Séquence 1 : La Fontaine, Fables
Transcription
Séquence 1 : La Fontaine, Fables
Séquence 1 : La Fontaine, Fables Lecture analytique : Le Loup et le Chien Introduction La fable appartient au sous genre de l’apologue : à travers un récit plaisant, elle dispense au lecteur une réflexion relevant de domaines aussi variés que la religion, la politique, la morale… Héritée de l’antiquité dont elle constituait un genre mineur, elle acquiert ses lettres de noblesse avec La Fontaine auteur du XVIIème siècle pour qui le placere et docere est central qui, en s’inspirant d’Esope et de Phèdre, publie ses recueils en 1668 et 1678. Elles nous apparaissent aujourd’hui comme un condensé de la sagesse populaire. Les préceptes qui les accompagnent sont souvent devenus des proverbes ; nous avons tous appris dans notre enfance Le Lièvre et la Tortue ou Le Corbeau et le Renard et nous savons depuis que « Rien ne sert de courir/ Il faut partir à temps » ou que « Tout flatteur vit au dépens de celui qui l’écoute ». Dans Le Loup et le Chien pourtant on ne trouve pas de précepte ni de devise ; La Fontaine met en scène la rencontre d’un chien épris de confort et d’un loup amoureux de la liberté mais il ne nous invite pas pour autant à suivre une règle de comportement. LECTURE Problématique Plan : I. L’art du récit II. Une fine analyse du comportement III. Quel est l’enseignement moral de cette fable ? I. L’art du récit LF s’inscrit dans la perspective de plaire au lecteur, de divertir dans un récit travaillé avec art. 1. la construction des personnages LF met en scène comme souvent des animaux personnifiés : doués de parole, ils vont incarner deux philosophies différentes, deux comportements humains différents : le loup représente l’homme au service des Grands dont il reçoit en échange la protection ; le chien, refusant cette situation, incarne l’homme certes au quotidien difficile mais jouissant cependant d’une certaine liberté d’action. + attitudes humaines : cf. adv « humblement » (v.10) « fait compliment » notre imagination est excitée alors par une série de détails saisissants et d’image comiques servant à décrire ces personnages : le loup efflanqué (v.1) vs le chien gras (3-4 : « puissant, beau, gras, poli » renforcé par l’accumulation) contraste entre les deux animaux le loup capable de dépecer méthodiquement le chien (v.5-6) vs les larmes du même loup devant l’avenir idyllique que lui promet le chien (v.31) contraste et effet comique des pleurs du loup, normalement bête féroce. Notons l’usage du présent de narration qui rend la scène plus vivante, plus actuelle. On imagine le conteur s’arrêter dans son récit, pour mimer devant l’assistance le loup attendri. 2. construction d’un récit dynamique la situation initiale et l’élément perturbateur sont très rapidement mis en place (v1-9) - L’intérêt du lecteur est suscité tout d’abord par l’aspect dramatique de la confrontation. Le narrateur décrit en un vers la situation effrayante du loup (« Un loup n’avait plus que les os et la peau » v. 1) puis il oppose à cet animal famélique le chien, plein de santé : « Ce loup rencontre un dogue aussi puissant que beau » (v.3). 1 - Deux vers donnent un complément d’explication : le loup est chassé par les chiens, le dogue a perdu son chemin. - Tout est dit en très peu de mots : la détresse du loup, le risque d’un combat : tout dans ce récit est dirigé vers l’action : le contraste et la confrontation entre les deux animaux (v.5-9), les verbes d’action (« il rencontre », « l’attaquer, le mettre en quartier ») + les vers courts (octosyllabes) et la série d’enjambements (5-7) traduisent la suite ininterrompue d’observations et de décisions : L’attaquer le mettre en quartiers, / Sire loup l’eût fait volontiers / Mais il fallait livrer bataille.. » (v. 5-7) LF ménage ensuite un suspense : le loup va-t-il venir à bout du chien ? Va-t-il le prendre par surprise ? Ce suspense est renouvelé quand le loup pose des questions au chien, tout d’abord pour accepter sa proposition (« Que me faudra-t-il faire ? » v. 22) puis pour l’interroger sur la