Trois Contes - biblio

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Trois Contes - biblio
Trois Contes
Flaubert
Livret pédagogique
établi par Bertrand LOUËT,
professeur certifié de Lettres modernes
HACHETTE
Éducation
Conception graphique
Couverture et intérieur: Médiamax
Mise en page
Maogani
Illustration
Flaubert par Nadar,© Hachette Livre
Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
© Hachette Livre, 2003.
43, quai de Grenelle, 75905 PARIS Cedex 15.
ISBN: 2.01.168701.2
www.hachette-education.com
Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes des articles L.122-4 et L.122-5, d’une part, que les
« copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation
collective » et, d’autre part, que « les analyses et les courtes citations » dans un but d’exemple et d’illustration,
«toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants
droit ou ayants cause,est illicite».
Cette représentation ou reproduction par quelque procédé que ce soit, sans l’autorisation de l’éditeur ou du Centre
français de l’exploitation du droit de copie (20, rue des Grands-Augustins, 75006 Paris), constituerait donc une
contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code pénal.
SOMMAIRE
AVA N T - P R O P O S
4
TA B L E
6
D E S CO R P U S
RÉPONSES
AU X Q U E S T I O N S
10
B i l a n d e p re m i è re l e c t u re . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 0
Un cœur simple
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1 3
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 1 8
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2 7
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 2 9
La Légende de saint Julien l’Hospitalier
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 3 6
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 3 8
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4 4
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 4 6
Hérodias
Le c t u re a n a l y t i q u e . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 5 1
Le c t u re s c ro i s é e s e t t rava u x d ’ é c r i t u re . . . . . . . . . . . . . . . . 5 5
BIBLIOGRAPHIE
CO M P L É M E N TA I R E
63
AVANT-PROPOS
Les programmes de français au lycée sont ambitieux. Pour les mettre
en œuvre, il est demandé à la fois de conduire des lectures qui éclairent les différents objets d’étude au programme et, par ces lectures, de
préparer les élèves aux techniques de l’épreuve écrite (lecture efficace
d’un corpus de textes, analyse d’une ou deux questions préliminaires,
techniques du commentaire, de la dissertation, de l’argumentation
contextualisée, de l’imitation…).
Ainsi, l’étude d’une même œuvre peut répondre à plusieurs objectifs.
Un recueil de nouvelles comme Trois Contes permettra d’étudier
l’esthétique du récit court : conte, nouvelle ou légende, et d’aborder
des mouvements essentiels du XIXe siècle : le réalisme, le naturalisme,
le romantisme, le Parnasse et le symbolisme. Au fil des groupements
de textes, les élèves sont invités à s’exercer à divers travaux d’écriture.
Dans ce contexte, il nous a semblé opportun de concevoir une nouvelle
collection d’œuvres classiques, Bibliolycée, qui puisse à la fois :
– motiver les élèves en leur offrant une nouvelle présentation du
texte, moderne et aérée, qui facilite la lecture de l’œuvre grâce à des
notes claires et quelques repères fondamentaux ;
– vous aider à mettre en œuvre les programmes et à préparer les
élèves aux travaux d’écriture.
Cette double perspective a présidé aux choix suivants :
• Le texte de l’œuvre est annoté très précisément, en bas de page,
afin d’en favoriser la pleine compréhension.
• Il est accompagné de documents iconographiques visant à rendre
la lecture attrayante et enrichissante, la plupart des reproductions
pouvant donner lieu à une exploitation en classe.
• Précédant et suivant le texte, des études synthétiques et des
tableaux donnent à l’élève les repères indispensables : biographie de
l’auteur, contexte historique, liens de l’œuvre avec son époque, genres
et registres du texte…
4
• Enfin, chaque Bibliolycée offre un appareil pédagogique destiné à
faciliter l’analyse de l’œuvre intégrale en classe. Présenté sur des pages
de couleur bleue afin de ne pas nuire à la cohérence du texte (sur
fond blanc), il comprend :
– Un bilan de première lecture qui peut être proposé à la classe
après un parcours cursif de l’œuvre. Il se compose de questions
courtes qui permettent de s’assurer que les élèves ont bien saisi le sens
général de l’œuvre.
– Cinq à sept questionnaires guidés en accompagnement des extraits
les plus représentatifs de l’œuvre : l’élève est invité à observer et à analyser le passage ; les notions indispensables sont rappelées et quelques
pistes sont proposées afin de guider sa réflexion et de l’amener à
construire sa propre lecture analytique du texte. On pourra procéder
en classe à une correction du questionnaire, ou interroger les élèves
pour construire avec eux l’analyse du texte.
– Cinq à sept corpus de textes (accompagnés parfois d’un document
iconographique) pour éclairer chacun des extraits ayant fait l’objet
d’un questionnaire guidé ; ces corpus sont suivis d’un questionnaire
d’analyse et de travaux d’écriture pouvant constituer un entraînement
à l’épreuve écrite du bac. Ils peuvent aussi figurer, pour la classe de
Première, sur le « descriptif des lectures et activités » à titre de groupements de textes en rapport avec un objet d’étude ou de documents
complémentaires.
Nous espérons ainsi que la collection Bibliolycée sera, pour vous et vos
élèves, un outil de travail efficace, favorisant le plaisir de la lecture et la
réflexion.
5
TABLE
DES CORPUS
Composition
du corpus
Corpus
La découverte du
peuple et des
pauvres
(p. 35)
Texte A : Chapitre I d’Un cœur simple de Gustave
Flaubert (pp. 27 à 29).
Texte B : Extrait de Madame Bovary de Gustave
Flaubert (pp. 35 à 37).
Texte C : Extrait de Jacques Damour d’Émile Zola
(pp. 37 à 39).
Texte D : Extrait du « Spleen de Paris », Les yeux des
pauvres de Charles Baudelaire (pp. 40-41).
Texte E : Extrait de « Les Mains de Jeanne-Marie »
d’Arthur Rimbaud (pp. 41 à 44).
Document F : E. Delacroix, La Liberté guidant
le peuple (p. 44).
La mort : récits et
discours
(p. 93)
Texte A : Extrait du chapitreV d’Un cœur simple de
Gustave Flaubert (p. 87, l. 1109, à p. 88, l. 1147).
Texte B : Extrait des Misérables de Victor Hugo
(pp. 93 à 96).
Texte C : Extrait de La Place d’Annie Ernaux
(pp. 96 à 98).
Texte D : Extrait des Voyages de Gulliver de
Jonathan Swift (pp. 98 à 100).
Texte E : Les Fleurs du mal, « La Mort des pauvres »
de Charles Baudelaire (p. 100).
6
Objet(s) d’étude
et niveau
La nouvelle (Première)
Un mouvement
littéraire : le réalisme
(Seconde)
Compléments aux travaux d’écriture
destinés aux séries technologiques
Question préliminaire
En quelle mesure peut-on dire que les cinq extraits et
le document présentent le peuple de manière
contrastée ?
Commentaire
Vous étudierez la mise en scène des différents
personnages et vous analyserez le contraste entre le
personnage de Catherine-Nicaise et l’ensemble des
autres personnages.
La nouvelle (Première)
Un mouvement
littéraire : le réalisme
(Seconde)
Question préliminaire
Ces extraits présentent-ils la mort comme un
moment essentiel ? Comment ?
Commentaire
Vous étudierez l’image de l’immortalité proposée par
ce texte ; vous analyserez les procédés d’humour noir ;
vous analyserez dans quelle mesure ce texte justifie la
condition mortelle de l’humanité.
7
TABLE
DES CORPUS
Composition
du corpus
Corpus
Le récit court au
XIXe siècle
(p. 111)
Texte A : Extrait de La Légende de saint Julien l’Hospitalier
de Gustave Flaubert (p.103,l.1,à p.106,l.71).
Texte B : Extrait de La Légende dorée de Jacques de Voragine
(pp.112-113).
Texte C : Extrait d’Après de Maupassant (pp. 113-114).
Texte D : Extrait du Chevalier double de Théophile Gautier
(pp.115-116).
Texte E : Extrait d’un article de Maupassant (p. 117).
Document F : Frontispice des Contes de Perrault par
Gustave Doré (p. 118).
Chasseurs et
chevaliers
(p. 137)
Texte A : Extrait de La Légende de saint Julien l’Hospitalier
de Gustave Flaubert (p. 129, l. 287, à p. 132, l. 354).
Texte B : Extrait d’Yvain ou le Chevalier au lion de Chrétien
de Troyes (p. 139).
Texte C : Extrait du Chevalier invisible d’Italo Calvino
(pp. 140-141).
Texte D : Extrait d’Entre chien et loup, « La vénerie
française » de Jim Harrison (pp. 141-142).
Salomé, ou le
mythe de la
danseuse
(p. 209)
Texte A : Extrait d’Hérodias de Gustave Flaubert (p.199,
l. 944, à p. 202, l. 1005).
Texte B : Extrait de l’« Évangile selon Marc » (p. 210).
Texte C : Extrait de Nana d’Émile Zola (pp.211 à 213).
Texte D : Extrait de Rimes dorées de Théodore de Banville
(pp. 213-214).
Texte E : « Salomé » de Guillaume Apollinaire (pp.214215).
Document F : Audrey Beardsley, illustration pour la
Salomé d’Oscar Wilde (p. 215).
8
Objet(s) d’étude
et niveau
Compléments aux travaux d’écriture
destinés aux séries technologiques
Le conte, la nouvelle
(Première)
Un mouvement
littéraire :
le romantisme
(Seconde)
Question préliminaire
Le conte et le récit sont-ils encore pratiqués comme
dans ces extraits ? Donnez des exemples.
Le conte, la nouvelle
(Première)
Un mouvement
littéraire :
le romantisme
(Seconde)
Question préliminaire
Dans quelle mesure peut-on dire que le Moyen Âge
reste un sujet d’inspiration aujourd’hui ?
Le conte, la nouvelle
(Première)
Un mouvement
littéraire : Parnasse et
symbolisme (Seconde)
Question préliminaire
La danse est-elle toujours un sujet d’inspiration
pour les écrivains ?
Commentaire
Vous analyserez l’atmosphère moyenâgeuse de ce
début de récit ; vous montrerez en quoi ce récit met
en place un univers fantastique ; vous expliquerez
dans quelle mesure la naissance de l’enfant s’apparente
à une naissance de conte de fées.
Commentaire
Vous analyserez la description de la bataille et direz en
quoi elle est comique ; vous montrez que ce texte
traite un épisode du Moyen Âge dans un style
volontairement moderne.
Commentaire
Vous analyserez le registre du poème et montrerez en
quoi il se distingue de celui d’Hérodias ; vous
commenterez l’énonciation dans ce poème et direz
en quoi elle est singulière par rapport aux autres textes
du corpus.
9
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Bilan de première lecture (p. 218)
a Les deux principaux personnages d’Un cœur simple sont Mme Aubain et Félicité,
nommées dès la première phrase (l. 1-2 : « les bourgeoises de Pont-l’Évêque envièrent à
Mme Aubain sa servante Félicité ») ; cette phrase fixe aussi les rôles : la maîtresse et la
servante. Ce couple du maître et du valet, très fréquent en littérature, prend ici une
dimension plus pathétique,et Flaubert,tout au long de la nouvelle,utilise le contraste
entre le caractère dévoué de Félicité et la dureté de Mme Aubain pour rendre plus
émouvant encore son destin.
z À Pont-l’Évêque, où habitent Félicité et Mme Aubain, mais aussi dans la région
normande :la ferme de Gefosses,où l’on se rend en excursion (l.185 sq.) ;Trouville,
où l’on va prendre des bains de mer pour la santé deVirginie (l.236 sq.) et où Félicité
retrouve sa sœur et son neveu Victor (l. 336) ; Honfleur, où Virginie est mise en
pension et où Félicité va dire adieu à Victor (l. 481 sq.)
e Dans la « géographie en estampes » (l. 175) offerte par l’avoué Bourais aux enfants.
Les images de ce livre lui permettront, plus tard, d’imaginer le sort de Victor : « ou
bien,– souvenir de la géographie en estampes,– il était mangé par les sauvages » (l.521-522).
Ce motif du livre d’estampes est l’occasion de souligner la simplicité de Félicité.
r Le perroquet Loulou a été rapporté d’Amérique par le baron de Larsonnière,exconsul d’Amérique et nouveau sous-préfet de Pont-l’Évêque,nommé après la révolution
de Juillet (l.723-728).Au moment de son départ,il donne le perroquet à MmeAubain
(l.782-787),qui le donne à Félicité (l.798).Cet animal fétiche du conte rappelleVictor
à Félicité car il vient d’Amérique (l.786-790) et il est l’occasion du seul désir personnel
formulé par Félicité,de manière détournée :« C’est Madame qui serait heureuse de l’avoir ! »,
dit-elle en effet,un jour,n’osant dire qu’elle aimerait elle-même l’avoir.
t Lorsqu’il est vivant,le perroquet est un compagnon pour Félicité,« presqu’un fils,
un amoureux » (l.877).À sa mort,Félicité le fait empailler,l’installe dans sa chambre
et commence à le confondre avec le Saint-Esprit :« À l’église,elle contemplait toujours
le Saint-Esprit, et observa qu’il avait quelque chose du perroquet » (l. 972-973) ; puis, plus
loin : « En l’enveloppant d’un regard d’angoisse, elle implorait le Saint-Esprit, et contracta
l’habitude idolâtre de dire ses oraisons agenouillée devant le perroquet » (l. 1028-1031).
y Félicité reste seule dans la maison de sa patronne,démeublée sans égards par Paul
(le fils de Mme Aubain) et son épouse, et qui tombe peu à peu en ruine, Félicité
n’osant demander des réparations, de peur d’être renvoyée (l. 1012 à la fin).
10
Bilan de première lecture
u La naissance de Julien est marquée par deux prophéties prononcées par des
personnages mystérieux qui apparaissent successivement à la mère (l.66 : « Réjouistoi,ô mère ! ton fils sera un saint ! »),puis au père (l.82-83 :«Ah ! ah ! ton fils !… beaucoup
de sang !… beaucoup de gloire !… toujours heureux ! la famille d’un empereur »).
i Avant la scène de la chasse,Julien tue une souris,qui apparaît pendant la messe et
qu’il piège (l.144-150 :«Ayant donc fermé la porte,et semé sur les marches les miettes d’un
gâteau,il se posta devant le trou,une baguette à la main.Au bout de très longtemps un museau
rose parut,puis la souris tout entière.Il frappa un coup léger,et demeura stupéfait devant ce petit
corps qui ne bougeait plus. Une goutte de sang tachait la dalle. Il l’essuya bien vite avec sa
manche, jeta la souris dehors, et n’en dit rien à personne »), des oisillons, puis un pigeon,
dans un raffinement de cruauté surprenant (l. 165-170 : « Le pigeon, les ailes cassées,
palpitait, suspendu dans les branches d’un troène. La persistance de sa vie irrita l’enfant. Il se
mit à l’étrangler ; et les convulsions de l’oiseau faisaient battre son cœur, l’emplissaient d’une
volupté sauvage et tumultueuse.Au dernier raidissement, il se sentit défaillir »). Ces deux
meurtres d’animaux préfigurent la cruauté dont Julien fera preuve par la suite et qui
le conduira à tuer ses parents ; c’est d’ailleurs à la suite de ce passage que son père
décide de lui apprendre la vénerie.
o Le cerf lui annonce qu’il est maudit et qu’il tuera son père et sa mère (l.344-345).
q Après la malédiction du cerf, Julien quitte le château de ses parents et mène une
existence aventureuse de soldat ou de mercenaire.Cela le conduit à sauver l’empereur
d’Occitanie, qui lui donne sa fille en récompense (l. 452-462).
s À la guerre (l. 478) et à la chasse, de manière à « détourner son malheur ; car il lui
semblait que du meurtre des animaux dépendait le sort de ses parents » (l. 496-498).
d Deux « inconnus » (l. 527), vêtus comme des mendiants (l. 530-532 : « Et bientôt
entrèrent dans la chambre un vieil homme et une vieille femme,courbés,poudreux,en habits de
toile, et s’appuyant chacun sur un bâton »).
f En raison d’une méprise : en rentrant de la chasse, Julien trouve un couple dans
son lit. Il croit qu’il s’agit de son épouse et de son amant et les tue (l. 685-697). En
réalité,il s’agissait de ses parents,que sa femme avait installés là pour qu’ils se reposent.
g Julien abandonne ses biens puis disparaît. Lors de l’enterrement, un « moine en
cagoule rabattue » (l.735-736) suivant le cortège et son attitude de pénitence (l.738739 : « Il resta pendant la messe, à plat ventre au milieu du portail, les bras en croix, et le
front dans la poussière ») peuvent laisser supposer qu’il s’agit de Julien.
h Sur la terrasse de la citadelle de Machærous.
