IUFM – Midi-Pyrénées - Site académique d`Histoire Géographie

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IUFM – Midi-Pyrénées - Site académique d`Histoire Géographie
IUFM Ŕ Midi-Pyrénées
septembre 2009
RECHERCHE-FORMATION
« Enseigner le fait colonial »
Rapport final
Équipe
 Anne DEVLAEMINCK, professeur certifié de Lettres modernes, collège Toulouse-Lautrec, Toulouse.
 Sophie DULUCQ, Professeur d’Histoire contemporaine, Université de Toulouse-le Mirail.
 Jean-Louis DONNADIEU, professeur agrégé d’Histoire-géographie, lycée Pardaillan, Auch.
 Jérôme GIRARD, professeur certifié d’Histoire, lycée Ozenne, Toulouse.
 Bernard MEYER, professeur certifié de Philosophie, lycée Toulouse-Lautrec, Toulouse.
 Marie POLDERMAN, professeur-documentaliste certifiée, collège Lamartine, Toulouse.
 Colette ZYTNICKI, Maître de conférences HDR en Histoire contemporaine, Université de Toulouse-le
Mirail (qui a apporté son concours régulier et bénévole).
1
SOMMAIRE
I. Présentation générale
4
II. Démarche
7
III. Repères
Une enquête auprès des enseignants de l’Académie
9
9
Les questions coloniales dans les programmes
14
Bilan historiographique
18
IV. Pistes de travail
Dossiers documentaires
28
28
Dossier 1 : Économie et société dans les empires coloniaux
1. Ensemble documentaire sur l’apport de l’archéologie à l’histoire de l’esclavage
30
31
2. Ensemble documentaire sur la vie quotidienne dans les plantations
de Saint-Domingue au XVIIIe siècle
34
3. Le travail forcé en Afrique Équatoriale française autour de 1910
51
4. Les corvées en Indochine dans l’entre-deux-guerres
55
5. Les formes de la domination : Les paysages ruraux de l’Afrique du Nord colonisée
62
Dossier 2 : Séquence Lettres-Histoire : Au cœur d’une plantation sucrière
63
Dossier 3 : Faire régner l’ordre colonial
1. Conquête et « pacification » : Le journal d’un officier français (1898)
97
98
2. Le régime de l’indigénat en AOF au début du XXe siècle
101
3. Ensemble documentaire : Le bagne de Poulo Condore en Indochine
104
Dossier 4 : Contester l’ordre colonial
122
1. Ensemble documentaire sur la critique philosophique de l’esclavage : esclavage,
droits de l’homme et dignité humaine
123
2. Ensemble documentaire sur les formes de résistance à l’esclavage :
Exemples en Guyane française et hollandaise (XVIIe siècle – XVIIIe siècles)
143
3. La dénonciation des recrutements forcés en Indochine pendant la 1re Guerre mondiale
151
4. Les abus d’un administrateur en Indochine
158
2
5. Discours de Messali Hadj en février 1927
162
6. Les revendications d’une délégation du Destour tunisien en 1920
165
Dossier 5 : Vivre aux colonies : la complexité des dynamiques sociales
168
169
1. Ensemble documentaire sur Suzanne Amomba Paillé, une esclave affranchie
de Guyane (1re moitié du XVIIIe siècle)
2. Lettre du comte de Noé à Toussaint Louverture (1799)
175
3. La location d’un esclave par un « libre de couleur » (1778)
178
4. École coloniale et mutations sociales en A.O.F. au début du XXe siècle
180
Dossier 6 : Femmes, métis, métissages
1. Ensemble documentaire : une famille métissée dans la Guyane Du XVIIe siècle
183
184
2. La condition des femmes en Indochine
188
3. Entretien avec une sage-femme gabonaise formée à l’époque coloniale
191
4. Séquence Lettres : Autour de la nouvelle Les jeunes filles de la colonie de
Leïla Sebbar in Une enfance outremer (Points virgule)
194
5. Séquence de Lettres (6 séances) Groupement de textes de Kim Lefèvre
197
Dossier 7 : Expositions coloniales et cultures impériales
203
1. Un baptême au « Village noir » : carte postale de l’Exposition
de Toulouse de 1908
204
2. « L’exposition coloniale de 1931. Cartographie de l’imaginaire colonial »
208
3. Menu gastronomique de la Société de géographie de Toulouse (1903)
209
4. Universalité de la culture, critique de l'ethnocentrisme
211
Stages de formation
220
V. Outils
Bibliographie & filmographie
Sitographie
221
221
232
Conclusion & Perspectives
253
3
ENSEIGNER LE FAIT COLONIAL
I. PRÉSENTATION GÉNÉRALE
Pourquoi une recherche-formation centrée sur l’enseignement du fait colonial nous a-t-elle
semblé, il y a trois ans, constituer une démarche pertinente ? Pourquoi s’intéresser spécifiquement à
l’enseignement du passé colonial, élément somme toute mineur dans la profusion des programmes
d’histoire-géographie des collèges et lycées ? Et pourquoi, lors de la constitution de notre groupe en
septembre 2006, réunir les forces d’enseignants d’histoire-géographie, mais aussi de lettres et de
philosophie ? C’est qu’il apparaît que l’enseignement du fait colonial n’est pas, à l’heure actuelle,
tout à fait un enseignement comme les autres. Il appartient à cette catégorie un peu floue des
« questions sensibles » sur lesquelles se penchent régulièrement chercheurs et enseignants Ŕ tant la
question des interférences entre mémoire et histoire vient à la fois perturber et aiguillonner la
perception de ce passé, son interprétation et sa transmission aux jeunes générations.
Les sociétés multiculturelles et multiethniques de l’Europe actuelle sont, à bien des égards, des
sociétés que l’on peut qualifier de « postcoloniales » : elles sont le produit direct des héritages
anciens de l’expansionnisme occidental et du triomphe durable de l’impérialisme des XIX e et XXe
siècles. Mais, à bien égards, cette vieille histoire coloniale Ŕ que l’on1 a voulu trop vite ranger au
magasin des accessoires hors d’usage à partir des années 1960 Ŕ fait retour depuis quelques années :
comme l’ont plaisamment exprimé des pionniers des études postcoloniales anglophones, il semble
que depuis une bonne décennie, « l’Empire contre-attaque »2…
La résurgence des « mémoires coloniales » dans le débat public a, en effet, été multiforme ces
dernières années. Depuis le début des années 2000, la mémoire des Français Ŕ mais aussi, ne
l’oublions pas, des Belges, des Britanniques, des Allemands, des Japonais, etc.3 Ŕ a été sollicitée par
de nombreux témoignages, films documentaires, publications, événements médiatiques. Du procès
Aussaresses à l’exaltation des troupes coloniales lors de la commémoration du débarquement de
Provence, de la très controversée loi du 23 février 2005 au succès médiatique du film Indigènes,
plusieurs éléments ont réactivé les souvenirs enfouis des temps coloniaux. Çà et là, les passions se
sont ranimées chez certains « porteurs de mémoire », ressuscitant d’anciennes guerres mémorielles4.
Et le monde des historiens n’a pas été en reste : il a pris sa part dans cette résurgence, qu’il se soit
agi d’analyser la torture en Algérie pendant la guerre d’indépendance 5, de rédiger le « livre noir du
colonialisme »6, d’interroger Vichy par sa face coloniale7 ou de réfléchir aux processus
1
Un consensus s’est en effet établi pour oublier rapidement le passé colonial : les pouvoirs politiques européens
confrontés aux nouveaux défis des Trente glorieuses, les sociétés occidentales en voie de modernisation rapide, les
jeunes États indépendants du Sud, les historiens eux-mêmes lassés de la « vieille » histoire de la colonisation…
2
Bill Ashcroft & al. The Empire writes back. Theory and Practice in Postcolonial Literatures, London, Routledge,
1988.
3
Sur la « mondialisation » des mémoires coloniales, voir le remarquable numéro de la revue Politique africaine,
« Passés coloniaux recomposés. Mémoires grises en Europe et en Afrique », n° 102, juin 2006.
4 Voir par exemple le récit ouvrage de Benjamin Stora La guerre des mémoires. La France face à son passé colonial
(entretiens avec Thierry Leclère), Paris, éditions de l’Aube, 2007.
5
Raphaëlle Branche, La torture et l’armée pendant la guerre d’Algérie, Gallimard, 2001 ; Sylvie Thénault, Une drôle
de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La Découverte, 2001.
6
Marc Ferro (éd.), Le livre noir du colonialisme, XVIe-XXIe s. De l’extermination à la repentance, Robert Laffont,
2003.
4
d’instrumentalisation du passé actuellement à l’œuvre8.
Certains élèves de collège et de lycée, très variés dans leurs origines, ont réinvesti le champ du
passé colonial sur le mode mémoriel et identitaire, laissant parfois les enseignants un peu démunis
devant des attentes passionnelles et contradictoires. Des enseignants ont vu émerger, au sein de
leurs classes, des discussions en lien avec certaines thématiques présentes dans le débat public :
questions sur l’esclavage et la traite négrière ou sur la torture en Algérie, débats autour la répression
du 17 octobre 1961 ou autour de l’article 4 de loi du 23 février 2005 (promouvant l’enseignement
du « rôle positif » de la colonisation), sur le rôle des troupes coloniales dans la Libération de la
France, etc. La filiation entre colonisés, travailleurs immigrés et ressortissants des « 2e et 3e
générations » Ŕ posée un peu rapidement et de manière souvent simpliste et mécanique Ŕ a
également remporté un relatif succès médiatique et contribué à passionner le débat sur les identités
contemporaines, tout en le faussant en grande partie.
Des finalités à la fois scientifiques, citoyennes et pédagogiques justifient donc la nécessité de
nous interroger, comme l’ont déjà fait d’autres collègues, sur la spécificité de l’enseignement du fait
colonial aujourd’hui.
Notre groupe de travail s’est régulièrement réuni à partir de septembre 2006, à raison de huit
rencontres par an environ. Comme on s’en doute, chacun des membres du groupe était déjà, à titre
personnel et professionnel, intéressé par les problématiques coloniales :

Anne DEVLAEMINCK, professeur certifié de Lettres modernes au collège ToulouseLautrec de Toulouse, s’intéresse à de nombreux auteurs que l’on peut qualifier de
« postcoloniaux » (Leïla Sebbar, Kim Lefèvre, etc. ) et, depuis plusieurs années, fait
travailler ses élèves sur la littérature d’expression française.

Jean-Louis DONNADIEU, professeur agrégé d’Histoire-géographie au lycée Pardaillan
d’Auch, a soutenu une thèse de doctorat d’histoire sur le comte de Noé, aristocrate
gascon du XVIIIe siècle qui était également un grand propriétaire colonial à SaintDomingue (Haïti).

Jérôme GIRARD, professeur certifié d’Histoire au lycée Ozenne de Toulouse, est
particulièrement intéressé par l’histoire de l’Indochine et de l’Algérie. Il a conçu et
organisé plusieurs stages dans le cadre du PAF sur l’enseignement du fait colonial.

Bernard MEYER, professeur certifié de Philosophie au lycée Toulouse-Lautrec de
Toulouse s’intéresse de près, dans le cadre de son enseignement, à diverses
problématiques liées aux droits de l’homme (pensée des Lumières, altérité, liberté…). Il
fait travailler ses élèves sur des textes de penseurs postcoloniaux (Franz Fanon,
Théophile Obenga, etc.).

Marie POLDERMAN, Professeur-documentaliste certifiée au collège Lamartine de
Toulouse, a soutenu une thèse de doctorat d’histoire sur l’histoire de la Guyane coloniale
des XVIIe et XVIIIe siècles.

Sophie DULUCQ, Professeur d’Histoire contemporaine à l’université de Toulouse-le
Mirail, a été l’« experte » du groupe de recherche-formation. Elle est spécialiste de
l’Afrique subsaharienne à l’époque coloniale et a dernièrement travaillé sur la
7
Eric Jennings, Vichy sous les Tropiques, Grasset, 2004 ; Jacques Cantier, L’Algérie sous le régime de Vichy, Odile
Jacob, 2002 ; le n° spécial de la revue Outremers « Vichy et les colonies », 1er semestre 2004 ; Jacques Cantier et Eric
Jennings (dir.), L’Empire colonial sous Vichy, Odile Jacob, 2004.
8
Cf. Isabelle Merle et Emmanuelle Sibeud, « Histoire en marge ou histoire en marche. La colonisation entre repentance
et patrimonialisation », Communication au colloque La politique du passé : constructions, usages et mobilisation de
l’histoire dans la France des années 1970 à nos jours (Paris I, 25-26 septembre 2003), consultable sur le site
<http://histoire-sociale.univ-paris1.fr/Collo/Merle.pdf>.
5
constitution des savoirs dits coloniaux.

Colette ZYTNICKI, Maître de conférences (habilitée à diriger des recherches) en Histoire
contemporaine à l’université de Toulouse-le Mirail, est venue à titre bénévole prêter
renfort à notre groupe de réflexion. Elle est spécialiste du Maghreb colonial et a
dernièrement travaillé sur les juifs en situation coloniale.
De par la composition du groupe, les domaines couverts étaient vastes sur le plan chronologique
et spatial : nous avons ainsi été amenés à étendre notre réflexion par-delà la césure traditionnelle
(très franco-française, voir infra) entre 1re (XVIe Ŕ XVIIIe siècles) et 2e colonisation (XIXeŔ XXe
siècles). Nos centres d’intérêt nous ont fait voyager des Antilles à l’Indochine, de la Guyane à
l’Afrique… Enfin, la dimension pluridisciplinaire a été source d’enrichissements réciproques : le
recours aux textes littéraires et philosophiques pour enseigner le fait colonial est, sans aucun doute,
d’une grande efficacité pédagogique. Nous souhaitons que cette dimension pluridisciplinaire puisse
susciter des expériences de collaboration entre enseignants d’histoire, de lettres, de philosophie et
spécialistes de documentation.
6
II. DÉMARCHE
Au fil de nos réunions de travail, nous avons été amenés à réfléchir aux enjeux mémoriels qui se
nouent autour de la question coloniale, mais aussi aux acquis Ŕ généralement méconnus Ŕ de la
recherche historique sur cette question dont l’étude a été constamment travaillée par les chercheurs
depuis plusieurs décennies. Cette histoire est éminemment complexe. C’est celle d’une domination,
bien sûr, mais dont l’approche en termes de bilan positif ou négatif ne peut rendre compte de
manière satisfaisante. C’est l’histoire d’une exploitation économique (du travail servile des colonies
d’Ancien régime au travail forcé des territoires coloniaux modernes), mais aussi celle de l’entrée
dans la modernité et dans la mondialisation des pays colonisés. C’est l’histoire, enfin, de sociétés
coloniales profondément inégalitaires, en proie au racisme institutionnalisé et aux préjugés de toutes
natures, mais qui furent aussi le terrain de métissages et de brassages et le lieu d’émergence d’élites
et de formes nouvelles d’organisation.
Nous avons bien conscience que, dans le contexte actuel de résurgence des mémoires, prôner
une approche dépassionnée de l’histoire du fait colonial n’est pas sans risques. La subtilité
grandissante des analyses des spécialistes, l’émiettement des objets historiques, peuvent amener le
grand public au sentiment d’une perte de sens, comme s’il était devenu impossible d’identifier des
responsabilités dans la domination impériale passée, de désigner des « coupables », de mesurer la
nocivité des héritages. En soulignant l’ambiguïté et la complexité des expériences coloniales, les
historiens ne risquent-ils pas de se trouver en porte-à-faux, face à une demande sociale en quête
d’analyses simples et efficaces pour comprendre le passé et agir dans le présent ?
Il n’est certes pas question de plaider pour une historiographie qui, dans sa tour d’ivoire, serait
en rupture complète avec la demande sociale. Mais une chose est de s’ériger en « recteurs de la
mémoire », selon le mot de Pierre Nora, une autre de proposer une véritable histoire plurielle de la
colonisation française qui doit contribuer à penser le passé colonial, en maintenant la tension entre
exigence scientifique et fonction sociale de l'historien.
Les programmes actuels privilégient l’étude de la colonisation vue du côté des colonisateurs,
ainsi que l’analyse des processus de décolonisation Ŕ ce qui laisse en friche tout un pan de l’histoire
de la colonisation proprement dite sur laquelle nous souhaitons insister : celui des sociétés
colonisées, de leurs acteurs, de leurs dynamiques, de leurs contradictions... Les recherches menées
en histoire depuis une vingtaine d’années creusent dans ces directions, travaillant par exemple des
questions centrales : celle des élites coloniales, des savoirs coloniaux, des « bricolages » culturels,
des formes de violence, des outils juridiques de la domination, des représentations, des femmes, des
métis, etc. La question des mémoires coloniales et post-coloniales est également un chantier de
recherche actif Ŕ qu’il s’agisse de la mémoire des ex-colonisés ou des ex-colonisateurs. Nous avons,
en 2008-2009, défini un programme de travail détaillé, autour de thématiques selon leur importance
dans les programmes scolaires, en fonction des compétences spécifiques de chaque membre du
groupe et en relation avec des problématiques de recherche qui nous semblaient particulièrement
pertinentes.
Notre groupe se propose, dans ce rapport final, de fournir quelques mises au point sur ces
chantiers de recherche ouverts par les spécialistes actuels de la colonisation. Mais notre souci est de
permettre aux enseignants de concevoir des séquences pédagogiques en lien, d’une part, avec les
programmes et, d’autre part, avec la recherche contemporaine afin de répondre de manière
rigoureuse, dépassionnée et nuancée aux questions des élèves.
Plusieurs axes ont été privilégiés :
7
 La réalisation d’une enquête préliminaire auprès d’enseignants de l’Académie de
Toulouse.
Notre premier souci a été de consulter les enseignants d’Histoire, de Lettres et de Philosophie en
les interrogeant sur les connaissances des élèves en matière d’histoire coloniale, sur leurs pratiques
pédagogiques et sur leurs attentes vis-à-vis de notre travail.
 Un bilan rapide sur la place des questions liées à la colonisation / décolonisation dans les
programmes scolaires.
 Une mise au point synthétique sur la recherche actuelle en histoire de la colonisation (Bilan
historiographique).
 Des mises au point sur des thèmes précis, pouvant déboucher sur des leçons directement
utilisables par les enseignants de collège et lycée.
Chaque membre du groupe a été chargé de réaliser une mise au point sur un thème donné : état
des lieux scientifique, établissement d’une bibliographie, recherche et présentation de documents,
insertion dans les programmes, proposition de pistes d’exploitation pédagogique. Chacune de ces
présentations a donné lieu à une demi-journée de travail (exposé de deux heures puis discussion
générale). Certains de ces thèmes ont donné lieu à une mise en forme précise, distinguant différents
niveaux de réflexion : 1°) état des lieux des connaissances scientifiques ; 2°) bibliographie succincte
; 3°) dossier documentaire commenté ; 4°) pistes d’exploitation pédagogique.
 L’élaboration d’outils de travail efficaces
-
Des pistes bibliographiques accessibles
Une sitographie
Une filmographie
 Des propositions de stages dans le cadre du PAF
8
III. REPÈRES
 ENQUETE AUPRES DES ENSEIGNANTS D’HISTOIRE-GEORGRAPHIE, DE LETTRES ET
DE PHILOSOPHIE DE L’ACADEMIE DE TOULOUSE
Nous avons envoyé, via les coordonnateurs des disciplines concernées, un questionnaire à tous
les établissements (collèges et lycées) de l’Académie de Toulouse en janvier 2007. Nous avons eu
74 réponses (51 en Histoire, 22 en Lettres et 2 en Philosophie) que nous avons analysées et qui nous
ont servi de point de départ pour définir notre démarche pour les deux ans à venir.
QUESTIONNAIRE PROPOSE AUX ENSEIGNANTS D’HISTOIRE-GEOGRAPHIE
Les élèves et l’histoire du fait colonial
Connaissances préalables des élèves
En collège :
- Grosse majorité de réponses : connaissances lacunaires ou très lacunaires mais les idées des élèves
ne sont généralement pas très arrêtées sur ces questions. Cependant, dans quelques établissements
(ZEP, ou classes avec élèves d’origines diverses), apparaissent déjà quelques opinions formées.
En lycée :
Grosse majorité de réponses : connaissances lacunaires et partisanes, forts préjugés. Influence
notable de la composition de la classe : enfants de familles issues de l’immigration, descendants de
Pieds-Noirs ou de Harkis…
À quoi renvoient pour les élèves les termes « colonisation », « décolonisation » ?
Beaucoup d’enseignants signalent que les élèves ont peu de repères et que l’histoire de la
colonisation renvoie à un passé très lointain qui les concerne peu.
En collège :
Pays lointains, colonisation américaine, conquête et exploitation, soumission, esclavage des Noirs,
injustice…
En lycée :
Pour la colonisation : Exploitation, racisme, domination, inégalité, Afrique, Algérie.
Pour la décolonisation : presque systématiquement guerre d’Algérie, parfois l’Inde et Gandhi.
Qu’est-ce qui suscite le plus d’intérêt ?
En collège :
Grosse majorité des réponses : guerre d’Algérie
De façon plus secondaire : traite négrière, Inde (Gandhi)
En lycée :
Grosse majorité des réponses : guerre d’Algérie
Également, mais un peu moins fréquemment : relations colonisateurs/ colonisés, souffrances des
9
colonisés, décolonisation en général.
N.B. : Beaucoup de questionnaires ne répondent pas à cette question.
Quel rôle joue l’origine et la mémoire dans l’approche du sujet ?
Les réponses varient fortement selon le type d’établissement et la composition socioculturelle des
classes. De façon assez attendue, plus les origines des élèves sont diverses (notamment enfants de
familles originaires du Maghreb ou d’Afrique subsaharienne, descendants de pieds-noirs, etc.), plus
le rôle des mémoires familiales peut jouer, certains enseignants notant d’ailleurs que cela intervient
souvent de manière positive.
Mais on ne saurait négliger un nombre important de non réponses, de réponses nuancées (signalant
notamment la grande variabilité d’une classe à l’autre), de réponses soulignant l’indifférence par
rapport à ces questions.
Lorsque l’on constate des « effets d’origine et de mémoire », c’est le plus souvent sur un registre
identitaire, notamment pour se situer dans une histoire familiale.
Fait colonial et pratiques des enseignants
À quel(s) niveau(x) traitez-vous des thématiques coloniales et postcoloniales ?
Questions traitées à tous les niveaux des collèges et de lycées généraux, de manière plus
approfondie en 5e, 4e, 3e et 1re, Terminale. Plusieurs enseignants abordent aussi ces questions dans
des formations professionnelles : CAP, BEP.
Lectures
-Manuels du secondaire.
-Travaux universitaires (Catherine Coquery-Vidrovitch, Chesneaux, Yves Benot, Marcel Dorigny,
Benjamin Stora, Mohammed Harbi, Jacques Marseille, Griaule, M’Bokolo, Girardet, Ferro, etc.) ou
spécialisés (Pascal Blanchard, Sophie Bessis, Dossier du Monde Diplomatique/ Manières de voir,
Alain-Gérard Slama, article du Monde).
-Revues (L’Histoire), documentation photographie, catalogues d’exposition.
-Littérature : Œuvres de Senghor, Diop, Sartre (Orphée Noir), Daeninckx.
-Témoignages directs : récits de conquête, récits de « colonisés »…
Accordez-vous une place privilégiée ou spécifique à ces thèmes ?
Sur 50 questionnaires :
- pas de réponse : 5
- « oui » : 7
- « non » : 24
- autres réponses (« non mais », « ça dépend », « non sauf pour », « oui et non ») : 14
Abordez-vous cette question de manière indirecte ?
100% répondent « oui »
Exemples les plus cités : Troupes coloniales dans les 1e et 2e guerres mondiales, travailleurs
migrants durant les Trente Glorieuses.
Autres exemples : abolition de l’esclavage en 1848, expositions universelles, francophonie, précarré de la France, « Françafrique », le génocide rwandais…
10
Éducation civique : sur la citoyenneté et la nationalité…
Quels manuels et quels documents privilégiez-vous ?
Très grande diversité des manuels utilisés (pas de plébiscite pour un manuel en particulier)
En collège, manuels cités :
Belin 5e, Hachette 6e et 4e, Hatier 4e et 3e, Nathan 3e, Magnard 3e, Belin 3e.
En lycée, manuels cités :
Nathan Terminale, Belin 1re STI, Hachette 1re et Terminale, Bréal 1re et Terminale, Hatier 1re,
Magnard 1re et Terminale.
Documents divers utilisés (hors manuels)
CD-Rom Nathan
Cinéma (ex. Controverse de Valladolid, Indigènes, extraits des Fragments d’Antonin,
documentaires divers : Nanterre dans les années 1960, documentaires divers d’Arte), chanson (Je
suis franc de Magyd Cherfi), littérature (ex. Terre d’Ebène d’Albert Londres, Le gone du Chaâba
d’Azouz Begag )
Dossiers documentaires sur Internet (ex. sur l’Algérie récupéré sur le site eduscol)
Textes divers
Sites Internet
Iconographie, affiches, publicités, photographies…
Avez-vous une approche spécifique de ces questions ?
18 enseignants (sur les 50 enquêtés) estiment ne pas mettre en œuvre des moyens différents de ceux
utilisés pour d’autres leçons Ŕ et certains disent explicitement qu’ils s’y refusent (au motif que c’est
une histoire comme une autre).
Dans les autres cas, parmi les approches privilégiées : films, études iconographiques, questionnaire
sur la mémoire familiale (mais ça n’a pas très bien fonctionné ou c’est délicat), analyses de textes.
8 ne répondent pas à la question.
Collaboration éventuelle avec professeurs de Lettres
Sur 50 questionnaires :
- Pas de réponse : 8
- « Non » : 34
- « Oui » : 8
Parmi ceux qui répondent « non », quelques regrets exprimés sur cette absence de passerelles.
Le fait colonial : une question sensible ?
Le thème est-il plus « délicat » à enseigner que les autres ?
- 10 % ne répondent pas à cette question.
- Une moitié répond « non », de façon parfois argumentée : l’historien n’est pas un juge, il faut
dépassionner, il faut restituer la complexité et le contexte et non pas faire de l’histoire un tribunal.
Mais ce n’est pas plus délicat que d’autres thèmes « difficiles » du programme.
11
- Un gros tiers répond « plutôt oui », notamment en fonction de risques d’instrumentalisation par
certains élèves. Cela dépend aussi de la composition socioculturelle des classes ; parfois, sur ces
questions, il y a des préjugés plus ancrés que pour d’autres thèmes (rôle des mémoires familiales ?).
Par ailleurs, il y a des risques de renforcer un discours de victimisation et d'interférence avec le
débat public. De plus, certains jugent que cela fait partie des heures les plus difficiles de notre
histoire. Dans ces conditions, il est difficile pour les élèves de s'identifier à l'histoire nationale.
Résurgence des mémoires et enseignement du fait colonial/postcolonial ?
- Une majorité pense que cela ne rend ni plus facile ni plus difficile cette question car les élèves
sont peu touchés par ces aspects mémoriels.
- Une autre partie considère que la sensibilisation des élèves est un bon point d'appui et stimule la
curiosité des élèves, même si c'est à double tranchant : préjugés ancrés (2 cas d'antisémitisme et de
racisme exprimés en classe) ou la médiatisation excessive qui amène des positions caricaturales ou
à des connaissances manichéennes.
L'actualité joue-t-elle un rôle dans le traitement du fait colonial ?
Parmi les quelques réponses exploitables, il apparaît que les élèves sont peu informés, mis à part
lorsqu'il s'agit d'événements très médiatisés comme la sortie du film Indigènes. Cependant, le
recours à l'actualité peut être un bon point de départ au traitement du fait colonial.
Y a-t-il une influence du débat public lié au fait colonial sur le métier d'enseignant ?
Une majorité présente un souci accru de prudence et de rigueur historique. Certains pensent que
cela n'a aucune influence.
Suggestions et attentes
Les enseignants qui ont répondu attendent essentiellement :
- une mise au point scientifique.
- la mise à disposition de bibliographies et de corpus documentaires.
QUESTIONNAIRE PROPOSE AUX ENSEIGNANTS DE LETTRES
Faites-vous référence au fait colonial dans votre enseignement ?
Tous les professeurs qui ont répondu au questionnaire font référence au fait colonial dans le cadre
de leur enseignement, au collège comme au lycée et à tous les niveaux.
Niveaux, séquences et supports ?
Collège :
6e : une œuvre intégrale (cf. La forêt d'émeraude).
5e :
- les grandes découvertes, les récits de voyage et les carnets de route : Bougainville, Colomb, ,
Cortès, Diderot, Las Casas, Jean de Léry, Montaigne, Marco Polo, T.Monod,...
- les œuvres intégrales (cf. le thème du mythe de Robinson avec Vendredi ou la vie sauvage...).
4e :
- la satire du discours critique et le débat sur l'esclavage au XVIIIe siècle : Diderot, Montesquieu,
12
Voltaire (« Le nègre de Surinam »), Bernardin de Saint-Pierre, Gobineau (Le discours sur l'inégalité
des races).
3e :
- le lyrisme en poésie : Césaire, Senghor, Depestre,...
- la poésie engagée : Césaire, Depestre,...
- le récit à visée argumentative : Daeninckx, Cannibale, Mérimée, Toumango,...
- le récit autobiographique : Chamoiseau, L'enfance créole, Duras, ...
Lycée :
Les professeurs qui ont répondu choisissent parfois des textes en rapport avec le fait colonial qui
correspondent aux programmes par exemple :
Seconde :
- l'altérité : découverte de l'Autre et de l'Aillleurs sans précision d'exemples de supports.
- l'apologue (discours critique).
- l'éloge et le blâme.
Première :
- TPE : Memmi, Portrait du colonisé, Gide, Voyage au Congo.
- groupement de textes sur la francophonie : Chamoiseau, Césaire, Glissant, Senghor,...
- l'argumentation avec le travail sur l'Autre et le racisme.
- le récit de vie autobiographique.
Avez-vous recours à des auteurs originaires de l'ex-Empire colonial ?
Quinze professeurs ont répondu de manière affirmative. Les autres n'étudient pas ces auteurs par
manque d'intérêt ou ne les connaissent pas.
Les auteurs sont assez variés : Ben Jelloun, Césaire, Chamoiseau, Condé, Memmi, Ousmane,
Senghor,...
Intégrez-vous des thématiques coloniales et postcoloniales dans votre enseignement ?
Les professeurs qui ont répondu par l'affirmative ont recours à des groupements de textes, des
études d'images, l'organisation de débats (en référence à l'actualité par exemple) et d'expositions
(utilisant des créations d'élèves),...
Les autres n'ont pas jugé utile de justifier la non-prise en compte de ces thématiques dans leur
enseignement.
Intérêt des professeurs pour des séquences consacrées au fait colonial ?
L'ensemble des professeurs est intéressé par l'intégration des thématiques du fait colonial en
remarquant que la plupart la réalise déjà.
Les attentes et les suggestions
Une partie des professeurs semble favorable à une approche de ces questions en liaison avec le
professeur d'histoire et attend une meilleure connaissance de la littérature francophone.
13
 LES QUESTIONS COLONIALES DANS LES PROGRAMMES SCOLAIRES
Le phénomène colonial apparaît dans les programmes de collège et de lycée, de la 5e à la 3e, de
la 2e à la Terminale, avec les termes spécifiques de colonisation et de décolonisation, mais aussi
avec ceux de nouveau monde ou de traites négrières par exemple. Le traitement de la question du
fait colonial n’est pas toujours explicitement précisé comme par exemple, le rôle des « tirailleurs
africains » lors de la Première Guerre mondiale. Ce n’est pas forcément un problème car les
programmes sont des cadres qui se pensent et qui peuvent évoluer de l’intérieur. Par ailleurs, des
passerelles peuvent être établies avec la géographie, par exemple dans le programme actuel de la
classe de troisième sur le thème de l’immigration, ou avec l’éducation civique et l’image de la
femme. Le contenu des programmes actuels et à venir (cf les nouveaux programmes au collège)
montre une histoire essentiellement vue de la métropole, centrée sur le domaine français et
l’Afrique, et, où la référence au colonisé apparaît peu, même si le nouveau programme de 4e permet
l’étude d’un exemple au choix d’une société coloniale. Nous avons été forcés d’en tenir compte
pour répondre aux nécessités de ces programmes et des enseignants.
Nouveaux programmes collège
Les nouveaux programmes de collège qui entrent en vigueur en 6e en septembre 2009 font la part
large à l'histoire coloniale française.
L'approche littéraire concerne plus particulièrement la lecture de textes « porteurs d'un regard sur
l'histoire et le monde contemporain d'oeuvres du patrimoine en relation avec le programme
d'histoire ». L'étude précise des philosophes des Lumières n'apparaît plus explicitement.
En 5e (2010)
Du Moyen Age aux Temps modernes
IV. Vers la modernité fin XVe-XVIIe siècle (environ 40% du temps consacré à l’histoire)
Connaissances. Les découvertes européennes et la conquête des Européens ouvrent le monde aux
européens.
Démarches. Ouverture au monde :
- un voyage de découverte et un épisode de la conquête ;
- une carte des découvertes européennes et des premiers empires.
Capacités. Raconter et expliquer un épisode des découvertes ou de la conquête de l’empire
espagnol d’Amérique.
En 4e (2011)
Du siècle des Lumières à l’âge industriel
1. L’Europe et le monde au XVIIIe siècle (environ 25% du temps consacré à l’histoire)
Thème 3 Ŕ Les traites négrières et l'esclavage
Connaissances. La traite est un phénomène ancien en Afrique. Au XVIIIe siècle, la traite atlantique
connaît un grand développement dans le cadre du «commerce triangulaire » et de l’économie de
plantation.
Démarches. La traite atlantique est inscrite dans le contexte général des traites négrières. L’étude
s’appuie sur un exemple de trajet de cette traite.
Capacités. Raconter la capture, le trajet, et le travail forcé d’un groupe d’esclaves.
14
3. Le XIXe siècle (environ 50% du temps consacré à l’histoire)
Thème 4 Ŕ Les colonies
Connaissances. Les conquêtes coloniales assoient la domination européenne. Les colonies
constituent, dès lors, un monde dominé confronté à la modernité européenne.
Démarches. Étude: d’un exemple au choix de conquête coloniale et d’un exemple au choix de
société coloniale.
Capacités. Connaître et utiliser le repère suivant : les principales colonies britanniques et françaises
en 1914. Décrire et expliquer quelques unes des modifications introduites par l’arrivée des
Européens dans un territoire colonisé
En 3e (2012)
Le monde depuis 1914
III Ŕ Une géopolitique mondiale (depuis 1945) ( environ 25% du temps consacré à l’histoire)
Thème 2 Ŕ Des colonies aux états nouvellement indépendants
Connaissances. Dès le lendemain du conflit mondial, grandissent des revendications qui
débouchent sur les indépendances. Les nouveaux États entendent être reconnus sur la scène
internationale, notamment par le biais de l’ONU.
Démarches. L’étude est conduite à partir d’un exemple au choix : l’Inde, l’Algérie, un pays
d’Afrique subsaharienne. Elle porte sur le processus de la décolonisation, les problèmes de
développement du nouvel État et ses efforts d’affirmation sur la scène internationale. Les
décolonisations sont présentées à partir d’une carte.
Capacités. Connaître et utiliser le repère suivant. Principale phase de la décolonisation : 1947-1962
Raconter la manière dont une colonie devient un État souverain. Décrire quelques problèmes de
développement auxquels ce nouvel État est confronté
Programmes de lycée
En Seconde
Education civique, juridique et sociale
Les quatre grands thèmes d’éducation civique en Seconde (citoyenneté et civilité,
citoyenneté et intégration, citoyenneté et travail, citoyenneté et transformation des liens familiaux)
peuvent se prêter à une réflexion sur ce que fut l’esclavage dans les colonies françaises et l’héritage
qu’il en reste aujourd’hui, notamment les questions d’intégration et de travail.
Ainsi, par exemple, dans le cadre du travail, on peut aborder une réflexion globale sur l’évolution
des lois du travail en France, en démarrant du degré zéro (l’esclavage) pour arriver à la situation
d’aujourd’hui (Code du travail, lois, conventions collectives, prud’hommes, syndicats, congés,
grèves, chômage, lutte contre l’esclavage moderne…) pour que les élèves comprennent que nos
conditions de travail aujourd’hui ne sont pas tombées du ciel mais sont le résultat d’un long
processus, souvent issu de rapports de force et toujours susceptible d’être remis en question.
L’approche de l’esclavage peut, par exemple, se faire à partir de la situation dans les îles à sucre
françaises au XVIIIe siècle. Outre l’étude de la condition servile, occasion peut être prise de se
pencher sur quelques figures qui, du fait des circonstances et de leurs talents, se sont distingués,
parfois tragiquement (Toussaint Louverture, Jean-Baptiste Belley, Louis Delgrès, le chevalier de
Saint-George, Makandal, Guillaume Léthière, Edmond Albius, Catherine Flon, la mulâtresse
Solitude, etc.).
15
La question de l’intégration peut évidemment permettre un questionnement sur la
provenance géographique des migrants et les liens historiques entre leur pays d’origine et la France,
ainsi que leur évolution dans le temps…
Histoire
L’étude de la démocratie athénienne peut rappeler que ce modèle politique est en partie
permis du fait qu’une nombreuse population servile permettait à Athènes de produire, ce qui
dégageait du temps pour les citoyens (par ailleurs, ne pas oublier que le trésor de la ligue de Délos
est détourné par Athènes pour indemniser les citoyens afin de favoriser leur participation aux
assemblées).
L’étude de la Renaissance et l’Humanisme est l’occasion d’évoquer l’arrivée des Européens
aux Amériques et l’instauration progressive du système esclavagiste, auprès de populations
autochtones d’abord, puis en important des esclaves Noirs d’Afrique ensuite, dans les mines d’or ou
d’agent et dans un vaste ensemble de plantations agricoles à des fins d’exportation (tabac, cacao,
sucre, café, coton, indigo, cannelle, muscade…). Le débat pour ou contre la colonisation est
alimenté très tôt par des penseurs comme Victoria, Las Casas, Sepulveda ou Montaigne, les
« réductions » jésuites sont un moyen de protéger les populations amérindiennes du manque de
scrupules de certains colons…
L’étude de la Révolution française permet d’aborder clairement la situation et l’évolution du
premier empire colonial français à cette époque.
Une heure de module peut être l’occasion de travailler sur la vie quotidienne dans les sucreries, ou
d’étudier la condition de l’esclave, ou encore d’examiner les « temps forts » de la secousse
révolutionnaire outre-mer, qui conduit notamment à la première abolition de l’esclavage par la
Convention (16 pluviôse An II, 4 février 1794) et à son rétablissement par Bonaparte, à
l’indépendance de la partie française de Saint-Domingue (Haïti) le 1er janvier 1804 (première
défaite de Bonaparte), à la perte d’autres îles (Dominique, Sainte-Lucie, Grenade, Tobago, Ile de
France) ou à l’installation des Anglais au Cap ou à Ceylan.
Si ces points ne sont pas traités en module, ils peuvent être rapidement abordés en une heure de
cours.
En Première L, ES, S, STG, ST2S, STI/STL
L’étude de la IIe République ou de l’évolution du peuple français de 1848 à 1914 sont l’occasion
d’aborder l’abolition de l’esclavage en 1848 mais aussi ses conséquences.
Cette abolition n’a pas été seulement décrétée « d’en haut », par quelques philanthropes européens
dont Victor Schœlcher serait le modèle. Des mulâtres (Cyrile Bissette ou François-Auguste
Perrinon, pour ne parler que du cas martiniquais) ont aussi été partie prenante d’un débat qui ne
s’est pas confiné à quelques cercles éclairés, et les esclaves eux-mêmes ont joué un rôle
considérable, au point que les gouverneurs de Martinique et de Guadeloupe signent un décret
d’abolition de l’esclavage avant l’arrivée des représentants officiels de la République.
Par ailleurs, la question de l’évolution du peuple français peut être l’occasion de parler de
l’évolution de cette population ultramarine devenue citoyenne mais dont la condition sociale en fait
d’abord un prolétariat agricole. Le passage par l’école républicaine jacobine a pour ambition de tirer
cette population vers le haut mais, du passé faisant table rase, ne parle pas des racines historiques de
l’esclavage, si bien que de génération en génération cette douloureuse question identitaire est
transmise par des histoires de famille, avant de se transformer en large une demande sociale.
L’autre grande question est la colonisation de l’Afrique et d’une partie de l’Asie par les puissances
européennes (sauf pour la section S, qui aborde cette question en Terminale) : localisation des
empires, leur constitution progressive, le regard que le colonisateur porte sur son œuvre, les
résistances des colonisés, l’implication des empires coloniaux dans les deux conflits mondiaux
16
(troupes, mais aussi ravitaillement, théâtres de combats ou relais géostratégiques : combien d’élèves
savent que la France Libre du général de Gaulle commence à avoir une existence concrète avec le
ralliement de l’Afrique Equatoriale Française (août-octobre 1940) et que le drapeau tricolore frappé
de la croix de Lorraine est créé à Brazzaville ?)
Enfin, le thème de la décolonisation est étudié en STI/STL dans la perspective de l’épreuve
anticipée du baccalauréat d’histoire-géographie.
En Terminale L, ES, S, STG, ST2S
La grande question est celle de la décolonisation (et aussi, très rapidement abordée, de la
colonisation pour la section S) : revendications des colonisés, attitudes des métropoles, processus
d’indépendance (violent ou négocié), liens (économiques, politiques, culturels, démographiques…)
postérieurs aux indépendances... ainsi que l’évolution interne des sociétés des anciennes puissances
coloniales…
Lycées professionnels
En classe de seconde, les programmes abordent explicitement la question de l’organisation d’une
plantation sucrière ou caféière. On peut aussi évoquer rapidement les débats suscités autour de la
question de l’esclavage, notamment durant la Révolution française et, dans le cas français, rappeler
qu’il y a eu deux processus d’abolition.
17
 UN RAPIDE BILAN HISTORIOGRAPHIQUE
Quelques repères sur l’historiographie de la 1re colonisation
Un chantier de recherche dynamique
Parmi les travaux sur la traite négrière, les chercheurs anglophones, américains en tête, ont dès
les années 19609 eu une nette longueur d’avance sur le reste de la communauté historienne. En
France, il a fallu attendre un congrès fondateur en 198510 pour que cette question commence
vraiment à sortir de la confidentialité où elle évoluait. Les recherches se sont d’abord orientées vers
l’étude des traites occidentales (Atlantique et Océan Indien), pour laquelle la documentation est
importante et accessible. On ne saurait oublier le rôle incitatif de l’UNESCO dans cette vaste
enquête, notamment pour son inventaire des sources documentaires, des lieux de mémoire11 et pour
son action en direction de la jeunesse (opération « Briser le silence », programme « Route de
l’esclave »). Certains chercheurs explorent aussi l’histoire des traites orientales 12 ou s’interrogent
sur les traites internes à l’Afrique. Tout un pan de l’historiographie questionne également les
mouvements abolitionnistes, l’évolution de leurs discours et de leurs actions, leurs figures de proue,
leur influence13, sans oublier d’analyser les fondements idéologiques du système esclavagiste et les
représentations de l’image du Noir dans les sociétés occidentales14. Ce dynamisme a conduit à la
mise en place par le CNRS d’un Centre International de Recherches sur les Esclavages (CIRESC)
pour donner davantage d’écho aux travaux et faciliter la mise en relation des chercheurs.
On y voit désormais un peu plus clair du point de vue quantitatif sur les traites : probablement
11 millions de déportés pour les traites occidentales et peut-être 17 millions pour les traites
orientales. On connaît également mieux les aspects sociaux, politiques et culturels qui ont contribué
à les alimenter ; on revisite les pratiques de négoce dans les lieux d’embarquement des esclaves 15 ou
à bord des vaisseaux négriers ; on s’intéresse au rôle de tous les acteurs dans les circuits de traite,
sans oublier la question essentielle des profits qui ont été tirés d’une telle entreprise, tant sur le plan
individuel (négociants, planteurs…) qu’au niveau des États impliqués. Bien entendu, les
controverses et les débats demeurent vigoureux16. Rappelons aussi que les témoignages sur la traite
négrière et sur l’esclavage sont fort anciens. Nombre de récits de témoins directs Ŕ voyageurs,
missionnaires, militaires et autres explorateurs Ŕ les évoquent en détail comme le feront, plus tard,
9
CURTIN (Philip), The Atlantic Slave Trade, a census, Madison, University of Wisconsin Press, 1969.
DAGET (Serge) (dir.), De la traite à l’esclavage, du XVe au XVIIIe siècle, Actes du colloque de Nantes, 1985, Nantes,
Paris, Centre d’étude du monde atlantique Ŕ Société française d’histoire d’outre-mer, 2 vol. 1988. Voir aussi METTAS
(Jean), Répertoire des expéditions négrières françaises au XVIIIe siècle, Paris, SFHOM 1978.
11
Voir par exemple Comité português de « A rota do escravo » (comité portugais de « La route de l’esclave ») Ŕ
UNESCO, Lugares de memoria da escravatura e do trafico negreiro (lieux de mémoire de l’esclavage et de la traite
négrière), Lisbonne, Centro de Estudos Africanos da Faculdade de letras da Universidade de Lisboa (sans date ; années
1990).
12
Ainsi, la récente synthèse de CHEBEL (Malek), L’esclavage en terre d’islam, Paris, Fayard, 2007.
13
Par exemple DORIGNY (Marcel), METELLUS (Jean), De l’esclavage aux abolitions, Paris, Cercle d’Art, 1998 ;
DORIGNY (Marcel), dir., Les abolitions de l’esclavage, de L.-F. Sontonax à V. Schœlcher, 1793-1848, Paris, UNESCO
Ŕ Presses universitaires de Vincennes, 1995 ; SCHMIDT (Nelly), Abolitionnistes de l’esclavage et réformateurs des
colonies, 1820-1851, Paris, Karthala, 2001.
14
Voir NOËL (Erick), Être noir en France au XVIIIe siècle, Paris, Tallandier, 2006, ou BOULLE (Pierre), Race et
esclavage dans la France de l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 2007.
15
Voir les études de LAW (Robin), Ouidah, The Social History of a West African Slaving Port, 1727-1892, Ohio
University Press, 2004, ou de DEVEAU (Jean-Michel), L’or des esclaves : histoire des forts du Ghana, du XVIe au
XVIIIe siècles, Paris, UNESCO et Karthala, 2005 (coll. « Mémoires des peuples : la route de l’esclave »).
16
Voir notamment les débats animés, au sein de la communauté des historiens, après la parution du livre d’Olivier
Pétré-Grenouilleau, Les traites négrières, essai d’histoire globale, Paris, Gallimard, 2004. Voir tout particulièrement les
critiques adressées à l’historien par Marcel Dorigny et Christiane Chivallon.
10
18
certains anciens esclaves au moment de rédiger leurs mémoires 17. Autant de témoignages qui
constituent aujourd’hui des sources précieuses pour la recherche et que des éditeurs ont contribué à
rééditer régulièrement.
Étant donné l’étendue du champ de recherche, non seulement dans l’espace mais aussi dans le
temps, l’un des grands défis à venir est de mener des travaux transversaux permettant d’affiner la
connaissance des traites et des esclavages qui ont impliqué des acteurs européens, africains,
asiatiques et américains. Le chercheur se heurte aux problèmes dus à l’éclatement géographique,
dans des cadres sociopolitiques différents. Cette difficulté à embrasser un ensemble multiforme et
multipolaire conduit bien souvent, inévitablement, à un relatif foisonnement des études à caractère
local (telle ou telle recherche sur le cas brésilien, martiniquais, guadeloupéen, haïtien, surinamien,
jamaïcain, réunionnais, mauricien, etc.)18. Mais un travail transversal commence à s’organiser sur le
plan international19, début de concrétisation du vœu formulé par Édouard Glissant dans un récent
rapport sur l’état de la question en France20.
Pour les chercheurs, il s’agit de mieux appréhender les sociétés esclavagistes dans leur
complexité. Après l’approche par études de cas (monographies d’habitations ou portraits de grands
propriétaires ou grands négociants)21, les études se sont par exemple réorientées sur le rôle, l’action
et l’influence des élites affranchies, ces « Libres de couleur » dont, par exemple, le nombre
augmente considérablement aux Antilles françaises à la veille de la Révolution. Comment ces
personnages s’inséraient-ils dans une société coloniale prompte à édicter des règlements
discriminatoires en leur défaveur ? Dans quelle mesure en reproduisaient-ils les schémas et les
codes (car ces anciens esclaves pouvaient être, à leur tour, propriétaires d’esclaves) 22 ? Il ne faut pas
oublier que c’est parmi ces élites que se recruteront les cadres de la nation haïtienne en émergence
ou des militants abolitionnistes comme Cyril Bissette ou François-Auguste Perrinon Ŕ pour ne
parler que du cas martiniquais Ŕ que la figure de Victor Schœlcher ne saurait faire oublier.
Dans le cas des colonies françaises, la question de l’initiative des abolitions de l’esclavage est
également au cœur de vigoureuses interrogations. L’origine du soulèvement des esclaves de la
Plaine du Nord (Saint-Domingue), dans la nuit du 22-23 août 1791, renvoie à la problématique
(controversée) de l’auto-libération23. Quant à l’état d’esprit des maîtres à la veille de la Révolution Ŕ
entre confiance en la Couronne et volonté d’émancipation à leur seul profit Ŕ, il a été depuis
17
Dans la sphère anglo-saxonne, Olaudah Equiano ou Frederick Douglass sont les noms les plus souvent cités. À
signaler, toujours dans la même aire, l’heureuse découverte et récente publication d’un roman autobiographique :
CRAFT (Hannah), The Bondwoman’s narrative, New York, Warner Books, 2002 (trad. française : Autobiographie
d’une esclave, Paris, Payot, 2006).
18
Pour l’outre-mer français, signalons, par exemple, pour la Guyane : POLDERMAN (Marie), La Guyane française de
1676 à 1763 : mise en place et évolution de la société coloniale, tensions et métissages, Matoury, Ibis Rouge éditions,
2004 ; pour la Réunion, GÉRAUD (Jean-François), Les esclaves du sucre, île Bourbon – 1810-1848, Saint-André,
Océan éditions, 2008…
19
Par exemple, dans le cadre du projet EURESCL, Programme européen de recherche sur les esclavages (auquel le
CIRESC participe), associant divers organismes et laboratoires européens et travaillant en collaboration avec des
universités africaines et américaines.
20
GLISSANT (Édouard), Mémoires des esclavages, Paris, Gallimard / La Documentation française, 2007.
21
Dans le domaine des monographies d’habitations et des portraits de colons se distingue le travail pionnier de Gabriel
Debien.
22
ROGERS (Dominique), Les libres de couleur dans les capitales de Saint-Domingue : fortune, mentalités et
intégration à la fin de l’Ancien Régime (1776-1789), Thèse de doctorat, Bordeaux III, 1999 ; KING (Stewart), Blue
Coat or Powdered Wig: Free People of Color in Pre-Revolutionary Saint-Domingue, Athens (Georgia) and London,
The University of Georgia Press, 2001 ; en 2005, la Société d’Histoire de la Martinique a présenté l’exposition Liberté,
égalité, citoyenneté, libres de couleur à la Martinique 1635-1848, exposition qui a été ensuite visible aux Archives
Nationales (Paris) et aux ANOM (Aix-en-Provence) en 2007.
23
de CAUNA (Jacques), L’Eldorado des Aquitains, Biarritz, Atlantica, 1998, p. 396-402. Du même auteur, voir aussi
« Toussaint Louverture et le déclenchement de l’insurrection de 1791 : un retour aux sources », DESSENS (Nathalie),
LE GLAUNEC (Jean-Pierre), Haïti, regards croisés, Paris, Manuscrits de l’Université, 2007, p. 231-250.
19
longtemps objet de questionnements24. C’est aussi avec profit que plusieurs historiens se sont
essayés à étudier le rôle des esclaves durant la Révolution française : par qui sont-ils encadrés, a-ton affaire à un phénomène de clientélisme à la romaine dans le processus conduisant à
l’indépendance de la première république noire du monde25 ? Quelles ont été les résistances lors du
rétablissement de l'esclavage ordonné par Bonaparte26 ? Comment appréhender la diversité des
scénarios, entre l’indépendance pour Haïti, la tragédie du Matouba en Guadeloupe, ou le statu quo
en Martinique ou à la Réunion ? Les modalités de la seconde abolition en 1848 sont également
largement revisistées aujourd’hui.
À cela, s’ajoute la dimension politique des processus envisagés. L’indépendance d’Haïti,
proclamée le 1er janvier 1804, formidable défi lancé à Bonaparte Ŕ il ne s’agit pas moins que de sa
première défaite, alors que le Premier Consul n’est pas encore couronné empereur Ŕ a évidemment
focalisé l’attention de nombreux historiens, caribéens27 ou français en premier lieu. Le regard s’est
bien sûr porté sur un personnage phare, Toussaint Louverture, qui est à placer au Panthéon des
Grands Américains au même titre que George Washington ou Simon Bolivar. Mais cette figure est
longtemps restée auréolée de légende ; ce n’est que très progressivement, et non sans peine, que la
recherche s’est dégagée de l’aura du Spartacus noir pour découvrir une personnalité au profil pour
le moins complexe28.
Entre enjeux de mémoire et travail d’histoire
Parallèlement, dans une France métropolitaine longtemps indifférente ou ignorante de ces
questions coloniales et post-coloniales, la publication en 2007 d’un Guide des sources de la traite
négrière, de l’esclavage et de leurs abolitions29 a montré combien les fonds d’archives français sont
riches et que l’on n’a pas fini d’en étudier le contenu. À ce précieux inventaire s’ajoutent des
papiers de famille qui dorment encore dans les greniers et qui , au hasard des découvertes, sont euxaussi susceptibles de donner des éclairages complémentaires, d’affiner la connaissance, et dans tous
les cas de la faire avancer, à la surprise parfois des érudits locaux qui méconnaissaient les liens de
leur région avec l’outre-mer30. Loin de relever d’une histoire à la marge, confinée de l’autre côté
des mers, la traite négrière et l’esclavage doivent retrouver une place importante dans l’histoire
nationale. Si des traces du passé esclavagiste sont effectivement repérables outre-mer, dans les
vestiges d’habitations, l’héritage culturel et certains lieux muséographiques, qu’en est-il des espaces
qui, en métropole même, en ont profité ? Dans le cas français, les ports de la façade atlantique,
Nantes, Bordeaux, La Rochelle, Le Havre, Saint-Jean-de-Luz, voire Marseille en Méditerranée, sont
connus pour avoir bâti une bonne part de leur prospérité grâce au commerce avec « les isles ». On
pense moins à l’intérieur des terres, aux châteaux et aux maisons de maître que certains
personnages, partis outre-mer, se sont fait construire ou ont embelli à leur retour, une fois leur
24
MAUREL (Blanche), Saint-Domingue et la Révolution française, les représentants des colons en France de 1789 à
1795, Paris, Presses Universitaires de France, 1943, ou DEBIEN (Gabriel), Les colons de Saint-Domingue et la
Révolution. Essai sur le club Massiac, Paris, Armand Colin, 1953.
25
PLUCHON (Pierre), Toussaint Louverture, un révolutionnaire d’Ancien Régime, Paris, Fayard, 1988.
26
BENOT (Yves), DORIGNY (Marcel) (dir.), Rétablissement de l’esclavage dans les colonies françaises, 1802.
Ruptures et continuités de la politique coloniale française (1800-1830), Paris, Maisonneuve et Larose, 2003.
27
Comme par exemple, au XIXe siècle, MADIOU (Thomas), Histoire d’Haïti (1847-48 pour les tomes 1 à 3, le reste
publié post mortem) ou ARDOUIN (Céligny), Essais sur l’histoire d’Haïti, 1865 [travaux précieux car s’appuyant sur
des témoignages de vétérans de la guerre d’indépendance d’Haïti].
28
Voir la mise au point de de CAUNA (Jacques), Toussaint Louverture et l’indépendance d’Haïti, Paris, Karthala,
2004.
29
Ouvrage coordonné par Claire SIBILLE et paru à la Documentation française.
30
Ainsi, dans le cas de la Gascogne, la Société Archéologique du Gers a-t-elle publié dans son Bulletin trimestriel, en
l’espace d’un an (entre juillet 2007 et mai 2008), deux articles originaux : des lettres du comte de Ferbeaux, propriétaire
d'habitations sucrerie en Martinique, s'étalant de 1845 à 1854, ainsi que l'inventaire de l'habitation martiniquaise
Tiberge, datant de 1771, retrouvé dans une vieille maison non loin de l’abbaye de Flaran.
20
fortune assurée, ou du fait d’un opportun mariage créole. Ces cas sont pourtant nombreux, y
compris dans des lieux a priori sans connexion avec l’outre-mer.
Depuis quelques décennies, des initiatives se sont multipliées et un certain marquage du
territoire a commencé, avec une accélération tangible dans les années 2000. Musées, lieux de
mémoire, plaques, expositions, réunions, colloques31, et maintenant commémorations, les initiatives
foisonnent. Parmi les grands points d’ancrage, on peut d’abord penser aux façades maritimes : le
musée des ducs de Bretagne à Nantes, celui de la Compagnie des Indes à Port-Louis (près de
Lorient), celui du Nouveau Monde à La Rochelle ou le musée d’Aquitaine à Bordeaux évoquent ce
passé. De 1992 à 1994, la manifestation récurrente des « Anneaux de la Mémoire » Ŕ qui a mobilisé
plus de 300 000 visiteurs Ŕ est devenue une référence et a largement contribué à lever un coin du
voile sur l’histoire des traites et de l’esclavage auprès d’un large public, à Nantes et au-delà.
À l’intérieur même du territoire métropolitain, les initiatives se font plus nombreuses. Dans
l’Est de la France existe aujourd’hui un parcours de découverte baptisé « Route des abolitions », qui
réunit le Fort de Joux (où a été emprisonné Toussaint Louverture), la Maison de la Négritude et des
Droits de l’Homme de Champagney, la Maison Abbé Grégoire d’Emberménil et la Maison
Schœlcher de Fessenheim. La Normandie commence à promouvoir une « route du Philanthrope »,
du nom du dernier vaisseau négrier, formellement identifié comme tel Ŕ toute ironie mise à part Ŕ,
parti du Havre en 1840. Les initiatives existent aussi outre-mer, évidemment : la ville de Mana
(Guyane) commémore l’œuvre de la sœur Anne-Marie Javouhey, originaire de Bourgogne ; à
Pointe-à-Pitre, un important mémorial est en chantier. Ces opérations s’ajoutent aux sites et
monuments déjà existants, aux Caraïbes comme à la Réunion.
Quant aux plaques commémoratives, elles se multiplient : à Paris, la rue Richepanse (général
ayant rétabli l’esclavage en Guadeloupe en 1802) a été renommée rue du Chevalier de Saint-George
(métis guadeloupéen dont on a redécouvert l’œuvre musicale) ; l’allée du parc du château gascon de
L’Isle-de-Noé s’appelle désormais « Allée Toussaint-Louverture » et la plaque devant l’entrée
rappelle la figure de Jean-Baptiste Belley, le premier député Noir à la Convention. Maintes autres
inscriptions fleurissent ici et là, inaugurées notamment à l’occasion de la journée du 10 mai,
récemment instituée journée commémorative nationale de l’abolition de l’esclavage. Et que dire du
potentiel mémoriel de maints autres lieux? L'Auvergne pourrait s’intéresser notamment à l'amiral
d'Estaing, gouverneur de Saint-Domingue, ou au marquis de Lafayette qui, en rachetant l'habitation
guyanaise « La Gabrielle », où poussaient girofle et cannelle, avait un projet d'émancipation
progressive de l'atelier servile. Au cœur du Berry, on peut aussi trouver la trace de liens forts avec
les « isles à sucre »32.
Le résultat est là : foisonnement des initiatives publiques ou privées, multiplication
d’émissions audiovisuelles, de films, de sites électroniques en ligne, de stages de formation
d’enseignants, souci de stimuler l’enseignement sur ces questions, hommage de la nation rendu à
Aimé Césaire lors de ses obsèques (20 avril 2008), idée de créer un mémorial national 33… On
remarque une certaine effervescence du débat public autour de ce passé douloureux, dans une
interaction stimulante entre recherche historique et quête mémorielle.
C’est que notre perception des choses a bien changé depuis le XVIIe siècle, depuis par
exemple cette année 1693, quand le père missionnaire dominicain Jean-Baptiste Labat arrive en vue
de Saint-Pierre, en Martinique. Accoudé au bastingage du bâtiment qui l’a amené « aux isles »,
quelle est sa première impression ? « Il vint beaucoup de nègres à bord ; ils n’avaient pour tout
habillement qu’un simple caleçon de toile, quelques-uns un bonnet ou un méchant chapeau,
beaucoup portaient sur leur dos les marques des coups de fouet qu’ils avaient reçus : cela excitait
31
Ainsi, la Guyane a organisé son premier colloque « Guyane, Histoire et Mémoire » en 2005.
Par exemple, du fait du mariage en 1789 de Charles-Hélion, marquis de Barbançois-Villegongis (1760-1822) Ŕ grand
seigneur dont la lignée était liée aux Dupin (famille de George Sand), gentleman farmer, introducteur du mouton
mérinos en Berry Ŕ avec une créole propriétaire d’une sucrerie dans la Plaine du Cul-de-Sac à Saint-Domingue.
33
GLISSANT (Édouard), Mémoires des esclavages, op. cit.
32
21
la compassion de ceux qui n’y étaient pas accoutumés, mais on s’y fait bientôt ».34
À l’époque, avoir des esclaves et les fouetter pour les faire travailler faisait partie de l’ordre
des choses. Aujourd’hui, de tels propos sont insupportables et il y a une authentique douleur et une
émotion réelle à redécouvrir ce passé-là. C’est l’ensemble des pays européens qui est pris à partie,
et pas seulement les « grandes nations » qui se sont taillé un empire colonial outre-Atlantique.
Quelle ne fut pas la surprise des Scandinaves, à la suite de la découverte de l’épave du vaisseau
négrier Fredensborg au large de la Norvège en 1974, de se (re)trouver un passé esclavagiste35 ; et
que dire de celle des Suisses, dont les subsides pouvaient financer des expéditions négrières 36…
C’est dans ce contexte que l’UNESCO a retenu une journée commémorative du « souvenir de la
traite négrière et de son abolition » (le 23 août, en rappel du soulèvement des esclaves de la Plainedu-Nord, à Saint-Domingue, en 1791) et s’intéresse de près à ces questions, ce n’est pas pour rien
que Liverpool, comme Nantes, a spectaculairement réexaminé son passé de port négrier37. En
France métropolitaine, l’intérêt est désormais manifeste pour la traite négrière et l’esclavage, illustré
par une loi de 2001 dite « loi Taubira », du nom de la députée de Guyane qui a porté au cœur de la
représentation nationale ces questions longtemps considérées comme périphériques. De même s’est
affirmée la volonté de voir les programmes scolaires métropolitains faire davantage de place Ŕ et
une place explicite – à ces faits et à ne pas les cantonner au programme d’histoire régionale destiné
aux élèves de l’outre-mer38.
Renouant les fils de l’histoire et de la mémoire, tout un ensemble de facteurs pousse à intégrer
le passé négrier et esclavagiste dans une histoire nationale donnant à l’outre-mer toute sa place Ŕ
celle de territoires devenus français deux bons siècles avant la Savoie ou le comté de Nice Ŕ, tout en
en montrant l’ampleur et les ramifications, jusqu’aux petits villages de la Bourgogne ou de la
Gascogne.
Quelques repères sur l’historiographie de la colonisation des XIXe et XXe siècles
En ce qui concerne la phase dite « impérialiste » de l’expansion coloniale Ŕqui a coïncidé après
la 1re révolution industrielle et a correspondu à une expansion sans précédent, débouchant sur un
remaniement profond de l’économie-monde Ŕ, son étude n’a cessé d’être menée par les historiens
depuis de nombreuses décennies, dans une relative indifférence jusqu’à ces derniers temps. On a
certainement assisté, au début des années 2000, à un moment-charnière où mémoire et histoire de la
colonisation française Ŕ en prise avec une demande sociale émergente Ŕ sont entrées en interaction
dans un mouvement de réappropriation complexe du passé colonial. Cette conjonction constituait
d’ailleurs une relative nouveauté dans l’historiographie du fait colonial, le passé impérialiste de la
France (et de la plupart des grands pays occidentaux) n’ayant guère suscité l’intérêt du grand public
depuis les années 1960.
Notons d’ailleurs que cette articulation entre histoire, mémoire(s) et demande sociale a souvent
conféré aux discours récents un tour passionnel et politique, voire « politiquement correct » : idée
(plus que contestable) d’un « trou noir » de la mémoire coloniale, d’une occultation de ce passé,
34
Père Jean-Baptiste Labat, Nouveau voyage aux isles d’Amérique, 1722.
Par exemple AUST (Kurth), SVALESEN (Leif), WESSEL (Kin), The Slaver Fredensbord. The Final Journey 176768, Oslo, Huitfeldt Forlag et Musée maritime norvégien (sans date) [paru dans les années 1990]. Par ailleurs, combien
savent que la Suède a, sur le modèle français ou espagnol, édicté un code esclavagiste pour la partie de l’île de SaintMartin qu’elle contrôlait ?
36
FAESSLER (Hans), Reise in Schwarz-Weiss. Schweizer-Orstermine in Sachen Sklaverei, Zürich, Rotpunktverlag,
2005 (trad. franç. Une Suisse esclavagiste, voyage dans un pays au-dessus de tout soupçon, Paris, Duboiris, 2007).
37
Exposition Transatlantic Slavery Gallery, au Musée maritime en 1994 (en 2007 y a été inauguré un « Musée
international de l’esclavage »).
38
Le Bulletin Officiel de l’Éducation Nationale n° 8 du 24 février 2000 prévoit des aménagements de programmes en
lycée pour les Départements d’Outre-Mer, « afin de permettre d’adapter l’enseignement de l’histoire et de la géographie
donné dans les départements d’outre-mer à la situation régionale et à un héritage culturel local ».
35
22
d’une filiation automatique entre colonisés d’hier et immigrés d’aujourd’hui39, etc.
Mais, indépendamment de cette médiatisation des problématiques coloniales, l’historiographie
de la colonisation française a été riche et abondante. Cette historiographie ne peut d’ailleurs pas
s’envisager dans un huis clos franco-français puisqu’elle implique, depuis une bonne cinquantaine
d’années, des chercheurs appartenant aux ex-territoires colonisés, aux anciennes métropoles, mais
aussi à de nouveaux pôles de recherche comme les Etats-Unis (qui comptent de nombreux
spécialistes de la colonisation européenne, et notamment française). Les historiens n’ont pas été en
reste pour proposer, régulièrement, un état des lieux de l’histoire de la colonisation française40.
Afin de dégager les grandes lignes d’évolution de l’historiographie de la colonisation, plusieurs
idées-forces peuvent être mises en avant :
L’histoire de la colonisation est devenue, depuis les années 1950-1960 au moins, une histoire des
colonisés et non plus une histoire des colonisateurs
Dans la dernière décennie avant les indépendances, le relatif désintérêt par rapport au destin
impérial de la France achève de précipiter la rupture avec les interprétations historiques qui avaient
cours au temps de la domination sans états d’âme : « à travers les combats idéologiques et
scientifiques des années 1950-60, s’engage une décolonisation des savoirs »41. Tout un courant
d’histoire critique émerge avec des historiens tels Charles-André Julien, Jean-Louis Miège ou Jean
Suret-Canale42 qui contribuent à former les premières générations de chercheurs des pays devenus
indépendants.
Les nouvelles historiographies se bâtissent en grande part sur le refus de l’histoire « d’avant »
qui glorifiait la geste coloniale : un livre programmatique de l’historien algérien Mohammed Sahli,
paru en 1965, est ainsi symboliquement intitulé Décoloniser l'histoire. La majorité des chercheurs
des années 1960 et 1970, ainsi que certains spécialistes occidentaux43, se démarquent fortement de
l’histoire écrite par les « coloniaux » en adoptant une démarche qui entendait renverser les rapports
de domination. L’engagement de nombreux historiens lors de la guerre d’Algérie n’est d’ailleurs
pas étranger à cette approche militante. La remise en cause des thèmes de prédilection de l'histoire
coloniale est manifeste, tant dans la production historiographique des nouveaux États que dans les
constructions mémorielles des sociétés décolonisées : on pose d’autres questions, on exalte de
nouveaux héros, on apprend de nouvelles dates-clés, on invente d’autres lieux de mémoire44…
Les perspectives se recentrent donc sur les colonisés plutôt que sur les colonisateurs, sur les
résistances plutôt que sur les conquêtes, et sur les luttes mettant aux prises dominants et dominés.
Les grilles de lecture marxistes, nationalistes et/ou tiers-mondistes fournissent des schémas
39
Cf. Pascal Blanchard, Nicolas Bancel & Sandrine Lemaire. La fracture coloniale. La société française au prisme de
l’héritage de la colonisation, 2005.
40
Parmi d’autres, citons Daniel Rivet, « Le fait colonial et nous, histoire d’un éloignement », Vingtième Siècle. Revue
d’histoire, 1992, pp. 127-138 et Claude Liauzu, « Interrogations sur l’histoire française de la colonisation », Genèses, n°
46, mars 2002, pp. 44-59.
41
Claude Liauzu, Colonisation : droit d’inventaire, Paris, Armand Colin, 2004, p. 5.
42
Charles-André Julien, L'Afrique du Nord en marche. Nationalismes musulmans et souveraineté française, Paris,
Julliard, 1952 ; Jean-Louis Miège, Le Maroc et l'Europe (t. 1 : 1830-1894), PUF, 1961 ; Jean Suret-Canale, Afrique
noire occidentale et centrale. L'ère coloniale (1900-1945), Éditions sociales, 1964.
43
Parmi bien d’autres, on peut citer André Nouschi, Enquête sur le niveau de vie des populations rurales
constantinoises de la conquête jusqu’en 1919, PUF, 1961 ; René Gallissot, Le Patronat européen au Maroc (19311942), Rabat, 1964 ; Merad Ali, Le réformisme musulman en Algérie de 1900 à 1940. Essai d’histoire religieuse et
sociale, Mouton, 1967 ; Mahfoud Kaddache, La Vie politique à Alger de 1919 à 1939, Alger, 1970 ; Joseph Ki-Zerbo,
Histoire générale de l'Afrique noire, d’hier à matin, Hatier, 1972 ; Lucette Valensi, Fellah tunisiens. L’économie des
campagnes tunisiennes aux XVIIe-XVIIIe siècles, Mouton, 1975 ; Catherine Coquery-Vidrovitch, Le Congo au temps des
grandes compagnies concessionnaires, 1898-1930, Mouton, 1972 ; Claude Liauzu, Salariat et mouvement ouvrier en
Tunisie: crises et mutations, 1931-1939, CNRS, 1978 ; etc.
