les ports coloniaux, berceaux ou vitrines des societes

Transcription

les ports coloniaux, berceaux ou vitrines des societes
Histoire- Géographie :
Composition
Sujet d’histoire contemporaine
SUJET: LES PORTS COLONIAUX, BERCEAUX OU VITRINES
DES SOCIETES COLONIALES ? 1850 - 1950
Avertissement : ce corrigé est volontairement présenté sous forme de
plan détaillé
Dès l’époque moderne, l’essor du négoce a rendu nécessaire l’établissement par les
Européens de comptoirs qui pour la plupart ne sont que des entrepôts destinés au commerce
qui ne nécessitent pas une présence coloniale pérenne : le cas le plus significatif est celui des
comptoirs qui jalonnent le littoral africain pour les besoins de la traite négrière alors même que
l’intérieur du continent demeure pour l’essentiel terre inconnue pour ces mêmes Européens.
La création de ports coloniaux, parfois de simples comptoirs, précède – de plusieurs siècles
dans le cas des côtes africaines – et prépare la colonisation. Dans certains cas cependant,
comme en Inde avec Madras, Bombay ou Calcutta, les comptoirs se développent et
deviennent de vastes agglomérations urbaines. L’un des premiers actes des colonisateurs
quels qu’ils soient (Européens, Japonais, Ottomans, Américains…) est souvent la fondation
de ports.
Partie I : Les ports coloniaux au cœur d’un dispositif de « transactions
hégémoniques »1, et berceaux de sociétés par essence inégalitaires
Le port est un élément clef du dispositif colonial : l’essence de la colonie est d’être tournée
vers la métropole dans une perspective d’exploitation.
A) Aspects géographiques et conséquences sociales
- Le système colonial de l’époque contemporaine instaure une première forme d’
« économie monde » fondée sur des échanges inégaux. « La politique coloniale est fille de la
politique industrielle » (Jules Ferry)
- Choix des emplacements : un port colonial, c’est d’abord un site (bon mouillage, site
abrité…) et une situation (possibilité de rayonnement sur un vaste arrière pays, position
centrale etc…).
1
J.-F. Bayart et R. Bertrand: « De quel “legs colonial” parle-t-on? », art. cit.
Claire Laux – Afadec – Droits de reproduction réservés
1
Histoire- Géographie :
Composition
- Les ports coloniaux donc sont par définition en position littorale : or, les zones littorales
en milieux méditerranéen et sub-tropicaux sont sujettes à des contraintes physiques
spécifiques : problèmes de sécurité sanitaire (épidémies, ports comme lieux d’importation de
la mort), de santé…
Ports
coloniaux
tombeaux
des
Européens
(malaria,
fièvre
jaune…)
Exemples de Djakarta (Batavia) en Indonésie en zone marécageuse très insalubre ou Grand
Bassam (Abijan) en Côte d’Ivoire.
B) Une croissance des ports coloniaux en lien avec la mondialisation de
l’économie conduite et dominée par les Européens
- Diversité des situations : dans certains cas, en Asie ou en Afrique du Nord en particulier,
les Européens s’insèrent dans des structures portuaires existantes alors que dans d’autres,
sur les côtes de l’Afrique Noire, les ports coloniaux sont des créations ex-nihilo.
- Dans le XIXème siècle libéral, imposer l’ouverture de ports coloniaux est le premier mode
d’une domination qui ne débouche pas toujours sur une emprise territoriale de type
colonial (cf : système des concessions en Chine), mais cela peut être le cas .
Exemple : 1876, traité de Kanghwa entre Corée et Japon, « traité inégal » imposant
un abandon de l’ordre chinois du monde, ouverture du port de Pusan au Japon, puis
d’autres ports par d’autres traités inégaux avec la Chine et d’autres puissances
occidentales. Mais en 1876 commence aussi la colonisation japonaise de la Corée.
- Inégalité et déséquilibres fondamentaux de ces échanges.