11
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
j Ils contemplent la mer Morte et la plaine entre les montagnes, sur laquelle se
trouvent les troupes du roi des Arabes,par qui il craint d’être attaqué,comme par les
Juifs.Il attend avec inquiétude les secours romains,qui tardent à venir (l.52 :« Il fouilla
d’un regard aigu toutes les routes. Elles étaient vides »).
k L’action de ce conte se déroule en une journée.Elle commence un « matin,avant
le jour » (l.14).Le chapitre II se déroule à partir de l’arrivée deVitellius et des Romains,
qui arrivent en milieu de journée.Le festin (chap.III) se déroule le soir et l’épilogue
a lieu le lendemain matin : « À l’instant où se levait le soleil » (l. 1066).
l LuciusVitellius est le « gouverneur de la Syrie » (l.40-41),autrement dit le plus haut
représentant du pouvoir impérial romain dans la région. Il est le père de Vitellius
Aulus qui deviendra empereur en 69.
m Le prétexte est de fêter son anniversaire ; en réalité, il veut rencontrer tous ceux
qui sont susceptibles de se liguer contre lui pour les adoucir ou se choisir des alliés
(l.43-51 :«Agrippa,sans doute,l’avait ruiné chez l’Empereur ? Philippe,son troisième frère,
souverain de la Batanée, s’armait clandestinement. Les Juifs ne voulaient plus de ses mœurs
idolâtres, tous les autres de sa domination ; si bien qu’il hésitait entre deux projets : adoucir les
Arabes ou conclure une alliance avec les Parthes ; et, sous le prétexte de fêter son anniversaire,
il avait convié, pour ce jour même, à un grand festin, les chefs de ses troupes, les régisseurs de
ses campagnes et les principaux de la Galilée »).Il expliquera ainsi l’affluence en son palais
à Vitellius : «Vitellius demanda pourquoi tant de monde.Antipas en dit la cause : le festin
de son anniversaire » (l. 402-403).
w Après la danse de Salomé,Hérode dit à la jeune fille :«Viens ! viens ! Tu auras […]
la moitié de mon royaume » (l. 989-991) ; celle-ci lui répond alors : « Je veux que tu me
donnes dans un plat la tête… […] La tête de Iaokanann ! » (l.997-998).À regret,contraint
par sa parole, Hérode l’envoie chercher.
12
Un cœur simple
Un cœur simple (pp. 27 à 29)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 30 À 34)
a Il s’agit d’un cadre spatio-temporel réaliste, fondé sur des références absolues,
référentielles et prises dans le réel,comme des noms de villes (« Pont-l’Évêque »),de
lieux-dits (« Gefosses », «Toucques »), des dates (« au commencement de 1809 »).
z Il s’agit d’une maison bourgeoise de province. Le narrateur suit un parcours qui
va du rez-de-chaussée (l. 14-24) aux étages (l. 25-37). On peut constater que sont
ici décrits les espaces de MmeAubain (salon,salle,bureau,puis chambre de madame
et des enfants,et bureau et bibliothèque).La chambre de Félicité,seulement nommée
et située au deuxième étage, est expédiée en une ligne. On a donc une opposition
très claire entre l’espace de la patronne, décrit en détail, chargé de souvenirs et de
symboles (l. 23 : « un temple de Vesta » ; l. 26-27 : « le portrait de “Monsieur” »), et celui
de la servante, qui est une pure fonction.Au fil du récit cela s’inversera et à la fin la
chambre de Félicité sera devenue une sorte de chapelle dédiée au culte du perroquet,
chargée elle aussi des souvenirs d’une vie (l. 950-958 : « On voyait contre les murs :
des chapelets,des médailles,plusieurs bonnesVierges,un bénitier en noix de coco ;sur la commode,
couverte d’un drap comme un autel, la boîte en coquillages que lui avait donnée Victor ; puis
un arrosoir et un ballon,des cahiers d’écriture,la géographie en estampes,une paire de bottines ;
et au clou du miroir,accroché par ses rubans,le petit chapeau de peluche ! Félicité poussait même
ce genre de respect si loin qu’elle conservait une des redingotes de Monsieur »).
On peut ajouter que la maison est vieillissante,pleine de « souvenirs d’un temps meilleur
et d’un luxe évanoui » (l. 35-36) : la vie de Mme Aubain est derrière elle, celle de
Félicité commence.
e Mme Aubain est caractérisée comme n’étant pas une « personne agréable » (l. 6) ;
pour le reste,on peut déduire de son mode de vie,ni magnificent,ni misérable,qu’elle
appartient à la petite-bourgeoisie aisée de province : elle possède des fermes qui lui
donnent des rentes et lui permettent de vivre sans travailler (l. 17-18 : elle reste
« tout le long du jour,assise ») malgré une situation défavorable de veuve ayant à élever
seule deux enfants après la mort d’un mari pauvre lui ayant laissé des dettes (l. 9).
r La vie de Mme Aubain semble ici tout entière contenue dans les trois étapes que
sont son mariage, la mort de son époux et son déménagement dans une maison
« moins dispendieuse » (l.12-13) que celle qu’elle occupait avec lui.En fait,son itinéraire
est résumé à l’extrême car il sert uniquement de cadre à celui de Félicité qui va être
exposé pendant toute la durée du conte :la maîtresse sert de faire-valoir à la servante.
13
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
t Ce passage,marqué par une atmosphère de répétition,est écrit à l’imparfait itératif,
qui permet ici de souligner le caractère répétitif et monotone de la vie de Félicité,
qui paraît faire ainsi invariablement la même chose,comme si sa vie était une longue
suite de journées et de tâches immuables (elle marchandait,elle « faisait le désespoir »,
« elle mangeait »).Elle est comme une machine,elle semble d’ailleurs « automatique »
(l. 56).
Chaque jour, elle travaille « sans interruption » puis s’endort d’épuisement « devant
l’âtre », sans avoir la force d’aller se coucher. Ce résumé des journées de Félicité
permet d’insister sur le dénuement, la solitude et l’abnégation du personnage. Elle
devient ainsi un parangon de servante, un modèle parfait ; Félicité commence à se
transformer en héroïne.
y Les deux portraits,vestimentaires et physiques,confirment ce qui vient d’être mis
en place par la description de ses journées : en « toute saison » elle porte le même
costume, autrement dit sa vie est à nouveau marquée par la répétition ; à cet aspect
s’ajoute bien sûr la simplicité de sa mise,marquée par des vêtements simples (camisole,
bonnet, mouchoir, tablier), presque une tenue de travail, et des étoffes bon marché
(indienne).S’ajoute à cela qu’elle semble en apparence n’avoir qu’un seul âge :aucun,
une sorte de maturité indéfinie, continue.
Le premier portrait est en pied, tandis que le second semble d’abord s’intéresser au
visage de Félicité pour ensuite préciser sa démarche. Le premier la compare à une
« infirmière d’hôpital », personnage qui symbolise le dévouement, la générosité (ce
que Félicité finira par devenir,en prêtant secours aux pauvres dans le dernier chapitre),
tandis que le second la compare à une « femme en bois », « automatique », autrement
dit une figure sans cœur, une machine animée – ce que Félicité est aussi dans la
mesure où elle agit souvent par automatisme, comme, par exemple, lorsqu’elle va à
l’église et qu’elle communie (au début) par pur mimétisme avec la petite Virginie.
u On peut dire que ce début met en scène à la fois un cadre simple et un personnage
simple. On comprend donc que la servante Félicité est vraisemblablement le
personnage éponyme et qu’elle va être posée en exemple à la fois de cœur,c’est-àdire de générosité,de dévouement et d’oubli de soi au profit des autres,et de simplicité,
c’est-à-dire d’humilité et d’absence de complexité.
i et o Après la lecture de ce chapitre, on sait que c’est l’histoire de Félicité, du
« demi-siècle » passé au service de MmeAubain qui va être raconté.Il est en revanche
difficile d’en imaginer plus : le dénuement volontaire de ce début ne laisse en effet
pas entrevoir une suite narrative déterminée ; il n’y a pas le début d’un conflit ou
d’une intrigue amoureuse, par exemple.
14
Un cœur simple
q Flaubert utilise la technique du relais de narration, c’est-à-dire qu’il place dans
un personnage ou un groupe de personnages le point focal à partir duquel l’histoire
est racontée.Ainsi, il aboutit à un effacement complet du narrateur de manière à
ce que l’histoire paraisse presque se raconter d’elle-même.
Ainsi,dès la première phrase,le narrateur donne l’avis des « bourgeoises » sur Félicité,
de sorte que la description de Félicité qui suit (l. 3-6) puis celle de Mme Aubain et
de sa maison semblent portées par ce « chœur » des bourgeoises de Pont-l’Évêque.
C’est le même procédé qui intervient à la ligne 44,mais cette fois-ci avec le « chœur »
des servantes, qui admirent la qualité de son travail.
s Le pronom indéfini peut désigner le narrateur et le lecteur,les habitants de Pontl’Évêque ; bref, il est assez ambivalent. À nouveau il permet ici l’effacement du
narrateur (derrière un groupe qui regarde et décrit la maison puis l’âge que l’on
donne à Félicité),tout en plaçant subrepticement le lecteur dans la position d’un des
membres du groupe : tout se passe alors comme si le lecteur devenait le narrateur
de l’histoire.
d Les guillemets peuvent soit encadrer une citation,soit souligner un terme.Ici,on
a affaire à une citation de Félicité qui nomme ainsi avec déférence sa patronne et
son mari défunt,mais aussi de MmeAubain qui doit nommer son mari et se nommer
elle-même de cette manière, à l’attention de Félicité. Ils traduisent donc à la fois le
point de vue de Félicité et celui de Mme Aubain ; à nouveau le narrateur s’efface.
Simultanément,les guillemets soulignent ce propos,comme pour marquer le caractère
contraint, protocolaire des relations qu’entretiennent Félicité et Mme Aubain, et,
paradoxalement,ils apparaissent comme un jugement,un parti pris du narrateur sur
ces relations.
f Flaubert semble faire décrire la maison de Mme Aubain par un « chœur » aux
contours imprécis,qui comprendrait les bourgeoises et les servantes de Pont-l’Évêque,
Félicité et MmeAubain,parfois le lecteur :en tout cas,il multiplie les procédés (mise
en place de relais de narration, emploi de l’indéfini « on », des guillemets), pour
que le narrateur et l’auteur soient le plus effacés possible.
g Dans un récit réaliste, le narrateur est externe (il ne fait pas partie de l’histoire)
et le point de vue est construit de telle manière que ce qui est raconté puisse l’être
par un ou plusieurs personnages présents dans le récit. De cette manière, l’histoire
semble plus réelle,comme si elle était portée par le personnage qui la rapporte.Tout
se passe comme si le conte était le double témoignage des bourgeoises et des servantes
de Pont-l’Évêque, plus qu’une fiction imaginée par l’auteur Flaubert.
15
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
h Ces noms propres sont pris dans la réalité contemporaine des lecteurs de Flaubert,
qui les identifient immédiatement,les situent sur une carte et parfois même y associent
des images,car il s’agit de lieux qu’ils connaissent.Ceci permet de créer une illusion
référentielle et de faire croire au lecteur que, puisque l’histoire a lieu dans un cadre
réel, il s’agit d’une histoire réelle.
j Le point de vue, qui crée l’illusion que cette maison est décrite au moment où
elle est vue par les « bourgeoises », crée un premier effet de réel :
– les énumérations d’objets (l. 18-24) qui donnent l’impression de pouvoir voir ce
qui est décrit ;
– la présence d’objets traduisant la personnalité de la propriétaire (la pendule en
forme de « temple deVesta »,« le portrait de “Monsieur”»,le bureau animé par un certain
désordre) ;
– l’organisation de la description (du rez-de-chaussée au second), avec le souci du
petit détail qui « fait vrai » : « Elle avait intérieurement des différences de niveau » (l. 1516), « tout l’appartement sentait un peu le moisi » (l. 23-24), « le salon, toujours fermé »
(l. 29-30) ;
– l’utilisation de références connues par les lecteurs (les gravures d’Audran, l. 35).
Tous ces procédés concourent à donner l’impression au lecteur qu’il a affaire à une
maison réelle et non à sa description.
k Champ lexical de l’usure et de la vieillerie :« entre un passage et une ruelle », « étroit »,
« vieux piano », « tas pyramidal de boîtes et de cartons », « style Louis XV », « sentait un
peu le moisi », « fleurs pâles », « costume de muscadin » (mode surannée au moment de
l’écriture),« couchettes d’enfants,sans matelas », « salon,toujours fermé,et rempli de meubles
recouverts d’un drap », « paperasses », « souvenirs d’un temps meilleur et d’un luxe évanoui ».
Ce champ lexical est abondant et important ; il montre que la description de la
maison, sous un apparent réalisme, est en fait très orientée : elle indique que la vie
de Mme Aubain est derrière elle, qu’elle appartient au passé. La notation finale sur
la chambre de Félicité (« ayant vue sur les prairies ») indique symboliquement le
contraire, comme si la vie de Félicité commençait au moment où elle entre chez
Mme Aubain.
l Il y a d’abord, au rez-de-chaussée, le « vestibule » (l. 16), la « cuisine » et la « salle »
(l. 17).Au premier étage, « la chambre de “Madame” » (l. 25) puis celle « plus petite »
(l.28) des enfants,et enfin,au second,la chambre de Félicité,éclairée par une lucarne
(l. 36-37). Les espaces sont séparés, spécialisés, des seuils (« différences de niveau »)
rappellent ces séparations.La cuisine est décrite à la fin,à travers les objets utiles qu’on
y trouve : « âtre », « casseroles » ; elle est le lieu d’une économie paysanne où Félicité
16
Un cœur simple
enfouit la bûche sous la cendre et ramasse les miettes de pain sur la table. Elle est
occupée par Félicité de l’aube au soir,qui y travaille.Mme Aubain séjourne dans la
salle « tout le long du jour », assise près de la croisée.
On peut déduire de cette description que ces deux femmes, chacune à leur place,
sont comme des images inversées :l’une travaille dans un lieu occupé par des objets
utiles,tandis que l’autre se repose dans un lieu plein de souvenirs et de bibelots (« un
baromètre, un tas pyramidal de boîtes et de cartons », « pendule »…). Ce début est très
construit, de manière à donner dès la première page une image hyperbolique du
dévouement (et du dénuement) de Félicité,que le contraste avec la relative aisance
et le confort de Mme Aubain fait encore ressortir.
m La chambre de Félicité n’est pas du tout décrite, contrairement à la cuisine. Il
semble d’ailleurs que Félicité n’y passe que peu de temps,puisque sa vie est,dès cette
première page, vouée au travail de servante.
w Le jugement sur Mme Aubain est porté par le narrateur à la ligne 6 :elle « n’était
pas une personne agréable » ; en fait, tout se passe comme si ce jugement était assumé
par l’opinion publique du village, les bourgeoises de Pont-l’Évêque, mais aussi les
servantes. Ce jugement est dépréciatif.Au contraire, Félicité est appréciée par « les
bourgeoises » comme par « les autres servantes » qui admirent la qualité de son travail
(« le poli de ses casseroles ») et son économie.
À nouveau les deux femmes sont discrètement opposées,de manière à faire ressortir
encore plus les vertus exceptionnelles de Félicité.
x Ce contraste inspire au lecteur un mélange de pitié, de sympathie pour Félicité
et son dénuement,et de tristesse.MmeAubain,caricature de bourgeoise provinciale,
inspire une sorte d’indifférence par sa relative médiocrité bourgeoise ;elle ne provoque
à ce stade ni haine, ni sympathie, elle n’est en fait qu’un faire-valoir pour Félicité.
c Ces deux jugements sont très laudatifs. Cela donne dès le début une image très
valorisante de Félicité.
v Cette comparaison fait de Félicité un automate, comme une marionnette ou un
pantin.Cette image insiste sur le caractère répétitif de son existence,où chaque journée
répète l’autre et où les actions (réveil,messe,travail,dîner,assoupissement…) s’enchaînent
sans fin, comme provoquées par une mécanique immuable. D’ailleurs, elle devient
une femme sans âge, c’est-à-dire, symboliquement, un être qui n’évolue plus.
b Comme on vient de le voir, la description de la maison et des personnages, en
apparence réaliste, est en fait construite sur un jeu d’oppositions, d’antithèses fortes
dont l’efficacité est d’autant plus grande qu’elles sont discrètes.La figure de Félicité
17
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
devient ainsi progressivement une sorte de martyr, de personnage si dépourvu, si
humble, si modeste qu’il en devient exemplaire, presque mythique, au sens où le
mythe est un personnage légendaire, inspiré de la réalité, qui sert de modèle. C’est
bien ici le cas, puisque Félicité sert de modèle aux habitantes de Pont-l’Évêque.