44
Sophie Dulucq & Colette Zytnicki (dir.), Décoloniser l’histoire ? De l'histoire coloniale aux histoires nationales en
Amérique latine et en Afrique (XIXe –XXe siècles), SFHOM, 2003.
23
interprétatifs globaux, privilégiant une lecture de la confrontation, du pillage, de l’échange inégal,
de l’aliénation, mettant en exergue le lien entre colonisation et sous-développement et renouant le
fil avec les processus précoloniaux interrompus par l’impérialisme européen. L’histoire économique
et sociale est systématiquement privilégiée Ŕ comme c’est d’ailleurs le cas dans une bonne partie de
l’historiographie, quel que soit le sujet abordé, en ces temps de prédominance de l’« École des
Annales »… Ŕ ainsi que l’histoire politique (histoire des « résistants » à la colonisation, histoire de
la montée des nationalismes…).
Dans les années 1980-1990 : une histoire de la colonisation en voie d’émiettement
Les grandes explications d’ensemble connaissent cependant, à partir des années 1980, une
érosion sensible Ŕ avec plus ou moins de décalage. L’intérêt suscité par l’étude de la colonisation et
des espaces colonisés semble même s’émousser : « Les vocations exotiques deviennent moins
nombreuses […] et l’histoire anticolonialiste subit les conséquences de la désaffection générale
envers les tristes tropiques »45. Ainsi certains chercheurs se détournent-ils d’une histoire globale de
la colonisation Ŕ abusivement confondue avec l’histoire coloniale elle-même Ŕ et jugée obsolète,
presque « ringarde », voire potentiellement nostalgique des temps impériaux.
Le concept unificateur de Tiers-Monde, qui avait dans une certaine mesure pris le relais de celui
de territoires colonisés, est lui-même en recul : les pays du Sud se diversifient et ne sont plus
réductibles à une catégorisation globale. Un peu partout dans les laboratoires de sciences sociales,
l’institutionnalisation des aires culturelles contribue à fragmenter la recherche, à émietter, sur le
plan scientifique, l’étude des ex-empires. C’est enfin une période où l’acuité des enjeux liés aux
luttes de la décolonisation se dissout et où pointe une déception certaine par rapport aux espoirs
suscités par les indépendances.
Pourtant, la désaffection n’est pas totale et des remaniements profonds s’opèrent. Ce renouveau
n’est pas uniquement dû à l’usure des grands paradigmes mais aussi, de façon positive, aux
évolutions conceptuelles de l’historiographie générale. Il est aussi imputable à l’émergence d’une
histoire écrite au Sud (groupe des Subaltern studies à Delhi, au début des années 1980 ; nouvelle
historiographie sud-africaine libérale) et dans des pôles de la recherche extra-européens. OutreAtlantique, la recherche de leurs racines africaines par les Afro-américains contribue à l’essor
spectaculaire des African Studies tandis que les logiques institutionnelles et scientifiques confortent,
en privilégiant les Cultural Studies, le succès des Colonial et des Postcolonial Studies... De
nombreux intellectuels du Sud jouent d’ailleurs un rôle non négligeable dans cette dynamique et
contribuent à la montée en puissance de certains courants théoriques qui, sur les campus américains,
retravaillent la pensée occidentale46. Sans doute plus que tout autre, l’histoire du fait colonial reste
sous-tendue par un enjeu épistémologique important : celui de la confrontation entre « notre
histoire » et « celle des autres », où la question spécifique des « regards croisés » entre chercheurs
d’horizons divers pose des problèmes spécifiques renvoyant à des querelles de légitimité et
perpétuant même, dans certains cas, une division scientifique du travail héritée des temps
coloniaux. »
Depuis les années 1990 : vers une histoire de la complexité des expériences coloniales
Élaborées ailleurs, dans un autre contexte et en écho à d’autres demandes sociales, ces
problématiques ont fait retour dans l’histoire de la colonisation élaborée en Europe et en aAfrique
dans les années 1990. Parallèlement, des démarches novatrices Ŕ parfois construites pour d’autres
espaces et/ou d’autres phénomènes historiques, parfois forgées par la réflexion sur le fait colonial
45
Claude Liauzu, Colonisation : droit d’inventaire p. 7. Il parle aussi, dans un article de 2002, de « paysage après la
bataille ».
46
Cf. Mamadou Diouf, L’historiographie indienne en débat. Colonialisme, nationalisme et sociétés postcoloniales,
Karthala, 1999.
24
lui-même47 Ŕ suscitent de nouvelles questions. L’histoire des femmes et du genre, l’exploration de
pistes ouvertes par Michel Foucault (marginalités, enfermement, déconstruction des savoirs), la
réflexion sur la mémoire, l’essor de la nouvelle histoire culturelle, de la nouvelle histoire politique,
de la socio-histoire contribuent à renouveler le regard sur les sociétés colonisées48. En histoire
politique, la réflexion conduit à reconsidérer les nationalismes des années 1950-60 en s’intéressant
aux diasporas, aux minorités, à l’ethnogenèse, aux constructions identitaires, et en étudiant la
« marge de manœuvre » (l’agency) des dominés en situation coloniale. En histoire sociale et
culturelle, des mutations tout aussi importantes sont repérables, qui font sortir de l’ombre des
groupes et acteurs sociaux jusqu’alors négligés (femmes, esclaves, marginaux, minorités, élites,
anciens combattants, jeunes…). En histoire économique, on réévalue l’impact de la colonisation49.
Les méthodologies évoluent, tandis que l’on travaille d’autres sources : témoignages, sources
orales, sources littéraires, iconographie, discours scientifique, etc.
L’éloignement du fait colonial, le déplacement des thématiques, le renouvellement des
générations ont sans doute permis de poser, de façon de plus en plus convaincante et dépassionnée,
la question de l’ambiguïté fondamentale de la « situation coloniale » théorisée par Georges
Balandier dès 1951 : faite d’oppression et de violence, d’inauthenticité et d’inégalité, elle a aussi été
génératrice d’hybridations, de métissages, de va-et-vient entre les cultures et, qu’on le veuille ou
non, a constitué la voie spécifique d’entrée dans la modernité pour la plupart des pays colonisés.
Elle a non seulement formé un système englobant, mais elle a aussi été une expérience historique où
ont eu à se déterminer des acteurs, ce qui suppose une analyse très fine des rapports
intercommunautaires.
L’accent est donc mis de plus en plus sur la complexité des expériences coloniales et sur
l’hétérogénéité des forces en présence, la diversité des agents, des motivations, des modalités
d’exécution, des conséquences sociales et des mutations induites par le projet impérialiste. Pierre
Boilley et Ibrahima Thioub, lorsqu’ils analysent le concept de « résistance » à la colonisation,
montrent qu’il « a donné à l’historiographie les moyens de présenter un tableau d’ensemble du
continent au cours de la seconde moitié du XIXe siècle [et] de penser de façon cohérente les réponses
des sociétés africaines » ; mais ils soulignent aussitôt que le concept, si fécond qu’il ait pu être, a
occulté la profonde diversité des sociétés coloniales, induisant « d’importantes difficultés à penser
les tensions internes aux sociétés africaines pendant cette séquence historique »50. Ces auteurs font
le même travail d’analyse à propos d’un autre thème sensible : celui de la participation des
Africains à la traite atlantique, généralement analysée selon une opposition purement
« chromatique » (négriers blancs, esclaves noirs), alors même que tout le système de « production »
47
Par exemple autour de la relecture des notions d’« acculturation » (Roger Bastide), de « métissage » (Nathan
Wachtel, Serge Gruzinski) ou de « situation coloniale » (Georges Balandier). L’idée que l’impérialisme a été une
matrice de la modernité occidentale est travaillée à nouveau dans les années 1990, à mesure que s’affirme, autour
d’auteurs comme Frederick Cooper & Ann Stoler (Tensions of Empire. Colonial Cultures in a Bourgeois World,
Berkeley, University of California Press, 1997.
48
On ne peut bien sûr les citer tous, mais dans cette veine signalons quelques travaux : Florence Bernault sur les
prisons ; Ch.-Didier Gondola ou Odile Goerg sur la sociabilité urbaine ; Catherine Coquery-Vidrovitch, Anne Hugon,
Pascale Barthélémy, Julia Clancy-Smith, Dalenda Larguèche sur femmes et genre ; Jean-Hervé Jézéquel ou Noureddine
Sraïeb sur les “élites” ; Daniel Hémery sur la société indochinoise ; Isabelle Merle sur la Nouvelle-Calédonie ; Edmund
Burke III, François Pouillon, Daniel Rivet, Kmar Bendana, Nabila Oulebsir, Laurent Dartigues, Emmanuelle Sibeud,
Anne Piriou ou Marie-Albane de Suremain sur les savoirs coloniaux ; Charles Tshimanga ou Nicolas Bancel sur les
jeunes ; Faranirina Rajaonah ou Emmanuelle Saada sur les métis ; David Prochaska ou Joe Lunn sur les
représentations ; Omar Carlier ou Annie Rey-Golzeiguer sur le politique ; Ibrahima Thioub ou Habib Larguèche sur les
marginalités ; Christelle Taraud sur la prostitution ; sans oublier des travaux novateurs sur la guerre d’Algérie (Djamila
Amrane, Mohamed Harbi, Guy Pervillé, Benjamin Stora, Raphaëlle Branche, Sylvie Thénaud), etc.
49
Cf. Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français. Histoire d’un divorce, A. Michel, 1984 ; Daniel
Lefeuvre, Chère Algérie (1930-1962), Société Française d’histoire d’Outre-mer, 1997.
50
Pierre Boilley et Ibrahima Thioub, « Pour une histoire africaine de la complexité » in Séverine Awenengo, Pascale
Barthélémy et al. (éd.), Écrire l’histoire de l’Afrique autrement, L’Harmattan, 2004, p. 36.
25
des esclaves supposait la participation active de certains groupes africains détenteurs de pouvoir.
Depuis le début des années 2000, on peut noter le fort dynamisme de l'histoire sociale et
culturelle du fait colonial, qui prône la nécessité d’aller au-delà des analyses relevant de l’histoire
politique et économique (années 1950-1990). L’idée centrale de l’histoire culturelle du colonial est
que la domination 1°) est passée par des dispositifs d’ordre culturel ; 2°) a engendré des
hybridations culturelles intéressantes.
Quelques exemples parmi tant d’autres :







Emmanuelle Sibeud, Une science impériale pour l’Afrique? La construction des savoirs
africanistes en France 1878-1930, Editions de l’EHESS, 2002. (sur les « sciences
coloniales »)
Sean Hawkins, Writing and Colonialism in Northern Ghana, The Encounter between the
LoDagaa and the « World on paper », University of Toronto Press, 2002. (sur l’introduction
de l’écriture via l’administration coloniale)
James Burns, Flickering Shadows. Cinema and Identity in Colonial Zimbabwe, University of
Ohio Press, 2002. (sur le cinéma en Afrique)
Luise White, Speaking with Vampires. Rumor and History in Colonial Africa, University of
California Press, 2000. (sur les représentations négatives des colonisateurs européenns en
milieu populaire)
Pascale Barthélemy, Femmes, africaines et diplômées : une élite auxiliaire à l'époque
coloniale. Sages-femmes et institutrices en Afrique occidentale française (1918-1957), thèse
de doctorat d'histoire, Université Paris 7-Denis Diderot, 2004, 945 p.
Jean-Hervé Jézéquel, Les « mangeurs de craies ». Étude socio-historique d’une catégorie
lettrée. Les instituteurs de l’école normale William-Ponty (c. 1900-c. 1960), thèse de
l’EHESS, 2002, 792 p.
Hélène Charton, La genèse ambiguë de l'élite kenyane : origine, formation et intégration, de
1945 à l'indépendance, thèse de doctorat de l’université de Paris-7, 2003.
De manière générale, un des indices du regain d’intérêt pour l’histoire coloniale française est
peut-être à rechercher dans le renouvellement des manuels et dans la multiplication des ouvrages
bilans51 qui prennent en compte le renouveau des paradigmes et les mutations de l’historiographie
récente.
La volonté d’en saisir les ressorts complexes n’empêche pas de penser le fait colonial comme
profondément lié à la modernité occidentale et de vouloir l’étudier sans discontinuité entre
métropole et colonies52, afin de saisir la circulation des idées, des hommes, des pratiques. Ainsi
« découvre »-t-on que le terrain colonial a été, bien souvent, un laboratoire d’expérimentation et
d’innovation (par exemple : la protection des monuments historiques s’ancre dans l’expérience de
Algérie coloniale), que les itinéraires coloniaux ont été primordiaux dans bien des carrières
nationales (par exemple : Paul Doumer est gouverneur de l’Indochine avant de devenir président de
la République) et que certaines pratiques coloniales discriminatoires ont pu servir de matrice à des
pratiques métropolitaines (par exemple, le fait que, dans les colonies, la citoyenneté soit
déconnectée de la nationalité a sans doute servi de précédent au statut des juifs sous Vichy).
Ce lien consubstantiel entre colonies et métropoles est de plus en plus souvent envisagé par les
chercheurs sous le concept unificateur de « sociétés impériales ». Dès la colonisation des XVIe, XVIIe
et XVIIIe siècles, de « systèmes » lient dans un même espace colonisateurs et colonisés,
51
Daniel Rivet, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Hachette, 2002 ; Jacques Frémeaux, Les empires coloniaux
dans le processus de mondialisation, Maisonneuve & Larose, 2002 ; Claude Liauzu (dir.), Colonisation : droit
d’inventaire, A. Colin, 2004 ; Benjamin Stora et Mohamed Harbi (dir.), La guerre d’Algérie (1954-2004). La fin de
l’amnésie, Paris, Robert Laffont, 2004.
52
Cf. notamment les travaux des chercheurs anglophones : Frederik Cooper et Ann Stoler, Tensions of Empire 1997 ;
Alice Conklin, “Boundaries Unbound: Teaching French History as Colonial History and Colonial History as French
History”, French Historical Studies, vol. 23, 2000, pp. 215-238. Voir aussi : Herman Lebovics, La vraie France. Les
enjeux de l’identité culturelle, 1900-1945, Paris, Belin, 1995.
26
métropolitains et colons, économe domestique et économie d’outre-mer. Ces systèmes coloniaux
ont reposé à la fois sur des échanges économiques spécifiques, sur la circulation des hommes entre
métropoles et colonies, mais aussi sur des constructions idéologiques fortes Ŕ notamment en termes
d’identités supranationales de nature impériale (notion de britishness, formule de la « Plus grande
France », etc.).
Au final, la notion de postcolonialité actuellement en vogue rend bien compte du fait que les
sociétés des ex-métropoles comme des ex-colonies sont intimement façonnées par le passé colonial.
L’identité de la France s’est, par exemple, construite dans et par la colonisation. De la même façon,
les sociétés du Sud sont profondément imprégnées par des héritages coloniaux. Enfin, si l’histoire
coloniale est à replacer au cœur des histoires nationales des pays colonisateurs et des pays
colonisés, elle doit aussi s’envisager dans une perspective d’histoire globale : le phénomène
colonial a été un moment crucial de l’histoire de la mondialisation, de l’articulation (par contacts,
affrontements, expansion, conquête et domination) entre des multiples sociétés et civilisations de la
planète.
27
IV. PISTES DE TRAVAIL
SEPT DOSSIERS DOCUMENTAIRES
Dossier 1 : Économie et société dans les empires coloniaux
Dossier 2 : Séquence Lettres-Histoire : Au cœur d’une plantation sucrière
Dossier 3 : Faire régner l’ordre colonial
Dossier 4 : Contester l’ordre colonial
Dossier 5 : Vivre aux colonies : la complexité des dynamiques sociales
Dossier 6 : Femmes, métis, métissages
Dossier 7 : Expositions coloniales et cultures impériales
La sélection de nos sept dossiers a procédé d’un certain nombre de choix et de convictions,
qu’il convient d’exposer brièvement.
 Nous avons d’abord voulu axer le travail sur le vécu et sur la parole des colonisés, en
proposant autant que faire se pouvait des documents centrés sur les « dominés ». C’est aussi pour
cette raison que nous avons essayé de nous démarquer d’une certaine histoire des représentations
(histoire de la « propagande » coloniale sous toutes ses formes) qui, si elle a produit une
iconographie abondante dans les manuels scolaires et couramment utilisée en classe, fait souvent
l’économie d’une véritable réflexion sur la réception de ces images et qui, une fois encore, analyse
le discours produit par les colonisateurs à l’usage de leurs propres sociétés.
Il nous a semblé important de mettre en avant les multiples ressorts de la domination juridique
et politique qui ont fondé de façon extrêmement concrète l’« ordre colonial » : on a notamment
tâché de rendre compte d’un chantier de recherche récent, consacré au droit colonial comme
dispositif central de la domination (statuts juridico-politiques dans le cadre impérial, inégalités
juridiques et politiques, formes de la répression et de la violence)
 Dans plusieurs dossiers, nous avons choisi d’insister sur les formes de continuité entre 1re
colonisation et 2e colonisation, envisageant ainsi l’histoire de la domination dans la longue durée
(XVIe-XXe s.). Ce choix renvoie à la critique de plus en plus explicite de la césure
traditionnellement employée dans l’histoire de la colonisation française. Ce découpage est d’abord
très franco-français, l’historiographie française marquant un « avant » et un « après » 1789 qui
introduit une coupure parfois totalement artificielle pour des phénomènes de longue durée (comme
notamment la colonisation). Par ailleurs, cette rupture classique a longtemps empêché de réfléchir
de façon argumentée la notion d’impérialisme colonial, la réservant au seul XIXe siècle Ŕ là encore,
des travaux récents mettent en lumière des continuités intéressantes entre colonisation de l’époque
moderne et contemporaine.
 Nous avons essayé, autant que possible, de mettre en avant l’idée d’ambiguïté et d’ambivalence
de la relation coloniale. Au-delà de la mise en évidence des aspects coercitifs et répressifs de la
colonisation (aujourd’hui relativement bien documentés par les historiens), nous avons voulu rendre
compte de l’attention grandissante des chercheurs pour les phénomènes d’« hybridation »,
(appropriation par les colonisés d'éléments importés par les Européens et vice versa) et pour la mise
en évidence d’une « marge de manœuvre » (agency) des colonisés dans le système colonial
(marronnage, résistances, adaptation, métissages, etc.). Les sociétés coloniales, qu’on le veuille ou
28
non, ont aussi fourni des opportunités aux « indigènes », opportunités ouvertes par les
bouleversements sociaux liés à la colonisation (mobilité sociale, émergence d’élites, école, armée,
politiques sanitaires, etc.). Il ne s’agit pas là d’évoquer l’hypothétique « rôle positif de la
colonisation » et autres « bienfaits », mais d’être attentifs aux profondes et complexes mutations
intervenues au sein des sociétés soumises au phénomène impérial.
Les dossiers proposés concernent les classes de 4e, 3e, 2e, 1e et Terminale d’ histoire et abordent les
différents chapitres des programmes consacrés à la colonisation. Les heures dévolues aux différents
chapitres des programmes ne permettent pas de toujours approfondir le thème étudié. Aussi,
certains documents ou groupes de documents peuvent apparaître comme inapplicables avec des
élèves. Cependant, d’une part, certains extraits sont longs afin que l’enseignant puisse mener le
travail d’appropriation. D’autre part, outre que du travail sur les documents peut être donné à la
maison et peut s’inscrire dans un projet ou un dossier qui s’échelonne durant l’année scolaire, avec
du travail en groupe et une production à fournir sous forme d’exposé par exemple, plusieurs
documents peuvent être coupés. En effet, nous avons souhaité donner accès à des documents inédits
ou peu connus en proposant des pistes de réflexion ; au professeur intéressé à se l’approprier et à
l’adapter à sa personnalité, à son enseignement et à ses classes. Par ailleurs, ces dossiers offrent la
possibilité d’établir des liens avec le programme de lettres, notamment au collège (cf la proposition
de séquence croisée) et avec le programme de philosophie en classe de Terminale. Enfin, certains
documents, notamment ceux consacrés au droit, peuvent faire l’objet d’un travail en éducation
civique.
29
DOSSIER 1
ÉCONOMIE ET SOCIETE
DANS LES EMPIRES COLONIAUX
L’histoire critique de la colonisation, depuis les années 1950, s’est d’abord construite sur
l’étude du fonctionnement économique de la domination européenne. Elle a mis en évidence les
ressorts concrets de l’économie impériale, tant durant la 1re colonisation que durant la 2e. Spoliation
foncière, « mise au travail » des populations (et, dans cas des « vieilles colonies », mise en
esclavage et déportation des Africains), économie de traite et de pillage, productions destinées à
l’exportation dans le cadre de l’économie de plantation ou minière (sur la base de l’esclavagisme,
puis du salariat), transfert vers les métropoles de biens et de capitaux, rôle du commerce de
l’économie coloniale dans le « décollage » des économies européennes et dans le sousdéveloppement des pays colonisés, etc. Autant d’éléments analysés, discutés (parfois âprement) par
les spécialistes Ŕ on peut renvoyer aux grands débats marxistes sur les liens entre impérialisme et
colonialisme ou, plus récemment, aux polémiques autour des analyses d’Olivier Pétré-Grenouilleau
sur l’apport du commerce de la traite dans le take-off de la Révolution industrielle.
Ces questions générales étant relativement documentées dans les manuels scolaires, nous avons
choisi, dans ce premier dossier, de privilégier une approche plus « micro », au plus près du terrain.
Pour ce faire, nous avons sélectionné quelques documents centrés sur les effets concrets de la
colonisation qui devraient permettre aux élèves de prendre en compte la dimension humaine de la
colonisation. La domination européenne a, en effet, bouleversé des sociétés locales (en Afrique, en
Asie) ou construit de toutes pièces des mondes nouveaux (aux Antilles et en Guyane, notamment)
(doc. 1, 2). Elle a imposé des formes de travail particulièrement violentes (esclavage, travail forcé,
travail dans les mines, etc.) (doc. 1, 2, 3, 4, 6). Elle a façonné des paysages et des terroirs, balayant
bien souvent l’organisation antérieure des colonisés (doc. 2, doc. 5).
LECTURES COMPLEMENTAIRES
 Pierre Brocheux, Histoire économique du Vietnam de 1860 à nos jours, Les Indes savantes,
2009.
 Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Le Congo au temps des grandes compagnies
concessionnaires, 1898-1930, Paris, Éditions de l´EHESS, 2001 (1re éd. 1972).
 Marcel DORIGNY et Bernard Gainot, Atlas des esclavages. Traites négrières, sociétés
coloniales, abolition de l’Antiquité à nos jours, Paris, Editions Autrement, 2006.
 Jean-Louis DONNADIEU, Un grand seigneur et ses esclaves. Le comte de Noé entre Antilles
et Gascogne, Presses universitaires du Mirail, 2009.
 Marie POLDERMAN, La Guyane française de 1676 à 1763 : mise en place et évolution de la
société coloniale, tensions et métissage, Ibis Rouge, 2004.
 Christian SCHNAKENBOURG, Histoire de l’industrie sucrière en Guadeloupe (XIXeŔ XXe
siècles), L’Harmattan, 3 tomes parus dans les années 2000.
 Dossier sur géographie & colonisation, revue Mappemonde, n° 91 et n° 92 (3 et 4/2008),
revue en ligne : http://mappemonde.mgm.fr
30
1Ŕ
ENSEMBLE DOCUMENTAIRE SUR L’APPORT DE L’ARCHEOLOGIE
À L’HISTOIRE DE L’ESCLAVAGE
Présentation générale
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, les esclaves n’ont guère laissé de trace matérielle. Biens meubles,
lorsqu’ils décèdent, les esclaves sont inhumés le plus souvent dans le cimetière de la plantation sans
même que leur décès apparaisse sur le registre des sépultures de la paroisse. Cependant des
campagnes de fouille récentes (une habitation coloniale en Guyane, un cimetière en Guadeloupe)
ont donné quelques résultats.
Documents : Extraits divers sur les recherches archéologiques menées en Guyane et en
Guadeloupe
1. L’habitation Loyola, à Rémire en Guyane
En Guyane, les fouilles archéologiques menées l’habitation « Loyola », la plus importante de la
colonie sous l’Ancien Régime, ont permis de dégager la réalité du fonctionnement matériel d’une
grande sucrerie :
« Ainsi, on y [sur l’habitation Loyola] trouve les restes de la plus vieille chapelle retrouvée à ce
jour ; la forge et le cimetière sont les premiers aménagements de ce genre à être étudiés. Malgré ce
constat positif, les fouilles n'ont pas permis de localiser l'emplacement du quartier des esclaves. En
effet, celui-ci était régulièrement déplacé pour faire place à de nouveaux champs de cannes. Notre
connaissance de la vie quotidienne des esclaves se limite à ce que les auteurs anciens aient bien
voulu nous dire ; leur univers matériel se composait en partie d'objets en matière organique disparus
sous l'action de l'acidité du sol. »
Source : Nathalie Croteau,
« L’habitation de Loyola : un rare exemple de prospérité en Guyane française », Journal of Caribbean
Archaeology, 2004.
Mais les fouilles n’ont rien apporté ou presque en ce qui concerne la vie quotidienne des
esclaves à l’exception des pipes d’esclaves, lesquelles constituent un maigre témoignage des
habitus et des compétences serviles :
« [Au XVIIIe siècle], pour fumer le tabac, les Noirs utilisaient des pipes en terre. [En Guyane],
les pipes sont les seuls objets spécifiques aux esclaves que l’archéologie nous ait livrés jusqu’à
présent. On a retrouvé des pipes d’esclaves sur une dizaine de sites ».
Source : Yannick Leroux,
L’habitation guyanaise sous l’Ancien Régime, Thèse de l’EHESS, Paris, 1994.
2. Le cimetière de l’anse Sainte-Marguerite en Guadeloupe
En 1995 puis en 1996, les cyclones Luis et Marylin labourent les côtes de la Guadeloupe. Ils
mettent au jour des ossements humains dans l’anse Sainte-Marguerite, sur la commune du Moule.
31
Les spécialistes accourent. Parmi eux, Thomas Romon, un métropolitain attaché à l’Institut national
de recherches archéologiques préventives. Les pelles révèlent quelques sépultures amérindiennes,
datant de l’an 1000. Mais d’autres fosses attirent l’attention. « Les corps n’étaient cette fois pas
disposés en position foetale, se souvient Thomas Romon. Ils étaient allongés, la tête à l’ouest. Ce
cimetière était clairement d’époque coloniale ».
En dix années de campagne, plus de 300 corps Ŕ 200 adultes et 100 enfants - ont été exhumés et
stockés au Musée archéologique du Moule. Des sondages et des extrapolations laissent penser
qu’un millier de personnes ont été enterrées là, anonymement.
L’étude des ossements ne laisse guère de doutes à Thomas Romon : « Nous avons très
probablement mis au jour un cimetière d’esclaves. » Les dépouilles ont donné de précieuses
indications sur les conditions de vie de ceux qui ont été inhumés là. « Les individus ont pour la
plupart moins de 30 ans, mais ont les ossements de gens de 60 ans. Ils sont sans doute morts de
surexploitation : ils ont tous les marqueurs du stress physique, notamment des problèmes
articulaires. Beaucoup souffrent de caries, voire n’ont plus de dents, signe de carences
alimentaires. On retrouve également de multiples cas de tuberculose osseuse, ce qui laisse penser
que cette maladie était endémique dans la population. »
Les esclaves étaient baptisés. La découverte de clous, de restes de croix permet d’imaginer que
ces individus ont été enterrés religieusement. Des couples semblent avoir été formés. Des enfants
ont été rapprochés de ce qui devait être leur mère. Une pipe, un crucifix taillé dans un os de vache
ont également été retrouvés...
Source : Benoît Hopquin, Le Monde du 16 août 2006
Pistes de travail
32
- Sur la carte, indiquer la Guyane française, la Guadeloupe, la mer des Caraïbes, l’océan
Atlantique, l’océan Pacifique.
- Pour quelles raisons les fouilles archéologiques des quartiers d’esclaves sur les plantations en
Guyane au XVIIIe siècle, donnent-elles peu d’informations sur la vie quotidienne des
esclaves ? (document 1)
- Quels sont les seuls objets spécifiques aux esclaves que les fouilles archéologiques ont permis
de retrouver ? (document 2)
- Où se situe le cimetière de l’anse Marguerite ? Dans quelles conditions a-t-il été découvert et
quand ? Pourquoi s’agit-il d’une découverte importante pour l’histoire de l’esclavage ?
Qu’apprend-on sur les conditions de vie des esclaves inhumés là ? (document 3)
Mots clés
Esclavage / première colonisation / habitation / Guyane / sépulture/ archéologie / Guadeloupe
Pistes d’exploitation possibles
4e : cours sur l’esclavage aux Amériques au XVIIIe siècle
2e : module sur l’esclavage aux Amériques au XVIIIe siècle
LEP : idem
33
2 Ŕ ENSEMBLE DOCUMENTAIRE
SUR LA VIE QUOTIDIENNE DANS LES PLANTATIONS
DE SAINT-DOMINGUE AU XVIIIe SIECLE
Présentation générale
Le pilier économique principal Ŕ mais non unique Ŕ des « îles » était la production de sucre. À
la veille de la Révolution française, la partie française de Saint-Domingue (actuelle Haïti) à elle
seule produisait 40 % du sucre mondial, mais cette réussite avait un terrible coût social : demimillion d’esclaves. Comment était organisée une sucrerie, comment le sucre était-il fabriqué,
quelles étaient les préoccupations premières des maîtres et à quelles duretés quotidiennes la vie des
esclaves était-elle confrontée ? L’ensemble documentaire présenté ici en fournit plusieurs exemples.
Mots-clés : plantation (habitation), sucre, esclavage, Antilles, Saint-Domingue
Pistes d’exploitation possibles
4e : cours sur l’esclavage aux Amériques au XVIIIe siècle (fonctionnement des sucreries).
LEP : idem
2e : module sur l’esclavage aux Amériques au XVIIIe siècle (fonctionnement des sucreries)
Relations avec autres disciplines
Français (textes sur la condition des esclaves).
Cours sur la condition des esclaves, la relation maître-valet.
34
doc. A Ŕ Plan de l’habitation Juchereau de Saint-Denis (Saint-Domingue, 1785)
(reproduction simplifiée de l’original)
35
Présentation du document
Ce plan de la sucrerie Juchereau de Saint-Denis, dressé en 1785, a été retrouvé au château de
L’Isle-de-Noé (Gers). Il faisait partie d’un lot de documents relatifs à cette habitation, papiers de
famille conservées en mains privées. Une fois constitué le dossier d’indemnisation des anciens
colons de Saint-Domingue, ces documents ont été remisés dans un grenier où ils ont dormi durant
des décennies. L’original de ce plan a été abîmé par l’humidité et les moisissures, restant cependant
lisible. Il a été possible de le reproduire à l’identique (au trait noir ; le fin liseré de couleurs qui
entourait les parcelles a été négligé). Cette reproduction contient deux ajouts par rapport à
l’original : à côté du numéro de chaque parcelle est également indiqué son nom (les noms ont été
retrouvés dans un document comptable qui accompagnait le plan). Par ailleurs, un essai
d’identification des bâtiments et des principaux lieux est proposé.
Analyse
Au moment de relevé de ce plan, la sucrerie Juchereau appartient à Louis-Barbe Juchereau
de Saint-Denis, grand planteur de Saint-Domingue. Située au Trou-du-Nord, non loin de FortDauphin (aujourd’hui Fort Liberté), elle faisait 254 carreaux (1 carreau correspond à 1,29 ha, soit,
dans le cas présent, un domaine de 327 ha de surface totale). Une mention précise que 60 carreaux
(77 ha) ont été acquis d’une habitation voisine appartenant aux héritiers Dureau. On peut donc en
déduire qu’à l’origine la sucrerie Juchereau faisait 194 carreaux (250 ha), soit déjà une taille
« américaine » (l’historien David Geggus a calculé que la taille moyenne des sucreries du nord de
Saint-Domingue oscillait entre 240 et 310 ha à cette époque). Les sucreries des petites Antilles
(Guadeloupe, Martinique…) étaient de taille nettement inférieure, tout en restant de superficie
importante quand on se souvient que le paysan français à la même époque, en métropole, n’avait
guère que l’équivalent d’un hectare en moyenne pour subsister.
L’échelle du plan est en « pas » (un pas correspond à 3 pieds 6 pouces, soit 1,13 m ). Sur sa
plus grande longueur (AB ou CD) le domaine s’étire sur environ 2,8 km de long, ce qui nous donne
une nouvelle indication quant à sa dimension. Quant aux surfaces plantées en cannes, elles
représentent quasiment 130 ha (100 carreaux) selon le plan.
Description des terrains
Ce qui frappe au premier regard est le découpage géométrique des pièces (parcelles)
plantées en cannes à sucre. L’habitation Juchereau illustre de façon exemplaire l’organisation d’une
telle culture, avec ses 24 pièces de forme géométrique, numérotées et portant des noms assez
banaux (en rapport avec la nature : morne, source, ravine…, les plantations : mokas, citronnier,
acajous, savane, manioc…, ou les installations : aqueduc, fossé, vuide, cases à nègres…). Comme il
fallait 18 mois pour qu’une bouture de canne arrive à maturité (12 mois dans le cas d’un « rejeton »,
repousse de cannes) toutes les parcelles n’étaient pas coupées en même temps. Numérotage et
nomenclature permettaient au gérant de suivre au plus près l’évolution de la croissance des plants et
des rendements. Ces parcelles nécessitaient une irrigation, l’eau captée dans la rivière de Caracol
servant à cet usage, ainsi qu’à la force motrice nécessaire pour le moulin broyeur de cannes. On peu
remarquer au passage que le lit de la rivière s’est modifié, le « lit actuel » ayant été creusé à la suite
d’une « avalasse » (orage tropical) particulièrement violent, qui a fait déborder le cours d’eau et
abandonner « l’ancien lit ». Une pièce non numérotée, juste au dessous de la pièce 23, semble être
une pépinière, mais on n’a aucune indication précise de ce qui est planté.
Au-dessus (nord-est) des pièces de cannes on remarque des sillons qui correspondent très
probablement aux places à vivres, jardins collectifs plantés en racines (manioc), bananes plantain ou
légumes afin de servir à l’alimentation des esclaves. Les esclaves pouvaient également disposer
d’un petit lopin privatif pour leur production personnelle (non explicités sur ce plan).
Au-dessus des sillons se trouvent les « bois debout », collines plantées d’arbres pouvant
36
servir de bois d’œuvre ou de combustible pour la sucrerie (ou la cuisine). Chaque habitation ayant
ses animaux (mulets, bovins, chevaux) sont prévus des pâturages (« savanes ») pour leur nourriture.
La zone délimitée par les points CFGE, acquise par le maître, est-elle destinée à augmenter les
places à vivres, ou servir de réserve de bois debout ? On ne sait.
Description des bâtiments
On peut distinguer deux sortes de bâtiments : les logements et les constructions destinées à
la production sucrière.
Alignées parallèlement aux pièces 6, 7 et 23 on remarque une vingtaine Ŕ si tant est que le
trait du dessinateur corresponde à la réalité Ŕ de « cases à nègres » (logement des esclaves),
construites en matériaux les moins chers possibles. Cet alignement tranche par rapport à la
configuration observée ailleurs, où les cases sont regroupées en trois ou quatre petites « rues »,
formant une sorte de village. De l’ordre de 200 esclaves vivaient à Juchereau, on a donc affaire à
des logements collectifs (une case pour dix occupants, en moyenne ?). On remarque dans la parcelle
acquise une case isolée, peut-être le logement d’un esclave méritant ayant obtenu la « liberté de
savane » (liberté de circuler à l’intérieur de l’habitation) ou d’un « commandeur » (contremaître).
On observe également, isolée Ŕ et probablement un peu en hauteur Ŕ une grande case pouvant servir
de logement au gérant blanc chargé de veiller aux intérêts du maître en son absence (ce qui est le
cas). Il semble probable qu’une ancienne grande case, située près des bâtiments industriels, ait été
reconvertie à d’autres fonctions qui nous échappent.
Parmi les construction de type industriel, on peut remarquer le canal amenant l’eau au
moulin, un bâtiment en long servant de sucrerie (là où le jus est réduit en une mélasse épaisse
moulée dans des formes), un bâtiment en U servant de purgerie, avec un appentis servant de « case
à bagasses » (résidus de cannes broyées, pouvant servir de combustible pour les chaudières), ainsi
que l’étuve double permettant d’éliminer les dernières traces résiduelles d’eau dans les pains de
sucre. On remarque aussi un clocher (la cloche servant à l’appel des esclaves et à rythmer le
travail), l’hôpital (dispensaire) et un enclos servant au parcage des animaux.
37
doc. B Ŕ Instructions pour l’entretien des esclaves d’une plantation (1783) (extraits)
L’hôpital sera mis en régie et l’on y administrera avec soin, quoique avec une sage économie, le
régime et les remèdes prescrits par l’ordonnance du chirurgien.
Tous les objets qui composeront cette dépense seront réunis dans un seul chapitre, et le journal du
chirurgien où seront relatés le nombre, le genre et le traitement des maladies, servira de pièce justificative.
Ce chapitre de dépense comprendra en outre tous les vivres et salaisons qu’on achètera pour les Nègres, ainsi
que toutes les gratifications, toiles, vêtements, etc., qui leur seront accordés pendant le courant de l’année.
Les femmes en couche, les nourrices, les enfants recevront tous les secours que l’état des unes et la
faiblesse des autres, exigeront humainement.
Les mères qui apporteront un enfant nouvellement né au premier de l’an recevront en outre de la
quantité de toile ordinaire de quoi faire un déshabillé complet en indienne ou gingo, avec un mouchoir du
Béarn pour elles, et de la cotonnade pour habiller leurs enfants.
Les Négresses qui auront cinq enfants vivant prendront une journée de la semaine à leur choix ; on
exigera qu’elles la déterminent une fois pour toutes, afin de prévenir les abus, les désordres, et soulager les
commandeurs nègres dans leur inspection, les distributions du travail, et le compte qu’ils en rendent aux
Blancs.
Celles qui auront six enfants vivant jouiront d’une entière liberté, à la charge d’en avoir le plus grand
soin, de leur ôter les chiques, de les tenir proprement, etc. et dans le cas de contravention, de négligence ou
d’abus de leur liberté, elles redeviendront soumises aux peines infligées par les maîtres sans perdre leur
liberté. Si cependant elles récidivaient trop souvent, on les remettrait au travail et l’on prendrait un soin
particulier de leurs enfants.
On distribuera tous les ans dans le mois de janvier la toile destinée à vêtir les Nègres, et dans des
quantités relatives à l’âge, la taille et l’état de chaque individu.
Ces toiles viennent de la Bretagne et ne peuvent être remplacées plus utilement ; mais on pourrait les
faire venir des manufactures elles-mêmes, au reste c’est une bien faible économie.
On aura soin que les places à vivres soient toujours bien garnies de vivres de toute espèce, et
particulièrement de manioc qui est de la plus grande ressource dans les sécheresses et les disettes.
Enfin on se mettra à même de ne jamais compter avec un Nègre qui a des besoins, et s’il y a un abus à
tolérer ce serait sans doute celui qui proviendrait d’une trop grande profusion dans la distribution des vivres.
On fera inoculer tous les Nègres nouvellement achetés, ainsi que tous les enfants nouvellement nés et
jugés en état de recevoir et soutenir cette maladie. On choisira pour la leur donner le meilleur inoculateur
connu, à moins que le chirurgien de l’habitation n’ait fait des preuves suffisantes de capacité dans cet état.
On ne détournera ni Nègres ni Négresses, mulâtres ni mulâtresses pour en faire des perruquiers,
couturiers, etc. ou pour les employer à tout autre usage qu’au service de la Manufacture, ou à celui du
procureur à qui on recommande la plus grande discrétion dans le nombre et choix des Nègres destinés à son
usage personnel.
Indépendamment de l’augmentation momentanée du mobilier que l’on portera au point où il doit être
pour balancer la résistance à laquelle il est appliqué, il sera fait tous les ans un remplacement mesuré et
calculé sur les pertes qu’on aura faites, mais en général on remplacera deux Nègres morts par trois nouveaux
ou 3 par 4, suivant les besoins de l’atelier.
Source : archives privées
Présentation du document
Ces instructions émanent d’un propriétaire vivant en métropole, et confiant l’administration de
son domaine à un procureur, c’est-à-dire un homme ayant procuration de signature pour engager
son nom dans toutes les opérations jugées nécessaires pour la bonne marche du domaine (achats
d’esclaves ou d’outillage, contrats avec négociants, actes passés devant notaire…). Ce document a
été retrouvé au château de L’Isle-de-Noé (Gers). Une fois constitué le dossier d’indemnisation des
anciens colons de Saint-Domingue, ces documents ont été remisés dans un grenier où ils ont dormi
durant des décennies.
38
Analyse
La date de ce document est 1783, moment où M. de Juchereau, grand propriétaire absentéiste Ŕ
c’est le cas des trois-quarts des propriétaires à Saint-Domingue Ŕ change de procureur pour confier
la gestion de son domaine à Siméon Worlock, médecin anglais (originaire de la Jamaïque), l’un des
pionniers de la vaccination (on disait alors « inoculation ») antivariolique à Saint-Domingue. Cette
vaccination était pratiquée non par philanthropie, mais pour améliorer la condition sanitaire des
esclaves et donc en conserver le maximum pour la production agricole.
Les extraits présentés ici, en tête du document, nous montrent les dispositions relatives aux
esclaves (le terme de « nègre » n’est pas péjoratif à l’époque), telles que le maître entend qu’elles
soient appliquées par celui à qui il confie la procuration de sa signature, et donc l’administration du
domaine.
Comme on peut s’y attendre, le maître veut que les esclaves soient bien traités
(« humainement », est-il écrit), que rien ne soit épargné pour les soins, notamment envers les
femmes, les enfants et les malades… (pour qu’ils soient le plus vite possible rétablis et aptes à
reprendre le travail). De fait, le Code Noir fait obligation aux maîtres d’entretenir la main d’œuvre
servile, de la loger, l’habiller et de la soigner. D’où, explicitement indiqué, la distribution de toile
pour faire des vêtements. Mais rapporté à l’année, la quantité de toile attribuée n’est que peu de
chose et il n’était malheureusement pas rare que les esclaves soient déguenillés. Quant à la
provenance des toiles, il est fait allusion à la Bretagne, et à d’autres « manufactures » (selon les
arrivages ? Du port de Bordeaux arrivaient des tissus confectionnés en différents ateliers du Sud
Ouest). Le gingo est un tissu grossier confectionné localement.
Mention particulière doit être faite du régime des femmes. Ainsi, les mères de cinq enfants Ŕ
ayant donc assuré un niveau important de reproduction du cheptel humain Ŕ ont droit à un jour de
repos par semaine. Les mères de six enfants bénéficient même de la « liberté de savane » (liberté à
l’intérieur du périmètre de l’habitation). C’est l’usage, le maître n’innove pas. Mais leur
comportement Ŕ soins apportés aux enfants, respect de l’encadrement… - doit être exemplaire, sous
peine de punition, voire de remise pure et simple au travail (les femmes travaillaient aux champs
comme les hommes)… À quel moment est-il jugé que les bornes sont dépassées ? Cela reste de
l’estimation du gérant, on est dans le règne de l’arbitraire. Cela étant, ces dispositions semblent
traduire une politique nataliste, qui commence à être partagée par certains colons (cette pratique
était assez courante au XVIIe siècle dans les Antilles françaises, avant de laisser la place à des
importations massives d’esclaves adultes au XVIIIe siècle).
Le maître demande au régisseur de veiller aux « places à vivres » (c’est-à-dire aux jardins
collectifs servant à nourrir les esclaves, et notamment plantés en manioc). Tout ce qui est produit
sur place n’est pas à acheter, n’est pas une dépense à imputer au budget général. Mais il n’en reste
pas moins que l’alimentation est toujours un problème sur les habitations : les esclaves sont,
généralement, mal nourris, avec des rations déséquilibrées, riches en féculents, pauvres en viande
ou poisson.
Le propriétaire fait allusion à « l’inoculation », autrement dit la vaccination antivariolique. La
colonie de Saint-Domingue est effectivement pionnière en la matière, bien avant l’Europe. Il faut
dire que, dans le cas présent, nous avons affaire à une situation avantageuse, puisque celui qui reçoit
la procuration de Juchereau de Saint-Denis n’est autre que Siméon Worlock, l’un des propagateurs
de la méthode d’inoculation dans les ateliers du nord de St-Domingue.
Le maître insiste, par ailleurs, afin que ne soient pas donnés de « talents » particuliers aux
esclaves autres que ceux requis pour la bonne marche des travaux de l’habitation : tonnelier, sucrier,
maçon, ou charpentier, pratiques dont il y a immédiate utilité sur les lieux. En revanche, hors de
question de former des « perruquiers ou couturiers » pouvant certes travailler pour le procureurgérant mais dont le besoin se fait moins sentir, selon le maître, et surtout qui auraient des talents
susceptibles d’être reconvertis en profession libérale en cas d’affranchissement. Dans le même
ordre d’idée, le procureur-gérant aura selon le maître le personnel servile domestique en nombre le
39
plus réduit possible, et discret. Il s’agit d’éviter au maximum une trop grande familiarité et, à terme,
la tentation de trop affranchir pour services rendus.
Malgré les dispositions que l’on peut considérer comme natalistes, il semble manifeste que la
natalité à Juchereau ne suffise pas pour entretenir, sinon développer, le nombre de personnels
nécessaire à la bonne marche générale (et qu’est-ce que la « résistance » à cette politique ? Un refus
des mères d’enfanter des enfants destinés à l’esclavage ?). D’où la précision donnée quant au taux
de « remplacement »de la main d’œuvre disparue par décès (voire marronnage, non dit) : 3 ou 4
nouveaux pour 2 morts, selon les circonstances.
Le maître a conscience de la nécessité de renforcer l’atelier, de ne pas le laisser dépérir en
effectif en retardant l’achat de main d’œuvre, toujours coûteux (contrairement par exemple à
l’habitation des Manquets, appartenant au comte de Noé, où le personnel n’augmente pas alors que
la charge de travail s’accroît de façon considérable, dans les dernières années avant la Révolution)
40
doc C Ŕ Bilan comptable de l’habitation Juchereau de Saint-Denis (1785)
Mobilier existant le 1er mars 1785
Nègres
206
Naissances
8
Acquisitions 6
Mortalité
8
total 1er mars 1785
Mulets
29
Acquisitions
Mortalité
Total
17
8
38
Bœufs
17
Acquisitions
Mortalité
Total
13
26
4
212
Vaches et suites
49 (vaches)
86 (suites)
Naissances
Ventes
Mortalité
Total
2
5
42
21
105
Juments
17
1
chevaux
10
-
1
17
4
6
Bêtes cavalines
Existait en 1784
Acquisitions
Naissances
Ventes et mortalité
Total
poulains
5
6
6
5
1 taureau
2 bourriquots
Source : archives privées
Présentation du document
Il s’agit de l’état récapitulatif du mobilier existant en 1785 pour l’habitation Juchereau SaintDenis, au Trou-du-Nord (Saint-Domingue), issu du bilan comptable annuel envoyé par le procureur
(intendant) qui gérait le domaine. Il s’agit d’un exemple parmi bien d’autres ; ces états récapitulatifs
se présentaient selon le même modèle.
41
Ce bilan comptable a été retrouvé au château de L’Isle-de-Noé (Gers) dans des archives privées
Analyse
Le propriétaire vivant en métropole, il était d’usage que le procureur envoie un bilan annuel des
opérations (productions, recettes, dépenses) et éventuellement un journal mensuel de travaux, ainsi
que des correspondances relatives aux récoltes, travaux et état d’esprit général dans la propriété. Le
document présenté est la dernière page du bilan couvrant la période allant du 1 er mars 1784 au 1er
mars 1785 (le décalage par rapport à une année civile s’explique par la date d’entrée en fonction du
procureur). Cet état des lieux du « mobilier » n’est que la traduction brutale du Code Noir qui
considère les esclaves comme des biens meubles, au même titre que les animaux (article 44 de
l’ordonnance de 1685).
Nous ne sommes pas renseignés sur le pourquoi du dynamisme démographique. Contrairement
au souhait du maître, le procureur n’a pas renouvelé les pertes (8 décès) par plus d’achats de vivants
(6 acquisitions), peut-être du fait qu’il a estimé les 8 naissances comme susceptibles à terme de
compenser la perte. 212 individus commencent à faire un atelier important. La surface plantée en
cannes est de l’ordre de 130 ha, selon le plan, soit 100 carreaux selon l’ancienne unité utilisée à
l’époque (1 carreau = 1,29 hectare), ce qui fait un taux théoriquement « confortable » de 2 esclaves
à l’hectare, correspondant au seuil considéré alors comme optimal pour la culture de la canne et la
fabrication du sucre. Il semble bien que la charge de travail reposant sur les épaules du personnel
servile de Juchereau ne les harassait pas (du moins en théorie), ce qui n’était pas le cas partout,
malheureusement.
Nous ne sommes pas renseignés sur les raisons de la forte mortalité des bœufs (26 disparitions
en un an), peut-être une épizootie, mal endémique susceptible de décimer les troupeaux. Par
« suites », il faut entendre veaux et génisses. Les mulets servaient soient à faire tourner un « moulin
à bêtes », tourniquet susceptible de prendre le relais du moulin à eau pour presser les cannes, en cas
de trop faible débit de la rivière apportant l’eau nécessaire au moulin, soit de force motrice pour
tracter des cabrouets (charrettes) si les bœufs ne suffisaient pas. Le bon maintien en état du cheptel
animal était essentiel pour la bonne marche d’une habitation. Un procureur avisé faisait venir
régulièrement un chirurgien pour vérifier l’état sanitaire des esclaves, et un vétérinaire pour
examiner les bêtes de somme...
42
doc D Ŕ Processus de fabrication du sucre au XVIIIe siècle
Source : montage de gravures du XVIIIe siècle (notamment de L’Encyclopédie),
issu de l’exposition L’Isle-de-Noé, île des Antilles, tenue à L’Isle-de-Noé (Gers), été 2003)
Analyse
Dans ces divers documents iconographiques, sont illustrées les différentes phases de fabrication
du sucre selon les méthodes de l’époque. Une fois les cannes coupées et acheminées par cabrouets
jusqu’au pressoir, elles sont broyées pour en exprimer le jus (« vesou »). Ce jus passe dans une
batterie de chaudières où il est réduit en un sirop de plus en plus épais et clarifié des impuretés.
Lorsqu’il est très pâteux, ce sirop est versé dans des moules (appelés « formes »). On peut
éventuellement y ajouter en surface une argile humide qui, libérant de l’eau, contribue à éliminer
des impuretés (on parle alors de sucre « terré », sinon le sucre reste brut ; les opérations de raffinage
sont réservées à la métropole). Ces formes sont placées dans une purgerie, où le sucre cristallise et
où l’eau résiduelle finit par être recueillie dans des récipients (dits « recette à mélasse »). Une fois
démoulés, les pains de sucre sont placés dans une étuve durant une quinzaine de jours : la douce
chaleur qui s’y diffuse permet d’éliminer les toutes dernières traces d’eau. Enfin, les pains de sucre
sont réduits en poudre par pilage, avant d’être mis en barriques et expédiés en métropole. Le rhum
(ou « tafia ») venait de la distillation des résidus de mélasse.
43
Mots clés : sucre, habitation, esclavage
Pistes d’exploitation possibles
4e : cours sur l’esclavage aux Amériques au XVIIIe siècle (fonctionnement des sucreries)
LEP : idem
2e : module sur l’esclavage aux Amériques au XVIIIe siècle (fonctionnement des sucreries)
Relations avec autres disciplines :
Français (textes sur la condition des esclaves)
44
doc. E Ŕ Un grand planteur esclavagiste à Saint-Domingue : le comte de Noé
Instructions du comté de Noé à son intendant (1790)
Par devant le notaire royal de la ville de Montesquiou Danglès, district de Mirande, département du Gers,
soussigné, présent les témoins bas nommés, fut présent et constitué en personne Louis-Pantaléon de Noé,
maréchal de camp et armées du roi sans ajouter les qualifications qu’il a toujours prises ainsi que ses ancêtres
de temps immémorial pour se conformer au décret de l’Assemblée nationale, lequel de son gré et volonté a
par ces présentes créé et constitué pour son procureur général et spécial, l’une qualité ne dérogeant à l’autre,
M. Duménil, actuellement sur l’habitation de mondit sieur de Noé dite de Manquets, située paroisse de
l’Acul, dépendance du Cap-Français, île et côte St-Domingue, auquel il donne pouvoir de pour lui et en son
nom régir et administrer ladite habitation en bon père de famille aux clauses et conditions ci-après.
Ledit sieur constituant accorde audit sieur procureur fondé pour émoluments de ses peines et soins cinq
pour cent qu’il percevra tous les ans sur les revenus de ladite habitation, de plus la somme de trois mille
livres argent de la colonie tant pour la pension et nourriture du raffineur et ouvrier quelconque qui pourront
être employés sur ladite habitation que pour l’entretien des voitures et chevaux dont ledit sieur procureur
fondé se pourvoir à ses dépens pour les voyages nécessaires aux affaires de l’habitation.
Ledit sieur procureur fondé jouira pour son usage seulement avec toute l’économie d’un bon père de
famille des douceurs de l’habitation, savoir pigeonnier, troupeau de moutons, vivres du pays pour ses
domestiques et grains qu’il recueillera pour sa volaille, etc., entendant ledit sieur constituant qu’il ne soit fait
chez lui aucun commerce direct ni indirect, en vivres, volailles, cochons, moutons, bœufs, chevaux ou
mulets ; lui permettant seulement de vendre les vieux bœufs, vaches et brebis pour le compte de l’habitation
seulement.
La dépense pour nourriture, remèdes et entretien d’hôpital sera portée au compte général des dépenses
d’habitation ; les frais seront faits avec une sage économie. Ledit sieur constituant entendant qu’il ne soit rien
épargné pour ses nègres malades et même pour ceux qui ont besoin d’être aidés, même ledit sieur procureur
fondé aura attention de planter le plus de vivres possibles.
Ledit sieur procureur fondé aura sous ses ordres un raffineur auquel il ne pourra donner plus de six mille
livres par an et il ne parviendra à lui donner cette somme qu’après avoir augmenté chaque année celle qu’il
lui donnera en entrant sur l’habitation à mesure qu’il sera satisfait de ses talents, surtout pour la fabrique du
sucre que ledit sieur procureur fondé surveillera avec la plus grande exactitude.
Ledit sieur constituant exige que son procureur fondé réside sur son habitation des Manquets, qu’il soit
uniquement chargé de ses affaires et ne pourra prendre d’autres procurations que du consentement dudit sieur
constituant. Son habitation étant assez considérable pour occuper seule son procureur fondé qui dirigera par
lui-même tous les travaux de ladite habitation pour lesquels il donnera des ordres sans aucun intermédiaire.
Ledit sieur procureur fondé enverra tous les mois exactement audit sieur constituant un journal de travaux
faits sur son habitation chaque jour, suivant le modèle qui lui en sera remis.
Ledit sieur procureur fondé donnera tous les ans audit sieur constituant, au trente-et-un décembre, par les
mains de son procureur honoraire, un compte général des recettes et dépenses qui sera débattu et arrêté par
ledit sieur procureur honoraire.
Ledit sieur procureur fondé sera tenu de faire passer à Messieurs Guilbaud et Gerbier et Compagnie,
négociants au Cap, tous les revenus de ladite habitation au fur et à mesure de leur fabrication, qui en
disposeront d’après la volonté dudit sieur constituant, à l’exception des sirops qu’il pourra vendre et il sera
tenu d’en rapporter le produit dans ses comptes.
Promettant d’avoir pour agréable tout ce qui sera fait et géré par son dit procureur constitué en vertu de la
présente procuration à laquelle voudra nonobstant surannation jusqu’à révocation expresse tant de la part
45
dudit sieur constituant que de son procureur honoraire. Promettant, &, obligeant, &, fait, passé et lu audit
sieur constituant dans son château de L’Isle-de-Noé le seizième jour du mois de septembre de l’an mil sept
cent quatre-vingt dix, avant midi, en présence du sieur Joseph-Marie Delort, bourgeois dudit L’Isle-de-Noé,
et de M. Joseph Agut-Lasserre, avocat en parlement, juge de la baronnie de Montesquiou, habitant de
Montesquiou, soussignés avec ledit sieur constituant et notaire.
signatures : Louis-Pantaléon de Noé, J. Delort, Agut-Lasserre, Ayliès notaire royal
Source : Archives Départementales du Gers, 3 E 14777
(registre des années 1789-1790 de Me Ayliès, notaire à Montesquiou), acte n° 1175
Présentation du document
Cet acte notarié datant de 1790 contient les instructions qu’un propriétaire de plantation
absentéiste, le comte de Noé, adresse à celui qui va détenir sa procuration pour gérer sa sucrerie à
Saint-Domingue.
Le comte Louis-Pantaléon de Noé (1728-1816), d’origine gasconne, est né à Saint-Domingue
(son père, officier de marine désargenté, s’y était marié avec Marie-Anne de Bréda, fille d’un
propriétaire sucrier). À l’âge de huit ans et demi, le jeune garçon va en métropole où, en digne fils
de l’aristocratie, il entame, à partir de l’âge de douze ans, une carrière d’officier dans les armées du
roi. Devenu en 1764 seul héritier des biens de sa mère, Louis-Pantaléon de Noé fait un séjour de six
ans (1769-1775) dans son île natale, pour redresser une situation financièrement délicate. Il va
s’associer avec son cousin, le chevalier d’Héricourt, propriétaire d’une sucrerie mitoyenne, fondant
ainsi la grande sucrerie des Manquets (700 ha, dont 300 plantés en cannes à la veille de la
Révolution). Une fois la situation redressée, il rentre en métropole, se marie et connaît, de 1776 à
1791, la vie de grand seigneur sur les terres familiales de L’Isle-de-Noé, en Gascogne. Mais la
tournure des événements révolutionnaires le pousse à émigrer, à Coblence (fin 1791) puis en
Angleterre, où sa situation va devenir financièrement de plus en plus délicate. Finalement le comte
de Noé se rallie à Bonaparte et revient en France. Mais le temps de la splendeur est définitivement
passé. Couverts de dettes, les Noé sont contraints de vendre leur château en 1809. Devenu Pair de
France Ŕ à titre héréditaire Ŕ sous la Restauration, Louis-Pantaléon de Noé meurt à Paris début
1816. En 1818, la famille a la possibilité de racheter le château de L’Isle-de-Noé.
En 2003, à l’occasion du bicentenaire de la mort de Toussaint Louverture, des manifestations
historiques ont eu lieu à L’Isle-de-Noé. L’allée conduisant au parc du château s’appelle désormais
« allée Toussaint Louverture » et la place devant les grilles du château « place Jean-Baptiste
Belley » du nom du premier député Noir à la Convention.
Analyse
Il était d’usage pour les propriétaires sucriers absentéistes de consigner par-devant notaire les
instructions qu’ils transmettaient à leur procureur (le titulaire de leur procuration, ayant donc
pouvoir de signer et d’engager des dépenses pour la bonne marche du domaine) à Saint-Domingue.
Cela avait un caractère officiel indispensable pour que les choses soient fixées en cas de litige. En
l’occurrence, le comte de Noé nomme procureur un jeune raffineur blanc employé sur son
habitation, Joseph-Nicolas Duménil. Cette nomination se fait après quelques bouleversements :
licenciement du procureur Bayon de Libertat en 1789 (après dix ans de présence), courte gestion du
procureur Langlois de Laheuse de 1789 à 1790 (disparition du fait d’un brusque décès). Duménil a
été recommandé au comte par un cousin revenu un temps à Saint-Domingue, le comte de Butler.
Faute de mieux, Noé fait confiance à son cousin mais va, par ailleurs, nommer un « procureur
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honoraire » chargé de surveiller la bonne marche de l’ensemble, à savoir François Guilbaud,
négociant au Cap-Français, par qui transitent les sucres produits par l’habitation.
Les émoluments du procureur consistent en un intéressement de 5% aux revenus de la sucrerie,
de façon à stimuler et la production et le zèle du titulaire de la procuration. Le taux est intéressant.
À cela s’ajoute un forfait de 3 000 livres pour entretenir un raffineur blanc (c’est-à-dire un
contremaître chargé de superviser la fabrication des sucres) et un ouvrier blanc éventuellement
embauché, ainsi que pour « l’entretien des voitures et chevaux » nécessaires au service de
l’habitation (laquelle se trouve à huit bons km du Cap-Français, et donc de la maison de négoce à
qui sont confiés les sucres). Par ailleurs les émoluments du raffineur sont plafonnés à 6 000 livres,
important salaire, pour un poste sensible, mais qui exige un étroit contrôle de qualité (aux Manquets
on produisait du sucre « terré », c’est-à-dire du sucre teint en blanc par une terre spéciale, et non pas
du sucre brut Ŕqui se vendait moins cher. Les opérations de raffinage étaient réservés pour la
métropole).
Le procureur (régisseur) a, comme le veut l’usage, la jouissance des « douceurs » de l’habitation
(pigeonnier, moutons, vivres du pays, grains…) pour sa consommation personnelle et l’entretien de
son personnel domestique, en « bon père de famille ». Mais le maître interdit explicitement tout
commerce desdites douceurs qui se ferait au détriment de l’habitation, probablement échaudé par
les pratiques des précédents procureurs dont il a finalement eu vent. Il faut dire que la réputation des
procureurs et gérants (comptables) appointés par des propriétaires absents était déplorable à SaintDomingue, leur position encourageant détournements et pratiques d’enrichissement rapide. Cela
explique également que le maître exige que le procureur réside constamment sur place et ne se
contente de faire des apparitions de temps à autre. Il doit aussi envoyer chaque mois un « journal de
travaux » selon un modèle à suivre, ainsi qu’un bilan comptable établi par année civile, ne se
bornant donc plus à des comptes approximatifs et quelques correspondances, comme ce fut
effectivement le cas durant les années précédentes. À ses dépens, Noé avait appris que ses revenus
en avaient souffert. Il ne sait pas encore que la condition de ses esclaves pouvait aussi directement
en pâtir.
À leur propos, le maître entend « qu’il ne soit rien épargné pour ses nègres malades et même
pour ceux qui ont besoin d’être aidés ». Le Code Noir fait obligation aux propriétaires d’entretenir
la force de travail servile, considérée comme meuble. De loin, le comte de Noé souhaite que cela
soit particulièrement le cas pour les soins médicaux et pour la nourriture (d’où l’ordre que soit
planté « le plus de vivres possibles »), avec une « sage économie » cependant, propos qui semble
quelque peu contradictoire avec l’intention généreuse qu’il affiche.
Mots-clés : plantation (habitation), esclavage, colon
Pistes d’exploitation possibles
2e : module sur l’esclavage aux Amériques au XVIIIe siècle (fonctionnement des sucreries)
Relations avec autres disciplines
Français (textes sur la condition des esclaves)
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DOC. F. La vie quotidienne des esclaves de l’habitation des Manquets : les problèmes
sanitaires
Extraits de lettres retrouvées de l’intendant, Bayon de Libertat, adressées au comte de Noé
(1779-1787)
Lettre du 2 novembre 1779
Votre hôpital est très bien tenu, il y a beaucoup d’ordre, et vos malades sont très bien soignés, votre
chirurgien est un nommé Mauvezin auquel on donne 1500 [livres] et on fournit les remèdes. Il vient trois fois
la semaine et même plus s’il le faut, il reste sur l’habitation de M. de Bréda à la Plaine-du-Nord.
Lettre du 12 mars 1780
Je ne puis vous exprimer dans quel excès de contentement sont vos nègres, ils se portent tous bien,
travailleurs de bon cœur, ils sont dans la plus grande aisance, je n’en ai aucun de marron. Il m’en est revenu
plusieurs, que le chevalier [d’Héricourt, cousin du comte de Noé] croyait perdus, j’ai donné des places à plus
de 80 anciens nègres qui n’en avaient pas, pour les faciliter je les leur ai données toutes plantées.
La population est très belle chez vous, je l’encourage beaucoup. J’ai pris le parti d’attirer dans votre
grande case tous vos négrillons, ils y sont journellement, on leur donne à manger et on les soigne, si cette
partie n’est pas négligée, votre habitation se soutiendra, vous ferez un très bon et superbe atelier, vous êtes
présentement père de famille, vous devez penser différemment que le chevalier qui ne voulait que jouir.
Lettre du 11 août 1780
Les nègres sont très contents et travaillent de bon cœur pour vous, ils ont le cœur un peu plus tranquille,
les plus malheureux sont bien soulagés. Ils regorgent de vivres. Il n’y a pas d’habitation dans toute la colonie
où il y en ait autant. La population remplacera par la suite la mortalité. Je ferai tout ce qui dépendra de moi
pour l’encourager. Votre atelier est de la plus rare beauté. Je n’en connais pas de plus beau dans aucune
habitation.
Lettre du 27 mai 1782
Je puis vous protester, monsieur le comte, que jamais l’abondance en vivres aux Manquets a été comme
elle est et que jamais les nègres y ont été mieux soignés, soit en bonne santé, soit malades. On foule les
vivres dans tous les coins de l’habitation, ils s’y perdent pour ainsi dire (…)
Lettre du 8 octobre 1783
J’ai un soin extrême de vos nègres et surtout de la population que j’encourage le plus que je puis par les
douceurs, je nourris journellement les nègres du moulin, de la sucrerie et du fourneau, et je leur donne un peu
de morue depuis que les Américains viennent nous acheter nos sirops. (…)
Les négriers ne sont pas encore venus comme on nous l’avait annoncé, on ne traite qu’au comptant ou à
des termes qui sont comme tels, il serait nécessaire de vous mettre bon nombre de jeunesse dès 4 ou 5 ans et
de suite, et après quoi tous les ans une demi-douzaine, voilà ce qui soutiendra l’atelier de votre habitation, je
vais à la fin de cette année vous en faire connaître le nombre, par un inventaire que je vais en faire.
Lettre du 15 avril 1786
Il est temps, monsieur le comte, de commencer à acheter des nègres pour remplacer tout ce que j’ai perdu
depuis la mort du chevalier, il est inouï que je puisse soutenir à faire le revenu que je fais avec moins de
force qu’il n’y en avait, je voudrais bien vous acheter 12 nègres de 15 à 16 ans qui vous coûteront autant que
les plus grands et après quoi, tous les ans, six de douze ans. Cet achat est assez difficile à faire quand on veut
avoir des Arada et Congo. Il les faudrait un peu plus jeunes, et cela se trouve aisément, votre atelier est fort
beau et en bon état, j’ai une quarantaine d’enfants bien tenus proprement, desquels on prend le plus grand
soin, j’encourage le plus qu’il m’est possible la population, non seulement par l’argent que je donne aux
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mères et à l’accoucheuse, mais encore par le grand soin qu’on prend de ces enfants lorsqu’ils sont sevrés. Ils
ne sont plus dès cet instant à la charge de la mère, pour l’habillement, la tenue et la nourriture. J’ai trois
femmes qui sont chargées de ce soin. Je compte que cela réussira bien.
Source : archives privées
Lettres reproduites dans DONNADIEU (Jean-Louis), Entre Gascogne et Saint-Domingue :
le comte Louis-Pantaléon de Noé, grand propriétaire créole et aristocrate gascon (1728-1816),
thèse de doctorat d’histoire, Université de Pau et des Pays de l’Adour, 2006.
Présentation du document
Ont été sauvées de l’oubli quatorze lettres, s’étalant de 1779 à1787, que le procureur (= le
régisseur de la plantation) Antoine-François Bayon de Libertat a adressées au comte de Noé,
propriétaire de la grande sucrerie des Manquets, au quartier de l’Acul-du-Nord (nord de SaintDomingue, actuelle Haïti), permettant ainsi de ressusciter la vie quotidienne de cette habitation,
l’une des plus importante du nord de la grande île. Bien entendu, les événements sont vus au travers
du regard d’un administrateur de domaine, toujours prêt à se mettre en avant et à se donner le beau
rôle. Bayon est également procureur de l’oncle du comte de Noé, Pantaléon II de Bréda, dont il
administre les sucreries Bréda du Haut-du-Cap et Bréda à-la-Plaine-du-Nord.
Mais, au-delà du satisfecit, ces extraits nous apprennent quelques aspects importants de la vie
quotidienne du personnel servile, en particulier les questions sanitaires, la nourriture, la politique
nataliste suivie par Bayon et les difficultés croissantes à produire toujours plus de sucre avec un
effectif constant.
Analyse
Questions sanitaires
« Votre hôpital est très bien tenu » (lettre du 2 novembre 1779) et un chirurgien vient trois
fois par semaine examiner les esclaves. Par hôpital, il fut entendre un dispensaire où les soins les
plus importants sont apportés aux malades, comme le Code Noir l’impose aux maîtres. Les visites
d’un chirurgien (et d’un vétérinaire, pour les animaux) s’avéraient indispensables pour surveiller
l’état sanitaire général. Il semble effectivement que l’atelier des Manquets soit bien suivi. En 17831784, rougeole, dysenterie et petite vérole frappent la région, mais la grande sucrerie des Manquets
est moins touchée que d’autres. Curieusement, dans sa correspondance, Bayon ne parle pas de la
pratique de « l’inoculation » (vaccination antivariolique) qui commence à se développer à SaintDomingue.
nourriture
La question cruciale de la satisfaction des besoins alimentaires revient sans cesse, Bayon
insistant lourdement, au fil de sa correspondance, sur l’abondance dont l’habitation des Manquets
semble pourvue. On voudrait bien le croire, mais ce qu’il indique (lettre du 8 octobre 1783) à
propos des esclaves travaillant à la sucrerie, effectuant la pénible transformation du jus de canne en
sucre, dans une atmosphère surchauffée, jette quelque doute sur l’équilibre de la ration alimentaire
de l’ensemble. En effet, si à ces travailleurs de force est donné « un peu de morue » (achetée à
l’extérieur), cela signifie que les autres esclaves n’y ont pas forcément droit. Les esclaves
mangeaient beaucoup de féculents (manioc, banane plantain) mais l’apport en protides et lipides
était parfois insuffisant. Par ailleurs, il pouvait y avoir des trafics de nourriture sur les habitations,
aux Manquets comme ailleurs.
