ces volets se sont eux-mêmes dédoublés et c’était un processus à n’en plus finir, au point qu’il a fallu y mettre un terme. L’un des Erewhon, le dernier, le V, devenu Sombre journée, a été retiré du cycle avec mon accord car il sortait du cadre de l’œuvre et engageait d’autres considérations musicales. J’ai mis la patience de mes interprètes à rude épreuve: elle s’est pourtant révélée inaltérable. Il m’a fallu quatre ans pour composer le cycle et les Percussions de Strasbourg ont dû lui consacrer une année entière de travail. Dérogeant à leurs propres usages, ils ont même décidé de faire exceptionnellement appel au compositeur et chef d’orchestre Giuseppe Sinopoli pour diriger l’œuvre. Celle-ci fut créée à Royan puis à Donaueschingen quatre mois après. Ce fut une épopée à cause des dimensions, 86 de la difficulté et de la nouveauté du projet: l’effectif était gigantesque et les Percussions de Strasbourg n’avaient qu’un camion. Il a fallu en faire venir un second, rempli du magasin de Radio-France. Vous imaginez? Nous n’avions pas assez de portiques et n’avions même pas pu calculer les distances, ni les surfaces, ni le volume qu’occupent ces instruments. Ensuite, nous avons réduit et rationalisé cet espace pendant plus de vingt ans. Pourquoi avoir fait cela? Je n’en sais rien mais je relie ce phénomène collectif à l’époque – qui était, quoi qu’on en dise, révolutionnaire –, une époque dont les Percussions de Strasbourg étaient l’un des emblèmes. Quarante ans plus tard, vous composez de nouveau un grand morceau de percussions avec le même ensemble, avec quarante ans d’expérience en plus… Là, l’époque est très différente. D’abord, je réalise ce projet avec la seconde génération des Percussions de Strasbourg, car tous les anciens ont passé le relais. C’est avec cette seconde génération, sous la direction de Lorraine Vaillancourt, que s’est fait l’enregistrement du disque d’Erewhon, ce qui fut également une gageure. J’entame donc cette seconde œuvre avec une nouvelle génération, en ayant moimême près de quarante ans de plus. En ce qui concerne Burning bright, qui est une commande de l’État tout comme le fut Erewhon, j’ai voulu tourner la page, éviter les redites ou la surenchère. On ne revient pas en arrière. Je me suis efforcé d’oublier le passé, en prenant soin de ne pas me donner de défi à relever. Le temps n’est plus à la démesure mais à la réflexion. Il me fallait écrire dans une relative indifférence au passé, à mon propre passé. En revanche, je me suis attaqué aux grands problèmes de ce temps, ce que dont je n’aurais pas été capable, même il y a vingt ans. Occuper une heure de musique de façon assez tranquille, assez naturelle, avec des matériaux qui respirent d’eux-mêmes, qui s’établissent d’euxmêmes, et dont la présence est hiératique ou au contraire très fluide, voilà un type d’ambition qui appartient en propre à notre époque et qui eût été inconcevable ne serait-ce même qu’il y a une vingtaine d’années. On y respire l’air des continents. Cette nouvelle brise n’appartient pas au passé. Vous avez participé à la première édition du festival rainy days à la Philharmonie, il y a dix ans. C’était un grand moment du festival… Pour moi, c’était plus qu’un grand moment. Cela fait partie des moments décisifs, notamment grâce à la rencontre d’un orchestre auquel je suis redevable et suis resté très attaché. Nous avons fait ensemble un certain nombre de disques vraiment réussis, qui ont été primés, et avons soudé des liens. Il y a dix ans, le festival rainy days a représenté bien plus qu’un tournant dans ma carrière. Ce fut un moment privilégié de rencontre avec un public, dans un certain esprit de culture, avec même une exigence de haute culture. Je me souviens du climat des répétitions, d’un orchestre extrêmement attentif, parfois même tendu; le soliste, le grand altiste Gérard Caussé [dans Le Cyprès blanc, 2004, le 25.11.2005 avec l’OPL sous la direction de Pierre-André Valade] était toujours très exigeant, très directif, pointilleux même. Il émanait de l’orchestre une volonté de réussir. La pièce était très difficile et longue. C’était une symphonie avec alto, qui posait des problèmes constants d’équilibre. Le soliste est constamment