Mais Félicité n’est pas seulement un archétype de servante :cette condition sociale,
par son humilité,l’élève à la figure de cœur simple,c’est-à-dire d’innocente quasiment
dans le sens des Évangiles qui disent :« Heureux les simples d’esprit,le royaume des cieux
leur appartient.» En effet,sans le savoir,elle semble réaliser cette maxime qui veut que
de la simplicité sorte une forme de justice et de bonté.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 35 À 46)
Examen des textes
a Dans l’extrait de Madame Bovary, le point de vue est externe, avec un narrateur
qui semble assister à la scène,qui rapporte les propos et les impressions des personnages,
sans s’immiscer réellement dans leurs pensées. C’est un point de vue typique du
réalisme et du naturalisme.
Dans l’extrait de Jacques Damour,le point de vue est externe mais avec un narrateur
omniscient, qui a la faculté de traverser les époques (« À vingt-six ans », puis « Neuf
ans plus tard », puis « Lorsque la guerre éclata »), de se rendre en différents lieux
simultanément (« Quand les Prussiens marchèrent sur Paris », « Dans la salle à manger »)
et de lire les pensées de ses personnages (« il n’avait pas d’idée arrêtée »). Ce point de
vue est aussi très fréquent dans le réalisme et le naturalisme.
Dans le poème en prose LesYeux des pauvres, le narrateur est interne et il relate son
propre point de vue à la 1re personne,en faisant mine de s’adresser à une femme avec
qui il se promène (« vous voulez savoir pourquoi je vous hais »).Ce point de vue narratif
est fréquent dans la poésie lyrique et dans les écrits romantiques.
Enfin,le poème de Rimbaud adopte un point de vue externe,qui se veut descriptif,
presque réaliste.Toutefois le registre lyrique est présent grâce aux phrases interrogatives
et exclamatives qui terminent plusieurs des quatrains et qui semblent apostropher
le lecteur, comme si le poète l’interrogeait et l’appelait à prendre parti (« Sont-ce des
mains de Juana ? ») ; parfois même il semble s’adresser aux mains qu’il décrit (« Ah !
quelquefois,ô Mains sacrées,/À vos poings,Mains où tremblent nos/Lèvres jamais désenivrées »).
On peut donc classer dans un premier groupe les deux textes narratifs,où le narrateur
est absent et ne prend pas le lecteur à partie,et dans un second groupe les poèmes,dans
lesquels le narrateur (ou poète) engage une sorte de dialogue avec un destinataire,présent
(la femme dans LesYeux des pauvres) ou absent (le lecteur dans Les Mains de Jeanne-Marie).
18
Un cœur simple
z Ce sont deux vies de personnages populaires, de gens simples. On retrouve le
même cursus honorum des classes populaires :une enfance et une jeunesse très résumées
(« À vingt-six ans, Jacques avait épousé Félicie »), souvent marquées par le travail (« Dès
l’âge de douze ans,Eugène fut mis à l’étau »,dit-on du fils de Jacques Damour),puis une
vie de labeur.
e On ne peut manquer d’être frappé par la ressemblance entre les deux personnages :
même humilité dévote, marquée par le « maintien craintif » et son propos final sur sa
médaille (« Je la donnerai au curé ») ; même durée (« ce demi-siècle de servitude ») ; et
même public des « bourgeois épanouis ». Il semble donc que ce personnage du cœur
simple ait longtemps mûri chez Flaubert. Le personnage de Catherine-Nicaise est
présenté de manière plus sarcastique : Flaubert le pose en opposition au bourgeois,
comme un reproche ;il permet donc d’éclairer une dimension critique de Félicité,
très atténuée et discrète dans le conte.
r Le champ lexical du regard est très présent (« on vit », « elle voyait », « ce regard
pâle », « elle considéra »…). Il renvoie au fait que cet épisode se déroule dans le cadre
d’un spectacle – les comices agricoles –,mais aussi au fait que c’est par le regard que
les différentes classes se confrontent et entrent en contact. Cette thématique est
très présente dans le texte de Baudelaire,où,comme ici,le pauvre présente un spectacle
insupportable pour les riches et où son regard montre que la richesse des autres
l’éblouit (« Les yeux du père disaient :“que c’est beau ! […]” »).
t Dans le texte de Baudelaire, le « je » est très présent, il apparaît au début du
texte,pour présenter la situation (l’apparition des trois pauvres face au café splendide)
et,à la fin,pour exposer les sentiments provoqués par ce spectacle (« j’étais attendri »)
et les partager avec la femme aimée (« Je tournais mes regards vers les vôtres, cher amour,
pour y lire ma pensée »).Le lyrisme est dans cette expression des sentiments personnels.
Dans le poème de Rimbaud,le lyrisme est plus discret.Il prend la forme de modalités
interrogatives et exclamatives qui témoignent qu’il s’agit d’un dialogue (« Sont-ce des
mains de Juana ? ») et traduisent les sentiments du locuteur comme l’admiration,
l’étonnement (« Plus forte que tout un cheval ! », «Tourne le crâne des brebis ! »), ou la
colère (« À travers Paris insurgé ! »).
Dans le texte de Baudelaire, la figure féminine est la femme aimée et courtisée,
comme dans la tradition pétrarquiste. Elle est ici une figure négative, qui prive le
poète de sa rêverie et lui rappelle que « la pensée est incommunicable ».Dans le poème
de Rimbaud, la figure féminine est une allégorie guerrière, une héroïne puissante
et libératrice.
19
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
y Rimbaud utilise plusieurs procédés :
– le motif du blason féminin (faire la louange d’une partie du corps féminin) pour
le mettre au service non d’un discours amoureux,mais d’un discours révolutionnaire.
Le choix des mains est symboliquement fort :ce sont elles qui tiennent la mitrailleuse
ici ;
– la comparaison : Rimbaud oppose son héroïne aux « Juana », aux « cousines »,
aux « ouvrières »,aux « femmes mauvaises »,faisant ainsi ressortir par négations successives
la figure de la communarde libre et forte ;
– la métaphore :« Le dos de ces Mains est la place/Qu’en baisa tout Révolté fier ! »,la main
devenant le champ de bataille.
Ainsi, d’image en image, Jeanne-Marie devient l’allégorie de la Commune.
u Les deux personnages de Flaubert sont comparés l’un à « une femme en bois »,
l’autre à « des animaux », dont elle a le mutisme et la placidité. L’une comme l’autre
sont « humbles », respectueuses des devoirs de la religion, etc. Inversement, les
personnages populaires de la ville semblent ne pas se résigner à leur destin :Damour
et sa famille ont des économies (« ils possédaient plus de mille francs »),notation descriptive
qui montre leur détermination à prendre leurs affaires en main, et ils sont
« républicains »,c’est-à-dire pour l’époque « révolutionnaires ».Parmi les pauvres de
Baudelaire, l’un des enfants constate que la richesse du café n’est pas pour « les gens
comme nous » : cette remarque, associée au contraste entre la misère et la richesse,
est le début de la révolte, de la revendication d’égalité.
La Jeanne-Marie de Rimbaud est la plus révoltée : le poème multiplie les images
combatives (mains « ployeuses d’échine », qui serreraient et broieraient, en chantant
La Marseillaise – chant révolutionnaire –,plutôt que des « Eleisons » – chant religieux.
i Les personnages sont placés au centre,ils sont le point focal,et la femme est comme
une tache de lumière. Ils forment avec le drapeau une sorte de figure triangulaire,
debout et en surplomb, alors que les autres personnages sont placés en contrebas.
Leurs couleurs vives s’opposent aux couleurs sombres du cadre et de la barricade.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Le peuple n’est pas absent de la littérature avant le XIXe siècle,mais il y est représenté
sous la forme stéréotypée de « types » : au Moyen Âge, les fabliaux popularisent le
personnage du « vilain »,paysan pauvre,souvent cocu,et à qui le curé ou les voisins
jouent des tours ; au XVIIe siècle, le peuple prend la forme du valet de comédie,
toujours soumis à son maître ;au XVIIIe siècle,le valet commence à s’émanciper pour
20
Un cœur simple
devenir le symbole de la bourgeoisie montante,comme le Figaro de Beaumarchais,
par exemple.La nouveauté,au XIXe siècle,est que les personnages populaires ne sont
plus conçus comme des « types », des caractères « immuables », mais comme des
personnes qui méritent autant d’être connues et étudiées que les riches.
On voit bien, par exemple, dans le début de Jacques Damour, qu’il y a de la part de
Zola une volonté de dépeindre le milieu ouvrier,ses conditions de vie,sa mentalité.
Cela est sensible dans la manière détaillée dont il raconte les étapes de l’existence de
cette famille, les naissances d’enfants, les difficultés (« elle arriva bien juste à nourrir le
ménage »),tout en tentant de nous présenter de manière dynamique la personnalité
de ses membres : Jacques, « grave » et indécis ; Félicie, « économe » et sérieuse. Cet
intérêt pour les classes populaires date des romans-feuilletons : par exemple, Les
Mystères de Paris d’Eugène Sue, parus de 1842 à 1843, ou bien sûr Les Misérables de
Victor Hugo, parus en 1862.
Chez Flaubert,dans Un cœur simple comme dans Madame Bovary, la perspective n’est
pas tout à fait la même :en apparence réaliste,il semble vouloir ériger ses personnages
en modèles,en figures qui viennent rappeler aux « bourgeois épanouis » qui les regardent
la bassesse de leur existence.Il construit ainsi un jeu savant d’antithèses,d’oppositions
qui donnent cette dimension morale à ses personnages.
La même dimension est présente dans le texte de Baudelaire, d’une manière plus
grinçante et mordante :Baudelaire,comme Zola,montre les désordres de la grande
ville ;ses personnages se croisent dans Paris,aux abords d’un café en chantier.L’univers
de la ville moderne,comme dans Zola,rend possible ces confrontations,ces rencontres
qui gênent (comme en témoigne la réaction de la jeune femme) et font prendre
conscience d’une situation déséquilibrée (« je me sentais un peu honteux de nos verres
et de nos carafes plus grands que notre soif », écrit ainsi Baudelaire).
Dans le texte de Rimbaud,il en va tout autrement :les bourgeois ne sont plus présents
qu’à titre de comparaison et sont menacés de mort par les mains des révolutionnaires,
qui, à travers la figure de Jeanne-Marie, sont présentés comme les messagères
« merveilleuses » de l’avenir.
Au total,ces cinq extraits donnent un aperçu de l’image nouvelle du peuple introduite
au XIXe siècle.
Commentaire
Introduction
• Ce poème est un poème lyrique qui s’inspire du modèle pétrarquiste : le poète
s’adresse à la belle et lui présente un objet dont le spectacle doit théoriquement la
21
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
pousser à accepter ses avances.Mais ici tout est renversé :le poète ne présente pas un
objet attirant, au contraire, et la belle se détourne de lui et ne comprend pas ses
sentiments.
• L’irruption des « pauvres » dans le couple lyrique ressemble à leur apparition
dans l’ordre bourgeois : elle gêne la vision et invite à repenser l’ordre social et
l’esthétique.
• Baudelaire dépasse la simple situation pétrarquiste traditionnelle,s’en sert comme
d’un canevas pour donner une image lyrique de la ville moderne.
1. Une reprise de la situation pétrarquiste
A. L’énonciation
Le dialogue homme/femme : un dialogue biaisé, un dialogue raté (le poète se
laisse aller à une longue rêverie, il en sort pour s’apercevoir que sa compagne ne
s’y intéresse pas, ne la comprend pas).
B. Une situation détournée
Il s’agit d’une parodie de la situation galante, qui est ici détournée pour mettre en
scène l’irruption de la famille d’« yeux »,l’encadrer.Cette situation disparaît au profit
de la « vision ».
2. Le régime de la vision et de la rêverie
A. Contraste des deux descriptions
• Profusion du café.
• Dénuement des pauvres.
B. L’imagerie du regard
•Yeux qui parlent.
• Famille d’yeux.
•Yeux fascinés/fascinants.
C. Le rôle amplificateur de la double interprétation
• Rêve du narrateur.
• Malaise de la jeune femme.
D. Le rythme
• Richesse de l’énumération infinie pour le café (les murs…, les nappes…, etc.).
• Groupes avec la même structure,ample,qui s’oppose à la simplicité de la description
des pauvres (phrases courtes, peu de qualificatifs).
22
Un cœur simple
3. Un poème-charge
A. La mise en place d’une morale finale
• Le recours à la maxime : « les chansonniers disent […] ».
• L’impossibilité de partager.
B. Morale sociale
• Opposition pauvre/riche.
• Égoïsme des riches.
C. Morale esthétique
• Le beau n’est pas pour nous.
• Ceux qui le détiennent ne peuvent le percevoir.
D. La figure féminine
Bourreau et victime : ne comprend pas le poète mais sa médiocrité et sa bassesse
sont soulignées.
Conclusion
On le voit,Baudelaire décrit le Paris du Second Empire ;il expose aussi la nouvelle
situation des artistes :le monde change autour d’eux – ce qui les oblige à chanter de
nouveaux objets que le public est inapte à saisir et à apprécier.
Dissertation
Introduction
• On rappellera que les frères Goncourt (Edmond,1822-1896 ;et Jules,1830-1870)
sont deux écrivains ayant travaillé ensemble jusqu’à la mort de Jules,auteur de nombreux
romans et d’un journal qui est une mine d’informations sur la vie littéraire du XIXe siècle.
• Écrivains naturalistes, ils s’intéressent, dans leurs romans, à l’étude des cas
pathologiques. Dans Germinie Lacerteux, ils présentent le destin d’une servante
hystérique. Leur apport au roman est essentiel car ce sont eux qui ont introduit la
notion d’observation du réel.Très critiqués pour la trivialité (voire la grossièreté) de
leurs sujets,ils se défendaient dans des préfaces manifestes dont le sujet est extrait.Le
registre polémique, marqué par l’emploi d’une question oratoire, la reprise répétée
d’arguments en témoignent d’ailleurs.
• Le sujet demande de répondre à la question posée,à savoir :peut-on,est-il intéressant
de choisir un sujet au sein du peuple pour en faire la matière d’un roman ? cela
intéressera-t-il le lecteur, l’émouvra-t-il ?
23
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
• En réalité, il s’agit d’une question oratoire : en effet, les Goncourt affirment un
parti pris esthétique, dont leur œuvre est une illustration.
• Cette question oratoire pose aussi la question de « l’objet » ou du sujet choisi par
l’écrivain ou l’artiste, de la pertinence et de l’opportunité de ce choix, en relation
avec la sensibilité et l’intérêt du lecteur,en le rapportant à la réception,à la sensibilité
des lecteurs.En effet,l’apparition d’une nouvelle littérature est liée aux caractéristiques
de l’époque contemporaine :une époque d’égalité,sans « classes » et sans « aristocratie
légale ». À ce nouveau public il faut donc une nouvelle littérature, plus conforme à
ses préoccupations.
• On pourra donc répondre à la question en posant la question du sujet et de son
traitement par l’écrivain,celle du sens et de la fonction de l’œuvre,et enfin celle des
choix esthétiques du réalisme et du naturalisme.
1. Le choix du sujet
• Les mouvements du XIXe siècle revendiquent la liberté de choix du sujet :
– le romantisme veut ouvrir le champ de la représentation littéraire à l’ensemble du
monde.On s’ouvre ainsi sur le passé (comme dans Saint Julien),sur l’Orient (comme
dans Hérodias) ;
– cette ouverture n’est pas seulement géographique et historique,elle est aussi sociale :
on s’intéresse au peuple et aux « larmes qu’on pleure en bas », comme dans Un cœur
simple ou les différents textes du corpus ;
– la représentation de personnages populaires évolue : ils deviennent les héros
d’histoires, on rapporte le récit de leur vie.
• Ces changements de sujets invitent à s’interroger sur le sens et la fonction de l’œuvre.