49
politique nataliste
En 1786, Bayon parle d’une quarantaine d’enfants dont il prend un soin particulier (trois vieilles
femmes se consacrent à leurs soins) et de l’encouragement qu’il porte aux mères et à l’accoucheuse
(probable affranchie) par des dons en argent. Mais cela n’est pas assez pour compenser les pertes
dues aux maladies, à la vieillesse (en 1780 Bayon parle de « 80 anciens nègres » qui cultivent des
« places » - jardins - participant ainsi à la production de nourriture, mais qui ne sont plus affectés à
la coupe de la canne), ainsi qu’à l’évasion (marronnage).
Au total, cette politique est insuffisante, car Bayon ne cesse de rappeler au comte qu’il souhaite
acheter de la main d’œuvre importée, jeune de préférence Ŕ moins chère que les adultes, plus apte
peut-être à s’adapter aux pandémies locales, plus malléable aussi. Mais le comte de Noé ne semble
avoir pris ni l’exacte mesure du manque d’effectif ni accepté la dépense nécessaire. L’atelier a beau
être décrit comme « fort beau et en bon état », la réalité est autre.
Production de sucre et atmosphère de travail
Bayon ne parle guère du travail des champs de canne, dont la superficie va, de 1779 à 1791, être
augmentée de deux tiers alors que l’effectif des bras disponibles ne bouge guère. Une conclusion
s’impose : la charge de travail tombant sur les valides est à la limite du supportable, bien à l’opposé
du « contentement » sempiternellement décrit. Le marronnage est à peine évoqué, il existe
cependant aux Manquets comme ailleurs. De fait, au fil du temps, la situation se détériore, cela
transparaît de correspondances ultérieures (mais non dues à la plume de Bayon). Lors de la grande
révolte des esclaves de la Plaine du Nord de Saint-Domingue (qui conduira à l’indépendance
d’Haïti), la sucrerie des Manquets sera l’une des toutes premières Ŕ sinon la première Ŕ à se
révolter.
Mots-clés : esclavage, santé, plantation (habitation)
Pistes d’exploitation possibles
4e : cours sur l’esclavage aux Amériques au XVIIIe siècle (fonctionnement des sucreries)
LEP : idem
2e : module sur l’esclavage aux Amériques au XVIIIe siècle (fonctionnement des sucreries)
Relations avec autres disciplines
Français (textes sur la condition des esclaves)
50
3 Ŕ LE TRAVAIL FORCE EN AFRIQUE ÉQUATORIALE FRANÇAISE
AUTOUR DE 1910
Aux ordres de récolte du caoutchouc, les villages répondirent par un refus et, pour appuyer
l'administration, des colonnes volantes de gardes furent envoyées dans le pays. Les indigènes n’essayèrent
pas de résister, mais plusieurs milliers, proches du fleuve, s'enfuirent au Congo belge. Les autres se cachèrent
dans la brousse, ou dans des grottes dont on les délogea à coups de grenades. (…). Chaque village ou groupe
de villages fut alors occupé par un ou plusieurs gardes, assistés d'un certain nombre d'auxiliaires, et
l'exploitation du caoutchouc commença.
Il s'agissait de traiter la « landolphia humilis » (…). C’était un petit arbuste, très répandu dans toutes les
savanes, dont les racines profondes sécrétaient un latex de seconde qualité. Un programme fut élaboré (…).
Après l’appel du matin, tous, hommes et femmes, transformés en récolteurs, se dispersaient pour l'arrachage
des rhizomes et, à leur retour au village, chaque fagot était minutieusement contrôlé. (…) En fin de mois, la
récolte était portée au chef-lieu où avait lieu la vente, à raison de 15 sous le kilo. L'administration procédait à
la pesée et l’acheteur, prenant livraison de la marchandise, payait comptant non aux récolteurs, mais au
fonctionnaire qui versait la somme à l'impôt du village. La masse travaillait ainsi neuf mois consécutifs sans
toucher la moindre rémunération (souligné par Jean Suret-Canale).
Ce travail forcé alla à peu près les deux premières années, parce que le produit abondait et que la
nourriture était encore assurée par d’anciennes plantations de manioc. Mais vint un temps où la landolphia
se raréfiant à proximité des agglomérations, les récolteurs furent déportés vers de nouveaux
peuplements, parfois très éloignés des villages, où n'étaient autorisés à rester que les malades et les
jeunes enfants. (…) On avait prévu trois mois pour les plantations. Mais épuisés, découragés, persuadés
qu'on ne leur laisserait pas le temps d’entretenir leur champ, (…), les indigènes ne plantaient presque plus.
C'est alors que, pour se disculper, certains lancèrent ce slogan : « Ces gens sont tellement fainéants qu'ils ne
plantent même plus. Quoi d'étonnant à ce qu'ils crèvent de faim. »
Bientôt des primes de production, alcool, viande, marchandises diverses (…) furent largement distribués
par les acheteurs (les compagnies) aux chefs de village et aux gardes, incitant ces derniers à intensifier la
récolte, et ce furent le travail de nuit, les violences, les exactions. Des auxiliaires s'érigeant en policiers
donnaient la chasse aux nombreux récolteurs qui essayaient de se soustraire à la corvée et l'on rencontrait de
longues files de prisonniers, la corde au cou, nus, pitoyables. Que de ces malheureux, abrutis par les mauvais
traitements, n’ai-je pas vu défiler à cette époque sur certaines pistes écartées. Affamés, malades, ils
tombaient comme des mouches. Les malades et les petits enfants, abandonnés au village, y mouraient de
faim. (…) Par suite de ce lamentable état da choses, de nombreux villages, il n'existait plus que des ruines ;
les populations étaient réduites à la plus noire misère et plongées dans le désespoir. (…) Pour détourner
l’attention, on allait mettre tous les malheurs occasionnés par l’inhumaine exploitation du caoutchouc à
l’actif de la maladie du sommeil qui, il faut le reconnaître, avait fait aussi de graves ravages depuis une
dizaine d'années.
Source : Père Daigre, Oubangui-Chari. Témoignage sur son évolution (1900-1940), Dillen, 1947.
Cité par Jean Suret-Canale, Afrique Noire. L’ère coloniale (1900-1945), Paris, 1964..
Mots-clés : colonisation française, travail forcé, violence, exploitation économique, compagnies
concessionnaires, Afrique Équatoriale française.
Place dans les programmes
Classes de 4e, de 1re et de Ter. S.
Thématiques
51
-
-
Travail autour du travail forcé et de la violence en situation coloniale.
Travail sur le système des compagnies concessionnaires et sur la collusion entre
administration coloniale et entreprises privées pour l’exploitation économique des
territoires » (prolongements possibles avec des extraits choisis d’André Gide, Voyage au
Congo).
Travail sur la notion d’économie de traite.
Travail sur les liens entre colonisation et mondialisation (le boom mondial du caoutchouc et
ses conséquences concrète au fin fond de l’AEF).
Pistes de travail
-
Repérage géographique de l’AEF, et plus particulièrement de l’Oubangui-Chari.
Exposé sur les formes anciennes et actuelles de « travail forcé ».
Repérage et documentation dur l’histoire du caoutchouc, ses zones de production, ses usages
lors de la 2e révolution industrielle…
Analyse du document
Le texte proposé est issu des mémoires, publiées en 1947, du père spiritain Joseph Daigre (18811952), missionnaire présent en Oubangui-Chari (Afrique Équatoriale française) de 1905 à 1939.
L’homme n’est pas, c’est le moins que l’on puisse dire, un anticolonialiste, ce qui donne d’autant
plus de force encore à son témoignage sur le travail forcé en AEF à la fin des années 1900. Il faut le
remarquer, toutefois, que si Daigre a été un témoin direct des faits qu’il décrit, il s’agit là d’un
témoignage très postérieur aux événements (1910 / 1947), témoignage qui n’expose guère son
auteur (qui a alors quitté l’Afrique) et ce, d’autant moins que l’ère qui s’ouvre après 1945 coïncide
avec une montée des récriminations contre les « abus » du système colonial.
La fonction occupée par le missionnaire le place dans une position critique vis-à-vis des autres
acteurs de la colonisation présents sur le terrain :
- 1°) l’administration coloniale, tout d’abord, représentante de l’État français dans les
territoires colonisés. À une époque marquée par un rude conflit entre État et l’Église en
métropole Ŕ et même si, dans les colonies, il n’y a pas d’application de la loi de Séparation
entre l’Église et l’État Ŕ, les relations ne sont pas nécessairement au beau fixe entre
administrateurs et missionnaires. Ces derniers reprochent souvent au premier d’épuiser les
« indigènes » et d’empêcher leur évangélisation. L’idée du missionnaire comme « rempart »
systématique protégeant les Africains contre les abus coloniaux se développe dans les
milieux ecclésiastiques et culmine dans les années 40-50 (date de parution des mémoires de
J. Daigre). C’est en fait une simplification abusive des relations qui ont été, sur le terrain,
très variables (collusion missions/administration, rivalités missions/administration, etc.).
-
2°) les entreprises privées, très actives dans le développement de l’économie coloniale et
très soucieuses du « retour sur investissement ». En Oubangui-Chari, plusieurs sont actives
autour de 1900 : la Société des Sultanats de l’Oubangui-Chari, la Cie de la Kotto, la Cie de la
Moyabe, etc. Le texte n’en désigne pas une en particulier. L’activité de ces entreprises, qui
ont obtenu des larges concessions de terrains (voir infra), est contradictoire avec le travail
des missions d’évangélisation.
Daigre est un farouche adversaire du système concessionnaire qui s’est établi en Afrique
Équatoriale Française à la toute fin du XIXe siècle. L’État français a concédé en 1899, pour une
durée de 30 ans, de vastes portions des territoires colonisés à des entreprises privées (« compagnies
concessionnaires »). Celles-ci peuvent exploiter les espaces ainsi mis à leur disposition, à charge de
52
les « mettre en valeur » et de les « équiper » en infrastructures de transport. L’administration
française, encore peu présente dans une AEF en cours d’organisation, abandonne parfois aux agents
des compagnies concessionnaires des prérogatives régaliennes (faire régner l’ordre, lever
l’impôt…) ou, comme c’est le cas ici, donne son concours aux activités commerciales des
entreprises, assurant la levée de main d’œuvre grâce aux agents de la force publique, fermant les
yeux sur les exactions commises, organisant les ventes à des prix fixés par les acheteurs européens
dans le cadre de la traite des matières premières.
À l’époque des faits décrits dans le document, on assiste à un boom mondial du caoutchouc
(2e révolution industrielle : pneus de voitures, de bicyclette, caoutchouc pour l’industrie, vêtements
imperméables, etc…). La demande internationale, extrêmement forte, n’est plus satisfaite par la
seule exploitation de la forêt amazonienne et le temps n’est pas encore venu des grandes plantations
d’hévéas dans le sud-est asiatique. La conséquence est un niveau élevé des prix mondiaux dans les
années 1900-1910 et l’intérêt d’étendre les zones de récolte du caoutchouc sauvage dans les empires
coloniaux. En AEF, c’est sous le double signe de l’économie de traite (cueillette intensive imposée
aux « indigènes », marchandises drainées par une pyramide de maisons de commerce, faibles
investissements productifs) et du système concessionnaire qu’est placée la ruée sur le caoutchouc.
La question du travail forcé est centrale dans ce texte. Ce travail forcé est imposé par
l’administration en parfaite collusion avec les compagnies privées qui ont besoin de main d’œuvre
bon marché. L’administration la leur fournit en contrepartie des services rendus dans le cadre de la
concession publique et au nom de la « mise en valeur » des territoires colonisés, en obligeant
notamment les populations à travailler pour payer l’impôt collectif (« L'administration procédait à
la pesée et l’acheteur, prenant livraison de la marchandise, payait comptant non aux
récolteurs, mais au fonctionnaire qui versait la somme à l'impôt du village ») ou au gré de
peines infligées dans le cadre judiciaire ou dans celui du régime de l’indigénat (« et l'on rencontrait
de longues files de prisonniers, la corde au cou, nus, pitoyables »). On a calculé que, dans
l’AEF de l’avant-guerre, les prestations obligatoires en travail pouvaient atteindre les 270
jours/an. La mise en place progressive, après la Première guerre mondiale, de l’impôt individuel
(de capitation), payé en numéraire, va contribuer à éliminer progressivement les formes de
travail forcé lié aux paiement de l’impôt « en nature » ou « en prestations de travail ». La
pression fiscale de l’ « impôt civilisateur » contribue alors à la progression du salariat ou à
l’extension des cultures de rente (denrées agricoles commercialisables) Ŕ les contribuables
devant se procurer de l’argent frais pour s’acquitter de leur impôt. La pression fiscale a donc
joué un rôle central dans la « mise au travail » des populations selon les logiques des
colonisateurs, et pour le bon fonctionnement de l’économie coloniale.
Ce système assure un approvisionnement continu en caoutchouc et un contrôle étroit des
prix d’achat de la denrée Ŕ notoirement sous-évaluée. En AEF, le kg de latex est acheté à 0,75
F, contre 7 à 9 F en Guinée française à la même époque Ŕ le système concessionnaire qui sévit
dans la seule AEF est sans doute pour beaucoup dans cette distorsion de prix (reconnaissons
toutefois que la comparaison est difficile, car ces chiffres ne disent rien de la qualité du latex
commercialisé dans les deux colonies).
En Oubangui-Chari, les conséquences économiques et démographiques d’une telle
exploitation économique sont clairement mises en évidence par le texte : violence directe
exercée par la force publique (rôle des gardes-cercle, les troupes coloniales au service des
administrateurs) ou par les chefs africains eux-mêmes, sur lesquels s’appuient à la fois
l’administration et les compagnies concessionnaires (primes distribuées par les compagnies
concessionnaires), épuisement des populations, déplacements de travail sur de longue distance,
effondrement des cultures vivrières, disette, épidémies liées à la dénutrition, mortalité en forte
hausse. Ce « choc démographique » est visible jusqu’aux années 1920 (stagnation de la
population à l’échelle du continent, baisse forte dans certaines régions particulièrement
53
touchées par le travail forcé et les disettes), marque la violence du choc colonial et contribue à
un manque de main d’œuvre dont se plaindront, chroniquement, les administrateurs coloniaux
de l’entre-deux-guerres.
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4 - LES CORVEES EN INDOCHINE DANS L’ENTRE-DEUX-GUERRES
Les corvées ne servent pas seulement à aménager autour des résidences des promenades pour
l'agrément de quelques Européens, les corvéables, toujours à la merci des résidents, exécutent aussi des
travaux plus pénibles.
À la seule annonce du voyage du ministre des colonies en Indochine, 10 000 hommes levés pour
achever la ligne de V.L., qu'on voulait lui faire inaugurer.
Pendant l'été de 18 .. , quelque temps avant la famine qui désola le centre de l'Annam, 10 000
Annamites, conduits par les maires de leurs villages, furent réquisitionnés pour draguer un canal. Une bonne
partie de cette main d’oeuvre énorme se trouva sans travail ; on la garda quand même pendant des mois, loin
des rizières au moment où la présence de tant de bras inoccupés eût été indispensable dans les champs. Il faut
remarquer que l'on n'a jamais réuni de telles armées lorsqu'il s'agissait de parer à une calamité publique ; à la
fin de 18 ... , la plupart des malheureux qui périrent de faim dans l’Annam auraient été sauvés, si l'on avait
organisé à partir de Tourane un service de transport pour approvisionner les régions où sévissait la famine ;
les 10 000 Annamites du canal auraient pu, en un mois, répartir dans leurs provinces 2 000 tonnes de riz.
Les travaux de la route de Tourane et ceux de Tran-Ninh et d'Ai-Lao laissent des souvenirs
douloureux. Les corvéables devaient, parcourir avant d'arriver sur les chantiers une centaine de kilomètres.
Puis ils étaient logés dans paillotes lamentables. Hygiène nulle ; service médical inorganisé ; sur la route
aucun relais, aucun abri. Ils recevaient une ration insuffisante de riz, un peu de poisson séché, et buvaient
l’eau malsaine et redoutée de la montagne. Les maladies, la fatigue, les mauvais traitements provoquaient
une mortalité formidable.
Si on remplace les corvées par des réquisitions, il n'y a entre les deux systèmes qu’une différence, c'est
que la durée des corvées est limitée et que celle des réquisitions ne l'est pas. Toutes deux satisfont à tous les
besoins Ŕ si la douane veut faire transporter du sel, elle réquisitionne, des barques, faut-il construire un
entrepôt, on réquisitionne ouvriers et matériaux à la fois.
La réquisition surtout est une déportation mal déguisée. Sans tenir compte des travaux agricoles, des
fêtes religieuses, elle draine des communes entières vers des chantiers. Il n'en revient qu'une faible partie et,
d'ailleurs, on ne fait rien pour assurer ce retour.
En route pour le Lanabion, en route pour la montagne où la mort les attendait, nourris avec
parcimonie, passant même des journées sans vivres, corvéables ou réquisitionnés, par convois entiers, se
débandaient ou se révoltaient, provoquant une répression terrible de la part des gardes et parsemant la route
de leurs cadavres ?
L’administration de Quangchou-Wan reçut des instructions du gouvernement pour recruter. A cette
occasion, on saisit tous les indigènes qui travaillaient sur les quais. Ils furent ficelés et jetés dans le bateau
convoyeur.
Les habitants du Laos, les misérables autochtones, vivent dans la crainte perpétuelle des corvées.
Lorsque des officiers recruteurs arrivent devant les cases, ils trouvent des cases vides.
À Thydau-Mot, un administrateur juge qu'il a besoin d’un rouleau compresseur. Que fait-il ? Il
s'entend avec une société concessionnaire qui cherche de la main-d'oeuvre à bon marché. La société achète le
rouleau et le livre à l'administrateur au prix de 13 500 francs. L’administrateur impose la corvée à ses
administrés au profit de la société, en convenant que la journée d'un corvéable vaut 0 fr. 50. Pendant trois
ans, les habitants de Thydau sont mis à la disposition de cette société et paient en corvée le rouleau qu'il a plu
à M. l'administrateur d'acheter pour son jardin.
Dans une autre localité, les corvéables, leur journée finie, étaient obligés de transporter gratuitement,
sur une distance d'un kilomètre, des pierres destinées à construire le mur d’enceinte de l'hôtel de
l'Administrateur.
À toute heure, l'Annamite peut ainsi être enlevé, contraint aux pires besognes, mal nourri, mal payé,
réquisitionné pendant un temps illimité, abandonné, à des centaines de kilomètres de son village.
Source : Hô Chi Minh, Le procès de la colonisation française et autres textes de jeunesse, « Chapitre
VII, L’exploitation des Indigènes », Le Temps des cerises, p. 97-100.
55
Présentation du document
Le document proposé est un extrait de l’ouvrage Le procès de la colonisation française et autres
textes de jeunesse d’Hô Chi Minh ou Nguyen Aïc Quôc dans une réédition de 1999, préfacée par
Alain Ruscio. Ce livre a été initialement publié dans la revue Le Paria puis, en 1925 par la
Librairie du travail, quai de Jemmapes à Paris. L’édition est brochée et compte 123 pages. Nguyen
Aïc Quôc (« Nguyen le Patriote ») est le surnom sous lequel le futur Hô Chi-Minh entre dans
l’histoire de son pays, le Viêt-nam ; surnom adopté après la conférence de la paix à Versailles. En
réalité, ce texte aurait été écrit ou aurait été inspiré et corrigé par l’avocat nationaliste Phan Van
Truong, qui a fait office pendant de nombreuses années de mentor. Ce texte est un pamphlet
virulent et ironique, parfois cynique du sort des « Indigènes » essentiellement en Indochine.
Cet ouvrage est publié à La Librairie de Paris, quai de Jemmapes à Paris. La Librairie de Paris
(1917-1939) est une librairie engagée, animée par des militants de tendance syndicaliste
révolutionnaire proche du PCF qui s’en éloignent à partir de 1924, avec la prise de conscience des
abus du « bolchevisme » en URSS. Cette librairie est un lieu de rencontre de diverses minorités
oppositionnelles et révolutionnaires du mouvement ouvrier (trotskystes, syndicalistesrévolutionnaires) et publie, par exemple, des écrits de Léon Trotski, Alfred Rosmer, Rosa
Luxemburg ou Victor Serge. Selon l’historien Alain Ruscio, cet ouvrage est peu cité dans les
bibliographies spécialisées. En effet, seulement deux rééditions sont connues, l’une en 1945 à
Hanoi dans la jeune République démocratique du Viêt-nam, l’autre en 1999 au Temps des cerises,
préfacée par Alain Ruscio. Enfin, le relatif oubli du texte peut s’expliquer par la victoire d’Hô ChiMinh face la France puis face aux États-Unis.
L’édition de 1999 de 159 pages reprend la structure de l’édition initiale : une préface du
nationaliste Ng.The Truyène, douze chapitres parfois subdivisées en plusieurs parties, un appendice
intitulée « A la jeunesse annamite ».
Le Procès de la colonisation française est un long tract cherchant l’efficacité dans le style assez
abrupt de la IIIe Internationale. Les phrases sont sèches, les faits sont bruts, les mots sont utilisés
comme des coups de poing et les anecdotes alternent l’ironie et le dramatique. L’auteur entend
dénoncer l’exploitation des colonisés et les abus de la colonisation française durant le début du XXe
siècle et lancer un appel aux peuples colonisés en reprenant l’idéologie communiste pour lutter
contre « l’impérialisme ». Hô Chi Minh mène une critique systématique de la colonisation
française. Il part de quelques cas qu’il généralise dans un but de propagande. Il est donc nécessaire
de prendre ses écrits, parfois excessifs, avec des précautions. Par ailleurs, de nombreux faits décrits
sont difficilement vérifiables.
Si un mouvement de critique des abus de la colonisation au lendemain de la Première Guerre
mondiale est largement initié et relayé par des journalistes ou des écrivains comme Andrée Viollis,
Léon Werth ou Roland Dorgelès en 1925 avec La route mandarine, Hô Chi Minh s’inscrit dans
celui de l’anticolonialisme qui se développe durant les années 1920 en France. Ce mouvement est le
fait de la gauche et surtout du parti communiste ; en effet, pour l’essentiel, le parti socialiste ne
dénonce pas le fait colonial et propose, en faisant appel à la mission civilisatrice de la France, la
mise en place de réformes de la gestion de la colonisation. Dans le cadre de cette lutte contre la
colonisation, le parti communiste regroupe les militants des différentes colonies résidant en France.
Les années 20 sont aussi un moment important de la répression contre la résistance anticoloniale
des « indigènes » (cf. au Maroc). C’est le moment où les colonisés immigrés en France, à l’exemple
d’Hô Chi Minh, commencent à se radicaliser et où les revendications nationales se multiplient et
s’étendent dans les colonies (cf en Algérie, en Indochine,…).
56
En 1925, la souveraineté française s’exerce sur la péninsule indochinoise dans le cadre de
l’Union indochinoise créée en 1887, qui s’étend au début du XXe siècle sur 803 054 km2 et compte
environ 16,3 millions d’habitants. Cette dernière regroupe deux pays indianisés, les deux
monarchies du Cambodge et du Laos qui sont des protectorats depuis 1869 et 1894, un pays sinisé,
l’ancien royaume du Viêt-nam, réunifié depuis 1802 par la dynastie impériale des Nguyen. La
France a divisé le royaume en 3 régions ou ky, la colonie de Cochinchine en 1867, l’Annam et le
Tonkin, protectorats en 1883 et 1884, le nom d’Union indochinoise permettant de nier les
spécificités culturelles. Enfin, la Chine cède l’enclave de Kouang-tchéou-wan en 1900.L’Union
indochinoise dépend du ministère des Colonies et est placée sous l’autorité d’un gouverneur général
aux pouvoirs très étendus ; chacune des cinq régions est dirigée par un résident supérieur, à
l’exception de la Cochinchine, possession la plus ancienne et la plus importante, avec un lieutenantgouverneur. Les monarques sont maintenus par les Français, mais la monarchie vietnamienne, dont
la capitale est située dans la ville de Huê et dont l’empereur est Khai Dinh, est vidée de sa substance
politique. La tendance est à l’administration directe. Les notables peuvent être associés à la vie
administrative avec par exemple la création par le gouverneur général Doumer de « commissions
consultatives de notables ».
L’Union indochinoise tient une place importante dans l’investissement de l’Empire avec 15 à
18% de l’ensemble des investissements et avec le rôle particulier de la Banque d’Indochine. Les
principales productions sont le charbon au Tonkin, le riz en Cochinchine et le caoutchouc, après
1910 au Cambodge et en Cochinchine, ces deux dernières étant favorisées par l’administration
française.
Les résistances à la colonisation française se développent dès la fin de la conquête et s’aggravent
fin XIXe Ŕ début XXe siècles avec l’alourdissement du poids de la colonisation en particulier sous le
gouverneur général Paul Doumer qui réorganise les impôts ; ce qui aggrave les tensions au Viêtnam et suscite des protestations populaires et des revendications nationalistes avec deux courants ;
d’une part celui de Phan Boi Chau (1867-1940) qui entend mener des actions militaires pour
renverser l’ordre colonial, d’autre part, celui de Phan Chu Trinh (1872-1926) qui veut moderniser
le Viêt-nam pour recouvrer l’indépendance. Les autorités coloniales répriment sévèrement les
émeutes et les révoltes, comme celle de 1908, et frappent durement les nationalistes avec par
exemple la condamnation au bagne à perpétuité pour Phan Chu Trinh. Le poids des appareils
répressifs est considérable avec la mise en place d’un État de police qui s’appuie sur la Sûreté
générale indochinoise et un système pénitentiaire avec le bagne de Poulo Condore. En métropole,
des campagnes de dénonciation des abus de la colonisation sont menées par la presse anarchiste, la
Ligue des droits de l’homme et les socialistes de la SFIO à l’exemple de Jean Jaurès. Le
gouvernement adopte alors la politique d’ « association » qui ouvre une « participation
consultative » des « indigènes » à la gestion de l’Indochine conduite notamment par Albert Sarraut,
gouverneur général de 1911 à 1914 et de 1917 à 1919. Par exemple, le conseil colonial de
Cochinchine, créé en 1880, est réorganisé en 1922 avec 10 conseillers français, élus par les citoyens
français et 10 conseillers « indigènes » élus par les notables.
Ce texte est rédigé officiellement par Nguyen Ai Quoc plus connu comme Hô Chi Minh (18901969), dernier nom de guerre porté par cette future grande figure du communisme international et
futur père de l’indépendance du Viêt-nam. Hô Chi Minh est né Nguyên Sinh Cung puis se
prénomme quelques années plus tard Nguyen Tat Thanh, vers 1894 ou 1895 mais officiellement le
19 mai 1890 ; cette date correspondant à l’anniversaire de la fondation du Viêt-minh. La fixation
officielle de la naissance d’Hô Chi Minh, comme plusieurs autres dates de sa vie, revêt une valeur
symbolique et participe ainsi à la construction du mythe du personnage. Il est intéressant de noter
qu’avec cette date, Hô Chi Minh est cinquantenaire en 1945, ce qui lui confère selon la tradition
57
vietnamienne de la hiérarchie des générations la dignité pour être chef de l’Etat. En fait, la plus
grande incertitude règne sur la date réelle de la naissance du futur leader vietnamien : 1892 dans un
de ses écrits, 1894 pour la Sureté française, 1895 sur le visa délivré en 1893 pour se rendre en
URSS. Cela montre qu’il est difficile de connaître avec précision la biographie d’Hô Chi Minh et en
particulier les années précédant son départ de France pour l’URSS. Le secret cultivé par Hô Chi
Minh sur son identité et sur ses actions, y compris dans ses autobiographies, les démarches
hagiographiques et les raisons politiques ne permettent ainsi d’ « avoir qu’une mosaïque
d’impressions différentes » selon l’analyse de l’historien Nguyen The Anh. Tout semble écrit
comme si l’itinéraire d’Hô Chi Minh ne peut l’amener inévitablement qu’au communisme, et,
comme si son existence ne commence réellement qu’à partir de son adhésion officielle au
communisme en 1920, ne laissant place à aucune vie privée. Cependant, il est possible de dégager
quelques éléments de la vie d’Hô Chi Minh jusqu’à la publication du Procès de la colonisation
française.
La région d’origine d’Hô Chi Minh est le Nghe an, province septentrionale de l’Annam au nord
de la ville impériale de Hué. Son père, Nguyen Sinh Huy, est un mandarin aux fonctions de souspréfet qui est révoqué en 1910 ou 1911, officiellement pour ivrognerie et brutalité ; il aurait fait
battre à mort un détenu. Officieusement, il aurait payé son soutien aux manifestations des annamites
contre l’impôt en 1908. Son fils reçoit un enseignement traditionnel et aurait obtenu le certificat
d’études primaires franco-indigène mais n’a pas poursuivi dans la voie des études supérieures. En
effet, Hô Chi Minh s’embarque en avril ou juin 1911 sur l’Amiral Latouche Tréville de la
Compagnie des Chargeurs Réunis pour effectuer le « Voyage à l’Ouest » comme de nombreux
jeunes vietnamiens, c'est-à-dire « aller étudier à l’étranger et revenir aider le pays » pour « trouver
une voie de salut pour sa patrie » d’après sa biographie officielle. Par ce voyage, Hô Chi Minh
s’inscrit dans la voie du lettré réformiste Phan Chau Trinh (1872-1926) qui est à l’opposé de celle
du lettré Phan Boi Chau (1867-1940) qui préfère recourir à l’action directe, voie sans issue depuis
son expulsion du Japon en 1908. Hô Chi Minh aurait navigué comme garçon de cabine ou aide
cuisinier, faisant des escales à Alexandrie, New-York, Londres où il occupe divers métiers dont
celui de pâtissier à l’hôtel Carlton dans la brigade du chef cuisinier Escoffier. Une des escales aurait
été Marseille en septembre 1911 où Hô Chi Minh demande officiellement à être admis, comme une
minorité de jeunes colonisés de l’Empire, à la section indigène de l’Ecole Coloniale, ce qui montre
que le jeune homme envisageait alors une carrière dans l’administration coloniale.
La date de son installation en France fait débat : pour Daniel Hémery, Hô Chi Minh se fixe en
France en 1919, pour Nugyen Thé Anh, il s’installe à Paris en décembre 1917 où il gagne sa vie
comme photographe et dessinateur d’antiquités classiques. Pour d’autres, comme l’historien Harold
Isaacs, il se serait trouvé parmi les milliers de travailleurs annamites employés derrière le front des
Flandres durant la Première Guerre mondiale. Hô Chi Minh participe au Groupe des Patriotes
Annamites, créé par le lettré réformiste Phan Chau Trinh et l’avocat Truong en 1918, au 6, villa des
Gobelins dans le XIIIe arrondissement de Paris, demeure de ce dernier. Progressivement, Hô Chi
Minh se radicalise et émerge sur la scène politique française et internationale. En juin 1919, le
groupe des Patriotes Annamites, sous le nom collectif de Nguyen Ai Quoc (qui aime son pays, le
patriote) adresse un texte rédigé, « Revendications du peuple annamite », fondé sur les déclarations
du président américain Wilson. Ce texte réclame pour les Annamites les libertés fondamentales
ainsi que la libéralisation du régime politique. Il est envoyé au président de la République française,
au ministre des Colonies, Albert Sarraut, aux parlementaires et transmis lors de la Conférence pour
la paix de Versailles à un conseiller du président américain mais personne ne répond.
L’orientation politique de Thanh (Hô Chi Minh) se précise et s’accélère avec l’adhésion au parti
socialiste et la participation au 18e Congrès du parti socialiste à Tours en décembre 1920. Il apparaît
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sous le nom de Nguyen Ai Quôc et prononce un discours où il justifie l’adhésion à la Troisième
Internationale, meilleure voie selon lui pour renverser l’ordre colonial. Nguyen Ai Quôc est très
actif et exprime ses opinions anticolonialistes. Il collabore ainsi à plusieurs journaux d’extrême
gauche, comme Le Populaire, dirigé par le député socialiste René Longuin, où il publie des articles
sur la répression coloniale française ; cela lui permet de s’émanciper en partie de la tutelle de Phan
Van Truong. Il fréquente La Librairie, le club du Faubourg de Léo Poldès et assiste à divers
meetings croisant Léon Blum, Henri Barbusse ou Colette. Enfin, en 1922, il est chargé de diriger Le
Paria, revue de l’Union inter-coloniale, mise sur pied par le Parti communiste français pour
regrouper les adhérents originaires des colonies, Algériens, Africains, Annamites,…. . En 1923 et
en 1924, Nguyen Ai Quôc séjourne pour la première fois à Moscou, qui donne alors la priorité au
soutien des nationalistes révolutionnaires d’Asie dans la lutte pour l’indépendance. Puis, en 1925, il
est envoyé en Chine pour répandre l’esprit révolutionnaire. C’est au seuil de cette nouvelle vie
qu’est publié Le Procès de la colonisation française en 1925.
Analyse
Ce document est un extrait du chapitre VII du Procès de la colonisation française intitulé
« L’exploitation des indigènes ». Il est intéressant de noter qu’en tête de chapitre est mise en
exergue une citation de Vigné d’Octon, médecin de marine, écrivain et homme politique qui a pris
position contre les abus de la colonisation : « Après avoir volé des terres fertiles, les requins
français prélèvent sur les mauvaises terres des dîmes cent fois plus scandaleuses que les dîmes
féodales ».
Dans ce chapitre, Hô Chi Minh décrit les exigences qui pèsent sur les colonisés, pression
fiscale (impôts, obligation de recourir aux emprunts,…) et travail forcé avec les corvées et les
réquisitions. L’extrait retenu dénonce la lourdeur des corvées et des réquisitions ainsi que les
mauvais traitements infligés aux Annamites. Cependant, la critique d’Hô Chi Minh est une critique
contre l’administration en général, administration française et administration mandarinale. Or, les
abus des auxiliaires indigènes notamment des subalternes peuvent être plus lourds que ceux des
fonctionnaires européens.
Dans l’Empire français, le colonisé est un sujet qui est privé de certains droits, comme les
droits civiques, et qui est astreint à un nombre de contraintes spécifiques. Le colonisé est soumis au
régime de l’indigénat, régime d’exception. En Indochine, par exemple, ce régime est en principe
aboli en 1903 mais le gouverneur général possède de larges prérogatives qui lui permettent de
déterminer les infractions et les charges spécifiques qui pèsent sur les populations colonisées. Ainsi,
les prisonniers et condamnés constituent une abondante source de main-d’œuvre (cf les peines de
l’Indigénat). De plus, les impôts directs et indirects ainsi que les corvées et les réquisitions,
assimilées à du travail forcé, pratique courante dans les colonies françaises, sont des moyens pour
contourner l’inadaptation d’une fiscalité moderne au contexte colonial et la réticence voire le refus
des populations colonisées pour s’engager comme porteurs ou comme travailleurs salariés avec de
faibles rémunérations. Déjà, durant la conquête, la réquisition de porteurs et de travailleurs est
imposée sous la contrainte aux « indigènes » pour ravitailler les troupes ou construire des
infrastructures comme les routes ou les chemins de fer.
L’administration reprend le principe du système des corvées qui existaient sous l’empire
vietnamien. En Indochine, les hommes doivent trente journées de corvées par an, le corvéable
devant amener son alimentation (essentiellement du riz). Pour alléger les charges, les hommes
peuvent faire venir leurs femmes. Ces corvées peuvent être rachetées, au Tonkin, dès 1886. Le
gouverneur général de l’Indochine, Paul Doumer, dans sa volonté d’accroître les revenus du budget,
décide en octobre 1897 d’étendre le rachat au protectorat de l’Annam. L’ordonnance du 15 août
1898 de Thanh-Thai, empereur d’Annam fusionne l’impôt personnel et l’impôt du rachat des
corvées. Cette nouvelle taxe concerne tout habitant inscrit valide de 18 à 60 ans, pour un montant de
59
2,20 piastres : 0.20 pour la cote personnelle et 2 pour le rachat obligatoire de vingt journées sur les
trente dues par les inscrits soumis précédemment aux corvées [le salaire journalier d’un coolie
d’une plantation est compris entre 0.35 et 0.70 piastre]. Plusieurs catégories de la population
comme les mandarins, les diplômés universitaires, les Annamites travaillant pour l’administration
française, les prêtres annamites… y échappent alors que les inscrits précédemment exempts de
corvées ne payent que 0,40 piastre. Le rachat des corvées correspond à un nouvel impôt à verser en
numéraire et alourdit ainsi l’impôt personnel. Par ailleurs, rapidement, les prestations en nature sont
alourdies. Ainsi, les journées de corvées dues à l’Etat pour les travaux publics d’intérêt provincial
augmentent régulièrement, passant entre 1904 et 1907 de 6, rachetables, à 8 dont deux
obligatoirement rachetables pour un montant de 0.20 piastre l’une, ce qui entraîne une hausse de
18% de l’impôt personnel de 2.20 à 2.60 piastres. Cela se fait au détriment des 10 journées
initialement prévues par l’ordonnance pour les travaux communaux des villages. Cependant, les
corvées vont persister et vont s’alourdir (cf le document). Les hommes qui ne peuvent pas racheter
les corvées doivent les effectuer. Mais si « [l]es corvées sont complètement supprimées,
puisqu’elles sont rachetées par le paiement de l’impôt. Il est bien entendu que, pour un travail
d’intérêt général décidé par le Résident Supérieur et le Co-Mat les villages devront fournir des
coolies au taux du rachat de la journée de corvée, soit à 0 $ 10 par journée. » [Ordonnance du 15
août 1898 de l’empereur d’Annam].
Aux corvées s’ajoutent donc les réquisitions avec un temps d’engagement variable même si en
théorie la durée est de 6 mois. Cependant, les temps des trajets ne sont pas compris.
L’administration utilise l’instrument de la réquisition à son bon vouloir pour des travaux divers.
L’objectif final étant d’amener le colonisé à un degré supérieur de civilisation, les besoins en main
d’œuvre pour les travaux publics sont très importants. Ainsi, en Indochine, il s’agit de développer
la péninsule dans différents domaines, la riziculture et les cultures indigènes d’exportation, les
industries et les agro-industries et les équipements et les infrastructures. Lors des cycles du
développement économique, comme celui de la riziculture entre les années 1860 et le début du XXe
siècle, des canaux sont construits dans le sud du Vietnam et le réseau des canaux de drainage du
delta du Mékong est creusé notamment par le recours à la corvée. Par ailleurs, la construction d’une
infrastructure de transports modernes s’effectue avec la construction de voies ferrées et avec, à
partir de 1911, le lancement d’un programme routier. Il s’agit notamment de débloquer le Laos et
les hauts plateaux vietnamiens. Une des routes les plus importantes est la RC 1 de Hanoi à la
frontière du Siam qui reprend en le modifiant le tracé de l’ancienne « route mandarine ». Dans le
texte, les routes de Tourane, port d’escale de l’Annam, à proximité à Hué, des montagnes du TranNinh au Laos sont évoquées. À ces travaux s’ajoutent l’entretien des digues, indispensable sous
peine de famine, qui demande une main d’œuvre importante, et des routes qui mènent aux villages.
Les prestations de travail sont utilisées aussi à la demande des entreprises privées, ainsi les
planteurs, avec l’aide de l’administration, réquisitionnent de la main d’œuvre, dont les conditions de
vie sont souvent très difficiles.
L’administration coloniale utilise diverses méthodes pour contraindre les populations. D’une
part, elle recherche l’entente avec les autorités traditionnelles en déléguant aux chefs locaux de
lever la main-d’œuvre nécessaire aux besoins. Ce qui donne aux notables un pouvoir de choisir les
prestataires en fonction de leurs sympathies ou de leurs inimitiés et de montrer leur puissance au
sein du village par exemple. D’autre part, elle recourt à la pression avec la mise en oeuvre de la
réquisition et l’obligation pour chaque village ou communauté de fournir un nombre déterminé
d’hommes et, souvent, les intermédiaires, les chefs locaux, sont considérés comme responsables.
L’application du système des prestations avec les corvées et les réquisitions entraîne de
nombreux abus. Par exemple, il n’est pas rare, comme le souligne le texte, que des administrateurs
fassent construire des routes avec des crédits dérisoires, le travail des prestataires étant quasiment
60
gratuit. Il n’évite pas les brutalités (cf. document). Par ailleurs, les reproches des populations sont
nombreux comme celui de prélever une part importante de bras valides lors des travaux agricoles
notamment dans les rizières, ce qui peut se révéler dramatique comme lors de la famine, évoquée
par l’auteur qui touche l’Annam mais aussi le Tonkin durant les années 1890. Les mauvaises
conditions de vie et de travail (maladie, mortalité élevée, ration alimentaire insuffisante, carences
alimentaires) sont très dures et sont dénoncées (cf. document). La lourdeur des corvées et des
réquisitions suscite ainsi des oppositions. Par exemple, le poids des corvées et la pression fiscale
sont les causes principales de l’embrasement du Vietnam en 1908 qui commence dans la partie
centrale de l’Annam. Enfin, le recrutement de corvéables pour les travaux routiers lancés au
Cambodge en 1912 suscite un mouvement paysan en 1916. Face aux réticences des populations, les
réactions de l’administration vont de l’accroissement de la pression jusqu’à la « promenade
militaire » en cas de forte opposition en passant par les amendes et l’emprisonnement.
Mots-clefs : abus, Annamites, corvées, Indochine, prestations, réquisitions, travail forcé, travaux
publics, corvéables.
Pistes pédagogiques
. Quelles sont les deux prestations que doivent les colonisés à l’administration ?
. Quels sont les travaux que doivent accomplir les corvéables ?
. Décrire leur condition de vie.
. Montrer que les conséquences peuvent être dramatiques pour les populations.
. Quels sont les abus dénoncés par l’auteur ? Comment pouvez-vous les expliquer ?
Niveaux
Au collège
. Quatrième : Chapitre III, L’Europe et son expansion, thème 3 : Le partage du monde.
. Quatrième rentrée 2011/2012 : Chapitre III, thème 4 : Les colonies avec comme étude possible
celle de la société coloniale.
Au lycée
. 1re ES/L : chapitre I, L’âge industriel et sa civilisation du milieu du XIXe siècle à 1939, leçon 3 :
L’Europe et le monde dominé : échanges, colonisations, confrontations.
. Ter. S : chapitre II, Colonisation et indépendance, leçon 1 : la colonisation européenne et le
système colonial
Pistes bibliographiques
. Pierre BROCHEUX , Hô Chin Minh, Presses de Sciences Po, Paris, 2000.
. Pierre BROCHEUX Pierre, Daniel HEMERY, Indochine, la colonisation ambigüe (1858-1954),
Paris, La Découverte, 2001.
. Daniel HEMERY, Hô Chi Minh : de l’Indochine au Vietnam, Découvertes, Gallimard, 1994.
. Institut de Recherche sur le Sud Est Asiatique, Le contact franco-vietnamien, Le premier demisiècle (1858-1911), Publications de l’Université de Provence, 1999.
. NGUYEN THE ANH, Parcours d’un historien du Viêt Nam, Recueil des articles écrits par
Nguyen Thê Anh, Les Indes savantes, 2008.
61
5 Ŕ LES FORMES DE LA DOMINATION :
LES PAYSAGES RURAUX DE L’AFRIQUE DU NORD COLONISEE
Cet article de Pascal Clerc a été publié dans la revue en ligne Mappemonde, n° 91, 3/2008. Il est
téléchargeable en pdf à l’adresse suivante :
http://mappemonde.mgm.fr/num91
Cet article propose une série de huit photographies commentées des paysages agraires de
l’Algérie coloniale et analyse le discours des géographes coloniaux sur les espaces produits par les
indigènes et les colons.
Il fait partie d’un dossier sur « Géographie et colonisation » publié dans trois numéros de
Mappemonde de 2008 et 2009 (n° 91, 92 et 93)
62
DOSSIER 2
AU CŒUR D’UNE PLANTATION NEGRIERE
SEQUENCE LETTRES / HISTOIRE, CLASSE DE 4e
Une séquence interdisciplinaire ambitieuse nous a paru intéressante à proposer, afin de prolonger
de façon logique le dossier précédent.
Du côté de l’histoire, la séquence s’inscrit dans le programme de la classe de 4 e, Thème 3 des
I.O. Ŕ traites négrières et esclavages.
Du côté des Lettres, nous renvoyons aux I.O. sur le récit au XIXe siècle.
Cette séquence n’est pas conçue comme un cours « clés en main » mais comme une trame, un
chemin jalonné par des documents originaux inclus ou faisant référence à des documents présentés
et commentés par ailleurs dans le cadre du présent rapport.
Aux enseignants, donc, de s’appuyer sur les repères et éléments fournis pour bâtir leur cours en
fonction du niveau de classe (de collège, lycée général ou professionnel) et des élèves qu’ils ont en
face d’eux. Nous espérons que ces jalons seront utiles et faciliteront la compréhension d’une
question difficile, douloureuse et pouvant également ouvrir à une réflexion sur les formes modernes
d’esclavage.
Objectifs en lettres : découvrir un personnage romanesque et approfondir les caractéristiques du
roman d’aventure historique. Pré-requis : le statut du narrateur, les composantes du récit (narrationdescription-dialogue), les temps du récit.
Objectifs en histoire : Connaître les principaux phénomènes relatifs au commerce négrier dans
l’Atlantique ou l’Océan Indien (lieux, durée, acteurs). Appréhender la place de l’économie de
plantation, basée sur le travail servile, dans l’Empire colonial français d’Ancien Régime. Découvrir
l’encadrement juridique de l’esclavage et la logique raciste le justifiant. Connaître les grandes lignes
du fonctionnement d’une sucrerie (emblème des « îles à sucre ») et la vie quotidienne des esclaves.
Découvrir les formes de résistance des esclaves. Aborder les processus d’abolition (1794 et 1848
dans le cas français).
Objectifs communs : confronter la fiction romanesque à la réalité historique à travers l’exemple
de l’esclavage au XVIIIe siècle .
Durée de la séquence : 14 heures (6 heures en histoire, 8 heures en lettres).
Séances
S.1 (1h)
Discipline concernée
Histoire
S.2 (1h)
Histoire
S. 3 (1h)
Lettres
S. 4 (1h)
Lettres
Objectifs
Présentation de la traite négrière (cf. H1) en rappelant, si
possible, les conditions d’achat des esclavages en utilisant
un petit extrait de texte (en vue de la séance 9 de lettres).
Présentation de l’esclavage dans les colonies françaises, en
précisant, si possible, le cas de l’Ile de France. (cf H2)
La situation initiale dans Georges d’Alexandre Dumas :
présentation de la société coloniale (chapitre 1, P27-28,
Folio Classique).
La fonction des portraits (chapitre 3, p. 53-54).
63
S. 5 (1h)
Histoire
S. 6 (1h)
Lettres
S. 7 (2h)
Lettres
S. 8 (1h)
S. 9 (1h)
Histoire
Lettres
S. 10 (1h)
Lettres
S. 11 (1h)
S. 12 (1h)
S. 13 (1h)
Histoire
Lettres
Histoire
La vie quotidienne d’une sucrerie au XVIIIe siècle (cf H 3)
en utilisant notamment la description de la plantation
familiale dans Georges (chapitre 6, p. 122-123) et en la
confrontant aux autres sources de la séance.
La description idéale de la plantation familiale (chapitre 6,
p. 122-123). (étude du vocabulaire subjectif).
Evaluation intermédiaire : rédiger une description de
plantation en utilisant le plan de l’habitation Juchereau (cf
H3). La description sera rédigée de façon à produire une
impression plus conforme à la réalité historique.
Les résistances à l’esclavage (cf H4)
La scène d’achat des esclaves : les procédés de
dramatisation et de suspense (chapitre 13, p. 213-215).
La préparation de la révolte et l’élection d’un chef : la
visée argumentative du dialogue (chapitre 19, p. 314-316).
Les abolitions de l’esclavage (cf H5)
Évaluation finale : bilan sur le roman d’aventure.
Évaluation (à déterminer)
64
Séance 1 : la traite négrière transatlantique ou dans l’Océan Indien (1h)
1 Ŕ Connaissances préalables sur la traite
Doc. 1 : Timbre du Bénin « la route de l’esclave » (1992)
Source : collection particulière
Questions que l’enseignant peut poser pour avoir une première idée des connaissances des élèves
sur le sujet :
- Quels lieux concernés ? À partir de quand, jusqu’à quand ?
- Que signifie un voyage triangulaire ? (est-ce la seule manière ? Ne pas oublier le commerce
direct, « en droiture », Brésil-Afrique)
- Qui est le vendeur ? Qui est l’acheteur ?
- Pourquoi ? (motivations du vendeur ? motivations de l’acheteur ?)
(Bras pour le travail, convertir à la foi chrétienne ; l’argument raciste se développe surtout au cours
du XVIIIe siècle)
2 Ŕ Les pratiques de la traite
L’achat
Négocié sur les côtes africaines, dans les comptoirs et places qui s’échelonnent de Gorée à
l’Angola, au Mozambique, à Madagascar. Principaux lieux d’embarquement : golfe du Bénin, côtes
angolaise et congolaise.
Ce sont les souverains africains qui contrôlent la vente et fixent les prix (le rapt d’esclaves par les
Européens n’a été que pratique très marginale, au début).
La traversée
Vie quotidienne à bord : illustrations maintes fois reproduites (attention toutefois à la célèbre
gravure représentant l’entassement des esclaves dans le Brookes ; il y a certes entassement et
promiscuité, mais l’intérêt bien compris des capitaines et armateurs était que le maximum
d’esclaves arrive vivants à destination et en état d’être vendus).
65
Surveillance, crainte de révolte
(Tamango de Prosper Mérimée, révolte de l’Amistad, BD des Passagers du Vent de François
Bourgeon)
voir aussi Chasseurs de Noirs de Daniel Vaxelaire (récit d’un négoce d’esclaves sur la côte
mozambicaine et voyage jusqu’à l’île Bourbon Ŕ La Réunion).
Arrivée : le plus souvent vente à bord des navires ; les marchés à terre ne viennent qu’après.
3 Ŕ Pourquoi la traite et l’esclavage ?
Doc. 2 : De l’importance du commerce
La traite qui se fait aux côtes d’Afrique est très avantageuse à la navigation, au commerce et
aux colonies françaises. Elle encourage la construction et l’armement des vaisseaux ; elle occupe un
nombre infini d’ouvriers, de matelots et navigateurs ; elle procure de grands débouchés aux denrées
et marchandises ; enfin, sans elle, il serait impossible de pouvoir cultiver nos îles de l’Amérique.
Les retours qui proviennent de la traite consistent en Noirs, en poudre d’or, en gomme, en
ivoire, en cire et en vivres pour les navires qui fréquentent ces parages. Le travail des Nègres fournit
à la France le sucre, le café, le cacao, l’indigo, le coton, le rocou53 et autres denrées qui enrichissent
continuellement le royaume, qui augmentent les revenus de l’Etat et l’aisance publique : il convient
donc de protéger et d’encourager ce commerce par toutes sortes de moyens.
Source : Archives Départementales de la Loire-Atlantique, C 738-54
Extrait du Mémoire des négociants de Nantes… envoyé à M. de Sartine
(alors ministre de la Marine et des colonies) le 5 novembre 1777
Questions
- Quels sont les avantages de la traite pour la France, selon ce mémoire ?
- Relever ce que fournit l’Afrique, ce que fournit l’Amérique.
- À quelle conclusion arrive ce mémoire ? Pourquoi (qui en sont les auteurs ?) ?
Remarque : ce mémoire date de 1777, pour défendre un commerce négrier que des voix
abolitionnistes commencent à critiquer…
4 - Esquisse de bilan
Doc. 3 : Quelques chiffres
a : Les pays négriers (XVIe-XIXe siècles)
Les puissances maritimes de l’Europe participèrent toutes à l’activité négrière. Quatre pays
assurèrent plus de 90% de l’ensemble de la traite atlantique : le Portugal, avec 4,650 millions de
captifs transportés, suivi de l’Angleterre (2,6 millions), de l’Espagne (1,6 million) et de la France
(1,25 million). Le cas du Portugal est exceptionnel : petite puissance, il joua le rôle majeur dans le
peuplement africain du continent américain.(…) Mieux vaudrait parler de traite luso-brésilienne.
Destinations des cargaisons humaines
53
Pâte obtenue à l’aide de graines de fruits qui sert à la coloration.
66
Deux grands ensembles géopolitiques reçurent à eux seuls près de 10 millions d’esclaves, soit plus
de 80% de l’ensemble de la traite atlantique : le Brésil reçu environ 4 millions d’esclaves et
l’archipel des Antilles en reçut près de 6 millions, toutes colonies confondues. Les Etats-Unis,
époque anglaise comprise, en reçurent environ 500 000 et l’ensemble de l’Amérique espagnole
environ 1,6 million. L’esclavage colonial fut donc massivement le fait de la Caraïbe et de
l’immense Brésil, mais selon une chronologie décalée.
Source : DORIGNY (Marcel), GAINOT (Bernard), Atlas des Esclavages,
Paris, Autrement, 2006, p. 19.
Questions :
- Qui pratique la traite négrière transatlantique ?
- De quand à quand ?
- Combien d’esclaves sont concernés ? Où sont-ils embarqués ?
- Où arrivent-ils ?
67
Séance 2 : Dans les colonies françaises : un esclavage très encadré (1h)
1 Ŕ Où cela se passe-t-il ? (repérage sur une carte du domaine colonial français) :
Doc. 4 : carte de l’empire colonial français en 1789
- Amériques : pour mémoire : Canada (quelques esclaves domestiques de colons français)
Surtout : Saint-Domingue, Louisiane, petites Antilles (Guadeloupe, Martinique notamment ; mais
aussi Tobago, Sainte-Lucie, Saint-Martin…), Guyane
- Afrique : quelques comptoirs (Saint-Louis, Gorée au Sénégal, Ouidah au Danhomè, Fort-Dauphin
à Madagascar…) lieux de négoce
- Océan Indien :
Surtout : Bourbon (Réunion), France (Maurice), Seychelles
Cinq comptoirs des Indes (pour mémoire)
2 Ŕ Que produit-on ? (explications du professeur)
Une classique iconographie est reproduite dans nombre de manuels, montrant une sucrerie ou
une caféière. Ces documents peuvent servir d’appui à l’inventaire des denrées produites.
À titre d’aide, voici une illustration extraite d’une thèse (DONNADIEU Jean-Louis, Entre
Gascogne et Saint-Domingue, le comte Louis-Pantaléon de Noé, grand propriétaire créole et
aristocrate gascon, 1728-1816, Pau, UPPA, 2006) et donnant une première idée d’une sucrerie.
68
Doc. 5 : vue générale d’une « habitation » (plantation) sucrière
Remarque : cette illustration de Chambon a été également reproduite dans L’Encyclopédie de
Diderot et d’Alembert.
69
Questions :
- Dans quel type d’exploitation agricole produit-on du sucre ?
- Y a-t-il d’autres productions tropicales faites dans les colonies pour être consommées en Europe ?
Lesquelles ?
tabac (XVIIe siècle), sucre (Brésil, grâce aux Hollandais et Juifs « nouveaux convertis » portugais
puis, à partir de 1654, en Martinique), café (à partir de 1720 en Martinique, culture qui va, de là,
s’étendre au reste de l’Amérique), indigo, gingembre, coton… La cannelle et le girofle démarrent
dans les années 1780 (grâce à Pierre Poivre, qui réussit à ramener des plants des îles de la Sonde
néerlandaises), d’abord dans l’Océan Indien puis en Guyane.
À la veille de la Révolution française, Saint-Domingue à elle seule produit 40% du sucre et 60% du
café produits dans le monde… Mais au prix d’un demi-million d’esclaves.
3 Ŕ L’encadrement juridique de l’esclavage : le Code Noir
Doc. 6 : Extraits du Code Noir de 1685
Art.15 : Défendons aux esclaves de porter aucune arme offensive ni gros bâtons, à peine de fouet et
de confiscation des armes (…)
Art.28 : Déclarons les esclaves ne pouvoir rien avoir qui ne soit à leur maître (…)
Art.33 : l’esclave qui aura frappé son maître (…) sera puni de mort. (…)
Art.38 : l’esclave fugitif (…) aura les oreilles coupées et sera marqué d’une fleur de lis sur une
épaule ; et s’il récidive une autre fois (…) aura le jarret coupé et il sera marqué d’une fleur de lis sur
l’autre épaule ; et la troisième fois il sera puni de mort.
Art.42 : (…) Défendons [aux maîtres] de leur donner la torture [aux esclaves] ni de leur faire
aucune mutilation de membre (…)
Art.44 : Déclarons les esclaves être meubles (…)
Art.55 : les maîtres (…) pourront affranchir leurs esclaves (…) sans qu’ils soient tenus de rendre
raison de leur affranchissement (…)
Art.58 : Commandons aux affranchis de porter un respect particulier à leurs anciens maîtres (…)
Questions
- Qui édicte ces règles, et quand ?
- Pourquoi de telles dispositions ? Quel est le but recherché ?
- Comment est défini l’esclave ? Quels sont ses droits, quels sont ses devoirs ?
- Le maître peut-il faire n’importe quoi envers son esclave ? Quels sont ses droits ? Quels sont ses
devoirs ?
L’analyse du document doit permettre aux élèves de comprendre :
- qu’il s’agit d’une réglementation royale, pour empêcher l’ordre arbitraire (qui régnait auparavant)
de se perpétuer (volonté de Louis XIV d’affermir son autorité sur les colonies) ;
70
- que les esclaves sont assimilés à des biens meubles, du cheptel humain. Les maîtres doivent
l’entretenir (nourriture, logement, vêtement, soins médicaux). Mais entre la théorie et la pratique, il
y a des différences (l’usage montre que les maîtres dépensent le moins possible pour l’entretien de
leur main d’œuvre) ;
- que le maître ne peut pas châtier l’esclave comme il veut (mais les agents du roi sont peu
nombreux, et les cas de sévices Ŕ sinon de pur sadisme Ŕ malheureusement arrivent et restent pour
la plupart non sanctionnés) ;
- que l’esclave a surtout le devoir de travailler et obéir : la rébellion physique comme la fuite
(marronnage) sont brutalement et durement sanctionnés, du moins en théorie ;
- que le maître a la possibilité d’affranchir (mesure par définition aléatoire et arbitraire) et les
affranchis (« Libres de couleur ») doivent alors gagner leur vie (commerçants, artisans, parfois
planteurs Ŕ notamment de café -, peuvent devenir possesseurs d’esclaves à leur tour). Mais ils
doivent un respect particulier à leurs anciens maîtres et toute une série de mesures discriminatoires
est prise pour qu’ils ne ressemblent pas tout à fait aux Blancs : pas de droit de vote, interdiction
d’imiter les Blancs dans le vêtement (cette dernière mesure est peu respectée)…
On peut ajouter (selon les questions des élèves) des remarques sur l’aspect raciste du système et sur
la provenance des esclaves.
Doc. 7 : Évolution du sentiment raciste dans la France d’Ancien Régime
Qu’un sentiment racial se soit développé en premier lieu aux colonies n’est pas surprenant. La
société coloniale était faite d’une infime minorité de planteurs, marchands et agents
gouvernementaux blancs, qui contrôlaient un énorme nombre d’esclaves noirs. Une vision
manichéenne de races devenait essentielle au maintien de l’ordre. (…)
L’autre phénomène est la montée d’une nouvelle orthodoxie dans les sciences naturelles (…),
[cette conception] menait à concevoir le monde physique en une hiérarchie selon le concept de la
grande chaîne des êtres terrestres : si les animaux étaient supérieurs aux plantes et les plantes aux
objets inanimés, un rapport similaire entre supérieurs et inférieurs s’appliquait à l’intérieur de
chaque domaine et au sein de chaque espèce. Ainsi, il [Buffon] considérait que les humains étaient
divisés en « races » qui s’étaient séparées du type européen originel par l’effet du climat. Au cours
des temps, cela avait créé des différences héréditaires. Les non-Européens avaient « dégénéré » de
la norme tempérée.
Pierre H. BOULLE, Race et esclavage dans la France de l’Ancien Régime, Paris, Perrin, 2007
Questions
- Quelle idée développent des naturalistes comme Buffon à propos de l’espère humaine ?
- Quelles conséquences dans les rapports humains cette vision peut-elle entraîner ?
Au XVIIIe siècle se développe donc une théorie raciste selon laquelle la moindre goutte de sang
noir place l’individu la possédant à un rang automatiquement inférieur à celui de l’individu blanc,
selon une subtile échelle de dégradés allant du noir total (en bas) au blanc total (en haut), en passant
par des échelons de croisement (mulâtre = un parent blanc, un parent noir, soit ½ de sang noir ;
quarteron = un parent blanc, un parent mulâtre, soit ¼ de sang noir, grif = un parent mulâtre, un
parent noir, soit ¾ de sang noir, etc.)
71
Provenance des esclaves africains (dits « bossales ») : embarqués sur les côtes d’Afrique par des
vaisseaux négriers européens (ou américains, notamment brésiliens, au XIXe siècle), vendus par des
souverains africains (du Sénégal au Mozambique) à ces capitaines européens agissant pour le
compte de maisons de négoce. Longue traversée de l’Atlantique (« passage du milieu ») avant leur
vente aux Amériques. Il y avait un temps d’adaptation avant leur mise au travail. Existent aussi des
esclaves « créoles », nés aux colonies.
Les esclaves des Mascareignes (Bourbon, île de France, Seychelles) venaient de la côte orientale
africaine, Madagascar et Mozambique notamment.
Séance 3 : extrait du chapitre I de Georges (1h)
Objectif : la situation initiale : la présentation de la société coloniale
I
L’ILE DE FRANCE
Ne vous est-il pas arrivé quelquefois, pendant une de ces longues, tristes et froides soirées d’hiver,
où, seul avec votre pensée, vous entendiez le vent siffler dans vos corridors, et la pluie fouetter
contre vos fenêtres ; ne vous est-il pas arrivé, le front appuyé contre votre cheminée, et regardant,
sans les voir, les tisons pétillants dans l’âtre ; ne vous est-il pas arrivé, dis-je, de prendre en dégoût
notre climat sombre, notre Paris humide et boueux, et de rêver quelque oasis enchantée, tapissée de
verdure et pleine de fraîcheur, où vous puissiez, en quelque saison de l’année que ce fût, au bord
d’une source d’eau vive, au pied d’un palmier, à l’ombre des jamboses, vous endormir peu à peu
dans une sensation de bien-être et de langueur ?
Eh bien, ce paradis que vous rêviez existe ; cet Eden que vous convoitiez vous attend ; ce ruisseau
qui doit bercer votre somnolente sieste tombe en cascade et rejaillit en poussière ; le palmier qui
doit abriter votre sommeil abandonne à la brise de la mer ses longues feuilles, pareilles au panache
d’un géant. Les jamboses, couverts de leurs fruits irisés, vous offrent leur ombre odorante ; suivezmoi ; venez. (…)
Devant nous, c’est le port Louis, autrefois le port Napoléon, la capitale de l’île, avec ses
nombreuses maisons en bois, ses deux ruisseaux qui, à chaque orage, deviennent des torrents, son
île des Tonneliers qui en défend les approches, et sa population bariolée qui semble un échantillon
de tous les peuples de la terre, depuis le créole indolent qui se fait porter en palanquin s’il a besoin
de traverser la rue, et pour qui parler est une si grande fatigue qu’il a habitué ses esclaves à obéir à
son geste, jusqu’au nègre que le fouet ramène du travail le soir. Entre ces deux extrémités de
l’échelle sociale, voyez les Lascars verts et rouges, que vous distinguez à leurs turbans, qui ne
sortent pas de ces deux couleurs, et à leurs traits bronzés, mélange du type malais et du type
malabar. Voyez le nègre Yoloff, de la grande et belle race de la Sénégambie, au teint noir comme
du jais, aux yeux ardents comme des escarboucles, aux dents blanches comme des perles ; le
Chinois court, à la poitrine plate et aux épaules larges, avec son crâne nu, ses moustaches
pendantes, son patois que personne n’entend et avec lequel cependant tout le monde traite : car le
Chinois vend toutes les marchandises, fait tous les métiers, exerce toutes les professions ; car le
Chinois, c’est le juif de la colonie ; les Malais, cuivrés, petits, vindicatifs, rusés, oubliant toujours
un bienfait, jamais une injure ; vendant, comme les bohémiens, de ces choses que l’on demande tout
bas ; les Mozambiques, doux, bons et stupides, et estimés seulement à cause de leur force ; les
Malgaches, fins, rusés, au teint olivâtre, au nez épaté et aux grosses lèvres, et qu’on distingue des
nègres du Sénégal au reflet rougeâtre de leur peau ; les Namaquais, élancés, adroits et fiers, dressés
72
dès leur enfance à la chasse du tigre et de l’éléphant, et qui s’étonnent d’être transportés sur une
terre où il n’y a plus de monstres à combattre ; enfin, au milieu de tout cela, l’officier anglais en
garnison dans l’île ou en station dans le port ; l’officier anglais, avec son gilet rond écarlate, son
schako en forme de casquette, son pantalon blanc ; l’officier anglais, qui regarde du haut de sa
grandeur créoles et mulâtres, maîtres et esclaves, colons et indigènes, ne parle que de Londres, ne
vante que l’Angleterre, et n’estime que lui-même.
Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p.27-29.
Questions
1. Quel est le statut du narrateur ? A qui s’adresse-t-il ? Quel est l’effet recherché ?
2. Quelle opposition remarquez-vous entre les deux premiers paragraphes et le suivant ?
3. Repérez les différents groupes humains présents dans la ville :
. comment chaque groupe humain est-il caractérisé ?
. quel déterminant précède les groupes nominaux ? quel effet produit-il ?
. quel est l’ordre de présentation choisi ?
4. Quel est le temps verbal dominant ? Quel effet produit-il sur l’ensemble du texte ?
Bilan
1. Le narrateur est présent dans l’énonciation avec le pronom « je » et « moi » même s’il n’apparaît
pas directement comme personnage. Il interpelle le lecteur en le vouvoyant : « Ne vous est-il
pas… », « suivez-moi ». Il créé un effet de complicité avec le lecteur.
2. Le narrateur cherche à montrer l’opposition entre la grisaille de la vie parisienne et la douceur de
vivre des tropiques : ce cliché permet de lancer naturellement l’histoire.
3. Les différents groupes humains sont : « le créole » défini comme « indolent », le « nègre », « les
Lascars »définis par les couleurs de leur tenue traditionnelle ; « le nègre Yoloff » caractérisé par sa
beauté physique ; « le Chinois » réputés pour son sens du commerce ; « les Malais » associés à des
adjectifs marquant leur duplicité ; « les Mozambiques » connus pour leur bonhomie et leur force ;
« les Malgaches » décrits physiquement, « les Namaquais » fameux pour leurs talents de chasseurs ;
enfin, « l’officier anglais » élégant et méprisant et sans doute victime du préjugé de l’auteur.
. Les différents groupes nominaux sont précédés de l’article défini singulier ou pluriel « le , les »
qui acquiert une valeur généralisante.
. L’ordre de présentation fait les populations de couleurs sont placées entre le colon et l’officier
anglais qui représentent les autorités locales et officielles.
4. Le temps principal est le présent de l’indicatif ; il a une valeur de vérité générale. Il permet au
narrateur de se faire l’écho des différents préjugés liés à la réputation des groupes de populations.
Ainsi, cette description initiale donne-t-elle l’impression d’une vision réaliste de la population de
Port-Louis.
Séance 4 : extrait du chapitre III (1h)
Objectif : la situation initiale : la fonction des portraits
III
TROIS ENFANTS
73
Depuis plusieurs semaines, les habitants de l’île de France assistent de loin au combat que se
livrent, au large de leur île, les flottes française et britannique. Après plusieurs défaites, cette
dernière compte bien s’emparer de l’île. Les habitants organisent la résistance.
L’homme était grand, maigre, d’une charpente tout osseuse, un peu courbé, non point par l’âge,
puisque nous avons dit qu’il avait quarante-huit ans au plus, mais par l’humilité d’une position
secondaire. En effet, à son teint cuivré, à ses cheveux légèrement crépus, on devait, au premier coup
d’œil reconnaître un de ces mulâtres auxquels, dans les colonies, la fortune, souvent énorme, à
laquelle ils sont arrivés par leur industrie, ne fait point pardonner leur couleur. Il était vêtu avec une
riche simplicité, tenait à la main une carabine damasquinée d’or, armée d’une baïonnette longue et
effilée, et avait au côté un sabre de cuirassier, qui, grâce à sa haute taille, restait suspendu le long de
sa cuisse comme une épée. De plus, outre celles qui étaient contenues dans sa giberne, ses poches
regorgeaient de cartouches.
L’aîné des deux enfants qui accompagnaient cet homme était, comme nous l’avons dit, un grand
garçon de quatorze ans, à qui, l’habitude de la chasse, plus encore que son origine africaine, avait
bruni le teint ; grâce à la vie active qu’il avait menée, il était robuste comme un jeune homme de
dix-huit ans ; aussi avait-il obtenu de son père de prendre part à l’action qui allait avoir lieu. Il était
donc armé de son côté d’un fusil à deux coups, le même dont il avait l’habitude de se servir dans ses
excursions à travers l’île, et avec lequel, tout jeune qu’il était, il s’était déjà fait une réputation
d’adresse que lui enviaient les chasseurs les plus renommés. Mais, pour le moment, son âge réel
l’emportait sur l’apparence de son âge. Il avait posé son fusil à terre et se roulait avec un énorme
chien malgache, qui semblait, de son côté, être venu là pour le cas où les Anglais auraient amené
avec eux quelques-uns de leurs bouledogues.
Le frère du jeune chasseur, le second fils de cet homme à la haute taille et à l’air humble, celui
enfin qui complétait le groupe que nous avons entrepris de décrire, était un enfant de douze ans à
peu près, mais dont la nature grêle et chétive ne tenait en rien de la haute stature de son père, ni de
la puissante organisation de son frère, qui semblait avoir pris à lui seul la vigueur destinée à tous les
deux ; aussi, tout au contraire de Jacques, c’était ainsi qu’on appelait son aîné, le petit Georges
paraissait-il deux ans de moins qu’il n’avait réellement, tant, comme nous l’avons dit, sa taille
exiguë, sa figure pâle, maigre et mélancolique, ombragée par de longs cheveux noirs, avaient peu de
cette force physique si commune aux colonies ; mais, en revanche, on lisait dans son regard inquiet
et pénétrant une intelligence si ardente, et, dans le précoce froncement de sourcil qui lui était déjà
habituel, une réflexion si virile et une volonté si tenace, que l’on s’étonnait de rencontrer à la fois
dans le même individu tant de chétivité et tant de puissance.
Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p. 53-54.
Questions
1. Précisez le statut du narrateur à travers l’emploi du « on » et du « nous » ; quel avantage permet
ce statut ?