- Aux Indes, Calcutta tient le rôle de capitale (jusqu’à la disparition de l’EIC en 1857 le
gouverneur général de la Compagnie y siège) et franchit la barre du million d’habitants
en 1900 ce qui la place au 14ème rang mondial et nécessite l’adoption d’un plan
d’urbanisme conçu par E. P. Richards. Bombay, qui jusque vers 1850, était avant tout
une ville-comptoir, devient le premier centre commercial, industriel et financier de
l’Inde et acquiert d’importantes fonctions de direction économique (banques, maisons
de commerce…). De 10 000 habitants en 1660 elle est passée à 250 000 au milieu du
XIXème siècle.
- En Algérie, la population des villes côtières est multipliée par dix en un siècle alors
que la population du pays est multipliée par trois seulement.
- Tanger passe de 7000 à 40 000 habitants de 1856 à 1906.
Claire Laux – Afadec – Droits de reproduction réservés
2
Histoire- Géographie :
Composition
C) les ports coloniaux au cœur du processus de colonisation et de contrôle des
territoires et des sociétés coloniales
- L’interdiction de la traite négrière, puis les abolitions successives et progressives — une
traite clandestine et des pratiques esclavagistes illégales se maintiennent pendant
longtemps— de l’esclavage entraînent un changement considérable tant dans la typologie,
que dans les fonctions ou dans la sociologie des ports coloniaux.
- Les comptoirs européens de la côte africaine se tournent vers de nouveaux produits
d’exportation : au Sénégal, la gomme arabique tirée des acacias est jusque dans les années
1870 très recherchée mais ce trafic subit le harcèlement des tribus maures qui contrôlent les
rives de la moyenne vallée du fleuve Sénégal. C’est pour contrôler ces flux le long du fleuve
Sénégal que les Français établissent des forts et affrontent les Maures. Les interventions
militaires, mais surtout les jeux d’alliances, les conduisent à étendre leur influence dans le
centre même de la Sénégambie, au cœur de la production d’arachide. A partir des comptoirs
se développe une véritable expansion territoriale.
- Le contrôle des grands fleuves et le développement du chemin de fer permettent aux
ports coloniaux de rayonner sur leur hinterland et de servir d’interface entre les métropoles et
l’intérieur des terres. Intégration aux échanges de la métropole implique de nouvelles formes
d’organisation du territoire et de répartition des populations.
Partie II : Le port colonial, comme nœud d’interconnexions entre les
différentes composantes des empires et lieu de formation des sociétés
coloniales
A) Port colonial ou port impérial ?
- Ports impériaux plutôt que ports coloniaux, car la plupart des ports coloniaux, loin de se
limiter à des échanges entre une colonie et une métropole, sont le lieu de mise en relation de
différents points d’un empire, voire d’échanges trans-impériaux.
- Différence entre grands empires planétaires comme l’empire français, l’empire
britannique, l’empire allemand et des empires beaucoup plus limités sur le plan géographique
(le cas extrême étant l’empire belge avec une seule colonie).
B) Les flux de main- d’œuvre
- Système de l’engagement essentiel dans la colonisation de l’époque contemporaine
(remplace le travail servile puis employée pour toute exploitation des ressources des colonies
demandant beaucoup de main d’œuvre mines et plantations en particulier — et pour la
construction d’infrastructures, chemins de fer en particulier. Avant tout : engagisme des
Indiens et des Chinois.
- Les ports sont des point de départ et points d’arrivée.
Claire Laux – Afadec – Droits de reproduction réservés
3
Histoire- Géographie :
Composition
Exemple : Calcutta, grand pôle de l’engagisme indien également port où s’ancre une
importante communauté chinoise.
- Rassemblement des engagés par les recruteurs chinois dans des camps à Hong Kong,
Canton ou Macao.
C) Hybridations et métissages
- La question des femmes :
- Déséquilibres démographiques, sex ratio le plus souvent déséquilibré, population à forte
domination masculine.