2. Sens et fonction de l’œuvre
A. S’adapter au goût du public
Les frères Goncourt le soulignent par allusion : il faut s’adapter au goût du public
qui, avec l’instruction obligatoire et l’essor de la presse, a évolué – la lecture s’est
démocratisée, on voit donc surgir une littérature répondant aux aspirations de ce
public populaire (romans-feuilletons comme Les Mystères de Paris ou nouvelles
paraissant dans les journaux comme Jacques Damour).Simultanément,on s’interroge
sur le sens et la fonction de l’œuvre qui ne doit plus se limiter à faire éprouver une
émotion esthétique mais doit aussi parler « à l’intérêt, à l’émotion, à la pitié », « faire
pleurer ».
24
Un cœur simple
B. Un objet sensible et de connaissance
Ainsi l’œuvre doit être :
– un objet sensible, qui « fait pleurer » ; c’est sur cette corde classique de l’art que
joue en partie Un cœur simple ou le personnage de Catherine-Nicaise (Madame
Bovary) ;
– un objet de connaissance pour le lecteur.On décrit des milieux inconnus (la famille
de Jacques Damour,celle des Yeux des pauvres),on propose au lecteur de faire attention
à ce que d’habitude il ne regarde pas.
C. Une arme politique
• L’œuvre devient ensuite une arme politique :cette émotion et cette connaissance
servent de support à un discours de révolte,embryonnaire dans LesYeux des pauvres,
mais affirmé et revendiqué chez Victor Hugo,qui fait des Misérables un brûlot contre
la misère,ou chez Rimbaud,qui,avec Les Mains de Jeanne-Marie,élève un monument
à la gloire des communards et, à travers eux, à celle des révoltés en général.
• Ces nouveaux personnages répondent aussi à des choix esthétiques.
3. Choix esthétiques
A. Contre les mièvreries du XVIIIe siècle
Le romantisme est une réaction aux mièvreries du XVIIIe siècle (littérature aristocrate
de salon,représentation convenue de l’amour,etc.) et à une vision jugée trop pompeuse
et artificielle de la tragédie classique (Racine, Corneille). La comédie elle-même
(Molière,et même les dramaturges du XVIIIe siècle comme Beaumarchais) est critiquée
pour ces mêmes raisons.
B. La recherche du vrai
Réalisme et naturalisme vont ainsi prôner la recherche du vrai,de la peinture d’après
nature,plutôt que la création de personnages conventionnels,répondant à des critères
esthétiques prédéfinis. Le perroquet multicolore de Félicité, le bric-à-brac de sa
chambre répondent à ces critères.
C. Une beauté authentique
On va tenter de trouver et de faire émerger une beauté plus quotidienne et immédiate,
issue directement de la rue :l’exemple des Yeux des pauvres,qui s’oppose à la beauté
trop fabriquée de l’intérieur du café, est typique de cette tendance esthétique. On
peut signaler aussi que la beauté de Jeanne-Marie est opposée à des modèles convenus.
On recherche une certaine authenticité.
25
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
D. Une authenticité morale
Le beau pour lui-même passe au second plan ;on s’intéresse à la vérité,à l’authenticité,
au sens moral de l’œuvre.Le Parnasse et le symbolisme reviendront sur ces conceptions,
en prônant une beauté parfaite et à l’antique, comme dans Hérodias, par exemple.
Conclusion
Au total, l’affirmation, sous la forme d’une question oratoire, des frères Goncourt
prend donc un double sens : elle est à la fois politique et esthétique. Les auteurs
proposent des sujets adaptés au nouvel ordre social issu de la Révolution,celui d’une
société sans classes. Ils proposent aussi une nouvelle vision de la beauté, fondée sur
l’observation du réel.
Écriture d’invention
• On attirera l’attention des élèves sur les étapes d’une vie comme celle d’une employée
de ferme au XIXe siècle : l’enfance ; les premiers travaux ; l’épisode amoureux
(cf. chap. II d’Un cœur simple) ; l’embauche dans un poste définitif ; le récit d’une
journée type de la vie d’un adulte.
• On attirera l’attention des élèves sur le respect du mode narratif :le texte devra être
écrit à la 3e personne, avec un narrateur externe n’intervenant pas (ou très
marginalement) dans le récit.
• On invitera les élèves à employer les temps du récit (passé simple et imparfait) et
à insérer dans leur narration des descriptions précises,pour répondre aux exigences
du modèle « réaliste ».
26
Un cœur simple
Un cœur simple (pp. 87-88)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 89 À 92)
a Le passage,écrit essentiellement à la 3e personne,avec quelques passages au discours
direct, est raconté par un narrateur externe omniscient, qui a la faculté de passer
de l’intérieur de la chambre (l. 1110 : « Félicité roula ses prunelles ») au parvis où
passe la procession (l.1120 :« Le clergé parut dans la cour »).Il connaît aussi les pensées
des personnages : Félicité est « tourmentée » (l. 1112), elle croit voir (l. 1145).
Mais,au sein de ce point de vue externe,Flaubert s’arrange pour introduire le regard
des personnages, de manière à ajouter de la vraisemblance à la scène :
– il fait parler Félicité (« Est-il bien ? ») et lui fait rouler ses prunelles ;
– avant de décrire la scène de la procession et le reposoir,il déplace La Simonne qui
grimpe « sur une chaise pour atteindre à l’œil de bœuf » (l. 1120-1121), de manière à ce
que le point de vue du personnage soit le support de la description.
On peut remarquer que le texte oppose le pronom indéfini « on » (l. 1116), qui
désigne aussi bien les personnes présentes dans la chambre (Félicité, La Simonne)
que toute autre personne et éventuellement même le lecteur,et le pronom « Elle »
(l. 1140), qui désigne et remet finalement Félicité au centre du conte.
z Le point de vue n’est pas toujours réaliste au sens strict,puisque Flaubert s’autorise
ici des incursions dans la conscience de Félicité,lui prêtant en particulier des visions
au moment de sa mort, notamment celle du « perroquet gigantesque » (l. 1146).
eVerbes de perception :« on distingua » (l.1116),« laissait voir » (l.1133),« humant »
(l. 1141), « crut voir » (l. 1145).
Ces verbes sont seulement au nombre de quatre, mais les termes indiquant des
perceptions (sons :« râle », « ronflement » ;regard :« parut », « orné », « tiraient les yeux » ;
odeur : « encensoirs », « vapeur d’azur », « narines ») sont très nombreux.Tout se
passe comme si la mort était mise en scène à l’aide de ces perceptions qui engendrent
des images et des impressions :la fusillade du début rappelant le glas,l’autel somptueux,
le Saint-Esprit tel que Félicité se l’imagine, et le parfum final, la béatitude céleste
dans laquelle meurt l’héroïne.
r Flaubert choisit ici un lexique médical : « râle », « bouillon d’écume », « coins de sa
bouche », « côtes », le « corps tremblait », et des phrases très courtes, pour donner
l’impression d’une description clinique d’agonie.Il y a ici une recherche de simplicité
factuelle,de style d’amphithéâtre,qui contraste avec la profusion éclatante et presque
baroque de l’autel.
27
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
t La figure de l’énumération permet de donner à voir une série d’objets, comme
s’ils étaient présents devant nous, dans une hypotypose – ce qui se produit ici.
Simultanément, l’accumulation donne un côté grandiose à l’autel, souligné par le
vocabulaire (« s’élançaient », « monceau de couleurs éclatantes ») – ce qui produit un effet
d’hyperbole.
y La procession est d’abord décrite de manière sonore : « une fusillade ébranla »
(l. 1109), « le ronflement des ophicléides, les voix claires des enfants, la voix profonde des
hommes » (l. 1116-1117), puis visuelle : « Le clergé parut » (l. 1120), « Les fabriciens, les
chantres, les enfants se rangèrent » (l. 1135). On voit des phrases à rythme ternaire, qui
rendent compte de la lenteur de progression de la procession. Le passage de l’ouïe
à la vue permet de mettre en avant la perception de Félicité,qui reste ainsi au centre
du texte.
u Plusieurs éléments relient les deux scènes :
– Félicité réagit à l’arrivée de la procession en posant une question, montrant ainsi
qu’elle en entend l’arrivée ;
– son agonie progresse au même rythme que l’avancée des fidèles ; la procession se
met en place autour de l’autel, fait « silence » (l. 1138), puis Félicité meurt, « comme
un écho disparaît » ;
– le parfum de l’encens semble relier la mourante et la procession.
i L’autel est comme une image du perroquet ; l’encens, dont le parfum monte et
fait éprouver à Félicité cette « sensualité mystique », est ce qui provoque la vision
(l. 1141), créant un lien entre les deux actions.
o Cette question nous montre que,même au moment de mourir,Félicité s’oublie
elle-même au profit de ceux qu’elle aime. Cette abnégation, ce don de soi, proche
ici du sacrifice, est l’une des caractéristiques de la sainteté.
q Champ lexical de la souffrance :« agonie », « râle », « bouillon d’écume », « soulevait
les côtes », « tremblait ».
s Malgré cette souffrance,Félicité continue à s’intéresser aux autres,comme on l’a
vu à la question 9. Ce contraste, cette opposition, met en valeur ses qualités de
dévouement.
d On parle de ses « lèvres » et de son « cœur », organes qui sont traditionnellement
le siège de sentiments.Elle est ensuite comparée à « une fontaine [qui] s’épuise ».Dans
cette dernière description, tout se passe comme si son corps avait disparu, au profit
de sensations suaves et de sentiments purs. Le champ lexical est celui de l’eau et de
28
Un cœur simple
l’air (« vapeur », « azur », « narines », « humant », « fontaine », « souffle », « planant »),
qui donne cette impression de douceur et de légèreté.Félicité s’est métamorphosée
en pur esprit, par le parfum de l’encens, puis par la mort, signalée par la métaphore
de la fontaine qui se tarit.
f La description de l’autel est marquée par la profusion (« monceau de couleurs ») et
l’alliance d’objets hétéroclites (des reliques, un sucrier et des écrans chinois…), un
mélange d’objets sacrés, rares et précieux. La chambre de Félicité comporte une
commode qui est « comme un autel » (l. 953) et on y trouve des objets disparates et
vénérables : reliques de Virginie (son « chapeau de peluche »), de Victor (« la boîte en
coquillages »), sans parler des « redingotes » du mari défunt de Mme Aubain. Comme
pour l’autel,le perroquet est au centre et finit par être confondu avec le Saint-Esprit.
g On trouve le vert (guirlandes vertes), l’orange (oranger), le jaune, le rouge et le
bleu,avec les fleurs :toutes les couleurs du perroquet,qui font de cet autel une image
agrandie du perroquet, comme s’il s’agissait d’une roue déployée par l’oiseau, à la
manière d’un paon.
h La religion de Félicité est tout intérieure, simple et modeste, au point qu’au
moment de mourir, elle s’oublie au profit de son perroquet mort. Que ce soit
dans sa chambre ou au moment de sa mort,les icônes qu’elle vénère témoignent de
la sincérité naïve de sa foi.Inversement,la religion des villageois est pleine d’ostentation :
on note un peu plus haut qu’il y a des « rivalités » (l. 1055) entre les paroissiennes à
propos de l’installation d’un reposoir ; on constate que la procession se déroule de
manière hiérarchisée et que les objets placés sur l’autel n’ont rien à voir avec la
spiritualité mais sont plutôt des objets placés là parce qu’ils sont luxueux (le sucrier
en vermeil) ou voyants. Il y a dans cette procession quelque chose qui rappelle
l’adoration duVeau d’or (Exode,32) dans l’Ancien Testament et on sent poindre dans
la description de l’autel l’ironie de Flaubert.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 93 À 102)
Examen des textes
a Jean Valjean donne des explications sur le passé pour libérer la conscience de
Marius et Cosette («Vous pouvez être riches tranquillement »),il se souvient de l’enfance
de Cosette et des Thénardier, puis lui apprend le nom de sa mère : « voici le moment
venu de te dire le nom de ta mère. Elle s’appelait Fantine. » Il appelle à pardonner les
29
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Thénardier et demande une tombe simple (« vous n’oublierez pas que je suis un pauvre,
vous me ferez enterrer dans le premier coin de terre venu »).
Tout son discours est marqué par l’oubli de soi et la volonté de libérer Cosette et
Marius de toute culpabilité ou regret.
z Antithèses : l’ombre et la lumière (« la lumière du monde inconnu », puis « c’est de
l’ombre. Je m’imaginais que tout cela m’appartenait ») ; la méchanceté (des Thénardier)
et la bonté (de Fantine) ; le malheur et le bonheur (« Elle a eu en malheur tout ce que
tu as en bonheur ») ; la terre et le ciel (« Il [Dieu] est là-haut, Il nous voit tous »). Les
antithèses frappantes concourent au registre pathétique du texte et constituent l’une
des marques du style hugolien.
e Dans le texte C,le narrateur est l’auteur.C’est la fille du mourant :cela est marqué
par des pronoms et des déterminants possessifs (« mon père », « je suis montée », « ma
mère »). Il s’agit d’un narrateur interne, alors que les textes A et B sont des textes
où le narrateur est externe et ne participe pas au récit.
r La religion est envisagée comme un rituel sans contenu, de pure forme et sans
valeur spirituelle (« un marmottement chantant,entrecoupé de silences »),jugé de manière
très péjorative (« L’extrême-onction du catéchisme. La chose la plus obscène qui soit »).
t Le texte d’Annie Ernaux est rédigé comme un témoignage, un journal
chronologique – ce qui est marqué par le point de vue interne. La construction
est chronologique,marquée par les indications temporelles :« Dans la nuit », « Dans
l’après-midi », « Par la suite », « Le dimanche matin », « Plus tard », « À midi et demi »,
« vers une heure ». L’auteur prend soin aussi de distinguer le moment de l’histoire et
le moment de la narration (« En me rappelant ce moment »), comme pour distinguer
le compte rendu des faits et leur analyse.
On note un vocabulaire cru,celui de la description physique sans concession :« C’était
horrible parce qu’on ne savait pas si cela venait des poumons ou des intestins », « Sa main
tremblait avec violence », « Autour du dentier […] ses lèvres se retroussaient »…
y Annie Ernaux s’efforce de présenter la mort comme un fait, un événement, en
essayant de ne pas lui attribuer de sens,comme le font les autres auteurs.Ainsi,chaque
fois qu’une signification pourrait apparaître, elle est dénoncée comme une pause.
Ainsi,par exemple,lorsque la narratrice relève son père,elle se dit :« Je peux faire cela »
ou « Je suis donc bien grande que je fais cela », propos rapportés au discours direct pour
mettre à distance, dénoncer l’interprétation des gestes.
u « Je n’ai jamais rien vu d’aussi répugnant, mais les femmes sont encore plus horribles
que les hommes », dit le narrateur. Ce jugement est un paradoxe car il prend le
30
Un cœur simple
contre-pied de la morale commune qui veut que l’on respecte et honore les anciens,
les personnes âgées, qui sont ici montrées sous leur plus mauvais jour, notamment
dans le premier paragraphe. Il s’agit d’un exemple d’humour noir.
i L’aspect physique délabré se retrouve. Mais la particularité des Struldbruggs est
que cet aspect est figé pour l’éternité : « Leurs infirmités n’évoluent plus. » Là où les
autres meurent,les Struldbruggs,eux,perdent la tête,« ils ne trouvent plus leurs mots »,
n’ont plus de mémoire… Swift les décrit ainsi pour prouver qu’il ne faut pas avoir
peur de la mort.
o La mort est « le but », « le seul espoir », « un élixir », « la clarté vibrante », « l’auberge
fameuse », « un Ange », « la gloire des Dieux », « le grenier mystique », « la bourse du pauvre
et sa patrie antique », « le portique ouvert sur les Cieux inconnus ». Le poème est une
longue métaphore filée où la mort est présentée comme un aboutissement et une
récompense.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Chaque texte, à sa façon, participe en effet à l’idée que la mort est un événement
et un moment essentiels et d’une grande valeur symbolique.Même Annie Ernaux,
qui s’efforce d’en proposer une présentation aussi neutre que possible, est obligée,
comme on l’a vu, de se confronter avec les idées reçues que véhicule la mort (les
phrases au discours direct moquent le sentiment de fierté que, malgré elle, elle se
laisse aller à éprouver relativement à sa capacité à faire face à la situation).
Swift aborde, lui, la question par le paradoxe, en répondant de manière faussement
naïve à la question de savoir ce qu’il adviendrait si on ne mourait jamais,démontrant
que l’homme raisonnable n’a pas de raison de craindre la mort. La mort est ainsi le
symbole du caractère fini de la vie humaine.
Pour Flaubert,on l’a vu,la mort devient le moment de conclusion d’une vie,ce qui
lui donne son sens définitif, dans une sorte d’apothéose savamment mise en scène
avec le procédé de la simultanéité.