2. Montrez le rapport entre la disposition en paragraphes et la présentation des personnages.
3. Quel détail physique se répète dans les différents portraits ? Quelle position sociale leur donne-til ?
74
4. Quel mot revient deux fois (sous forme nominale et adjectivale) pour désigner le père ?
5. En quoi les deux frères s’opposent-ils ?
6. Quelle qualité particulière le cadet semble-t-il posséder ?
. Quelle construction grammaticale est utilisée à plusieurs reprises ?
. Pourquoi le narrateur prend-il la précaution de préciser cette qualité à ce moment du texte ?
7. Quelle impression ces portraits cherchent-ils à produire sur le lecteur ?
Bilan
1. Les interventions du narrateur sont nombreuses : l’emploi du « on » et du « nous » ne fait pas de
lui un narrateur personnage mais une sorte de témoin de l’histoire rendant le récit vif et naturel.
2. Les trois personnages sont présentés de façon décroissante dans trois paragraphes distincts : du
père au fils cadet : « L’homme », « L’aîné », « le second fils ».
3. Les allusions au métissage se répètent dans les différents portraits : le père « à son teint cuivré, à
ses cheveux légèrement crépus », « l’origine africaine » de l’aîné, la « figure pâle » du second fils.
Les adjectifs « cuivré », « pâle » ou l’adverbe « légèrement » sont choisis de façon à minimiser les
caractéristiques physiques noires que ce soit la couleur ou la qualité du cheveu.
La position de mulâtre donne à cette famille un statut social intermédiaire : cette famille est riche
tout en semblant freinée dans sa réussite par sa couleur.
4. Cette situation sociale intermédiaire est confirmée par l’emploi du nom « humilité » et de
l’adjectif « humble » pour définir l’attitude du père.
5. Les deux frères s’opposent par leur stature physique et leur vitalité : l’aîné « était robuste » et « il
s’était déjà fait une réputation d’adresse » tandis que le second avait « une nature grêle et chétive »,
« sa taille exiguë », « sa figure pâle, maigre et mélancolique ».
6. Si le cadet ne possède pas l’énergie de son aîné, il semble posséder une force intérieure qui ne
demande
qu’à s’exprimer : la construction syntaxique « si ardente … que », « si virile…que », « si tenace…
que » laisse deviner une personnalité hors du commun qui donne du reste son prénom au roman.
7. Ces portraits remplissent différentes fonctions :
- Ils permettent au lecteur de faire connaissance avec les personnages dont il va suivre les aventures
dans le roman ; le narrateur les présente de façon à les rendre sympathiques.
- Ils soulignent une contradiction : c’est le personnage en apparence le plus fragile qui donne son
nom au roman et qui s’impose dans l’histoire dans les chapitres suivants.
- Ils montrent le statut particulier de ces personnages dans la société coloniale : riches mais
déterminés par leur couleur noire.
Séance 5 : la vie quotidienne d’une sucrerie au XVIIIe siècle (1h)
1 Ŕ Qu’est-ce qu’une sucrerie ? (le cas le plus général)
NB : la configuration des habitations est la même, aux Antilles, en Guyane ou dans les
Mascareignes.
a- Description dans Georges d’Alexandre Dumas : aspect bucolique, charmant…
(doc. 8 : texte extrait de Georges)
b- Description à partir d’un exemple (doc. 9 : plan habitation Juchereau de Saint-denis).
75
(N.B. ce document et présenté et commenté par ailleurs, dans le dossier 1 « Économie et société
dans les empires coloniaux »).
Questions
- Repérer les différents types de champs, de bâtiments.
- Calculer la surface approximative des champs (« pièces ») plantés en cannes à sucre. Qu’en
déduire (sachant qu’un petit paysan, en France à la même époque, ne possède souvent guère qu’un
hectare) ?
On observe l’étendue des parcelles, l’organisation raisonnée de l’occupation de l’espace, tant pour
les « pièces » (parcelles) de cannes que pour les bâtiments dont on peut faire un repérage. Il s’agit
d’une unité de production à des fins d’exportation.
76
Certaines questions importantes concernant l’organisation ne sont pas visibles sur le document :
ainsi, le rôle de l’encadrement blanc pour superviser le travail aux champs ou à la sucrerie
(contremaître sucrier, machoquet Ŕ forgeron Ŕ, comptable…), et les tâches d’encadrement
subalterne confiés à des esclaves de confiance (« commandeurs »).
Constat :
Il y a un grand décalage entre l’aspect champêtre, voire bucolique, de la description littéraire et
la dure réalité de l’organisation d’une unité de production fondée sur l’esclavage.
On sait par ailleurs que l’atelier esclave se divise en plusieurs catégories :
- les domestiques
Le personnel domestique est le plus proche des maîtres (cuisinier, blanchisseuse, cocher...) et
aussi le plus apte à écouter les Blancs, le plus chanceux pour être éventuellement affranchi.
- les ouvriers et artisans (esclaves « à talent »)
Pour des travaux exigeant une qualification, comme la transformation du jus de canne en sucre,
et les tâches annexes : conducteur de cabrouets Ŕ charrettes Ŕ, ouvriers tonneliers, etc.
- les « nègres de jardin » :
- grand atelier : tâches de coupe, de travail des parcelles (le plus pénible, et ne demandant pas de
qualification) ;
- le « petit atelier » : pour les jeunes, les femmes enceintes ou les anciens et invalidés : garder
les animaux, broyer la canne…
2 Ŕ Conditions matérielle de vie des esclaves
On peut repérer sur le plan de l’habitation Juchereau de Saint-Denis l’alignement des « cases à
nègres », les « pièces » (parcelles) de cannes, les « places à vivres », l’hôpital…
Question que peut poser l’enseignant : que savez-vous des conditions matérielles de vie des
esclaves ?
(NB. On peut aussi s’appuyer sur d’autres documents commentés dans le dossier « Économie et
société… », comme :
- bilan comptable de l’habitation Juchereau (1785) ;
- commentaires du gérant Bayon de Libertat sur les conditions sanitaires dans la sucrerie dont il a
la responsabilité ;
- instructions du comte de Noé en faveur de son procureur (Duménil) de1790)
On s’aperçoit que les esclaves sont, dans les faits, considérés comme des biens meubles. Le
maître se doit, selon le Code Noir, d’entretenir cette force de travail : logement, nourriture, soins,
vêtement…
Dans la pratique, il le fait bien souvent à l’économie : logement peu chers, nourriture fournie de
façon parcimonieuse (les esclaves doivent cultiver des parcelles communes dites places à vivres et,
en plus, peuvent cultiver un jardin en propre pour avoir des compléments alimentaires). Au bout du
compte, cette nourriture est déséquilibrée (surabondance de féculents, manque de protides)…
77
3 Ŕ Le travail du sucre
doc. 10 : principe de fabrication du sucre de canne au XVIIIe siècle
Illustration extraite de l’exposition L’Isle-de-Noé, île des Antilles, qui s’est tenue au château de
L’Isle-de-Noé (Gers) en 2003 (document présenté et commenté dans le dossier « Économie et
société… »)
Question : observer les étapes du processus, illustrer et tenter d’expliquer le mode de fabrication du
sucre à cette époque.
Décrire les étapes, comprendre le processus conduisant à exprimer le jus de canne pour le
transformer en un sirop de plus en plus épais, qui finit par cristalliser. Une fois sec, le sucre est
réduit en poudre et mis en barriques pour être expédié en métropole.
La coupe des cannes, leur pressage et la réduction du jus en sirop sont des travaux pénibles
(pénibilité de la coupe, atmosphère surchauffée de la sucrerie), parfois dangereux (accidents
possibles dans le moulin broyeur de cannes : en témoigne l’exemple de Makandal, esclave qui
perdit un bras, s’enfuit et durant plusieurs années se vengea en empoisonnant cheptel voire maîtres
Blancs, au nord de Saint-Domingue, avant d’être capturé et exécuté en place publique, au CapFrançais, début 1758 Ŕ voir document de l’heure 4 « résistances à l’esclavage » ci-après)
Pour mémoire, on peut rappeler d’autres tâches elles aussi pénibles, dans d’autres types
d’habitations : cueillette et séchage du café, récolte de l’indigo ou du coton… On peut aussi
rappeler qu’il y avait des esclaves affectés à des tâches non agricoles, dans les ports : portefaix,
ouvriers d’une équipe d’un maître artisan…
4 Ŕ Un encadrement violent
Doc. 11 : une machine à remonter
Pour M. de Malmédie54, les nègres, ce n'étaient pas des hommes, c'étaient des machines devant
rapporter un certain produit. Or, quand une machine ne rapporte pas ce qu'elle doit rapporter, on la
remonte par des moyens mécaniques. M. de Malmédie appliquait donc purement et simplement à
ses nègres la théorie qu'il eût appliquée à des machines. Quand les nègres cessaient de fonctionner,
soit par paresse, soit par fatigue, le commandeur les remontait à coups de fouet ; la machine
reprenait son mouvement et, à la fin de la semaine, le produit général était ce qu'il devait être.
Alexandre Dumas, Georges, chapitre VII
Questions
- Que veut nous faire comprendre Alexandre Dumas à propos des méthodes employées sur les
sucreries ?
- Quel regard le maître porte-t-il sur esclaves ?
- Quelle peut être la conséquence à long terme de pareille méthode ?
54
Habitant de l’île Maurice.
78
Alexandre Dumas n’exagère malheureusement rien, et cet extrait littéraire relatif à l’île Maurice
est corroboré par maints faits enregistrés par ailleurs : le fouet était l’instrument communément
utilisé, tant aux Mascareignes qu’aux Amériques, pour que les esclaves accélèrent la cadence de
travail, ou pour punir la plupart des infractions au Code Noir (les plaies faites par le fouet étant
ensuite enduite de jus de citron ou de sel, non par sadisme, mais pour éviter l’infection ; une
« recette » utilisée depuis le XVIIe siècle à bord des bateaux de la marine royale).
Question parallèle : qui est Alexandre Dumas ?
Alexandre Dumas (dit « Dumas père »), auteur de Georges (et d’autres romans fameux de la
littérature populaire, comme Les trois mousquetaires, Le comte de Monte-Cristo…) fils du général
Thomas-Alexandre Dumas (Davy de la Pailleterie).
Thomas-Alexandre Dumas (« Dumas grand-père ») est un mulâtre de Saint-Domingue, né à
Jérémie (sud) en 1762, esclave affranchi par son père, aristocrate normand ; sa mère noire et esclave
s’appelait Marie-Cézette du Mas). Général de la République, mis à la retraite de l’armée en 1802,
mort en 1806.
Doc. 12 : Alexandre Dumas père
Timbre-poste de L’île Maurice - Collection particulière
79
Séance 6 : extrait du chapitre VI (1h)
Objectif : la description de la plantation, une vision idéale
VI
TRANSFIGURATION
Après quatorze ans d’absence, Georges est de retour sur l’île de France et retrouve la plantation
familiale. Entre temps l’île a été conquise par l’Angleterre.
Après trois heures de marche, on arriva à la plantation ; à un quart d’heure de la maison,
Télémaque avait pris les devants, de sorte qu’en arrivant, Georges et son père trouvèrent tous les
nègres qui les attendaient avec une joie mêlée de crainte : car ce jeune homme qu’ils n’avaient vu
qu’enfant, c’était un nouveau maître qui leur arrivait, et ce maître, que serait-il ?
Ce retour était donc une question capitale pour toute cette pauvre population. Les augures furent
favorables. Georges commença par leur donner congé pour ce jour et pour le lendemain. Or, comme
le surlendemain était un dimanche, cette vacance leur faisait de bon compte trois jours de repos.
Puis Georges, impatient de juger par lui-même de l’importance que sa fortune territoriale pouvait
lui donner dans l’île, prit à peine le temps de dîner, et, suivi de son père, visita toute l’habitation.
D’heureuses spéculations et un travail assidu et bien dirigé en avaient fait une des plus belles
propriétés de la colonie. Au centre de la propriété était la maison, bâtiment simple et spacieux,
entouré d’un triple ombrage de bananiers, de manguiers et de tamariniers, s’ouvrant, par-devant, sur
une longue allée d’arbres conduisant jusqu’à la route, et, par-derrière, sur des vergers parfumés où
la grenade à fleurs doubles, mollement balancée par le vent, allait tour à tour caresser un bouquet
d’oranges purpurines ou un régime de bananes jaunes, montant et descendant toujours, indécise et
pareille à une abeille qui voltige entre deux fleurs, à une âme qui flotte entre deux désirs ; puis tout
alentour, et à perte de vue, s’étendaient des champs immenses de cannes et de maïs, qui semblaient,
fatigués de leur charge nourricière, implorer la main des moissonneurs.
Puis enfin on arriva à ce qu’on appelle, dans chaque plantation, le camp des noirs.
Au milieu du camp s’élevait un grand bâtiment qui servait de grange l’hiver, et de salle de danse
l’été ; de grands cris de joie en sortaient, mêlés au son de tambourin, du tam-tam et de la harpe
malgache. Les nègres, profitant des vacances données, s’étaient aussitôt joyeusement mis en fête ;
car, dans ces natures primitives, il n’y a pas de nuances ; du travail, elles passent au plaisir, et se
reposent de la fatigue par la danse. Georges et son père ouvrirent la porte et parurent tout à coup au
milieu d’eux.
Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p. 122-123.
Questions
1. Repérez les principaux passages descriptifs : comment les distinguez-vous de la narration ?
2. Quelle impression générale produit la plantation ?
3. Quels sont les espaces de la plantation mentionnés ?
. sur quoi la description insiste-t-elle le plus ?
. le camp des esclaves est-il décrit avec précision ? sur quelle partie de leur camp la description
insiste-t-elle ? Comment l’expliquez-vous ?
4. Dans le 3ème paragraphe, quelle image la nature donne-t-elle ?
. montrez que la végétation est riche et diverse.
. montrez que la nature semble animée.
80
5. Quelle est la fonction de cette description ?
Bilan
1. Les passages descriptifs se distinguent de la narration (dont le temps dominant est le passé
simple) par l’emploi de l’imparfait, des connecteurs spatiaux et de différentes expansions
nominales.
2. La plantation produit une impression de beauté avec la tournure superlative « une des plus belles
propriétés » de prospérité et d’ordre comme l’indiquent les indications spatiales « Au centre de »,
« entouré de… », « tout alentour, et à perte de vue… ».
3. Les espaces mentionnés sont « la maison », « une longue allée d’arbres », « des vergers », « des
champs immenses de cannes et de maïs » et « le camp des noirs ».
. La description insiste surtout sur les espaces naturels au détriment des espaces humains où se
trouvent les esclaves : ainsi le camp des noirs est-il à peine évoqué et leurs conditions de vie ne sont
pas précisées si ce n’est pour souligner leur sens de la fête : « de grands cris de joie en sortaient,
mêlés au son de tambourin, du tam-tam… ». Ce choix s’explique par la nécessité de donner une
image positive et idéale de la plantation.
4. Dans le 3e paragraphe, la description multiplie les images mélioratives et les clichés sur la nature
luxuriante, bienfaisante et généreuse : elle dispense ses bienfaits sur le mode du multiple dans « un
triple ombrage de bananiers… » et dans « la grenade à fleurs doubles » ; les pluriels et les
expressions de sens collectif abondent : « un bouquet d’oranges purpurines ou un régime de
bananes jaunes ».
. Cette nature s’anime sous l’effet de comparaisons Ŕ « où la grenade (…) pareille à une abeille qui
voltige entre deux fleurs, à une âme qui flotte entre deux désirs » - ou de personnifications : « des
champs immenses de cannes et de maïs, qui semblaient, fatigués de leur charge nourricière,
implorer la main des moissonneurs. »
5. Cette description particulièrement valorisante de la plantation est destinée à conforter l’image
positive de la famille de Georges Munier en soulignant ses qualités de gestionnaire et sa
bienveillance envers les esclaves.
Séance 7 : Expression écrite (2h)
Rédigez une description de plantation en utilisant le plan de l’habitation Juchereau de Saint-Denis.
Elle sera rédigée de façon à produire une impression plus conforme à la réalité historique.
Séance 8 : Les formes de résistances à l’esclavage (1h)
Question générale à poser en préalable : quels sont les moyens que les esclaves ont pour résister à
l’esclavage ? (La fuite ou la révolte sont des réponses souvent entendues, mais ces moyens ne sont
pas les seuls et ne sont employés que dans des conditions très particulières. D’où l’inventaire qui
suit).
1 Ŕ Les loisirs des esclaves
Il est surtout exigé d’eux du travail. Mais les maîtres leur autorisaient des loisirs (musiques,
danses, jeux, cultiver son jardin privé Ŕ comme complément alimentaire, ce qui dédouanait les
maîtres d’une partie de leur obligation de fournir la nourriture).
Musiques et danses avaient lieu le samedi ou le dimanche ; les esclaves devaient (en principe)
suivre la messe dominicale. Un marché de leurs productions en fruits et légumes pouvait se tenir
lieu à l’issue de l’office.
81
Musiques, danses et jeux vont vite devenir des formes de résistance passive (occasion de
manifester sa culture d’origine, de pratiquer une religion parallèle au catholicisme officiel Ŕ pas
toujours enseigné par les maîtres, qui se méfiaient de l’idée de fraternité du christianisme).
Il existe maintes gravures d’époque représentant des scènes de danses, de musiques, etc.
(notamment celle extraites du Recueil des vues des lieux principaux de la colonie française de
Saint-Domingue…, de Moreau de Saint-Méry, publié à Paris en 1791, souvent reproduite dans les
manuels) pour qu’il ne soit pas la peine d’insister sur ces points.
On peut aussi amener les élèves à s’interroger sur les héritages de cette résistance sublimée :
capoeira brésilienne, samba, rumba, syncrétisme religieux (vaudou…).
Une autre grande forme de résistance est la fuite (le « marronnage »). À Saint-Domingue ou
dans les autres « îles à sucre », il s’agit bien souvent de « petit marronnage » (fuite de petit rayon,
l’esclave revient de temps à autre pour chercher de la nourriture, une compagnie…), rarement de
« grand marronnage » (fuite sans retour). En effet, dans les colonies françaises, le marronnage est
resté au stade de l’aventure individuelle ou du petit groupe (mais pas de cas similaires aux
véritables villages ou communautés de marrons de Jamaïque ou du Surinam, avec qui les autorités
coloniales en viennent à négocier).
2 Ŕ La résistance violente
Poison, coups et blessures envers le maître, suicide, révolte…
Doc. 13 : L’exemple de Makandal (nord de Saint-Domingue, 1746-1748)
C’est de l’habitation de M. Le Normand de Mézy, au Limbé, que dépendait le nègre Macandal,
né en Afrique. Sa main ayant été prise au moulin, il avait fallu la lui couper, et on le fit gardien
d’animaux. Il devint fugitif.
Pendant sa désertion, il se rendit célèbre par des empoisonnements qui répandirent la terreur
parmi les nègres et qui les lui soumit tous. (…) Dans son vaste plan, il avait conçu l’infernal projet
de faire disparaître de la surface de Saint-Domingue tous les hommes qui ne seraient pas noirs, et
ses succès qui allaient toujours croissants avaient propagé un effroi qui les assuraient encore. (…)
Macandal (…) fut condamné à être brûlé vif par un arrêt du Conseil du Cap du 20 janvier 1758.
Source : Médéric Moreau de Saint-Méry,
Description… de la partie française de Saint-Domingue…, 1797
(réédition Société française d’histoire d’outre-mer, 2004, t. I, p. 629-630)
(littérature : Voir aussi Aimé Césaire, Cahier d’un retour au pays natal, ou Alejo Carpentier, El
reino de este mundo, Le Royaume de ce monde Ŕ dans ce dernier titre, l’histoire de Makandal est
traitée en détail).
Questions
- Qui est Makandal ? Que lui arrive-t-il et que fait-il ?
- Quel est son sort final et pourquoi ?
- Qui est l’auteur du texte ? Approuve-t-il la vengeance de Makandal ou la condamne-t-il ?
Makandal est donc un « bossale » (esclave débarqué d’Afrique), accidenté (perte d’une main au
moulin à sucre, d’où sa colère et son désir de vengeance), fait partie d’une élite (est un « docteur
feuilles » : connaissance des plantes, pour soigner… ou pour empoisonner).
82
Devenu marron, il va semer la terreur dans les grandes sucreries de la Plaine-du-Nord de SaintDomingue et se constituer un réseau de complicités (de par son influence sur les esclaves).
Finalement capturé après deux ans de clandestinité, il est brûlé en place publique au Cap-Français,
subissant le châtiment des sorciers. Son exécution publique n’a pas valeur d’exemple pour les
esclaves ; la légende va vite courir qu’il s’est échappé des flammes, et le nom de Makandal devient
vite synonyme de vengeur, de héros qui revient frapper les maîtres… De fait, le mot makandal
désigne vite un talisman porte-bonheur ou porte-malheur selon le cas.
Les coups et blessures portés au maître étaient réprimés selon le Code Noir (voir plus haut,
art. 33)
À défaut de s’en prendre au maître, il est arrivé à des esclaves de choisir le suicide, à des mères
de préférer tuer leur nouveau-né plutôt que de leur faire subir une vie de servitude.
3 Ŕ Une sourde inquiétude des maîtres
Doc. 14 : Vivre dans l’isolement
Imaginez un homme non marié, seul Blanc dans sa maison de campagne, environné d’une
troupe plus ou moins considérable de nègres et de négresses qui sont ses domestiques, ses esclaves,
par conséquent ses ennemis. Une mulâtresse conduit son ménage ; en elle réside toute sa confiance.
Ennemie par vanité du peuple africain, fière des faveurs du sultan, elle ne lui est peut-être
pas moins utile pour sa sûreté que pour ses plaisirs.
Source : GIROD DE CHANTRANS (Justin),
Voyage d’un Suisse dans différentes colonies d’Amérique, 1785 (réédition Tallandier, 1980)
Questions
- Dans quel environnement évolue le maître blanc ?
- Si ce maître est célibataire, qui prend-il souvent comme compagne ?
- Quelle est la position de cette compagne vis-à-vis du maître ? Vis-à-vis des autres esclaves ?
Justin Girod de Chantrans n’est pas suisse mais franc-comtois (il publie son récit de voyage en
Suisse) ; il visite Saint-Domingue en 1782 et observe.
Dans les habitations, le maître blanc, propriétaire ou gérant, est certes « sultan » car il règne en
maître, mais il est bien souvent seul. Une « ménagère », selon le mot de l’époque, est sa compagne,
Noire ou Mulâtresse, lui servant d’intermédiaire avec le monde des esclaves qu’il ne connaît
finalement que de façon superficielle, et qu’il redoute (« ennemis » aux musiques, chants, danses, et
pensées difficiles à pénétrer). Et jusqu’où faire confiance à cette concubine ? Jusqu’à
l’affranchissement, le concubinage notoire voire, parfois, le mariage ? Dans quelle situation se
trouve-t-elle face à la masse des esclaves ?
La domesticité de la grande case a, en tous cas, une situation privilégiée par rapport au grand
atelier : proximité Ŕ voire intimité Ŕ des maîtres, travail plus gratifiant, possibilité bien plus grande
d’être affranchie (ceci restant cependant aléatoire et arbitraire, selon la bonne volonté du maître).
Pour les esclaves, toutes les voies possibles d’affranchissement ou, à tout le moins, d’amélioration
du sort quotidien, étaient recherchées.
Il est manifeste que les maîtres craignent les actes violents, soit individuels, soit de façon
massive (la révolte collective).
83
La révolte collective est exceptionnelle, car il faut que des conditions soient réunies : sentiment
de force parmi les esclaves, une cohésion d’un ensemble (et donc une conscience politique
suffisante pour dépasser le stade de l’individu pour celui du groupe), existence d’un ou plusieurs
meneurs, un climat devenu insupportable et sans retour, l’impression pour les esclaves que le maître
a baissé la garde ou s’est affaibli, un but à atteindre…
À Saint-Domingue, le soulèvement des esclaves de la plaine du Nord (nuit du 22 au 23 août
1791) finit par conduire à l’indépendance d’Haïti, le 1er janvier 1804.
Reprendre le texte de Georges sur la révolte. Voir aussi Victor HUGO, Bug Jargal, à propos de
la révolte des esclaves de la Plaine-du-Nord, dans la nuit du 22 au 23 août 1791.
Séance 9 : extrait du chapitre XIII (1 h)
Objectif : les procédés de dramatisation et de suspense
XIII
LE NEGRIER
Georges souhaite développer les capacités de la plantation familiale ce qui nécessite plus de maind’œuvre. En accord avec son père, ils font appel à un marchand d’esclaves.
Georges et son père s’avancèrent sur le rivage. De son côté, l’homme que, de loin, on avait pu
voir assis à la poupe, avait déjà mis pied à terre.
Derrière lui descendirent une douzaine de matelots armés de mousquets et de haches. C’étaient les
mêmes qui avaient ramé le fusil sur l’épaule. Celui qui était descendu le premier leur fit signe, et ils
commencèrent à débarquer les nègres. Il y en avait trente de couchés au fond de la barque ; une
seconde chaloupe devait en amener encore autant.
Alors les deux mulâtres et l’homme qui était descendu le premier s’abordèrent et échangèrent
quelques paroles. Il en résulta que Georges et son père furent convaincus de ce dont ils s’étaient
déjà doutés, c’est qu’ils avaient devant les yeux le capitaine négrier lui-même. (…)
Les yeux du commerçant en chair noire se portaient de l’un à l’autre avec une égale curiosité, et
semblaient, à mesure qu’il les examinait davantage, s’en pouvoir moins détacher. Sans doute,
Georges et son père, ou ne s’aperçurent point de cette persistance, ou ne pensèrent pas qu’elle dût
autrement les inquiéter ; car ils entamèrent le marché pour lequel ils étaient venus, examinant les
uns après les autres les nègres que la première chaloupe avait amenés, et qui étaient presque tous
originaires de la côte occidentale d’Afrique, c’est-à-dire de la Sénégambie et de la Guinée :
circonstance qui leur donne toujours une valeur plus grande, attendu que, n’ayant pas, comme les
Madécasses, les Mozambiques et les Cafres, l’espoir de regagner leur pays, ils n’essayent presque
jamais de s’enfuir. Or, comme, malgré cette cause de hausse, le capitaine fut très raisonnable sur les
prix, lorsque arriva la seconde chaloupe, le marché était déjà fait pour la première. (…)
Quand tous les nègres furent débarqués, et quand le marché fut conclu, Télémaque, qui était luimême du Congo, s’approcha d’eux, et leur fit un discours dans sa langue maternelle, qui était la
leur : ce discours avait pour but de leur vanter les douceurs de leur vie à venir, comparée à la vie
que leurs compatriotes menaient chez les autres planteurs de l’île, et de leur dire qu’ils avaient eu de
la chance de tomber à MM. Pierre et Georges Munier, c’est-à-dire aux deux meilleurs maîtres de
l’île. Les nègres s’approchèrent alors des deux mulâtres, et, tombant à genoux, promirent, par
84
l’organe de Télémaque, de se rendre dignes eux-mêmes du bonheur que leur avait gardé la
Providence. (…)
Enfin, le moment vint de régulariser le marché. Georges demanda au négrier de quelle façon il
désirait être payé, et, si c’était en or ou en traites, son père avait apporté de l’or dans les sacoches de
son cheval et des traites dans son portefeuille, afin de faire face à toutes les exigences. Le négrier
préféra l’or. La somme, en conséquence, lui fut comptée à l’instant même et transportée dans la
seconde chaloupe ; puis les matelots se rembarquèrent. Ŕ Mais, au grand étonnement de Georges et
de son père, le capitaine ne descendit point avec eux dans les chaloupes, qui s’éloignèrent sur un
ordre de lui et l’abandonnèrent sur le rivage.
Le capitaine les suivit quelque temps des yeux ; puis, lorsqu’elles furent hors de la portée du
regard et de la voix, il se retourna vers les mulâtres étonnés, s’avança vers eux, et, leur tendant la
main à tous deux :
- Bonjour, père !... Bonjour, frère !dit-il
Puis, comme ils hésitaient :
- Eh bien, ajouta-t-il, ne reconnaissez-vous pas votre Jacques ?
Tous deux jetèrent un cri de surprise et lui tendirent les bras. Jacques se précipita dans ceux de
son père ; puis, des bras de son père, il passa dans ceux de Georges ; après quoi, Télémaque eut
aussi son tour, quoique, il faut le dire, ce ne fût qu’en tremblant qu’il osât toucher les mains d’un
négrier.
En effet, par une coïncidence étrange, le hasard réunissait dans la même famille l’homme qui
avait toute sa vie plié sous le préjugé de la couleur, l’homme qui faisait sa fortune en l’exploitant, et
l’homme qui était prêt à risquer sa vie pour le combattre.
Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p. 213-215.
Questions
1. Relevez les reprises nominales et pronominales désignant le négrier ; observez ses différentes
réactions ; comment permettent-elles de préparer la fin de la scène ? Vous attendiez-vous à cette
fin ?
2. En quoi cette scène est-elle invraisemblable ? en quoi est-elle vraisemblable ?
Bilan
1. Le négrier est d’abord désigné de façon vague avec le groupe nominal « l’homme » ; puis sa
désignation se fait plus précise avec les expressions « celui qui était descendu le premier », « le
capitaine négrier lui-même », « les yeux du commerçant en chair noir » ; dans la suite du texte, il est
dénommé tour à tour « le négrier » ou « le capitaine ». Dès le départ, il semble avoir reconnu son
père et son frère car il les regarde avec insistance, « à mesure qu’il les examinait davantage », tandis
que ces derniers ne se doutent pas de son identité. Au moment de repartir, il ne suit pas ses
compagnons « au grand étonnement du père et du fils » ; c’est alors qu’il se présente à eux
brutalement, ce qui constitue un coup de théâtre auquel le lecteur ne s’attend pas.
2. Cette scène est invraisemblable car il est assez rare qu’une même famille réunisse un planteur
et un négrier ; cette coïncidence est un des procédés romanesques des récits d’aventures. Ce procédé
est renforcé par l’éloge qui est fait des maîtres Munier considérés comme les «deux meilleurs
maîtres de l’île » par l’esclave Télémaque. Mais un autre détail donne de la vraisemblance au récit :
le narrateur nomme précisément les contrées dont sont originaires les futurs esclaves et le narrateur
semble bien renseigné sur les avantages à tirer de leur origine : « … circonstance qui leur donne
toujours une valeur plus grande… ». L’emploi du présent de vérité générale donne du sérieux à son
propos.
85
Séance 10 : extrait du chapitre XIX (1h)
Objectif : la visée argumentative du dialogue
XIX
LE YAMSE
Georges est revenu d’Europe dans l’intention de combattre, par tous les moyens possibles, le
préjugé qui pesait sur les hommes de couleur. Il n a pas oublié non plus un vieux contentieux qui
l’oppose à MM. de Malmédie père et fils, propriétaires blancs d’une autre plantation.
Laïza, un noir libre, propose à ses camarades esclaves que Georges prenne la tête de la révolte.
Laïza frappa trois fois dans ses mains ; au même instant, on entendit retentir le galop d’un cheval,
et, aux premières lueurs du jour naissant, on vit sortir de la forêt un cavalier qui, arrivant à toute
bride, entra jusqu’au cœur du groupe, et là, par un simple mouvement de la main, arrêta son cheval
si court, que, de la secousse, il plia sur ses jarrets.
Laïza étendit la main avec un geste de suprême dignité vers le cavalier.
- Votre chef, dit-il, le voilà !
- Georges Munier ! s’écrièrent dix mille voix.
- Oui, Georges Munier, dit Laïza. Vous avez demandé un chef qui puisse opposer la ruse à la ru
se, la force à la force, le courage au courage, le voilà !... Vous avez demandé un chef qui ait vécu
avec les blancs et avec les noirs, qui tînt par le sang aux uns et aux autres, le voilà !...Vous avez
demandé un chef qui fût libre et qui fît le sacrifice de sa liberté ; qui eût une case et un champ, et
qui risquât de perdre sa case et son champ ; eh bien, ce chef le voilà ! Où en chercherez-vous un
autre ? où en trouverez-vous un pareil ? (…)
Georges connaissait les hommes auxquels il avait affaire, et il avait compris qu’il devait avant
tout parler aux yeux : il était donc revêtu d’un magnifique burnous tout brodé d’or, et, sous son
burnous, il portait un cafetan d’honneur qu’il tenait d’Ibrahim-Pacha, et sur lequel brillaient les
croix de la Légion d’honneur et de Charles III ; de son côté, Antrim, couvert d’une magnifique
housse rouge, frémissait sous son maître, impatient et orgueilleux à la fois.
- Mais, s’écria Antonio, qui nous répondra de lui ?
- Moi, dit Laïza.
- A-t-il vécu avec nous ? connaît-il nos besoins ?
- Non, il n’a pas vécu avec nous ; mais il a vécu avec les blancs, dont il a étudié les sciences ;
oui, il connaît nos désirs et nos besoins, car nous n’avons qu’un besoin et qu’un désir : la liberté.
- Qu’il commence donc par la rendre à ses trois cents esclaves, la liberté.
- C’est déjà fait depuis ce matin, dit Georges.
- Oui, oui, s’écrièrent des voix dans la foule ; oui, nous libres, maître Georges a donné liberté à
nous.
- Mais il est lié avec les blancs, dit Antonio.
- En face de vous tous, répondit Georges, j’ai rompu avec eux hier.
- Mais il aime une fille blanche, dit Antonio.
- Et c’est un triomphe de plus pour nous autres hommes de couleur, répondit Georges ; car la fille
m’aime.
- Mais, si on vient la lui offrir pour femme, reprit Antonio, il nous trahira, nous, et pactisera avec les
blancs.
- Si on vient me l’offrir pour femme, je la refuserai, répondit Georges ; car je veux la tenir d’elle
seule, et n’ai besoin de personne pour me la donner.
Antonio voulut faire une nouvelle objection, mais les cris de « Vive Georges ! vive notre chef »
retentirent de tous côtés et couvrirent sa voix de telle façon, qu’il ne put prononcer une parole.
86
Georges fit signe qu’il voulait parler ; chacun se tut.
- Mes amis, dit-il, voici le jour, et, par conséquent, l’heure de nous séparer. Jeudi est jour de fête ;
jeudi, vous êtes tous libres ; jeudi, à huit heures du soir, ici, au même endroit, j’y serai ; je me
mettrai à votre tête, et nous marcherons sur la ville.
- Oui, oui ! crièrent toutes les voix.
La révolte tourne court. Les autorités ont été averties de la révolte et ont placé sur le parcours des
esclaves des tonneaux d’eau-de-vie auxquels ces derniers n’ont pas résisté. Quelques hommes, dont
Laïza et Georges, se retranchent dans les bois. Poursuivis par les anglais, ils résistent
vaillamment ; cependant, se sentant acculé, Laïza se transperce le corps d’un coup de couteau
tandis que Georges, fait prisonnier, est condamné à mort.
Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p. 313.
Questions
1. Repérez les passages narratifs et dialogués : quel est le principal sujet des passages narratifs ?
Quel est leur rôle ?
2. Qui se fait le porte-parole de Georges ? Comment s’y prend-il pour capter l’attention de
l’auditoire ?
3. Quels arguments met-il en avant pour soutenir Georges ?
4. A quel moment Georges prend-il personnellement la parole ? quel effet produit ce retardement ?
quel effet produisent ses paroles ?
5. Quel personnage s’oppose à Georges ? Quelles objections oppose-t-il à Georges ?
Bilan
1. On repère trois passages narratifs dont deux se trouvent dans la première moitié du texte : ils
s’intéressent au personnage de Georges. Ces passages servent à dramatiser l’apparition et la
présence de Georges. Dans les premières lignes, Georges est désigné de façon mystérieuse comme
« un cavalier » qui fait une entrée spectaculaire avec son cheval. Dans le deuxième passage, la
description met en valeur l’élégance et les détails de sa tenue qui rappelle ses expériences passées :
« cafetan d’honneur qu’il tenait d’Ibrahim-Pacha et sur lequel brillaient les croix de la Légion
d’honneur et de Charles III ».
2. C’est Laïza qui se fait le porte-parole de Georges. Pour capter l’attention de l’auditoire, il
l’interpelle avec le pronom « vous », il multiplie les tournures répétitives « Vous avez demandé un
chef qui… » ; il utilise des tournures doubles « la force à la force », « avec les blancs et avec les
noirs… » qui montre la complémentarité de Georges.
3. Pour convaincre la foule de prendre Georges comme chef de la révolte, il s’appuie sur sa
double identité « qui tînt par le sang aux uns et aux autres », sur le fait qu’il est prêt à perdre sa
liberté et ses biens « qui risquât de perdre sa case et son champ » ; il met également en avant son
éducation « il a étudié les sciences » et sa connaissance des noirs « il connaît nos désirs et nos
besoins ».
4. Georges prend la parole tardivement ce qui créé un effet d’attente et de suspense. Ses
premières paroles sont destinées à produire une forte impression car il annonce la libération de ses
esclaves, ce qui donne la preuve de son engagement personnel et de sa détermination à mener la
révolte.
5. C’est Antonio qui se montre méfiant et s’oppose à Georges : il demande des preuves concrètes
de son soutien et insiste sur les liens de Georges avec la société blanche ; en particulier, il souligne
les liens amoureux de Georges avec Sara « une fille blanche ».
87
Séance 11 : abolitions de l’esclavage (1h)
1 Ŕ La révolte massive de Saint-Domingue (à partir du 23 août 1791)
Doc. 15 : La reconstitution légendée du passé (cérémonie vaudou du Bois Caïman, 14 août
1791)
Timbre d’Haïti commémorant le bicentenaire de la révolte des esclaves de la Plaine-du-Nord (23
août 1791)
Source : Collection particulière
Questions
- Décrire le document ; de quand date-t-il ?
- Quelle vision de la révolte des esclaves donne-t-il ?
Il s’agit d’une glorification, de l’exaltation de cette cérémonie (bien peu discrète !) d’esclaves
qui ont décidé de briser leurs chaines… Cette cérémonie est entrée dans la légende mais est-ce
l’élément déclencheur de la révolte ? Cette vision glorieuse n’est-elle pas trop simple ? Correspondelle vraiment aux faits ?
La réalité est bien plus complexe que la vision héroïque de la révolte des gueux. Le débat entre
historiens est vif, mais il semblerait que cette révolte soit une action coordonnée (dans la discrétion)
par des affranchis avec les autorités officielles (débordées par une faction autonomiste de colons)
pour qu’une action massive d’esclaves libérés menace l’installation au Cap-Français d’une
assemblée de colons autonomistes. En effet, depuis 1789, certains colons parlent de s’affranchir du
contrôle de la métropole en matière économique (« Exclusif » du commerce, que le pouvoir royal
avait un peu assoupli) voire politique (faire une assemblée coloniale dans la ville de Saint-Marc, qui
légifère sur place, et non recevoir des lois votées en métropole par des députés ne connaissant rien
aux colonies… ce qui pousse au maintien du système esclavagiste pur et dur).
Les événements sont d’une très grande complexité et on ne peut, en collège ou en lycée,
qu’esquisser quelques grandes lignes de la Révolution à Saint-Domingue, laquelle se déroule
parallèlement aux événements en France.
88
Les revendications des colons autonomistes qui refusent le « despotisme » (contrôle administratif
royal) et veulent plus d’autonomie, leur crainte de la montée en puissance du groupe des « libres de
couleur » revendiquant le droit de vote (et animosité des petits Blancs à l’égard de ce groupe), leur
inquiétude face au discours philanthropique d’abolition de l’esclavage, tout ceci constitue un
mélange explosif. Les esclaves, jusque là à l’écart (mais ils ont des yeux et des oreilles), ne bougent
pas jusqu’à l’ébranlement de la nuit du 22 au 23 août 1791. Désormais plus rien ne va être comme
avant.
Où se trouve l’épicentre de la révolte ? Selon un témoignage resté anonyme, « c’est (…) sur
l’hab[itation] Nöé (…) que le massacre des blancs par les nègres a commencé dans la nuit du 22
au 23 août 55. [1791] (voir aussi Victor Hugo, Bug Jargal). Que s’est-il passé ? Quelles sont les
conséquences immédiates d’un tel événement ?
De fait, dès le 23 août, on compte 37 Blancs assassinés et des dizaines d’habitations ravagées. Et
surtout, plus rien ne va être comme avant. Les esclaves en révolte font une entrée fracassante dans
un débat politique qui les avait jusque là tenus à l’écart.
2 Ŕ La première abolition de l’esclavage
Doc. 16 : Décret 16 Pluviose An II (4 février 1794)
La Convention nationale déclare abolir l’esclavage dans toutes les colonies ; en conséquence, elle
décrète que tous les hommes, sans distinction de couleur, domiciliés dans les colonies, sont citoyens
français et jouissent de tous les droits assurés par la Constitution.
Questions
- Quelle décision solennelle adopte la Convention ? Quelle en est la conséquence théorique ?
- Comment en est-on arrivé là, dans quelles circonstances ?
Les années 1792-93 sont marquées, à Saint-Domingue, par la reprise en main progressive de
l’autorité métropolitaine face aux velléités autonomistes. Non sans mal (tergiversations législatives,
refus braqué de « petits Blancs »), le droit de vote est accordé aux « libres de couleur » ; tandis que
l’agitation des esclaves révoltés s’étend et qu’un parti de colons menés par le gouverneur Galbaud
tente de résister à l’autorité des envoyés de la Convention, les commissaires Sonthonax et Polverel.
Sonthonax s’allie à des bandes d’esclaves révoltés pour expulser Galbaud et ses partisans du CapFrançais (ville incendiée en juin 1793) et proclame l’abolition de l’esclavage (29 août 1793) en
espérant obtenir le ralliement à la République de ces révoltés. C’est l’échec, les anciens esclaves
n’ont pas attendu après la République… Sonthonax envoie trois députés à la Convention pour
raconter dans quelle situation se trouve Saint-Domingue : Louis Dufay de la Tour (Blanc), JeanBaptiste Mills (Mulâtre), Jean-Baptiste Belley (Noir ; son portrait par Girodet est reproduit dans de
nombreux manuels).
Leur arrivée à la Convention, à Paris, fait sensation (3 février 1794). Le lendemain, l’esclavage
est aboli par les Conventionnels, confirmant ainsi la décision déjà prise dans l’île. Une île menacée
par les Espagnols et les Anglais, qui tentent d’en prendre le contrôle. C’est à ce moment que la
figure de Toussaint Louverture, ancien esclave affranchi, devenu « libre de couleur », apparaît. Chef
d’une unité dans l’armée espagnole, il passe dans le camp français (mai 1794) et devient général de
55
ANOM, F/3/197, cité in CAMARA (Evelyne), DION (Isabelle), DION (Jacques) Ŕ Esclaves, Regards de Blancs,
1672-1913 Ŕ Archives nationales d’Outre-Mer / Images en Manœuvres Editions, 2008, p. 162.
89
l’armée française. Les années qui suivent sont marquées par sa montée en puissance, l’île de SaintDomingue passant progressivement sous son contrôle. Au point d’irriter Bonaparte, qui n’accepte
pas la Constitution autonomiste que Toussaint Louverture fait adopter en juillet 1801. Influencé par
un puissant groupe de colons réfugiés à Paris, le Premier Consul monte une très importante
expédition il a été aboli.
90
3 Ŕ Le rétablissement de l’esclavage et ses conséquences
Doc. 17 : Figure de Louis Delgrès (portrait imaginaire) (2002)
Source : Collection particulière
Travail : recherche sur Louis Delgrès : qui était-il, qu’a-t-il fait et pourquoi ? Pourquoi reste-t-il
un symbole de la lutte contre l’esclavage ?
En Guadeloupe, le commissaire Victor Hugues porteur du décret d’abolition en 1794 était
parvenu à reprendre l’île aux Anglais et à instaurer un régime de travail obligatoire pour relancer les
plantations.
Quand en 1802 le général Richepanse débarque pour rétablir l’esclavage, il va se heurter à la
résistance désespérée d’un groupe d’anciens esclaves menés par l’officier mulâtre martiniquais
Louis Delgrès (épisode du Matouba : les 300 derniers combattants se font sauter plutôt que de se
rendre, au cri révolutionnaire de « la liberté ou la mort »), le 10 mai 1802. Le nom de Louis Delgrès
figure au Panthéon.
À Saint-Domingue, l’arrestation de Toussaint Louverture (6 juin 1802) et son exil en France
(emprisonné au fort de Joux, Doubs, où il meurt le 7 avril 1803) et la nouvelle du rétablissement de
l’esclavage en Guadeloupe déclenchent un soulèvement général. L’armée française, minée par les
fièvres et sans cesse harcelée dans un pays montagneux, est incapable de contrôler quoi que ce soit.
Résultat : la proclamation de la République indépendante d’Haïti.
Doc. 18 : Acte d’indépendance d’Haïti (1er janvier 1804)
Aujourd’hui, premier janvier dix-huit cent quatre, le Général en chef de l’armée indigène,
accompagné des généraux chefs de l’armée (…) après avoir fait connaître (…) ses véritables
intentions d’assurer à jamais aux indigènes d’Haïti un gouvernement stable, objet de sa plus vive
sollicitude (…) a demandé que chacun des généraux assemblées prononçât le serment de renoncer à
jamais à la France, de mourir plutôt que de vivre sous sa domination et de combattre jusqu’au
dernier soupir pour l’indépendance. (…)
Fait aux Gonaïves, ce premier janvier mil huit cent quatre et le premier jour de
l’indépendance d’Haïti.
91
Questions
- Quelle décision est adoptée à Saint-Domingue ? Pour quelles raisons ?
- Quel est le ton employé ?
- Quelles sont les conséquences d’une telle décision ?
Le successeur de Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessalines, proclame la rupture avec la
France et ordonne le massacre des (rares) Blancs encore dans l’île. Pendant une vingtaine d’années
Haïti reste sur le qui-vive, craignant une opération de reconquête de la France. Rien ne se produit.
Finalement, la France reconnaît officiellement l’indépendance d’Haïti en 1825, après la proposition
du président haïtien Pierre Boyer d’indemniser les anciens colons.
En Martinique, l’occupation anglaise impose le maintien du régime esclavagiste. À la Réunion,
le décret de la Convention n’a pas été appliqué.
4 Ŕ La seconde abolition de l’esclavage : 1848
Doc. 19 : Timbre-poste émis pour le tricentenaire des Antilles françaises (1935) à l’effigie de Victor
Schoelcher, commémorant l’abolition de l’esclavage de 1848
Source : collection particulière
Questions
- Qui est Victor Schœlcher ?
- Quelle idée ce document suggère-t-il ?
- Quelle est l’attitude des esclaves ? Que remarque-t-on ?
C’est dans les premiers mois de la Seconde République, le 27 avril 1848, qu’est adopté le décret
d’abolition de l’esclavage inspiré par Victor Schœlcher, dont la figure fait oublier d’autres
abolitionnistes engagés avant lui dans ce mouvement, comme le martiniquais Cyrille Bissette. Mais
l’image d’une abolition octroyée par des esprits généreux, ainsi que l’image des esclaves aux
chaînes brisées remerciant cette initiative, sont réductrices. L’idée était dans l’air du temps depuis
des années (l’Angleterre ayant aboli l’esclavage dans ses colonies en 1833, et les puissances
92
européennes faisaient la chasse aux navires négriers). Et les esclaves n’ont pas attendu patiemment
une décision qui serait tombée du ciel.
Doc. 20 : Une réalité plus complexe, vue par un historien
Les décisions prises à Paris mirent un mois pour parvenir à la connaissance des Antillais.
Chargés en même temps de les appliquer, les commissaires nommés par Schoelcher (…) ne
débarquèrent que début juin. Depuis les premiers jours de mars, en Martinique, les esclaves
remuaient dans les ateliers, les bruits d’une émancipation toute proche (…) Le 21 mai, Saint-Pierre
était « encombré par les nègres ». Le lendemain se produisit l’incident [un esclave ayant menacé
son maître blanc avec un coutelas est arrêté par la police, les esclaves des ateliers voisins, avertis,
convergent vers la ville en demandant la libération de leur camarade] (…) La panique poussa de
nombreux colons à se réfugier sur les navires en rade de Saint-Pierre. Le lendemain, 23 mai, à la
demande de la municipalité, le gouverneur Rostoland proclama un décret solennel : « L’esclavage
est abolit à partir de ce jour à la Martinique, le maintien de l’ordre public est confié au bon esprit
des anciens et des nouveaux citoyens français ». (…) En Guadeloupe, la nouvelle connue le 26 mai,
la municipalité de Pointe-à-Pitre demandait aux autorités de s’aligner sur la Martinique, et, le 27, à
Basse-Terre, le gouverneur Layrle déclarait effective l’abolition.
Source : Paul BUTEL (Paul), Histoire des Antilles françaises, XVIIe-XXe siècles,
Paris, Perrin, 2002
« Neg pété chen » (Les Nègres brisent les chaînes), dit-on en Martinique, en rappel au rôle joué
par les esclaves dans leur propre libération. En Guyane, l’abolition est officielle le 10 août, deux
mois après l’arrivée du commissaire chargé de faire appliquer la mesure. À la Réunion, l’envoyé de
la République proclame l’abolition le 20 décembre, après la rentrée des récoltes.
De fait, chaque département d’outre-mer a une date officielle différente de commémoration
d’abolition de l’esclavage.
Restait maintenant à faire des anciens serviles des citoyens à part entière…
Séance 12 : extrait du chapitre XXVIII (1h)
Objectif : évaluation finale sur le roman d’aventure
XXVIII
L’EGLISE DE SAINT-SAUVEUR
La porte de la rue, comme on le comprend bien, était encombrée de curieux. Les spectacles sont
rares à Port-Louis, et tout le monde avait voulu voir, sinon mourir, du moins passer le condamné.
(…)
En arrivant devant la porte, Georges tressaillit. Près du bon vieux prêtre, qui l’attendait sous le
porche, était une femme vêtue de noir, voilée de noir.
Cette femme, en costume de veuve, que faisait-elle là ? Qu’attendait-elle là ?
Malgré lui, Georges doubla le pas ; ses yeux étaient fixés sur cette femme et ne pouvaient s’en
détacher.
Puis, à mesure qu’il approchait, son cœur battait plus fort ; son pouls, si calme devant la mort,
devenait fiévreux devant cette femme.
93
Au moment où il mettait un pied sur la première marche de la petite église, cette femme ellemême fit un pas au-devant de lui ; Georges franchit les quatre marches d’un bond, leva le voile, jeta
un grand cri et tomba à genoux.
C’était Sara*.
Sara étendit la main d’un mouvement lent et solennel : il se fit un grand silence dans toute cette
foule.
- Ecoutez, dit-elle, sur le seuil de l’église où il entre, sur le seuil du tombeau où il est près d’entrer, à
la face de Dieu et des hommes, je vous prends tous à témoin que, moi, Sara de Malmédie, je viens
demander à M. Georges Munier s’il veut bien me prendre pour épouse.
- Sara ! s’écria Georges en éclatant en sanglots, Sara, tu es la plus digne, la plus noble, la plus
généreuse de toutes les femmes. (…)
Une vingtaine de soldats formaient la haie dans l’église ; quatre soldats gardaient le chœur ;
Georges passa au milieu d’eux sans les voir, et vint s’agenouiller avec Sara devant l’autel.
Le prêtre commença la messe nuptiale ; mais, Georges n’écoutait point les paroles du prêtre ;
Georges tenait la main de Sara, et, de temps en temps, il se retournait vers la foule et jetait sur elle
un regard de souverain mépris. (…)
Ce pendant la messe s’avançait, lorsque Georges, en se retournant, aperçut Miko-Miko**, qui
faisait tout ce qu’il pouvait, non point par ses paroles, mais par ses gestes, pour fléchir les soldats
qui gardaient l’entrée du chœur, et pour arriver jusqu’à Georges. (…)
Miko-Miko se jeta aux genoux de Georges, et Georges lui tendit la main.
Miko-Miko prit cette main entre les siennes et y appuya ses lèvres ; mais, en même temps,
Georges sentit que le Chinois lui glissait entre les mains un petit billet. Georges tressaillit. (…)
On en était à la consécration. Le prêtre leva l’hostie consacrée, l’enfant de chœur fit entendre sa
sonnette, tout le monde s’agenouilla.
Georges profita de ce moment, et, en s’agenouillant aussi, il ouvrit la main.
Le billet contenait cette seule ligne : « Nous sommes là. Ŕ Tiens-toi prêt. »
La première phrase était écrite de la main de Jacques ; la seconde, de la main de Pierre Munier.
Au même instant, et comme Georges, étonné, seul au milieu de toute cette foule, relevait la tête et
regardait autour de lui, la porte de la sacristie s’ouvrit toute grande ; huit marins s’élancèrent,
saisissant les quatre soldats du chœur, et leur appuyant à chacun deux poignards sur la poitrine.
Jacques et Pierre Munier bondirent : Jacques enlevant Sara dans ses bras, Pierre entraînant Georges
par la main. Les deux époux se trouvèrent dans la sacristie. (…) Jacques et Pierre refermèrent la
porte ; une autre porte donnait sur la campagne ; à cette porte, deux chevaux tout sellés attendaient :
c’étaient Antrim et Yambo. (…)
Et Antrim partit comme le vent, emportant son cavalier, qui, en moins de dix minutes, disparut
avec Sara derrière le camp malabar, tandis que Pierre Munier, Jacques et ses marins le suivaient
avec une telle rapidité, qu’avant que les Anglais fussent revenus de leur étonnement, la petite troupe
était déjà de l’autre côté du ruisseau des Pucelles, c’est-à-dire hors de portée de fusil.
Georges devra surmonter encore quelques épreuves pour vivre librement avec Sara.
Alexandre Dumas, Georges, Folio Classique, 2003, p. 412-419
-----------------*Fiancée de Sara et fille de l’ennemi familial M. de Malmédie.
** Nom d’un commerçant chinois qui est déjà venu en aide à Georges.
.
Questions :
1/ Montrez comment la reconnaissance de Sara est dramatisée.
2/ Observez les réactions physiques de Georges : quel est l’effet recherché ?
3/a/ Quelle annonce Sara fait-elle à la foule ?
94
b/ Sur quel ton parle-t-elle ? Justifiez votre réponse à l’aide d’indices relevés dans le texte.
4/ Montrez que Georges est le personnage principal de la scène.
5/a/ Durant la fuite, comment l’impression de vitesse est-elle produite ?
b/ Les fugitifs rencontrent-ils de véritable obstacle ? Expliquez cette situation.
6/ Expliquez pourquoi cette scène constitue un coup de théâtre.
7/ Montrez le lien entre cette scène et la présentation des personnages au chapitre III.
Séance 13 : évaluation (1 heure)
I- Commentaire de document : timbre de 1992 du Bénin
Le littoral du Bénin s’appelait autrefois « Côte des Esclaves » car ce pays a fourni de nombreux
esclaves aux Amériques.
1- Décrire le document : quel est-il ? Que porte le personnage autour des mains, qu’en déduire ?
Que représentent les flèches et les masses de couleur bleue ?
2- Quel commerce évoque ce timbre-poste ? Quand a-t-il eu lieu ? Entre quelles régions du monde ?
3- Quels ont été les principaux acteurs de ce commerce ?
4- Quelles en ont été les principales conséquences pour l’Afrique, pour l’Amérique, pour l’Europe ?
II Ŕ D’après ce que vous avez vu en cours, rappelez ce que l’on produit dans les colonies
françaises grâce à la main d’œuvre esclave, entre le XVIIe et le XIXe siècles ?
III- Document 2 : texte d’Alexandre Dumas extrait du roman Georges
Pour M. de Malmédie56, les nègres, ce n'étaient pas des hommes, c'étaient des machines devant
rapporter un certain produit. Or, quand une machine ne rapporte pas ce qu'elle doit rapporter, on la
remonte par des moyens mécaniques. M. de Malmédie appliquait donc purement et simplement à
ses nègres la théorie qu'il eût appliquée à des machines. Quand les nègres cessaient de fonctionner,
soit par paresse, soit par fatigue, le commandeur les remontait à coups de fouet ; la machine
reprenait son mouvement et, à la fin de la semaine, le produit général était ce qu'il devait être.
Alexandre Dumas, Georges, chapitre VII
1- À quoi, dans ce roman, les esclaves sont-ils comparés ? Comment sont-ils mis au travail ? Est-ce
un effet littéraire ou cela correspond-il à la réalité ?
56
Habitant de l’île Maurice.
95
2- Sur quel texte de loi s’appuyaient les propriétaires d’esclaves dans les colonies françaises ? Quels
étaient les droits et devoirs du maître ? Quels étaient les droits et devoirs de l’esclave ?
IV Ŕ Citer deux exemples de résistance passive des esclaves au système esclavagiste. Citer
deux exemples de résistance plus violente.
V Ŕ Que se passe-t-il à partir du 22 août 1791 à Saint-Domingue ? Quelles sont les
conséquences de cet événement ?
VI Ŕ Quand la France abolit-elle l’esclavage une première fois ? Pourquoi y a-t-il une seconde
abolition en 1848 ?
96
DOSSIER 3
FAIRE REGNER L’ORDRE COLONIAL
Depuis plusieurs années, la question de la violence coloniale Ŕ dénoncée en son temps par les
philosophes des Lumières comme, plus tard, par les militants anticolonialistes Ŕ a fait l’objet de
diverses publications. On peut évoquer quelques-uns de ces travaux de qualité variable, qui vont du
Livre noir du colonialisme (2003) à Massacres coloniaux (2005) en passant par le très conversé
ouvrage d’Olivier La Cour-Grandmaison (Coloniser, Exterminer, 2005) ou par le remarquable
travail de Raphaëlle Branche sur la torture en Algérie (La torture et l'armée pendant la guerre
d'Algérie, 1954-1962, Gallimard, Paris, 2001).
Même en dehors de ses phases les plus aiguës (traite, lutte contre le marronnage, conquêtes
militaires, guerres de décolonisation), la domination coloniale a constamment reposé sur un système
coercitif plus ou moins discret, mais toujours efficace. De nombreux travaux de recherche récents
ou encore en chantiers ont ainsi analysé le fonctionnement de la police, de la justice et, plus
globalement, des systèmes répressifs en situation coloniale. L’intérêt pour les statuts et les textes
juridiques appliqués aux colonisés a été largement éveillé, dans les années 1980-90, par les travaux
et les débats sur le Code Noir de 1685, (cf. Louis Sala-Molins, Le Code Noir ou le calvaire de
Canaan, Presses universitaires de France, 1re éd. 1987, rééd. 2002). Le regard se porte aujourd’hui
sur la spécificité du droit colonial des XIXe et XXe siècles et sur son cortège de statuts inégaux
(« esclave », « indigène », « sujet d’Empire », « protégé », « musulman », « citoyen », « non
citoyen », « métis », etc.).
Les applications concrètes du droit, son fonctionnement sur le terrain sont un élément clé Ŕ au
même titre que la présence de forces armées Ŕ de l’ordre colonial. La répression passe aussi, bien
évidemment, par la généralisation de l’enfermement carcéral, des fameux bagnes de Cayenne ou de
« Biribi » (Dominique Kalifa, Biribi. Les bagnes coloniaux de l'armée française, Perrin, 2009). Ce
sont ces aspects, parfois encore imparfaitement étudiés, que nous avons voulu mettre en avant dans
ce dossier en évoquant les réalités de la « pacification » en Afrique de l’Ouest (doc. 1), le régime de
l’indigénat en AOF ou le bagne de Poulo-Condore en Indochine (ensemble documentaire 3).
LECTURES COMPLEMENTAIRES
 Dossier « Sujets d’Empire » dans Genèses, n° 53, décembre 2003.
 Florence Bernault (dir.), Enfermement, prison et châtiments en Afrique du XIXe siècle à
nos jours, Karthala, 1999.
 Raphaëlle Branche, Anne-Marie Pathé et Sylvie Thénault, « Répression, contrôle et
encadrement dans le monde colonial au XXe siècle », Bulletin de l’Institut d’Histoire du
Temps présent, n° 83, 1er semestre 2004.
 Mamadou Dian Cherif Diallo, Répression et enfermement en Guinée. Le pénitencier de
Fotoba et la prison centrale de Conakry de 1900 à 1958, l’Harmattan, 2005.
 Patrice Morlat et Daniel Hémery, La répression coloniale au Vietnam , 1908-1940,
L’Harmattan, 1990.

Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats dans la guerre d’Algérie, La
Découverte, 2001 (rééd. en poche coll. « Sciences humaines », 2004).
97
1 Ŕ CONQUETE ET « PACIFICATION »
LE JOURNAL D’UN OFFICIER FRANÇAIS (1898)
18 mai 1898
Nous quittions ce matin Ouagadougou, mon capitaine et moi, avec une colonne volante ainsi composée :
un peloton d'infanterie (50 hommes), 10 spahis auxiliaires, 10 cavaliers toucouleurs, 10 cavaliers mossis, 1
pièce de 80 de montagne
Point de direction : Bittou par Touïli, Nobéré, Gou et Léré.
Objectif de l'opération : 1°) soumettre les villages récalcitrants qui sont nombreux encore sur ce
parcours ; 2°) régler sur place les contestations territoriales avec les officiers anglais de la Côte d'Or ; 3°)
achever la soumission des contrées sud non encore parcourues, les intimider par le passage d'une troupe
armée d'assez fort effectif.
Nous arrivions à 8 heures du soir à Kounda, par une nuit si noire que, depuis 6 h et demi, nous marchions
aux torches. Nous bivouaquons en plein air ou sous des paillassons qui nous abritent à peine d'une jolie fin
de tornade reçue en cours de route, et qui continue à tomber en pluie fine. Si ça continue, nous ne crèverons
pas de soif cette fois-ci. […]
23 mai 1898
Nous arrivions en présence de Gou vers 11 h, après une longue étape par une nuit noire et dans une
brousse assez épaisse. Nous transportons à Bittou un fort convoi de vivres : sur nos 80 porteurs, plus de 30
ont pris la fuite à la faveur de l'obscurité et des difficultés de la route, jetant leurs caisses sur le bord du
chemin et disparaissant dans les taillis. Rien à faire par cette nuit noire et malgré les coups de fusils tirés au
hasard sur les fuyards et les efforts de nos admirables cavaliers, 20 caisses de vin restent brisées en cours de
route à 100 km de leur destination, après avoir fait près de 3000 km sans accident. C'est à mourir de rage.
Nos tirailleurs transportent en plus de leur barda habituel celles qui en valent encore la peine. La limonière57
de notre pièce de montagne se casse au passage d'un ravin, nous perdons une heure à réparer cet accident.
À Gou que nous trouvons évacué, pas un chat, pas un grain de mil ; seuls quelques paniers de pistaches
ont été oubliés dans les soukalas58. À midi, nous faisons flamber le village, l'incendie se propage sur 3 ou 4
km d'étendue, mais c'est un spectacle qui ne remplit ni le ventre des hommes ni celui des chevaux. L'eau est
au diable et il fait une chaleur atroce. À midi et demi, nos cavaliers nous ramènent un de nos porteurs
fuyards. Le pauvre diable est fusillé séance tenante en présence de tout le convoi. Je me souviendrai
longtemps de ce repas pris au milieu d'un incendie, coupé par la courte délibération d'un jugement que nous
rendions tout en mangeant, et agrémenté d'une exécution qui eut lieu sous nos yeux à 10 pas de notre table,
entre «la poire et le fromage» (il est bien entendu que la poire et le fromage étaient imaginaires).
À 1 heure, je monte à cheval avec nos 30 cavaliers, il s'agit de razzier à tout prix des grains, du bétail, de
ramener des provisions et des otages et d'infliger une dure leçon à ce village, pour la 3e fois récalcitrant. À 2
km, après avoir suivi la trace fraîche des troupeaux et des habitants, mes cavaliers de pointe sont assaillis à
coups de flèches. Les Boussangas sont rassemblés derrière un marigot peu profond mais couvert d'une
épaisse végétation. Nous franchissons le ruisseau aux berges escarpées sans mettre pied à terre et tombons,
sur la rive droite, dans un terrain rocheux d'où nous faisons déguerpir une multitude d'hommes armés d'arcs,
de flèches, de lances et de javelots. Rien de plus impressionnant que ces flèches qui partent silencieuses de
tous les fourrés, sifflent en passant et se fichent au tronc des arbres. Toutes ces armes sont trempées dans un
poison terrible et la moindre écorchure est mortelle.
Nos hommes sont bien armés : mousquetons et carabines commencent leur besogne et, bien que tirés un
peu au hasard, les coups de feu font déguerpir les guerriers boussangas. Nos cavaliers toucouleurs m'amènent
bientôt 2 Boussangas désarmés. Le premier refuse catégoriquement d'indiquer la retraite du Naba et le parc
du troupeau ; on lui loge une balle dans la tête pour faire parler l'autre.
À cinq heures, nous rentrions avec 40 bœufs, 6 ânes, 27 moutons et de nombreux captifs auxquels était
57
58
Partie formée par les brancards auxquels on attelle le cheval.
Groupe de cases entourées d’un mur d’enceinte.
98
confiée la garde du troupeau. C'est un joli butin. Les captifs sont gardés comme otages ou distribués à nos
partisans, et le bétail servira à la nourriture de la colonne. La poursuite des habitants est du reste impossible,
dans cette brousse épaisse, rocheuse, ravinée, et nous nous exposerions à tomber dans une embuscade ; puis
nos chevaux n'en peuvent plus. J'ai passé avec mes cavaliers 16 heures à cheval avec deux heures
d'interruption Ŕ pas un blessé.
Nous campons ce soir en carré et bien gardés, quoique nous ne comptions guère sur une attaque de nuit.
Le village continue à brûler. Par cette nuit noire, ces feux de paille sont du plus bel effet.
24 mai 1898
Nous ne quittions Gou qu'à 5 heures du matin pour éviter la promenade nocturne d'hier qui nous a coûté
le 1/4 de nos caisses, et de peur aussi d'une attaque en cours de route. Pas d'incident. À 3 h de l'après-midi (!)
nous arrivions en face de Niao, grand village où, comme hier à Gou, nous ne trouvons plus que les derniers
fuyards avec lesquels nous échangions quelques coups de feu. Comme hier aussi, nous faisons flamber les
soukalas. Comme nous avons de quoi manger, que nous sommes exténués par une marche de 10 heures en
plein soleil, nous ne tentons aucune opération, du reste Niao fait partie de la circonscription de Bittou et
nous préférons laisser au chef de ce poste le soin de punir.
Source : Archives privées
(voir l’édition critique établie et annotée par Sophie Dulucq :
Émile Dussaulx, Journal du Soudan (1894-1898), Paris, L’Harmattan, 2000, p. 435 sq.)
Mots-clés : colonisation française, AOF, conquête, violence, « pacification ».
Place dans les programmes : Classes de 4e, de 1re et de Ter. S.
Thématique centrale
-
La notion de violence coloniale (outils de répression à la disposition des colonisateurs), sur
le concept de « pacification », sur les modalités de la conquête.
Pistes de travail possibles
-
Travail de repérage géographique et chronologique et repérage des formes de violence
imposées aux populations.
-
Recherche plus approfondie sur la célèbre « affaire Voulet-Chanoine », scandale colonial lié
à l’appétit de conquête de deux officiers française. Visionnage du téléfilm de Serge Moati
consacré à cet épisode sanglant de la conquête française en AOF : « Capitaine des
ténèbres » (2004).
Un documentaire de 52 mn, co-produit par le Sceren et le CNDP, revient sur la mémoire
actuelle de ces exactions : Blancs de mémoire, de Manuel Gasquet (2004) ; un livret
pédagogique sur ce téléfilm est disponible sur le site du Sceren :
<http://www.sceren.fr/tice/teledoc/Mire/mire_capitaines.htm>
Analyse du document
Émile Dussaulx (1870-1914), capitaine d’infanterie de Marine, effectue deux séjours en Afrique
de l’Ouest entre 1894 et 1898. Il occupe tour à tour plusieurs fonctions dans ces régions récemment
conquises, ou encore soumises à la « pacification » de l’armée française. Au long de ses deux
séjours africains, il rédige un journal par lettres, qu’il adresse régulièrement à ses deux sœurs,
institutrices dans l’Est de la France. Il y relate ses actions, ses états d’âme, y transmet ses
découvertes et sa vision de la colonisation vécue « de l’intérieur ».
Dans ces extraits de mai 1898, Dussaulx raconte la campagne militaire effectuée en pays bissa
(sud-est du Burkina Faso actuel). Ouagadougou, la capitale de l’empire mossi, a été conquise par
99
les Français en 1896 et le souverain des Mossi, le Mogho Naba, a été déposé et remplacé par un
chaf plus docile. Les années 1897-1898 sont marquées par une course de vitesse entre les Français
et les Britanniques qui, plus au Sud (dans l’actuel Ghana), lorgnent sur les territoires tout juste
conquis par leurs rivaux coloniaux et soutiennent le souverain déchu Ŕ projetant même de l’armer
pour une reconquête de son trône.
C’est dans ce contexte que se situe l’épisode auquel prend part Dussaulx : il s’agit tout à la fois
d’achever la conquête en éteignant toute velléité de contestation de la part des populations bissa (ou
boussanga), de contenir l’avancée des Britanniques au sud et d’affirmer l’occupation effective des
territoires contestés en vue de la très prochaine signature d’une convention franco-britannique de
délimitation des frontières coloniales (elle sera signée effectivement en juin 1898).
Une des questions centrales qui émergent de ce témoignage de première main tourne autour des
conditions de la conquête coloniale, de la violence à l’encontre des populations civiles. Les armées
coloniales étaient composées, on le voit ici, d’éléments disparates : officiers et sous-officiers
européens très peu nombreux, tirailleurs africains appartenant aux troupes coloniales régulières,
« partisans » recrutés localement et colonnes de porteurs réquisitionnés de force pour le transport
des matériels.
Le ravitaillement des colonnes militaires devait s’effectuer « sur le pays », ce qui signifiait des
réquisitions de vivres et des intimidations permanentes, lorsqu’il fallait (comme ici) nourrir une
petite centaine d’hommes. Exactions en tout genre, sentiment d’impunité, « justice » expéditive
sont des caractéristiques des différentes phases de la conquête puis de la « pacification » Ŕ terme
militaire consacré dont on voit à quel point il occulte la réalité des violences perpétrées sur le
terrain.
Une autre entrée dans le texte peut être la thématique de la résistance des populations, de leur
(faible !) marge de manœuvre. Fuites en brousse, stratégies d’évitement, mais aussi affrontements
directs et actes de courage font partie de toute une gamme de réactions à la conquête, qu’il s’agit de
replacer dans le contexte 1°) d’extrême déséquilibre des forces en présence (armement occidental
moderne/armes à feu anciennes ou arcs et flèches, dans certains cas ; colonnes militaires/
populations villageoises ; etc.) et 2°) de déstabilisation politique récente (déposition du Mogho
Naba régnant, nomination par les Français d’un nouveau souverain plus « docile », etc.).