marque qu’il voit à son cou : « Qu’est-ce là ? » (v. 34) ces nouvelles questions relancent chaque fois le dialogue et le récit : le loup est prête à se ranger aux côtés du chien puis il s’apprête à refuser. A cela s’ajoute une série de surprises et de rebondissements. On croirait le loup moralement vaincu par le chien (v.30) mais tout de suite après c’est ce dernier qui se trouve en situation de faiblesse puisqu’il élude la question (« Qu’est-ce là ? lui dit-il.. – Rien. - Quoi rien ? - Peu de chose. » v. 33). LF ménage son récit afin de créer une dynamique qui pousse le lecteur à poursuivre sa lecture. Il ne met en avant que les éléments essentiels à la compréhension de l’histoire se conformant ainsi à la brièveté de l’apologue. 3. diversité des formes employées LF exploite également toutes les ressources du récit en diversifiant les modes de narration, les points de vue, les vers. L’art du récit tient aux variations d’angle de vision et à la place du narrateur Le narrateur donne d’abord une vision générale de la situation (1-4) puis il transcrit les pensées du loup, exploitant le point de vue interne (« Mais le mâtin était de taille/ à se défendre hardiment » v. 5-8) ; il s’efface ensuite pour laisser la parole aux animaux. Au milieu du dialogue le narrateur annonce brièvement le retournement de situation (« Chemin faisant, il vit le col du chien pelé ») et il s’efface aussitôt. Il intervient dans le dernier vers pour donner l’épilogue : « Cela dit, maître loup s’enfuit, et court encor ». Remarquons que ce dernier vers est un mélange de récit (« maître loup s’enfuit » : passé simple, temps du récit) et de discours (« et court encor » : présent d’actualité, temps du discours). Le présent d’actualité suggère que la narrateur s’adresse directement au lecteur, comme s’il nous parlait ; la distance entre l’écriture et la lecture est effacée. le narrateur laisse le récit se dérouler et se contente de désigner au lecteur les points essentiels de l’histoire : le lecteur se laisse entraîner par le rythme du dialogue. L’alternance rapide de récit et de discours : LF choisit comme souvent de faire alterner récit et discours et de varier les formes de discours rapportés : on a noté l’alternance entre récit (1-12 ; 30-32 ; 41) et dialogue (v.13-29 ; 33-40) et dialogue qui rompt sans cesse le rythme du récit. + Notons à ce propos que, pour plus de vivacité, le passage du récit au dialogue est amené directement, la formule d’introduction étant rejetée en fin de phrase : « Il ne tiendra qu’à vous, beau sire / D’être aussi gras que moi, lui repartit le chien » (v. 13). 2 Le dialogue forme en lui-même une petite scène de comédie : le loup, hypocrite, tient le rôle du flatteur en louant la beauté du chien (10-13); le chien, flatté, donne une leçon de vie au loup qu’il méprise : voir la manière dont il décrit les autres loups : « misérables, / cancres, haires, pauvres diables » (accumulation et enjambement + rythme ternaire (17) + gradation (17). Enfin, la versification en vers hétérométriques apporte rythme et vivacité au récit. Au rimes plates et aux vers courts du début succèdent des rimes embrassées (v. 15 à 25) et une alternance d’octosyllabes et d’alexandrins (v. 13, 21, 23, 25, 27, 30) puis des rimes croisées et un rythme plus irrégulier : nulle monotonie dans ce poème. + Le vers libre accompagne les inflexions de la voix, le passage de la tension au relâchement : les vers courts du début, au rythme nerveux, (v. 5 à 9) suggèrent l’agitation du loup, puis tout se calme quand le dialogue s’instaure ; enfin, dans les derniers vers, le contraste entre la longueur de l’alexandrin et le rythme haché des questions suggère le décalage entre l’insistance du loup et les réponses évasives du chien. Cl partielle : Le grand art du conteur est de nous faire vivre cette fable au lieu de simplement nous la raconter. Il s’agit de capter l’attention du lecteur en lui proposant un récit dynamique t varié propre à susciter le plaisir de lecture. Cependant la fable permet souvent de transmettre une réflexion. LF se livre ici à une fine analyse du comportement humain. II. Une fine analyse du comportement Il s’agit d’analyser comment ces animaux incarnent des traits de caractère et des comportements humains. Nous pouvons remarquer que l’un des personnages est animé d’émotions violentes et change sans cesse de comportement tandis que l’autre est calme, déterminé, figé dans ses certitudes. 