l`article de la Tribune

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l`article de la Tribune
TribunedeGenève
Vendredi 14 mars 2014
Genève
&région
Conseil d’Etat: les 100 jours
d’Antonio Hodgers
Page 20
Un film sur Erwin Sperisen
sort avant son procès
Page 21
OLIVIER VOGELSANG
Requérants
L’Hospice général revoit
la politique d’asile genevoise
Les jeunes et les personnes qualifiées ont été identifiées comme
public cible.
Christophe Girod explique ici
avoir anticipé la création de centres
fédéraux au niveau national «en
mettant l’accent sur l’intégration».
En théorie, ces centres devraient
permettre aux cantons de prendre
principalement en charge des requérants d’asile dont la demande a
été acceptée, ainsi que des requérants déboutés ne pouvant pas être
renvoyés (voir l’infographie).
La logique d’accueil
est modifiée pour
faire face à la crise
du logement et
à la fluctuation du
nombre d’arrivants
Laure Gabus
Des contrats individuels
OLIVIER VOGELSANG
Un nouveau nom pour un nouveau départ. Dès lundi, l’aide aux
requérants d’asile (ARA) dispensée par l’Hospice général est renommée Aide aux migrants
(AMIG). La mission de ce service
reste identique, mais la manière
de l’accomplir est réformée.
L’AMIG continue à prendre en
charge 5,6% des personnes ayant
déposé une demande d’asile en
Suisse – le quota revenant à Genève – environ 1300 arrivées par
an pour autant de sorties. Elle continue à accompagner vers l’indépendance les personnes qui ont
reçu l’autorisation de séjourner en
Suisse, mais vers une indépendance professionnelle. Le rôle des
assistants sociaux a été repensé,
tout comme l’organisation de la
vie dans les foyers.
L’Aide aux migrants prend en charge les personnes issues de l’asile: quelque 1300 nouveaux arrivants par an, pour autant de sorties.
Foyers saturés
Pourquoi cette réforme? L’Hospice général dispose de quelque
2500 places dans des logements
collectifs et 2500 logements individuels. Un parc immobilier saturé
et qui peine à s’agrandir. Ce constat, sur fond de crise du logement,
a mené l’Hospice à abolir la politique du modèle «évolutif» en place
depuis 2007. Ce modèle était
constitué de plusieurs phases: la
socialisation dans un foyer d’arrivée, l’insertion dans un autre centre d’hébergement collectif et
– but ultime – l’autonomie dans
son propre appartement. «Aussitôt ce modèle mis en place, les
arrivées ont augmenté et le système a peu à peu été saturé», déplore Christophe Girod, directeur
général de l’Hospice et «artisan
principal» de la réforme (ndlr: il a
précédemment dirigé l’ARA). L’accès aux logements s’est révélé trop
difficile «pour que les bénéficiaires sortent du dispositif», préciset-il. Autre constat, les multiples déménagements compliquent l’intégration des personnes dans leur
quartier.
Objectif emploi
Mis à mal dans sa stratégie, l’Hospice général a changé de cap. L’objectif reste «l’indépendance» mais
il s’agit désormais d’indépendance professionnelle. Un document interne résume la finalité de
la politique d’intégration de
l’AMIG comme «la sortie de l’aide
sociale vers une insertion professionnelle stable pour l’ensemble
des bénéficiaires qui en ont la capacité et le potentiel en regard des
exigences du marché du travail».
Contrôle qualité
Bénéficiaires de l’aide aux requérants d’asile
Le parcours de l’asile est de plus en plus complexe en
Suisse et en Europe. La diversité des situations et des
permis des personnes prises en charge par l’aide aux
requérants d’asile de l’Hospice général en témoigne.
1 Le permis B réfugié est délivré par les autorités si la demande d’asile est acceptée. Il s’agit
d’une autorisation de séjour, qui peut - passé un délai de cinq ans - être remplacée par une autorisation d’établissement: le permis C. Des permis B humanitaires ont également été attribués
sous certaines conditions. Des personnes ou familles ont aujourd’hui la nationalité suisse mais
n’arrivent pas à quitter les centres d’hébergement de l’Hospice, vu la crise du logement.
2011
2012
2013
Permis B canton, C, CH 1
1102
1227
997
Réfugiés F 2
118
117
119
Permis B réfugié 1
396
385
357
3 Le permis N est une autorisation de résider sur le territoire durant l’examen de la demande
d’asile. Il permet de séjourner en Suisse et de travailler après trois mois.
ETSP 5
217
241
205
Aide d’urgence 4
554
614
645
Permis F 2
1297
1259
1200
4 Si une demande d’asile est rejetée par les autorités, le requérant est dit «débouté». Son séjour
en Suisse devient illégal. Les autorités peuvent lui assigner un logement, mais exercer une
activité lucrative lui est interdit. La Constitution impose aux Cantons de verser un minimum vital
à ces personnes: l’aide d’urgence. À Genève, elle s’élève à 10 francs par jour et par personne.