Dans le texte de Hugo, la mort est le moment de la dernière parole, qui prend une
importance essentielle car elle est mise en valeur par les circonstances dans lesquelles
elle est prononcée. C’est aussi l’occasion pour lui d’un discours très moralisateur
appuyé sur des antithèses et des images frappantes et au symbolisme puissant (l’ombre,
la lumière, la Terre, le ciel, la méchanceté, la bonté, etc.).
Dans le poème de Baudelaire, la mort est présentée paradoxalement comme un
bonheur et une libération, un espoir, par opposition à une vie terrible.
31
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
D’une manière générale, les écrivains s’intéressent donc à la mort comme à un
phénomène qui donne sens à la vie : perçue comme une conclusion, un but ou
un couronnement,elle n’est présentée comme une fatalité imprévue et contre laquelle
on ne peut rien que par Annie Ernaux.
Commentaire
Introduction
• Ce poème est l’avant-dernier poème du recueil Les Fleurs du mal, tel qu’il est
paru en 1857.Il appartient à la section « La Mort »,la dernière du recueil,dans laquelle
le poète présente la mort comme le moment de reconstruction où l’artiste disparaît
en tant qu’individu, pour devenir un artiste, c’est-à-dire une collection d’œuvres
et d’idées qui subsistent dans la mémoire des hommes.Cette vision,impersonnelle,
de l’artiste est très moderne et novatrice pour l’époque.
• Ce poème est un sonnet régulier, dont le rythme est apaisé et majestueux (on
remarque que le poème ne comporte qu’une phrase,qui développe,comme à l’infini,
une série de métaphores et d’images réconfortantes sur la mort).
• On pourra commenter ce texte en trois parties.
1. Les aspects narratifs
• On constate que le poème est comme un court récit : il s’agit en effet d’arriver
« jusqu’au soir » (v. 1).
• Ensuite, le second quatrain décrit cette progression dans son premier vers, en la
dramatisant (« À travers la tempête,et la neige,et le givre »),avec la surcoordination,jusqu’à
l’arrivée à l’« auberge ».
• Enfin, les deux tercets sont marqués par une série d’images décrivant la mort en
évoquant différents lieux (lit,grenier,patrie,portique,cieux) que celle-ci permet de
parcourir. Cet itinéraire funèbre ouvre sur les aspects symboliques.
2. Les aspects symboliques
• Le thème du voyage, symbole de la vie dans l’Antiquité, du cours de la vie, est ici
présent et la mort accompagne et guide ce voyage. « Clarté vibrante » à l’« horizon
noir », elle est présentée comme un phare vers lequel se dirige le marin.
• On peut remarquer la subtilité du système des rimes (« espoir », « soir », « noir »,
« asseoir ») qui tisse un réseau entre l’idée de repos, celle de fin, et l’espoir.
32
Un cœur simple
• Baudelaire mêle dans le poème des références à la mythologie antique (« patrie
antique »), une métaphore de la navigation, et des références religieuses (« le livre »,
l’ange)…
3. Le discours sur la mort
On développera le fait que le poème se dirige tout entier vers la chute du dernier
vers « Cieux inconnus », la notion d’inconnu s’opposant à la thématique du poème,
dans lequel la mort est présentée comme rassurante.Au total,la mort est une libération,
mais elle est aussi un ailleurs,une découverte,un horizon de l’art,pourrait-on presque
dire.
Conclusion
On a ici un texte «baudelairien» dans lequel la pureté de la forme poétique,presque
classique et rassurante, entraîne dans une méditation sur la mort peu orthodoxe et
dont le caractère paradoxal surprend.
Dissertation
Introduction
• Ce sujet invite à s’interroger sur la représentation de la mort par la littérature et sur
sa signification.
• En introduction, on pourra situer la question, en indiquant que la mort peut être
présente dans les œuvres littéraires, soit par la mort d’un personnage (comme dans
Trois Contes),soit en étant évoquée comme une possibilité ou une idée (comme c’est
le cas dans l’extrait de Swift ou dans le poème de Baudelaire).
• On pourra ensuite s’interroger sur le type de registres (pathétique,tragique,comique)
de ce genre de scène et enfin se demander comment la manière dont elle est traitée
lui fait donner un sens ou non à la vie d’un personnage ou à la vie en général.
1. Les représentations de la mort
• Récits de mort : on opposera des récits très construits pour que la scène d’agonie
ait un sens et fasse du mourant un héros ou un exemple (Hugo,Flaubert) aux récits
qui,au contraire,cherchent à donner une simple description,sans que l’ultime étape
donne un sens à cette fin (Ernaux).
33
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
• On insistera sur la présence d’un discours sur la mort, dans les textes de Swift et
Baudelaire : dans ces textes, sans parler de la mort d’un personnage, on parle de la
mort en général et du sens qu’elle est susceptible de donner à la vie.
2. Les registres
• D’une manière générale, la mort est un sujet qui relève du registre tragique ou
du registre pathétique (Hugo, Flaubert, Ernaux), elle est le plus souvent l’occasion
d’un discours sérieux, grave, proche de la réflexion philosophique (Baudelaire,
Ernaux).
• Lorsque la mort intervient dans un discours au registre comique (Swift),on a affaire
généralement à de l’humour noir.
• Dans tous les cas, la présence du thème de la mort induit des questions et des
interrogations sur le sens de la vie, sa valeur.
3. La mort donne-t-elle un sens à la vie ?
• C’est l’hypothèse choisie par la majorité des textes et les contes du recueil,qui font
de la description de ce moment ultime l’occasion d’un résumé de la vie (Hugo) ou
de son apothéose (Flaubert).Une telle présentation est présente dans la littérature et
l’art : on pourra citer les vanités, des tableaux comme La Mort de Sardanapale… Le
plus souvent,on en parle du point de vue de la vie :on pourra citer des textes comme
Le Colonel Chabert (Balzac) ou La Mort d’Olivier Bécaille (Zola) qui racontent l’histoire
de personnages ressuscités (on les a crus morts alors qu’ils avaient survécu).
• Les textes qui, au contraire, présentent la mort comme un accident survenant par
hasard à un moment imprévu,comme un événement non désiré et jamais accepté,
sont plus rares (Ernaux,Swift) et témoignent d’une conception plus contemporaine.
• Baudelaire donne une approche moderne : la mort est visée comme une forme
de vie supérieure. En parler permet de critiquer la condition humaine, ses
imperfections,plus que de s’interroger réellement sur ce qu’est la mort,qui est posée
comme un « ailleurs », un « inconnu », autrement dit une partie de la vie.
Conclusion
On rappellera que la mort fait l’objet de différents artifices de présentation et qu’au
total on en parle le plus souvent du point de vue de la vie : la mort, comme étape
ultime, comme fin, est un élément qui permet d’interroger la vie, le monde, et
d’en questionner le sens avec une grande intensité dramatique.
34
Un cœur simple
Écriture d’invention
• Dans un discours, une personne s’adresse à un groupe : on emploiera donc la
1re personne, le présent et le passé composé.
• Puisque c’est un préfet qui prononce cette allocution, on pourra employer un
langage très soutenu, construit.
• On pourra, par exemple, rapporter les faits et gestes de Félicité sous la forme de
récits, écrits au passé simple et à l’imparfait.
35
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
La Légende de saint Julien l’Hospitalier (pp. 103 à 106)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 107 À 110)
a L’histoire est racontée par un narrateur extérieur invisible, le narrateur typique
des contes. Ce narrateur parle en son nom à la fin du conte en disant : « Et voilà
l’histoire de Julien, telle à peu près qu’on la trouve, sur un vitrail d’église, dans mon pays. »
z L’extrait est presque exclusivement à l’imparfait jusqu’à la ligne 52 où l’on trouve
un passé simple :« il lui vint un fils.» Ensuite,jusqu’à la fin de l’extrait,les passés simples
dominent.Cette opposition traduit l’importance de la naissance de Julien,événement
déclencheur dans un univers immobile de conte que met en place le début du récit.
e Indications temporelles :« depuis si longtemps » (l.19),« des armes de tous les temps »
(l.30),«Toujours » (l.38),« Après beaucoup d’aventures » (l.44),« chaque matin » (l.49).
Ces indications temporelles situent l’action dans un lointain passé, une époque
indéfinie et immuable.Il s’agit d’une temporalité typique du conte.Lors de la naissance
de Julien,on trouve « trois jours et quatre nuits » (l.53-54),« Un soir » (l.61),indications
plus ponctuelles mais qui situent l’action dans la temporalité indéfinie du conte.
r Le château est situé « au milieu des bois, sur la pente d’une colline » (l. 1-2) : c’est
une image car les châteaux étaient toujours construits au sommet des collines,pour
mieux en assurer la défense.
t Le père et la mère sont les personnages de premier plan :ils sont parfaits dans leur
rôle de seigneurs, on dirait des enluminures.
Le père, « bon seigneur » (l. 36), vêtu d’une « pelisse de renard », rend la justice, apaise
les querelles, cause avec les manants et donne des conseils.
La mère n’est pas en reste (l. 46-52) : son vêtement est caractéristique du Moyen
Âge (hennin, queue de sa robe) ; elle se signale par ses qualités domestiques et sa
piété.
y Il s’agit des figurants (vassaux, manants, domestiques, servantes, la foule du
banquet…) : ils servent de cadre aux bons seigneurs, dont ils mettent en lumière la
bonté, la gentillesse et aussi la fermeté (la châtelaine « distribuait ses ordres »).
u L’ermite est un personnage un peu inquiétant dans cet univers parfait :sa vieillesse
est visible,il est pauvrement vêtu (« en froc de bure ») et a l’insigne du nomade (« une
besace »). Il disparaît comme un songe. Ce personnage est porteur de l’élément
merveilleux qui caractérise l’esthétique du conte.
36
La Légende de saint Julien l’Hospitalier
i Champ lexical du Moyen Âge :« château », « tours », « écailles de plomb », « douve »,
« dragons », « basilic », « héliotrope », « pieux », « herse », « créneaux », « courtines »,
« échauguette », « étendards », « pelisse », « vassaux », « manants », « lignage », « hennin »,
« écuelles ». Ce vocabulaire donne une couleur moyenâgeuse à ce début de conte
dont le style correspond, sinon, plutôt au mode narratif du XIXe siècle.
o L’extérieur comme l’intérieur sont marqués par une perfection esthétique et
d’organisation.Les lignes 25 à 28 témoignent particulièrement de cette impression
d’abondance par les verbes (« les armoires regorgeaient », « les tonnes de vin s’empilaient »,
« craquaient sous le poids »).Plus loin,on trouve l’adjectif « somptueux ».La construction
nous fait aller de pièce en pièce et permet de montrer que chaque domaine est parfait
(le bâti, le jardin, les réserves, les armes…). Il y a dans cette abondance et dans cette
perfection une image idéale d’un Moyen Âge rêvé.
q Ligne 19 : « On vivait en paix depuis si longtemps […]. » À cette indication s’ajoute
la protection conférée par les enceintes :« une forte haie d’épines » entoure la demeure
en dernier lieu ;« l’archer »,qui « s’endormait comme un moine » à son poste de guet,qui
indique qu’il n’y a jamais aucun danger.On peut ajouter à ces indications les multiples
notations montrant le caractère régulier,parfois un peu répétitif de la vie des seigneurs.
s Ces comparaisons traduisent à nouveau la fonction symbolique de ce lieu en le
comparant à des lieux sacrés, censés représenter la spiritualité.
d Ce réseau complexe d’enceintes (l.11-18) rappelle l’organisation de l’espace d’un
cloître :c’est un lieu symbolique,un paradis fermé.On retrouve aussi les différentes
fonctions sociales (noblesse, jeux, services) disposées concentriquement autour du
château.
f Ces armes renvoient à la vie aventureuse vécue par le seigneur avant de se fixer
au château (l.44 :«Après beaucoup d’aventures ») et représentent en réduction le monde
et l’Histoire, ainsi présents dans l’enceinte du château.
g Ils entretiennent des relations de supériorité, mais marquées par une grande
douceur et par une grande déférence de la part des « vassaux » et des « manants »
– ce qui manifeste la légitimité de l’autorité des seigneurs et en fait de « bons »
seigneurs. Selon la vision nobiliaire du monde,le seigneur est en effet le protecteur
de ses vassaux et doit donc les soutenir et les protéger. C’est pour lui un devoir,
plus qu’un droit.
h Tous les éléments de ce début de récit, la famille de Julien, laissent présager une
vie de seigneur pour Julien.Quelques indices indiquent,dans cet univers de tranquilité
37
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
qu’est le château, les aventures qu’il aura à vivre: la salle d’armes (l. 29 à 32), le fait
que le père a aussi vécu beaucoup d’aventures (l.44) et bien sûr la première prophétie.
j La naissance de Julien survient « à force de prier Dieu », elle est donc une sorte de
cadeau divin.Elle est marquée par de très grandes réjouissances et par la formulation
d’une prophétie.La naissance extraordinaire est souvent caractéristique des personnages
qui sortent de l’ordinaire.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 111 À 120)
Examen des textes
a Flaubert ajoute tout ce qui concerne l’enfance et l’éducation de Julien. Ces
éléments rendent le personnage très proche et le dotent d’une épaisseur psychologique
bien plus grande que le personnage de La Légende dorée de Voragine.
z Le traitement des personnages dans Saint Julien est,comme on l’a vu,beaucoup plus
développé par Flaubert qu’il ne l’est dans La Légende dorée :à partir de la trame narrative
de la légende,Flaubert forge ainsi une nouvelle (ou conte au sens du XIXe siècle),c’està-dire un récit complet dans lequel le principal personnage et les éléments de sa vie
sont présentés en détail, par opposition au texte de Voragine, qui ne s’attache qu’à la
présentation des épisodes fabuleux (prédiction du cerf,mort des parents).
e Dans Après, un narrateur externe met en scène deux personnages (« la comtesse »
et « l’abbé Mauduit »). Le premier personnage demande à l’autre de lui expliquer
pourquoi il a décidé de devenir curé. À partir de là, le narrateur fait une longue
description du curé puis lui cède la parole pour lui faire raconter sa propre histoire.
Ce début de conte met en place :
– une situation qui rend la narration nécessaire,car demandée par l’un des personnages,
destinataire du récit ;
– un relais de narration, c’est-à-dire un personnage qui raconte l’histoire à la place
du narrateur.
Ce procédé de narration est très fréquent dans le récit court au XIXe siècle et contribue
à l’impression réaliste.
r Les marques d’énonciation du narrateur sont :
– les phrases interrogatives, que la question s’adresse aux lecteurs : « Qui rend donc
la blonde Edwige si triste ? » ou au personnage lui-même : « Edwige, blonde Edwige, ne
croyez-vous plus à Jésus-Christ […] ? » ;
38
La Légende de saint Julien l’Hospitalier
– les phrases exclamatives,qui manifestent le sentiment,l’avis du narrateur :« Hélas !
hélas ! »
t Edwige (« la blonde Edwige ») est comparée à une statue d’albâtre, sa larme à la
goutte d’eau qui « use le granit », ses mains à celles de personnages de légendes
scandinaves, les Elfes et les Willis. Sa douleur est ainsi décrite : « son cœur percé des
sept glaives de la douleur ».
L’étranger est comparé à un ange puis à un tigre.
On peut donc noter la présence d’éléments naturels (l’eau, la pierre), d’animaux et
de personnages légendaires qui servent à décrire les sentiments et les qualités morales
des personnages. Ces images et ces comparaisons renvoient à la manière dont le
XIXe siècle se représentait le Moyen Âge.
y Dans les deux cas,une jeune femme noble,une châtelaine du Moyen Âge,désire
ardemment un enfant qui tarde à venir. Lorsque cette naissance s’annonce, elle est
dans les deux cas marquée par un signe mystérieux et infamant (la prophétie dans
Saint Julien, le chanteur de Bohême dans Le Chevalier double).Tout se passe comme
si les deux personnages féminins avaient conclu un pacte avec le Diable pour obtenir
une grossesse.
La forme narrative diffère car, dans Saint Julien, le narrateur est absolument absent,
il ne se manifeste pas,tandis qu’au contraire,dans Le Chevalier double,il est omniprésent,
sous la forme des questions qu’il pose sans cesse.
u Selon Maupassant, le conteur doit être un « psychologue profond », c’est-à-dire être
capable d’indiquer des « figures complètes en quelques lignes » ;il doit aussi être un « évocateur
d’âme » – ce qui signifie qu’il doit être capable de nous faire partager les pensées et
les sentiments de ses personnages – ; enfin, il doit pouvoir faire revivre le milieu
qu’il évoque. S’ajoute à ces capacités de l’écrivain réaliste le fait d’être un « artiste
raffiné », c’est-à-dire de faire en sorte qu’« on ne remarque jamais ses malices d’écrivain ».