1. le chien, calme et serein Le chien compare sa prospérité à la misère des loups. Il est satisfait de lui pour deux raisons : il mange à sa faim et vit en paix. La question de la nourriture est celle qu’il aborde en priorité quand il se décrit (« être aussi gras que moi »), quand il décrit la vie des loups (« mourir de faim », « point de franche lippée » ) et plus loin quand il évoque ses repas. Cette préoccupation était sans doute beaucoup plus sensible au XVII° siècle quand le risque de famine faisait partie de la vie quotidienne que de nos jours. Ce qui importe au chien, en plus d’être bien nourri, c’est que cette nourriture vienne sans effort et sans risque : la « franche lippée » (v. 19) désigne un bon repas qui ne coûte rien. En fait le chien est assez paresseux, cela se confirme quand il utilise l’expression « presque rien » (v. 23) pour décrire ses devoirs. Il manifeste son besoin de quiétude quand il évoque les risques que courent les loups (« Car quoi ? Rien d’assuré point de franche lippée : / Tout à la pointe de l’épée » v. 19-20) et également quand il utilise le terme de « salaire » (v. 26) : le salaire est une rétribution perçue régulièrement. Cette assurance sur l’avenir apparaît sans doute dans le terme de « destin » (« Suivez-moi : vous aurez un bien meilleur destin » v. 21) car à la différence du loup qui ne vit que dans l’urgence le chien peut se projeter dans l’avenir, même si sa conception de la vie est terriblement étriquée. Son assurance est perceptible dans la métrique des vers. Le chien utilise volontiers l’alexandrin (« Cancres, hères … / Dont la condition est de mourir de faim. / Car quoi ? Rien d’assuré ; point de franche lippée : » (v. 18-19), « Suivez moi, vous aurez un bien meilleur destin » (v. 21), ou encore « Flatter ceux du logis, à son maître complaire ; » (v. 25)) comme si l’ampleur de ce type de vers convenait mieux pour exprimer les aises qu’il prend dans la vie. Il parle posément et longuement comme ceux qui ont l’habitude d’être écoutés alors que le loup lui 3 s’exprime brièvement, comme un être sur la défensive, posant à peine de furtives questions (v. 22 et 33). La condescendance et le mépris des faibles sont sans doute d’autres traits de caractère du chien. On pourrait en effet voir de l’ironie dans l’usage du terme « beau sire » qu’il utilise au vers 13 alors qu’il qualifie ensuite les loups de « misérables », de « cancres, hères et pauvres diables » (v. 16) OU peut-être n’est-ce que le signe de sa vanité : on peut penser qu’il essaie d’employer un langage soutenu correspondant à ce qu’il imagine être son statut social. L’emploi de l’alexandrin (vers noble) confirmerait cette lecture. Il ne manifeste en tout cas aucune compréhension envers autrui, ni envers les loups dont le choix de vie est pour lui une énigme, ni envers les pauvres gens qu’il chasse et entrevoit à peine : « gens / portant bâtons et mendiants ». En revanche il est d’une servilité totale envers les maîtres. Cela apparaît dans le vers 25 « Flatter ceux du logis, à son maître complaire » : le chiasme (construction verbe + cplt d’objet // cplt d’objet + verbe) et la redondance (= répétition d’une même idée) des verbes « flatter » et « complaire » montrent à quel point il se donne tout entier à son rôle de domestique. Enfin il ignore les vertus de loyauté, de fidélité et d’affection qui sont en général celles que l’on attribue aux chiens. Sa docilité n’est qu’intéressée ainsi que le démontrent les termes « moyennant quoi votre salaire » (v. 26) et la façon dont il évoque les caresses (« Sans parler de maintes caresses » v. 29) qui passent pour lui bien après la nourriture. Il incarne la servitude volontaire. Pourquoi le chien n’avoue-t-il pas clairement que la marque qu’il porte est celle du collier ? Estil inconscient de sa servilité? Est-il gêné ? En tout cas, il ne désigne pas directement la marque du collier mais se sert d’une périphrase dont l’effet est de minimiser la réalité : « le collier dont je suis attaché / De ce que vous voyez est peut-être la cause » (v. 34). 