Barbara Villez, professeur à Paris 8 Associée au Laboratoire
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Barbara Villez, professeur à Paris 8 Associée au Laboratoire
Barbara Villez, professeur à Paris 8 Associée au Laboratoire Communication et Politique du CNRS « A Culture Shock » : États-Unis vs France Aujourd’hui la boucle est bouclée, DSK est rentré en France et bientôt le chapitre américain sera oublié. « Boucle » est bien le terme approprié puisque les images de DSK ont tourné ainsi dans les médias : DSK escorté par la police lors de son arrestation, DSK devant la juge lors de la première comparution, DSK arrivant au tribunal pénal de New York pour les audiences suivantes, DSK quittant le tribunal pour regagner sa voiture et aussi Cyrus Vance arrivant au tribunal, Cyrus Vance refusant de répondre aux journalistes, etc. etc. etc. Ces images ont été vues et revues pendant des semaines. Treize semaines précisément. Pour les Français, c’était un choc médiatique. Peu de pays y ont prêté autant d’attention, car aux Etats-Unis, les Américains ont préféré l’« affaire » Schwartzenegger qui, la même semaine de mai, a volé le devant de la scène médiatique à DSK dont la notoriété n’égalait pas celle de « Terminator-gouverneur de Californie ». En France, les informations sur DSK, accompagnées par les images en boucle, ont concentré l’attention du pays. Pendant un été, tous les Français ont suivi l’affaire comme un feuilleton. Le déroulement du « feuilleton » a surtout révélé les différences culturelles souvent muettes entre les Etats-Unis et la France. Le choc des images L’annonce de l’arrestation de DSK à l’aéroport JFK à New York, a été vécue comme un premier choc. C’est apparemment une information sur twitter qui a déclenché une folie médiatique inondant les chaînes de télévision, la radio, les journaux et Internet avec une rapidité d’informations et de spéculations qui ne surprend plus personne. Malgré la « banalité » de ce type de frénésie, le contenu des premières images a eu l’effet d’une bombe en France. Très rapidement l’affaire est devenue le sujet de discussions et d’interviews, ces images devenant le refrain. Dans la première image, la fameuse « perp walk », on a pu voir DSK escorté par deux policiers. Mais qu’a-t-on vraiment vu dans cette image ? Monsieur Strauss-Kahn, le visage sérieux, habillé d’une chemise bleue propre et bien repassée, sans cravate, un imperméable foncé. Il marchait, entouré de ces hommes. Soudain, son manteau s’est ouvert d’un côté sans qu’il le referme, donnant la seule vraie indication que ses mains n’étaient pas libres. On ne voit pas ses bras, mais on les sait derrière son dos. On ne voit pas de menottes, mais on les imagine grâce à notre expérience des séries policières et judiciaires à la télévision américaine importées en France, mettant en place des codes. Ce qu’on a vu a choqué moins que ce qu’on savait. Une scène qui aurait dû nous paraître totalement étrangère était au contraire familière, mais c’était « pour de vrai », cette fois. Un autre reportage montre les policiers arrivant au Sofitel, on peut voir les lettres « NYPD POLICE Crime Scene Unit » sur leur blouson. Cette image renvoyait les téléspectateurs aux personnages de Law & Order Special Victims Unit ou aux CSI. Si la fiction a mis en place un imaginaire que chaque téléspectateur applique sur le déroulement d’une affaire comme celle-ci, l’affaire réelle va également inspirer un retour à la fiction. Les scénaristes de Law & Order SUV, habituellement très réactifs sont en effet en train de s’inspirer de l’affaire pour créer un épisode. Comment vont-ils complexifier un récit déjà si peu ordinaire ? Une autre image très fréquente était celle du tribunal pénal de New York. Se trouvant à 100 Centre Street, en bas de l’ile de Manhattan, ce tribunal, appelé le Supreme Court of New York, n’a rien d’une cour suprême. C’est tout simplement le tribunal pénal de la ville. Encore une fois beaucoup de téléspectateurs ont reconnu le bâtiment car il trône dans de multiples films et séries américaines. Le téléspectateur français s’est retrouvé dans une situation de « déjà vu ». Lorsque DSK a comparu au tribunal, on a remarqué les quelques policiers présents, mais les images n’ont pas inclus les autres détenus, également assis dans la salle d’audience, en attendant leur tour de passer devant la juge. Ensuite le public a vu DSK, devant la juge, aux côtés de son avocat, le célèbre Brafman ainsi que le substitut du procureur. DSK est vu parmi des professionnels de la loi, tandis que les autres prévenus sont invisibles. Les Français ont trouvé ces images, et surtout celle du « perp walk », très violentes. Bon nombre de juristes français, invités à parler sur les ondes, ont rappelé qu’il était interdit en France de photographier l’arrestation d’une personne afin de protéger la présomption d’innocence et de préserver l’anonymat. Mais le nom de la personne arrêtée ne peut-il pas se lire dans la presse ou s’entendre à la radio ? Les Américains