Au final, le journal tenu par un officier de terrain, pour sa famille, constitue un témoignage de
tout premier ordre : la parole privée de Dussaulx est bien plus libre que ne pourrait une prise de
position publique. La force du témoignage, la liberté de ton, la cynique désinvolture en disent long
sur les modalités concrètes de la conquête.
100
2 Ŕ LE REGIME DE L’INDIGENAT
EN AOF AU DEBUT DU XXe SIECLE
Article 1er de l’arrêté général du 14 septembre 1907, applicable dans toutes les colonies de la Fédération
d’AOF
1. Refus de payer les impôts, amendes ou de rembourser toute somme due à la colonie, ainsi que
d’exécuter des prestations en nature. Négligence dans ces paiements et dans l’exécution de ces prestations ;
2. Dissimulation de la matière imposable, connivence dans cette dissimulation. Déclaration volontairement
inexacte du nombre des habitants soumis à l’impôt, entraves au recensement ou à la perception ;
3. Départ sans autorisation d’une circonscription administrative, dans le but de se soustraire au paiement
de l’impôt ou à l’exécution d’une décision de justice ;
4. Refus de fournir les renseignements demandés par les représentants ou agents de l’autorité dans
l’exercice de leurs fonctions. Déclaration sciemment inexacte ;
5. Refus ou négligence de faire les travaux ou de prêter les secours réclamés par réquisition écrite ou
verbale dans tous les cas intéressant l’ordre, la sécurité et l’utilité publique, ainsi que dans les cas d’incendie,
naufrage et autres sinistres ;
6. Entraves à un service public ;
7. Refus ou omission volontaire de se présenter devant le commandant de cercle ou le chef de poste, sur
convocation écrite ou verbale, transmise par un de ses agents ;
8. Tout acte irrespectueux ou propos offensant vis-à-vis d’un représentant ou d’un agent de l’autorité ;
9. Discours ou propos tenus en public dans le but d’affaiblir le respect dû à l’autorité française ou à ses
fonctionnaires. Chants proférés dans les mêmes conditions. Propos séditieux, incitation au désordre ou à
l’indiscipline ne revêtant pas un caractère de gravité suffisante pour tomber sous l’application du décret du
21 novembre 1904. Bruits alarmants et mensongers mis en circulation dans le but d’agiter les populations ou
de nuire à l’exercice de l’autorité ;
10. Immixtion de la part d’indigènes, non désignés à cet effet, dans le règlement des affaires publiques ;
11. Usurpation de fonctions conférées par l’autorité. Port illégal ou imitation de costumes ou insignes
officiels. Tentative d’intimidation pour obtenir, au nom de l’autorité ; des sommes d’argent, des dons ou un
service quelconque ;
12. Tentative de corruption d’un agent indigène de l’autorité ;
13. Pratiques de charlatanisme susceptibles de nuire ou d’effrayer ou ayant pour but d’obtenir des dons en
espèces ou en nature et ne revêtant pas un caractère criminel ;
14. Plaintes ou réclamations sciemment inexactes, renouvelées après une solution régulière ;
15. Asile ou aides accordés dans le but de les soustraire à des poursuites judiciaires ou à des recherches
administratives, à des agents qui viennent de commettre un crime ou un délit, à des condamnés évadés ou des
agitateurs politiques ou religieux ;
16. Ouverture sans autorisation d’établissements religieux ou écoles, formation d’associations non
autorisées ;
17. Détérioration ou destruction de travaux, matériel, bâtiments de l’administration ou de tous ouvrages et
objets affectés à l’utilité publique ;
18. Coupe, abattage ou détérioration sans autorisation des bois domaniaux. (Voir décret du 20 juillet 1900
et arrêté du 24 février 1908) ;
19. Allumage de feux de brousse sans précautions suffisantes pour éviter la propagation de l’incendie ;
20. Entraves à la navigation par le jet dans les fleuves et cours d’eau de tous objets pouvant en rendre le
passage difficile ou dangereux ;
21. Défaut de surveillance, de la part de ceux qui en sont chargés, de fous furieux, de lépreux ou d’animaux
malfaisants ou féroces ;
22. Non-restitution, dans un délai de trois jours, d’animaux ou défaut de déclaration à l’autorité dans les
mêmes délais ;
23. Coups de feu tirés sans autorisation à moins de 500 mètres de toute agglomération européenne. Tamtam ou autres réjouissances bruyantes au-delà de l’heure fixée par l’autorité ;
101
24. Abattage de bétail et dépôt d’immondices hors des lieux réservés à cet effet ou à moins de 100 mètres
des habitations ou d’un chemin. Non-enfouissement des animaux domestiques ou autres, morts ou tués, ou
enfouissement à moins de 1 m 50 de profondeur et de 500 mètres de distances des habitations ou d’un
chemin ;
25. Inhumation hors du lieu consacré ou à une profondeur inférieure à 1 m 50 et à moins de 500 mètres des
habitations ;
26. Refus d’exécuter en cas d’épidémie.
Source : Archives Nationales du Sénégal, M 216, arrêté du 14 septembre 1907.
Cet arrêté fédéral remplace un arrêté antérieur datant de 1888.
Dans chaque colonie, des clauses spécifiques pouvaient être ajoutées par les gouverneurs coloniaux.
Mots-clés : colonisation française, AOF, justice coloniale, régime de l’indigénat, ordre colonial,
statut des colonisés.
Place dans les programmes
Classes de 4e, de 1re et de Ter. S.
Thématiques
-
-
Travail sur les inégalités juridiques en situation coloniale (qu’est-ce que signifie le fait
d’être un « indigène » ?)
Travail sur la notion d’ordre colonial (outils de répression à la disposition des
administrateurs).
Travail sur la figure centrale de l’administrateur colonial (en complément avec d’autres
documents, notamment iconographiques).
Pistes de travail possibles
-
Travail sur des autobiographies d’ « indigènes » et sur les passages concernant leurs
rapports avec les administrateurs (ex. les souvenirs d’enfance d’Amadou Hampâté Bâ :
Amkoullel, L’enfant peul, Actes Sud, 1992)
-
Recherche, dans divers dictionnaires, de la définition du mot « indigène » et notamment
dans des dictionnaires historiques (ex. dans le Dictionnaire de la colonisation française, dir.
Liauzu, Hachette, 2007 ou Les mots de la colonisation, dir. S. Dulucq, J.-F. Klein, B. Stora,
Presses universitaires du Mirail, 2008).
Analyse du document
Cet arrêté fédéral de 1907 Ŕ applicable à l’ensemble des colonies de la fédération d’Afrique
Occidentale Française Ŕ est l’un des nombreux textes qui ont progressivement défini les contours de
cette « aberration juridique » (selon l’expression de plusieurs juristes français) qu’a constitué le
« code de l’indigénat ». Cette appellation Ŕ il vaudrait sans doute mieux dire « régime de
l’indigénat » Ŕ désigne un ensemble de réglementations disparates autorisant les administrateurs des
colonies à appliquer aux populations autochtones des sanctions disciplinaires (emprisonnement de
courte durée, amendes…) en dehors de toute procédure judiciaire. Autrement dit, un commandant
de cercle pouvait infliger, sans autre forme de procès, des « sanctions disciplinaires » à tout
indigène qu’il désirait punir pour telle ou telle infraction relevant de l’indigénat (voir ici la liste des
26 articles). Parallèlement à ce régime disciplinaire, se développe une « justice indigène » Ŕ
également contrôlée par les colonisateurs Ŕ chargée de régler les affaires civiles et pénales entre
autochtones.
102
Instauré en Algérie en 1881, puis en Afrique subsaharienne et en Indochine, ce régime
juridique d’exception est d’abord justifié par la nécessité d’établir l’autorité des colonisateurs sur
les territoires récemment conquis. Maintenu au-delà de la « pacification », il constitue une arme
puissante et très efficace dans les mains des administrateurs de terrain, puisque son champ
d’application est vaste, comme en atteste cet arrêté de 1907.
En analysant les différents articles, on voit qu’il s’agit essentiellement de réprimer les atteintes
à l’ordre colonial : refus de payer l’impôt, de répondre à une convocation de l’administration,
critique de la politique coloniale, activités potentiellement subversives, entraves au commerce, etc.
Plus qu’un « code » au sens juridique du terme, l’indigénat apparaît comme un code de conduite des
colonisés à l’égard des colonisateurs, destiné à réprimer les atteintes au prestige et à l’autorité des
représentants de la souveraineté française. Si certaines personnes y échappent, à partir de 1924 (les
chefs de canton par exemple), la plupart des colonisés d’AOF y restent soumis jusqu’au lendemain
de la Seconde Guerre mondiale. Symbole de l’arbitraire colonial, le « code » de l’indigénat est la
cible privilégiée des contestations dans les colonies et en métropole. Il est supprimé par le décret du
20 février 1946.
Ce régime d’indigénat renvoie à la notion de « sujet », d’« indigène » et au statut juridique de
tous ceux qui, dans l’empire colonial, ne sont pas des citoyens français. À la différence du citoyen Ŕ
qui jouit de la plénitude de ses droits puisqu’il a le droit de vote, qu’il élit des représentants au
Parlement, qu’il est justiciable devant la justice française ordinaire, etc. Ŕ, le sujet colonial est
« exclu de toute participation à la Cité au nom de ses “mœurs et coutumes” incompatibles avec le
droit français » (Isabelle Merle, dossier spécial de la revue Genèses, n° 53 : Sujets d’Empire, 2003).
Selon le statut personnel qui est le sien, il est jugé par des tribunaux particuliers appliquant les
« coutumes » ou le droit local, et peut bénéficier d’un certain nombre de droits spécifiques (mariage
polygamique, par exemple, en Afrique).
Cette situation renvoie à ce que certains auteurs ont appelé le compromis républicain qui, dans
les territoires colonisés, a conduit à une catégorisation juridique complexe et inégalitaire des
individus et, plus encore, à « un décrochement fondamental entre la nationalité et la citoyenneté qui
oblige à repenser non seulement ce que veut dire “être Français” mais aussi ce que signifie “être
citoyen” » (I. Merle, Genèses, idem).
103
3 - ENSEMBLE DOCUMENTAIRE
LE BAGNE DE POULO CONDORE EN INDOCHINE
Présentation générale du dossier
Les îles de Poulo Condore, réputées pour leurs paysages paradisiaques, vont abriter pendant
plus de quatre-vingt dix années, de 1862 à 1953, le plus grand bagne français des XIXe ŔXXe siècles
de la période coloniale, après celui de la Guyane et le plus redouté des onze pénitenciers de
l’Indochine. L’intérêt de l’étude du bagne de Poulo Condore est d’une part d’analyser un des
symboles de la répression coloniale, d’autre part de souligner son rôle essentiel dans la formation
des révolutionnaires communistes qui renverseront l’ordre colonial français lors de la guerre
d’Indochine (1946-1954). L’étude de ce bagne est rendue difficile par les carences des sources (cf
les statistiques sur les populations pénitentiaires coloniales), les archives ayant été brûlées en
décembre 1945 par le Vietminh. Nous disposons cependant de plusieurs témoignages dont celui de
Jean-Claude Demariaux, attaché au service des Postes et Télécommunications de l'Indochine, qui se
rend à quatre reprises dans l’archipel, dont trois entre 1936 et 1940, où il s'informe des conditions
de vie des détenus. Son enquête très poussée le mène à interroger bagnards, personnel carcéral et
directeur du pénitencier. Il en tire un livre Les secrets des îles Poulo Condore, le grand bagne
indochinois publié en 1956 à Paris aux éditions Peyronnet. Par la suite, son fils Maurice, qui vécut
lui aussi en Indochine, complète le récit de son père, dans Poulo Condore, archipel du Vietnam, du
bagne historique à la nouvelle zone de développement économique publié en 1999 chez
L’Harmattan. A ces deux récits, il faut ajouter celui du capitaine de la Légion Étrangère, Jacques
Brulé, directeur du bagne de 1947 à 1948, dont la plaquette publié à Saigon, est aujourd’hui
introuvable.
Le dossier se compose de sept documents : une carte de l’Indochine coloniale et une carte des
îles de Poulo Condore avec la localisation des différents bâtiments composant le pénitencier (doc.
A1 et A2), des extraits du règlement révisé du pénitencier de Poulo Condore (doc. B), deux cartes
postales sur la vie quotidienne des bagnards (doc. C), un témoignage sur les conditions de vie (doc.
D), un récit de la grande révolte de 1918 (doc. E), trois tableaux statistiques sur la population
incarcérée et sur les maladies et la mortalité (doc. F1 er F2) et un témoignage sur la formation des
politiques au bagne n° 2 (doc. G).
104
doc A1. L’Indochine coloniale
(www.indochine-souvenir.com/cartes/)
105
doc. A2. La localisation du bagne de Poulo Condore
Source : J.-C. DEMARIAUX, Les secrets des îles Poulo Condore : le bagne indochinois, Peyronnet,
Paris, 1956.
106
doc B. Extraits du règlement révisé du 8 avril 1903 du pénitencier de Poulo Condore
Art.2. […] [L’] action [du directeur des îles et du pénitencier] s’étend sur tout le territoire des îles
de Poulo Condore et à toutes les parties du service intérieur et extérieur du pénitencier dont il est
responsable.
Art.3. Tous les employés lui sont subordonnés et doivent lui obéir. Le Directeur est chargé de
l’exécution des règlements relatifs au régime intérieur économique et du maintien de la police et de
la discipline dans le pénitencier.
Art.4. Le Directeur est investi dans toute l’étendue des îles et des attributions d’officier de l’état
civil et de la police judiciaire.
Art.5. Le Directeur est seul autorisé à infliger des peines disciplinaires aux agents directement
placés sous ses ordres et signale au Gouverneur de la Cochinchine ceux qui auraient encouru des
peines sévères.
Art.6. Le Directeur inflige seul les peines disciplinaires encourus par les détenus.
Art.7. Les peines qui peuvent être infligées à chaque détenu sont les suivantes : la chaîne simple ; la
chaîne double ; la chaîne simple avec boulet ; la privation de salaire ; la mise au riz et à l’eau ; la
détention en cellule pendant un mois au plus ; les fers1. […] Les peines corporelles ne peuvent être
prononcées cumulativement entre elles.
Art. 8. Le Directeur est spécialement chargé de tout ce qui concerne les travaux des prisonniers et
de l'application des tarifs pour les cessions des objets fabriqués.
Art. 10. [...] Le Directeur envoie chaque année un état nominatif des propositions pour remises ou
réductions de peines, établi en faveur des détenus méritants2.
Art. 27. La ration journalière des prisonniers se compose de : 800 grammes de riz ; 250 grammes de
poisson salé ou 300 grammes de poisson frais; 100 grammes de légumes frais; 30 grammes de
nuoc-mam ; 8 grammes de sel ; 3 grammes de poivre; 10 grammes de graisse. Quand l'état du
troupeau le permettra, il sera fait distributions de porc frais à raison de 200 grammes par détenu ; le
porc, dans ce cas, remplacera le poisson.
Art. 30. Les détenus seront vêtus d'un pantalon et d'une en cotonnade bleue. Les costumes des
prisonniers comme plantons ou domestiques seront en cotonnade blanche.
Art. 36. Lorsque le résultat de la pêche le permettra, le directeur fera donner, à titre gratuit, 300
grammes de poisson par malade en traitement.
Art. 39. Tous les jours de la semaine, les dimanches et jours de fête exceptés, les ateliers sont
ouverts de six heures, du matin à dix heures et demie et de une heure et demie à cinq heures et
demie du soir.
Art. 45. La quotité des salaires à accorder aux détenus les plus méritants est fixée à 2 cents par jour
et par homme. Ces sommes seront versées à la caisse du comptable et constitueront un pécule qui
leur sera remis à leur libération.
Art. 97. Le territoire des îles est inaliénable. Aucune industrie privée ne peut y être autorisée et tous
les produits du sol appartiennent de droit au pénitencier. Il est fait une exception en ce qui concerne
les jardins cultivés par les rares et anciens habitants du village dit le petit Cambodge jusqu'à leur
complète extinction.
Art. 98. Aucun Européen ou Asiatique ne peut résider sur le territoire des îles, qui est exclusivement
affecté à un établissement pénitentiaire agricole. Les marchands asiatiques, dont la présence est
tolérée dans l'enceinte du pénitencier, construisent leur habitation à leurs risques et périls […].
Art. 105. La capture d'un prisonnier évadé du pénitencier donnera droit à une prime de 30 francs.
----------------------1
Le décret du 17 mai 1916 crée une peine d'isolement dans une salle ou cellule spéciale des détenus dangereux ou
refusant le travail. Lorsqu'il excède 3 mois, l'isolement doit être prononcé par le gouverneur de la Cochinchine.
107
2
Le décret du 17 mai 1916 contient des dispositions concernant le classement des condamnés ;
- La première classe comprend les mieux notés. Les condamnés de cette classe peuvent seuls ; 1°) obtenir une
concession urbaine ou rurale, 2°) être employés chez les habitants de la colonie.
- Les condamnés de la deuxième classe sont employés à des travaux de colonisation et d'utilité publique pour le compte
de l'État, de la colonie, des municipalités, dans les conditions prévues par le règlement.
- Les condamnés de la troisième classe sont affectés aux travaux les plus particulièrement pénibles. En outre, ils sont, si
possible, séparés des condamnés des autres classes.
Il est à noter qu'il est possible de changer la classe, et même de faire passer un condamné directement de la troisième à
la première.
Source : M. DEMARIAUX, Poulo Condore, archipel du Vietnam,
L’Harmattan, 1999, p. 53-55, p. 115-116.
108
doc C. La vie quotidienne des bagnards
Source : Daniel HÉMERY, Hô Chi Minh : de l’Indochine au Vietnam,
Gallimard, coll. « Découvertes » , 1994, p. 167.
109
doc D. Une description du bagne
[…] Du côté opposé à la mer, la Maison des Passagers donne sur le quai Andouard, ainsi
baptisé en souvenir du directeur du pénitencier assassiné par un bagnard. C’est la promenade chic et
l’endroit le plus animé de Poulo Condore. Le poste, l’hôtel gubernatorial, l’école des petits français,
l’infirmerie sont bâtis en bordure du rivage, et, toute la journée, de la salle de lecture, on peut
assister à un pittoresque défilé. Comme fond de décor, des montagnes boisées qui barrent l’horizon.
[…] Pendant la conversation, des transportés défilent devant la porte. Ils sont coiffés d’une façon
disparate : chapeaux coniques en feuilles de latanier, turbans blancs ou noirs, casques français
peints en jaune, vieux feutres crasseux. Beaucoup sont tête nue, et, parmi ceux Ŕ là deux catégories :
ceux qui ont conservé la chevelure longue et luisante, orgueil des Annamites, et les tondus. […]
Cette première vue de Poulo Condore, de la Maison des Passagers, me donne l’impression d’un
bagne débonnaire. Certes, des troupes de forçats se rendent au travail escortés par des surveillants,
fusil à la bretelle ou révolver au sautoir. Mais je vois aussi de nombreux individus qui errent,
solitaires, dans les rues, sans paraître nullement pressés ; d’autres qui sont couchés au bord de la
mer.
- 7 ou 800 détenus circulent en liberté dans l’île, grogne le Corse. Comme les autres vous vous
attendiez à voir un enfer. Certes, les forçats annamites sont des enfants, comparés à ceux de la
Guyane. Mais Poulo Condore est un bagne à la noix de coco, à côté de Cayenne.[…] (p. 41,43,45).
Je me suis rendu compte que trois couleurs : le blanc, le bleu, le kaki, divisaient en trois classes
bien distinctes l’humanité qui défilait devant mes yeux. Le bleu, c’est la couleur des vrais bagnards,
du prolétariat du pénitencier, de ceux qui font les corvées, percent des routes, cassent des cailloux,
vont à la pêche, abattent des arbres, cultivent rizières et jardins, et expient réellement leurs
crimes.[…] La deuxième couleur est le blanc. C’est celle de ceux qu’on appelle à la Guyane « les
garçons de famille ». À Poulo Condore, les domestiques de toutes sortes, les boys, les bêps, les
coolies-bébé, l’armée des secrétaires qui travaillent dans les bureaux sont désignés par la couleur de
leur costume. […] Le blanc revêt les malins et les embusqués, ceux qui ont su composer avec le
malheur et vivre à l’aise dans la camisole de force des lois. Pendant la sieste, et après huit heures
trente le soir, tous les forçats vêtus de bleu ont réintégré les bagnes. Mais on peut voir, par contre,
quelques « tui ao trang » [les gens vêtus de blanc] qui rêvent le long du quai Andouard, ou
échangent des conversation, à voix basse, avec des soldats du 11e Colonial au bord de la mer.
Enfin, il y a la couleur kaki, qui est celle des hommes libres : gardiens français et surveillants
annamites. […] Les gardiens français sont au nombre d’une trentaine à Poulo Condore, divisés en
trois clans : les Indiens, les Corses et les Continentaux, qui frayent peu ensemble. […] (p. 45, 46,
47, 49).
La grande grille du bagne n°1 : domicile des « droits communs », s’ouvre sur la rue Aujard [les
noms plaques bleus indicatrices correspondent aux chefs et gardiens tués par les détenus], ombragée
de tamariniers. À gauche de la porte, un magasin de paddy et de poisson sec. À droite, le bureau du
gardien-chef. Dans ce dernier, un grand tableau donne la décomposition de l’effectif du pénitencier.
J’y lis que le nombre de prisonniers inscrits dépasse légèrement 2 000, parmi lesquels 110 évadés.
[…] Une grande cour s’offre tout d’abord à ma vue, avec un peu de verdure entre les cailloux. Au
milieu de la cour, un puits à margelle basse et lépreuse. Des deux côtés, un long préau, sous lequel
s’ouvrent les portes ferrées des salles de bagnards. Au fond, les cuisines, et les cellules qui forment
une sorte de ruelle de cachots, isolée du restant. À gauche, derrière les barreaux, j’aperçois des
hommes presque nus, qui tournent de grosses meules en bois. Ce sont les incorrigibles, les fortes
têtes du bagne, en train de décortiquer du paddy.
Dans un coin, des transportés, assis en rond, cassent des madrépores pour la route.
Tout à coup, mon gardien-cicerone se met à hurler :
- Di vè (Va-t-en !)
110
C’est un bagnard qui s’est approché trop près de nous, à moins des six mètres réglementaires.
[…]
Me voici aujourd’hui dans le bagne n° 2. Une grande cour de cent vingt mètres de long, sur
quatre-vingt de large, est entourée de murs noirâtres, hérissés de tessons de bouteilles. Au milieu :
quatre puits à margelle basse. La mer gronde à cent mètres à peine. Le bruit monotone du ressac
résonne dans les prisons. Mais jamais, au grand jamais, les prisonniers d’ici ne peuvent reposer
leurs yeux sur la vaste étendue bleue, dont ils entendent le murmure ou les colères. Car jamais plus,
ils ne doivent franchir les redoutables portes de cette enceinte. [… ]
Près de la léproserie, le bagne n° 3 est l’enceinte des mauvaises têtes de Poulo Condore : la
dernière étape avant la décortiquerie, qui est la fin des fins. On enferme là d’abord, pendant huit
jours, les forçats nouvellement débarqués, pour qu’ils ne répandent pas les nouvelles de Saigon.
Puis, les « durs », les évadés repris, les assassins de leurs codétenus.
[…] Le bagne n° 3 forme un petit monde à part : domaine de la crapule, sous la direction d’un
gardien français à poigne.[…] Nous avons parcouru tous deux les cellules et les salles. Partout des
crânes rasés, des regards farouches, des torses nus illustrés de tatouages. C’est ici que les Matas
doivent bien prendre la précaution de regarder si personne n’est caché derrière le tambour, avant de
franchir la grille d’entrée. […]
Source : J.-C. DEMARIAUX, Les secrets des îles Poulo Condore : le bagne indochinois,
Peyronnet, Paris, 1956, extraits p. 41-49, 180-181, 255.
doc E. La grande révolte du bagne n° 1 en 1918
Nous voici au début de 1918. La révolte gronde sourdement dans le bagne, sans que les
gardiens se soient aperçus de rien. De fausses nouvelles de la guerre sont parvenues à Poulo
Condore et y entretiennent une secrète effervescence. On murmure que la France est écrasée par les
Empires centraux, et que l’Allemagne va s’emparer de l’Indochine. Des poèmes sont même
composés, par les prisonniers politiques, à la louange de Guillaume II, appelé « Duy Liêm » [le
conservateur de l’honnêteté ; plus certainement la transposition phonétique de Guillaume].
Le 14 février 1918 au matin, des cris sinistres près de la cuisine dans la cour du Bagne 1. Une
centaine de condamnés à perpétuité, qui cassaient des cailloux, se précipitent sur le gardien Simon
Jean et deux annamites. En un clin d'oeil, les trois hommes sont abattus, le crâne fracassé, sous de
terribles coups de massette, et la horde sanguinaire déferle vers le corps de garde. Elle veut
s'emparer des armes au râtelier et massacrer la garnison.
Fort heureusement, le caporal Larmurier Ŕ au nom prédestiné - a entendu les forcenés. Il a le
temps de fermer la porte et, avec ses deux de ses hommes, ouvre le feu à travers les grilles.
C’est alors que le lieutenant Andouard, directeur du pénitencier, accourt en hâte, à la tête des
marsouins. Andouard est un manchot de guerre. Il a eu le bras droit emporté sous Verdun, et a reçu
la croix de la Légion d'Honneur brille sur sa poitrine.
Calmement, comme à l'exercice, il commande des feux de salve sur les forçats massés dans la
cuisine, la vannerie et décortiquerie : « trois îlots de résistance », comme il l'expliquera plus tard
dans un rapport. On aperçoit encore aujourd’hui les traces de balles sur les murs décrépis.
Quand la fusillade s’est tue, quatre-vingt-trois cadavres jonchent le sol. La révolte est matée.
Andouard a sauvé la vie de tous les Français du poste. Il est félicité par le gouvernement de
Cochinchine et cité à l'ordre du jour des troupes de l’Indochine par le général Lombard,
commandant supérieur. Mais l'affaire est loin d'être terminée. On ne sait comment, des récits
mensongers de la rébellion sont parvenus sur le continent et soulèvent l’indignation de la masse
annamite. On raconte, avec forces détails, des scènes d’horreur. Des blessés, implorant la clémence
111
des soldats, auraient été achevés à coup de révolver dans l’oreille par un Français de l’Inde, qui
serait devenu sourd depuis par punition de Bouddah.
Quelques journaux de Saigon, bravant la censure, se répandent en invectives contre « le
bourreau de Poulo Condore ». Ils l'accusent d'avoir mitraillé des prisonniers étrangers à la révolte et
demandent des sanctions au ministère des Colonies.
Il faut en finir ! Sous quatre-vingt-trois chefs d'accusation, Andouard est traduit devant un
conseil de guerre, le 1er octobre 1918. Le lieutenant-colonel Paraire préside les débats.
« J'ai fusillé avec sang-froid, s'écrie l'accusé. Je le referais si c'était à refaire. Savez-vous qu'il y
avait quatre cent cinquante bagnards dehors ? Laisser des prisonniers derrière soi eût créé un danger
effroyable. »
L'avocat militaire n'a aucune peine pour défendre brillamment son camarade :
« Les officiers du Conseil de Guerre ne s'égareront pas dans de misérables arguties ! Nous ne
sommes pas ici assouvir des rancunes personnelles et complaire à une certaine presse. »
Quesnel, magistrat qui a procédé à une enquête sur place, vient lui-même lui même à la
rescousse. Il rend hommage à l'énergie de l'accusé « rendue nécessaire par le relâchement coupable
et la bénévolance (sic) du directeur précédent ! ».
Andouard est acquitté à l'unanimité, sous les applaudissements, et va reprendre son
commandement Poulo Condore.
Les journaux d'opposition, pourtant, ne désarment pas, et continuent à vilipender « le bourreau
altéré de sang ».
Source : J.-C. DEMARIAUX, Les secrets des îles Poulo Condore : le bagne indochinois,
Peyronnet, Paris, 1956, p. 71-73)
doc F1. La population incarcérée en Indochine (1867 Ŕ 1945)
Années
Population
incarcérée totale,
31/12 (P.I.T.)
1867
1890
1912
1913
1919
1922
1929
1930
1931
1932
1935
1936
1937
1939
.
.
.
18 340
22 722
21 185
16 087
20 312
23 719
28 097
23 388
20 515
20 842
21 441
En détention dans les
pénitenciers ; nombre de
au
pénitenciers
(entre
parenthèses)
.
.
1932
2301
2638
2810
.
(7) 3297
(10) 3666
(10) 4895
4279
3850
3648
4043
112
En détention % de
% de
à
Poulo la
la P.I.T
Condore
P.I.T.
.
.
.
12,55
11,61
13,26
.
16,23
18,67
17,42
18,30
18,77
17,50
18,86
500 ?
1530
1435
.
.
.
1992
2146
2276
2584
2399
2436
2018
2271
.
.
.
.
.
.
12,38
10,56
9,59
9,19
10,25
11,87
9,68
10,59
1940
1941
1942
1945
(janvier)
26 233
29 871
28 722
4350
6813
6280
16,58
22,81
21,86
2634
4204
4403
10,04
14
15,32
.
.
.
4500 ?
.
doc F2. Décès et taux de mortalité à Poulo Condore (1925 Ŕ 1939)
Années
1925
1926
1927
1928
1929
1930
1931
1932
1933
1934
1935
1936
1937
1938
1939
1940
Nombre de décès
129
58
69
103
117
338
154
100
78
76
37
50
26
22
41
48
Taux de mortalité/1000
88,2
27
33,8
49
58,7
157,5
67,6
38,6
27,6
27,9
15,4
20
12,8
10
18,1
18,2
Source : Daniel HÉMERY, « Terre de bagne en mer de Chine : Poulo Condore (1862-1953) »,
Europe solidaire sans frontières, janvier 2008, <europesolidaire.org>
113
doc G. Au bagne n° 2, domaine des « politiques »
Des Matas annamites me dévisagent avec curiosité. […] De chaque côté, cinq portes ferrées,
munies d’un judas, donnent sur le préau sombre. Au fond, les cuisines. Tout brille, et le repas du
soir répand déjà un agréable fumet. Les « politiques » ont obtenu de se débarrasser des prisonniers
de droit commun qui remplissaient les fonctions de cuisiniers et de gens de propreté. Ils se
plaignaient d’être volés, et de manger des mets sales. Ils sont maintenant entre eux, préparent leur
nourriture eux-mêmes, et le bagne n° 2 ressemble à un petite république, où règne une discipline
librement consentie.
- Un véritable Soviet, dit le gardien français qui m’accompagne dans ma visite. Tout est bien
calme maintenant, ajoute-t-il. La grande amnistie du Front Populaire d’octobre 1936 a fait un large
vide ici. 200 Nationalistes et 250 Communistes environ ont été libérés. Il ne reste plus qu’une
centaine de prisonniers : presque tous nationalistes. Quand le bagne n°2 était plein, nous séparions
les Nationalistes des Communistes, car des disputes fréquentes Ŕ qui se terminaient dans le sang Ŕ
éclataient entre les deux camps. Tout le monde s’est assagi maintenant. On ne met à part que les
tuberculeux, dans la salle n°1. Les déportés doivent rester au bagne jusqu’à la fin de leurs jours, ou
plutôt jusqu’à la prochaine amnistie. Les détentionnaires, au contraire, ne sont condamnés qu’à
vingt ans au plus. » […]
Tout est propre et bien rangé. Aucun tatouage. Les visages sont en général plus intelligents et
les mains plus soignées qu’au bagne n° 1. On se sent tout de suite dans un milieu plus relevé.
Pourtant, au milieu des intellectuels et des autodidactes, je remarque des gens du peuple : paysans et
anciens tirailleurs. Ce sont les laissés pour compte de l’amnistie du Front Populaire. […]
L’emploi du temps des « politiques » est ainsi fixé, invariablement : lever à 6 heures. Sortie
dans la cour de 6 heures à 10 heures. Déjeuner à 10 heures (fermeture du bagne). Sieste jusqu’ à 14
heures. Sortie dans la cour de 14 heures à 17 heures. Dîner à 17 heures. Coucher à 18 heures. La loi
n’astreint pas les déportés et les détentionnaires au travail. Mais beaucoup, pour échapper à l’ennui
mortel qui les accable dans cette enceinte d’où ils ne sortent jamais, ont demandé une occupation.
60 % des « politiques » travaillent. Ils gagnent alors 30 cents par mois. J’en vois qui confectionnent
des filets, des cordes avec des fibres de coco, des cravaches avec du rotin, des vêtements, de petits
objets en écaille, des ustensiles de cuisine en ferblanterie.
Aucune fumerie dans les paquetages. L’opium est formellement proscrit par les Nationalistes et
les Communistes. Ils se surveillent entre eux, et font leur police eux-mêmes pour cela. Seuls, deux
vieux, qui mourraient s’ils étaient privés subitement du « riz noir », sont autorisés à tirer sur le
bambou de temps en temps. Aucun jeu d’argent également. Les « politiques » ne veulent pas se
dépouiller entre eux. Seuls les échecs sont autorisés par les Communistes, qui s’y adonnent avec
une véritable passion. Une unique exception pour la fête du Têt. Pendant quelques jours, les chefs
de camps tolèrent les cartes annamites, le tù sàc (jeu des quatre couleurs), et le soc dia (jeu des
quatre sapèques).
- La République prolétarienne annamite que nous fonderons, m’a dit plus tard un Communiste,
doit être à base de moralité. […]
Je remarque de nombreux livres et journaux, sur les bat-flanc du bagne n° 2. […] On autorisa
désormais la plupart des journaux de Saigon, et Je suis partout, Les Nouvelles littéraires, Le
Canard enchaîné, L’Oeuvre, Gringoire, Le Mercure, La Flèche, Regards, etc. Je vois aussi
quelques numéros de Défense, Vu, et Lu. […] En dehors des livres d’étude : grammaires, ouvrages
de sciences, de mathématiques, on y trouve les œuvres d’Alfred de Musset, de Claude Farrère,
d’Émile Zola, d’Alphonse Daudet, de Paul Bourget et de Guy de Maupassant. […] Les murs sont
couverts de schémas, de découpures de journaux et de gravures. De dessins d’éprouvettes, de
baromètres, de thermomètres, d’alambics et de cornues. Pas une seule femme nue. Partout, des
114
cartes géographiques dessinées à la main, d’une plume très artistique : l’Univers, l’Europe, l’Asie,
la France, l’Indochine, et surtout l’U.R.S.S., qui est reproduite à plusieurs exemplaires. Dans les
salles communistes, sont accrochés aussi des portraits d’hommes illustres : Lénine, Karl Marx,
Romain Rolland, Barbusse, Staline, Dimitroff.
Le chef incontesté du Bagne n°2 est Bui-Cong-Trung, leader communiste de retour de Russie,
et condamné à 15 ans de détention. Malingre et boiteux, ses yeux pétillent de malice. C’est le
théoricien du Parti, au style sarcastique et ardent. Plusieurs brochures clandestines sont de lui : La
ligne politique du Parti Communiste Indochinois, Sur la route de la lutte. Arrêté un mois à peine
après son arrivée de Moscou, il n’eut pas le temps de militer activement en Indochine. […] Pendant
la guerre civile d’Espagne, les Communistes du bagne n°2 suivaient avec anxiété les péripéties de la
lutte sur une grande carte dessinée le long d’un mur. Et c’est Bui-Cong-Trung qui, chaque jour,
claudicant, allait marquer les divers fronts de bataille avec de petits drapeaux rouges. […]
Suspendus aux murs, quelques instruments de musique de fortune, confectionnés avec des noix de
coco : le Kiêm, qui est une sorte de guitare à deux cordes, le gao, une guitare monocorde, et le co,
qui ressemble à notre violon […] les cordes frémissantes accompagnent souvent toute la gamme des
refrains révolutionnaires : la Carmagnole, l’Internationale, la jeune Garde, le Hoang-Pho, qui est la
chanson des Communistes chinois. […]
Source : J.-C. DEMARIAUX, Les secrets des îles Poulo Condore : le bagne indochinois,
Peyronnet, Paris, 1956, p. 161-180.
Analyse
Les documents A sont extraits d’un l’ouvrage de Jean-Claude Demariaux (voir infra). Le
document A2 montre l’archipel de Poulo Condore composé d’une douzaine d’îles volcaniques et
montagneuses excentrées au sud du delta du Mékong en mer de Chine méridionale à plus de 200
miles marins de la ville de Saigon. La principale île, la grande Condore (Con Dao) s’étend sur
environ 5212 hectares avec un point culminant à 584 mètres. Les bâtiments principaux se trouvent à
proximité du rivage.
Les documents D, E et G sont des extraits du témoignage riche et précis avec de nombreuses
descriptions de Jean-Claude Demariaux sur son séjour dans le bagne après l’amnistie du Front
populaire. Dans ces extraits, l’auteur fait preuve très souvent d’honnêteté même s’il n’est pas dit
grand-chose des dérives éventuelles des comportements de l’administration et des gardiens souvent
dénoncés au cours des années, ou si les mots utilisés sont parfois empreints d’une posture de
supériorité et de dédain comme dans le récit de la révolte de 1918 (doc. E). Cette révolte se déroule
durant la Première Guerre mondiale, à un moment où l’encadrement colonial est moindre du fait de
la mobilisation des Français, ce qui favorise en Indochine comme dans d’autres parties de l’empire
français des résistances et des révoltes d’autant plus qu’au début de l’année le conflit est loin d’être
gagné.
La description de l’organisation du bagne et des conditions de vie des bagnards (doc. D) et le
récit de la formation des opposants communistes dans le bagne n° 2 durant les années 1930,
moment où se développent la contestation de l’ordre colonial français et l’accroissement de la
répression (doc. G) complètent le dossier. Jean-Claude Demariaux visite l’ensemble du bagne,
notamment la léproserie où les prisonniers malades ou trop faibles sont laissés à l’abandon par
l’administration. Lors de ses visites, il est accompagné par des fonctionnaires.
Le document B est composé d’extraits de règlement du pénitencier de Poulo Condore de la
version révisée du 8 avril 1903, tirés de l’ouvrage de Maurice DEMARIAUX, Poulo Condore,
archipel du Vietnam, du bagne historique à la nouvelle zone de développement économique,
115
L’Harmattan, 1999. Le pénitencier est en effet réorganisé à plusieurs reprises, comme en 1871, du
fait des nombreux incidents (tentatives d’insurrection et d’évasion) et face à un nombre croissant de
bagnards. Cependant, la sévérité accrue des règlements successifs comme celui du décret du 11
décembre 1889 n’empêche pas l’éclatement de nouvelles révoltes comme celle du 17 juin 1890 où
près de 400 prisonniers assassinent une dizaine de gardiens avant d’être rapidement réprimés par le
directeur du pénitencier. Enfin, le régime des pénitenciers de l’Indochine est réorganisé par neuf
arrêtés en 1916. Les différentes versions des règlements sont définies par décrets ou par arrêtés par
les autorités françaises.
Le document C reproduit deux cartes postales des années 1920 extraites de l’ouvrage de Daniel
Hémery, Hô Chi Minh, De l’Indochine au Vietnam, Gallimard, « Découverte Gallimard », 1994, qui
montrent des prisonniers au travail en train de confectionner des objets en rotin et un groupe de
prisonniers dont l’un porte la chaîne. Ces cartes postales sont souvent envoyées à leurs familles par
les Européens comme les fonctionnaires, cela fait couleur locale. Il s’agit de vrais bagnards et non
pas de reconstitution.
Les documents F1 et F2 présentent deux tableaux statistiques sur les effectifs des populations
incarcérées en Indochine et à Poulo Condore et sur les maladies et la mortalité dans le bagne. Ils
sont extraits de l’article de Daniel Hémery, Terre de bagne en mer de Chine : Poulo Condore
(1862-1953), europe-solidaire.org, janvier 2008. Ce dernier a élaboré ces tableaux (F1 et F2) en
regroupant différentes sources, dont l’Annuaire statistique de l’Indochine de 1913 à 1942 ou le
récent ouvrage de Peter ZINOMAN, Colonial Bastille : A History of Imprisonment in French
Indochina, 1862-1940, Berkeley, University of California Press, 2001, ainsi que ses propres
publications comme Révolutionnaires vietnamiens et pouvoir colonia en Indochine, Maspero, 1975.
Ces tableaux sont lacunaires du fait de l’indisponibilité de nombreux chiffres, nous l’avons déjà
évoqué, les archives de Poulo Condore ayant notamment brûlé.
L’archipel des îles de Poulo Condore, dont le nom viendrait du malais Pulau Kondor (« île des
courges »), a depuis toujours une mauvaise réputation, servant notamment de refuge à des pirates
chinois durant de longues années. Des populations y vivent depuis 4 ou 5 000 ans selon les
historiens vietnamiens, et le premier occidental en à fouler le sol est Marco Polo en 1294. À partir
du début du XVIe siècle, les Européens tentent d’y installer un comptoir : d’abord les Portugais et les
Espagnols, puis les Français où dès novembre 1686 un agent de la Compagnie Française des Indes
Orientales préconise la fondation d’un établissement, et, enfin les Anglais qui y construisent un fort
en 1702 avec l’East India Compagny. Ces derniers en sont chassés rapidement en mars 1705 lors de
la révolte de leurs mercenaires Macassars des Célèbes. Tout au long du XVIIIe siècle, plusieurs
projets d’installation des Français se succèdent sans aboutir. En effet, le traité de Versailles du 28
novembre 1787 entre le futur empereur vietnamien Gia Long, qui s’est réfugié sur l’archipel avec sa
famille en 1783, et le roi de France, Louis XVI, assure à ce dernier la propriété et la souveraineté
mais n’est pas appliqué. Finalement, le 28 novembre 1861, le lieutenant de vaisseau Lespès, prend
possession de l’archipel, le ministre de la Marine Casseloup-Caubat voulant éviter l’installation
d’une autre puissance occidentale. Les îles de l’archipel servent déjà de lieu de détention pour le
gouvernement annamite de Hué, les Français y découvrent 119 captifs et une garnison de 80
hommes. Le traité de Saigon du 5 juin 1861 entérine cette prise de possession.
Le bagne est créé par le décret du 1er février1862 par le contre-amiral Bonard, commandant en
chef de l’expédition de Cochinchine, pour servir de relégation en Indochine aux prisonniers de droit
commun et aux prisonniers politiques. Le 17 mai 1863 les premiers détenus escortés de 25 fusiliersmarins arrivent au bagne. L’internement au bagne est régi par le Code pénal métropolitain avec cinq
peines de condamnation (travaux forcés, détention de longue durée, déportation, relégation,
réclusion). Cependant, il est intéressant de noter qu’en principe le régime est différent entre
prisonnier de droit commun et « politique ». Mais, dans les colonies, il y a confusion pénale du
politique et du criminel. Il s’agit pour les autorités d’atténuer fortement la distinction du crime et de
116
la résistance à l’ordre colonial. À Poulo Condore, les condamnés qui arrivent dans le pénitencier
sont ainsi traités uniformément dans un premier temps en étant enfermés durant plusieurs jours dans
le même bâtiment.
Les premiers prisonniers sont les Vietnamiens de Cochinchine qui s’opposent sous forme de
guérilla à l’ordre colonial. Par la suite, de nombreux opposants, nationalistes puis communistes,
mais aussi des criminels sont envoyés au bagne, pour certains dans les bagnes plus lointains comme
ceux de Guyane ou de Nouvelle-Calédonie. Dans le système pénitentiaire de l’Indochine, Poulo
Condore occupe une place essentielle comptant entre 9 et 12 % de la totalité de la population
incarcérée en Indochine. La moyenne annuelle des détenus de Poulo Condore est d’environ 1 5001 600 détenus à partir de 1900 puis 2 200 détenus durant les années 1920, et de plus de 4 000 de
1930 à 1944 (cf. doc. F1). Les effectifs, droits communs, politiques nationalistes puis communistes,
varient en fonction du contexte : répression coloniale par exemple lors de la conquête du Tonkin et
de l’Annam de 1883 à 1896 ou lors de la Première Guerre mondiale. L’augmentation du nombre de
détenus est constante du fait de la crise politique et sociale des années 1927-1936, notamment avec
l’insurrection de Yên Bay au Tonkin le 10 février 1930, de la Deuxième Guerre mondiale avec la
répression de plusieurs soulèvements et enfin de la guerre d’Indochine, à l’exception du
gouvernement du Front populaire où une politique moins répressive, avec l’amnistie du 11 août
1936, entraîne la baisse des effectifs avec la libération d’environ 500 prisonniers, essentiellement
des « politiques ».
Le bagne s’étend sur plusieurs sites distincts, les bagnes 1 à 3 et la léproserie (cf doc. A2, D,
G), qui sont différenciés par le critère pénal. Chaque site est subdivisé en plusieurs salles
collectives et comportent plusieurs cellules d’isolement. Le bagne n° 1 est le premier construit et est
achevé en 1875. Réservé aux droits communs, il se compose de 10 salles communes qui font office
de dortoirs d’environ 150 m2 et 80 prisonniers. Le bagne n° 2, construit en 1916-1917, compte 12
salles, à l’origine réservé aux lettrés annamites, on l’appelle la maison des lettrés, puis aux
prisonniers politiques nationalistes et communistes à partir des années 1920. L’augmentation du
nombre de prisonniers incarcérés nécessite la construction en 1928 du bagne n° 3 avec 8 salles. Ce
dernier devient le bagne des réclusionnaires, qui sortent très peu de leurs cellules. L’organisation du
pénitencier est complétée par la léproserie et par les différents bâtiments accueillant les habitations
de l’administration comme la maison du directeur, la Maison des passagers qui accueille les
voyageurs comme Camille Saint-Saëns, la caserne, le dispensaire ainsi que l’usine électrique sans
oublier le village peuplé notamment de commerçants chinois.
L’encadrement est constitué de fonctionnaires français et d’indigènes. A la tête du bagne, le
directeur fait fonction d’officier de police judiciaire et de juge de paix. Surnommé Chua Dao, le
Seigneur des îles par les Vietnamiens, ses pouvoirs, définis par le règlement, sont considérables (cf.
doc. B). L’encadrement est assez pléthorique. Dans les années 1930 (1935), pour 2 400 détenus, il y
a environ un peu moins de 30 gardiens européens, des anciens militaires, et une soixantaine de
« matas », surveillants vietnamiens ou cambodgiens. Durant leur service, ils sont armés. Ce qui fait
un gardien pour 30 prisonniers. Par ailleurs, les caplans sont des auxiliaires choisis parmi les
détenus par l’administration, à la fois mouchard et surveillant. Enfin, une compagnie du 11e
régiment d’infanterie coloniale, une centaine d’hommes, est cantonnée sur l’île principale.
Ce pénitencier véhicule une vision d’enfer, même si le bagne de Cayenne demeure le plus
terrible, comme le souligne Jean-Claude Demariaux lors de son séjour : « […] trois images heurtent
parfois mon esprit : les cachots des réclusionnaires remplis de désespoir, la décortiquerie avec ses
bagnards tourneurs de meules, et le hideux dépotoir de la léproserie […] » (op.cit., p. 16,).
La vie quotidienne des bagnards s’organise selon un barème de bonne conduite qui reprend la
classification métropolitaine en trois classes : l’organisation avec les corvées, l’attribution des
postes de travail et la formation des équipes (cf. doc. B). Ces dernières sont directement gérées par
117
les gardiens et surtout les matas et les caplans. Poulo Condore, à l’image des autres bagnes, a un
fonctionnement semi-autarcique. Chaque jour, le bagnard doit produire son propre entretien mais
aussi celui du personnel pour une rémunération très faible : 2 cents par jour en 1889, entre 3 et 4 en
1934. De cette somme sont retranchés les deux tenues et les deux nattes de couchage annuelles et le
coût de son cercueil. Mais il existe une hiérarchie entre les prisonniers. En effet, en principe, seuls
les droits communs du bagne n° 1 sont soumis aux travaux forcés durant huit heures et demie par
jour dans les rizières et les fermes, dans les jardins, dans les différents ateliers, à la pêcherie et à la
décortiquerie. Cependant, les prisonniers les mieux notés par l’administration peuvent s’y soustraire
en occupant des postes d’interprètes, de plantons, de boys,… Nombre de bagnards ont donc un
emploi fixe et peuvent coucher hors du bagne (cf. doc. D). Les détenus des deux autres bagnes
peuvent travailler sous condition de volontariat et de non-dangerosité. Ainsi, certains « politiques »
pour éviter l’ennui, n’hésitent-ils pas à travailler. La main d’œuvre du pénitencier est parfois
réquisitionnée par les administrations de la Cochinchine et du Cambodge et sur les grands chantiers
de travaux publics.
Les conditions de réclusion sont particulièrement rudes avec des travaux souvent meurtriers
comme le ramassage du corail qui est cassé pour construire des routes ou qui est brûlé dans des
fours à chaux, pour en extraire du calcium. Plusieurs menaces sont omniprésentes comme les
violences des gardiens, notamment des caplans. Si les moyens de punition prévus par le règlement
sont larges, de la chaîne simple (cf. doc. C) à la mise aux fers en passant par la chaîne simple avec
boulet (cf. doc. B) ou au cachot, progressivement perfectionné par les Français avec la mise en
place en 1940 de cellules sans porte ni toiture mais couvertes de grilles avec une galerie de ronde,
les mauvais traitements sont répandus. Malgré les interdictions officielles, les prisonniers peuvent
subir des coups et des brutalités physiques à l’aide des rotins, des nerfs de bœuf, de la cadouille (os
de queue de raie), des coups de crosse…
Par ailleurs, le sort des réclusionnaires s’apparente à une mort lente avec une promenade
seulement de deux heures dans la journée et une mise aux fers chaque nuit. Les prisonniers peuvent
aussi être affectés aux chantiers et aux ateliers les plus éprouvants comme le ramassage du corail, la
terrible décortiquerie, où les bagnards les plus durs et les plus rebelles sont astreints à un travail
particulièrement pénible : ils doivent faire tourner une meule pour décortiquer le paddy avec une
ration alimentaire composée seulement d’une boulette de riz par jour et d’un peu de sel pour dix
jours, la construction sans fin de la route circulaire. Ces mauvais traitements infligés aux détenus
des prisons et des bagnes indochinois sont dénoncés régulièrement par les inspecteurs des affaires
administratives, par des journalistes et par des hommes de gauche.
D’autres menaces pèsent sur les bagnards. Tout d’abord, les typhons qui frappent les îles sont
de véritables catastrophes tuant des condamnés, détruisant les bâtiments et les structures du bagne,
ravageant les plantations de légumes ce qui entraîne un recrudescence du scorbut…Ensuite
l’omniprésence de la maladie comme le typhus. Les maladies sont aggravées par l’insuffisance des
rations alimentaires (cf. doc. B). Par ailleurs, les installations sanitaires et l’hygiène sont
insuffisantes. Ainsi, la léproserie est un mouroir pour les lépreux mais aussi pour les prisonniers qui
ne peuvent plus travailler. La mortalité due aux maladies et au déséquilibre des rations alimentaires
ainsi qu’au surpeuplement du bagne est très élevée. Lors des premières années de fonctionnement
du bagne, le béri-béri occasionne des ravages parmi les prisonniers. Par la suite, la mortalité
demeure forte (cf. doc. F2). Mais il y a aussi le paludisme, la fièvre des bois, le scorbut, la
dysenterie, la tuberculose,... De plus, il y a juste une ambulance-infirmerie et le transfert à Saigon
est impossible. Aux difficiles conditions de vie pénitentiaire s’ajoutent les violences entre détenus
avec des bagarres et des assassinats. Des divertissements permettent aux bagnards de s’évader de
l’univers carcéral comme lors de la fête du Têt, nouvel an lunaire au Vietnam. Les jeux de cartes y
sont tolérés et les prisonniers présentent des spectacles devant les fonctionnaires avec, par exemple,
118
la danse de la licorne mais aussi des pièces de théâtre avec des comédies de Molière ou de
Dostoïevski.
La rareté des inspections, une fois tous les cinq ans à l’exception de troubles graves, et un
personnel inadapté expliquent les abus commis sur les prisonniers. Ainsi, jusqu’au début des années
1930, l’administration envoie pour diriger le bagne des militaires de réserve ou à la retraite qui se
comportent comme des chefs de clan ou des tortionnaires. Les dérives des directeurs ne sont pas
rares à l’exemple de celle d’Andouard, le lieutenant de réserve, qui utilisait deux chiens bergers
contre les forçats récalcitrants et avait installé un couple de tigres dans les montagnes pour limiter
les évasions. Par ailleurs, les gardiens indigènes, les matas, n’hésitent pas à escroquer ou à voler les
bagnards mais aussi l’administration.
Enfin, tout un ensemble de personnes, les caplans, les matas, mais aussi les gardiens européens,
les usuriers (bagnards, caplans, femmes des caplans et des matas, boutiquiers chinois) tirent des
prisonniers des prestations occultes et des prélèvements.
À la fin des années 1920 et durant les années 1930, le nombre de prisonniers politiques
impliqués dans les grèves et les révoltes de 1930-1932 ou militants du parti communiste
indochinois clandestin augmente fortement. Poulo Condore devient un lieu de rencontre entre les
opposants à la colonisation avec par exemple Pham Van Dong, Nguyen An Ninh, ce qui favorise la
construction de la nation vietnamienne moderne, et aussi un lieu d’affrontement idéologique entre
nationalistes et communistes qui se traduit par des féroces bagarres comme en 1935. Les
communistes prennent rapidement le dessus sur les nationalistes et les chefs des droits communs.
Ainsi, se met en place dans le bagne n° 2 une véritable structure d’encadrement des prisonniers qui
gère la vie quotidienne, imposant des règles de vie et une école de formation communiste, une
véritable université rouge, école de référence de l’apprentissage révolutionnaire pour nombre de
détenus (cf. doc. G). C’est ainsi que le bagne n° 2 se transforme en un véritable soviet : les détenus
communistes sont organisés en cellules, coordonnées par un comité exécutif. Différentes formes de
résistance se développent comme les tentatives pour communiquer avec l’extérieur ou les grèves de
la faim voire les tentatives d’évasion. Toute une activité clandestine d’édition de textes comme le
journal Tiên Liên (En Avant) se développe. Poulo Condore devient ainsi le lieu de formation de
futurs militants et cadres communistes (on peut citer Nguyên Van Linh ou Trân Van Giau) et
prépare la lutte pour l’indépendance des années 1940-1945. L’action de ces politiques a des
conséquences sur l’attitude face à l’ordre colonial : de nombreux droits communs sont désormais
formés politiquement et deviennent des opposants à l’ordre colonial.
Le contrôle des détenus s’avère difficile et le fonctionnement du pénitencier est souvent
anarchique. Il existe ainsi une contre-société avec ses jeux d’argent et son trafic d’opium. Par
ailleurs, les évasions des prisonniers sont courantes, entre 10 et 15 % des effectifs en moyenne. En
fait, les évadés se réfugient dans les collines couvertes d’une épaisse forêt. L’évasion par mer
constitue l’exception. Les révoltes ne sont pas rares et s’inscrivent souvent dans un mouvement plus
large de révoltes coloniales comme à la fin de la Première Guerre mondiale ou dans les années
1930. Au quotidien, les protestations des détenus sont régulières. Les tensions se traduisent par des
vengeances contre des matas ou des gardiens qui doivent toujours être sur leur garde (cf. doc. D).
Parmi les révoltes, on peut citer la première, celle de juin 1862, celle de juin 1890 et surtout celle de
1918 (cf. doc. E). La répression radicale est le moyen utilisé pour réprimer les révoltes ou les
tentatives d’évasion, à l’exemple de celle de la révolte de 1918 où le directeur Andouard fait tiré sur
les mutins dont 83 sont tués. La violence de la répression de cette révolte entraîne une enquête et le
jugement du directeur Andouard, qui est acquitté. Mais ce dernier, détesté, est assassiné quelques
mois plus tard le 3 décembre 1919 par des bagnards. Les protestations sont nombreuses et face à un
verdict considéré comme scandaleux, Nguyên Ai Quôc, le futur Hô Chi Minh, publie un article
intitulé « C'est cela la justice des colonialistes français en Indochine ». Par la suite, des moyens plus
appropriés sont utilisés comme les pompes à incendie et le gaz lacrymogène.
119
Durant les années trente, Poulo Condore devient un des lieux de contestation principaux de
l’univers carcéral en Indochine contre la colonisation et contre l’enfermement de prisonniers
politiques. Ainsi, au début de 1935, Poulo Condore joue un rôle essentiel dans le déclenchement du
mouvement général de manifestations et de grèves dans les prisons et les bagnes indochinois. En
Indochine des mouvements de sympathie à l’égard du bagnard apparaissent, en particulier dans la
littérature vietnamienne, et en France, les prisonniers politiques indochinois sont soutenus par
divers organismes et partis comme le Secours rouge international ou le Parti communiste français.
Face à la réputation du bagne, Albert Londres a un projet d’enquête que sa mort ne lui permet pas
de réaliser. C’est finalement, Jean-Claude Demariaux (voir supra) qui mènera donc trois enquêtes
entre 1936 et 1940. La revendication essentielle des « politiques » est l’amnistie. Pour l’obtenir, les
grèves des corvées et surtout de la faim se multiplient, par exemple en mars-avril 1935, les
prisonniers protestent aussi contre la mauvaise qualité de l’alimentation. Une mission d’enquête est
menée. Finalement, après une nouvelle grève de la faim, le Front populaire promulgue une amnistie
le 11 août 1936 : plus de 1 532 prisonniers politiques sont libérés dont 500 de Poulo Condore.
Cependant, le bagne n’est pas supprimé et il n’y aura pas de réforme pénitentiaire.
À la fin de la Deuxième Guerre mondiale, les Français perdent le contrôle de l’archipel suite au
coup de force des Japonais du 9 mars 1945. Les îles sont ensuite contrôlées par le Vietminh puis par
des prisonniers de droit commun comme le « roi des montagnes ». Il ne reste plus que 400 droits
communs lors du retour des Français le 18 avril 1946. Durant la guerre d’Indochine, les effectifs du
bagne augmentent de nouveau comptant jusqu’à plus de 2 000 prisonniers. Après le départ des
Français, le 1er Septembre 1955, le bagne continue de fonctionner et est agrandi sous la République
du Viêt-nam et reçoit désormais des communistes capturés par les troupes gouvernementales et
américaines. Les effectifs atteignent alors leur maximum avec plus de 10 000 prisonniers.
Après la réunification du Viêt-nam, le bagne sert de camps de rééducation jusqu’au début des
années 1990. Par la suite, le gouvernement met en place un plan de développement économique
avec l’aménagement de différents ports, dont un port de pêche, mais le développement touristique
est favorisé avec la création d’un parc national en mars 1993 et le classement de Poulo Condore,
Con Dao, comme un des lieux de mémoire de l’histoire révolutionnaire, avec la restauration de
plusieurs sites de l’ancien bagne, et la création de lieux de villégiature.
Mots-clefs : bagnards, bagne, communisme, Indochine, nationalisme, ordre colonial, pénitencier,
prisonniers politiques, Poulo Condore, répression coloniale, Viêt-nam.
Les pistes d’exploitation pédagogique possibles
. Situer et décrire le bagne et ses bâtiments. Quelle est la composition du personnel d’encadrement ?
(doc. A et doc. D)
. Quels sont les prisonniers enfermés ? Comment les effectifs du bagne évoluent-ils ? Justifier votre
réponse (doc. B, D, F)
. Pour quelles raisons peut-on dire que les conditions de vie des bagnards sont particulièrement
rudes et très inégales ? (doc. B et doc. D)
. Dans quelle mesure le contrôle des détenus s’avère-t-il difficile ? (doc. E,G)
. Décrire et expliquer l’évolution qui apparaît à partir des années trente dans l’organisation des
prisonniers. (doc. G). Quelles en sont les conséquences pour la lutte contre la colonisation ?
. Au final, montrer l’importance de Poulo Condore dans la mise en place du respect de l’ordre
colonial mais aussi dans sa contestation.
Niveaux
Au collège
. Quatrième : Chapitre III, L’Europe et son expansion, thème 3 : Le partage du monde.
120
. Quatrième rentrée 2011/2012 : Chapitre III, thème 4 : Les colonies avec comme étude possible
celle de la société coloniale.
Au lycée
. 1re ES/L : chapitre I, L’âge industriel et sa civilisation du milieu du XIXe siècle à 1939, leçon 3 :
L’Europe et le monde dominé : échanges, colonisations, confrontations.
. 1re STG : chapitre I, La construction de la République (8-10h), leçon 1 : Moments et actes
fondateurs (8-10h).
. 1re STI/STL : éventuellement le chapitre intitulé : La France et le monde aux XIXe et XXe siècles,
question obligatoire 1 : La démocratie française de 1848 à nos jours.
. 1re ST2S : éventuellement le chapitre I, La République des années 1880 aux années 1940, question
obligatoire : La France en République, de 1880 au début des années vingt.
. Ter. S : chapitre II, Colonisation et indépendance, leçon 1 : la colonisation européenne et le
système colonial.
Pistes bibliographiques
. Maurice DEMARIAUX Maurice, Poulo Condore, Archipel du Vietnam, du bagne historique à la
nouvelle zone de développement économique, L’Harmattan, 1999.
Daniel HEMERY, « Terre de bagne en mer de Chine : Poulo Condore (1862-1953) », Europe
solidaire sans frontières, janvier 2008, europe-solidaire.org.
. Patrice MORLAT, La répression coloniale au Vietnam (1908-1940), L’Harmattan, 1990.
121
DOSSIER 4
CONTESTER L’ORDRE COLONIAL
La contestation de la colonisation n’a pas pris la forme exclusive des mouvements nationalistes
du XXe siècle, comme pourrait le laisser croire l’abondante littérature des années 1950-1970.
L’historiographie a, en effet, souvent privilégié Ŕ notamment dans les 1960-1970 Ŕ la thématique
des résistances à la conquête, créant un véritable « panthéon » des adversaires de l’impérialisme :
Toussaint Louverture, Abd el Kader, El Mokrani, Abd el Krim, Samory Touré, Lat Dior, Bourguiba
ou Ho-Chi-Minh… Certaines de ces figures ont joué un rôle essentiel même si elles s’avèrent
souvent plus complexes, moins monolithiquement « anticolonialistes » qu’on ne pourrait
l’imaginer. Leur action doit d’ailleurs être replacée dans un contexte plus large : celui de la
contestation diffuse des multiples formes de l’emprise européenne. Notons aussi que l’on a parfois
sélectionné les « bons » héros de l’abolition (Victor Schoelcher plutôt que les esclaves révoltés) ou
de l’indépendance (plutôt Boumediene que Messali Hadj), construit des figures anticolonialistes
anachroniques (Samory Touré en Afrique de l’Ouest), laissant dans l’ombre certains personnages
méconnus du grand public.
La contestation est consubstantielle à la domination coloniale. Dès l’Ancien régime, les
colonisés s’élèvent contre la domination des maîtres, les esclaves cherchent à s’émanciper par le
marronnage (doc. 2). De leur côté, certains penseurs européens s’insurgent contre la traite et contre
les abus du système esclavagiste (doc. 1), dans un mouvement plus complexe et moins linéaire que
ce qu’en ont longtemps retenu les manuels scolaires. C’est aussi contre la domination au quotidien
que luttent les individus et les groupes colonisés, soit anonymement, soit par la voix de porte-parole
issus de l’élite Ŕ contre les agissements d’un administrateur (doc. 4) en particulier ou contre les
injustices de la société coloniale en général (doc. 3, 5 et 6). Plus largement, ces luttes individuelles
et collectives conduisent progressivement à dénoncer l’ensemble du système et à revendiquer
liberté, autonomie, puis indépendance.
LECTURES COMPLEMENTAIRES
 Marcel Dorigny, Les abolitions de l'esclavage de L.F Sonthonax à V. Schoelcher . (17931794 ; 1848), La Documentation française, 2007.
 Marcel Dorigny (dir.), Esclavage, résistance et abolitions, actes du 123e Congrès des Sociétés
historiques et scientifiques, Fort-de-France, avril 1998, Éditions du CTHS, Paris, 1999.
 Nelly Schmidt, Abolitionnistes de l'esclavage et Réformateurs des colonies : 1820-1851,
Karthala , 2001.
 Mohammed Harbi et Gilbert Meynier, Le FLN : Documents et histoire, 1954-1962, Fayard,
2004.
 Pierre Brocheux et Daniel Hémery, L’Indochine : La Colonisation ambiguë (1858-1954), La
Découverte, 2e éd. 2004 (1re éd. 2001).
122
1 Ŕ ENSEMBLE DOCUMENTAIRE SUR LA CRITIQUE DE L’ESCLAVAGE
ESCLAVAGE, DROITS DE L’HOMME ET DIGNITE HUMAINE
Du XVII° au XIX° siècle, la critique de l'esclavage, notamment celle des penseurs des
Lumières, a rendu possible l'abolition mais selon un cours qui, sur le plan des idées comme celui de
la politique, ne fut pas toujours un progrès linéaire ou lisible. De plus, la critique de l'esclavage
n'est pas forcément totale et l'antiesclavagisme n'est pas toujours synonyme d'abolitionnisme
immédiat.
Toutefois ce qui est foncièrement bien que graduellement remis en question, c'est un ordre
politique de droit divin qui impliquerait une société humaine organisée comme l'expression
analogique de la hiérarchie de la Création justifiant en l'occurrence la subordination servile.
Il y a là un tournant décisif et finalement irrésistible: malgré les résistances traditionalistes,
l'esclavage va être analysé selon une logique politique nouvelle comme une institution humaine et
jugé selon un nouvel angle juridique comme contraire aux droits de l'homme.
La notion spécifique des droits de l'homme se distingue des autres droits dont le contenu varie
suivant les temps et les lieux. Les droits de l'homme sont considérés comme essentiels à
l'accomplissement de toute vie humaine digne de ce nom, ils seront comme “attachés” à l'homme;
on ne peut mener une vie pleinement humaine sans eux. Ces droits, dits naturels, doivent être
déclarés( rendus publics) et impliquent une certaine forme d'Etat, lequel doit les respecter et en
sanctionner toute violation, fût-ce par lui-même. Ce qui ne va pas sans difficulté puisque cette
autorité est à la fois juge( l'instance qui sanctionne) et partie( le sanctionné potentiel, celui à qui le
droit est opposable).
Les droits de l'homme se réfèrent, dans leur principe, à la dignité de la personne humaine. Parce
que les hommes sont des « êtres raisonnables », « appelés des personnes,(...) leur nature les désigne
comme des fins en soi, c'est-à-dire comme quelque chose qui ne peut être employé simplement
comme moyen, quelque chose qui par suite limite d'autant toute faculté d'agir comme bon nous
semble (et qui est objet de respect) » (Kant Fondements de la métaphysique des mœurs,1785,
deuxième section, trad. V. Delbos, Delagrave, 1986, p. 149). Ici la fin est la limite absolue où
doivent s'arrêter le désir et l'intérêt. La personne doit être respectée, elle est inviolable, la dignité
n'est pas susceptible d'entrer en commerce, elle est sans prix.
L'enjeu politique et juridique au nom de ces valeurs humanistes et universalistes, c'est la liberté
et de l'égalité en droits de tous les hommes. Les esclavagistes, en effet, vivaient complaisamment
dans une fausse conscience en excluant de l'humanité ceux qu'ils asservissaient.
Plus précisément la lutte contre l'esclavage s'est employée à réfuter un à un tous les arguments
cherchant à justifier l'esclavage, notamment une servitude par consentement tacite en échange de sa
subsistance, la réduction en esclavage des prisonniers de guerre ou encore plus prosaïquement une
nécessité par intérêt économique.
La critique de l'esclavage -les maîtres sont souvent qualifiés de tyrans- peut servir de fil
conducteur à l'histoire des principes de la philosophie du droit. Il convient de considérer qu'en
dépit de certaines ambiguïtés et atermoiements et malgré l'hostilité farouche des milieux influents et
puissants liés au système esclavagiste et à la traite, l'humanisme des Lumières, animé d'esprit
123
critique, a mené globalement un travail de sape à l'encontre de l'institution de l'esclavage, de la
pratique de la traite et a ébranlé par là l'ordre établi colonial. Les hommes des Lumières savent que
la valeur de leurs projets pour faire cesser ce qui porte atteinte à la dignité humaine, s'appréciera
sur leur réalisation.
L'idée de progrès ne connote pas seulement l'avancement des sciences, des techniques et de
l'économie, elle traduit plus profondément une dynamique volontaire qui œuvre à la promotion
politique et éthique, à travers des réformes institutionnelles ou la révolution, de la liberté, de
l'égalité en droits, de l'assistance et de l'instruction publiques. L'objectif des pages qui suivent, ne
consiste pas à relever les insuffisances des Lumières mais s'efforce plutôt de souligner la puissance
de leur projet d'émancipation articulée à la prééminence de la raison, la tache du présent n'étant pas
de tirer un trait sur ce projet mais plutôt de se hisser à sa hauteur et de relever les insuffisances de
notre réflexion et de notre vigilance à l'égard des servitudes contemporaines.
Nous nous proposons d'étudier quelques textes qui ont servi de références décisives au combat
politique pour l'abolition de l'esclavage et de la traite.
Montesquieu (1689-1755): le procès de l'esclavage.
Charles-Louis de Secondat, baron de la Brède, étudie le droit. Conseiller au Parlement de
Bordeaux, il hérite après son mariage du titre de Montesquieu et de la charge de magistrat. Les
Lettres persanes (1721) lui valurent un succès considérable, elles ne sont pas seulement une satire
des mœurs sociales et politiques, la correspondance ingénue d'Usbek et de Rhédi sur « la justice »
ou « les lois » préfigurent les contestations plus systématiques des postérieures.
De 1728 à 1731, Montesquieu voyage à travers toute l'Europe, il emplit des cahiers de notes et
de remarques. Dans de l'Esprit des lois, son œuvre maîtresse qui paraît en 1748, deux idées se
rencontrent: d'une part le rapport que les lois ont avec la constitution de chaque gouvernement, les
mœurs, le climat, la religion, le commerce etc. dans les diverses sociétés humaines, d'autre part le
souci de la liberté des citoyens.
En 1750, Montesquieu réplique aux attaques sur son œuvre en publiant Défense de l'Esprit des
lois qui incite l'Eglise à mettre l'ouvrage à l'index.