2. Le loup, exact opposé du chien Autant le chien est un être civilisé autant le loup est sauvage. Ses réactions sont celles d’un animal : attaquer et s’enfuir. Au début de l’histoire, il est guidé par son instinct comme en témoignent les verbes d’action « attaquer », « mettre en quartier » ; toutefois il jauge avec prudence la taille du chien et évalue les risques. Notons comment dans les enjambements des vers 5 à 9 la voix reste en suspend sur les derniers mots du vers : « bataille », « taille », « hardiment ». On a l’impression qu’au moment où il se dirige vers le chien le loup perçoit peu à peu la complexité de la situation : nécessité du combat, taille de l’adversaire, ses capacités de résistance. Cela l’incite à changer de comportement. Le loup devient donc hypocrite, cela n’est pas dans sa nature, il réussit cependant à accomplir les deux actes de base du flatteur : se montrer humble, faire semblant d’admirer. MAIS il ne tient cependant pas longtemps ce rôle d’admirateur béat puisqu’il interroge le chien sur la marque qu’il voit à son cou et recherche la vérité avec insistance : « Qu’est-ce là ?…Quoi rien ? ….Mais encor ?… » (v. 33-34). À la différence du chien, le loup est naturellement suspicieux, habitué à vivre aux aguets et à scruter les moindres détails de son environnement. Autre trait de caractère du loup : l’impulsivité. Elle se manifeste quand il se met à « pleurer de tendresse » en imaginant sa félicité future, un être plus diplomate et plus éduqué eût davantage contenu et dissimulé ses réactions. Même impulsivité lors de la découverte de la servilité du chien : l’exclamation « Attaché ? » , placée au début du vers 35 et de la réplique, fait écho au même mot mais placé à la fin du vers 34 et 4 prononcé par le chien qui cherche négligemment à donner une explication à ses marques un mot à peine prononcé par le chien est repris par le loup sous forme de cri du cœur. + rejet de « Où vous voulez ? » au début du vers suivant souligne l’importance que le loup attache à la liberté. Cf. construction du dernier vers (= la chute): « Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encor. » Schéma rythmique 3/3//2/4 Le verbe « s’enfuit » est placé après l’hémistiche et mis en valeur par une rupture du rythme, qui de ternaire (3 et 3 dans le premier hémistiche) devient binaire (2 puis 4). La Fontaine souligne ainsi la violence de l’impulsion qui s’empare du loup quand il retrouve sa vraie nature. Cependant, avant de s’enfuir le loup fait preuve de superbe. A la fin de la fable c’est lui qui parle, s’exprime précisément, domine le chien par le pouvoir de la parole. Il a le dernier mot et sort en quelque sorte vainqueur de la confrontation. Conclusion partielle LF met donc en scène des animaux caractérisés de manière fine et précise. On sent évidemment qu’il ne s’est pas livré à un travail de zoologue mais que ces deux personnages représentent clairement des hommes. Cependant on ne décèle pas de réel parti pris. III. Quel est donc l’enseignement moral de cette fable ? 1. des personnages symboliques Si LF définit précisément les caractères des deux animaux afin de plaire au lecteur, il refuse la trop forte individualisation afin d’en faire des types représentant les hommes. Noter l’anthropomorphisme : les animaux s’ils présentent des caractéristiques animales, sont plus proches des hommes pas leur manières et leur sentiments : hypocrisie du loup et attention à l’apparence (« embonpoint »), mépris du chien ; attention aux conditions de vie (« condition est de mourir de faim » v.18, « destin », « félicité », la liberté chère au loup) ; remarquer également l’organisation sociale définie comme celle des hommes : hiérarchisation sociale des « misérables », « mendiants », chiens gras et gros, maître les animaux renvoient clairement aux hommes Le Chien renverrait au courtisan, parfait valet des Grands (Roi ou grands personnages de la cour). En échange de la sécurité financière, il se place au service des personnalités du royaume, ses protecteurs. Attention, il est difficile d’assimiler le loup aux paysans qui n’ont aucun accès aux sphères si élevées de la cour. L’attitude du Chien serait d’ailleurs invraisemblable (prendre un paysan sous on aile et l’intégrer aux sphères d’influences). Cependant on peut sans nul doute rapprocher le loup des personnes d’un certain rang social qui refusent de se soumettre aux Grands, de leur aliéner leur liberté de penser, d’agir. Refusant par là une sécurité financière (rente par exemple), ils sont plus exposés aux rigueurs de la fortune. 2. Pas de position très marquée Ici, la morale n’est pas explicite, elle n’est pas directement exprimée : au lecteur de tirer lui-même la leçon de cette anecdote. Le texte est plutôt construit sur la confrontation de deux thèses, celle du loup (la liberté a plus de valeur que tout) et celle du chien (le confort matériel est plus important que la liberté). 5 La fable se découpe en deux étapes : la thèse du chien est largement exprimée, au discours direct (des vers 13 à 21, puis des vers 23 à 29, soit seize vers), celle du chien n’est pas développée (des vers 38 à 40 seulement). Stratégie de persuasion du chien 1. apitoyer le loup sur son propre sort en insistant lourdement sur sa misère, triste condition cf diérèse, difficultés de la vie faite de luttes constantes pour survivre. Tableau pathétique, ton de commisération sympathique, flatterie, tonalité injonctive, présenter le changement comme aisé. 2 minimiser le travail : presque rien, chasser les pauvres hères comme lui : le loup devra se faire l’ennemi des siens mais el chien ne le dit pas clairement, flatter, complaire : rôle de courtisan, servitude volontaire : pas d’honnêteté, d’affection réelle, tromperie et hypocrisie. Mais sousentendu. 3. amplifier es avantages en cachant les inconvénients : salaire, abondance de nourriture, caresses, pas oppression. Discours qui touche et plait, persuade : le loup pleure de tendresse. Se forge une félicité : concrétise le rêve ; Chien maître dans l’art de persuader puisque le loup l’accompagne cf « chemin faisant ». Convaincre, persuader, délibérer Il s’agit ici de délibérer car la morale n’est pas donnée une allégorie de l’indépendance d’esprit ? On serait tenté de dire que le loup est le représentant de l’indépendance d’esprit, il proclamerait que le bonheur est impossible sans la liberté qui est le plus précieux de tous les biens : « Et ne voudrais même pas à ce prix un trésor ». Cette interprétation n’est cependant qu’en partie satisfaisante : le loup critique le mode de vie du chien ce n’est pas en fonction d’une morale générale mais de ses choix personnels : « ..de tous vos repas / Je ne veux en aucune sorte,.. » (v. 39). Il ne cherche pas à faire partager son mode de vie. Les choix de vie du chien sont d’autre part légitimes. Qui, en effet, peut se targuer de n’avoir pas de collier, de ne devoir jamais obéir, ni dissimuler ses sentiments ? Il est bien difficile d’être un loup... On pourrait donc penser que cette fable est une méditation sur le bonheur et la liberté. La vie confortable, nous dirait implicitement La Fontaine, s’accompagne souvent de compromissions et se révèle incompatible avec la liberté. Entre les deux, il faut choisir. Mais chacun trouve son compte dans la solution qu’il adopte. Songeons que La Fontaine était un homme à l’esprit indépendant, tenté par le libertinage et rétif au pouvoir royal : un loup en quelque sorte. Toutefois, poussé par le besoin, il a toujours fait allégeance à de puissants protecteurs, qui l’hébergeaient dans leurs châteaux et dont il était en quelque sorte le serviteur, notamment le ministre Fouquet puis la duchesse d’Orléans. Il est donc normal qu’il ne donne pas de conseils au lecteur sur la manière de se comporter. 