Un tel point de vue est assez classique au XIXe siècle où les écrivains se considèrent
comme des connaisseurs de l’âme et de la psychologie humaines et ont souvent à
cœur de faire connaître le monde et la société qui les entourent à leurs lecteurs.Cette
conception réaliste de l’écrivain est en effet dominante à l’époque.
Ces qualités sont présentes dans les textes du corpus.Flaubert et Gautier mettent en
scène un Moyen Âge de convention avec une science raffinée de la description et
de la narration.En quelques lignes et avec quelques images,ils construisent chacun
un personnage de châtelaine du Moyen Âge, inquiète de ne pas voir arriver une
naissance. Quant à Maupassant, il n’est pas en reste : dans le début d’Après, il brosse
en quelques lignes le portrait du curé qui va raconter son histoire, tout en créant
39
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
autour de lui un milieu de noblesse campagnarde,digne et un peu désargentée,grâce
au personnage de la Comtesse et de ses enfants.
Ainsi, chaque texte propose, d’une manière rapide, la mise en place d’un milieu et
le portrait complet d’un personnage.
i Seul le texte de Maupassant présente une situation narrative similaire à celle
présentée dans la gravure,c’est-à-dire un personnage racontant une histoire à d’autres.
Dans Après,le curé occupe la place de la conteuse,la Comtesse celle des petits enfants,
c’est-à-dire l’auditoire.Cette gravure est significative car elle résume bien la manière
dont on met en scène le récit dans les nouvelles au XIXe siècle.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Comme en témoignent les différents extraits, au XIXe siècle, la nouvelle peut faire
l’objet de différents modes narratifs :
– récit à la 3e personne par un narrateur absent et externe (Flaubert) ;
– récit à la 3e personne par un narrateur présent et qui intervient (Gautier) ;
– relais de narration,avec mise en scène d’un narrateur à la 1re personne (Maupassant).
La nouvelle peut être réaliste (Maupassant) ou bien à coloration fantastique (Flaubert,
Gautier).
Enfin, les thèmes abordés sont très nombreux : la nouvelle peut mettre en scène le
Moyen Âge (Gautier, Flaubert) comme l’époque contemporaine (Maupassant),
s’intéresser à une légende, celle de la vie d’un saint (Flaubert), à des personnages
imaginaires issus d’une tradition comme celle de la littérature scandinave (Gautier)
ou de l’observation de l’époque contemporaine (Maupassant).
Au total, la nouvelle, ou récit court, est un genre très souple qui permet d’aborder
une infinité de questions, de sujets et de thèmes : en cela, elle est très proche de la
chronique journalistique – ce qui est sans doute une des raisons de son succès au
XIXe siècle, période d’essor de la presse.
Commentaire
Introduction
• Ce texte est le début d’une nouvelle de Maupassant qui met en scène deux
personnages : la Comtesse et l’abbé Mauduit. Durant tout le texte, le premier
personnage insiste pour que le second lui délivre son histoire,laquelle permettra de
répondre à la question « pourquoi êtes-vous devenu prêtre ? »
40
La Légende de saint Julien l’Hospitalier
• On commentera d’abord la mise en place du cadre narratif,puis les portraits croisés
de la Comtesse et du curé ; enfin, on parlera du suspense narratif.
1. Un cadre narratif intime, familial et villageois
A. Une scène familiale, dont l’intimité permet l’épanchement et la confidence
B. Une scène villageoise, campagnarde, qui renvoie au réalisme
C’est une sorte de peinture de genre.
C. Une circulation de la parole
• Elle légitime le récit (coucher des enfants dont la présence légitime la curiosité de
la Comtesse).
• Écoute attentive qui légitime le récit du curé qui va commencer après ce début.
2. Portraits croisés
A. Deux personnages typiques
• La veuve noble.
• Le curé de campagne.
B. Un portrait polyphonique
Le curé est présenté par la Comtesse, les paysans du village et lui-même.
3. Le suspense
Au fur et à mesure du texte, le curé devient une énigme : il aurait pu devenir père
de famille, vivre la vie de tout le monde ; le récit qu’il va faire répondra à cette
question.
Conclusion
Ce début est une scène de campagne savamment construite et menée pour provoquer
chez le lecteur l’attente du récit,éveiller son intérêt,tout en légitimant la narration.
Le cadre narratif met en place un important effet de réel, rendant la narration à la
fois réelle et nécessaire.
41
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
Dissertation
Introduction
• Jean-Pierre Aubrit insiste sur trois points essentiels : le quotidien et l’intimité, la
subjectivité,l’expérience concrète,comme éléments essentiels du domaine du récit
bref. D’après lui, la présence de ces éléments caractérise l’univers et l’esthétique du
récit bref, ajoutant que ce dernier excelle à faire entendre la voix des humbles.
• Pour répondre à la question posée, on commencera par confronter les extraits du
corpus et les récits proposés dans le recueil à la définition de Jean-Pierre Aubrit,puis
on confrontera cette définition avec les récits longs,auxquels Jean-Pierre Aubrit peut
sembler les opposer.Enfin,on tentera d’élargir cette définition,en ajoutant la notion
de précipité ou d’instantané.
1. Une définition restrictive
A. De nombreux récits brefs correspondent à la définition d’Aubrit
Un cœur simple ou Après, ou même Le Chevalier double, mettent bien en scène le
quotidien et l’intimité de personnages humbles,inconnus et modestes,en présentant
en effet les événements à travers le prisme de la subjectivité des personnages.
B. Le récit bref peut dépasser le strict cadre de l’intimité et du quotidien
• Pour autant, en mettant en scène des personnages historiques (Hérodias) ou des
événements historiques (Jacques Damour),le récit bref peut dépasser le strict cadre de
l’intimité, du quotidien.
• En somme, le récit bref ne se limite pas seulement à l’intime, au quotidien, il
peut aussi aborder des sujets plus épiques, plus attendus dans le roman.
2. Le roman : distinction avec le récit bref
A. Par sa dimension et ses approfondissements…
Chacun des sujets des Trois Contes a été traité par Flaubert sous la forme d’un roman.
Le roman se distingue par sa dimension et par un approfondissement du caractère
des personnages,la présentation d’un milieu,de nombreux personnages secondaires
et la construction d’une intrigue plus complexe et dont les ramifications sont plus
nombreuses.
42
La Légende de saint Julien l’Hospitalier
B. … mais pas par ses sujets
• Pour autant, le roman ne se prive pas ni de décrire les humbles (Les Misérables, les
romans de Zola), ni de parler de l’intimité et du quotidien.
• La différence entre récits long et court tient donc moins au sujet qu’à la forme.
3. Des instantanés, des précipités
A. La pratique du journalisme
Les nouvellistes,comme Maupassant,Gautier,Barbey d’Aurevilly (mais pas Flaubert),
ont presque tous en commun d’avoir pratiqué le journalisme.La nouvelle est conçue
comme un instantané, un précipité, une « tranche de vie ».
B. L’intensité dramatique
Maupassant, dans son article sur Tourgueniev, insiste sur « l’intensité dramatique ». Il
en donne un exemple dans Après,en brossant un portrait complet en quelques lignes.
Un cœur simple réalise le même principe :avec quelques épisodes (le premier amour
déçu,l’attaque du taureau…),Flaubert donne une épaisseur au personnage de Félicité.
Dans un roman,ces passages donneraient lieu à des explications,des développements,
des commentaires. Ici, ils se suffisent à eux-mêmes.
Conclusion
L’auteur a raison de dire que le récit court convient à la description de la vie
quotidienne.Pour autant,ce qui le distingue du roman n’est pas seulement le choix
du sujet, mais aussi cette intensité dramatique qui naît du fait qu’une nouvelle est
souvent un précipité, un instantané comme saisi sur le vif.
Écriture d’invention
Sans proposer de sujet type, on attirera l’attention des élèves sur :
– la mise en scène de la situation de narration (le lieu, le moment, les circonstances
qui introduisent au récit) ;
– le dialogue entre destinataire et narrateur ;
– le rôle du narrateur qui met en scène et décrit les personnages en tentant,à travers
ces éléments, de provoquer l’intérêt du lecteur.
43
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
La Légende de saint Julien l’Hospitalier (pp. 129 à 133)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 134 À 136)
a La forêt est présentée comme un lieu de triomphe : « une avenue » (l. 287) dans
laquelle les grands arbres forment un « arc de triomphe » (l.288).Elle prend ensuite la
forme d’un théâtre,« un cirque » (l.303).Elle est comparée avec une ville et un théâtre,
elle se transforme en une scène, comme pour dramatiser l’instant de la chasse et de
la prédiction du cerf.
z Les énumérations d’animaux vont de la ligne 287 à 294. Elles donnent une
dimension hyperbolique à cette scène car leur arrivée semble inépuisable ;les animaux
sont comme l’hydre de la mythologie :chaque fois que Julien en tue un,« d’autres »
réapparaissent,« à chaque pas plus nombreu[x] » (l.294).Cette scène sert d’introduction
à la description de la harde de cerfs qui en est le couronnement (l. 302-304).
e Le grand cerf est présenté à deux reprises :d’abord comme un animal « monstrueux
de taille,[portant] seize andouillers avec une barbe blanche » (l.328-329),c’est-à-dire tous
les symboles d’un âge vénérable,associé à la puissance de sa taille immense ;ensuite
comme un « prodigieux animal » (l. 341) ; puis il est comparé à un patriarche et à un
justicier (l. 342). Cela valorise les capacités de chasseur de Julien, car le cerf est un
adversaire exceptionnel par sa force.D’ailleurs,il semble d’abord résister aux flèches
de Julien (l. 338 : « Le grand cerf n’eut pas l’air de la sentir ») avant de s’effondrer.
r Ces expressions sont nombreuses : « Julien ne se fatiguait pas de tuer » (l. 296),
« tout s’accomplissant avec la facilité que l’on éprouve dans les rêves » (l.300-301),« L’espoir
d’un pareil carnage […] le suffoqua de plaisir » (l.305-306),et teintent cette chasse d’une
nuance morbide et suspecte que la mise à mort des cerfs confirmera.
t Julien abat d’abord l’enfant, puis la mère, enfin le grand cerf. Symboliquement,
et dans une lecture anthropomorphique, il commence donc par les plus faibles et
les innocents (les enfants et les femmes), qu’un guerrier noble et valeureux devrait
normalement avoir à cœur de protéger. Cette tendance est déjà présente au début
de l’extrait, lorsque les animaux l’entourent « avec un regard plein de douceur et de
supplication » (l. 295-296) auquel il répond par le meurtre.
y Julien « ne pensait à rien,n’avait souvenir de quoi que ce fût » (l.298),« tout s’accomplissant
avec la facilité que l’on éprouve dans les rêves » (l. 300-301) ; ensuite, il « contemplait d’un
œil béant » (l.323),« ne comprenant pas » (l.324) ;il est « exaspéré » (l.334),épouvanté
(l.340),« stupéfait,puis accablé » (l.347) ;enfin,il s’enfuit,« poussé par un effroi » (l.352).
44
La Légende de saint Julien l’Hospitalier
Tous les sentiments éprouvés et qui gouvernent les actions de Julien sont marqués
par le sceau de la passivité : à aucun moment, en effet, il n’agit sous la gouverne de
la raison.Ainsi, tout au long de cette chasse, ses actions sont provoquées par les
événements,le surgissement des animaux,auxquels il répond,de manière quasiment
réflexe, par le meurtre. Cela se termine avec la prophétie du cerf, qui semble casser
le ressort de cette mécanique (l.347-349 :« un dégoût,une tristesse immense l’envahit »),
qui s’amollit et devient impuissante.
u Cette double comparaison n’est ni neutre ni gratuite : elle est annoncée par la
description qui précède (l. 328-331), qui pare l’animal des attributs d’un vieillard
vénérable – ces qualités du cerf préparent l’accession à la sainteté de Julien,qui suppose
de passer d’abord par une épreuve qui lui rappellera l’humilité de sa condition.
i Les animaux se présentent à Julien comme en une sorte de ballet, dans un
mouvement organisé et qui semble, de ce fait, celui d’une foule humaine. Ils sont
humanisés car, par leur regard, ils semblent parler à Julien : « Elles tournaient autour
de lui, tremblantes, avec un regard plein de douceur et de supplication » (l. 294-296) ; cette
humanisation des animaux se poursuit évidemment avec la description des cerfs,
qui sont comme une famille. La biche brame d’une « voix […] humaine » (l. 334).
Plus loin,le cerf survivant parle,comme un être humain,et ses actions lui sont dictées
par un sentiment de vengeance, autrement dit un sentiment humain. Cette
humanisation des animaux nous projette dans un univers irréel : celui du conte
merveilleux ou même fantastique.
o Cette formule témoigne que la perception du personnage commence à être
déréglée, élément caractéristique du récit fantastique, car il permet d’introduire un
événement fantastique,dont le lecteur peut se demander s’il est réel ou au contraire
rêvé par le personnage ;cette hésitation entre le réel et l’illusion est l’un des éléments
du genre fantastique.
q Julien « se trouva presque immédiatement à la porte du château », comme si le temps
et l’espace s’étaient abolis – autre caractéristique de la littérature fantastique. Ce
passage magique d’un lieu à l’autre contribue aussi à cette hésitation sur la réalité de
la chasse, dont on peut finalement se demander si Julien l’a vécue ou rêvée.
s La peur se manifeste de manière physique :d’abord la « fatigue »,puis « un effroi » ;
puis julien prend la fuite – ce qui ne lui était jamais arrivé.
d Julien est accablé et pleure,il est triste.Alors qu’il était fier et orgueilleux,il devient
fragile et humble : tout se passe comme si la prédiction du cerf l’avait amené à la
conscience de la fragilité de sa condition. Un peu plus bas, il a peur que ses actes
45
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
soient inspirés par le « Diable » (l. 359). Cet épisode a donc un caractère édifiant, il
fonctionne comme une leçon que Julien reçoit après avoir commis une faute,
dont il va se repentir et pour laquelle il recevra l’absolution. Mais cet épisode n’est
que la première étape du chemin vers la sainteté,dont l’étape la plus terrible,annoncée
par le cerf, est le meurtre des parents.
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 137 À 143)
Examen des textes
a Champ lexical des qualités morales : « noble », « pitié », « franche et débonnaire »,
« remerciait », « fidèlement ». Ce champ lexical est essentiel car, dans la logique de la
chevalerie, le chevalier combat pour le bien, contre le mal.Ainsi au début, lorsqu’il
voit le lion et le serpent combattre,Yvain se demande lequel des deux aider. Mais
son choix est vite arrêté car « on ne doit faire de mal qu’aux êtres venimeux et pleins de
félonie ».
z Le serpent est monstrueux : il « vomi[t] des flammes », « brûl[e] toute l’échine » du
lion,sa « gueule [est] plus large qu’une oule ».Ensuite,Yvain frappe et refrappe,et coupe
le serpent en « mille morceaux ». Ces hyperboles soulignent le courage du chevalier,
qui ne craint pas d’affronter un adversaire terrible, et sa force, qui lui permet de le
réduire en miettes.
e Dans les trois premiers textes,un narrateur externe rapporte les faits et gestes d’un
personnage, sans s’impliquer dans le récit, sauf sous la forme de jugements moraux
servant à justifier les actions des personnages (Yvain : « on ne doit faire de mal qu’aux
êtres venimeux ») ou à expliquer leurs actions (Le Chevalier inexistant :« on risquait fort,
en heurtant […] »). Hors ces interventions, il s’agit de récits à la 3e personne, au
passé simple et à l’imparfait.
Inversement,le texte de Harrison est écrit à la 1re personne (« Mais j’avais assez envie
de rester là », « Malgré ma surprise et ma confusion »). Il s’agit d’un témoignage ; ici, le
narrateur a assisté et participé à la scène qu’il rapporte.On peut noter toutefois qu’il
emploie le passé simple pour la raconter, donnant ainsi une coloration littéraire,
narrative à son récit.
r Calvino s’amuse à faire effectuer à son narrateur des mouvements équivalents à
ceux d’une caméra : il va du plan d’ensemble (« Les deux nuages se rejoignirent ») au
gros plan de détail (« Le moindre déplacement latéral était difficile,à cause de ces sacrées lances,
justement », « le sol étant déjà tout encombré de carcasses et de cadavres »). Ces va-et-vient
46
La Légende de saint Julien l’Hospitalier
permettent d’insister sur des détails secondaires – ce qui donne une tonalité comique
à l’ensemble de la scène.
t Au-delà de la mise en scène analysée à la question précédente, Calvino fait
appel au comique de situation : par exemple, en décrivant la bataille comme un
« embouteillage », ou en décrivant en détail la technique qui consiste à désarçonner
l’adversaire en glissant sa lance entre sa selle et ses fesses, ou encore la description
de l’échelle des insultes.