- La question des femmes dans les ports coloniaux reflète la question des femmes dans
les sociétés coloniales en générales : besoin par exemple de faire venir des femmes pour
permettre aux migrants, colons ou travailleurs, de faire souche.
- La question des femmes pose par exemple le problème entre colons et arabes
musulmans au Maghreb, le regard musulman sur la femme se durcit ;
- Émancipation de la femme dans les couches supérieures de la société, mais aussi avec
des spécificités liées à la civilisation portuaire : le manque de femmes et le passage d’une
population masculine mouvante entraîne le développement de la prostitution et la lutte par les
missionnaires et les autorités coloniales contre ces phénomènes. Image très négative du port
colonial : nouvelle Babylone, lieu de toutes les débauches…
- Articulation entre le racial et le social peut être étudiée à travers le statut des métisses :
- Le port colonial est le lieu par excellence des mélanges sociaux et raciaux.
Exemple de Singapour, fondé en 1819 : emporium ouvert, port libre sans restriction avec une
politique d’immigration pour faciliter les mouvements tant de commerçants que de travailleurs.
- Relations inter-raciales très poussées aux Indes néerlandaises et en particulier à
Batavia. En 1900 on estime que 75% de la population européenne est en fait métisse.
Claire Laux – Afadec – Droits de reproduction réservés
4
Histoire- Géographie :
Composition
Partie III : Existe-t-il une spécificité des sociétés des ports coloniaux (à la
fois par rapport aux ports des métropoles et par rapport au reste des
sociétés coloniales) : cosmopolitisme et modernité ?
A) Des groupes spécifiques vecteurs de modernité dans les ports coloniaux
- Constitution dans les villes portuaires d’une élite d’origine européenne mais pas
seulement : commerçants, négociants etc… et multiplication des métiers et fonctions liés à
l’activité du port.
- Présence de populations d’intermédiaires, en particulier économiques, spécifiques aux
ports coloniaux. Exemple des Chinois des Détroits.
B) Les paysages urbains des ports coloniaux : lieux d’expression ou de
dépassement de l’inégalité foncière des rapports coloniaux ?
- Comme le rappelait Balandier, « la société colonisée frappe, d'abord, par deux faits : sa
supériorité numérique [essentiellement rurale] et la domination radicale qu'elle subit ;
majoritairement numérique, elle n'en est pas moins une minorité sociologique »2. C'est aussi
un espace de mutations comme de résistances. C'est aussi, un espace d'affrontements. En
effet, « la violence à l'origine du rapport colonial puisque instaurée par la conquête. Autant
que par les armes que par la contrainte [plus ou moins librement consentie], c'est la
déstructuration de l'essentiel des cadres sociaux existants qui a rendue possible la mise en
place de la puissance [coloniale] »3.
- La ségrégation spatiale dans les ports coloniaux :
- Souvent, au fur et à mesure du développement des ports coloniaux, quartiers blancs et
quartiers indigènes sont nettement séparés. A partir des années 1850, nombre de ports
coloniaux deviennent des villes duales. Programmes d’urbanisme et architecture se font
l’écho des divisions et de l’inégalité foncière des sociétés coloniales.
Exemple de Bombay : ville anglaise et ville indienne se développent côte à côte,
séparées par des terrains militaires (aujourd’hui transformés en esplanades). Dans la
ville européenne on retrouve par ailleurs les deux principaux éléments de la ville
2
Georges Balandier, « La situation coloniale : approche critique », Cahiers internationaux de
sociologie, vol. 11, 1951, p. 44-77. Cit. p. 29.