3. une réflexion ouverte Comme souvent dans ses Fables, LF préfère laisser ouverte la réflexion. Il se contente de donner au lecteur des éléments de réflexion puis le laisse lui-même définir sa propre morale. Ainsi d’autres interprétations restent possibles : Le loup redevient à la fin de la fable un animal sauvage qui s’enfuit et court ; autant le chien est civilisé autant le loup ne peut renoncer à sa nature. La fable serait alors une méditation sur 6 l’impossibilité de renoncer à nos besoins essentiels. On pourrait considérer que les derniers mots du narrateur (« Cela dit, maître loup s’enfuit, et court encor ») sont une considération philosophique implicite. Le fait que le loup « court encor » peut signifier que tant la terre tournera les chiens seront des chiens et les loups des loups. Quels que soient les efforts que nous fassions pour changer notre véritable nature, elle finit toujours par resurgir et reprendre ses droits. Remarquons à ce titre la sympathie du narrateur va plutôt au loup qu’au chien. Le lecteur se sent proche du loup au sens où il découvre la situation à travers ses réflexions (v. 7-8-9) et ses interrogations (v. 21, 33-34). Le loup est par ailleurs un héros au sens profond du terme : comme Ulysse ou les chevaliers de légende il triomphe des épreuves et des tentations. L’héroïsme du loup consiste à rester ce qu’il est quoi qu’il en coûte, à ne pas se renier. La Fontaine réussit donc à rendre admirable l’animal honni, objet de haines et de frayeurs ancestrales. Cette fable pourrait alors devenir une méditation sur la possibilité et la difficulté de comprendre autrui. Nous éprouvons de la sympathie pour le loup bien qu’il soit plus éloigné de nous que le chien, c’est la preuve que l’on peut comprendre les autres ; d’un autre côté même si le chien essaye de venir en aide au loup il ne peut absolument pas le comprendre, tant ils sont irrémédiablement étrangers l’un à l’autre. Un bourgeois d’aujourd’hui peut-il vraiment comprendre la vie et les états d’âmes des habitants des ghettos ? Conclusion Cette fable sous une apparence attrayante contient ainsi un message très subtil. LF construit comme toujours un récit dynamique et plaisant qui répond au premier impératif du XVIIe siècle : plaire ; cependant il transmet également une réflexion sans qu’on puisse l’assimiler à une morale, une philosophie à suivre. Il s’agit alors d’instruire l’esprit en suscitant la réflexion. Cette fable correspond donc à la définition de l’apologue. Or la grande force de l’apologue réside en ceci qu’il ne se limite pas l’enseignement moral à un précepte explicite mais ouvre de nombreuses pistes à la réflexion du lecteur. -Représentation des courtisans de Louis XIV et de certains nobles qui refusent de s’abaisser à flatter le Roi au prix de rester pauvres et inconnus. Phèdre, l’auteur latin, aurait écrit cette fable pour mettre en scène deux personnages historiques, des frères nobles d’une tribu conquise par les Romains : l’un aurait accepté la domination, l’autre s’était battu jusqu’au bout pour la liberté. -Référence au statut des écrivains et artistes dépendants de leur mécène : pas de droits d’auteur, négociation d’un prix avec les imprimeurs qui ensuite bénéficiait de tout ce que rapportait l’ouvrage. La Fontaine trouve refuge auprès de Fouquet mais arrestation en 1661, poème au roi pour défendre son mécène, n’obtiendra jamais de pension royale et élection retardée à l’académie française, vit loin de la cour. Fables paraissent en 1668, succès mais soucis d’argent demeurent pourtant reçu dans les salons huppés et auprès de la Duchesse d’Orléans (meurt en 1672). Protection de Mme de la Sablière qui l’hébergera pendant 20 ans. Loup= artiste qui ne veut pas aliéner sa liberté pour avoir de meilleures conditions de vie : liberté d’expression, jamais mendier la faveur du Roi. Valable pour nous encore : exemple: aliénation liée au désir de paraître, société de consommation qui pousse à l’endettement et donc crée des chaînes: travail plus pour payer des produits de consommation qui ne sont pas forcément nécessaires. 7