confronté à la marée montante des sonorités d’orchestre et l’orchestre craint de le couvrir. J’ai placé le soliste dans une situation qui symbolise notre préoccupation la plus communément partagée: échapper à la noyade. Tout le monde a compris et j’ai obtenu ces sonorités de clair-obscur à la Rembrandt que je recherchais. Il faudrait aussi parler de l’accueil du public et de sa qualité d’écoute. La musique au Luxembourg représente déjà pour moi le monde du Nord mais ce n’est pas l’Allemagne ni la Hollande. Il s’agit d’autre chose, de plus pacifique. Je dois beaucoup à ce festival. C’est avec l’OPL que j’ai fait les principaux disques de musique symphonique ces dix dernières années, ce qui représente une œuvre commune. Et les liens qui ont été noués ont été vraiment très forts. 87 Deux rivières qui prennent leur source dans la même montagne Sur la création lumière pour «Burning bright» Enrico Bagnoli en conversation avec Bernhard Günther et James Chan-A-Sue Que va voir le public pendant la création avec lumières de Burning bright dans le cadre du festival rainy days au Théâtre National de Luxembourg? Le public va voir un concert: il va voir des musiciens faire de la musique. Il faut partir de ce point de vue: le public ne va pas voir un ‹son et lumière›, ni un spectacle de lumières, ni une installation. Il va assister à un concert des Percussions de Strasbourg, durant lequel la lumière va accompagner la compréhension de la musique; mais elle ne va pas se poser comme sujet. Que peut-on dire alors de l’aspect visuel de ce spectacle, qui est quand même conçu pour les yeux? Le public va voir des musiciens, mais de temps à autre, grâce aux propriétés physiques de la lumière, il va les voir se dédoubler, se réfléchir dans un grand miroir. Le public va aussi voir se développer une relation un peu plus approfondie entre les instruments. Par moments, le public va peut-être ressentir un peu plus d’émotion à travers mon interprétation du travail de Dufourt. Mais ce que je cherche à mettre en valeur ici, je cherche toujours à le faire dans le respect de la partition. C’est certes une question très ancienne. Quand on fait un spectacle avec de la lumière sur de la musique, on court toujours le danger de faire un ‹son et lumière›. Cela plaît beaucoup et exerce une certaine fascination sur le public, mais parfois la lumière se pose presque en sujet principal de la pièce, comme la chose qu’il faut regarder, et le public a alors tendance à se laisser fasciner par la lumière, à ne pas trop regarder ni écouter le concert. Pour que ça fonctionne, il faudrait que le public, en voyant la lumière, entende mieux le concert – en un mot, lorsqu’on écoute la musique, il faudrait que l’on soit aidé par la lumière. Pour moi, il doit y avoir interaction entre les deux travaux, celui sur la musique et celui sur la lumière. Je travaille beaucoup à l’opéra et je fais beaucoup de mises en scène. Un bon metteur en scène d’opéra, c’est celui qui se met à la place du chef d’orchestre et un bon chef d’orchestre est celui qui pense comme un metteur en scène. Mais lorsqu’un metteur en scène pense simplement comme un metteur en scène et qu’il exclut la musique, quand le chef d’orchestre veut que la musique soit au centre et qu’il se moque complètement de la mise en scène, alors le spectacle ne fonctionne pas. Que dira le créateur de lumières que vous êtes pour décrire ce que le public s’apprête à entendre? Cet entretien a été réalisé le 12.09.2014 lors d’une répétition des Percussions de Strasbourg au Théâtre de Hautepierre à Strasbourg. Transcription: Sofiane Boussahel Des extraits de l’entretien ont été utilisés dans la vidéo Burning bright – un regard en coulisses de James Chan-A-Sue, en ligne sur www.youtube.com/user/ PhilharmonieLux 88 Il est toujours difficile de décrire un phénomène artistique avec des mots, qu’il s’agisse d’un poème, de la musique ou encore de l’art visuel, les mots sont insuffisants. Ils peuvent tout au plus décrire des sentiments, des émotions, mais je pense que c’est un peu compliqué. Si je parvenais à résumer avec des mots ce que la musique cherche à exprimer avec ses propres moyens, je serais un champion, car rien qu’avec la percussion, il y a une