« L'esclavage, proprement dit, est l'établissement d'un droit qui rend un homme tellement
propre à un autre homme, qu'il est le maître absolu de sa vie et de ses biens. Il n'est pas bon
par sa nature: il n'est utile ni au maître ni à l'esclave: à celui-ci, parce qu'il ne peut rien faire
par vertu; à celui-là, parce qu'il contracte avec ses esclaves toutes sortes de mauvaises
habitudes, qu'il s'accoutume insensiblement à manquer à toutes les vertus morales » de
l'Esprit des lois, XV, 1.
La question de l'esclavage grâce à Montesquieu ne pourra plus être reléguée ou close et l'on
trouve dans son œuvre la matrice des critiques ultérieures.
Le livre XV dont dix-sept chapitres sont consacrés au débat sur l'esclavage, s'ouvre sur une
définition de l'esclave, suivie d'une critique dont il convient de prendre la juste mesure et la
portée. « Il n'est pas bon par sa nature », en d'autres termes l'esclavage n'est pas amendable, il est
radicalement dénoncé. L'esclave, empêché d'agir par lui-même, « ne peut rien faire par vertu », il vit
124
contraint à une totale soumission d'où, par définition, toute liberté responsable est absente. La vertu
suppose obligation, non nécessité. L'esclavage instaure non seulement une condition humiliante
mais deshumanisante puisque la négation de toute liberté possible équivaut à la négation de la
nature humaine. Cet extrait préfigure les analyses de Rousseau pour qui l'effet le plus monstrueux
de l'esclavage est d'abrutir l'esclave au point qu'il ne voit plus ses chaînes, critiquant par là
évidemment la cause d'un tel état dans la terrible oppression imposant un comportement de bête de
somme. Quant à Alexis de Tocqueville dans De la démocratie en Amérique (1840), il soulignera
que la civilité est le fruit de l'égalisation des conditions.
Pour le maître, l'esclavage a aussi un effet dévastateur de corruption: le pouvoir absolu exercé
sur ses esclaves, l'habitude du luxe font qu'il devient lui-même esclave de ses passions , d'un
insensible égoïsme, d'une violence sans retenue, « dur », « cruel ». La possession d'esclaves ne peut
manquer invariablement de produire un avilissement déshonorant, une tendance de plus en plus
prononcée à toutes sortes d'abus puisque, d'une façon générale, tout pouvoir d'un homme sur les
autres veut irrépressiblement s'augmenter, or l'esclave sans droit opposable est à la merci de tous
les excès.
Dans le chapitre 2, Montesquieu réfute les motifs juridiques traditionnellement donnés pour
justifier l'esclavage. Les « raisons des jurisconsultes ne sont point sensées ». D'une part, dans le
droit de la guerre, l'esclavage des vaincus est irrecevable : « Il est faux qu'il soit permis de tuer dans
la guerre autrement que dans le cas de nécessité ; mais, dès qu'un homme en a fait un autre esclave,
on ne peut pas dire qu'il ait été dans la nécessité de le tuer puisqu'il ne l'a pas fait » (XV,2).
D'autre part et surtout, dans le droit civil, « il n'est pas vrai qu'un homme libre puisse se vendre.
La vente suppose un prix : l'esclave se vendant, tous ses biens entreraient dans la propriété du
maître ; le maître ne donnerait donc rien, et l'esclave ne recevrait rien » (ibid.). Ce que dénonce
Montesquieu, c'est l'idée reçue que l'esclavage peut être légitimé par le fait que l'esclave a
volontairement aliéné, vendu sa liberté. L'esclavage reposerait alors sur un contrat. Or Montesquieu
démontre que premièrement la liberté n'est pas une propriété qu' un homme puisse aliéner, que
deuxièmement ce prétendu contrat n'est qu'une imposture insensée puisque s'y manifeste jusqu'à
l'absurde l'absence d'équilibre le manquement à toute équité. Un tel contrat serait de plus
moralement intolérable : un homme n'a pas un prix, il a une dignité, on ne saurait le vendre comme
une chose. Montesquieu insiste que son propos vise l'esclavage tel qu'il est « établi dans nos
colonies » (note c ibid.).
Contrairement à ce que plusieurs commentateurs ont laissé entendre ou prétendu, Montesquieu
n'est pas ambigu dans son procès de l'esclavage. Affirmer, en effet, que Montesquieu atténue
singulièrement sa condamnation de l'esclavage « dans certains pays » (chap.7) sous certains climats,
résulte de l'équivoque polysémie du terme de nature-ensemble de faits régis causalement et norme.
Dans sa volonté d'explication quasi expérimentale en ce qui concerne les faits, Montesquieu
cherche à dégager les raisons naturelles de l'esclavage existant « dans certains pays » sous certains
climats, il ne le justifie aucunement pour autant. L'esclavage viole la loi naturelle -normative cette
fois- de l'égalité des hommes entre eux. Contre tous ceux qui prétendent invoquer des esclaves
« par nature », Montesquieu rétorque sans appel : « tous les hommes naissent égaux, il faut dire que
l'esclavage est contre la nature » (ibid.). La révolte des esclaves est, selon Montesquieu, une guerre
juste. Dans ses « Pensées » (174), il écrit que la guerre conduite par Spartacus fut « la plus légitime
qui ait jamais été entreprise ».
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La démarche de Montesquieu, dans une tension singulière entre héritage et esprit des temps
nouveaux, met à l'ordre du jour l'écart entre les droits positifs et le droit naturel ou droit des gens
reconnu comme norme commune à l'humanité. Si attentif aux différences de mœurs et de lois que
l'histoire des peuples a pu produire en étroite conjugaison avec la nature, Montesquieu choisit, du
moins dans son œuvre maîtresse, l'universel non le particulier, l'humanité et non pas une société
plutôt qu'une autre. Ce juriste philosophe hiérarchise les droits : droit privé, droit civil ou public et
enfin droit des gens que tous les hommes ont par nature, quelles que puissent être leurs différences
concrètes. Ce droit des gens n'est ni privé, ni public, il est cosmopolite. Ce choix de Montesquieu
est en faveur du droit des gens, nous conduit à citer sa magistrale formulation pratique : « Si savais
quelque chose qui me fût utile, et qui fût préjudiciable à ma famille je le rejetterais de mon esprit. Si
je savais quelque chose utile à ma famille, et qui ne le fût pas à ma patrie, je chercherais à l'oublier.
Si je savais quelque chose utile à ma patrie, et qui fût préjudiciable à l'Europe ou bien qui fût utile à
l'Europe et préjudiciable au genre humain, je le regarderais comme un crime » (Pensées).
Le prix du sucre justifie-t-il le déshonneur de maintenir l’esclavage ?
« Si j’avais à soutenir le droit que nous avons eu de rendre les nègres esclave, voici ce que
je dirais :
Les peuples d’Europe ayant exterminé ceux de l’Amérique, ils ont dû mettre en esclavage
ceux de l’Afrique, pour s’en servir à défricher tant de terres.
Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par les esclaves.
Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé qu’il
est presque impossible de les plaindre.
On ne peut se mettre dans l’idée que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme bonne,
dans un corps tout noir.
Il est si naturel de penser que c’est la couleur qui constitue l’essence de l’humanité […].
On peut juger de la couleur de la peau par celle des cheveux, qui, chez les Égyptiens, les
meilleurs philosophes du monde, étaient d’une si grande conséquence, qu’ils faisaient mourir
tous les hommes roux qui leur tombaient sous les mains.
Une preuve que les nègres n’ont pas le sens commun, c’est qu’ils font plus de cas d’un
collier de verre que de l’or, qui, chez des nations policées, est d’une si grande conséquence.
Il est impossible que nous supposions que ces gens-là soient des hommes ; parce que, si
nous les supposions des hommes, on commencerait à croire que nous ne sommes nous-mêmes
chrétiens.
De petits esprits exagèrent trop l’injustice que l’on fait aux Africains. Car, si elle était telle
qu’ils le disent, ne serait-il pas venu dans la tête des princes d’Europe, qui font entre eux tant
de conventions inutiles, d’en faire une générale en faveur de la miséricorde et la pitié ? » De
l’Esprit des lois, livre xv,5 .
Ce chapitre, à juste titre si fameux, pour son réquisitoire ironique, nous l'évoquons ici
principalement pour sa dénonciation du préjugé « raciste » sous-jacent à la pratique de l'esclavage.
Montesquieu fait un relevé des opinions reçues, il en dévoile les mobiles et les motifs pour que
son lecteur puisse en juger selon la raison et le cœur. « Si j'avais à soutenir le droit que nous avons
eu de rendre les nègres esclaves... ». L'hypothèse rend sensible le décalage entre le fait et le droit, il
126
faut rétablir l'ellipse du discours : le droit que nous avons « eu » mais que nous n'avons plus le droit
d'avoir.
Le premier argument souligne la priorité accordée à l'économie au mépris de la dignité humaine.
« C'est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe ! » répond en écho le nègre de Surinam à
Candide. Quant à Bernardin de Saint Pierre, il procède à une reprise du même argument en
dénonçant l'esclavage comme le scandaleux produit du cynisme des Européens : « Je ne sais pas si
le café et le sucre sont nécessaires au bonheur de l'Europe, mais je sais bien que ces deux végétaux
ont fait le malheur de deux parties du monde. On a dépeuplé l'Amérique afin d'avoir une terre pour
les planter : on dépeuple l'Afrique afin d'avoir une nation pour les cultiver » (Voyage à l'Ile de
France, Paris, La découverte/Maspero,1983, p. 121).
Le second groupe d'arguments rend compte avec force du préjugé raciste : la couleur et la
physionomie rendent les noirs étrangers à toute compassion. C'est déjà, par antiphrase, un essai sur
l'égalité des « races » humaines qui contredit par avance les thèses racistes du XIX° siècle en
fonction desquelles au nom de critères pseudo-scientifiques on prétend justifier une inégalité et une
discrimination de statut politique et juridique entre des catégories de population. Nous
reconnaissons sur ce point notre accord avec l'analyse de C. Delacampagne sur les raisons d'une
indifférence : « si le sort inique de cet étranger n'intéressait personne, si « les bonnes âmes »
humanistes et chrétiennes s'en accommodaient si facilement, c'est parce que cet étranger faisait, lui
et la civilisation d'où il venait, l'objet de la plus totale indifférence, sinon du plus profond mépris, de
la part des Européens. Un mépris qu'il n'est pas interdit de qualifier de « raciste » » (Une histoire de
l'esclavage, le Livre de Poche 2002, p.188). Le racisme a précédé le siècle de la théorie raciste.
Montesquieu sape le fondement prétendument religieux de ce préjugé raciste qui remonte à
l'exégèse douteuse d'un passage de la Genèse (9, 20-27) sur la malédiction de Canaan et de ses
descendants, préjugé si opposée à l'idée chrétienne d'une fraternité humaine. Il dévoile ainsi des
raisons inavouées qui soutiennent de fait l'esclavage, l'idée d'une supériorité « raciale »
implicitement affirmée, entretenue par tous les autres préjugés attachés à la méconnaissance d'une
autre culture dévalorisée par un ethnocentrisme d'autant plus fort qu'il est le plus souvent
insoupçonné. « Une preuve que les nègres n'ont pas le sens commun, c'est qu'ils font plus de cas
d'un collier de verre que de l'or ».
Le dernier paragraphe de l'extrait souligne avec ingénuité la non intervention de la part des
« princes d'Europe » et par suite une complicité quasi générale couvrant un abus intolérable par une
hypocrisie consommée. L' interprétation de C. Delacampagne pour qui Montesquieu se bornerait à
des « propos charitables » (ibid. p. 195) sans visée politique apparaît en l'occurrence bien
tendancieuse. L'ironie permet d'exposer les deux intentions de l'Esprit des lois, l'étude objective des
faits de société et la dénonciation des abus, elle apparaît ici d'une efficacité redoutable puisque le
lecteur participe ainsi réflexivement à l'indignation qui la sous-tend.
Ce réquisitoire contre l'esclavage va, en tout cas, briser l'indifférence et le silence du début du
XVIII° siècle et le procès de l'esclavage sera relayée par d'autres voix accusatrices. A partir de
Montesquieu, la question de l'esclavage prend une tournure nouvelle, car ce qui est affirmé, c'est la
primauté du droit naturel sur tous les cas particuliers et plus personne dans l'instruction de ce procès
ne peut désormais ignorer cette primauté du droit sur les faits.
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Rousseau (1712-1778) : « esclavage et droit sont contradictoires ».
Fils d'un horloger genevois, il s'enfuit à seize ans pour échapper à la brutalité d'un patron qui lui
enseigne la gravure et commence une existence errante et mouvementée (laquais, précepteur,
secrétaire d'ambassade...).
Autodidacte, il se fait connaître par sa réponse à la question mise au concours par l'Académie de
Dijon : « Si le progrès des sciences et des arts a contribué à corrompre ou épuré les mœurs ». C'est
en répondant négativement à cette question que Rousseau se fait connaître, suscitant objections et
polémiques. En 1753, Rousseau décide de répondre à la question nouvellement posée : « Quelle est
l'origine de l'inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par la loi naturelle ? » Dans cet
ouvrage, il développe l'idée selon laquelle « l'homme est naturellement bon et il est devenu mauvais
par les institutions », c'est l'invention de la propriété qui marque l'apparition de l'inégalité : l'homme
ajoute à la nature des barrières qui empêchent les autres de cultiver la terre et, pour protéger ces
barrières un droit, des lois qui « renforcent » le fort et affaiblissent les faibles. Se brouillant avec ses
amis encyclopédistes, d'Alembert et Diderot, il écrit un roman à succès (La Nouvelle Héloïse, 1761)
mais suite à la condamnation dès leur parution de l'Emile et du Contrat social, Rousseau est
contraint dans un premier temps à l'exil puis mène une existence isolée ; il se sent oppressé par la
crainte d'une persécution dont témoignent les Rêveries d'un promeneur solitaire et auparavant les
célèbres Confessions.
Rousseau ne se donne pas pour tache de décrire et encore moins de justifier tel ou tel système
étatique ou juridique : son propos est normatif, il affirme la nécessité d'une critique des institutions
politiques. Ce qui l'intéresse, c'est de trouver le fondement légitime de l'autorité politique, de
réfléchir aux conditions qui rendent possible une loi juste qui n'ait pas pour origine la volonté
particulière d'un tyran pour satisfaire ses appétits et réduire en esclavage ses sujets mais soit
l'expression d'une volonté générale, une loi pour tous (égalité), par tous ( liberté).
En définissant l'humanité par la perfectibilité - Rousseau est en effet l'inventeur de ce néologisme
qui désignera pour Condorcet la valeur humaine par excellence - il est le fondateur d'une
anthropologie qui a conféré à l'univers éthique issu de la Révolution française son sens
philosophique le plus profond. Capable de s'arracher à tout ce qui emprisonne l'animal « stupide et
borné », l'homme est voué à ses risques et périls à une histoire qui est celle de sa liberté.
« Puisque aucun homme n’a une autorité naturelle sur son semblable, et puisque la force
ne produit aucun droit, restent donc les conventions1 pour base de toute autorité légitime
parmi les hommes …
Dire qu’un homme se donne gratuitement, c’est dire une chose absurde et inconcevable ;
un tel acte est illégitime et nul, par cela seul que celui qui le fait n’est pas dans son bon sens.
Dire la même chose de tout un peuple, c’est supposer un peuple de fous ; la folie ne fait pas le
droit .
Quand chacun pourrait s'aliéner soi-même, il ne peut aliéner2 ses enfants ; ils naissent
hommes et libres ; leur liberté leur appartient, nul n'a droit d'en disposer qu'eux. Avant qu'ils
soient en âge de raison le père peut en leur nom stipuler des conditions pour leur
conservation, pour leur bien-être ; mais non les donner irrévocablement et sans condition ;
car un tel don est contraire aux fins de la nature et passe les droits de la paternité...
128
1. Les conventions renvoient à l'idée d'un accord mutuel entre les parties eu vue d'un avantage commun.
2. Aliéner, c'est transmettre le droit de propriété, donner ou vendre.
Renoncer à la liberté, c’est renoncer à sa qualité d’homme, aux droits de l’humanité,
même à ses devoirs. Il n’y a nul dédommagement possible pour quiconque renonce à tout. Une
telle renonciation est incompatible avec la nature de l’homme ; et c’est ôter toute moralité à
ses actions que d’ôter toute liberté à sa volonté. Enfin c’est une convention vaine et
contradictoire de stipuler d’une part une autorité absolue et de l’autre une obéissance sans
bornes. N’est-il pas clair qu’on n’est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger ?
Et cette seule condition, sans équivalent, sans échange, n’entraîne-t-elle pas la nullité de
l’acte ? Car, quel droit mon esclave aurait-il contre moi, puisque tout ce qu’il a m’appartient
et que, son droit étant le mien, ce droit de moi contre moi-même est un mot qui n’a aucun
sens ?
Grotius1 et les autres tirent de la guerre une autre origine du prétendu droit d'esclavage.
Le vainqueur ayant, selon eux, le droit de tuer le vaincu, celui-ci peut racheter sa vie aux
dépens de sa liberté...
Mais (…) si la guerre ne donne point au vainqueur le droit de massacrer les peuples
vaincus, ce droit qu'il n'a pas ne peut fonder celui de les asservir....
Ainsi, de quelque sens qu'on envisage les choses, le droit d'esclave est nul, non seulement
parce qu'il est illégitime, mais parce qu'il est absurde et ne signifie rien. Ces mots, esclavage et
droit, sont contradictoires ; ils s'excluent mutuellement. Soit d'un homme à un homme, soit
d'un homme à un peuple, ce discours sera toujours également insensé : Je fais avec toi une
convention toute à ta charge et toute mon profit, que j'observerai tant qu'il me plaira, et que tu
observeras tant qu'il me plaira » (Du contrat social, Livre I, chap. 4 de l'esclavage).
Le Contrat social n'est pas une recherche historique, un panorama des régimes et des institutions
politiques mais un exposé des principes du droit politique : « je cherche le droit et la raison et ne
dispute pas des faits » écrit Rousseau dans le Manuscrit de Genève, Pléiade III, p.295.
Le problème auquel le Contrat social tente de répondre, est : comment faire pour que les
hommes soient liés les uns aux autres sans que s'établissent entre eux des rapports de domination ?
« L'homme est libre et partout il est dans les fers », l'expression désigne non seulement les
esclaves mais aussi toutes les formes d'assujettissement selon lesquelles ceux qui dépendent de
ceux qui détiennent une position dominante, renforcée par des lois injustes, sont humiliés et avilis.
L'inégalité en droits entraîne la servitude. L'enjeu des premiers chapitres est d'examiner et de
dénoncer tout contrat usurpé tout à l'avantage des forts et au détriment des faibles, par lequel le plus
fort cherche à transformer « sa force en droit et l'obéissance en devoir » chap. 3 du droit du plus
fort. Or « force ne fait pas droit » (ibid.) et on n'est obligé d'obéir qu'aux puissances légitimes.
Avant cet examen des conventions, Rousseau avait réfuté tout asservissement se réclamant d'une
autorité naturelle qui suppose une infériorité essentielle des hommes soumis à un maître ou des
peuples soumis à un despote.
1 Grotius (1583-1645) né en Hollande, son œuvre principale Du droit de la guerre et de la paix, tente un
éclaircissement philosophique des principes juridiques. Il choisit de faire du droit une science profane et laïque. On lui
doit la première doctrine nettement contractualiste.
129
L'idée directrice de l'extrait ci-dessus est qu'une convention par laquelle un homme ou un peuple
se soumet à l'arbitraire d'un maître, est non seulement illégitime mais encore absurde.
Rousseau ne nie pas l'institution de l'esclavage mais lui refuse toute validité et par là même toute
autorité qui puisse obliger les hommes à s'y soumettre. Il n'y a et il ne peut y avoir de pacte ou de
contrat d'esclavage pour deux raisons qui en démontrent l'irrecevabilité radicale.
La première raison est qu'un tel pacte serait un étrange contrat, par lequel l'un donnerait tout et
ne recevrait rien. L'argumentation consiste à rappeler que lorsqu'il s'agit de la liberté, « de la qualité
d'homme », le don est inconcevable, l'homme ne peut aliéner par contrat sa liberté car donner sa
liberté, ce serait donner son être même. Ensuite un tel échange est contraire à la raison, même dans
le cas où, poussé par la misère, l'homme se vendrait en échange de sa subsistance. Celui qui vend un
certain travail ,défini, contre des aliments en guise de salaire, fait un marché, juste ou injuste, mais
ayant un sens. Mais celui qui vend sa personne en esclavage, vend des biens indéfinis - toute sa
capacité d'action - contre … rien, car le maître n'a aucune obligation envers son esclave : « N'est-il
pas clair qu'on est engagé à rien envers celui dont on a droit de tout exiger …? »
La seconde raison est la réfutation de la justification de l'esclavage par le droit de la guerre
qu'invoquaient les juristes tels Grotius ou Pufendorf1 : la vie des vaincus en échange de leur
servitude. Or pour Rousseau, la guerre même si on y pille, ravage... n'en demeure pas moins une
violence organisée et l'état de guerre ne comporte pas que l'on tue les vaincus, mais uniquement les
combattants adverses tant qu'ils combattent. Sitôt qu'ils renoncent au combat, ils sortent de l'état de
guerre, il n'y a plus rien qui peut justifier de porter atteinte à leur vie, l'on soigne les blessés
ennemis, on libère les prisonniers la guerre finie. Rousseau éclaire le concept de guerre en le
différenciant de ce que nous pouvons appeler le terrorisme qui refuse toute borne à la violence, qui
bafoue les droits subsistant même à l'état de guerre. Le vainqueur s'il renonce au meurtre, montre
par là qu'il n'est pas un assassin. Si le vainqueur contraint le vaincu à le servir, il s'agit seulement
d'un abus de la force. Justifier l'esclavage par la guerre, c'est abuser de sa force et laisser subsister le
combat, refuser la paix ; bref, selon Rousseau, ce qui est justifié, c'est la révolte des esclaves qui ne
doivent rien à leur maître dont la seule contrainte ne peut valoir obligation. M. Castillo commente
ainsi l'extrait ci-dessus : « Sans une relation morale de l'humanité à elle-même, sans une conception
morale de la qualité d'homme, antérieure au droit et condition de celui-ci, il restera possible de
justifier l'esclavage par un contrat d'échange entre la liberté et la vie, et de justifier encore
l'esclavage par la guerre. On doit à Rousseau d'avoir conçu comme un non-droit le pseudo-droit de
réduire le vaincu en esclavage. Parce que la guerre, tout simplement, est une relation entre les États,
et non entre les individus, qui n'ont aucune compétence, en l'occurrence, pour pratiquer une
quelconque justice punitive personnelle » (La citoyenneté en question, Paris, Ellipses, 2002, p. 22).
La servitude ne peut être le fruit d'un contrat librement consenti. Ou bien elle est une situation de
force sans droit, ou bien elle est le fruit d'une mystification dont l'examen manifeste l'absurdité.
Dans tous les cas, la situation de servitude, pur rapport de force plus ou moins masqué, légitime un
droit de résistance.
La liberté est à l'individu ce que, dans le livre II du Contrat social, la souveraineté est au peuple :
l'une et l'autre sont inaliénables.
1. Pufendorf (163261694), dans son ouvrage Droit de la nature et des gens, il critique les théories de l'absolutisme de
droit divin, il n'en reste pas moins partisan, à l'opposé de Rousseau, de l'idée d'un droit d'esclavage volontaire: un
homme peut se vendre et renoncer à sa liberté pour avoir la vie sauve.
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Condorcet (1743-1794): un philosophe engagé contre l'esclavage et la traite des Noirs.
Mathématicien, économiste, philosophe, encyclopédiste et homme politique, Condorcet incarne
par sa curiosité et sa volonté de « rendre la raison populaire » l'esprit des Lumières.
Elu à l'assemblée législative en 1791, il en devient président, il prévoit tout un réseau
d'institutions pour lutter contre les iniquités, dénonçant les privilèges nobiliaires et s'occupant
particulièrement de l'organisation de l'instruction publique gratuite.
Devenu membre de la Convention, il s'oppose à la peine capitale du roi et ayant protesté contre
l'arrestation des Girondins, il est proscrit. Arrêté, il est trouvé empoisonné dans sa prison (7 avril
1794). Deux mois plus tôt, la Convention avait adopté le décret de Pluviôse an II abolissant
l'esclavage ; Bonaparte, cédant à la pression influente des colons, s'empressa de le rétablir dès 1802
et l'esclavage ne fut définitivement aboli que le 27 avril 1848, suite au décret proposé par Victor
Schoelcher.
Philosophe du progrès, Condorcet considère que le sens général de l'histoire est le passage des
besoins à la raison, que l'espèce humaine ne cessera de s'améliorer, non seulement dans son
organisation matérielle et sociale, mais dans sa vie physique, plus longue et plus saine, et aussi dans
ses facultés intellectuelles et morales. Cette thèse de la « perfectibilité indéfinie » devait être
contestée dès le début du XIX° siècle, ses formulations du progrès seront néanmoins reprises durant
tout le siècle.
Partisan de l'égalité des droits entre les sexes, seul philosophe et homme politique de son temps à
s'indigner de voir les femmes traitées en mineures politiques, il prit publiquement par ses écrits
position, malgré une réprobation générale, en faveur du droit de vote pour les femmes. Enfin de
toutes les injustices et cruautés héritées du passé, aucune n'est plus odieuse à Condorcet que
l'esclavage et la traite des Noirs qu'il qualifie « d'horrible barbarie » et « d'horrible trafic ».
« Par quels traits se marque l'originalité de Condorcet (...) ? Contrairement à la philosophie des
nombreux disciples de Rousseau, ce n'est pas la volonté générale, mais la Raison qui est le moteur
du progrès humain (...). Le rôle du philosophe et du savant est de contribuer à ce progrès, d'en
accélérer la marche, par le développement des Lumières et de l'instruction publique (...).
De là découlent, pour le politique, deux impératifs. Les institutions ne valent qu'autant qu'elles
garantissent le respect des Droits de l'homme : c'est l'exigence de la liberté. Une société ne vaut
qu'autant que chaque homme y jouit de la plénitude de ses droits : c'est l'exigence d'égalité.
Comment se résigner en effet à une société où les femmes, les pauvres, les protestants, les juifs se
voient, à des degrés divers, dénier la jouissance des Droits de l'homme ? Et, pis encore, où les Noirs
se voient refuser jusqu'à la qualité d'hommes ? » (Condorcet, un intellectuel en politique, Badinter
(Elisabeth et Robert), LGF 2001 pp.287-288).
L'œuvre et l'action de Condorcet ne sont pas seulement un aboutissement de l'esprit des
Lumières, par bien des aspects il fut aussi un précurseur invitant à la vigilance civique : « une
association où la tranquillité générale exigerait la violation du droit des citoyens et des étrangers ne
serait plus une société d'hommes, mais une troupe de brigands ».
131
Extraits de Réflexions sur l'esclavage des Nègres et leurs commentaires.
Dans la première édition de 1781, les Réflexions sont présentées comme le texte d'un suisse du
nom de Schwartz ( en allemand noir) ; la symbolique de ce pseudonyme par identification à la cause
des Noirs, est évidente.
Dans cet ouvrage, Condorcet réfute les arguments cherchant à justifier la nécessité de l'esclavage
et de la traite. Ce n'est pas qu'un débat d'idées mais un combat politique, il convient en effet d'avoir
à l'esprit les intérêts économiques considérables que la traite et l'esclavage généraient d'une part au
profit des armateurs négriers principalement de Nantes, Bordeaux, Marseille, Le Havre dont le
trafic était d'autant plus prospère que l'Etat le soutenait par des primes, et, d'autre part, au profit des
planteurs pour qui cette domination sociale laissait impunie une exploitation sans bornes.
Rééditées en 1788, à la veille de la Révolution, les Réflexions reçoivent un écho cette fois
retentissant en faveur de la cause anti-esclavagiste qui s'organise en fondant la Société des Amis des
Noirs sur le modèle d'associations déjà existantes en Angleterre et aux Etats-Unis. Autour de
Condorcet, on compte parmi les membres de la Société Brissot, Mirabeau, l'abbé Grégoire, La
Fayette, Lavoisier.
« Réduire un homme à l'esclavage, l'acheter, le vendre, le retenir dans la servitude, ce
sont de véritables crimes […]. En effet, on dépouille l'esclave, non seulement de toute
propriété mobilière ou foncière, mais de la faculté d'en acquérir, mais de la propriété de son
temps, de ses forces, de tout ce que la nature lui a donné pour conserver sa vie ou satisfaire ses
besoins. A ce tort on joint celui d'enlever à l'esclave le droit de disposer de sa personne.
Ou il n'y a point de morale, ou il faut convenir de ce principe. Que l'opinion ne
flétrisse point ce genre de crime ; que la loi du pays ne le tolère ; ni l'opinion, ni la loi ne
peuvent changer la nature de ses actions: et cette opinion serait celle de tous les hommes; et le
genre humain assemblé aurait d'une voix unanime, porté cette loi, que le crime resterait
toujours un crime ». (Réflexions sur l'esclavage des Nègres, Mille et une nuits, Fayard, 2001,
chap. I, p. 7-8).
Cette ouverture des Réflexions est une condamnation sans appel de l'esclavage, le qualifiant de
“crime”. Condorcet définit la condition d'esclave : la servitude lui ôte tout droit sur les choses, son
activité, sa propre personne, une telle servitude fait violence au droit naturel. Le maître d'esclaves
porte atteinte à l'intégrité physique et psychique de l'esclave, disposant à sa guise de sa force de
travail, voir de sa vie en toute impunité.
Condorcet revient dans le chapitre IV sur la différence entre la servitude et les autres formes de
soumission qui relèvent de convention, d'un recours possible à des droits et à des sanctions en cas
de violation. Celui qui peut juridiquement être protégé des abus de pouvoir qu'un homme exerce sur
lui, n'est pas esclave. Celui qui, sans droit, est à la merci des caprices et de l'avidité du maître, est
esclave.
« Ou il n'y a point de morale, ou il faut convenir de ce principe ». Condorcet souligne que ce
principe ou fondement de toute légitimité ne peut être confondu avec « l'opinion » ou « la loi du
pays ». Il s'agit d'un principe de la raison qui se distingue et s'oppose à l'opinion entendue ici
comme un ensemble de préjugés, de même ce principe permet de critiquer la « loi du pays », dès
lors que celle-ci se rapporterait à l'ensemble des coutumes ou législations autorisant la pratique de
132
l'esclavage. Toute opinion et toute institution prétendant justifier l'esclavage, est contraire aux droits
de l'homme. Les esclaves étant exclus à faire valoir leur droit à l'expression, la majorité, voire
l'unanimité des suffrages en faveur de l'esclavage ne peut rien y changer: l'esclavage est un crime
contre l'humanité. Condorcet refuse toute forme atténuée de critique de l'esclavage, une telle
critique ne serait, au fond, qu'une complaisance ou une complicité à l'égard de sa pratique. Une loi
autorisant la pratique de l'esclavage, protégeant la violation du droit naturel, est injuste. La force
publique au service d'une telle loi commet elle-même un crime.
Dans la suite de l'ouvrage, Condorcet réfute les motifs de « prospérité du commerce », « de
richesse nationale », qui, même d'un point de vue strictement économique, ne peuvent faire
prévaloir que par courte vue et faussement la nécessité de l'esclavage puisqu'une conception
économique élargie au moyen terme démontre une productivité accrue d'un système non
esclavagiste. Mais, de toute façon, aucun intérêt économique ne peut être mis en balance avec les
exigences de justice liées au principe du droit naturel. Condorcet reconnaît que les exigences des
droits de l'homme sont violées non seulement du fait de l'avidité des colons mais par les Etats et,
selon sa formule superbe, par « la doctrine ordinaire des politiques » alors même que « l'intérêt de
puissance et de richesse d'une nation doit disparaître devant le droit d'un seul homme » (chap. V p.
19). Il nous instruit ainsi des tensions toujours actuelles entre la défense des droits de l'homme et les
intérêts économiques d'un Etat.
« Ce n'est donc pas l'intérêt d'augmentation de culture qui fait prendre la défense de
l'esclavage des Nègres ; c'est l'intérêt d'augmentation de revenu des colons. Ce n'est pas
l'intérêt patriotique plus ou moins fondé ; c'est tout simplement l'avarice et la barbarie des
propriétaires. La destruction de l'esclavage ne ruinerait ni les colonies, ni le commerce ; elle
rendrait les colonies plus florissantes ; elle augmenterait le commerce. Elle ne ferait d'autre
mal que d'empêcher quelques hommes barbares de s'engraisser des sueurs et du sang de leurs
frères. En un mot la masse entière des hommes y gagnerait, tandis que quelques particuliers
n'y perdraient que l'avantage de pouvoir commettre impunément un crime utile à leurs
intérêts.
On a prétendu disculper la traite des Nègres, en supposant que l'importation des Nègres est
nécessaire pour la culture : c'est encore une erreur.
Les femmes nègres sont très fécondes ; les habitations bien gouvernées s'entretiennent,
même sous la servitude, sans importation nouvelle. C'est l'incontinence, l'avarice et la cruauté
des Européens qui dépeuplent les habitations ; et lorsqu'on prostitue les Négresses pour leur
voler ensuite ce qu'elles ont gagné ; lorsqu'on les oblige, à force de traitements barbares, de se
livrer, soit à leur maître, soit à ses valets ; lorsqu'on fait déchirer devant elles les Noirs qu'on
les soupçonne de préférer à leurs tyrans ; lorsque l'avarice surcharge les Nègres de travail et
de coups, ou leur refuse le nécessaire ; lorsqu'ils voient leurs camarades, tantôt mis à la
question, tantôt brûlés dans les fours pour cacher les traces de ces assassinats : alors ils
désertent, ils s'empoisonnent, les femmes se font avorter, et l'habitation ne peut se soutenir
qu'en tirant d'Afrique de nouvelles victimes. Il est si peu vrai que la population des Nègres ne
puisse se recruter par elle-même, qu'on voit la race des Nègres marrons se soutenir dans les
forêts, au milieu des rochers, quoique leurs maîtres s'amusent à les chasser comme des bêtes
fauves, et qu'on se vante d'avoir assassiné un Nègre marron, comme en Europe on tire vanité
d'avoir tué par derrière un daim ou un chevreuil » (chap. VI, p. 24 à 27).
133
Le moins que l'on puisse soutenir, c'est que la critique de Condorcet ne relève ni de la prudence,
ni des accommodements, elle dévoile des raisons et des violences habituellement masquées par les
partisans de l'esclavage : « l'avarice et la barbarie des propriétaires ». L'esclavage corrompt toute
société, en portant atteinte à l'usage de la liberté à la fois des maîtres et des esclaves. Il n'y a là qu'un
paradoxe apparent : les maîtres sont prisonniers non seulement de leurs préjugés mais de leur
avidité et leur soif de domination sans bornes sur leurs esclaves ; quant à ces derniers, subissant
l'oppression, ils sont victimes d'un manque d'éducation, l'effet le plus pernicieux de l'esclavage car
seule l'éducation permet de faire usage de la liberté sans préjudice pour autrui et pour soi.
« L'abrutissement contracté dans l'esclavage » (chap. V p. 17), ce méfait terrible mais remédiable
commande le devoir d'abolir l'esclavage, devoir indissociablement moral et politique supposant
l'égalité de droits pour tout homme, notamment un droit à l'instruction. Un autre effet corrupteur
consisterait dans l'imitation « des vices et de l'exemple de leurs maîtres » (ibid). Ou encore « avilis
par les outrages de leurs maîtres, abattus par leur dureté, ils sont encore corrompus par leur
exemple » (chap. VIII p. 33). Tous ces extraits confirment en tout cas un engagement militant qui
relativise et infirme en ce qui concerne Condorcet la thèse de l'indifférence ou des compromissions
des philosophes des Lumières envers l'esclavage.
Une société véritable où prévaut le souci de se donner des lois légitimes, est totalement
inconciliable avec l'esclavage, tout comme l'intérêt général. « En un mot la masse entière y ( à la
destruction de l'esclavage) gagnerait, tandis que quelques particuliers n'y perdraient que l'avantage
de commettre impunément un crime utile à leurs intérêts ».
Quant à la nécessité de poursuivre une traite incessante, Condorcet démontre qu'il ne s'agit que
d'une conséquence des iniquités de la condition servile, il convient d'en analyser les causes : la
misère et le désespoir liés aux traitements subis par les esclaves.
L'indignation de Condorcet face à la négation de l'humanité des Noirs confrontés sans recours
possible à la torture ou l'assassinat, est d'autant plus convaincante qu'elle s'appuie sur une
investigation informée des pratiques dans les colonies selon les Etats, des Amériques, des Antilles
aux Philippines en passant par Madagascar (cf. note1, chap. IX, pp. 36-37 ). La poursuite de la
traite, cet « horrible trafic », qui perpétue et entretient en quelque sorte la violence et les abus sur
les esclaves, rabaissés au statut de bêtes, renouvelables par l'importation de nouveaux esclaves.
Cette argumentation permet aussi de comprendre pourquoi Condorcet et la Société des Amis des
Noirs préconisaient l'interdiction immédiate de la traite ce qui entraînerait de facto des conditions
de vie un peu moins exposées à la brutalité des maîtres.
Bref, aucune justification de l'esclavage et de la traite ne peut contrebalancer « les raisons de
justice qui obligent le législateur, sous peine de crime, à détruire un usage injuste et barbare ».
Dans la suite de ses Réflexions, Condorcet s'en prend aux préjugés que les partisans des abus ont
su répandre pour perpétuer une situation intolérable, il esquisse avec lucidité les résistances, les
détournements de l'esprit des lois que tout changement de l'ordre colonial ou de simples
amendements ne manqueront pas de susciter, les colons s'en servant pour rendre encore plus dur le
sort des esclaves, ou encore le risque de manipulations à propos des rébellions d'esclaves (celles-ci
seront, en effet, l'objet de toutes sortes de falsification). Lui-même fut poursuivi par une vindicte
hargneuse par les partisans de l'ordre colonial : « la passion est devenue si vive, la haine si intense,
chez certains planteurs, qu'Arthur Dillon (élu aux Etats généraux par la noblesse martiniquaise)
134
s'écrie lors d'une discussion à propos de l'esclavage : Il [ Condorcet] ne périra que de ma main ! »
(E. et R. Badinter, op.cit., p.337).
La Société des Amis des Noirs dont Condorcet fut un membre très actif, redoutait que l'abolition
immédiate, pourtant seule « conforme à la justice », ne trouble la « sûreté publique » notamment du
fait « de la fureur de leurs maîtres, offensés à la fois dans deux passions bien fortes, l'avidité et
l'orgueil ; car l'homme accoutumé à se voir entouré d'esclaves, ne se console point de n'avoir que
des inférieurs » (chap. V, p. 19) et qu' une abolition précipitée n'aboutisse en définitive qu'à différer
son application effective en renforçant les partisans de l'ordre colonial. Nous avons déjà mentionné
le fait que l'abolition votée en 1790 suite aux événements de Saint Domingue, sera remise en cause
par le décret de 1802 rétablissant l'esclavage, la traite et le Code noir. Un décret en 1815 abolira à
nouveau la traite mais il faudra attendre la loi de 1818 complétée par celle de 1831 en raison de la
mauvaise, voire de la non-exécution de la première pour rendre effective la fin de la traite. Le sens
politique de Condorcet n'avait pas sous-estimé les résistances.
« Les hommes qui osent assurer que l'esclavage des Nègres est nécessaire, ne manquent
guère d'ajouter à leurs ouvrages un petit projet de lois pour adoucir le sort des malheureux
qu'ils outragent: mais eux-mêmes ne croient pas à l'efficacité de ces lois, et ils ajoutent
l'hypocrisie à la barbarie. Ils savent bien que tout appareil ne sauvera pas aux Nègres un seul
coup de fouet, n'augmentera point d'une once leur misérable nourriture. Mais, colons euxmêmes, ou vendus aux colons, ils veulent du moins endormir les gouvernements, arrêter le
zèle de ceux des gens en place dont l'âme ne s'est pas dégradée au point de regarder comme
honnête tout ce qu'il est d'usage de laisser impuni. Ils semblent craindre, tant ils font honneur
à leur siècle, que les gouvernements n'aient pas assez d'indifférence pour la justice, et que la
raison et l'humanité n'aient trop d'empire » (chap. X, p. 47).
Renouant avec l'ironie d'un Montesquieu ou d'un Voltaire, Condorcet montre qu'il n'est pas dupe
d'une propagande coloniale, du hiatus entre la compassion affichée et la détermination à perpétuer
le statu quo, relevant les tensions sous-jacentes et inévitables entre colons et gouvernements qui
chercheraient vraiment à abolir l'ordre colonial. Du fait des intérêts économiques en jeu y compris
en métropole, le courant esclavagiste a su constitué ce que l'on appelle aujourd'hui un lobby
formant de puissants réseaux en particulier dans les chambres de commerce des grands ports de la
traite. Sur place les colons exercent un pouvoir corrupteur à l'égard des « magistrats », des cadres
d'entreprise et de leurs employés, « tous des hommes qui vont chercher dans les îles une fortune à
laquelle ils ne peuvent prétendre en Europe » ; quant aux « officiers français » ils se laissent séduire
par l'hypocrisie des colons, et par une sorte d'habitus en commun avec les colons, « ils ont, ou cédé
au préjugé qui fait croire l'esclavage nécessaire, ou manqué de courage qu'il faut pour s'occuper des
moyens de détruire la servitude des Nègres » (ibid. p. 49). Enfin, Condorcet souligne indirectement
l'hommage que les esclavagistes dans leurs efforts à contrecarrer tout progrès de la justice rendent
au siècle des Lumières épris la raison et l'humanité.
« Après tout, dit-on, les Nègres ne sont pas si maltraités que l'ont prétendu nos
déclamateurs philosophes; la perte de la liberté n'est rien pour eux. Au fond, ils sont même
plus heureux que les paysans libres de l'Europe. Enfin, leurs maîtres étant intéressés à les
conserver, ils doivent les ménager du moins comme nous ménageons les bêtes de somme.
135
De ces quatre assertions, aucune n'est vraie. Les Nègres sont beaucoup plus maltraités
qu'on ne le croit en Europe: j'en juge, non par les livres qu'impriment leurs maîtres, mais par
les aveux qui leur échappent ; j'en juge par le témoignage d'hommes respectables, que ce
spectacle a rempli d'horreur. Je ne prends pas l'indignation qu'ils montrent pour de la
déclamation, parce que je ne crois pas qu'un homme doive parler froidement d'excès qui
révoltent la nature [...]. Je crois enfin ceux qui ont décrit les horreurs de l'esclavage des
Nègres, parce qu'ils sont exempts d'intérêt, parce qu'on n'en peut avoir aucun (d'ignoble du
moins) à combattre pour les malheureux Noirs. Je rejette au contraire le témoignage de ceux
qui défendent la cause de l'esclavage, qui proposent de l'adoucir par des lois, lorsque je vois
qu'ils ont ou qu'ils espèrent des emplois par le crédit des colons, qu'ils ont eux-mêmes des
esclaves, qu'enfin, ils ont été dans les îles ou les protecteurs, ou les complices de la tyrannie; et
je doute qu'on ne puisse citer en faveur de l'esclavage, le témoignage d'aucun homme tiré
d'une autre classe. Malheur à une cause contre laquelle se sont réunis tous ceux qui n'ont
point un intérêt personnel à soutenir !
La perte de la liberté est beaucoup pour les Nègres ; il n'y a point d'hommes pour qui elle
ne soit un grand malheur [...].
On a osé dire que les Nègres sont mieux […] que les paysans de France ou d'Espagne […]
mais jamais on a pu regarder (cette allégation) comme une assertion réfléchie. Dans les pays
dont on parle, il y a sans cesse, à la vérité, une petite partie du peuple qui se détruit par la
misère; mais il est fort douteux qu'un mendiant soit plus malheureux qu'un Nègre ; et si on
excepte les temps des calamités ou les malheurs particuliers, la vie du journalier le plu pauvre
est moins dure, moins malheureuse que celle des Noirs esclaves [...].
On a dit encore : le colon, intéressé à conserver ses Nègres, les traitera bien, comme les
Européens traitent bien leurs chevaux [...].
Tel est l'exemple qu'on propose sérieusement, pour montrer qu'un esclave sera bien traité,
d'après ce principe, que l'intérêt de son maître est de le conserver ! comme si l'intérêt du
maître pour l'esclave, ainsi que pour le cheval, n'était pas d'en tirer […], pendant qu'ils
dureront, un plus grand profit ! D'ailleurs, un homme n'est pas un cheval, et un homme mis
au régime de captivité du cheval le plus humainement traité, serait encore très malheureux.
Les animaux ne sentent que les coups ou la gêne ; les hommes sentent l'injustice et l'outrage.
Les animaux n'ont que des besoins, mais l'homme est misérable par les privations. Le cheval
ne souffre que de la douleur qu'il ressent ; l'homme est révolté de l'injustice de celui qui le
frappe. Les animaux ne sont malheureux que pour le moment présent; le malheur de l'homme
dans un instant embrasse toute sa vie. En fin, un maître a plus d'humeur contre ses esclaves
que contre ses chevaux, et il a plus de choses à démêler avec eux. Il s'irrite de la fermeté de
leur maintien, qu'il appelle insolence ; des raisons qu'ils opposent à ses caprices, du courage
même avec lequel ils essuient ses coups et ses tortures » (chap. XII, p. 58 et suivantes).
Condorcet qualifie les partisans de l'esclavage d'adversaires des Lumières, ils veulent discréditer
les propos des philosophes dont ils soupçonnent le danger qu'ils représentent à discerner leurs
contre- vérités et leurs préjugés. Condorcet, en effet, dissèque une à une les assertions en faveur de
l'esclavage selon lesquelles le sort des nègres esclaves ne serait pas en réalité si blâmable ; bref,
notre philosophe contrecarre tout l'argumentaire de propagande pour maintenir l'esclavage. Toutes
les affirmations qui tendent à masquer la misère et le malheur des esclaves sont fausses. Condorcet
136
décèle le principe sous-jacent à toutes ces affirmations : une discrimination essentielle entre les
hommes, une hiérarchie tranchée entre les ayant droits et les sans droits et enfin le mépris. Celui-ci
se manifeste le plus vigoureusement en déniant aux esclaves le désir et l'usage de la liberté : « la
perte de la liberté n'est rien pour eux ». Or dès lors que la liberté est la « qualité d'homme » comme
l'écrit Rousseau, cela revient à ne pas considérer les esclaves en tant qu' hommes avec les droits et
les devoirs de l'humanité qui s'y attachent. A cette terrifiante humiliation et avilissement,
Condorcet, dans cet ouvrage datant de 1781, réplique par une déclaration solennelle et universelle :
« il n'y a point d'hommes pour qui elle (la perte de la liberté) ne soit un grand malheur ».
Condorcet ne peut accepter l'indifférence ou ce sentiment d'humanité restreint à plaindre
seulement les maux que l'on a sous les yeux. Quant à ceux qui accusent les philosophes de «
déclamations », leur objectif est de détourner l'opinion de juger l'indignation fondée qui s'y exprime
et qui traduit la compassion d'un homme à l'égard de la souffrance d'un autre homme. L'inhumanité
de l'esclavage, c'est précisément de ne pas tenir les esclaves comme appartenant à l' humanité. Enfin
Condorcet, philosophe engagé à la charnière du débat intellectuel et de l'action politique, s'en prend
à la posture d'un froid cynisme, au sens moderne du mot, qui cultive l'impassibilité devant l'«
horreur » et la laisse s'exercer, et lui oppose un cœur intelligent et une raison sensible.
Les arguments des partisans de l'esclavage sont analysés dans une perspective de ce que
l'acception marxiste appellera idéologie, c'est-à-dire des arguments à situer dans les conditions
historiques sous la loupe des jeux d'intérêts et d'alliances. Ainsi Condorcet s'en prend à la véracité
des discours de ceux qui défendent la cause de l'esclavage car leur « intérêt » les pousse à être
«complices de la tyrannie».
L'on jugerait mal les propos de Condorcet si l'on les réduisait à une harangue militante : l'enjeu
véritable est moral et politique, cosmopolite même, il éclaire le sens de sa réflexion et de son
combat : il y a ceux qui défendent des intérêts particuliers et ceux qui s'engagent « exempts d'intérêt
».
Le combat contre l'esclavage s'est joué non seulement sur l'idée soutenue par plusieurs
économistes de l'époque comme Adam Smith dans son ouvrage sur la Richesse des nations (1776),
que l'esclavage est moins efficace que le travail libre, mais d'abord et surtout sur l'idée de sujet
humain comme autonomie et sur l'idée que l'esclavage est moralement dégradant( pour l'esclave et
pour le maître). Dans le mouvement d'idées qui a su mobiliser l'opinion publique en faveur de
l'antiesclavagisme, l'idée prévalente est que tous les humains partagent les mêmes caractéristiques
ce qui les oblige réciproquement à une solidarité éthique et cosmopolite. Même les personnes qui ne
possèdent pas des esclaves sont responsables du sort fait aux esclaves : le prix du café, du sucre, des
cotonnades ne peut être mis en balance avec le déshonneur qui ferait ignorer les larmes et le sang
des hommes esclaves. Il n'est pas anodin de relever que la discussion sur l'esclavage fait intervenir
pour la première fois dans l'histoire la notion de consommation. La lutte contre l'esclavage apparaît
comme un paradigme de la primauté des convictions morales sur toutes les autres considérations
d'intérêts économiques.
La critique philosophique de l'esclavage témoigne en tout cas de la puissance d'un mouvement
d'idées fournissant un cadre de référence pour la remise en cause de l'esclavage, autant par des
esclaves que par des citoyens libres et produisant des effets politiques et juridiques.
137
Mots clés
Esclavage / citoyenneté / droit positif / droit naturel / droits de l'homme / cosmopolitisme /
dignité / justice / liberté / Lumières / raison .
Pistes de travail
Qu'est-ce qu'être esclave?
Racisme et esclavagisme.
Qu'est-ce qu'être citoyen?
Faut-il opposer la force et le droit?
Les droits de l'homme: un problème moral ou un problème juridique?
Qu'est-ce un pouvoir politique légitime?
L'avis de la majorité suffit-il à légitimer une décision d'ordre politique?
Classes et matières concernées: histoire troisième et seconde, éducation civique, juridique et
sociale de la seconde à la terminale, philosophie terminale toutes séries.
Pour aller plus loin...
Maîtres et valets.
L’ordre que l’on croyait immuable s’est retourné contre les privilégiés… Le maître a trouvé son
maître en la personne de son valet !
La comédie retrace ce lent retournement de situation. Sous Molière, Scapin a déjà conquis le
premier rôle. Avec le XVIII ° siècle, Marivaux et Beaumarchais montrent des valets qui s’opposent
à leurs maîtres et leur donnent la leçon. Au contact direct de la réalité, les valets ont développé ce
qui relève dans la comédie de la débrouillardise une sagacité ostentatoire et déplacée aux yeux de
leurs maîtres. Ils ont su tirer de la société un enseignement qui les place à présent en situation de
supériorité par rapport aux maîtres qui se déshonoreraient à se confronter à la réalité sociale.
L’essentiel de la relation dialectique unissant le maître à son esclave, le maître à son valet est
donc déjà sensible dans la littérature des Lumières, avant même que le philosophe Hegel ne lui
donne sa vigoureuse formulation dans la Phénoménologie de l’Esprit.
Rappelons brièvement quelques traits de cette dialectique. Le maître ne domine que par ses
ordres mais il reste à l'écart de l'œuvre humaine. Il s'avilit dans la jouissance des fruits du travail
fourni par l'esclave. Celui-ci transforme la nature par le travail et par là se transforme lui-même : en
formant les choses, il se forme lui-même, développe son ingéniosité et des capacités humaines, il
s'élève ainsi au-dessus du maître.
C'est donc du côté de l'esclave qui travaille que l'on trouve le véritable moteur de l'histoire
émancipatrice de l'homme.
De plus, la reconnaissance du maître dépend en définitive de l'esclave; la reconnaissance
véritable ne peut être unilatérale et inégale, la reconnaissance de l'autre dans son humanité implique
réciprocité à la fois des libertés et des droits. Quand cette reconnaissance sera-t-elle non seulement
formelle mais effective ?
138
Hannah Arendt ou une réflexion critique sur l'impuissance des droits de l'homme contre
tous les abus de pouvoir.
Dans la deuxième partie sur Les origines du totalitarisme intitulée « L'Impérialisme » avec pour
exergue cette citation de Cecil Rhodes : « Si je le pouvais, j'annexerais les planètes », Arendt
entreprend l'analyse du Léviathan de Hobbes, son identification de l'intérêt privé à l'intérêt public,
sa logique démystificatrice de l'État de droit ; elle le cite : « La Raison... n'est rien d'autre que des
Comptes » (éd. du Seuil, coll. Points, 1997, p.36). Elle établit plus ou moins explicitement que
l'expansion coloniale ayant entraîné une déshumanisation des liens sociaux au profit d'une violence
désinhibée des rapports humains, par son échelle rendra possible la tuerie de la Première Guerre
mondiale, laquelle, à son tour, rend possibles la barbarie nazie qui désigne les Juifs pour être
exterminés et certaines minorités comme des races serviles, ainsi que le totalitarisme stalinien.
Sans doute convient-il de nuancer une telle analyse en rappelant qu'après les guerres mondiales, les
survivants des troupes coloniales venues sur les champs de bataille européens et orientaux
retournèrent chez eux plus sensibilisés au respect des droits de l'homme et à l'auto-détermination
des peuples à disposer d'eux-mêmes.
Arendt nous rend toutefois vigilants à repérer de nouvelles formes de réification: ainsi une
incapacité certaine des Etats nations à traiter les apatrides en personnes légales puisque privés du
statut juridique de citoyens, ce qui donne évidement à réfléchir sur le statut de ce que nous appelons
aujourd'hui des sans-papiers, leur situation remet en question le principe même de l'égalité juridique
de nos États- nations. Que sont les droits de l'homme dissociés des droits du citoyen ?
L'analyse d'Arendt sur les origines du totalitarisme est aussi éclairante sur ce qui a pu faire la
force du système colonial et ses fonctionnaires de la violence. L'adhésion massive au seul point de
vue justifiant le système a partiellement annihilé la capacité de distinguer entre le bien et le mal,
notre auteur dénonce un tel phénomène qualifié de « banalité du mal ».
Pistes de travail
Comment juger un crime contre l'humanité ?
L'apatride : à quels droits peut-il prétendre ?
Bibliographie
Hannah Arendt, Eichman à Jérusalem. Rapport sur la banalité du mal, Folio-Histoire,
Gallimard, 1997.
Du commerce équitable.
Montesquieu avait demandé à ses lecteurs de réfléchir sur le processus de production du sucre et
si le désir d'un bas prix pouvait justifier le déshonneur d'un travail forcé, il encourageait chacun à
expérimenter en imagination le renversement des rôles entre maître et esclave.
De nos jours, un courant d’opinion, soucieux d’équité dans les échanges, demande à des gens
ordinaires d’imaginer le renversement des rôles entre producteur contraint et consommateur libre.
Ce que l’on tourne au fond de sa tasse de café ou de thé, c’est du temps de vie aliéné, du travail
exploité.
139
La consommation est bel et bien morale et politique. Contre le fétichisme de la marchandise,
métaphore utilisée par Marx (Le Capital livre V, chap.1, section 4) pour décrire et démystifier la
valeur en soi d’une marchandise coupée du rapport social aux hommes, il convient à tout
consommateur de penser au processus de production y compris dans sa dimension écologique et
préférer payer un prix qui permet de ne plus autant léser la force de travail des producteurs.
Des servitudes contemporaines
La démarche vise à dissiper confusions et amalgames, à éviter un usage trop large du terme
esclavage à propos d'autres formes de domination et d'exploitation, si scandaleuses soient-elles.
Les différentes formes contemporaines de la servitude ne peuvent pas s'appuyer sur une
légitimité ou une légalité déniant l'humanité de ceux qui sont asservis, il n'existe plus aujourd'hui un
système massif, complet, institutionnel justifiant l'esclavage.
Il convient de ne pas identifier esclavage et servitude. L'esclavage peut être défini comme l'état
ou la condition d'un individu sur lequel s'exercent les attributs du droit de propriété, l'esclave
équivaut en ce sens à une marchandise, alors que la servitude ne suppose pas la propriété de
l'individu. Ainsi le travail forcé n'implique pas la propriété de l'individu par son employeur. Mais du
fait de l'exercice de la contrainte, de la violence ou de sa menace, le travail forcé doit être aboli
« dans le plus bref délai possible », selon la Convention de 1930 de l'Organisation internationale du
travail.
Il y a un écart entre le droit et les faits. Par exemple en Inde, le droit proscrit le travail des
enfants de moins de dix ans. On peut s'interroger sur la légitimité de l'âge légal ainsi prescrit. Les
faits eux n'en ont cure puisque le travail des enfants de moins de dix ans se compte par dizaines de
millions avec une incertitude effrayante.
Une des raisons des formes de servitudes contemporaines, outre les intérêts économiques, est à
rechercher dans la part d'ombre et d'illégalité qui s'accroit au cœur de nos institutions ce qui pose le
problème de leur complaisance active ou passive et parfois même celle de leurs victimes.
Nelly Schmidt dans son ouvrage L'abolition de l'esclavage (éd. Fayard 2005), rapporte cette
indication fournie par les organismes internationaux : « Le Bureau international du travail et le Haut
Commissariat aux droits de l’homme de l’Organisation des Nations Unies estiment aujourd'hui, au
début du XXI° siècle, le nombre d'adultes vivant en situation d'esclavage dit traditionnel à 27
millions de personnes. Les mêmes instances évaluent le nombre d'enfants et de jeunes gens (de 5 à
17 ans) travaillant dans des conditions assimilables à l'esclavage entre 250 et 300 millions ». Cette
information diffusée reste le plus souvent sans suite. Nelly Schmidt souligne que « l'indifférence
globale d'une opinion publique pourtant informée ne fait que conforter cet état de fait » (ibid. p.
318).
Force est de reconnaître que les recommandations des organismes internationaux sont sans effet
dès lors que les gouvernements nationaux eux-mêmes ne prennent aucune mesure. Cela pose le
problème de l' application du droit, le recours nécessaire à la force au service du droit pour ne pas
laisser s'étendre les zones de non-droit.
Que faire toutefois face à des États nationaux qui abritent, dissimulent ou engendrent la servitude
? Il y a un paradoxe : le droit international reposait sur la non-ingérence au nom du principe de la
souveraineté des États, alors que les défenseurs de la sauvegarde des droits de l'homme et des
140
libertés fondamentales réclament un droit d'ingérence dès lors qu'il y a violation massive et
incontestable de ces droits et de ces libertés.
Le refus de ce droit d'ingérence invoque la difficulté à fonder la légitimité d'un dispositif global:
qui décide de s'ingérer chez qui, au nom de quoi ? existe-t-il, au-dessus des États, une communauté
internationale ? quelle en serait sa substance : juridique, politique, normative ?
Ceux qui défendent le droit d'ingérence le distinguent des autres ingérences prises dans un
rapport de forces où le puissant vient imposer sa volonté au faible ; le droit d'ingérence ne peut être
légitime que parce qu'il porte secours aux victimes, l'objectif n'est pas seulement humanitaire mais
politique, un pouvoir ne pourra plus se réfugier derrière le principe de souveraineté lorsqu'il s'est
discrédité par sa violation massive des droits de l'homme, il ne doit plus pouvoir massacrer
impunément à l'abri de ses frontières. En ce sens, cette ingérence prétend venir en assistance aux
peuples contre les abus de pouvoir de leurs dirigeants.
La mise en place, dans les esprits et dans les instituions au niveau international du principe du
droit d'ingérence constitue sans doute l'une des grandes aventures de ce siècle sur le plan juridique
et politique. L'idée semble s'imposer que la souveraineté des États n'est plus opposable au libre
accès aux victimes ou aux populations en détresse. Le droit d'ingérence ne fait fi de la souveraineté
des États que dans des situations extrêmes où l'une au moins des parties du conflit est déjà sortie du
droit.
Pistes de travail
-
Pouvez-vous donner des exemples de situation concernant les enfants en violation de leurs
droits ? concernant les adultes ?
Quels sont les problèmes que soulève le droit d'ingérence ?
Pour que les recommandations ne demeurent pas des déclarations de principe sans effet,
quels sont, selon vous, les meilleurs moyens pour lutter contre les servitudes
contemporaines ?
Bibliographie
. Michèle Métoudi et Jean-Paul Thomas, Abolir l'esclavage, Gallimard Education 1998.
. M. Bettati, Le droit d'ingérence, mutation de l'ordre international, Odile Jacob ,1996.
. Ph. Moreau Deforges, Un monde d'ingérences, Presses de Sciences Po, 2000.
141
Du commerce équitable.
Montesquieu avait demandé à ses lecteurs de réfléchir sur le processus de production du sucre et
si le désir d'un bas prix pouvait justifier le déshonneur d'un travail forcé, il leur demandait aussi
d’imaginer le renversement des rôles entre esclave et maître.
De nos jours, un courant d’opinion, soucieux d’équité dans les échanges, demande à des gens
ordinaires d’imaginer le renversement des rôles entre producteur contraint et consommateur libre.
Ce que l’on tourne au fond de sa tasse de café ou de thé, c’est du temps de vie aliéné, du travail
exploité.
La consommation est bel et bien morale et politique. Contre le fétichisme de la marchandise,
métaphore utilisée par Marx (Le Capital livre V, chap.1, section 4) pour décrire et démystifier la
valeur en soi d’une marchandise coupée du rapport social aux hommes, il convient à tout
consommateur de penser au processus de production y compris dans sa dimension écologique et
préférer payer un prix qui permet de ne plus autant léser la force de travail des producteurs.
La réflexion sur le commerce équitable même si l'expression est plus contemporaine, s'inscrit en
fait dans une histoire longue dont Montesquieu n'est lui-même qu'un héritier avec le mérite
toutefois d'oser l'appliquer concrètement à la réalité coloniale.
2- ENSEMBLE DOCUMENTAIRE SUR
142
LES FORMES DE RESISTANCE A L’ESCLAVAGE
EXEMPLES EN GUYANE FRANÇAISE ET HOLLANDAISE
(XVIIe SIECLE Ŕ XVIIIe SIECLES)
Présentations générale
La résistance à la servitude est inhérente à l’existence même de l’esclavage et s’observe dès
l’arrivée des premiers esclaves dans les colonies. Elle se décline sous diverses formes.
- Se laisser mourir (dès le départ d’Afrique, sur les navires négriers, dans les habitations…) est le
moyen le plus radical de se soustraire à la domination du blanc.
- Faire preuve de mauvaise volonté dans l'exécution des ordres au quotidien (brocardage des
colons, lenteur au travail, etc.) est une autre façon de contrer l'esclavage.
- Limiter autant que faire se peut sa descendance, c'est soustraire des esclaves potentiels à la
domination du maître.
- Se révolter et fuir est un choix que font certains captifs dès le départ des côtes africaines, ainsi
qu’en témoignent les journaux de bord des capitaines de navires négriers 59. Pour d’autres, ce sera
plus tard, lorsque, vendus à un colon, ils deviennent esclaves d’une plantation. La fuite prend alors
deux formes : on parle de « grand marronnage » et de « petit marronnage ».
Dans le premier cas, les esclaves fugitifs s'enfoncent dans les bois. Réfugiés dans des lieux
difficiles d'accès, les fugitifs peuvent se regrouper survivant grâce aux cultures vivrières de leurs
abattis ; grâce aussi au troc ou encore par le pillage des plantations. Dans le second cas, le « petit
marronnage » n'est qu'un absentéisme de quelques jours, une fugue temporaire.
Revenus d'eux-mêmes60 ou bien repris, les nègres « marrons » sont soumis à la justice du roi ou
à celle du maître. La nature de la punition dépend de la durée du marronnage, d'une récidive
éventuelle, de la gravité des exactions commises, des conditions de la réintégration, ou du bon
vouloir des juges ou des maîtres.61
Documents
59
La base de données concerne près de 35 000 expéditions négrières menées entre 1514 et 1866 (The Trans-Atlantic
Slave Trade Database comprises nearly 35,000 individual slaving expeditions between 1514 and 1866. Records of the
voyages have been found in archives and libraries throughout the Atlantic world. They provide information about
vessels, enslaved peoples, slave traders and owners, and trading routes. A variable (Source) cites the records for each
voyage in the database. Other variables enable users to search for information about a particular voyage or group of
voyages. The website provides full interactive capability to analyze the data and report results in the form of statistical
tables, graphs, maps, or on a timeline)
Adresse : http://www.slavevoyages.org/tast/database/index.facesap or on a timeline.
60
Lors des fêtes de Noël, il est fréquent que les administrateurs rendent une ordonnance « portant amnistie pour les
esclaves qui rentreraient chez leurs maîtres en janvier » (Albon en 1721), afin de maintenir le petit marronnage dans
des limites contrôlables.
61
Marie Polderman, La Guyane française 1676-1763 : mise en place et évolution de la société coloniale, tensions et
métissages, université de Toulouse (2002). Cayenne, Ibis Rouge éditions, 2004, p. 412 et suiv.
143
1. Le grand marronnage62 en Guyane hollandaise et la naissance de nations libres
Marron vient d’un mot espagnol cimarron qui qualifiait à l’origine des animaux domestiques
redevenus sauvages. Fuyant les plantations, les esclaves fugitifs se regroupaient en communautés
dont certaines comptaient plusieurs milliers de personnes. « Le grand marronnage aboutissait à la
création de communautés durables, installées dans la forêt profonde ».
En Guyane hollandaise, les premiers marrons fuient les plantations situées à proximité du littoral
dès le XVIIe siècle. De nombreuses expéditions militaires, composées de civils, de soldats,
d’Amérindiens et d’esclaves sont organisées contre les fuyards. Leur coût est élevé « plus de
100 000 florins » en moyenne. Les difficultés rencontrées en limitent l’efficacité : une expédition
doit traverser « quarante montagnes et soixante criques », et les esclaves qui la composent se
retrouvent bien souvent tentés par le marronnage. En 1730, une des expéditions composée de 50
habitants et 200 esclaves revient avec 16 adultes et 10 enfants et annonce avoir tué 16 fugitifs. Dans
le dernier tiers du XVIIIe siècle, les autorités coloniales en viennent à conclure des traités de paix
avec les rebelles (1760-1767). Ces traités « octroyaient la liberté aux Marrons, reconnaissaient leur
intégrité territoriale, prenaient en charge leurs besoins économiques »… Leurs descendants
forment encore des enclaves semi indépendantes dans plusieurs pays d’Amérique latine : au Brésil,
en Colombie, à la Jamaïque, à Cuba, au Surinam, en Guyane française, etc.
1674 Première révolte importante d’esclaves. Alliés aux Amérindiens, ils harcèlent les plantations
au point de pousser les colons à se réfugier au fort. Plusieurs expéditions sont menées à leur
encontre par les gouverneurs successifs ; en 1684 les Marrons de la Coppename signent un traité
avec les colons hollandais :
« 700 esclaves révoltés s’étaient réfugiés en forêt sur un affluent de la rivière Suriname, le Para,
dont ils furent chassés en 1681. Les rescapés s’installèrent alors sur la Coppename, où ils obtinrent
quelques années plus tard le statut de Noirs libres. Les descendants de ces Marrons se métissèrent
par la suite avec les Kalinas présents dans cette région, formant au moins une des branches du
groupe désigné aujourd’hui comme « mulato ».
Source : Gérard Collomb, Na’na Ka’lina : une histoire des Kali’na En Guyane, Matoury, Ibis Rouge
éditions, 2000.
1748-1749
Les Saramaka forment alors un groupe nombreux et organisé de Noirs Marrons
contre lequel le gouverneur hollandais lance une offensive d’envergure :
« Les Saramaka commémorent la bataille de Bakakuun comme le plus éclatant de leurs faits de
guerre. Les défenseurs […] attirèrent les Blancs au-dessus du grand fossé et, ensuite, au moment
où ils atteignaient le sommet, leur envoyèrent une pluie de grosses pierres ou de troncs d’arbre
pour les anéantir […]. La bataille de Bakakuun eut lieu en novembre 1749, lors de la grande
expédition du lieutenant-capitaine Carel Otto Creutz, une expédition différente des précédentes
dans la mesure où elle avait pour but explicite l’élaboration d’un traité. […] Les troupes, ayant mis
tous les villages et les abattis des environs à feu et à sang, atteignirent le « dernier village » le 5
novembre. Le lendemain, ayant estimé que « les fugitifs étaient maintenant dans les grands bois, où
ils avaient vraisemblablement caché leurs femmes et enfants » […] Creutz incendia le village – 84
grandes maisons et un immense jardin- et envoya un émissaire pour commencer les négociations de
« paix ». Au moment où l’expédition se remettait en route pour Paramaribo, après huit semaines
dans la forêt, les plus grands espoirs du gouverneur Mauricius avaient été réalisés : Creutz avait
62
Sur ce sujet, voir Richard Price et Sally Price, Les Marrons, La Roque d’Anthéron, Vents d’Ailleurs, 2004, 127 p.
144
découvert et détruit pas moins de neuf villages saramaka comprenant quelque 415 maisons. Il avait
négocié un cessez-le-feu provisoire avec Adoe et ils étaient d’accord pour signer un traité final, qui
devrait être scellé par l’envoi, au mois de septembre suivant, d’une longue liste de marchandises
pour les Saramaka. [… ] Creutz avait fait la paix les armes à la main ».
Source : Richard Price, Les premiers temps : la conception de l’histoire des Marrons saramaka, Paris,
Seuil, 1994, p. 209.
2. La fuite au quotidien : le petit marronnage en Guyane française
En 1753, Philippe Antoine Lemoyne63 et Gilbert d’Orvilliers64, administrateurs de la colonie,
adressent ce courrier au ministre de la marine et des colonies :
« Nous avons eu l’honneur de vous rendre compte des différentes expéditions qui ont été faites
contre les Nègres marrons. Monsieur d’Orvilliers a rendu compte en particulier à monseigneur des
différentes chasses qu’il a fait faire par divers détachements et particulièrement par celui que
commandait le sieur Blanchard.
Les chasses faites dans le temps des abatis65 ont empêché les Marrons de faire des plantages.
Les dernières depuis, dans lesquelles on a détruit la plus grande partie des vivres qui leur restait
dans des endroits découverts, ont mis le trouble parmi eux.