Il fait aussi appel au comique de mots, en employant des termes volontairement
déplacés dans le contexte (« hop », le « fracas des quintes de toux »…), et bien sûr, les
injures finales,dans lesquelles,en plus,toutes les langues semblent se mélanger,pour
le bonheur du lecteur.
Il utilise aussi,tout au long du texte,l’anachronisme (l’emploi du mot « embouteillage » ;
en décrivant ses chevaliers comme des guerriers contemporains, préoccupés par
de petits détails techniques).
Le procédé du grossissement lui donne enfin une tonalité burlesque qui fait le
principal de l’aspect comique de ce texte et lui confère toute sa saveur parodique.
Avec subtilité,Calvino détourne l’épopée des chevaliers en une collection de petits
faits cocasses (la toux, l’équilibre, la crainte de tomber, les injures incomprises et
intraduisibles…) qui la transforme en une comédie burlesque et humaine.
y Chez Calvino, l’anachronisme est essentiellement comique : il ramène l’épopée
à une dimension humaine, compréhensible, comme une sorte de jeu entre
contemporains. Chez Harrison, il s’agit au contraire de faire revivre une tradition
ancestrale, la chasse à courre, au sein du monde moderne. L’anachronisme a une
fonction critique : il s’agit de dénoncer la platitude du monde moderne.
u Le monde moderne prend la forme d’une « route nationale »,d’un « affreux lotissement
américanisé », puis du nom du chien « Khrouchtchev », nom donné sans doute par
dérision car il s’agit du nom du secrétaire général du Parti communiste d’Union
soviétique qui a engagé la détente en 1956… D’une manière générale, le monde
moderne est donc présenté comme envahissant et négatif (affreux) ; on tente de le
tenir à distance par la dérision.
Travaux d’écriture
Question préliminaire
L’extrait d’Yvain n’est pas une représentation,mais un texte du Moyen Âge.Il propose
une image assez précise de ce que pouvait être un chevalier, de ses valeurs et de ce
47
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
qu’il devait savoir faire. On peut constater que la scène de bataille présentée est
éminemment symbolique : le combat du lion et du serpent est celui du bien et du
mal ;le chevalier choisit bien sûr le bien et triomphe au prix d’un rude combat où
il fait preuve de sa valeur et de sa vertu.Cette figure idéale subit des variations diverses
au cours de l’histoire, dont les trois autres textes sont des exemples.
Chez Flaubert,comme chez Harrison,le Moyen Âge est conçu comme un lointain
âge d’or,non encore compromis par la complexité moderne,ni pollué,au sens propre
du terme.
Pour Flaubert, c’est l’occasion de mettre en scène un univers de féerie, foisonnant,
celui du conte merveilleux.Julien semble exister en référence aux valeurs exprimées
dans Yvain : en effet, c’est parce qu’il tue sans distinction au cours de sa chasse, sans
distinguer entre le bien et le mal, qu’il est finalement châtié.
Pour Harrison, la tradition de la chasse à courre est non seulement une forme de
relation avec la nature (rendue difficile dans le monde moderne car cette relation est
constamment parasitée par la présence de villes, de routes…), mais aussi l’occasion
de mettre en pratique des valeurs chevaleresques de bravoure et de courage,qui sont
illustrées par la cérémonie de la mise à mort du cerf. L’animal est abattu selon des
formes qui en font quasiment un égal,qui rendent hommage à son courage,ce rituel
provoquant une émotion dans l’assistance,qui se manifeste par une minute de silence
puis des sonneries de cor.
Calvino,au contraire,parodie le passé :il refuse l’image convenue qu’en donne Yvain
et propose de voir dans les chevaliers des hommes comme nous,c’est-à-dire parlant
comme des contemporains. Le Moyen Âge n’est pas conçu comme un âge d’or,
mais comme une époque,presque un magasin des accessoires,dans lequel on puise
des décors et des aventures, pittoresques mais pas fondamentalement différentes de
celles que nous pourrions rencontrer aujourd’hui.
Commentaire
Introduction
Yvain ou le Chevalier au lion de Chrétien de Troyes est un roman courtois du XIIe siècle,
qui raconte les exploits du chevalierYvain pour conquérir puis rester digne de l’amour
de Laudine. Dans cet extrait, Chrétien de Troyes imagine et présente un épisode
frappant et comportant des éléments féeriques.La bataille contre le serpent permet
àYvain de faire preuve de sa bravoure et de ses qualités morales en secourant un lion,
symbole de franchise, aux prises avec un serpent, symbole de félonie.
48
La Légende de saint Julien l’Hospitalier
1. Un épisode frappant
A. Des animaux exotiques et merveilleux
B. Le suspense final
2. Un exemple de bravoure
A. Le choix de combattre, la bravoure
B. Un adversaire terrifiant : preuve du courage
3. Un combat du bien contre le mal
A. Le symbolisme des animaux
B. Le revirement final du lion
Conclusion
Ce passage est un exemple de l’esthétique du roman courtois : le héros accomplit
une prouesse, poussé par des motifs moraux et par sa bravoure.
Dissertation
Introduction
• Comme l’affirme Maurice Bardèche, Saint Julien se présente comme un conte
de fées – ce qui est conforme à la représentation du Moyen Âge, généralement
optimiste et présenté comme un âge d’or.
• On n’oubliera pas que le Moyen Âge peut aussi être représenté selon un tout autre
registre : comique, voire réaliste ou pathétique, comme dans le roman historique.
1. La Légende de saint Julien l’Hospitalier : un conte de fées
A. Les éléments du conte
Son univers (château, bons seigneurs, forêts…).
B. Le merveilleux
Prophéties, animaux parlants, mouvements identiques à ceux du rêve.
49
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
2. Le Moyen Âge : un âge d’or ?
A. Saint Julien est une représentation idéale du Moyen Âge (ordre, harmonie…).
B. Des textes comme ceux de Gautier,ou encore celui de Harrison,témoignent du
fait que cette époque est perçue comme un âge d’or, par opposition à l’époque
contemporaine. Pour autant, on peut aussi le présenter de manière ironique.
3. Un Moyen Âge complexe
A. Chez Flaubert comme chez Gautier
Le Moyen Âge est montré comme extrêmement violent, habité par la présence
constante de la mort : l’histoire de Julien est jonchée de cadavres, d’animaux et
d’hommes. Elle n’est donc pas si optimiste.
B. Chez Harrison
Le détour par des traditions anciennes permet de critiquer l’époque actuelle ;il s’agit
plus de parler d’aujourd’hui que des traditions.
C. Chez Calvino
Le Moyen Âge est présenté avec ironie, comme s’il s’agissait de notre époque.
Conclusion
Saint Julien est un conte de fées, mais conçu comme une échappatoire aux drames
contemporains.La représentation du Moyen Âge est donc souvent une manière de
parler et de critiquer notre propre époque, soit de manière implicite (Flaubert,
Gautier),soit de manière explicite,par la comparaison ou l’anachronisme (Harrison,
Calvino).
Écriture d’invention
On s’attachera à demander aux élèves :
– de préciser la situation de dialogue (entre deux amis, deux adversaires) ;
– de réfléchir aux conditions de la parodie :choix du vocabulaire,de la construction
des phrases, de l’emploi d’anachronismes et d’effets comiques…
50
Hérodias
Hérodias (pp. 199 à 202)
◆ LECTURE ANALYTIQUE DE L’EXTRAIT (PP. 205 À 208)
a Salomé entre « du fond de la salle » (l. 944) puis se place sur « le haut de l’estrade »
(l.952).Elle est dans la situation d’un acteur,d’un jongleur sur une scène,elle donne
un spectacle.Plus bas,elle est comparée à un pantomime (l.966).Cette mise en scène
dramatise l’entrée et la danse de la jeune fille.
z À la fin de la danse,elle s’approche (l.985 :« elle tourna autour de la table d’Antipas »),
puis s’éloigne (l. 992-993 : elle « parcourut ainsi l’estrade »), puis s’enfuit à l’appel de sa
mère et reparaît pour donner le coup de grâce à Hérode (l.1001-1002 :« Un claquement
de doigts se fit dans la tribune. Elle y monta, reparut »), et c’est alors qu’elle demande la
tête de Jean-Baptiste.Ces déplacements insistent sur le caractère séduisant de sa danse,
les apparitions et disparitions étant une mise en scène pour subjuguer Hérode et rappeler
le rôle d’Hérodias,qui dit à sa fille qui vient la voir de demander la tête de Jean-Baptiste.
e La danse de Salomé est décrite en 14 paragraphes, de son entrée dans la salle du
festin jusqu’à la demande de la tête de Jean-Baptiste.Ces paragraphes sont assez brefs,
certains ne faisant pas plus de deux lignes – ce qui contribue à donner un rythme
rapide, haletant au texte.
Plusieurs indications organisent cette danse en une série de scènes,comme un drame
ou un ballet :
– les 3 premiers paragraphes sont consacrés à l’entrée en scène de la jeune fille et à
son costume (l. 944-953). Ils se concluent par un mouvement théâtral, par lequel
elle se fait connaître (l. 952 : « elle retira son voile ») ;
– les 4e et 5e paragraphes (l. 954-965) décrivent le premier épisode de la danse. On
peut noter que les verbes du 1er paragraphe indiquent que sa danse est expressive,
qu’elle semble mimer un dialogue, presque raconter une histoire (« Ses bras […]
appelaient quelqu’un,qui s’enfuyait toujours », « Elle le poursuivait »).La musique est très
présente ; on note un renversement de situation entre les deux paragraphes
(« L’accablement avait suivi l’espoir »), souligné par le changement de registre de la
musique : les sons gais des « crotales et de la flûte » sont remplacés par le son funèbre
de la gingras ;
– les 6e et 7e paragraphes soulignent les réactions du public et précisent la cause de
sa venue ;
– le 8e paragraphe commence par l’adverbe « Puis »,qui marque un nouvel épisode :
la danse s’intensifie (« ce fut l’emportement de l’amour ») et devient séduction. Salomé
est ici comparée à des figures de danseuses (prêtresse, bacchante) ;
51
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
– dans les 6 derniers paragraphes, la scène devient réellement théâtrale : Hérode
l’appelle, comme dans une scène à la Marivaux ; elle fait mine de fuir, puis revient
et lui répond.
r Flaubert met en scène de nombreux regards sur Salomé,qui permettent de raconter
la scène :
– les participants au festin,qui sont d’abord « un bourdonnement » admiratif.Ce public
est ensuite désigné par le pronom indéfini « on » (l.946 et 961),qui permet de porter
des jugements, sans faire intervenir le narrateur (on ne savait pas si…) ;
–Vitellius (l. 966), qui la compare à un artiste, puis Hérode, qui permet de préciser
qu’il s’agit de la fille d’Hérodias,les deux femmes se mélangeant en une même vision
du tétrarque (l. 968-969 : « La vision s’éloigna. Ce n’était pas une vision »…) ;
– les nomades, les soldats, les avares publicains, les vieux prêtres ; ces personnes qui
symbolisent l’abstinence,la débauche,le vice,la vertu et qui tous « palpitent de convoitise »
en la regardant – ce qui permet à Flaubert, sans engager le narrateur, sans trace
d’énonciation, de souligner la sensualité de la danse de la jeune fille.
Tous ces regards servent ainsi de relais à celui du narrateur.
t Champ lexical de l’Antiquité :« calcédoines », « duvet de colibri », « crotales », « Psyché »,
« gingras », «Vitellius », « Mnester », «Aulus », «Tétrarque », « Hérodias », « Saducéen »,
« Machærous », « bacchante », « Lydie », « soldats de Rome », « publicains », « rhombe »,
« tympanons », « citadelles ».Ce champ lexical est abondant,il témoigne de la volonté
de Flaubert de restituer l’atmosphère de l’époque historique dans laquelle il situe
son récit.On pourrait aussi relever un certain nombre d’éléments de la description.
y Pour décrire la danse,Flaubert énumère des figures auxquelles on peut comparer
Salomé : « Elle dansa comme les prêtresses des Indes, comme les Nubiennes des cataractes,
comme les bacchantes de Lydie. Elle se renversait de tous les côtés, pareille à une fleur que la
tempête agite. »
Il énumère ensuite les membres de l’assistance :« les nomades habitués à l’abstinence,les
soldats de Rome experts en débauches, les avares publicains, les vieux prêtres aigris par les
disputes ».
Puis, au discours direct, Hérode énumère les cadeaux qu’il peut offrir à Salomé :
«Viens ! viens ! Tu auras Capharnaüm ! la plaine de Tibérias ! mes citadelles ! la moitié de
mon royaume ! »
Chacune de ces énumérations montre qu’on atteint à chaque fois à une sorte d’absolu,
de sommet de la danse,de la diversité du public conquis par cette danse et des présents
possibles en récompense. L’accumulation donne ainsi un effet de profusion,
d’abondance inépuisable, doublé d’une hyperbole.
52
Hérodias
u Plusieurs formulations ajoutent au mystère du personnage :
– on ne découvre pas tout de suite qui elle est : elle apparaît en effet comme une
jeune fille cachée sous un voile (l.945-948).Ensuite,l.952,il est dit :« C’était Hérodias » ;
un doute pèse donc sur son identité,qui n’est levé qu’à la ligne 970,où le narrateur
explique qu’il s’agit de Salomé, instruite par Hérodias ;
– elle est ensuite comparée à des personnages féminins chargés de mystères et que
leurs pouvoirs magiques rendent inquiétants (prêtresse indienne,Nubiennes,bacchantes
de Lydie), puis à une sorcière. Elle émet des « étincelles » (l. 977) et produit comme
des « arcs-en-ciel » (l.996).Salomé est mystérieuse car inconnue et dotée de pouvoirs
quasi magiques.
i La couleur :« bleuâtre », « blancheur », « gorge-pigeon », « colibri », « papillon », « fleur »,
« couleur », « arcs-en-ciel », « lèvres peintes » ; la lumière : « orfèvrerie », « brillants »,
« chatoyants », « étincelles », « enflammaient ». Cette description renvoie à l’esthétique
romantique,qui apprécie la couleur,les contrastes et la lumière,comme en témoigne,
par exemple, la peinture de Delacroix.
o On a relevé les différents spectateurs, comme supports du point de vue narratif,
à la question 4. Ce qui est à souligner ici, c’est leur diversité, leur variété, et leur
« convoitise ». Leur présence donne à la scène des accents de scène de cabaret, de
roman historique un peu mélodramatique (Walter Scott,Alexandre Dumas) dans la
manière des premiers romantiques.
q Ces termes sont explicites : « indolente », son attitude semble « une caresse » ; elle
fait onduler son ventre,fait trembler ses deux seins… Sa danse devient « l’emportement
de l’amour qui veut être assouvi ». Cette danse est très clairement décrite comme une
pavane érotique, sensuelle, destinée à enflammer les spectateurs et spécialement
Hérode.
s La danse comme un langage : « ses bras arrondis appelaient quelqu’un » (l. 955),
« L’accablement avait suivi l’espoir » (l.960),« ses attitudes exprimaient des soupirs » (l.960961).Enfin,Vitellius la compare à un « pantomime »,c’est-à-dire un artiste s’exprimant
par le langage du corps. L’idée que la danse est un art qui transforme le corps en
esprit et lui permet de s’exprimer comme s’il parlait est partagée par de nombreux
artistes et poètes au XIXe siècle.
d On a souligné plus haut (question 8) l’importance du vocabulaire de la lumière
et de la couleur, notions visuelles et picturales ; on peut ajouter que Flaubert utilise
le vocabulaire de la statuaire, en comparant Salomé à un « scarabée », animal dont la
carapace fait penser au bronze,et finalement à du « marbre blanc »,matière première
53
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
essentielle pour le sculpteur.Ces allusions à la sculpture renvoient à l’idéal classique
de beauté, qui nous est parvenu à travers les statues des artistes antiques, comme la
Vénus de Milo, par exemple. À ces comparaisons s’ajoute la liste de figures comme
« les bacchantes de Lydie » qui renvoient aux modèles de beauté de l’Antiquité.