telle palette de nuances, de sons, de registres… Tout cela est très difficile à transcrire par les mots. Si je devais trouver des mots, je dirais que je trouve cette musique très limpide, qu’elle suit des développements très clairs, très précis, très bien écrits. L’ensemble pourrait facilement prendre une tournure chaotique à cause de la masse, mais il reste toujours extrême- ment lisible. Les événements très contrastés qui se produisent à l’intérieur du parcours est tout de même important: composer ou mettre en lumières une heure de percussions tout en suivant une direction, en cherchant le renouvellement des idées, a quelque chose d’assez virtuose. Chaque artiste est face à une page blanche au moment où il se met à créer, ce qui le confronte à deux problématiques: comment remplir son temps avec les éléments qu’il a à sa disposition, comment donner l’impression d’entraîner l’auditeur dans un voyage d’une heure en évitant de tomber dans la répétition. Pour moi, le fait de créer la sensation d’un développement est quelque chose d’assez virtuose. Le développement introduit une variété, on pourrait même parler d’un développement dramaturgique au sein de la pièce. Tout cela est à mon avis relativement rare dans la musique contemporaine, car je ne comprends pas toujours le fil. Ici, chez Hugues Dufourt, j’en perçois un. Je ne pourrais pas le décrire avec des mots mais j’ai l’impression qu’il peut être perçu avec beaucoup d’évidence. La musique est tout de même un élément fondamental de votre activité créatrice? La musique représente une très grande partie de ma vie. Pour moi, la musique et la lumière sont deux domaines très proches l’un de l’autre. Je n’irais pas aussi loin que Goethe, qui établissait une relation presque mathématique entre un son et une couleur et qui pensait qu’il s’agissait dans les deux cas d’une même vibration, d’une même fréquence, l’une visible, l’autre audible. Je pense cependant qu’il y a une relation, et que cette relation a passionné beaucoup de monde, aussi bien dans les arts visuels qu’en musique. Cette relation a été beaucoup plus étudiée et approfondie aux 18e et 20e siècles que maintenant au 21e, à travers les recherches de Goethe, de Scriabine, de Wittgenstein ou encore Kandinsky – tous ont essayé de se poser des questions sur cette relation. Goethe nous a donné une très belle définition de ce rapport: pour lui, la musique et la lumière sont comme deux rivières qui prennent leur source dans la même montagne, avant de traverser des vallées différentes. Il ne faut pas toujours chercher des similitudes. Il ne me semble pas intéressant de faire ce que Scriabine a essayé de faire en attribuant des couleurs à chacune des notes de la gamme. Toutefois, quand j’ai travaillé sur Prométhée de Scriabine, j’ai créé un instrument avec lequel je voulais réaliser le rêve de Scriabine sur plusieurs octaves. Quand on a travaillé avec un musicien et que sur cet instrument on a commencé à jouer une autre musique, celle de Bach, des combinaisons se sont fait jour, qui sont tellement claires et pour lesquelles on comprend qu’il y a un véritable fondement. La musique de Bach est une musique extrêmement codée, mathématique, et si on la joue avec cette sorte d’instrument visuel qu’est le clavier de lumières, on comprend que chaque accord de couleurs a un sens. La lumière est à la base d’à peu près tout. Fassbinder disait que le cinéma, ce n’est que de la lumière et de l’ombre [n.d.l.r.: dans Veronika Voss, «Licht und Schatten sind die beiden Geheimnisse des Films»], donc la lumière est à peu près tout, le seul élément qu’il est impossible d’évacuer au théâtre. Même en partant de zéro il faut toujours se poser la question de la lumière. L’analyse de la lumière est fondamentale. Un concert bien éclairé est toujours plus facile à écouter qu’un concert mal éclairé. Au théâtre, si on voit les acteurs, on comprend mieux ce qu’ils disent. Le contact avec le monde se fait à travers la lumière. Chacun d’entre nous a une grande sensibilité à la lumière et la lumière a une influence énorme sur la vie de chacun de nous. Comment s’est déroulée la rencontre avec le compositeur? La rencontre entre la musique et la lumière, on l’imagine souvent tel un événement extraordinaire. Ici, c’est assez ordinaire. Le travail avec la lumière est un travail qui demande d’écouter et de comprendre la pièce avant de faire des propositions. Je ne rencontre Hugues Dufourt qu’aujourd’hui. Certes, nous avons beaucoup échangé à distance. Il a composé sa musique, je l’ai écoutée et c’est sur cette base que je formule mes propositions. Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de dialoguer trop en amont avec le compositeur, en réalité. J’ai surtout travaillé et discuté avec 89 les percussionnistes. Il me semble que c’est une bonne solution. Les deux mondes ne doivent pas être ensemble dès le début. Ce point de vue peut générer quelque chose d’intéressant. La partition a été écrite et c’est après que je me suis greffé sur ce travail qui sera présenté au préalable par les musiciens des Percussions de Strasbourg le 25 septembre. Ma proposition est une proposition parmi d’autres possibles. Il y a pas mal de points communs entre l’analyse de la lumière, l’analyse d’une ligne, d’un décor, et celle de la musique, d’une composition musicale: de nombreux points se rejoignent dans le développement dramaturgique de la pièce. Nous n’avons pas encore travaillé sur la phase finale du projet. D’ailleurs, à mon avis, on ne peut pas travailler en même temps sur la musique et sur la lumière! Que retiendrez-vous du travail avec les Percussions de Strasbourg? Quand on entend les Percussions de Strasbourg en concert, on a devant soit, de tout évidence, un groupe qui se connaît très bien. C’est la raison pour laquelle le travail avec ces musiciens est extrêmement efficace. Pour moi, selon mes barèmes, une semaine de travail, ce n’est rien, on n’a pas le temps de faire ce qu’on voudrait faire. Pour eux, c’est une condition exceptionnelle. Ils ont la concentration nécessaire durant toute la durée qui leur est impartie pour se mettre au travail, une précision qu’il serait impossible d’avoir au théâtre. La percussion, par ailleurs, est pour moi à la limite entre la musique et autre chose, c’est une musique très chorégraphique, où il y a beaucoup à voir, par rapport à un récital de clavecin ou de piano, qui visuellement est plus limité. Les percussionnistes utilisent, fabriquent, rabotent, adaptent une quantité d’objets fabuleuse. Ils sont forcés de développer une très grande créativité. Ce sont des musiciens mais en même temps aussi des artisans. Dans notre projet, le même concept aurait été radicalement différent s’il avait fallu travailler avec de la musique jouée par des bois ou un clavecin. Avec les percussions, ce qui me semble important, c’est cette relation avec les objets, un aspect très physique du travail musical. Quel est précisément le rôle du miroir d’eau dans votre création? Le miroir d’eau n’est pas un vrai miroir, c’est une sorte d’anamorphose, un miroir qui peut être modifié, comme le serait une goutte d’eau, par les musiciens. J’ai souhaité créer un double: pour la première fois à ma connaissance, on peut apercevoir dans un concert ce qui se passe en dessous des instruments, des parties qu’on ne voit pas habituellement, car elles sont cachées. Tout cela sera fait sans aucun artifice: il n’y a pas de vidéo, rien d’externe au monde dans lequel on est né, il était pour moi absolument important que tout naisse de l’eau. Aussi, il n’y a pas d’effet créé par la vidéo. L’ensemble du matériel visuel est généré par les musiciens, ce qu’on voit est ainsi plus ambigu que ce qu’on pense. Il se produit un certain nombre d’événements: la lumière change ou quelque chose tombe dans l’eau. L’eau entre en vibration, l’une des deux images se trouble et n’est donc plus aussi claire. On peut changer la lumière encore une fois et voir encore autre chose. Je fais appel à des phénomènes naturels, des phénomènes physiques. Une moitié de l’image est droite, parce qu’on la voit frontalement, une autre moitié est inversée: on voit un personnage qui est à l’envers et on se demande pourquoi il est à l’envers. Ce sont des phénomènes optiques, toujours naturels, jamais artificiels. Le miroir fascine depuis toujours. Dans le miroir, notre cerveau inverse l’image mais pas complètement, l’image que nous voyons filtrée est le