sont, de leur côté, choqués de voir qu’une personne arrêtée par la police, a la tête dissimulée sous un blouson tenu par un policier. Car dans cette culture, plus violente peut-être, une personne se doit de faire face à ses accusateurs. Les images du « perp walk » n’ont pas été violentes en soi, c’est la réalité et le nom de la personne impliquée qui a constitué le vrai choc , perturbant ainsi l’été en France. Questions de justice Dans un premier temps, la police devait prendre au sérieux les dires de la supposée victime. Il fallait la protéger, sans sacrifier les droits du suspect. Mais ces droits ne comprennent pas la possibilité de s’échapper à la justice. Ainsi, au début, la police et le bureau du procureur ont-ils accordé le bénéfice du doute à Nafissatou Diallo. Protéger l’identité d’une victime de viol est, à ce stade, essentiel pour s’assurer que celle-ci ne soit pas harcelée par l’agitation médiatique. Cependant très vite, un jeu de chaises musicales s’est mis en marche : DSK le « perv » et Diallo la « victime » ; ensuite Diallo « la putain » et DSK la « victime » ; DSK un « malade » et Diallo « une personne qui a le droit d’être victime même si elle est une menteuse » ; enfin DSK le « vainqueur » et Diallo une « manipulatrice intéressée et totalement discréditée ». La stratégie de Nafissatou Diallo a pu paraître étrange : trop de présence devant les caméras, un interview télévisée excessivement mise en scène, une interview dans Newsweek, une action en civil avant même que le procès pénal commence ont semblé manipuler l’opinion. Il est difficile de croire que son avocat, Thomson, un « as » dans le domaine de la discrimination raciale et de l’obtention de dommages et intérêts, ait pu lui conseiller de telles démarches alors qu’un profil bas l’aurait mieux servi auprès du procureur pour écarter l’idée qu’elle ne cherchait que d’argent. Peut-on supposer qu’il y a eu des coups de téléphone et des arrangements ? Le choc des cultures judiciaires Au début l’affaire ressemblait à un vieux récit de série judiciaire des années 50 ou 60 où le seul défi est de déterminer si oui ou non l’accusé est coupable. Mais ce que les journaux appelaient « saison 2 de l’affaire DSK » faisait référence aux séries contemporaines avec de nombreux retournements de situation défiant les téléspectateurs à découvrir des aspects plus techniques de la procédure américaine, qu’ils ne connaissaient peut-être pas encore. La situation crée le besoin de savoir, la découverte nourrit la construction d’une culture juridique. Comme les téléspectateurs ont l’habitude des défis, et le procès est une confrontation de récits, il y a eu un bref moment où un débat perçait à travers ces histoires, celui des femmes qui n’acceptent plus le comportement cavalier des hommes de pouvoir. Un débat qui s’est éteint à peine entamé. On ne saura JAMAIS ce qui s’est réellement passé, non seulement à cause de l’abandon de la procédure mais parce que seule la mouche qui se reposait inaperçue sur le mur de la suite 2608 du Sofitel le sait avec certitude. Dans une accusation de viol, il est très difficile de prouver l’une ou l’autre version. L’ADN ne livre jamais toute l’histoire. Les deux personnes impliquées n’ont pas forcément la même perception de ce qui s’est passé. Elle a dit. Il a dit. Même le dossier médical, qui brièvement semblait concluant, pouvait être réfuté devant un jury. Installer le doute chez un seul juré aboutit à un acquittement. C’est une garantie pour l’accusé lorsqu’il est menacé d’une peine lourde. Il faut replacer ce principe dans l’histoire des Etats-Unis, lorsque les hommes se trouvaient accusés de crimes graves après avoir défié le roi. Dans le système de la common law, on est jugé par ses pairs. Si le jury se trompe, c’est la faute du jury mais l’accusé ne peut plus être inquiété, au moins pour le même acte. Le peuple joue un rôle essentiel dans le fonctionnement du pays, et la justice en est le plus flagrant exemple. En effet, c’est le peuple qui désigne le procureur de l’Etat en l’élisant. C’est une différence culturelle notable, comme la place de la vérité dans un procès. L’affaire de DSK a démontré à quel point les Américains détestaient le mensonge. Ce n’est pas la vérité qui est recherché lors d’un procès, c’est la probabilité d’une version des faits, l’une est plus plausible qu’une autre. En common law, le procès est une compétition pour convaincre. Par des arguments, des stratégies, des questions qui confondent les témoins, les avocats doivent parvenir à convaincre ou, au moins, à installer le doute. « Beyond a Reasonable Doubt » telles sont les consignes données par le juge au jury. Celui-ci doit décider en laissant de côté le doute normal – nul n’étant jamais totalement à l’abri du doute. Cette logique est difficile à comprendre en France où la notion de vérité judiciaire est très forte. En France, le verdict est la parole de l’Institution, qui dit le vrai ; ce que le tribunal décide constitue la vérité judiciaire. Le juge