À travers ces comparaisons, Salomé apparaît comme un modèle de la beauté de
l’esthétique panthéiste ou symbolique :elle possède les caractéristiques de la statue,
est acérée et lisse comme le scarabée,et possède une agilité qui lui permet de danser
à la perfection.
f À l’exception de Vitellius, le public qui regarde Salomé éprouve des sentiments
qui vont de la franche paillardise (« Leurs narines palpitaient de convoitise ») à l’indifférence
(«Aulus vomissait encore »).Salomé se « produit » donc devant un public incapable de
goûter son art.
gVitellius se distingue du reste du public car il est le seul à voir en Salomé une artiste,
en la comparant avec un autre artiste,« Mnester »,le pantomime.En cela il s’oppose
au reste de l’assistance,y compris Hérode,dont il souligne la médiocrité.Tout se passe
comme si ce public n’était capable que de ressentir des émotions frustes, qui se
manifestent par des réactions physiologiques (la voix d’Hérode est entrecoupée
par « des sanglots de volupté »). En cela elle représente les artistes du siècle, face à un
public qui les comprend de moins en moins et qu’ils doivent séduire à l’aide de
procédés jugés douteux par eux-mêmes.
h La description de la danse de Salomé comporte des observations (l. 954 : « Ses
pieds passaient l’un devant l’autre au rythme de la flûte » ; l. 985 : « elle tourna » ; l. 992 :
« Elle se jeta sur les mains » ; elle est comparée à un scarabée et devient comme un
tableau vivant, l. 994-999). Ces notations insistent donc sur la beauté plastique de
cette danse, sa perfection technique et esthétique. Conjointement, Salomé est un
instrument dans les mains de sa mère Hérodias qui « l’avait fait instruire [en pensant]
que le Tétrarque [l’]aimerait » (l.969-970).Ce rôle qui lui est assigné s’exprime dans sa
danse,extrêmement suggestive,où elle joue de toutes les parties de son corps (l.962965),avant de venir tourner autour d’Hérode qui lui propose d’échanger ses charmes
contre ce qu’elle veut :«Viens !Viens ! tu auras […] » (l.989-991) – ce qui transforme
cette danse en une scène de racolage, de prostitution.
Ce mélange de l’art et de la prostitution est très fréquent chez les artistes et les écrivains
du XIXe siècle. Le mécénat royal ayant disparu, ils doivent vivre de leur art – ce qui
les met face à des contradictions entre la liberté de l’art et la nécessité d’en tirer un
revenu. La figure de la prostituée de cabaret est l’une des formes que prend cette
contradiction insoluble, en donnant de l’artiste une représentation assez pessimiste.
54
Hérodias
◆ LECTURES CROISÉES ET TRAVAUX D’ÉCRITURE (PP. 209 À 217)
Examen des textes
a Dans l’Évangile,le personnage de Salomé est une pure fonction,l’instrument de
sa mère pour obtenir la tête de Jean le Baptiste :« La fille de cette Hérodiade vint exécuter
une danse et elle plut à Hérode et à ses convives », dit l’Évangile de manière très sèche,
car ce qui importe ici, c’est de faire le récit des circonstances de la mort de Jean le
Baptiste, non d’approfondir le personnage de Salomé, jugé tout à fait secondaire.
A contrario, Flaubert et Banville en font un personnage de premier plan, présenté
de manière centrale et détaillée. L’un comme l’autre insistent sur sa beauté et sa
virtuosité et soulignent son inconscience et sa naïveté un peu infantile (Flaubert :
« prononça ces mots,d’un air enfantin » ;Banville :« Car vous avez toujours aimé naïvement/Les
joujoux flamboyants et les têtes coupées »).
Flaubert met principalement en valeur la sensualité trouble et puissante de la jeune
fille qui « enflammai[t] les hommes » (l. 978) ; Banville met en avant son goût pour
les bijoux,la montrant « l’œil enchanté par les orfèvreries ».Les deux écrivains se rejoignent
en y mêlant le thème de la mort (Flaubert : « Je veux que tu me donnes dans un plat la
tête… » ; Banville : « Les joujoux flamboyants et les têtes coupées »).
z Champ lexical artistique :« Rampe », « public », « grand air », « vers », « salle », « voix
fausse », « parterre », « fauteuil d’orchestre », « talent », « chef d’orchestre ».Ce champ lexical
insiste beaucoup sur le public,la salle et ses réactions.La prestation de Nana est traitée
de manière péjorative : elle chante faux, avec une voix vinaigrée, aigre. Elle est
rapidement appréciée cependant grâce à sa présence physique séduisante et sensuelle,
très valorisée par le narrateur.Elle n’a « pas de talent » mais elle a « autre chose ».Ainsi,
le balancement que l’on trouve disgracieux au début devient à la fin de la scène « un
coup de hanche qui dessin[e] une rondeur sous la tunique »… Nana est donc appréciée
pour sa beauté féminine, sa sensualité, et non pour son talent artistique. Elle joue
d’ailleurs le personnage de Vénus, déesse de l’Amour et symbole d’érotisme. Cette
courte scène montre donc ce qu’est pour le public l’art lyrique et dramatique :
une version édulcorée pour la bonne société de la prostitution.
e Nana est une danseuse et une jolie jeune femme, comme Salomé dans chacun
des textes.Comme elle,elle subjugue son public masculin par un érotisme envoûtant.
Mais le personnage de Nana est bien différent :le thème de la mort a disparu,remplacé
par celui du commerce, de la « marchandisation » de la société.
55
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
r Le motif de la pierre précieuse,de la joaillerie,de « l’orfèvrerie »,du bijou est le fil
directeur du texte :le vermeil et l’or provoquent la rêverie de Salomé, puis le soleil
« met des pierreries » dans les « dessins » de l’or, ce mot rimant avec « dessein », projet
de Salomé de demander la tête de Baptiste,comme pour indiquer qu’il s’agit d’une
seule et même œuvre d’art. Enfin, dans les tercets du sonnet, Banville crée un feu
d’artifice de pierreries, mêlant les sonorités et les couleurs, pour servir d’écrin à la
tête coupée (« Chrysoprase », « fauve incendie », « saphir », « ciel azuré », « sang des rubis »,
« aux pleurs du diamant »). La dureté minérale des pierres, leur beauté luxueuse
scintillante et gratuite symbolisent ici cette esthétique panthéiste de l’art pour l’art,
de la liberté totale de l’art dans la recherche de la beauté : Salomé fascine par son
goût pour la beauté que rien n’arrête, pas même le crime, la tête coupée devenant
un « joujou flamboyant ».
Ce thème de la pierrerie, essentiel dans l’esthétique panthéiste, est présent chez
Flaubert (à travers l’image du scarabée, l’utilisation des couleurs et de la lumière) ;
il est absent des autres extraits.
t Apollinaire est le seul auteur de cette série d’extraits qui fasse parler Salomé.
Elle s’adresse d’abord à Hérode (« Sire je danserai […] »),puis à Hérodias (« Ma mère
dites-moi […] »), puis à une collectivité («Venez tous avec moi »), enfin au fou du roi
(« Ne pleure pas ô joli fou du roi »).En donnant ainsi la parole à la jeune fille,Apollinaire
propose d’explorer le mythe à travers un registre plus lyrique. Sur un mode léger,
il montre une jeune fille innocente,qui danse et qui brode,et qui tourne en comptine
cet épisode qui la dépasse.
y Ces textes datent de 1870 et 1913, autrement dit : la période panthéiste de
« l’art pour l’art » pour le premier,la période symboliste pour le second.Les registres
tragique et pathétique,présents dans l’Évangile et encore chez Flaubert ont quasiment
disparu pour ces deux auteurs : comme si l’art s’était détaché de la société et de ses
soubresauts,pour accéder à une existence autonome et indépendante.Il y gagne une
liberté très grande,comme celle,par exemple,d’explorer d’un point de vue strictement
esthétique la danse de Salomé,indépendamment de toute conception morale,mais
c’est au risque aussi de se transformer en « marotte », c’est-à-dire en accessoire, en
joujou.
56
Hérodias
Travaux d’écriture
Question préliminaire
Chacun des textes du corpus propose une interprétation du mythe de Salomé,dont
l’extrait des Évangiles donne la version originale.
La confrontation de cette source avec l’interprétation qu’en donnent les écrivains
révèle immédiatement que le discours littéraire enrichit le personnage et sélectionne
des traits présents ou cachés dans le texte original.
D’une manière générale, les écrivains sont tous sensibles à la jonction entre la mort
et l’érotisme, que la mort de Jean le Baptiste soit traitée selon un registre tragique,
qui en souligne la cruauté (Flaubert, Beardsley), ou au contraire qu’elle soit traitée
plus légèrement, dans un registre lyrique ou ironique (Banville,Apollinaire).
Le texte de Zola est un contrepoint dans le groupement :la mythologie est devenue
un spectacle que se donne la bourgeoisie (« Lorsque Vénus rôde le soir ») au théâtre
de Boulevard. Son personnage de Nana a en commun avec Salomé cette capacité
à magnétiser son public par la danse,tout en étant un instrument dans les mains d’un
autre personnage (le directeur du théâtre ; Hérodias).
La comparaison des personnages permet ainsi d’éclairer l’une des dimensions de la
fascination qu’exerce Salomé sur les écrivains et les artistes, du romantisme (1830)
jusqu’au symbolisme (1920). Ils reconnaissent dans ce personnage une image de la
situation paradoxale de l’art et des artistes.
Le paradoxe tient au fait que leur influence est infinie, sans limites, grâce à la magie
et à la force de leur technique artistique (que représente ici le magnétisme de Salomé
ou de Nana),mais qu’elle n’existe qu’à condition de plaire,c’est-à-dire de se soumettre
au diktat du public (le succès de Nana tient à la remarque du jeune homme : «Très
chic »). Ainsi,au moment où l’art s’affranchit du pouvoir politique,qui le subventionnait,
il doit faire face aux jugements du public,situation nouvelle et difficile pour les artistes.
Salomé et sa danse sont une manière de symboliser et de montrer cette tension,que
la beauté soit totalement prostituée (comme chez Flaubert et Zola) ou qu’au contraire
elle échappe,dans un esthétisme exigeant,mystérieux et hermétique (comme chez
Banville et Apollinaire).
Commentaire
Introduction
• Nana d’Émile Zola est un des volumes de la fresque des Rougon-Macquart.Dans ce
roman,Zola raconte l’histoire d’une cocotte ou demi-mondaine,c’est-à-dire d’une
prostituée de haut vol, qui assure sa fortune grâce au commerce de ses charmes.
57
RÉPONSES
AUX QUESTIONS
• Dans cet extrait, situé dans le premier quart du roman, Nana fait sa première
apparition sur la scène d’un théâtre,dans une opérette où elle joue le rôle deVénus.
Elle provoque d’abord l’étonnement par son incompétence artistique (elle ne sait
ni chanter, ni se tenir en scène), puis elle séduit le public par sa sensualité.
• On pourra s’interroger sur la manière dont Zola décrit cette jeune femme, dont
il caractérise les réactions du public, pour comprendre ce qu’elle symbolise et ce
qu’elle nous apprend sur la société du Second Empire.
1. Une entrée fracassante
A. Nana est incompétente
Elle ne sait ni danser, ni chanter, ni marcher en scène. Elle finit quand même par
retourner la situation à son avantage.
B. La remarque du jeune homme qui renverse le public
Sa description montre qu’il est comme Nana : jeune, beau et peu expérimenté. Il
s’oppose aux « beaux messieurs en gants blancs »,mais sa remarque renverse la situation :
on peut alors apprécier Nana sur d’autres critères, les seuls qu’elle offre (sa beauté
canaille et un peu dévergondée).
2. Un public équivoque
On opposera le début, où le public est surpris car il évalue Nana sur des critères
artistiques, à la seconde moitié du texte où :
– Nana établit une complicité quasi physique avec le public (rire, clins d’œil,
déhanchement) ;
– le public la juge sur ses propres critères (« elle n’avait pas de talent pour deux liards
[…] elle avait autre chose »), à telle enseigne qu’elle arrête de chanter, pour ne plus
exposer que son corps.
3. Une critique sociale
A. Un public indécis
Zola montre une salle,un public indécis,qui se renverse en un rien de temps (d’abord
on croit que c’est « une plaisanterie », on la trouve « inconvenante »).
B. La remarque du jeune homme
Mais il suffit d’une remarque d’un jeune homme pour que ce qui paraissait
inconvenant devienne « enflammant », car elle « gratte le public au bon endroit ».
58
Hérodias
C. Une excitation crescendo
L’excitation du public va alors crescendo, la comparaison finale « sa nuque où des
cheveux roux mettaient comme une toison de bête » révélant ce qui se joue avec la sensualité
trouble de Nana :le théâtre,l’opérette n’est plus un lieu d’expression artistique,mais
un lieu de prostitution et de débauche,et ceci de manière quasiment explicite.Tout
se passe comme si le public et les actrices étaient tacitement d’accord sur ce constat.
Conclusion
On insistera sur la fonction symbolique de Nana qui,comme Salomé,est une allégorie
déceptive,une figure féminine qui,au lieu d’incarner des valeurs positives (l’agriculture,
la justice…), représente la part noire, cachée de la société du Second Empire, dont
l’amoralité est d’autant plus grande qu’elle est assumée et quasi revendiquée,puisqu’elle
se donne en spectacle comme telle sur la scène du théâtre.
Dissertation
Introduction
L’affirmation de Maurice Nadeau propose une explication de la fascination des
écrivains et des artistes pour l’épisode de Salomé : selon lui, cette danse symbolise
une rupture,un renversement historique,le passage de l’Antiquité à l’histoire moderne.
1. Salomé : un personnage historique ?
A. Une figure historique
Nadeau pose Salomé comme une figure historique – ce qu’elle est dans les Évangiles.
Sa danse, qui provoque la mort du Baptiste, est l’un des épisodes qui préparent
l’avènement du christianisme.
B. Une figure poétique
Flaubert traite ainsi cet épisode, comme en témoignent le luxe de détails et de
précisions historiques qu’il emploie dans son récit et sa volonté de faire revivre la
période. Cependant, les autres écrivains en donnent un traitement plus poétique,
détaché de la période historique.
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RÉPONSES
AUX QUESTIONS
2. Un personnage mythique
A. Un mythe
Écrivains et artistes s’approprient le personnage et le transportent dans leur époque :
il devient alors un mythe, c’est-à-dire un récit, porteur de sens, qui transcende les
régions et les périodes historiques.
B. Une image de l’érotisme et de la mort
Salomé est alors une image de l’érotisme et de la mort,une danseuse qui représente
un absolu esthétique ; elle rejoint la galerie de ces figures féminines sublimes et
inquiétantes,comme Hélène,Vénus,Cléopâtre,qui,par le seul pouvoir de leur beauté,
modifient le cours de l’Histoire. On en revient à l’Histoire, mais on voit que le
personnage à une autre dimension.
3. Une métaphore
A. Une enfant inconsciente de ses pouvoirs
Salomé subjugue les puissants, sans être elle-même tout à fait consciente de ses
pouvoirs et de leur conséquence :elle est une sorte d’image de l’art,présentée selon
un registre dramatique par Flaubert,plus ironique par Apollinaire (l’enfant qui joue
avec une tête de mort).
B. Une figure féminine du XIXe siècle
La situation historique où elle apparaît présente des similitudes avec l’époque de
Flaubert : l’art n’est plus compris, ne maîtrise plus sa finalité ; la France sort de la
guerre ;l’Empire s’est effondré et la IIIe République se met en place.Une nouvelle
ère s’ouvre. Salomé est ainsi une figure féminine qui permet d’interroger notre
époque, ses valeurs, à l’aide du passé.
Conclusion
La formule de Maurice Nadeau est juste et éclairante sur le personnage de Salomé
et la vision qu’en propose Flaubert, mais elle ne doit pas faire oublier que Salomé
est aussi un personnage mythique et que les écrivains la réinterprètent parfois comme
une métaphore de la situation présente, de leur actualité.
60
Hérodias
Écriture d’invention
On rappellera aux élèves que :
– le texte d’un critique commente une œuvre, une mise en scène sur laquelle il
formule un jugement de valeur argumenté. On pourra donner comme exemple
le texte de Maupassant (cité p. 117) ;
– il s’agit d’un discours : le texte peut donc être écrit à la 1re personne ;
– il s’agit d’un texte argumentatif, qui doit donc comporter des arguments en vue
de convaincre le lecteur, de l’amener à partager la thèse soutenue.
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BIBLIOGRAPHIE
C O M P L É M E N TA I R E
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– Raymonde Debray-Genette, Métamorphoses du récit, Le Seuil, 1988.
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–Tzvetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Le Seuil, 1970.
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