résultat d’une opération du cerveau, lequel inverse une partie de l’image, l’autre pas. Dans mon travail, habituellement, je fais aussi appel à cette forme de perception à travers la vidéo. Ici, je pourrais certes filmer et projeter mais il y aurait encore un artifice créé par une machine alors qu’ici, quelque chose de complètement naturel mais plus compliqué, plus ambigu se produit. Je me réjouis à l’idée de présenter dans cette installation cet élément qu’est le miroir d’eau, qui sera présent dans la pièce – cet élément repose sur une écriture ‹naturelle›, analogique et pas du tout électronique. Les éléments physiques, naturels, changent notre perception et les miroirs y contribuent pour beaucoup. 90 Hugues Dufourt: Burning bright Burning bright, komponiert zum fünfzigjährigen Jubiläum der Percussions de Strasbourg, hat seinen Titel von einem der berühmtesten Gedichte der englischsprachigen Literatur, William Blakes The Tyger aus dem Jahr 1794. In diesem leidenschaftlichen Gedicht treibt William Blake die Schockwirkung aufeinanderprallender Gegensätze auf die Spitze, die in gewisser Weise den Ursprung der Welt und die Bedingung jeder Äußerung von schöpferischer Kraft bilden. Die grundsätzliche Unvereinbarkeit von ‹Unschuld› und ‹Erfahrung› als zwei extremen Zuständen der menschlichen Seele umspannt das gesamte dichterische Werk Blakes und verleiht ihm seine tragische Größe und seinen visionären Stil. Als Nonkonformist und Freidenker stand er repressiver Moral und jeglicher Form religiöser Unterdrückung ablehnend gegenüber, ergriff Partei für die Französische Revolution und verurteilte die Sklaverei in den Vereinigten Staaten, ohne auf eine gewissermaßen mystische Suche zu verzichten – ganz in der Tradition Dantes und Miltons –, die seiner Meinung nach das einzig geeignete Mittel war, der Herrlichkeit der inneren Erleuchtung Ausdruck zu verleihen. Die eruptive und halluzinative Wut seiner Visionen flößt Angst und Ehrfurcht ein. Der in den Abgrund eines elenden Zustands gestürzte Mensch kann sieht allerdings ein brennendes Licht schimmern, das, ohne etwas zu versprechen, doch die Möglichkeit einer anderen Herrschaft als die der vorherigen zulässt. In einem großen Bogen, wie ein riesiges Bruckner’sches Adagio, bricht Burning bright als poetische Vision mit allen möglichen Grenzen der Tradition. Die Musik erhebt sich in einzelnen Schichten und Schwaden oder taucht plötzlich breit und diffus auf. Timbres schaffen sich ihren eigenen Resonanzraum und ordnen sich in der Tiefe, einem unbestimmten Fluchtpunkt am Horizont gleich. Klänge schwellen an, lösen sich auf oder verdrehen sich und vermengen sich dabei wie Flüssigkeiten oder Gas. Die Arbeit am Timbre ist nicht nur eine kunstvolle Retusche. Das Abdriften der farbigen Massen ersetzt die Spiele jener formalen Konfigurationen, die typisch für das vergangene Jahrhundert sind. Reibende Techniken sind wichtiger als schlagende. Ganz wie Blakes Gedicht setzt Burning bright auf ursprüngliche Energien: Ein Drama ohne Story und ohne Anekdoten, eine Form, die sich aus sich selbst heraus bildet und die, unterbrochen durch Erdbeben unterschiedlichster Art, stets auf der Suche nach ihrer Einheit ist. In den unermesslichen Raum, der sich hier dem Betrachter öffnet, einen Raum à la Kubrick, sind wir möglicherweise – trotz aller Hoffnungen unserer Gegenwart – für immer eingeschlossen. (Hugues Dufourt) The Tyger William Blake (Songs of Experience, 1794) Tyger Tyger, burning bright, In the forests of the night, What immortal hand or eye Could frame thy fearful symmetry? What the hammer? what the chain? In what furnace was thy brain? What the anvil? what dread grasp Dare its deadly terrors clasp? In what distant deeps or skies Burnt the fire of thine eyes? On what wings dare he aspire? What the hand dare sieze the fire? When the stars threw down their spears, And water’d heaven with their tears, Did he smile his work to see? Did he who made the Lamb make thee? And what shoulder, & what art, Could twist the sinews of thy heart? And when thy heart began to beat, What dread hand? & what dread feet? Tyger, Tyger burning bright In the forests of the night: What immortal hand or eye Dare frame thy fearful symmetry? 91