d’instruction œuvre pour établir cette vérité. Il prend son temps : il enquête à charge et à décharge, et parfois il lui faut beaucoup de temps. Ce juge est un spécialiste de la vérité et lorsque ses conclusions mènent au tribunal, le procès est court. Le procès sert principalement à confirmer le contenu du dossier remis par le juge d’instruction, à vérifier les dires des témoins et à clarifier certains détails. Cela explique le petit nombre d’acquittements en France. Aux Etats-Unis, le procès est la principale étape dans la procédure pénale, et s’il peut durer plus longtemps qu’un procès français, il est tout de même soumis à des obligations de rapidité. Une fois que la police a transmis des informations et le nom d’un suspect au procureur, celui-ci a un délai très court (la durée varie selon les Etats) pour constituer un dossier et dans le cas de crimes, il dispose de peu de temps avant de présenter le dossier à un « Grand Jury » qui décide si oui ou non, un crime a été commis et s’il le pense, il doit décider s’il y a suffisamment de raisons de croire que le suspect est l’auteur de cet acte. Si le Grand Jury décide d’envoyer l’affaire au procès, le procureur a encore un nouveau délai limité pour compléter son enquête. Pendant ce temps, chaque partie doit être informée du contenu du dossier de l’autre. Cela veut dire que l’avocat de la défense peut également enquêter ; il ne doit pas se restreindre au contenu du dossier d’un juge d’instruction. La dissimulation de preuves peut conduire à l’annulation d’un procès. La Constitution stipule aussi que tout procès doit avoir lieu dans un délai « raisonnable ». La rapidité de la justice américaine est donc obligatoire et culturelle. Aux Etats-Unis, un temps raisonnable dans une affaire pénale est une question de quelques mois. Dans une affaire civile, la préparation du procès est plus complexe et le délai s’avère beaucoup plus long. Lorsque la crédibilité de Nafissatou Diallo, le seul témoin de l’accusation, a été mise en doute, Cyrus Vance ne pouvait pas porter l’affaire devant un jury dans un procès couteux. Le dossier reposait sur des preuves facilement réfutables par le talentueux Brafman. Le problème pour le procureur était moins de croire qu’il y a bien eu agression sexuelle, mais de pouvoir le prouver. Le procès américain est une bataille, alors qu’en France c’est un rituel. **** CyrusVance a-t-il agi trop rapidement? Certains l’ont pensé, considérant que ce procureur n’avait pas été « professionnel ». D’autres ont été choqués que la notoriété de DSK n’ait pas été un frein pour le procureur américain. C’est une autre différence culturelle majeure. Aux Etats-Unis seule compte The Rule of Law. Le Droit règne et tout le monde est égal devant la loi. The Rule of Law ne se traduit pas par l’« état de droit » qui repose sur une hiérarchie institutionnel où le droit ne met pas l’agent de pouvoir au même niveau que le simple citoyen. Aux Etats-Unis, la loi régule les rapports entre les gens ; plus que l’ordre hiérarchique. La justice n’est pas facile, il faut du temps pour départager les récits, pour présenter une version probable de ce qui s’est passé. Dans l’affaire DSK, étant donné la gravité des actes dont se plaignait l’apparente victime, Cyrus Vance a fait le choix de faire incarcérer le directeur du FMI. L’exigence de rapidité risque toujours d’entraîner la hâte. Pourtant, à peine deux semaines après son arrestation, DSK dînait dans un restaurant italien à Soho. Certains ont pensé que le temps de l’enquête pour aboutir à un « non lieu » avait été très long, trop long pour retenir à New York, sans passeport, un homme de cette stature. Il s’est passé trois mois. Trois mois c’est certes long pour DSK, sa famille et les gens qui le soutenaient en France. Mais si l’on posait la question à Alain Marécaux, qui a passé trois ans en prison pendant que le juge Burgaud écoutait les affabulations de Myriam Badaoui, il considérerait sans doute que trois mois dans une maison d’un quartier chic de Manhattan n’est peut-être pas si long que cela !! Quelle leçon sur la relativité des choses ! Cyrus Vance a pris une décision qui peut s’avérer politiquement dangereuse car l’affaire était très médiatisée. La discrétion était impossible. Il n’est pas sûr que ses électeurs le jugent aussi sévèrement que les Français, mais ceux-ci lui en veulent pour avoir touché à un Français très voyant. Finalement qu’on ait couvert son visage ou non, il était très visible en France. Aucun système n’est parfait car géré par les hommes qui sont imparfaits. Mais avant de critiquer un avocat parce qu’il s’est adressé au juge, les mains dans les poches, ne vaut-il pas mieux examiner sans concession son propre système dont les faiblesses et les défauts, ne sont, hélas, que trop visibles ? Le dicton sur la paille et la poutre pourrait figurer, comme emblème, au dessus du dialogue de sourds que les Américains et les Français ont noué à propos de leur justice, à l’occasion de l’Affaire Nafissatou Diallo contre DSK.