3
Jacques Poloni-Simard, « L'Amérique espagnole : une colonisation d'Ancien Régime », dans Marc
Ferro (dir.), Le livre noir du colonialisme XVIe-XXIe siècle : de l'extermination à la repentance, Paris,
Hachette, col. Plurielle, 2005, p. 237-274. Nous ne pouvons que recommander la lecture de cet article
aux candidats. Bien que son auteur s'attache à décrire une colonisation d'Ancien Régime il fait en réalité
une description très exacte de ce qu'est une société coloniale puisque ce qu'il avance peut tout aussi bien
s'appliquer – à quelques nuances près – à l'Indochine française, à l'Angola portugaise, à la Jamaïque
britannique ou aux Indes néerlandaises.
Claire Laux – Afadec – Droits de reproduction réservés
5
Histoire- Géographie :
Composition
coloniale britannique dans la deuxième moitié du XIXème siècle : le quartier civil,
destiné à l’élite administrative et le quartier du cantonnement, réservé à l’armée.
- Une politique de cantonnement des populations indigènes que l’on retrouve dans de
nombreux ports coloniaux .
Au Sénégal par exemple, après l’abolition de l’esclavage, devant l’inquiétude des
commerçants, l’administration crée, en 1849, un « village de liberté » face à l’île de SaintLouis pour les anciens esclaves ayant obtenu leur liberté. Leur séjour est limité dans le
temps et dans l’espace. Le critère est social autant que racial : seuls les anciens esclaves
libérés sont concernés, les commerçants noirs et métis échappent à ce cantonnement.
- Quartiers spécifiques pour les différentes communautés.
Exemple : à Singapour, communautés indienne, malaise, européenne, chinoise
séparées dans l’espace urbain. Ségrégations communales selon des lignes ethniques.
Conception municipale de Singapour reflète les trois principales préoccupations d’un
certain nombre de ports coloniaux : favoriser les entreprises, ancrer la communauté
marchande, séparer les différents groupes ethniques et professionnels qui convergent
dans le port. Donc cosmopolitisme apparent mais ségrégation sociale et raciale de fait.
C) La vitalité culturelle des sociétés coloniales dans les ports coloniaux
- Malgré les phénomènes de ségrégation spatiale évoqués plus haut, Singapour est
devenue le cœur du monde intellectuel en Asie, l’incarnation d’une société et d’une élite
plurielle : multiculturelle, multinationale, multiethnique… Véritable civilisation portuaire
constituée par flux de migrants venus d’Europe, de Chine, d’Inde, de l’archipel
malais…Centre de la culture malaise et de celle de la diaspora chinoise.
- Multiculturalisme et pluri-confessionnalisme aussi d’un port comme Tanger : de 1856 à
1906, population juive passe de 2500 à 11500 habitants, population européenne de 522 à 12
000 habitants. Les catholiques — essentiellement Espagnols, Portugais, Français, Italiens,
Anglais — passent de 622 en 1868 à 1412 en 1888. Grande tolérance religieuse de Tanger
— et souvent des ports coloniaux en général — avec la construction et la coexistence
d’édifices religieux variés : synagogues, temples, églises, mosquées… A Bombay par
exemple, les Britanniques aménagent des espaces publics pour favoriser les échanges entre
les différentes communautés religieuses et ethniques. Pas seulement ségrégation mais aussi
phénomènes de transfert culturel.
- Sociétés pluri-ethniques : existence toujours de lieux de contacts entre les
communautés. Exemple : les marchés.
Claire Laux – Afadec – Droits de reproduction réservés
6
Histoire- Géographie :
Composition
Conclusion
Le port colonial apparaît comme le lieu d’intégration par les sociétés coloniales de ce qui
apparaît comme la « modernité », en fait un certain nombre d’éléments de la culture des
colons ou des colonisateurs : langue, techniques, culture matérielle, principes économiques
(ceux du libéralisme en particulier).
Les ports coloniaux apparaissent alors comme les lieux de l’ambiguité, voire de
l’ambivalence fondamentale des sociétés coloniales : lieu de leur formation mais aussi de
résistances, d’adaptations, de compromis.
Claire Laux – Afadec – Droits de reproduction réservés
7