Deux d’entre eux qui sans doute avaient déjà un parti fait sont venus et ont tout hasardé pour
obtenir leur grâce. Nous avons profité de leurs dispositions qui nous parurent vraies et ils furent
renvoyés après les avoir confirmés dans l’intérêt où ils étaient de détruire les chefs avec l’aide du
chef Augustin qu’ils disaient être certains de mettre de leur parti et nous leur promîmes grâce pour
eux, pour cet Augustin et pour tous ceux qui contribueraient à les tuer ou à les prendre. Ils
partirent et, après avoir formé leur complot prêt à réussir, Augustin les trahit et leur fit manquer la
capture des chefs et des plus déterminés à rester fugitifs. Ils se sont battus plusieurs fois, ont détruit
les vivres du carbet d’Augustin et partie de celui d’André, et se sont retirés en se battant jusques
dehors le bois. Ils ont amené avec eux ceux de leur parti, leurs femmes et leurs enfants. Ils ont
enlevé le fusil d’Augustin, des arcs et des flèches, ses serpes et des chaudières en quantité ; un
d’eux a reçu un coup de fusil. Le nombre de ceux revenus tant hommes que femmes et enfants est de
39 personnes.
Les preuves qu’ils ont données de l’effort qu’ils avoient fait nous ont paru assez complètes pour
leur faire grâce. Nous comptons que cette grâce opérera et nous ne doutons point qu’elle ne
contribue à en déterminer d’autres à achever ce que ceux-ci avaient commencé. Ces nègres
serviront l’été prochain à guider : comme ils n’ont plus de grâce à espérer de leurs camarades, on
pourra les armer et les faire servir utilement pour achever de détruire les opiniâtres ».
Source : Correspondance officielle en provenance des colonies,
ANOM, Sous-série C 14, Registre 22, folii 107-108.
63
Philippe Antoine Lemoyne est ordonnateur en Guyane de 1748 à 1762.
Gilbert d’Orvilliers est gouverneur de la colonie de 1744 à 1763.
65
Un abattis est un espace mis en culture après brûlis, qui sera ensuite restitué à la forêt au profit d'autres zones à
déboiser.
64
145
3. Articles du Code Noir concernant le marronnage
Article 38 - L'esclave fugitif qui aura été en fuite pendant un mois, à compter du jour que son
maître l'aura dénoncé en justice, aura les oreilles coupées et sera marqué d'une fleur de lis une
épaule; s'il récidive un autre mois pareillement du jour de la dénonciation, il aura le jarret coupé,
et il sera marqué d'une fleur de lys sur l'autre épaule; et, la troisième fois, il sera puni de mort.
Article 39 - Les affranchis qui auront donné retraite dans leurs maisons aux esclaves fugitifs, seront
condamnés par corps envers les maîtres en l'amende de 300 livres de sucre par chacun jour de
rétention, et les autres personnes libres qui leur auront donné pareille retraite, en 10 livres tournois
d'amende par chacun jour de rétention.
Source : Code noir, 1685.
146
4. Marronnage au Surinam et en Guyane 1674-1772
Surinam66
Première révolte importante d’esclaves. Alliés aux Amérindiens, ils harcèlent
es plantations au point de pousser les colons à se réfugier au fort.
Nouvelle révolte d’esclaves.
Evasion collective d’esclaves de la plantation du sieur Machado.
Guyane
749. Bataille Saramaka de Bakakuun. Les Saramaka forment alors un groupe
ombreux et organisé contre lequel le gouverneur hollandais lance une
ffensive d’envergure.
Petit marronnage dont témoignent recensem
jugements prononcés contre des esclaves fu
A partir de cette date et jusqu’en 1748, les
Marrons se multiplient : les habitants se sen
menacés.
1748. Il existe un groupe organisé de Marro
lequel le gouverneur envoie des détacheme
soldats.
Traité de paix signé au Surinam entre les Hollandais et les Noirs marrons Djuka
Traité similaire signé entre les Hollandais et les Noirs marrons Saramaca
Nouvelle révolte d'esclaves au Surinam. Formation du groupe des Noirs
marrons Boni.
Le nombre de Marrons dans la colonie hollandaise est alors estimé à plusieurs
milliers (entre 5 et 10 000).
Le gouverneur de la Guyane française, Fied
favorable à l'installation des Bonis sur le M
Le nombre de Marrons dans la colonie fran
alors estimé à quelques centaines.
66
Un grand nombre de données concernant les Marrons du Surinam proviennent du travail de Richard Price, opus cité.
147
Pistes de travail
- Localisation géographique
Amérique du Sud (carte 2)
Planisphère (carte 1)
- Repérer la Guyane française et le Surinam sur le planisphère (carte 1).
- Indiquer le nom des océans, colorier les deux zones géographiques dont il est question dans les
documents (carte 2). Quelles sont les frontières actuelles de la Guyane française ? Quel est le nom
actuel de la Guyane hollandaise ? Quelles en sont les frontières ?
- Quelles sont les principales puissances européennes au XVIIIe siècle? Quels territoires coloniaux
contrôlent-ils (planisphère, tableau) ?
France
Guyane
Saint-Domingue
Guadeloupe
Martinique
Québec
Louisiane
Haïti
Angleterre
Hollande
Amérique du nord (est) Guyane
Canada
Curaçao
Guyane
Jamaïque
Espagne
Portugal
Amérique centrale Brésil
Cuba
Guyane
Saint-Domingue
Amérique du sud
- Transcrire la première page du courrier adressé par les administrateurs au ministre.
149
Analyser les documents
- Comment les Marrons survivent-ils en forêt ?
- Quels sont les moyens utilisés par les autorités coloniales pour mettre fin au marronnage ? - Quelles difficultés rencontrent-elles ?
- Quels châtiments prévoit le Code noir à l’encontre des esclaves en fuite dans les colonies
françaises ? Pour quelles raisons ceux-ci ne sont pas toujours appliqués ?
- Dans quels pays actuels vivent des descendants des communautés de Noirs Marrons ?
- Pourquoi, au XVIIIe siècle, le grand marronnage est-il important en Guyane hollandaise et réduit en
Guyane française ?
- Quelles sont les autres formes de résistance à l’esclavage ?
Mots-clés
Code noir/ marronnage/ première colonisation/ esclavage / Surinam/ Guyane française.
150
3 Ŕ LA DENONCIATION DES RECRUTEMENTS FORCES
EN INDOCHINE
PENDANT LA 1re GUERRE MONDIALE
Voici ce que nous dit un confrère : le prolétariat indigène de l'Indochine pressuré de tous temps sous
forme d'impôts, prestations, corvées de toute nature, d'achats, par ordres officiels, d'alcool et d'opium, subit
depuis 1915-16 le supplice du volontariat. Les événements de ces dernières années ont donné prétexte, sur
toute l'étendue du pays, à, de grandes rafles de matériel humain encaserné sous les dénominations les plus
diverses - tirailleurs, ouvriers spécialisés, ouvriers non spécialisés, etc.
De l'avis de toutes les compétences impartiales qui ont été appelées à utiliser en Europe le matériel
humain asiatique, ce matériel n'a pas donné de résultats en rapport avec les énormes dépenses que son
transport et son entretien ont occasionnées. Ensuite, la chasse au dit matériel humain, dénommée pour la
circonstance « Volontariat » (mot d'une affreuse ironie), a donné lieu aux plus scandaleux abus.
Voici comment ce recrutement volontaire s'est pratiqué. Le « satrape » qu'est chacun des résidents
indochinois avise ses mandarins que dans un délai fixé il faut que sa Province ait fourni tel chiffre d'hommes.
Les moyens importent peu. Aux mandarins de se débrouiller. Et pour le système D, ils s'y connaissent, les
gaillards, surtout pour monnayer les affaires. Ils commencent par ramasser des sujets valides, sans
ressources, lesquels sont sacrifiés, sans recours. Ensuite, ils mandent des fils de famille riche ; s'ils sont
récalcitrants. On trouve très facilement l'occasion de leur chercher quelque histoire, à eux ou à leur famille,
et, au besoin, de les emprisonner jusqu'à ce qu'ils aient résolu le dilemme suivant « Volontariat ou finance ».
On conçoit que des gens ramassés dans de pareilles conditions soient dépourvus de tout enthousiasme pour le
métier auquel on les destine. À peine encasernés, ils guettent la moindre occasion pour prendre la fuite.
D'autres, ne pouvant se préserver de ce qui constitue pour eux un fâcheux destin, s'inoculent les plus graves
maladies, dont la plus commune est la conjonctivite purulente, provenant du frottement des yeux avec divers
ingrédients, allant de la chaux vive jusqu'au pus blennorragique.
N'empêche que, ayant promis des grades mandarinaux aux volontaires indochinois qui survivraient et
des titres posthumes à ceux qui seraient morts « pour la patrie », le gouvernement général de l'Indochine
poursuivait ainsi sa proclamation :
« Vous vous êtes engagés en foule, vous avez quitté sans hésitation votre terre natale à laquelle vous
êtes pourtant si attachés, vous, tirailleurs, pour donner votre sang, vous, ouvriers, pour offrir vos bras. »
Si les Annamites étaient tellement enchantés d'être soldats, pourquoi les uns étaient-ils emmenés au
chef-lieu enchaînés, tandis que d'autres étaient, en attendant l'embarquement, enfermés dans un collège de
Saigon, sous l'œil des sentinelles françaises, baïonnette au canon, fusil chargé ? Les manifestations
sanglantes du Cambodge, les émeutes de Saigon, de Bien-Hoa et d'ailleurs, étaient-elles donc les
manifestations de cet empressement à s'engager « en foule » et « sans hésitation » ? Les fuites et les
désertions (on en a compté 50 pour cent dans les classes de réservistes) provoquèrent des répressions
impitoyables, et celles-ci des révoltes qui ont été étouffées dans le sang.
Le gouvernement général a pris soin d'ajouter que, bien entendu, pour mériter la « visible bienveillance
» et la « grande bonté» de l'Administration, « il faut que vous (soldats indochinois) vous vous conduisiez
bien et que vous ne donniez aucun sujet de mécontentement ». Le commandant supérieur des troupes, de
l'Indochine prit une autre précaution: il fit inscrire sur le dos ou le poignet de chaque recrue, un numéro
ineffaçable au moyen d'une solution de nitrate d'argent. […]
Ajoutons, à ce propos, qu'il existe un autre genre de volontariat : le volontariat pour les souscriptions
aux divers emprunts. Procédés identiques, Quiconque possède est tenu de souscrire. On emploie contre les
récalcitrants, des moyens persuasifs et coercitifs tels que tous s'exécutent […]
Voyons maintenant comment le volontariat a été organisé dans les autres colonies. Prenons, par
exemple, l'Afrique Occidentale. Des commandants, accompagnés de leurs forces armées, se rendaient de
village en village pour obliger les notables indigènes à leur fournir immédiatement le nombre d'hommes
qu'ils voulaient recruter. […] Nous avons en main une lettre d'un indigène du Dahomey, ancien combattant
qui a fait son « devoir » dans la guerre du droit. Quelques extraits de cette lettre vous montreront comment
151
les « Batouala » sont protégés et de quelle façon nos administrateurs coloniaux fabriquent du loyalisme
indigène qui décore tous les discours officiels et qui alimente tous les articles des Régismanset et des Hauser
de tout calibre.
« En 1915, dit la lettre, lors du recrutement forcé ordonné par M Noufflard, gouverneur du Dahomey,
mon village a été pillé et incendié par les agents de la police et les gardes du Cercle. Au cours de ces
pillages et incendies, tout ce que je possédais comme bien m'a été enlevé. Néanmoins, j'ai été enrôlé par
force, et, sans tenir compte de cet odieux attentat dont j'ai été la victime j'ai fait mon devoir au front
français. J'ai été blesse à l'Aisne. Maintenant que la guerre est terminée, je vais rentrer dans mon pays, sans
foyer et sans ressources […] »
Les « Boches» de Guillaume n'auraient pas fait mieux.
Source : Hô Chi Minh, Le Procès de la colonisation française et autres textes de jeunesse, « chapitre I,
Le volontariat », Paris, Le Temps des cerises, 1999, p. 32-37.
Présentation
La présentation complète d’Hô Chi Minh, du Procès de la colonisation français et du
contexte indochinois a été proposée dans le dossier 1 du présent rapport (Économie et société,
document 4 intitulé « Les corvées dans l’Indochine de l’entre-deux-guerres »). Pour éviter les
redites au sein du rapport, on s’y reportera pour tous les éléments de contextualisation.
Analyse
Cet extrait intitulé « Le volontariat » présente un moment essentiel dans les relations entre la
métropole et les colonies : la Première Guerre mondiale et la question de la mise à contribution des
colonies sous différentes formes avec l’accroissement des impôts, l’exemple principal de la
mobilisation des hommes et le recours à l’emprunt. L’auteur commence par évoquer et dénoncer la
pression fiscale, selon lui un des effets pervers de la « mission civilisatrice », qui pèse sur les
colonisés de l’Indochine. Il reprend le vocabulaire communiste « le prolétariat indigène » pour
désigner la population colonisée, en particulier les paysanneries colonisées, les colonisés et les
prolétaires étant réunis d’un point de vue idéologique dans la lutte contre le capitalisme et le
colonialisme ; population indochinoise qui est soumise à différentes formes de prélèvement (impôts,
prestations, corvées, achats obligatoires, alcool, opium).
En effet, l’objectif pour le colonisateur est que les colonies financent leur propre
fonctionnement, c’est le principe de l’autonomie financière qui est posé dès le XVIIIe siècle par les
Anglais et par la loi d’avril 1900 en France. En Indochine, le gouverneur Paul Doumer réorganise
les finances dès le printemps de 1897 en mettant en place un système fiscal efficace selon deux
principes : la prépondérance de la fiscalité indirecte qui va désormais alimenter le budget général de
l’Union, et l’individualisation des impôts directs qui vont alimenter les budgets locaux de chaque
« pays ». Dans l’empire vietnamien, la fiscalité traditionnelle avait une faible productivité et
reposait sur la communauté villageoise. Ainsi, l’impôt personnel, pour les hommes de 18-60 ans qui
possédaient des biens, les prestations en travail et la levée de soldats étaient-elles basés sur les rôles
d’inscrits (dinh bo) dans chaque village tandis que l’impôt foncier reposait sur le rôle cadastral, le
dia bo levé sous Gia Long, premier empereur de la dynastie des Nguyen au début du XIX e siècle.
Le montant global de l’impôt était ensuite réparti entre les habitants du village par les notables,
c’est donc la communauté villageoise qui payait l’impôt. Ce montant correspond à une ligature,
monnaie de compte de l’empire vietnamien, et était pesant pour les populations mais reste faible par
rapport aux impôts développés par les Français.
152
En effet, le colonisateur bouleverse ce compromis fiscal entre pouvoir villageois et pouvoir
impérial. Désormais, le système mis en place en Cochinchine en novembre 1880 est généralisé au
reste de l’Indochine : l’impôt personnel (de capitation) est fixé non plus par inscrit mais par homme
valide, même si le montant est inférieur pour les non-inscrits de l’ancien système. Par exemple, au
Tonkin, la capitation est de 2,50 piastres pour les inscrits et de 0,40 pour les non-inscrits. Par
ailleurs, la carte de l’impôt, mise en place en Cochinchine en 1884, est étendue au Tonkin (1897) et
à l’Annam (1913). Cette carte est établie par les chefs de village et sert de carte d’identité dont le
port est obligatoire et permet de lutter contre la fraude. Les impôts, personnel et foncier, sont perçus
en faisant jouer la responsabilité collective des communautés villageoises au Viêt-nam et des
cantons au Cambodge. La charge fiscale directe s’alourdit continuellement, d’autant plus que le
chiffre de la population est surestimé pour une meilleure rentabilité : la charge fiscale par habitant
est de 3,45 piastres en 1913, de 4,19 en 1920 soit une hausse de plus de 20 %. Dans le budget d’un
paysan du Tonkin au début du XXe siècle, l’alimentation représente 50 piastres (63 %), les fêtes 12
(15 %) et les impôts directs 10 (12%). Cette augmentation des impôts directs est dénoncée en
métropole, par exemple par le député Messimy en 1910. Enfin, les corvées, fixées à 30 jours par an
et par inscrit depuis la fin du XIXe siècle, peuvent être rachetées en partie pour 0,10 piastre par jour
mais cela ne permet pas d’éviter les éventuelles réquisitions.
Cependant, la fiscalité indirecte, impôts de consommation et monopoles d’État, domine dans
les colonies, comme elle dominait sous l’Ancien Régime et est fortement développée par Paul
Doumer. Le précédent anglais avec le modèle de Singapour incite le gouvernement général à mettre
en place le système des régies en Cochinchine, système de trois régies du sel (1897), des alcools
indigènes (1897), très utilisés pour les fêtes vietnamiennes, et de l’opium (1898) qui est généralisé
au reste de l’Indochine du fait de l’emprunt de 200 millions de francs contracté par l’Union
indochinoise. L’achat pour l’opium, la production pour le sel et l’alcool, et la vente sont confiés à
des particuliers comme les sauniers de Bac Lieu regroupés en un syndicat, ou à des grandes sociétés
comme la Compagnie générale du Tonkin et du Nord-Annam qui déjà concessionnaire du sel, de
l’opium obtient en 1902 pour dix ans celle de l’alcool, ou la Société des distilleries de l’Indochine.
Les abus commis par les régies (immoralité, violence, hausse de prix) sont fréquents. Par exemple,
les droits sur le sel explosent de 2712 % passant de 0,08 piastre en 1897 à 1 en 1899 puis à 2,25 en
1906. Un système répressif pour améliorer le rendement du monopole et pour lutter contre la fraude
et la contrebande complète le dispositif. La fiscalité est alourdie en taxant la consommation
paysanne (allumettes, barques, bois, tabac, noix d’arec,…) et cette réorganisation accroît son
rendement. Les recettes nettes des régies constituent désormais une part non négligeable des
ressources directes du budget général de l’Indochine (44 % en 1920, par exemple).
La pression fiscale ne cesse d’augmenter, les recettes du Trésor impérial sont comprises entre
12,6 et 40 millions de francs en 1878, en 1912, les budgets du gouvernement général prélèvent sur
les populations d’Indochine 150 millions de francs dont 135 pour l’ancien Viêt-nam et sont
excédentaires. Désormais, la vie quotidienne des colonisés est bouleversée, impôts et taxes sont
perçus le plus souvent en argent, ce qui implique de s’intégrer partiellement dans un système
monétaire, et rythmée par cette forte pression fiscale directe et indirecte. Cette pression est inégale
selon les territoires, la charge de l’impôt direct est plus élevée en Cochinchine qu’en Annam, et
selon les groupes sociaux, le développement de l’économie coloniale est financé par les
paysanneries colonisées. Ces dernières réagiront en multipliant les résistances et les révoltes
antifiscales comme celle de 1908. La guerre va accentuer les prélèvements, avec la mobilisation
des hommes et le recours à l’emprunt de guerre.
La France entend recourir à la contribution des colonies sous forme d’efforts imposés dans
différents domaines avec le recrutement des hommes (soldats et main d’œuvre), la fourniture de
matières premières et de produits alimentaires et le recours à l’emprunt. En ce qui concerne les
153
hommes, la France envisage, dès la constitution de l’Empire, pour des raisons démographiques, la
possibilité de recourir à des « troupes indigènes » en cas de conflit européen. Par exemple, les
zouaves, constitués de Berbères, et les tirailleurs algériens, corps d’infanterie recrutés dans les
territoires colonisés fondés en 1842, participent à la guerre de 1870-1871 contre la Prusse. Par
ailleurs, en 1910, le colonel Mangin démontre dans son ouvrage, La force noire, que l’Afrique
subsaharienne est un réservoir d’hommes permettant de lever des troupes et de remédier ainsi à la
baisse de la natalité française. Cependant, les politiques ne sont pas convaincus et, à la veille de la
guerre de 1914-1918, les troupes coloniales sont principalement composées d’engagés (plus ou
moins volontaires !), à l’exemple de l’Armée d’Afrique et sa centaine de milliers d’hommes, le
recours à la conscription, en échanges de droits politiques, étant utilisé avec une grande prudence.
En Indochine, le décret de 1908 instituant l’appel est peu appliqué avec, en 1912, 1 350 appelés en
Cochinchine, 786 au Tonkin et 12 en Annam.
La transformation rapide d’une guerre pensée comme courte en conflit de longue durée
nécessite de trouver un nombre croissant d’hommes. En août 1914, l’essentiel des contingents
coloniaux combat en France, mais face à la baisse régulière du recrutement de supplétifs et à la
nécessité de remplacer les nombreux soldats tués lors des premiers mois du conflit, il est nécessaire,
dès 1915, d’élargir les territoires de recrutement et de faire appel à des « volontaires », comme le
précise l’auteur du texte pour l’exemple de l’Indochine et de l’Afrique subsaharienne. Il est à noter
que c’est aussi un moyen pour la France de développer le patriotisme parmi les populations
colonisées. Le Parlement français édicte ainsi plusieurs décrets, par exemple celui du 9 octobre
1915, qui vont permettre de recruter des soldats mais aussi des travailleurs « indigènes » avec le
rôle important de Blaise Daigne et du colonel Mangin. En Indochine, la proclamation de la
mobilisation s’effectue tardivement, le 1er avril 1915, du fait de la mauvaise réputation des soldas
annamites véhiculée par le général Joffre, un ancien du Tonkin, et relayée par la propagande. Ainsi
au début du conflit, les Annamites participent davantage à des travaux de génie qu’à des combats.
Le recrutement des recrues est théoriquement basé sur le « volontariat » comme en Indochine,
au Maroc, en AEF et dans le Pacifique, sur l’appel en AOF. Cependant, et ce dès 1914, la plupart
du temps, les recrues sont engagées sous la contrainte ou par la force comme en Algérie. Ainsi, en
AOF, en 1916, le système des « engagements volontaires » est mis en place. Par ailleurs, face aux
besoins de soldats, le recrutement peut concerner tout indigène avec le décret du 7 septembre 1916.
Les « volontaires » sont engagés pour la durée de la guerre et reçoivent différentes primes
(d’incorporation, d’indemnités familiales,…). On peut noter que les « indigènes » les plus aisés
peuvent acheter un remplaçant.
Comme le recrutement repose en principe sur le volontariat, la France mène différentes actions
pour attirer, voire séduire, les futurs combattants et travailleurs. Toute une action psychologique est
menée en direction des colonisés avec par exemple l’édition de brochures ou des articles dans les
journaux… Il est intéressant de noter l’évolution du discours officiel envers les colonisés : pour la
première fois ces derniers sont considérés comme des êtres civilisés dans le combat commun de la
civilisation contre la barbarie des Allemands et des Turcs. Pour favoriser les recrutements, les
administrateurs coloniaux font appel aux notables indigènes. En Annam et au Tonkin, où un
nombre d’hommes est déterminé pour chaque province, les mandarins, qui demeurent le plus
souvent fidèles à la France, doivent fournir un quota de volontaires ou offrir une compensation
financière. En échange, les notables reçoivent des sommes d’argent ou des progressions de carrière.
Il en est de même en AOF et en AEF où pendant la mission du député sénégalais Blaise Diagne en
janvier 1918 en vue de recruter des hommes, les fils de chef sont promus sous Ŕ officiers, certains
même lieutenants. Aussi, comme le souligne Hô Chi Minh, les excès de zèle et les enrôlements
forcés sont inévitables comme partout dans le reste de l’Empire avec son lot d’abus et d’exactions.
Cependant, le discours de Hô Chi Minh manque parfois de nuance, il est exagéré avec un langage
154
outrancier, par exemple lors de la description de recrues enchaînées, dans le but de dénoncer la
colonisation française. Par ailleurs, les résistances à la levée de recrues ont toujours existé, les
recrues partent contre leur gré, ne voulant pas abandonner leur famille.
Face aux contraintes de l’effort de guerre, de multiples formes de résistances apparaissent par
exemple pour le « volontariat » notamment en 1916 et 1917, où les bataillons de Sénégalais sont
décimés lors de l’offensive Nivelle : résistance passive, fuites massives et désertions en Indochine
ou en A.O.F, refus de pères de livrer leurs fils, évasions collectives de recrues, mutilations ou
inoculations de maladies, présentation de recrues inaptes, Annamites minuscules ou à peine
adolescents, Africains malingres ou trop âgés. La levée des recrues, tout comme l’augmentation de
la pression fiscale, entraînent presque partout des résistances armées, même s’il n’existe pas dans
les territoires colonisés de front uni pour lutter contre les Français, et en dépit du loyalisme affirmé
des populations comme en AOF. Mais dans cette dernière, comme au Soudan ou entre l’affluent du
Niger et de la Volta, régulièrement des révoltes voire des insurrections éclatent contre les
enrôlements forcés. Ainsi, le texte en rapporte un exemple : des villages réfractaires à l’effort de
guerre sont l’objet d’expéditions punitives faites de pillages et d’incendies pour les obliger à fournir
les hommes exigés par l’administration. La réaction des autorités coloniales est souvent implacable.
Face aux résistances, le gouverneur de l’AOF, Van Vollenhoven, demande à Paris d’arrêter les
recrutements et d’insister plutôt sur la contribution économique. Si les recrutements sont modérés
en 1917, à l’exception de l’Algérie, son avis n’est finalement pas suivi. Le recrutement reprend avec
l’arrivée au pouvoir de Georges Clemenceau en novembre 1917. Par exemple, en AOF, en 1918, la
mission Diagne, déjà mentionnée, permet de lever plus de 60 000 hommes, essentiellement parmi
les élites occidentalisées des villes, en échange de l’accession complète à la citoyenneté à la fin du
conflit.
On peut noter que des troubles renaissent profitant du conflit pour prolonger certaines
résistances antérieures, soutenus par les exilés. Ils s’inscrivent donc dans le cadre de la résistance
anticoloniale. En Indochine, en janvier 1916, des bandes armées s’opposent aux opérations de
recrutement. Ces bandes sont renforcées de mutins évadés de la prison de Bien-Hoa et multiplient
les actions contre les autorités coloniales, c’est ainsi que près de 300 hommes débarquent à
l’embouchure de l’arroyo chinois et de la rivière de Saigon, qu’une tentative avortée pour prendre
d’assaut la prison centrale est menée et que des affrontements ont lieu à Saigon et à Cholon. Par
ailleurs, se greffe sur ces résistances, un mouvement religieux dont le chef se prend pour le nouvel
empereur du Vietnam. La répression est sévère et rapide et ces actions finalement demeurent
isolées, la base populaire étant trop étroite. Le conflit favorise ces résistances et l’augmentation de
l’insécurité du fait notamment de la baisse non négligeable de l’encadrement français dans les
territoires colonisés. En Indochine, près de 6 000 hommes, la quasi-totalité des militaires de
carrière sont envoyés en France dès le mois d’août 1914. Par ailleurs, les cadres français sont
remplacés par des officiers de réserve ou des cadres métropolitains blessés qui n’ont aucune
expérience du territoire. En fin de compte, le pouvoir colonial n’est jamais profondément menacé.
Au total, les troupes coloniales représentent plus de 518 000 hommes - 180 000 Africains noirs,
175 000 Algériens, 80 000 Tunisiens et 43 430 Annamites et Tonkinois, 40 000 Marocains Ŕ plus
quelques milliers de Malgaches (6 000 environ) soit entre 7 et 8% des 8 000 000 d’appelés en
métropole. Cependant, l’Indochine de part l’importance de sa population (environ 19 millions
d’habitants) et de la relative profondeur de la colonisation, est la grande colonie qui fournit
proportionnellement le moins de combattants. En effet, les 4/5e des hommes sont prélevés durant les
années 1915 et 1916. La réputation de chétivité des Annamites, nous l’avons vu, et l’éloignement
mais surtout les difficultés économiques et la crise des transports maritimes liées au conflit, ainsi
que l’importante résistance des populations expliquent la chute du nombre d’hommes mobilisés en
1917 ; proche de zéro en 1918 et au total l’envoi de peu d’hommes à l’opposé de l’AOF.
155
Le nombre de morts des troupes coloniales est compris entre 66 000 et 71 000, soit autour de
12-13% du total des effectifs, ce qui équivaut au pourcentage des combattants français. Si les
Indochinois servent essentiellement dans les bataillons d’étape chargés de l’aménagement et du
transport ou comme auxiliaires de police au début du conflit, par la suite, 43 000 soldats, en grande
partie des Tonkinois, se trouvent par exemple en 1916 dans les tranchées ; certains combattant
même à Salonique en 1917. Au total, 1123 sont morts sur les champs de bataille alors que les
« tirailleurs sénégalais », combattant le plus souvent en première ligne, ont environ 25 000 tués
essentiellement lors des assauts sans compter les blessés et les mutilés ; ces soldats indochinois sont
ainsi peu présents dans les mémoires collectives. Pour l’Empire britannique, seuls les colonisés
issus de l’Inde et de Birmanie, environ 90 000, sont envoyés combattre sur le front européen, les
Africains recrutés, environ 30 000, devant surtout combattre les troupes allemandes en Afrique.
La Première Guerre mondiale est une guerre totale nécessitant la mobilisation non seulement
des hommes mais aussi de l’ensemble de l’économie et de la société. Les besoins de l’économie de
guerre nécessitent le recrutement d’une main-d’œuvre. Il s’agit de combler les vides dans l’industrie
où 25% des effectifs sont encore mobilisés sur le front malgré la loi Dalbiez du 17 août 1915.
Durant les premières années du conflit, la main-d’œuvre est recrutée de manière empirique soit par
des industriels soit par différents ministères. En 1916, le recrutement est rationalisé avec la création
du Service de l’Organisation des Travailleurs Sociaux (SOTC) qui en a le monopole et avec le rôle
important d’Albert Thomas. Il est difficile d’établir un recensement des travailleurs coloniaux. Leur
nombre serait compris entre 240 000 et 310 000 personnes, essentiellement des Algériens (un tiers
des effectifs) et des Maghrébins (environ 50% des effectifs). Les Annamites comptent pour 1/6 e,
soit environ 48 981 travailleurs, dont peut-être le futur Hô Chi Minh. Au total, une commission
parlementaire de 1919 établit que 600 000 « indigènes » auraient travaillé en France durant le
conflit. Ces travailleurs occupent des postes dans les usines de guerre, les ports et dans quelques
exploitations agricoles en particulier pour ces dernières avec des Annamites. Enfin, les colonies
sont davantage mises à contribution pour aider les budgets coloniaux en difficulté et pour financer
la guerre en souscrivant aux différents emprunts nationaux et aux titres de la Défense nationale. Par
exemple, L’Indochine par la Banque de l’Indochine verse 184 millions de francs, l’Algérie 963,
entre 1915 et 1918 sur un total d’environ 1,5 milliards. Et au total les colonies contribuent à hauteur
de 6,7% aux emprunts de Défense nationale.
Ainsi, si les populations localement subissent pleinement les exigences liées à la guerre
(exigence d’hommes, pression fiscale), l’apport colonial n’est pas aussi essentiel que proclamé. En
effet, il est à noter que la France ne dispose pas d’une marine marchande développée et que les
relations entre la France et l’outre-mer sont paralysées en grande partie par la crise des transports
maritimes, précédemment évoquée. De plus, l’Empire ne peut pas fournir grand-chose du fait de
son sous-équipement et de sa faible exploitation. Il y a une certaine illusion des observateurs et une
exaltation officielle des apports coloniaux à la France en guerre. Le conflit joue donc un rôle
essentiel dans la prise de conscience de l’importance économique potentielle de l’Empire, d’où le
plan Sarraut de 1920.
Mots-clefs : abus, Africains, Annamites, emprunt, Indochinois, impôts, recrutement, résistances,
volontariat, troupes coloniales, travailleurs coloniaux.
Pistes pédagogiques
- Quelles sont les différentes obligations que le colonisateur impose aux colonisés en Indochine.
Pour quelles raisons ?
- Comment les soldats sont-ils recrutés ? Montrer que le terme de « volontariat » employé par
l’auteur est ironique.
- Comment les colonisés indochinois réagissent-ils aux campagnes de recrutement ?
156
- Dans quelle mesure cette situation se retrouve-t-elle dans le reste de l’Empire ?
- Selon vous quelles peuvent être les conséquences de ce recours à l’Empire au sortir de la guerre ?
Niveaux
Au collège
. Quatrième : Chapitre III, L’Europe et son expansion, thème 3 : Le partage du monde.
. Quatrième rentrée 2011-2012 : Chapitre III, thème 4 : Les colonies avec comme étude possible
celle de la société coloniale.
. Troisième : chapitre I, Guerres, démocratie, totalitarisme, thème 1 : La Première Guerre mondiale
et ses conséquences.
. Troisième (rentrée 2012-2013) : Chapitre II, Guerres mondiales et régimes totalitaires (19141945), thème 1 : La Première Guerre mondiale : vers une guerre totale (1914-1918).
Au lycée
. 1e ES/L : chapitre I, L’âge industriel et sa civilisation du milieu du XIXe siècle à 1939, leçon 3 :
L’Europe et le monde dominé : échanges, colonisations, confrontations.
.1e STG : éventuellement chapitre II, Guerre et paix (1914-1946), leçon 1 : L’Europe au cœur des
affrontements […].
.1e ST2S : éventuellement, le chapitre I, La République des années 1880 aux années 1940, question
obligatoire : La France en République, de 1880 au début des années vingt.
. Ter. S : chapitre II, Colonisation et indépendance, leçon 1 : la colonisation européenne et le
système colonial.
Pistes bibliographiques
. Chantal ANTIER, « Le recrutement dans l’Empire colonial français 1914-1918 », Guerres
mondiales et conflits contemporains, n°230, février 2008.
. Jacques FRÉMAUX Jacques, Les colonies dans la grande Guerre. Combats épreuves et peuples
d’Outre-mer, Paris, 14-18 Éditions, 2006.
157
4 - LES ABUS D’UN ADMINISTRATEUR EN INDOCHINE
Le résident M. DARLES
Les Cahiers des Droits de l'Homme : publiaient récemment une lettre de M. Ferdinand Buisson,
président de la Ligue des Droits de l'Homme, à M. Sarraut, ministre des Colonies, au sujet de la révolte
survenue, en 1917, à Thaï N'Guyen (Indochine) et de la répression qui s'ensuivit.
Dans cette lettre, le rôle du résident de la province, M. Darles, est clairement défini : ce fonctionnaire,
par les abus dont il s'est rendu coupable a été l'auteur responsable de la rébellion. Sa culpabilité a d'ailleurs
été établie par la Cour de Saigon, dès 1917.
Or, le croirait-on? Aucune sanction administrative n'a été prise. Au contraire M. Darles a été nommé
membre du Conseil municipal de Saigon. Quant à la sanction judiciaire, elle fut dérisoire: 200 francs
d'amende.
Ce M. Darles est un administrateur de valeur. Il a acquis sa science politique au Quartier latin, où il fut
marchand de soupe.
Par la volonté d'un homme politique influent. M. Darles, alors sans ressources et criblé de dettes, fut fait
administrateur en Indochine.
Confortablement mis à la tête d'une province de plusieurs milliers d'habitants et investi d’un pouvoir
sans contrôle, il est préfet, maire, juge, huissier, garnisaire, en un mot, il cumule tous les pouvoirs. Justice,
impôt, propriété, vies et biens des indigènes, droits des fonctionnaires, élections des maires et chefs de
canton, c'est-à-dire la destinée d'une province entière est confiée aux mains de cet ancien popotier.
Puisqu'il n'avait pu devenir riche en extorquant ses clients à Paris, il prend sa revanche au Tonkin en
faisant arrêter, emprisonner, condamner arbitrairement les Annamites pour les pressurer.
Voici quelques faits qui illustrent le règne despotique de ce charmant administrateur que la République
mère a bien voulu nous envoyer pour nous civiliser.
Des volontaires (!) indigènes sont amenés pour servir aux tirailleurs et passer, à cet effet, la visite
médicale. Ce sont des illettrés, intimidés, que M. le Résident apostrophe et qu'il frappe à coups de poings, à
coups de canne, parce qu'ils ne répondent pas assez vite.
Il a frappé brutalement à coups de poings trois miliciens qui avaient laissé échapper un prisonnier, les
traînant à terre par les cheveux, leur cognant la tête contre le mur de sa résidence.
Pour interroger des prisonniers, M. le Résident leur piquait les cuisses avec son épée d'administrateur. Il
y en a qui s'étaient évanouis à leur retour à la prison.
De malheureux prisonniers mal nourris, habillés de haillons sordides, levés dès le point du jour, la
cangue au cou, de grosses chaînes aux pieds, attachés les uns aux autres, tirent le rouleau, un rouleau
compresseur énorme qu'il faut faire avancer sur les épaisses couches de grès. Complètement épuisés, ils
avancent péniblement sous un soleil implacable. Le résident arrive, porteur habituel d' une forte canne et,
sans raison, par un sadisme de bestialité inconcevable, il frappe à tour de bras sur ces malheureux avec sa
trique, leur reprochant d'être paresseux.
Un jour, notre civilisateur venant de faire des reproches à, un agent européen et ne sachant sur qui
décharger sa colère, prit sur son bureau une règle de fer et cassa deux doigts à un malheureux écrivain
indigène qui n'était pour rien dans l'affaire.
Un autre jour, il cravacha, en pleine figure, un sergent indigène en présence de ses hommes.
Une autre fois, il fit enterrer jusqu'au cou des miliciens qui lui déplaisaient et ne les fit déterrer qu'à
demi-morts.
Quand il se rend sur les routes où il contraint les indigènes à travailler pour un ou deux sous 1 par jour,
après leur avoir fait racheter leur journée de corvée au prix de quinze sous par journée, c'est par demidouzaines que l'on compte les jambes cassées à coups de pelles et de manches de pioche.
Une fois, dans un chantier, il s'empara du fusil d'un garde de surveillance pour frapper un prisonnier. Ce
dernier ayant réussi à s' esquiver, le résident se retourna contre le garde qu'il frappa avec le même fusil. Sa
digne moitié, Mme la Résidente, intervenait à son tour, elle frappait volontiers les prisonniers et faisait punir
les miliciens à l'occasion.
158
On a vu M. le Résident crever d'un coup de canne l'œil d'un sergent. Il a accompli encore d'autres hauts
faits, mais nous ne pouvons les énumérer tous ici.
Tout cela est au su et au vu de tout le monde, y compris ses supérieurs hiérarchiques, les gouverneurs
généraux et résidents supérieurs qui pour récompenser son « énergie » et sa « vertu bien républicaine », lui
infligent impitoyablement des avancements.
Source : Hô Chi Minh in Le procès de la colonisation française et autres textes de jeunesse, « Chapitre
IV, Les administrateurs, M. Darles », Paris, Le Temps des cerises, 1999, p. 61.
Présentation
La présentation complète d’Hô Chi Minh, du Procès de la colonisation français et du
contexte indochinois a été proposée dans le dossier 1 du présent rapport (Économie et société,
document 4 intitulé « Les corvées dans l’Indochine de l’entre-deux-guerres »). Pour éviter les
redites au sein du rapport, on s’y reportera pour tous les éléments de contextualisation.
Analyse
Ce document est une longue dénonciation de multiples abus du résident Darles à la tête de la
province de Thai Nguyen, au Tonkin, durant les années 1910. Le protectorat du Tonkin est dirigé par
un résident supérieur qui a le grade de gouverneur de première classe. Le ky est subdivisé en
plusieurs provinces, chacune sous la direction d’un résident. L’auteur s’appuie notamment sur la
publication d’une lettre du président de la Ligue des Droits de l’Homme, Ferdinand Buisson, dans la
revue Les Cahiers des Droits de l’Homme, qui remplace le Bulletin des Droits de l’Homme en 1920.
En effet, des organismes, surtout de gauche, sont particulièrement actifs, ils suivent et défendent la
situation des colonisés, considérés comme des peuples opprimés. Par exemple, le député socialiste de
Villeurbanne entre 1902 et 1910, Francis de Pressensé, deuxième président de la Ligue de 1903 à
1914, intervient au Parlement pour critiquer la brutalité de la répression de 1909 en Indochine suite à
la révolte de 1908. De même lors du congrès de la Ligue de 1917, où participent des parlementaires
partisans de réformes dans les territoires colonisés, comme les députés du Rhône Marius Moutet ou
d’Eure-et-Loir Maurice Viollette, l’application des principes de 1789 dans les colonies est
recommandée. La lettre citée par Hô Chi Minh est une demande pour faire condamner Darles.
L’ordre colonial impose la mise en place d’un encadrement administratif hiérarchisé,
l’administration civile et régulière coloniale, dont les membres doivent en principe respecter les
populations locales dans la mesure où cela n’entrave pas l’autorité française. Dans les colonies, cette
administration est composée d’un ensemble de fonctionnaires européens : des gouverneurs généraux
et des gouverneurs aux administrateurs de terrain, sans oublier les fonctionnaires indigènes aux
échelons inférieurs. Le recrutement du personnel administratif des colonies est très inégal, formation
sur le tas, comme cela semble le cas pour le résident Darles, ou passage par l’École coloniale, créée
en 1889. En Indochine, le recrutement des fonctionnaires est réorganisé par un décret du président
Loubet de 1899. Le « Personnel des Services civils de l’Indochine » est unifié du commis de
troisième classe à l’inspecteur, en passant par cinq classes d’administrateurs.
Les administrations coloniales se caractérisent par la confusion des pouvoirs. En effet, les
pouvoirs sont très étendus et sont concentrés dans les mains des mêmes personnages aux différents
échelons de l’administration : au sommet de la hiérarchie, le gouverneur général dans les colonies
françaises comme dans les autres empires. Celui-ci est le « dépositaire des pouvoirs de la
République », pouvoirs quasi-proconsulaires et peu à peu renforcés en Indochine, par exemple, avec
159
le contrôle des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire. C’est lui qui nomme les fonctionnaires
administratifs qu’il peut révoquer ou suspendre voire déplacer dans le cas du résident Darles en
Indochine. Ces pouvoirs très étendus en matière de police, de fiscalité, de justice se retrouvent aux
échelons inférieurs et ressemblent souvent à la loi du plus fort avec la tendance à imposer une
administration directe aux protectorats comme celui du Tonkin. Cela peut avoir des conséquences
graves sur les populations colonisées, d’autant plus que la médiocrité de l’encadrement colonial n’est
pas rare, comme le montre l’exemple du résident Darles.
L’administrateur, comme le résident, adopte le style des préfets ou des sous-préfets de la
République. Il habite la plus belle maison de sa circonscription, a de nombreux domestiques et
organise des réceptions où il reçoit les visiteurs importants. Par ailleurs, l’administrateur est souvent
omnicompétent et isolé, ce qui ne facilite pas les contrôles et favorise les abus. De plus, il ne faut pas
oublier que l’Etat administratif colonial recourt parfois à la contrainte et à la coercition pour imposer
un nouvel ordre du monde à des populations soumises et presque dépourvues de droits. Ce qui peut
expliquer et permettre les nombreux et divers abus commis par le résident Darles et rapportés par Hô
Chi Minh. Si le récit de ce dernier est souvent excessif, pour l’exemple de Darles, il suit assez
fidèlement la réalité.
En effet, le résident Darles est détesté par les populations colonisées et incarne l’ordre colonial
brutal. Il se conduit comme un potentat local à l’encontre des ordres de ses supérieurs comme le
gouverneur général Albert Sarraut. Ses abus témoignent du comportement marqué par l’arbitraire de
certains administrateurs, qui profitent de leur toute puissance, envers une population colonisée mise
dans une situation d’infériorité par le droit colonial. Ils entraînent des incidents violents avec la
révolte de la province en 1917. Celle-ci débute le 30 août 1917 avec une mutinerie des miliciens de la
garde indigène et la prise d’assaut du pénitencier de Thai Nguyen et de la résidence. Les prisonniers
sont libérés et surtout la ville est contrôlée temporairement. Les chefs de la mutinerie, le doï (sergent
Cam) et surtout Luong Ngoc Quyen, fils du lettré le plus célèbre de Hanoï et un des héros du
mouvement national vietnamien, mènent un mouvement qui revêt un caractère populaire de guérilla
paysanne. Quatre mois sont nécessaires aux autorités coloniales pour réduire les différents maquis
avec la mort de ses chefs au début de l’année 1918. Finalement, face à la gravité de la dérive du
comportement du résident Darles, l’administration coloniale réagit et ce dernier est convaincu de
brutalité dans l’exercice de ses fonctions. Mais sa condamnation ne semble pas à la mesure des
dérives de son comportement : il est condamné à une amende de 200 francs (ou piastres) et est
déplacé par le gouverneur général de l’Union indochinoise, Albert Sarraut. Par la suite, Darles est
chassé de l’administration ; il profite de l’aide de colons de Cochinchine, hostiles souvent à
l’administration, en occupant un poste important dans les distilleries Fontaine en Cochinchine et en
siégeant au conseil municipal de Saigon.
La médiocrité de l’encadrement colonial n’est donc pas rare, comme le dénonce aussi avec force
Claude Farrère dans son roman, Les civilisés, prix Goncourt en 1905. Cependant, le comportement
des administrateurs est assez inégal, s’il y a des abus, certains administrateurs veulent aider les
populations à défendre leur identité comme le résident Léopold Sabatier dans le pays du peuple Moi
(ou Moï). Il arrive même qu’ils soient vénérés par les populations et élevés en Indochine au rang de
génie protecteur du village. Il s’agit donc d’éviter de noircir la situation générale. Au total, la brutalité
est différente selon les régions et selon les administrateurs.
Mots-clefs : abus, administrateur, administration, Darles, Indochine, résident, révolte, Tonkin, Viêtnam.
Pistes pédagogiques
160
- Localiser la province du résident Darles.
- Quels sont les pouvoirs d’un résident ? Comment pourriez-vous les qualifier ?
- Quels sont les abus commis par Darles et dénoncés par l’auteur ? Expliquer les procédés rhétoriques
utilisés par ce dernier.
- Comment expliquer ces abus ?
- Comment Darles est-il sanctionné ? Que penser de cette sanction ?
Niveaux
Au collège
. Quatrième : Chapitre III, L’Europe et son expansion, thème 3 : Le partage du monde.
. Quatrième rentrée 2011-2012 : Chapitre III, thème 4 : Les colonies avec comme étude possible
celle de la société coloniale.
Au lycée
. 1re ES/L : chapitre I, L’âge industriel et sa civilisation du milieu du XIXe siècle à 1939, leçon 3 :
L’Europe et le monde dominé : échanges, colonisations, confrontations.
. Ter. S : chapitre II, Colonisation et indépendance, leçon 1 : la colonisation européenne et le
système colonial.
161
5 Ŕ DISCOURS DE MESSALI HADJ EN FEVRIER 1927
Les revendications immédiates
1. Abolition immédiate de l'odieux Code de l'indigénat et de toutes les mesures d'exception.
2. Amnistie pour tous ceux qui sont emprisonnés, en surveillance spéciale ou exilés pour infraction au
Code de l'indigénat ou pour délit politique.
3. Liberté de voyage absolue pour la France et l'étranger.
4. Liberté de presse, d'association, de réunions, droits politiques et syndicaux.
5. Remplacement des délégations financières élues au suffrage restreint, par un parlement national
algérien élu au suffrage universel.
6. Suppression des communes mixtes et des territoires militaires, remplacement de ces organismes par
des assemblées municipales élues au suffrage universel.
7. Accession de tous les Algériens à toutes les fonctions publiques sans aucune distinction, fonction
égale, traitement égal pour tous.
8. L'instruction obligatoire en langue arabe accession à l'enseignement à tous les degrés; création de
nouvelles écoles arabes. Tous les actes officiels doivent être simultanément rédigés dans les deux
langues.
9. Application des lois sociales et ouvrières. Droit au secours de chômage aux familles algériennes en
Algérie et aux allocations familiales.
Les revendications politiques
1. L'indépendance totale de l'Algérie.
2. Le retrait total des troupes d'occupation.
3. Constitution d'une armée nationale, d'un gouvernement national révolutionnaire, d'une assemblée
constituante élue au suffrage universel. Le suffrage universel à tous les degrés et l'éligibilité dans
toutes les assemblées pour tous les habitants de l'Algérie. La langue arabe considérée comme langue
officielle.
4. La remise en totalité à l'État algérien des banques, des mines, des chemins de fer, des forts et
services publics accaparés par les conquérants.
5. La confiscation des grandes propriétés accaparées par les féodaux alliés des conquérants, les colons
et les sociétés financières et la restitution aux paysans des terres confisquées. Le respect de la
moyenne et petite propriété. Le retour à l'État algérien des terres et forêts accaparées par l'État
français.
6. L'instruction gratuite obligatoire à tous les degrés en langue arabe.
7. La reconnaissance par l'État algérien du droit syndical, de coalition et de grève, l'élaboration des lois
sociales.
8. Aide immédiate aux fellahs pour l'affectation à l'agriculture de crédits sans intérêts pour l'achat de
machines, de semences, d'engrais ; organisation de l'irrigation et amélioration des voies de
communications.
Présentation du texte
Au moment Messali Had prononce ces mots, l’Algérie est un territoire dominé par la France
depuis 1830. D’après le recensement de 1926, on y compte 5 130 000 « Musulmans » et 870 000
« Européens ». Bien que le pays, divisé en trois départements, soit assimilé à la métropole, ses
habitants ne bénéficient pas tous d’un statut politique et de conditions de vie semblables. Les
« Européens », venus de France, d’Espagne, d’Italie auxquels se sont ajoutés les Juifs, naturalisés
162
français depuis le décret Crémieux de 1870, ont les mêmes droits politiques que les métropolitains
et représentent une minorité globalement plus aisée que les « Indigènes musulmans ». Ces derniers
étaient bien, selon le senatus-consulte de 1865, de nationalité française, sans pouvoir, toutefois,
bénéficier de la citoyenneté pleine et entière. Ils continuaient à relever de la « loi musulmane » pour
ce qui touchait au droit personnel, par exemple. Ils n’avaient pas le droit de vote, sauf dans le cas
des élections municipales des communes de plein exercice (celles qui comptaient une forte
proportion de population « européenne »). Les électeurs étaient toutefois, en 1866, divisés en
plusieurs collèges.
Celui qui rassemblait les citoyens français élisait deux tiers des sièges. Les communes mixtes,
vaste circonscription où la population française était nettement minoritaire, regroupant plusieurs
villages musulmans, était administrée par un fonctionnaire colonial non pas élu mais nommé par les
autorités coloniale, et son adjoint était nécessairement un « Indigène ».
Les enfants musulmans étaient aussi largement exclus du réseau scolaire déployé par les
autorités françaises. En 1931, En 1931, Maurice Viollette, ancien gouverneur général de l’Algérie,
écrivait : « Il y a actuellement en Algérie 1 199 classes, comportant 466 maîtres européens et 468
maîtres indigènes. Or, d’après le recensement de 1926, on compte 5 147 000 indigènes, ce qui
représente 900 000 enfants, garçons et filles d’âge scolaire. Nos écoles en reçoivent 60 000 ! Il reste
donc à construire plus de 20 000 classes pour plus de 800 000 enfants67. »
En 1874, une liste d’infractions spécifiquement appliquées aux « Indigènes » est établie.
Augmentée dans les années suivantes, elle est rassemblée dans ce que l’on a appelé le code de
l’indigénat mis en place en 1881. Les libertés fondamentales Ŕ de réunion sans autorisation,
d’information, etc. Ŕ sont infiniment restreintes. Par ailleurs, le code prévoit diverses infractions qui
ne s’appliquent qu’aux habitants musulmans de la colonie : départ du territoire de la commune sans
permis de voyage, acte irrespectueux ou propos offensant vis-à-vis d’un agent de l’autorité même
en dehors de ses fonctions, etc. Les peines vont de l’amende à l’internement. Peuvent également
s’ajouter des amendes collectives infligées aux tribus ou aux villages, dans le cas d’incendies de
forêts, contredisant les bases mêmes du droit français.
C’est pour lutter contre cette inégalité de statut et de condition que Messali Hadj a rejoint en
1926 le premier parti nationaliste algérien. Né en 1898, à Tlemcen dans une famille très religieuse,
de son vrai nom Ahmed Messali, il est fils d’un cordonnier. Il fait son service militaire en France, à
Bordeaux, de 1918 à 1921. Il revient en France en 1924, devient ouvrier et épouse Emile Busquant.
C’est aussi le moment où il fréquente le Parti communiste. Sous la recommandation du Komintern,
le leader communiste Hadj Ali Abd el-Kader préconisait alors la création d’une organisation laïque
anticoloniale, qui prendra naissance sous le nom de l’Etoile nord-africaine en 1926. La nouvelle
organisation est composée de militants venus du Maghreb, essentiellement d’Algérie. Messali Hadj
en devient le secrétaire général.
Le discours ci-dessus est prononcé lors d’un congrès anticolonial, réuni à Bruxelles en février
1927, à l’initiative du parti communiste français. Messali Hadj résuma en quinze minutes les
objectifs de son parti. Si la première partie peut être qualifiée de réformiste, réclamant avec force
l’égalité sociale et politique entre tous les habitants de l’Algérie, la seconde est nettement plus
novatrice. Messali Hadj ne se contente pas de condamner sans nuance la colonisation française, il
appelle de ses vœux l’indépendance du pays. Ainsi, le discours marque-t-il une étape importante
dans l’histoire du mouvement national algérien, mais aussi dans celle du mouvement anticolonial
mondial en affirmant clairement la volonté d’indépendance d’un des États les plus anciennement
colonisés.
Le parti de l’Étoile nord-africaine se fixe donc des buts éminemment politiques : indépendance
de l’Algérie, unité entre les trois pays du Maghreb et transformation de l’Empire en une sorte de
Commonwealth franco-africain. Il devient alors le représentant des jeunes nationalistes algériens et
67
Maurice Viollette, L’Algérie vivra-t-elle ? Notes d’un ancien Gouverneur général, Paris, Libr. F. Alcan, 1931.
163
compte alors près de 3 000 militants. En 1928, il rompt ses attaches avec le Parti communiste. Il est
interdit par les autorités françaises en 1929. Il reprend vie sous différents noms, comme l’Union
nationale des musulmans nord-africains en 1935. En 1937 est solennellement fondé le PPA (parti du
peuple algérien), interdit en 1939. 1946 voit la naissance du MTLD (mouvement pour les libertés
démocratiques), toujours présidé par Messali Hadj.
Sa lutte contre la colonisation valut à ce dernier d’être plusieurs arrêté et emprisonné. Pendant la
Guerre d’Algérie, il s’oppose à la stratégie définie par la FLN, entraînant des combats fratricides
entre les diverses fractions du mouvement indépendantiste. Messali Hadj meurt en 1974 en France.
Signalons enfin que le code de l’indigénat qui, parti d’Algérie, a essaimé dans toute l’Afrique dès la
fin du XIXe siècle, n’a été supprimé qu’en 1946.
Place dans les programmes
Classes de 3e, de 1re et de Ter. S.
Questions
1. Qu’appelle-t-on le Code de l’Indigénat ? Qu’est-ce qu’un fellah ?
2. Montrez en quoi les Musulmans d’Algérie ne bénéficient pas des mêmes droits que les
habitants européens de la colonie.
3. Pourquoi l’auteur distingue-t-il les revendications immédiates des revendications
politiques ?
4. Parmi les revendications politiques défendues par Messali Hadj, quelle est la plus importante
pour l’avenir de l’Algérie ?
5. Quelle forme d’Etat prévoit-il, sur le plan social et politique, pour la future Algérie ?
6. Pourquoi ce texte est-il considéré comme un des fondements du mouvement national
algérien ?
Mots-clés
Algérie, colonisation, anticolonialisme, indépendance, communisme, mouvement national.
164
6 Ŕ Les revendications d’une délégation du Destour tunisien
en 1920
Les Tunisiens ont chargé une délégation de venir à Paris se mettre en contact avec le Gouvernement de la
République et avec le Parlement afin d’exposer à la France la situation actuelle de la Tunisie, situation issue
d’un régime qui a cessé d’assurer le progressif épanouissement des facultés économiques et sociales de notre
pays…
Messieurs les Membres du Parlement
La Délégation tunisienne a l’honneur de vous remettre ci-joint, une note concernant la « Question
tunisienne », dans laquelle vous trouverez le commentaire des articles suivants, qui forment le programme
des revendications tunisiennes.
1/ Une assemblée délibérative, composée de membres tunisiens et français élus au suffrage universel,
maîtresse de son ordre du jour et à compétence budgétaire étendue ;
2/ Un gouvernement responsable devant cette Chambre ;
3/ La séparation absolue des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire ;
4/ L’accès des Tunisiens à tous les postes administratifs à condition de présenter les garanties
intellectuelles et morales requises pour les candidats français ;
5/ L’égalité de traitement des fonctionnaires occupant, à compétence égale, des fonctions identiques, sans
qu’il soit fait de différence en faveur des Européens et au détriment des Tunisiens ;
6/ L’organisation de municipalités élues au suffrage universel dans tous les centres de Tunisie ;
7/ L’instruction obligatoire ;
8/ La participation des Tunisiens à l’achat des lots de l’agriculture et des terres domaniales ;
9/ La liberté de presse, de réunion et d’association.
La Délégation tunisienne a la conviction que ses revendications, en raison de leur caractère juste et
légitime, trouveront auprès de vous l’appui de votre haut esprit de justice et d’équité et de votre sympathie
agissante.
Hassouna Aïachi (Avocat au barreau de Sousse) ; Taher Ben Amar (Agriculteur) ; Farhati ben Ayed
(Propriétaire) ; Abderahmane Lazzem (Membre de la commission consultative, industriel à Bizerte) ; Elie
Zerah (avocat au barreau de Tunis) ; Hamouda El Mestiri (Agriculteur).
Présentation du document
Depuis 1881, la Tunisie est devenue un protectorat français. Si l’administration beylicale (du
nom du chef de l’État tunisien, le Bey) est maintenue (réduite toutefois à trois ministères), il n’en
reste pas moins que l’essentiel du pouvoir est détenu par le Résident général, nommé par les
autorités coloniales, épaulé par le secrétaire général et sept départements administratifs qui
gèrent le pays en son ensemble. En 1907, une commission consultative (qui a pour fonction
d’examiner le budget) est créée. Les Tunisiens, bien que de façon très minoritaire, y sont
représentés. Il n’est donc pas étonnant que le personnel administratif soit majoritairement constitué
de fonctionnaires français (11 500) pour 7 000 Tunisiens. Par ailleurs, seuls les postes subalternes
de la fonction publique étaient accessibles à ces derniers qui recevaient en outre des traitements de
50 à 60 % inférieurs à ceux de leurs collègues français. Les Tunisiens, en tant que sujets du Bey,
relevaient de la justice rendue par ses services. L’accès à la nationalité française était très
strictement contrôlé.
165
Aux inégalités politiques, s’ajoutaient les injustices sociales. Dans les années 1880, sous
l’influence du directeur de l’instruction publique, Louis Machuel, le protectorat avait lancé le projet
d’un réseau d’écoles franco-arabes, ouvertes à tous les enfants. Mais, en 1920, beaucoup de villages
en étaient encore dépourvus. Enfin, les terres les plus fertiles étaient largement passées dans les
mains des colons. Ainsi, en 1914, les Européens disposaient-ils d’un million d’hectares (sur les 9
millions d’hectares de terres cultivables du pays). Ils représentaient une infime minorité de 1274
agriculteurs. Depuis la fin du XIXe siècle, l’Etat soutient la colonisation agricole en distribuant des
terres aux colons français, suscitant le mécontentement des propriétaires tunisiens qui se sentaient
exclus de ce mouvement d’appropriation du sol.
La résistance à la colonisation n’a pas engendré, comme en Algérie ou au Maroc, de conflit armé
(mis à part les premiers mois de la colonisation). Mais dès la fin du XIXe siècle, un groupe de jeunes
intellectuels, qui se font appeler les Jeunes Tunisiens, le plus souvent issus du collège Sadiki (un
établissement secondaire créé avant la colonisation) et des institutions scolaires françaises,
prennent la parole pour demander une plus large participation de leurs compatriotes à la vie
politique du pays. Ils se regroupent dans des associations de type culturel comme la Khaldounyia
(1897) ou les Anciens du collège Sadiki, et défendent leurs positions dans la presse. Ils font
entendre leur voix au Congrès colonial de Marseille en 1906. Ils fondent ainsi un journal en 1907
qui exprime leurs revendications, Le Tunisien. Leur mouvement est toutefois réprimé en 1911,
après des manifestations durement châtiées par le pouvoir en place.
Après la Première Guerre mondiale, les questions politiques reviennent au-devant de la scène.
En 1919, le Cheikh Abdelaziz Thaalbi part pour la France où se tient la Conférence de la Paix. La
mission qu'il s'est fixée comporte un triple objectif : réclamer l'indépendance de la Tunisie en se
fondant sur le principe wilsonien du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes ; prendre de discrets
contacts avec les nationalistes arabes exilés ; faire connaître les revendications tunisiennes auprès
des milieux gouvernementaux et parlementaires français. Ces vœux s’expriment dans un pamphlet,
La Tunisie martyre. Ses revendications, rédigé par Abdelaziz Taalbi, et qui vaut à son auteur d’être
arrêté. Dans son texte, l’auteur réclame en effet l’indépendance pour son pays et une constitution.
C’est dans ce contexte qu’est créé en février 1920 le Destour ou parti libéral constitutionnel qui
reprend l’idée de constitution avancée par Thaalbi. En 1920, deux délégations sont envoyées à Paris
pour faire connaître les vœux des élites tunisiennes. La dernière est menée par Tahar Ben Ammar
en décembre 1920, (futur Premier ministre de la Tunisie qui négocia son autonomie). Elle remit le
texte présenté ci-dessus. Elle fut reçue par le Président du Conseil en exercice, Georges Leygues
qui prit en considération un certain nombre des revendications exprimées par les Tunisiens. Au
contraire du pamphlet d’A. Thaalbi, elles ne remettaient en effet nullement en question la
colonisation en son principe, portant essentiellement sur la revendication d’une meilleure
participation des Tunisiens à la vie politique, sociale et économique de leur pays.
Les délégations reçurent un donc certain écho de la part des autorités françaises qui dépêchèrent
en Tunisie un Résident général, Lucien Saint, réputé plus souple que son prédécesseur. L’état de
siège qui avait été instauré dans le pays une dizaine d’années plus tôt fut levé. Un ministère de la
Justice fut créé, attribué à un notable musulman. Quelques mois plus tard, la conférence
consultative fut remplacée par un grand conseil, formé de deux assemblées (l’une française, l’autre
tunisienne), dont les compétences restèrent toutefois étroites.
Mais au total, le système colonial ne fut en rien modifié. La revendication d’une véritable
constitution n’a pas été acceptée par les autorités coloniales. Le Destour renforça ses effectifs,
estimés à 45 000 adhérents en 1924. Il participa à la constitution du syndicat tunisien, la
Confédération générale tunisienne du travail, qui mena des actions à la fois sociales et nationales.
En 1934, une aile plus revendicative du parti, menée par Habib Bourguiba, se détacha du parti
pour devenir le Néo-Destour dont les revendications nationalistes étaient clairement affichées.
Place dans les programmes
166
Classes de 3e, de 1re et de Ter. S.
Questions
1/ Chercher dans la documentation le fonctionnement des institutions du protectorat de Tunisie.
2/ Quel type de régime politique demandent les membres de la délégation menée par Tahar ben
Ammar ?
3/ À quelles catégories de populations appartiennent les signataires ?
4/ Quelles comparaisons peut-on établir avec le mouvement national au Maroc et en Algérie ?
5/ Qui est Habib Bourguiba ?
Mots-clés
Protectorat, mouvement national, Tunisie, notables, scolarisation.
167
DOSSIER 5
VIVRE AUX COLONIES :
LA COMPLEXITE DES DYNAMIQUES SOCIALES
Aujourd’hui, les historiens insistent de plus en plus sur le vécu des acteurs en situation coloniale,
sur les « interstices » où ils évoluaient, sur les « marges de manœuvre » dont ils disposaient et, au
final, sur la profonde complexité de leurs expériences.
Vivre aux colonies, pour un « indigène » et plus encore pour un esclave, c’est vivre dans un
cadre de contraintes extrêmes. Pour autant, les possibilités d’évolution ne sont pas inexistantes : le
marronnage, l’affranchissement, le rachat, le métissage, la promotion sociale existent dans les
sociétés esclavagistes (doc. 1) qui, surtout à la fin du XVIIIe siècle, voient ainsi monter un groupe
particulièrement dynamique, celui des « Libres de couleur ». Ces derniers possèdent d’ailleurs eux
aussi des esclaves (doc. 3). Les relations maître-esclave sont parfois empreintes d’ambiguïté et, plus
encore lorsque qu’une tourmente révolutionnaire rebat les cartes politiques (doc. 2). La situation des
femmes est elle aussi parfois fluide, comme en atteste l’exemple de Suzanne Amomba Paillé,
également évoquée plus loin dans le dossier 6 (Femmes, métis, métissages).
De manière générale, des élites « indigènes » nouvelles ont émergé dans tous les territoires
colonisés, parfois au grand dam des membres des aristocraties anciennes (doc. 4). Parallèlement, les
élites traditionnelles ont pu être renforcées par le système colonial qui avait besoin des relais
autochtones.
LECTURES COMPLEMENTAIRES
 Frédéric REGENT, Esclavage, métissage, liberté, la Révolution française en Guadeloupe,
Grasset, 2004.
 Amadou HAMPATE BA, L’étrange destin de Wangrin ou les roueries d’un interprète
africain, 10/18, 1973 (roman).
 Mohammed HARBI, Une vie debout. Mémoires politiques (tome 1), La Découverte, 2001.
168
1 Ŕ ENSEMBLE DOCUMENTAIRE SUR SUZANNE AMOMBA PAILLE,
UNE ESCLAVE AFFRANCHIE DE GUYANE
(1re MOITIE DU XVIIIe SIECLE)
Présentation générale
Il existe peu de données personnelles concernant les libres dans les archives. En Guyane, il y
eut cependant une femme qui fit beaucoup parler d’elle. Alors même qu’elle ne savait ni lire ni
écrire, son histoire nous est connue par les nombreux courriers échangés entre les administrateurs et
la métropole à son sujet.
Esclave sur une habitation prospère de Guyane à l’extrême fin du XVIIe siècle, puis affranchie
par son mariage, Suzanne Amomba Paillé68 est née dans le dernier quart du XVIe siècle. Elle a
épousé en 1704, « Jean Paillé, soldat de la garnison et maître maçon, tailleur de pierre»69, avec
lequel elle va mettre en valeur une plantation (habitation) qui en trois décennies devient fort
prospère : six esclaves en 1707, soixante-sept, trente années plus tard. L’habitation produit les
cultures coloniales alors en usage en Guyane : cacao, indigo, café et rocou. Les époux Payé
possèdent trois pirogues, un colombier et une maison dans le bourg de Cayenne.
De sa naissance, nous ne savons rien. Mais un acte de mariage et un acte de sépulture
encadrent sa vie de femme. Le 29 juin 1704, en effet, le père Mousnier, curé de la paroisse SaintSauveur de Cayenne, reçoit « le consentement mutuel de mariage [...] après la publication des trois
bans et en présence des témoins soussignés de Jean Paillé, soldat de la garnison et maître maçon,
tailleur de pierre, natif du Pont Saint-Martin en Basse Marche et de Suzanne Amomba, négresse
libre »70.
C’est en 1755, le 28 janvier, que l’acte de sépulture de Suzanne Amomba Paillé est enregistré
par le père Ruel, curé de la paroisse Saint-Sauveur de Cayenne,. « Suzanne Amomba, veuve de Jean
Paillé, habitant de Macouria, âgée d’environ cent ans71, morte cette nuit dernière a été inhumée
dans l’église en la gallerie du côté de la Sainte-Vierge en présence des sieurs Lacoste et Brillouët
qui ont signé. Signé à l’original Brillouët, Lacoste et Ruel, jésuite»72.
68
Suzanne est son nom « colonial », celui de son baptême ; Amomba, son nom africain, ce qui laisse supposer qu’elle
est née dans le golfe de Guinée et qu’il s’agit d’une esclave « bossale » ; Paillé, son nom d’épouse. Ces trois noms
ponctuent le rythme géographique d’un destin exceptionnel.
69
Arch. dép. Guyane, 1 Mi 203, registres paroissiaux de Saint-Sauveur de Cayenne.
70
Id.
71
Selon le recensement de 1717, Suzanne Amomba était âgée en 1717 de 34 ans. Elle serait donc née vers 1683 et
décédée autour de sa soixante-douzième année. Le recensement de 1737 lui attribue l’âge de 64 ans... Elle serait alors
née vers 1673 et décédée autour de sa quatre-vingt deuxième année.
72
Arch. dép. Guyane, 1 Mi 203, registres paroissiaux de Saint Sauveur de Cayenne.
169
Une femme libre à la tête d’une grande exploitation
Donation par Suzanne Amomba, Négresse libre, veuve Paillé, en date du 30 avril 1748.
Par-devant nous, l’un des notaires royaux, […] fut présente en personne Suzanne Amomba, Négresse
libre, veuve de feu Jean Paillé, vivant habitant demeurant à Cayenne, rue des Cazernes, laquelle considérant
que elle ne savoit faire un meilleur usage [de ses biens] que de les employer à l’éducation des enfants de
cette colonie où, après avoir elle-même acquis la liberté le plus précieux de tous les biens, elle jouit encore
d’une fortune assez considérable. A par ces présentes fait donation entre vifs […] aux enfants de l’un et de
l’autre sexe pour leur bonne instruction et éducation, ce acceptant par Monsieur d’Orvilliers, […]
commandant à Cayenne, Monsieur Lemoyne […] ordonnateur de cette colonie […], d’une habitation sise au
quartier de Macouria plantée en rocou, circonstances et dépendances et généralement tous les biens meubles
et immeubles qui pourraient se trouver appartenir à ladite donatrice […] avec les esclaves ci-dénommés […].
Source : Arch. dép. Guyane, 1 Mi 242, naf 2577
Recueil de pièces concernant le petit collège de Cayenne
Une habitation prospère : « le Courbary »
Recensements
Esclaves
« Bestes à corne »
Production de « vivres » : - « Milh »
- Manioc
- Ignames
Cultures d’exportation : - Rocou
- Indigo
- Café
- Cacao
Armes :
- Sabre
- Fusil
Maison à Cayenne
1709
6
1
oui
oui
oui
1
-
1711
10
3
oui
oui
oui
oui
1
3
-
1717
16
5
?
?
?
oui
oui
1
2
1
1737
67
46
oui
oui
oui
oui
oui
oui
oui
1
2
1
Une fortune très convoitée
Jacques François Artur, médecin du roi dans la colonie, raconte ainsi ce qu’il advint de la propriété
de Suzanne Amomba Paillé :
Le 30 avril 1748, la nommée Amomba, négresse libre, veuve Paillé, qui se trouvait un bien
considérable, attirait l’attention des hérédipettes de la colonie. Plusieurs s’étaient déjà appropriés, de manière
ou d’autre, une bonne partie de son bien. D’autres visaient à lui faire faire en leur faveur une donation entre
vifs, de tout le reste. Enfin elle paraissait décidée en faveur de M. de L’Isle Adam à qui elle allait faire cette
donation : on l’en détourna ; et le 30 avril de cette année 1748, elle fit cette donation aux enfants de l’un et
l’autre sexes de la colonie, pour être employée à l’établissement de deux écoles pour leur éducation».