Ce montant est dégressif suivant la taille de la famille.
Permis N 3
1003
1337
1262
TOTAL
4687
5180
4785
2 Le permis F est remis à une personne dont la demande d’asile a été rejetée mais qui ne peut
pas être renvoyée dans son pays parce que la situation dans le pays ne le permet pas (ex: Sri
Lanka) ou pour des motifs de santé. Les réfugiés F ont demandé l’asile pour des motifs apparus
alors qu’ils résidaient déjà en Suisse. Ils ont été reconnus comme réfugiés mais l’asile ne leur a
pas été accordé (ex: Tibétains).
5 A Genève, le Conseil d’Etat donne mission à l’Hospice général de venir en aide aux personnes
étrangères sans titre de séjour (ETSP), à condition qu’elles aient fait une demande d’autorisation de séjour auprès de l’Office cantonal de la population. Les barèmes sont calqués sur ceux
de l’aide sociale.
G. LAPLACE. DONNÉES: L. GABUS.
Sur le terrain, les associations sont sceptiques
U La réforme inquiète les
associations travaillant dans le
domaine. L’établissement d’un
contrat d’action sociale individuelle, d’abord. «C’est la logique
de la carotte et du bâton,
déplore Fabrice Roman,
directeur du Centre d’accueil
pour personnes migrantes de la
Roseraie. On veut responsabiliser les gens en les contrôlant et
en les punissant.» Et «que se
passera-t-il si une personne est
trop vulnérable pour atteindre
les objectifs fixés par le contrat?»
questionne Lucine Miserez,
assistante sociale au secteur
réfugiés du Centre social
protestant. «A l’accueil, nous
jugerons de l’état de santé
physique et psychique des gens
et les laisserons arriver avant de
les inclure dans un programme»,
rassure Ariane Daniel Merkelbach, directrice de l’AMIG.
«Comme à l’aide sociale, il y
aura des incitations financières
pour les bons élèves», relève
Christophe Girod, directeur de
l’Hospice.
«A-t-on évalué ce qui fonctionnait dans l’ancien système?
En sortant les assistants sociaux
des foyers, ne craint-on pas une
perte du lien direct et social?»
soulèvent Lucine Miserez et
Fabrice Roman. «L’ancien
modèle prodiguait un encadrement serré et permettait d’avoir
une bonne connaissance des
gens, admet Christophe Girod.
Le revers de la médaille était que
ces personnes voyaient leur
assistant social comme la
personne qui allait régler tous
leurs problèmes et ne faisaient
pas face à leurs responsabilités.»
Une autre question est
financière. «L’Hospice se
donne-t-il les moyens d’implanter sa réforme?» questionnent les
associations. «Nous travaillons
avec les ressources existantes,
mais nous espérons être plus
efficaces en termes d’intégration
grâce à cette réforme.» L.G.
Qui dit accès au marché du travail
dit «responsabilisation» et «mobilisation des ressources», un autre
pilier de la réforme. «Chance ou
malchance? Aujourd’hui, les requérants d’asile sont totalement
pris en charge sur leur lieu de vie»,
commente Christophe Girod.
Cette logique est donc abolie
par la séparation entre le volet «socialisation» et le volet «administratif». Chaque arrivant se voit attribuer un assistant social qui doit le
suivre durant l’ensemble de son
parcours d’intégration. Il passe
avec lui un «contrat d’action sociale individuelle» définissant les
objectifs à atteindre chaque mois
(cours d’insertion sociale, cours
de français, définition d’un projet
professionnel…). En revanche,
une séparation physique est établie entre l’administration et les
migrants issus de l’asile. Les assistants sociaux ne travaillent plus
directement dans les foyers mais
dans des bureaux à l’extérieur.
Ainsi le résident d’un centre est
contraint de «sortir de chez lui et
de se débrouiller dans la vraie
vie», explique le directeur de
l’Hospice. Et les assistants sociaux
«n’ont plus à gérer les problèmes
d’hébergement et n’exercent plus
de tâches d’intérêt collectif».
Solidarité dans les foyers
Gérer la vie sur les lieux d’hébergement revient à des «assistants
sociaux en intervention collective», un nouvel emploi créé avec
cette réforme. Ces personnes seront chargées de mettre en place
une «politique d’action communautaire» promouvant des valeurs
telles que la solidarité, l’entraide,
l’ouverture à la diversité, la coresponsabilité ou encore le dialogue.
Comment? Ces employés de
l’Hospice seront chargés d’accueillir les nouveaux arrivants, de
mettre en place des groupes de
parole, de vérifier que le ménage
ait été fait, voire d’organiser des
activités pour le groupe. Ils pourront également mettre les personnes en lien avec la Commune ou
des associations locales. Les bénéficiaires n’étant plus amenés à déménager régulièrement, l’Hospice
espère ainsi renforcer les liens sociaux sur les lieux de vie.
Les personnes touchées par
cette réforme ont été informées
par écrit.