170
Source : Bibl. nat. de France, naf 2572.
Une colonie faiblement peuplée : la Guyane entre 1704 et 1739
Années
Blancs
% Total
Esclaves
% Total
Libres
% Total Population totale
1704
264
17.5
1215
82
5
0.5
1484
1714
367
13
2488
86.5
11
0.5
2866
1716
296
10
2637
89
28
1
2961
1720
388
12
2774
87
32
1
3194
1733
468
9.5
4303
90
20
0.5
4791
1737
475
10
4297
89.5
33
0.5
4805
1739
566
10.5
4653
88.5
44
1
5263
Source : Archives nationales, Archives nationales d’Outre-Mer (ANOM), série C14.
N.B : Les Amérindiens ne sont pas compris, sauf dans la population servile.
Les affranchis dans la société guyanaise
Code Noir de 1685
Article 57
Déclarons leurs affranchissements faits dans nos îles, leur tenir lieu de naissance dans nos dites îles
et les esclaves affranchis n'avoir besoin de nos lettres de naturalité pour jouir des avantages de nos
sujets naturels de notre royauté, terres et pays de notre obéissance, encore qu'ils soient nés dans les
pays étrangers.
Article 58
Commandons aux affranchis de porter un respect singulier à leurs anciens maîtres, à leurs veuves et
à leurs enfants, en sorte que l'injure qu'ils leur auront faite soit punie plus grièvement que si elle
était faite à une autre personne: les déclarons toutefois francs et quittes envers eux de toutes autres
charges, services et droits utiles que leurs anciens maîtres voudraient prétendre tant sur leurs
personnes que sur leurs biens et successions en qualité de patrons.
Article 59
Octroyons aux affranchis les mêmes droits, privilèges et immunités dont jouissent les personnes
nées libres; voulons que le mérite d'une liberté acquise produise en eux, tant pour leurs personnes
que pour leurs biens, les mêmes effets que le bonheur de la liberté naturelle cause à nos autres
sujets.
Source : Moreau de Saint-Méry,
Lois et constitutions des colonies françaises de l’Amérique sous le Vent de 1550 à 1785
Paris, 1774
Dispositions diverses de 1733
Tout habitant de sang-mêlé ne pourra exercer aucune charge dans la judicature. […]
171
Tout habitant qui se mariera avec une négresse ou mulâtresse ne pourra être officier, ni
posséder aucun emploi dans les colonies.
Source : Moreau de Saint-Méry,
Lois et constitutions des colonies françaises de l’Amérique sous le Vent de 1550 à 1785
Paris, 1774
La première colonisation en Guyane française
1604
Les premiers Français abordent la côte guyanaise.
1664
Début d’une véritable implantation française : premières « habitations » et
premiers esclaves. Fondation de la ville de Cayenne.
1749
Révolte des esclaves en Guyane. Un grand nombre d'entre eux s'enfuient et
s'installent dans la forêt : c'est le marronnage.
1763
Expédition de Kourou EX "Kourou ou Courou ou Caourou" ou essai de
colonisation blanche, c'est-à-dire sans apport de main d'œuvre servile. C’est un
échec : l'impéritie des responsables de l'expédition, une mauvaise organisation,
la saison des pluies favorisent le développement des maladies, provoquant la
mort de plus de sept mille personnes.
1787
À la veille de la Révolution, la colonie compte 1 300 blancs, 10 400 esclaves et
483 noirs libres. Les Amérindiens ne sont pas dénombrés.
172
Pistes de travail
 Contexte géographique : localisation de la Guyane, de Macouria (carte)
- Sur la carte 1, indiquer par un repérage de couleur la Guyane française, le Brésil et le Surinam.
- Sur la carte 2, écrire le nom des fleuves (Oyapock, Approuague, Kourou, Mroni) et celui du bourg
de Cayenne. Reporter l’emplacement de l’habitation des époux Paillé.
Amérique du Sud (carte 1)
La Guyane française (carte 2)
 Contexte démographique
- Montrer sous forme d’un graphique l’évolution de la population de la Guyane entre 1704 et 1739.
- Réaliser la carte d’identité des différentes cultures pratiquées sur l’habitation « Courbary »
(dictionnaire, encyclopédies).
- Quels sont les éléments montrant qu’il s’agit d’une habitation prospère ? Comment cette habitation
a-t-elle évoluée entre 1704 et 1737 ?
- Que sait-on du mari de Suzanne Amomba ? Que se passe-t-il à sa mort ?
- Quels sont les éléments qui montrent que a) Suzanne est devenue une personne importante de la
173
colonie et b) qu’elle n’est cependant pas réellement acceptée par l’élite de la société coloniale.
- À quels épisodes de sa vie correspondent les trois éléments de son nom (Suzanne Amomba
Paillé) ?
- Qu’est-ce que le Code Noir ? Quels sont les articles concernant les affranchis ? Que disent-ils ?
Mots-clés
Esclavage / première colonisation / femme / affranchissement / habitation / recensement / Guyane /
Code noir
Pistes d’exploitation possibles
2e : module sur l’application du Code Noir
174
2 Ŕ LETTRE DU COMTE DE NOE
A TOUSSAINT LOUVERTURE (1799)
Londres, 6 avril 1799
Ce que je viens d’apprendre, mon cher Toussaint, des services que vous avez rendus au Sieur
Bayon, notre ancien procureur, me confirme dans l’opinion que j’avais déjà conçue de vous, sur les
derniers actes publics de votre conduite. Cela me prouve également que vous n’avez pas [oublié]73
ceux auxquels vous avez été attaché pendant tant d’années. Tous ces motifs me font penser avec
confiance, que vous trouverez le même plaisir à m’être utile du moment que je vous aurai fait
connaître la position malheureuse dans laquelle les malheurs de la Révolution m’ont réduit, en me
dépouillant d’une grande fortune et me réduisant à la misère, et à manquer de tout dans un âge
avancé. Sans cette affreuse révolution, mon intention était d’aller avec mes enfants, finir mes jours
paisiblement sur mes habitations, où ma plus grande jouissance aurait été de rendre heureux tous
ceux qui dépendaient de moi, comme vous savez bien que moi et mes parents, nous l’avons fait
pendant notre séjour dans la colonie. Mais hélas ! je crains bien que ce plan ne puisse jamais
s’exécuter ; cependant il pourrait encore avoir lieu ; si, comme j’aime à me le persuader, vous
voulez employer votre pouvoir, et vos moyens au Rétablissement de mes habitations, et de celles de
mes parents, que vous avez connus, et me faire passer dans ce pays-ci où je réside actuellement, des
secours qui sont nécessaires à ma subsistance, et à la conservation de ma vie, et de celle de mes
enfants.
Adieu ! mon cher Toussaint, votre réponse que j’attendrai avec une impatience égale à mes
besoins me confirmera, j’en suis convaincu, dans la bonne opinion que j’ai de vous, et me prouvera
que j’avais raison, ainsi que mes parents, de vous avoir donné notre confiance, de même qu’au bon
Nègre Blaise, et à quelques autres bons sujets, qui avaient été attachés à mes père et mère, et à toute
ma famille.
Le comte de Noé
P.S. : Les enfants de ma sœur, la Comtesse de Polastron, ainsi que mon cousin le Comte de
Butler, anciens propriétaires des habitations Bréda, sont dans la même position malheureuse que
moi, étant également dépouillés de leur fortune. Le comte de Butler, qui vous a connu à SaintDomingue, ne vous écrit pas, sachant que je le fais.
Votre réponse pourra me parvenir sûrement si vous la faites passer par la même voie par
laquelle je vous envoie cette lettre.
Comme je suis bien convaincu, mon cher Toussaint, que vous arrivez à mon secours en me
faisant passer des fonds, soit en sucre ou en argent et je joins à ma lettre, l’adresse d’une maison de
commerce établie à la Jamaïque, à laquelle vous pourrez adresser les objets que vous me ferez
passer, et qui me seront envoyés avec exactitude.
Boble and Jopp
Kingston
Jamaïque74
Source : Archives publiques britanniques, Kew, Public Record Office, CO 137/50.
Présentation du document
73
Le mot manque dans l’original.
On lit aussi la mention « 8 April 1999 Jamaica » rajoutée en quatrième feuille du document. David Geggus est le
premier historien à avoir signalé l’existence de cette lettre (voir “Toussaint Louverture and the Slaves of the Bréda
Plantations”, Journal of Carribean History, vol. 20, 1985-86, p. 267).
74
175
Ce document est la copie d’une lettre écrite en 1799 par le comte de Noé à « l’homme qui
monte » à Saint-Domingue, Toussaint Louverture, que le comte de Noé avait connu lors de son
séjour dans l’île de 1769 à 1775, puisqu’il ne s’agit autre que d’un ancien esclave de la sucrerie
Bréda du Haut-du-Cap appartenant à son oncle Pantaléon II de Bréda. Cette copie est conservée aux
archives britanniques du Public Record Office, du fait que le comte de Noé était, à cette époque,
émigré en Angleterre. Privé de ressources, ses réserves ont fondu et, apprenant que l’ancien esclave
de Bréda qu’il a connu autrefois étendait sa domination sur Saint-Domingue, il lui écrit pour lui
demander du secours.
Qu’un ancien maître, aristocrate émigré et désargenté, écrive à un ancien esclave, cela parait le
monde à l’envers. C’est pourtant ce qui s’est passé en avril 1799 quand le comte de Noé, grand
propriétaire de Saint-Domingue, demande de l’aide à « l’homme qui monte » dans la grande île,
Toussaint Louverture.
Au-delà de ce cas particulier, l’histoire retrouve nombre de cas de « Libres de couleur », anciens
esclaves ou descendants directs, dont le rôle économique va croissant dans la société antillaise tout
au long du XVIIIe siècle. Reproduisant le modèle colonial, ils sont à leur tour propriétaires
d’esclaves Ŕ qu’ils vendent ou louent Ŕ et font leurs affaires (artisans, commerçants, propriétaires
terriens). C’est dans cette catégorie de population que vont se recruter les cadres de la nation
haïtienne en devenir.
Analyse
Le ton est à la fois familier (« mon cher Toussaint », signe d’une relation ancienne, solide et
authentique) et déferrent, car il s’agit de demander de l’aide à un individu que son ascension
politique pouvait rendre « chatouilleux ». Noé fait allusion à l’aide que Toussaint Louverture a
apporté à Bayon de Libertat, l’ancien procureur des habitations Bréda et de la sucrerie du comte à
l’Acul-du-Nord : il s’agit plus précisément du processus d’encouragement au retour d’anciens
colons, le nouveau maître de Saint-Domingue souhaitant leur rétablissement dans l’île pour relancer
l’économie des cultures d’exportation, sucre et café notamment. Bayon est donc revenu sur sa
sucrerie au Limbé, et relance la production. Ce genre d’information ne pouvait échapper au comte,
qui demande à l’ancien esclave le « rétablissement » (entendre : la relance) de ses domaines. Et, en
attendant, de lui faire parvenir soit de l’argent, soit des barriques de sucre à vendre sur le marché
londonien. Le comte en rajoute sur la corde sensible en faisant allusion à un souhait bien
hypothétique de venir finir ses jours dans son île natale (son attitude de grand seigneur à L’Isle-deNoé ne le confirme pas du tout). Il fait également allusion à un service qu’il avait rendu autrefois à
l’ex-esclave, mais comment interpréter cette phrase « j’avais raison de vous avoir donné notre
confiance » ? Il s’agit probablement de l’affranchissement de l’esclave Toussaint, devenu Toussaint
Bréda. Le comte en a-t-il pris la décision, est-il intervenu conjointement avec le procureur Bayon de
Libertat pour que l’oncle Bréda accepte l’affranchissement d’un esclave méritant, dont la tradition
fait un cocher de Bayon ? La lettre malheureusement ne dit rien d’explicite à ce sujet mais sousentend une relation importante entre les trois hommes du fait de cet affranchissement. L’allusion au
« bon nègre Blaise », Blaise Bréda, un Arada (venant du sud du Bénin actuel) comme le père de
Toussaint, affranchi avant 1770, ajoute à la familiarité (Blaise Bréda avait été le cuisinier du comte
durant son séjour), ce n’est évidemment pas une allusion gratuite.
On n’a pas la preuve formelle, mais il semble bien que le souhait du comte de recevoir des
secours ait été exaucé, c’est du moins le souvenir qu’en a gardé la tradition familiale chez les Noé.
Cette lettre, exceptionnel document, illustre la complexité des rapports entre anciens maîtres et
anciens esclaves, que l’on aurait tort d’analyser de façon trop manichéenne.
Mots-clés : Toussaint Louverture, esclave, Révolution française
176
Pistes d’exploitation possibles
2e : module sur la Révolution française aux Amériques
Relations avec autres disciplines :
Français (textes sur la condition des esclaves, la relation maître-serviteur)
177
3 Ŕ LA LOCATION D’UN ESCLAVE
PAR UN « LIBRE DE COULEUR » (1778)
Par devant les notaires du roi au Cap-Français, île et côte de Saint-Domingue, soussignés
Fut présent Blaise dit Bréda, nègre libre demeurant en cette paroisse Notre-Dame de l’Assomption,
au nom et comme tuteur du nommé Nicolas, mulâtre libre, autorisé par justice à affermer amiablement le
nègre appartenant audit mineur, ainsi qu’il résulte de l’ordonnance de M. le Sénéchal, juge royal de cette
ville du 26 mai 1768
Lequel en sa qualité a par ce présenté, loué et affermé à titre de bail à ferme à prix d’argent pour le
temps et l’espace de trois années entières et consécutives qui commenceront à courir de ce jour pour finir à
pareil de l’année 1781 et promet faire jouir ledit temps exempt de tous troubles et empêchement quelconque
Au nommé Matthieu Blaise, nègre libre, maçon, demeurant en cette ville susdite paroisse à ce
présent et acceptant preneur pour lui et les siens, un nègre nommé Mars, de nation Congo, âgé d’environ
vingt-deux ans, étampé sur le sein droit N.las Monteuil, estimé amiablement entre les parties mil sept cents
livres, lequel nègre le preneur a déclaré parfaitement connaître pour l’avoir vu et visité, en être content et
satisfait et s’en reconnaît en possession pour par lui en jouir et user aux charges claires et conditions qui
suivent.
Le présent bail est fait à la charge par ledit preneur qui s’y oblige de jouir dudit nègre en bon père de
famille, de le loger, nourrir, vêtir, traiter et médicamenter tant en santé qu’en maladie, de répondre de sa mort
naturelle, accidentelle et marronnage sur le prix de l’estimation ci-dessus, de payer tout droit imposé et à
supposer sur icelui, et fournir caution et certificateur tant pour l’exécution du présent bail que pour le prix
dudit nègre dans le cas où il viendrait à décéder avant l’expiration du présent [acte] qui est en outre fait pour
la somme de deux cents livres pour chacune desdites trois années, que le preneur promet et s’oblige payer au
bailleur en sa qualité ou au porteur de ses ordres en quatre termes et paiements égaux de l’année, de trois en
trois mois à peine de tous dépens dommages et intérêts
Nonobstant lequel terme, le bailleur en sa qualité reconnaît que le preneur, par anticipation à iceux,
lui a payé la somme de deux cents livres montant de la première année du bail dont il le quitte et décharge
À ce faire étaient présent et sont intervenus les nommé Ignace Pompée Guesquin et Pierre Chiquet,
tous deux nègres libres, maçons, demeurant en cette ville susdite paroisse, lesquels après avoir pris
communication et que lecture leur a été faite du bail ci-dessus, ont déclaré savoir ledit Ignace Pompée
Guesquin et se rendre et constituer caution pleine et répondant dudit Matthieu Blaise, et ledit Pierre Chiquet
certificateur de la solvabilité dudit Guesquin lesquels ont promis et se sont obligés solidairement avec ledit
Matthieu Blaise, les uns pour les autres (…) pour le tout sous les renonciations aux exceptions et bénéfices
de droit de remplir et exécuter toutes les charges clauses et conditions du présent bail et d’en payer le
fermage aux termes ci énoncés et le prix du nègre en formant l’objet dans le cas ci-désigné, sous l’obligation
et hypothèque de tous leurs biens meubles et immeubles présents et à venir, et sous les mêmes obligations
ledit Matthieu Blaise a promis et s’est obligé de relever, garantir et indemniser lesdits Guesquin et Chiquet
des charges du présent cautionnement, à l’entière exécution du présent, les parties sont chacune à leur égard
obligé, affecté et hypothéqué généralement tous leurs biens meubles et immeubles présents et à venir
promettant et obligeant et renonçant, etc.
Fait et passé au Cap en l’étude l’an mil sept cent soixante-dix huit, le six juillet avant midi, et a ledit
Chiquet signé ces présentes pour double minute en vertu de l’édit du roi et lesdits Blaise Bréda, Matthieu
Blaise et Ignace Pompée Guesquin déclaré ne savoir écrire ni signer de ce requis suivant l’ordonnance
Signatures : Chiquet, Ellu, Tach, Bordier Jeune
Source : Archives Nationales d’Outre-Mer, Dépôt des Papiers Publics des Colonies,
notSdom (notaires de Saint-Domingue), reg. 174 (Me Jean-François Bordier Jeune)
Présentation du document
Il s’agit d’un acte notarié daté du 6 juillet 1778, issu du registre des doubles minutes de M e JeanFrançois Bordier Jeune, notaire au Cap-Français, qui traitait nombre d’affaires de « libres de
178
couleur ». En l’occurrence, il s’agit d’une location d’esclave pour trois ans. On pouvait louer un
esclave, de la même manière qu’un logement. Les registres des notaires des colonies d’Ancien
Régime sont aujourd’hui consultables aux Archives Nationales d’Outre-Mer d’Aix-en-Provence. Ce
fonds fait partie du Dépôt des Papiers Publics des Colonies (institué par le pouvoir royal en 1776.
Avant cette date, le dépôt d’un double des actes notariés en métropole était fort aléatoire).
Analyse
Tout acte de vente ou de location d’esclave s’effectuait devant notaire (ainsi que les
affranchissements), de façon à en confirmer le caractère officiel pour éviter toute contestation
ultérieure. Dans le cas des affranchissements, certains se faisaient tacitement (on appelait cela la
« liberté de savane »), ce qui permettait au maître de ne pas payer la taxe afférente, au montant
élevé et donc dissuasif, mais alors, dans les faits, l’esclave affranchi n’était libre qu’à l’intérieur du
périmètre de l’habitation dont il dépendait auparavant.
Les protagonistes dans le document présenté sont des « libres de couleur », Noirs ou Mulâtres
devenus libres soit par affranchissement, soit par naissance. Ces personnes, évoluant dans un milieu
esclavagiste, reproduisent elles aussi le modèle colonial dans lequel elles évoluent. Il ne faut donc
pas être surpris de voir d’anciens esclaves faire commerce d’esclaves ou en louer, et en affranchir.
L’affaire précise implique Blaise Bréda, ancien esclave de l’habitation Bréda du Haut-du-Cap,
ancien cuisinier du comte de Noé durant son séjour dans l’île (de 1769 à 1775), homme dont la
réputation, le conseil et la sagesse semblent avoir été appréciés de son milieu des « libres de
couleur ». Il est présentement tuteur d’un certain Nicolas Monteuil, « mulâtre libre » non émancipé,
mais propriétaire d’un esclave bossale (importé d’Afrique), un certain Mars de nation Congo,
présumé âgé de 22 ans et marqué au fer « N.las Monteuil » pour bien en préciser la propriété. Cet
esclave est loué pour trois ans à un « libre de couleur » exerçant la profession de maçon, Matthieu
Blaise (probablement pour travailler sur des chantiers de construction).
Comme il se doit, la procédure précise que, conformément au Code Noir, le locataire doit veiller
à l’entretien de l’esclave. Les baux sont précisés, au même titre que s’il s’agissait de louer un
logement. L’opération se fait devant témoins Ŕ également « libres de couleur » et maçons de
profession Ŕ pouvant se porter caution (Ignace Pompée).
Les « libres de couleur » exerçaient en ville des professions de commerçant, ou d’artisans (le
bâtiment étant un secteur particulièrement actif). Dans les terres, on les voit devenir propriétaires de
caféières et concurrencer sérieusement les « petits Blancs » arrivés en nombre dans les années 1770
attirés par l’Eldorado américain (les revenus du café faisaient chavirer nombre de têtes). À la veille
de la Révolution, ces « libres de couleurs » sont de l’ordre de 40 000 personnes, davantage que les
Bancs (30 000).
Mots-clés : esclave, libre de couleur, notaire, Code Noir
Pistes d’exploitation possibles
2e : module sur l’application du Code Noir
Relations avec autres disciplines
Français (textes sur la condition des esclaves, relations maître-valet)
179
4 – ÉCOLE COLONIALE ET MUTATIONS SOCIALES
e
EN A.O.F. AU DEBUT DU XX SIECLE
Alors que je coulais des jours heureux entre l’école coranique, mon frère et mes camarades
d’association75, survint un élément qui allait marquer un tournant majeur dans ma vie. (…) voilà que
l’on m’arrache brutalement à mes occupations traditionnelles, qui m’auraient sans doute dirigé vers
une carrière classique de marabout-enseignant, pour m’envoyer d’office à « l’école des Blancs »,
alors considérée par la masse musulmane comme la voie la plus directe pour aller en enfer !
À l’époque, les commandants de cercle avaient trois secteurs à alimenter par le biais de l’école :
le secteur public (enseignants, fonctionnaires, subalternes de l’administration coloniale, médecins
auxiliaires, etc.) où allaient les meilleurs élèves ; le secteur militaire, car on souhaitait que les
tirailleurs, spahis et goumiers aient une connaissance de base du français ; enfin le secteur
domestique, qui héritait des élèves les moins doués. Le quota annuel à fournir pour les deux
premiers secteurs était fixé par le gouverneur du territoire ; les commandants de cercle exécutaient
la « commande » en indiquant aux chefs de canton et aux chefs traditionnels combien d’enfants il
fallait réquisitionner pour l’école.
C’est ainsi qu’un beau jour de l’année 1912, vers les deux tiers de l’année scolaire, le
commandant de cercle de Bandiagara Camille Maillet donna ordre au chef traditionnel de la ville,
Alfa Maki Tall, fils de l’ancien roi Aguibou Tall, de lui fournir deux garçons de bonne famille, âgés
de moins de dix-huit ans, pour compléter l’effectif de l’école primaire de Bandiagara. (Victimes
d’une vengeance de Koniba Kondala, chef de quartier nommé par les Français, Amkoullel 76 et son
frère Hammadoun sont sélectionnés. Koniba Kondala vient les chercher).
- Où nous emmènes-tu ? osa demander Hammadoun.
- Là où vous méritez d’aller, à la porcherie des toubabs77 ! Vous y serez transformés en
pourceaux, ou mieux encore, en petits fagots destinés à alimenter les feux de l’enfer !
(On emmène ensuite Amkoullel chez le commandant de cercle. Un interprète traduit à l’enfant,
qui ne parle pas français, ce que dit le commandant).
- Veux-tu aller à l’école pour apprendre à lire, à écrire et à parler le français, qui est une langue
de chef, une langue qui fait acquérir pouvoir et richesse ?
Je réponds avec force : « Oui, papa commandant ! Et je t’en conjure par Dieu et son prophète
Mohammad, ne me renvoie pas, garde-moi et envoie-moi à ton école le plus vite possible ! »
Visiblement, le commandant est interloqué par une réponse aussi inattendue de la part d’un petit
nègre, surtout dans cette région très musulmane. (…)
- Pourquoi, mon petit, tiens-tu tellement à aller à l’école, contrairement à tous les enfants de
Bandiagara ?
- Interprète, dis au commandant que j’ai manqué deux fois l’occasion d’être chef78 (…). Le
commandant me donne une troisième chance de devenir chef, je ne voudrais pas la rater comme j’ai
raté les deux premières!
- Et pourquoi veux-tu devenir chef ? Que feras-tu après ? demanda le commandant.
- D’abord, je veux apprendre la langue du commandant pour pouvoir parler directement avec lui,
sans passer par un interprète. Ensuite, je voudrais devenir chef pour pouvoir casser la figure à
Koniba Kondala, cet ancien captif de mes ancêtres qui se permet, parce qu’il est envoyé par le
commandant, de couvrir d’insultes toute ma famille. (…)
75
De famille aristocratique, Hampaté Bâ était alors à la tête d’une association de classe d’âge qui regroupait tous les
garçons de 12 ans de son quartier.
76
Surnom d’A. Hampâté Bâ lorsqu’il était enfant.
77
Mot wolof signifiant « Blanc ».
78
À deux reprises, avec la mort de son père et la disgrâce de son beau-père lors de la conquête française, le jeune
Hampâté Bâ a été éloigné du pouvoir dont il aurait dû normalement hériter.
180
(Amkoullel est amené à l’école où il intègre la classe de M. Haïdara, moniteur de l’enseignement
indigène).
Le maître se leva et nous conduisit au dernier rang de la classe. Il me fit asseoir à l’avantdernière place et Madani à la dernière, en nous demandant de tenir nos bras sagement croisés sur la
table. Pourquoi m’avait-on placé avant Madani, qui était le fils du chef du pays, et pourquoi Daye
Konaré, l’un de ses captifs, était-il assis au premier rang ? Peut-être était-ce une erreur ? Après
un moment, je me levai pour céder ma place à Madani et m’installai à la sienne.
- Qui vous a permis de changer de place ? s’écria le maître en bambara. (…)
- Madani est mon prince, monsieur. Je ne peux pas me mettre devant lui.
- Ici, c’est moi qui désigne les places, on ne les choisit pas. Tu m’entends ?
- J’entends, monsieur.
- Reprenez les places que je vous ai données. Ici, il n’y a ni princes ni sujets. Il faut laisser tout cela
derrière vous, derrière la rivière.
Source : Amadou Hampâté Bâ
Amkoullel, l’enfant peul. Mémoires, Actes Sud, 1992, p. 307 sq.
Mots-clés
colonisation française, AOF, justice coloniale, régime de l’indigénat, ordre colonial, statut des
colonisés.
Place dans les programmes
Classes de 4e, de 1ère et de Ter.S.
Thématiques
-
Réflexion sur les transformations sociales induites par la colonisation – et notamment via
l’école – qui transforme profondément les hiérarchies traditionnelles.
-
Réflexion sur les formes d’adaptation des colonisés à la nouvelle donne.
Pistes de travail possibles
 Découverte de la société dans laquelle a grandi le jeune Amkoullel, né dans un milieu aisé
et aristocratique
- Localiser la ville de Bandiagara sur une carte du Mali actuel.
- L’enfant était-t-il non scolarisé dans le système traditionnel ? Que devine-t-on du milieu où a
grandi le narrateur (quel est son milieu social, ses activités culturelles, sa religion, etc.) ?
Qu’est-ce qu’une « association de classe d’âge » ? Quelle aurait probablement été sa trajectoire
professionnelle s’il n’y avait pas eu la conquête française ? La colonisation a-t-elle
complètement balayé les hiérarchies traditionnelles à Bandiagara? Qui sont les différents
« chefs » dont parle le texte ?
 Travail sur l’enseignement colonial
- Relever dans le document toutes les informations pertinentes concernant l’école coloniale.
Quelle langue d’enseignement ? Qu’est-ce qu’un « moniteur de l’enseignement indigène » ?
181
Quels sont les objectifs principaux de l’école coloniale, d’après ce texte ?
- L’école est-elle un choix pour les habitants de Bandiagara en 1912 ? Quelles sont leurs
inquiétudes face à l’enseignement français ?
182
DOSSIER 6
FEMMES, METIS, METISSAGES
Sous l’impulsion de l’histoire des femmes et de l’histoire du genre, les historiens ont
progressivement découvert que les femmes n’avaient pas été affectées par l’esclavage et la
colonisation au même titre, et selon les mêmes modalités, que les hommes. La promiscuité sexuelle
imposée par le maître de plantation ou le commandant de cercle, la naissance d’enfants métis ont
ainsi été le lot de nombreuses colonisées, modifiant le cours de leur vie de façon parfois
spectaculaire et brutale. À l’inverse, le relatif dédain des colonisateurs pour les femmes, dans
l’Afrique coloniale par exemple, les a soustraites à un certain nombre de taxes, corvées et
contraintes qui ont pesé systématiquement sur les seuls hommes. Et plus généralement, comme l’a
montré l’ouvrage collectif dirigé par Anne Hugon (Les femmes en situation coloniale, Karthala,
200), les rapports sociaux de sexe ont été, au sein des sociétés indigènes, profondément modifiés
par la présence coloniale : recul des systèmes d’héritage matrilinéaires, contrôle étroit des
migrations féminines, mais aussi parfois émancipation par l’école et éventuelle protection par des
institutions coloniales (mission, tribunaux, etc.). On le voit, là encore, la complexité et la pluralité
des expériences sont manifestes (doc. 1, 2 et 3).
La question des métis a également beaucoup intéressé les chercheurs Ŕ mais aussi les écrivains
« postcoloniaux » Ŕ ces dernières années. Situés dans un inconfortable entre-deux, suscitant souvent
le trouble auprès des autorités (voir ouvrage d’Emmanuelle Saada), objets de placement forcé dans
des orphelinats (alors même que leurs parents étaient vivants !) ou dans des institutions spécifiques,
la « question métisse » est un des révélateurs des contradictions des sociétés coloniales.
Nous avons choisi de privilégier, dans ce dossier, une approche interdisciplinaire. Nous avons
proposé deux modules documentaires utilisables plus spécifiquement, par les professeurs de Lettres
(doc. 4 et 5).
LECTURES COMPLEMENTAIRES
 Catherine COQUERY-VIDROVITCH, Les Africaines. Histoire des femmes d'Afrique noire du
e
e
XIX au XX siècle, Desjonquères, 1999.
 Anne HUGON (dir.), Histoire des femmes en situation coloniale, Afrique, Asie, XIXe – XXe
siècles, Karthala, 2004.
 Emmanuelle SAADA, Les Enfants de la colonie. Les Métis de l’Empire français entre
sujétion et citoyenneté, La Découverte, 2007.
183
1 Ŕ ENSEMBLE DOCUMENTAIRE :
UNE FAMILLE METISSEE DANS LA GUYANE DU XVIIe SIECLE
Présentation générale
Le métissage, une réalité dès l’arrivée des premiers esclaves en territoire colonial, prend parfois
une couleur légale dans les premiers temps de la colonisation, les unions mixtes étant tolérées par
l’administration coloniale jusqu’au début du XVIIIe siècle. Par la suite, ces mariages ne sont plus
autorisés.
Cependant, avec l’augmentation du nombre d’esclaves et de colons, le métissage se développe
dans le cadre d’un concubinage de fait. Les enfants nés de ces unions sont parfois affranchis et vont
former l’essentiel de la population « libre de couleur » de la colonie. Celle-ci, bien qu’en
augmentation tout au long du siècle reste cependant infime rapportée à la population servile et à
celle des colons blancs.
Le groupe des libres commence à émerger vers 1740 et, à la veille de la Révolution79, les
colons des quatre colonies commencent à se sentir menacés : 1 libre pour 3 Blancs en Guyane, 1
pour 2 en Martinique, 1 pour 4 en Guadeloupe, 1 pour 1 à Saint-Domingue.
doc A. Une famille métissée en Guyane au XVIIIe siècle : les Tirel
L’arbre généalogique de cette famille fait apparaître les principales composantes de la société
coloniale guyanaise à l’époque moderne : parmi les membres de cette famille, on trouve des
Européens, des Amérindiens, des Africains esclaves et affranchis, un flibustier ou un soldat, des
mères célibataires, un déserteur… Métissage biologique, culturel, social, économique.
Leur histoire en Guyane commence à la fin du XVIIe siècle. Vers 1679, Jean Tirel, dit Le Malouin
(il s’agit soit d’un ancien soldat, soit d’un marin/pirate), a épousé Marguerite, une Amérindienne. Il
est âgé d’une trentaine d’années, elle est encore une toute jeune fille d’une quinzaine d’années. Six
enfants au moins naîtront de cette union.
En 1685, son habitation compte dix esclaves africains et amérindiens ; il y cultive «des vivres».
À sa mort, en 1690, il est inhumé dans le cimetière « côté de l’Evangile », signe d'une certaine
79
Dès les années 1760-1770 à Saint-Domingue, voire dès le début du siècle à La Martinique, selon Yvan Debbasch.
184
reconnaissance sociale.
Un quart de siècle plus tard (1709), un des fils, également prénommé Jean, a repris l’habitation
familiale qui n’a guère prospéré (un seul esclave) Avec lui vivent sa mère, sa sœur et une « bâtarde
de la sœur »80. Il est propriétaire d’une « maison dans le bourg ». En 1717, il cultive le rocou. En
1737, du cacao (70 hectares environ). À cette date, il a trois esclaves. Son habitation dite
« Lespagnol » est alors située à Montsinnéry. Jean Tirel a épousé en 1720 Louison, « négresse
libre créole, fille de feu Jean Burgo, dit Mercier, habitant ». Sa mère, Marguerite était une esclave
affranchie par son mariage en 1697 avec le sieur Mercier dont elle avait déjà trois enfants. Peut-on
parler d’hérédité en matière de métissage ? Une certaine ascension sociale est marquée dans le
choix du parrain des enfants : s’il s’agit pour la première génération de la grand-mère, et des aînés
pour les plus jeunes, à la génération suivante, officiers de garnison, capitaine de navire marchand et
femmes d’habitants ont été sollicités. Pierre Drouillard, un des petits-fils, aura pour parrain en 1715
le gouverneur de la colonie.
Une petite-fille de Jean Tirel, Marie Drouillard, décédée en 1714 à l’âge de 10 ans, est enterrée
comme son aïeul dans l’église, sépulture réservée aux notables.
Source : Marie Polderman, La Guyane française 1676-1763 :
mise en place et évolution de la société coloniale, tensions et métissages
Doctorat de l’université de Toulouse-II (2002)
Cayenne, Ibis Rouge éditions, 2004, 721 p.
doc B. Célibat et pauvreté des habitants en Guyane 1717-1737
1717
Les
1737
Esclaves
> 100
Plantations
6
Célibataires
1
Plantations
5
Célibataires
1
50 -100
10
1
17
3
10 - 50
44
2
83
10
1 - 10
59
10
62
18
Sans
esclaves
TOTAL
14
7
33
22
133
21
200
53
femmes européennes sont en nombre nettement moins important que les hommes européens : le
rapport moyen est de trois femmes pour quatre hommes
Source (tableau et citation) : Marie Polderman, idem.
80
Dans la génération suivante, deux autres enfants illégitimes sont signalés chez les Tirel En 1745, naît Pierre Tirel, fils
« d’un père inconnu et de Madeleine Tirel, mulâtresse libre ». Madeleine épouse l’année suivante Jean-Baptiste
Timoutou, « Indien libre nourague de nation ». En 1746, Marie Claudine, fille naturelle de Marie Tirel, voit le jour.
185
c. Mariage et métissage
Les registres paroissiaux de l'église Saint-Sauveur de Cayenne témoignent de mariages entre
blancs et esclaves à la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe. Au début du XVIIIe siècle, ces
mariages sont peu à peu interdits dans les colonies françaises d'Amérique : dès 1711 à la
Guadeloupe, en 1724 pour la Louisiane : « Défendons à nos sujets blancs de l'un et l'autre sexe de
contracter mariage avec les Noirs […], et à tous curés, prêtres ou missionnaires […] de les
marier ». Le décret de 1741 confirme cette interdiction en Guyane : « L’intention de Sa Majesté
n’est point de permettre le mélange de sang des habitants de la colonie de Cayenne avec celui des
Nègres ».
Néanmoins, le 9 novembre 1695, le père François Guyard, curé de la paroisse, écrit : « J'ai
reçu le consentement mutuel de mariage, fait en face d'Église, entre Nicolas Raison dit La
Montagne, soldat dans la garnison fils de Jean Raison et de Marie Boulet de St-Pierre de Lanion en
Bretagne d'une part et Marie, négresse libre, veuve de Pierre Moreau habitant de cette isle d'autre
part après avoir été dispensés des bans par le RP supérieur et avoir eu l'agrément de M. le
gouverneur… »
Le 10 décembre 1687, le père Rullier reçoit le « consentement mutuel de mariage entre Marc
Miton, fils de Marc Miton […] et Marianne cy-devant esclave du sieur Constant à présent libre par
l'accord de ce mariage ». Marianne est une Amérindienne.
Source: Arch. dép. Guyane, 1Mi 203, in Marie Polderman, op. cit.
D. Etre nommé…
Même affranchi, (l’esclave) n’est qu’un prénom, celui, chrétien, qui lui a été attribué lors de sa
réduction en esclavage ; souvent le même que celui de ses compagnons de misère (comme les
soldats…). Le nom choisi par le maître est parfois celui d’un nom illustre de l’histoire occidentale.
Parfois (rarement) est indiqué son nom africain, ou le nom de la tribu africaine dont il est
originaire.
Les affranchis sortent de leur condition d’ancien esclave lorsqu’ils (la plupart du temps elles)
épousent un habitant ou un soldat, si pauvre soit-il : ils se « blanchissent » ainsi et les termes de
« mulâtre », de « nègre libre » disparaissent de l’état civil ; il y a intégration complète et leur origine
est ainsi occultée. Le nom se « blanchit » par mariage ; l’esclave n’est qu’un seul prénom,
l’affranchi devient réellement un « libre » lorsqu’il porte un prénom chrétien, un nom européen et
que son statut initial n’apparaît plus dans les registres d’état civil. Il n’est l’égal des autres habitants,
soldats et fonctionnaires qu’après deux voire trois générations.
Source: Marie Polderman, op. cit.
Pistes de travail
186
- À partir des éléments du document A, tracer l’arbre généalogique de la famille Tirel entre 1679
et 1755.
- En quoi cette famille est-elle métissée ?
- Quels indices montrent que le statut de métis permet de sortir de la condition d’esclave ?
- Comment la famille Tirel est-elle un exemple de métissage biologique, culturel, social,
économique ?
- Calculer le pourcentage d’hommes célibataires en 1717 et en 1737 (document B). Que constate-ton ? En quoi cela va-t-il favoriser le métissage ?
- Le mariage avec une esclave est-il autorisé ? Quel peut en être l’avantage pour l’esclave ? Que
dit le décret de 1741 à ce propos en Guyane ? Qu’en est-il dans les autres colonies françaises
d’Amérique ? (document C)
- Comment le nom et le prénom traduisent-ils le statut social de la personne ? En quoi lui confèret-il une identité (document D) ?
Mots-clés
Esclavage / première colonisation / femme / Guyane / Code noir / métissage / mariage
Lien
Voir aussi le dossier 1 (Économie & société dans les empires coloniaux) : « Suzanne Amomba
Paillé, une esclave affranchie en Guyane » (cartes)
187
2 Ŕ LA CONDITION DES FEMMES EN INDOCHINE
Le martyre de la femme indigène
D'après ce que nous avons relaté dans les pages précédentes, on a pu voir de quelle manière la femme
annamite est « protégée » par nos civilisateurs. Nulle part elle n'est à l'abri de la brutalité. En ville, dans sa
maison, au marché ou à la campagne, partout elle est en butte aux mauvais traitements de l'administrateur, de
l'officier, du gendarme, du douanier, de l'employé de gare. Il n'est point rare d'entendre un Européen traiter une
Annamite de con-dhi [putain] ou de bouzou [singe]. Même aux Halles centrales de Saigon, ville française, diton, les gardiens européens n'hésitent pas à frapper les femmes indigènes à coups de nerf de boeuf ou de
matraque pour les faire circuler. […] C’est une douloureuse ironie que la civilisation Ŕ symbolisée en ces
différentes formes, liberté, justice, etc. par la douce image de la femme et agencée par une catégorie d’hommes
qui se piquent de galanterie Ŕ fasse subir à son emblème vivant les traitements les plus ignobles et l’atteigne
honteusement dans ses mœurs, dans sa pudeur et dans sa vie. […] Ce ne sont pas seulement des visites
domiciliaires à jet continu, ce sont des visites corporelles qui peuvent être opérées en tous lieux sur les indigènes
des deux sexes ! Des agents des douanes pénètrent dans des habitations indigènes, obligent des femmes et de
jeunes filles à se dévêtir complètement devant eux et, quand elles sont dans le costume de la Vérité, poussent
leur fantaisie lubrique jusqu’à apposer sur le corps le cachet de la douane.
Oh ! mères, femmes, filles françaises, qu’en pensez-vous, mes sœurs ! Et vous, fils, maris et frères français ?
C’est bien de la galanterie française et « colonialisée », n’est-ce pas ?
L’enthousiasme des Annamites pour l’instruction moderne effraie l’Administration du Protectorat. C’est
pourquoi elle ferme les écoles communales, elle les transforme en écuries pour messieurs les officiers, elle
chasse les élèves et coffre les maîtres. Une institutrice indigène fut arrêtée, amenée, tête nue au chef-lieu, sous le
soleil brûlant, la cangue au cou.
Un adjudant-chef d’artillerie mettait le feu à une maison sous prétexte que la propriétaire ne voulait pas le
recevoir à minuit.
Un lieutenant, polygame, jetait à terre une jeune femme annamite et l’assommait à coup de rotin, parce
qu’elle ne voulait pas être sa concubine.
Un autre officier avait violé une fillette dans des conditions odieuses de sadisme. Traduit devant la Cour
Criminelle, il fut acquitté parce que la victime était une Annamite. […]
Source : Hô Chi Minh, Le procès de la colonisation française et autres textes de jeunesse,
« Chapitre XI, Le martyre de la femme indigène »,Paris, Le Temps des cerises, p. 127-135.
Présentation
La présentation complète d’Hô Chi Minh, du Procès de la colonisation français et du contexte
indochinois a été proposée dans le dossier 1 du présent rapport (Économie et société, document 4
intitulé « Les corvées dans l’Indochine de l’entre-deux-guerres »). Pour éviter les redites au sein du
rapport, on s’y reportera pour tous les éléments de contextualisation.
Analyse
Ce document est un extrait du chapitre XI, « Le martyre de la femme indigène », où Hô Chi
Minh rapporte des exemples des mauvais traitements infligés aux femmes en Indochine mais aussi
dans les autres parties de l’empire français, qui n’ont pas été retranscrits, tout en ironisant sur la
mission civilisatrice de la colonisation. L’auteur dresse ainsi une liste effroyable du comportement
des colonisateurs, du fonctionnaire au colon, envers les femmes annamites. L’attitude de supériorité
des Européens envers les femmes colonisées qui apparaît n’est pas spécifique à l’Indochine.
188
La colonisation a un impact très différent pour les hommes et pour les femmes. Bien que le
discours colonial sur la France civilisatrice la présente comme émancipatrice pour ces dernières, la
réalité est tout autre. En effet, les femmes, qui représentent les gardiennes de l’identité du groupe
avec les rôles de conservation du sang et de reproduction de la famille et de ses valeurs,
apparaissent désormais comme des obstacles aux changements. La condition des femmes
s’aggrave : ainsi avec la mise en subordination ou/et la détérioration de leur statut, de leur rôle, de
leur place. Par exemple, les femmes sont pénalisées par l’introduction du droit européen comme le
Code Napoléon qui amoindrit l’autonomie financière féminines dans les sociétés matrilinéaires
africaines, ou par les changements de code de la famille comme en Indochine où le code chinois Gia
Long (principe confucéen des trois obéissances au père, au mari et au fils aîné) est désormais
appliqué. Ce code est plus inégalitaire que la coutume vietnamienne qui ouvre le droit a un égal
héritage et offre la possibilité de choisir son conjoint. Par ailleurs, les colonisateurs ne traitent
qu’avec les hommes ce qui entraîne souvent la non-reconnaissance de la femme dans certains
secteurs (agriculture, commerce, sociétés secrètes,…) et elles se retrouvent souvent à l’écart des
secteurs les plus modernes de l’économie et de la société coloniales. Enfin, il n’est pas inutile de
rappeler que la femme est considérée comme inférieure à l’homme dans la société française.
Ces comportements abusifs et violents peuvent aussi s’expliquer par l’image véhiculée des
femmes colonisées, notamment sur les cartes postales mais aussi sur les affiches ou dans la
littérature, qui participe à un imaginaire colonial où les femmes sont inférieures et disponibles pour
tous les désirs des hommes. Ainsi, les cartes postales montrent des femmes tonkinoises souvent
nues ou des femmes dominées par leur époux, donc des femmes qui doivent accéder à la
civilisation occidentale et à la liberté par rapport au poids des coutumes locales grâce à la
colonisation française. Ensuite, la dimension érotique est très présente avec un discours très
sexualisé. Par exemple, la femme tonkinoise est souvent représentée avec distinction afin
d’exprimer l’image de la sexualité mystérieuse et sensuelle des Asiatiques. Ainsi, le colon domine
la femme qui est avant tout un objet sexuel. La terre coloniale est perçue comme une occasion
d’assouvir ses désirs les plus inavouables et permet d’expulser l’énergie sexuelle réprimée par la
société européenne. Par ailleurs, en Indochine, de nombreuses femmes deviennent la concubine
d’un européen notamment des militaires et des fonctionnaires civils : la congaï, qui signifie
également jeune fille en vietnamien, est un terme péjoratif dans la bouche d’un européen. Il n’y a
pas de respect pour les concubines en général de la part des Européens. En cela les européens
reprennent la tradition vietnamienne où le chef de famille est autorisé à avoir jusqu’à dix
concubines, qui doivent obéissance à la femme principale. Ces concubines peuvent servir de
servantes ou pallier la stérilité de la femme principale ou son impossibilité à donner naissance à un
enfant mâle.
Le respect pour les femmes de l’Indochine et au-delà pour les femmes de l’ensemble de l’Empire n’existe pas.
Mots-clefs : abus, femme, violence, Indochine, Viêt-nam.
Pistes pédagogiques
- Comment les Européens se comportent-ils envers les femmes annamites ? Citer des exemples.
- Comment l’auteur dénonce-t-il ces comportements ?
- En quoi cela est-il contradictoire avec la mission civilisatrice de la France ?
- Montrer que ce traitement des femmes a un but précis. Quelles peuvent en être les conséquences pour
la place des femmes dans la société vietnamienne ?
Niveaux
189
Collège
. 4e: Chapitre III, L’Europe et son expansion, thème 3 : Le partage du monde.
. 4e rentrée 2011-2012 : Chapitre III, thème 4 : Les colonies avec comme étude possible celle de la
société coloniale.
Lycée
. 1re ES/L : chapitre I, L’âge industriel et sa civilisation du milieu du XIX e siècle à 1939, leçon 3 :
L’Europe et le monde dominé : échanges, colonisations, confrontations.
. Ter. S : chapitre II, Colonisation et indépendance, leçon 1 : la colonisation européenne et le
système colonial
Pistes bibliographiques
. Pierre BROCHEUX , Hô Chin Minh, Presses de Sciences Po, Paris, 2000.
. Pierre BROCHEUX Pierre, Daniel HEMERY, Indochine, la colonisation ambigüe (1858-1954),
Paris, La Découverte, 2001.
. Daniel HEMERY, Hô Chi Minh : de l’Indochine au Vietnam, coll. « Découvertes », Gallimard,
1994.
190
DOC 3 Ŕ ENTRETIEN AVEC UNE SAGE-FEMME GABONAISE
FORMEE A L’EPOQUE COLONIALE
Je m’appelle Azizet Fall N’Diaye, je suis née le 6 mai 1924 à Brazzaville, de père sénégalais et de mère
gabonaise. Je suis veuve et mère de six enfants. J’ai fait mes études primaires au Sénégal chez les sœurs de
Saint-Joseph où j’ai obtenu mon certificat d’étude en 1939.
Il faut signaler que les écoles ont d’abord été construites pour former des Noirs qui puissent aider les
Blancs. (…) À l’époque, il n’y avait que des hommes, ce sont eux qui faisaient office de secrétaires, les
femmes, c’est bien plus tard. Ma mère, par exemple, était scolarisée, elle savait lire et écrire, mais on leur
apprenait l’art ménager, l’entretien de la maison et du foyer, c’est tout. Quand il s’est agi de recruter du
personnel pour la santé, c’étaient les hommes qui étaient infirmiers et les militaires qui s’occupaient de la
santé. (…)
Quand je suis partie (au Sénégal) avec mon père à l’âge de six ans (en 1930), il existait déjà une école de
sages-femmes. L’Afrique de l’Ouest était en avance sur l’Afrique centrale sur la formation professionnelle
des femmes. Il existait l’École des sages-femmes et l’École normale d’institutrices. Les premières sagesfemmes que j’ai connues là-bas ont l’âge de ma mère, mais ici (au Gabon), nous sommes les premières. Les
sages-femmes de là-bas et qui sont de ma génération sont de 5e ou 6e promotion. Nous sommes la 1re
promotion (de Gabonaises formées au Sénégal), Marguerite Issembet et moi. La première sage-femme, c’est
Marguerite Issembet ; son premier poste d’affectation a été au Mali. Elle a obtenu son certificat d’étude à
Saint-Louis-du-Sénégal et, à l’époque, on recrutait au niveau du certificat d’étude. (…)
C’est surtout mon père qui voulait que je sois sage-femme parce qu’à l’époque, les sages-femmes étaient
de grandes élites. (…) Il n’y avait rien à l’époque, il n’y avait pas de lycées, l’université n’en parlons même
pas, l’université a été créée il y a à peine trente ans. Quelle que soit ton intelligence, il y avait un seuil qu’il
ne fallait pas dépasser, en un mot, on était limitées dans nos choix. S’il avait existé des lycées, je ne serais
pas que sage-femme. J’avais une institutrice qui voulait que j’aille continuer mes études au lycée en France,
mais je ne le pouvais pas, à l’époque il n’y avait pas de bourses, et mon père n’avait pas de moyens pour m’y
envoyer. Je suis donc partie à Dakar pour être sage-femme.
(…) Mon premier poste d’affectation a été Brazzaville (au Congo français) en 1947 ; à la fin de cette
même année, j’ai rejoint mon premier poste d’affectation au Gabon, c'est-à-dire Mouila, où j’ai exercé
pendant un an. Après mon mariage, en 1948, mon mari a bénéficié d’un stage, je l’ai accompagné et, de làbas, j’ai demandé une bourse pour continuer les études (…). J’ai pu ainsi préparer mon diplôme d’infirmière
d’État.
Source : Extraits d’un entretien mené avec Madame Azizet FALL N’DIAYE en 2000,
in Aurélie AYENI, Les femmes dans les services de santé au Gabon (1950-1980),
Thèse de doctorat d’histoire, Université d’Aix-en-Provence, 2007, p. 77-78
(thèse non publiée).
Mots-clés : colonisation française, AEF, Gabon, femmes, scolarisation, sages-femmes.
Place dans les programmes
Classe de 4e, de 1ère et de Ter.S.
Pistes de travail
- Travail sur la scolarisation et la formation professionnelle des filles à la période coloniale.
- Quelles étaient leurs possibilités de promotion par l’école ? Ces possibilités étaient-elles
comparables à celles des garçons ? Quelles carrières s’offraient aux meilleures élèves ?
- Localiser les lieux de formation et d’affectation mentionnés par Madame Fall N’Diaye.
191
Analyse
Madame Azizet Fall N’Diaye, qui fut l’une des deux premières sages-femmes gabonaises (elle
est diplômée en 1947), a enseigné à partir de 1958 à l’Ecole des sages-femmes de Libreville (créée
à la veille de l’indépendance) et a exercé des fonctions de Directrice des Affaires sociales du Gabon
de 1970 à 1976. Elle a accepté, au début des années 2000, de témoigner de son parcours de vie
auprès d’une jeune chercheuse gabonaise qui consacrait sa thèse à l’histoire des femmes gabonaises.
Son récit de vie, dont quelques extraits sont présentés ici, constitue un intéressant témoignage sur le
parcours scolaire des jeunes filles durant la période coloniale.
Le document évoque la marge de manœuvre très étroite des filles Ŕ plus étroite encore que celle
des garçons Ŕ dans les années 1930-1940, dans cette parente pauvre de l’Empire qu’était l’Afrique
Équatoriale française : faiblesse numérique de la scolarisation féminine, relative médiocrité de
l’enseignement (consensus généralisé pour penser que la « vocation » naturelle des filles était de
s’occuper de leur foyer), rareté des « métiers » possibles (deux carrières envisageables seulement :
institutrice ou sage-femme)...
Mme Fall N’Diaye a un parcours atypique à plusieurs égards. Elle est d’abord fille unique et a
été fortement soutenue par son père, qui a de grandes ambitions professionnelles pour elle : c’est
déjà, en soi, une rareté dans le contexte des années 1930-1940 (même en métropole !).
Elle a la chance de pouvoir quitter très tôt le Gabon pour rejoindre le Sénégal, patrie de son père
Ŕ Sénégal où, surtout dans les villes, le réseau des écoles (publiques et privée) et le niveau de
scolarisation est, globalement, l’un des meilleurs de l’Afrique française. Ensuite, elle est scolarisée
dans une très bonne école privée, celle des sœurs de Saint-Joseph-de-Cluny, congrégation implantée
à Saint-Louis-du-Sénégal depuis 1819 Ŕ où elle s’avère une excellente élève. C’est en effet
généralement dans les écoles privées catholiques ou protestantes que sont offertes de véritables
possibilités d’ascension sociale aux élèves indigènes les plus doués (N.B : c’est le cas par exemple
pour Léopold Sédar Senghor qui commença ses études chez les Pères Spiritains, puis à Dakar au
collège-séminaire François Libermann, avant de rejoindre l’enseignement public).
Pour autant, l’accès aux études supérieures reste alors très limité ; il faut attendre les années 1950
pour voir se développer un système de bourses d’enseignement supérieur Ŕ et les débouchés
professionnels sont étroits, notamment pour les filles cantonnées à deux domaines principaux. La
mobilité professionnelle imposée aux institutrices et aux sages-femmes (qui peuvent être affectées
n’importe où dans la fédération) contribue également certainement à éloigner les filles de ces deux
carrières de la fonction publique indigène.
Ces métiers sont pourtant socialement valorisés et les institutrices comme les sages-femmes
appartiennent aux élites colonisées. Précisons cependant que, dans le système colonial, instituteurs
et personnels de santé n’appartiennent pas au même cadre de la fonction publique que les citoyens
français. Ils appartiennent en effet au « cadre indigène », sont formés dans des écoles différentes (et
généralement dans des filières plus courtes), ont des diplômes spécifiques moins bien cotés
(« moniteurs de l’enseignement indigène », « médecins indigènes », etc.) et sont, bien sûr, beaucoup
moins bien payés que les fonctionnaires français…
Le document témoigne enfin du développement tardif du secteur de la santé dans certaines
régions de l’Empire et de la faible attention portée à l’obstétrique, surtout en AEF. La médecine
coloniale a en effet connu un développement limité (campagnes de vaccination, lutte contre
certaines maladies endémiques) et les efforts ont été souvent tournés vers la main d’œuvre
masculine…
Pistes bibliographiques
Pascale Barthélémy, Femmes, africaines et diplômées : une élite auxiliaire à l’époque coloniale.
Sages-femmes et institutrices en Afrique occidentale française (1918-1957), thèse de doctorat
192
d’histoire de l’université Paris 7 Ŕ Denis Diderot, 2004, 945 p. (à paraître en 2010 aux Presses
Universitaires de Rennes).
Pascale Barthélémy, « Sages-femmes africaines diplômées en Afrique occidentale française des
années 1920 aux années 1960 : une redéfinition des rapports sociaux de sexe en contexte colonial »,
in Anne Hugon (dir.), Histoire de femmes en situation coloniale, Afrique et Asie, XXe siècle, Paris,
Karthala, 2004, p. 119-144.
Anne Hugon, « L’historiographie de la maternité en Afrique subsaharienne », Clio. Histoire,
Femmes & Sociétés, nº 21, 2005.
193
4 Ŕ SEQUENCE LETTRES
AUTOUR DE LA NOUVELLE LES JEUNES FILLES DE LA COLONIE
DE LEÏLA SEBBAR
in Une enfance outremer (Points virgule)
Niveau : Classe de 3e, dans le cadre « des récits d’enfance ou de récits porteurs d’un regard sur
l’histoire et le monde contemporains » (B.O. août 2008).
Présentation de la nouvelle Les jeunes filles de la colonie
La narratrice évoque sa situation d’enfant métis ayant grandi en Algérie dans les années 50. La
nouvelle est centrée sur deux expériences fondatrices qui lui rappellent son étrangeté pour les deux
communautés dont elle est issue : la rencontre des garçons arabes qui insultent les filles du maître
d’école et les allusions perfides des jeunes filles pieds-noirs.
Ces expériences sont présentes dans son œuvre depuis longtemps, que ce soit dans Si je ne parle
pas la langue de mon père écrit en 1988 (L’arabe est un chant secret, Bleu autour, 2007) ou Je ne
parle pas la langue de mon père publié en 2003 (Julliard). Leïla Sebbar s’y interroge déjà sur ses
relations à la langue paternelle qu’elle ne parle ni ne comprend. Elle éprouve une véritable curiosité
et attirance pour cette langue à la fois proche, exotique mais aussi menaçante.
1/ Le statut du narrateur autobiographique
-
Quelle est la personne grammaticale utilisée par le narrateur ?
Comment le narrateur est-il nommé dans la suite du texte ?
Quelle relation pouvez-vous établir entre le narrateur et l’auteur ?
Que pouvez-vous conclure sur le genre auquel appartient ce texte ?
C’est un récit à la première personne. Le nom de ce « je » Leïla Sebbar apparaît dans le cours du
récit. On peut donc dire qu’auteur, narrateur et personnage se confondent. Ce texte appartient donc
au genre autobiographique.
2/ La structure du récit : les différents niveaux temporels
-
-
Quels sont les différents lieux mentionnés dans le texte ? À quelles différentes époques
correspondent-ils ?
a/ Quelle est la situation familiale du narrateur enfant ? du narrateur adulte ?
b/ Repérez les passages où ces informations nous sont données. Comment sont-elles placées
dans le texte ?
Quel est le temps verbal dominant ? quelles sont ses valeurs ?
Ce n’est pas un récit linéaire mais un récit fragmenté et elliptique fait de bribes d’informations,
de souvenirs et d’événements où se mélangent passé et moment de l’écriture.
Les informations principales ne sont pas données d’emblée, dès les premières lignes de la
situation initiale. Ainsi, faut-il attendre la citation de la marque « Banania », pour comprendre la
situation professionnelle des parents de la narratrice enfant, au détour de l’évocation du rituel du
petit-déjeuner familial.
Dans les premiers paragraphes, deux lieux sont facilement identifiables de part et d’autre de la
Méditerranée : « de l’autre côté de sa terre, de l’autre côté de la mer » : c’est d’une part la maison
familiale maternelle qui se trouve en France dans le Périgord, devenue « la maison de mémoire », et
194
d’autre part « la maison d’école » à la végétation et à la constitution méditerranéennes « roses
trémières », « figuier » « moustiquaires », en Algérie. Cette dernière impression est confirmée
quelques lignes plus loin par l’allusion au père « … l’école de mon père » ou « élève instituteur à
l’École normale d’Alger ». L’enfance de la narratrice dans les années 50 en Algérie forme le
premier niveau temporel.
Les autres lieux correspondent à une autre époque, celui de l’exil c’est-à-dire après la guerre
d’Algérie : « …jusqu’au moment où il lira, des années plus tard, de l’autre côté de la mer, exilé à
son tour… ». C’est le moment où la narratrice cherche les marques concrètes de son enfance « à la
Bibliothèque nationale de France » ou « dans les cafés arabes de Barbès », à la recherche d’un éclat
de voix ou d’une marque publicitaire. Les périodes de l’âge adulte Ŕ deuxième niveau de lecture Ŕ
se mêlent à l’évocation du passé. On comprend que la famille a définitivement quitté la terre
algérienne pour la France.
La situation personnelle de la narratrice a également changé : le père « Jeune élève instituteur
n’est plus. Elle le dit de façon allusive à plusieurs reprises : «… je ne peux plus lui poser mes
questions indiscrètes… » ; « … jusqu’à sa mort, un mercredi, je crois… » ; « Je ne peux pas, ici,
aujourd’hui, faire parler mon père d’outre-tombe. »
L’emploi dominant du présent de l’indicatif entretient la confusion des niveaux temporels : le
présent de narration sert à relater les anecdotes du passé et produit un effet d’actualité.
Le présent d’énonciation est réservé au moment de l’écriture « ici, aujourd’hui ».
3/ Le contexte colonial
-
Quelles sont les deux principales parties de la nouvelle ? A quoi cette division correspondelle ?
La narratrice reproduit le message publicitaire d’un modèle de chaussures : quelle image de
la femme algérienne donne-t-il ?
Comment les femmes sont-elles nommées selon qu’elles sont algériennes (indigènes), pieds
noirs ou métropolitaines ?
Quelle image de la société se dégage du discours et du mode de vie des jeunes filles de la
colonie ?
a/ Le texte de la nouvelle est divisé en deux parties isolées : « D’abord, Ce n’est pas la guerre » et
« Jusqu’au jour où C’est la guerre »
b/ Les messages publicitaires sont inscrits dans la mémoire comme n’importe quel autre souvenir
visuel, auditif ou olfactif. Celui des chaussures « Mauresque », terme utilisé par les pieds noirs pour
désigner une femme algérienne, véhicule une image exotique de la femme orientale faite de mystère
« aux airs mystérieux », indolente « mouvements lents et sûrs » et sensuelle « grâce ».
c/ Le discours des jeunes filles pieds noirs qui s’interrogent sur l’origine du nom de la narratrice
montre une société cloisonnée où chacun doit s’inscrire dans l’une ou l’autre des communautés sans
qu’il soit possible d’établir de passerelles.
Les noms disent la communauté à laquelle on appartient selon qu’on s’appelle « Benali » ou
« Sabbag ».
Les femmes algériennes sont désignées par le terme « mauresque » et les bonnes qui travaillent chez
les pieds noirs comme des « fatmas ». Une distinction est faite entre les français nés en Algérie et
les français de France que l’on nomme « Frankaoui » ou « Patos ».
La séparation des noms se prolonge dans celle du mode de vie : les jeunes filles de la colonie
mène une vie aisée et insouciante sur des « plages », dans des « villas », auxquelles les autres
communautés n’ont pas accès.
195
4/ La double identité de la narratrice
-
Cherchez le sens du mot « bigarrée ».
Quelles sont les deux expériences fondatrices de son identité ?
Quel regard porte sur elle, les enfants de son entourage ?
Relevez une phrase qui montre la difficulté de la narratrice à trouver sa place.
Le récit rétrospectif permet à la narratrice adulte de dire ce que l’enfant n’était pas capable de
formuler : d’emblée, dès les premières lignes de la nouvelle, la narratrice choisit un adjectif rare aux
consonnes sonores pour dire sa situation de métisse : « bigarrée ». Comme par jeu, elle ne manque
pas de le comparer à son paronyme « bigarreaux », sorte de cerises associées aux sensations
visuelles et gustatives de l’enfance.
L’adjectif « bigarrée » est employé une autre fois dans le texte ou est décliné avec « singulier ».
La narratrice entretient l’écart entre ce que son expérience d’adulte lui a appris et l’ignorance de son
enfance ; elle cherche à traduire la sensation de sa différence avant même qu’elle en prenne
pleinement conscience et qu’elle en connaisse les raisons. C’est pourquoi elle emploie la même
construction syntaxique « Et je ne sais pas que je suis « bigarré » » ; « Et j’ignore que je suis
« singulière » ». Ce qu’elle éprouve est de l’ordre de l’intuition plus que de la raison. Elle semble
avoir découvert ce mot à travers ses lectures de Brantôme ou de Montaigne, comme si elle avait
trouvé des réponses à ses questions dans les livres.
Elle prend progressivement conscience de sa différence dans le regard des autres : « Je dis que je
l’ignore, pas tout à fait ». Ce sont les autres enfants qu’ils soient arabes ou pieds noirs qui vont lui
dire ce qu’elle est : le regard des garçons arabes sur les tenues des « trois sœurs, robes trop courtes,
jambes nues, socquettes blanches, rubans écossais » dit qu’elles n’appartiennent pas à leur monde.
Il est possible de prolonger cette réflexion sur l’identité et la mémoire par la lecture cursive
d’autres nouvelles de Leila Sebbar, tiré de recueil La jeune fille au balcon, ou celle du recueil Sous
le jasmin la nuit de Maïssa Bey, en particulier la nouvelle intitulée Sur la virgule.
196
5 Ŕ SEQUENCE DE LETTRES (6 SEANCES)
GROUPEMENT DE TEXTES DE KIM LEFÈVRE
Extraits de Métisse Blanche et de Retour à la saison des pluies (L’aube poche).
Niveau : Classe de 3e, dans le cadre « des récits d’enfance ou de récits porteurs d’un regard sur
l’histoire et le monde contemporains » (B.O. août 2008).
Présentation de Métisse Blanche
Dans le récit autobiographique Métisse Blanche, la narratrice raconte son quotidien d’enfant
métis dans l’Indochine et le Vietnam des années 1940 et 1950. Elle insiste particulièrement sur ses
relations avec sa mère et sur l’étrangeté de son statut de métisse. Retour à la saison des pluies relate
son retour au pays au début des années 90, après trente d’absence.
Corpus
- p. 13-14, le projet autobiographique
- p. 107-108, la figure maternelle
- p. 30 et p.154-155, l’autoportrait
- p. 190-191, le travail de la mémoire
Texte 1 : Métisse blanche, Kim Lefèvre, édition de L’aube poche (p. 13-14)
Je suis née, paraît-il, à Hanoi un jour de printemps, peu avant la Seconde Guerre mondiale, de
l’union éphémère entre une jeune Annamite et un Français.
Je n’ai, sur ce sujet, pas de preuve tangible, aucun acte de naissance n’ayant été établi avant ma
quinzième année. D’ailleurs je n’ai pas cherché à le savoir. Cela n’avait aucune importance ni pour
moi, ni pour les autres. Nous vivions dans une société où la notion de temps quantifié n’existait
pas. Nous savions que notre vie se divise en grandes périodes : l’enfance, le temps des règles pour
une fille Ŕ signe de l’enfantement possible, donc du mariage proche Ŕ, l’âge d’être mère, puis celui
d’être belle-mère lorsque enfin on a acquis le droit Ŕ si la chance vous a dotée d’un fils Ŕ de régner
sur une bru craintive qui entre dans votre maison. Quatre ou cinq ans de plus ou de moins
représentaient peu de chose.
Je ne sais à quoi ressemble mon géniteur. Ma mère ne m’en a jamais parlé. Dans mes jours
sombres il me plaît de l’imaginer légionnaire, non pas « mon beau légionnaire », comme dit ici la
chanson, mais colon arrogant, détestable, un homme de l’autre côté. J’ai nourri à l’égard de ce père
inconnu une haine violente, comme seuls en sont capables les enfants profondément meurtris.
J’ai porté des noms successifs qui ont été les charnières de ma vie. D’abord celui de ma mère Ŕ
Trân Ŕ, lorsqu’elle s’est retrouvée seule avec une enfant à charge. Affolée par l’ampleur des
conséquences que mon existence allait faire peser sur sa vie, elle me confia à une nourrice avant de
s’enfuir loin, jusqu’à Saigon, terre pour elle étrangère où elle espérait rebâtir un avenir. Ensuite, le
nom de mon géniteur Ŕ Tiffon Ŕ, à l époque où, poussée par la famille unanime, ma mère chercha à
me placer dans un orphelinat afin de me rendre « à ma race ». Car j’étais à proprement parler une
monstruosité dans le milieu très nationaliste où je vivais.
Texte 2 : Métisse blanche, Kim Lefèvre, édition de L’aube poche (p.107-108)
197
Je ne savais presque rien de moi-même, je n’avais eu personne pour me raconter mon enfance.
J’aurais aimé savoir si j’avais été un bébé gai ou morose. M’avait-on trouvée agréable ?
Ressemblais-je aux nourrissons vagissants que je voyais autour de moi ? À ces questions, ma mère
elle-même n’était pas en mesure de répondre : elle était loin de moi à cette époque. Le seul souvenir
qui lui restait concernait un devin qui lui avait prédit que je ferais le malheur de sa vie. Ce qu’elle
m’apprit me glaça de frayeur. Je me sentais monstrueuse. J’aimais ma mère, quel désespoir de
savoir que j’allais inéluctablement lui faire du mal ! J’aurais désiré ne pas être sa fille. Je
m’imaginais issue d’une autre femme, déjà morte en couches, car ainsi je ne pourrais plus gâcher la
vie de personne. Elle ne serait plus concernée par la prédiction et moi, je pourrais alors lui apporter
tendresse et consolation. Je la trouvais si belle qu’il me semblait juste qu’elle eût les meilleures
choses de ce monde. Elle avait le visage d’un ovale parfait, des cheveux de jais. Ses yeux aux larges
paupières Ŕ que je retrouvai plus tard chez Marlène Dietrich Ŕ étaient surprenants chez une
Asiatique. Des pupilles d’ébène faisaient de son regard deux taches brillantes d’une infinie douceur.
Sa bouche, même au repos, avait toujours l’air d’être sur le point de dire quelque chose de tendre et
grave. Il émanait de sa personne une distinction, une grâce qui la tenaient au-dessus des gens qui
l’entouraient. Et cependant, je ne l’avais jamais vue heureuse. Elle ne semblait ne souhaiter rien
d’autre qu’un toit sur nos têtes et du riz dans la marmite chaque jour. Elle supportait ses frustrations
comme on s’arrange pour vivre avec une maladie incurable. Plus je grandissais et plus je prenais
conscience de l’échec de sa vie. Cette découverte déclencha en moi des sentiments contradictoires ;
j’étais tout à la fois désireuse de rester près d’elle pour adoucir ses peines, et poussée par un
impérieux besoin de fuir très loin. Tirer un trait sur les misères matérielles et morales qui tissaient la
trame de sa vie, faire peau neuve ailleurs. Briser le cercle du malheur. Échapper à l’engrenage.
Texte 3 : Métisse blanche, Kim Lefèvre, édition de L’aube poche (p. 30 ; p. 154-155)
Sur les murs étaient accrochées des photographies de femmes françaises aux yeux immenses,
bordés de cils si épais et recourbés qu’on avait du mal à y croire. Leurs bouches peintes en forme
de cœur semblaient m’adresser des sourires d’une imperceptible ironie. J’interrogeais le miroir ; la
comparaison était à mon désavantage. Je me trouvais laide. Je détestais violemment mes cheveux
raides, tous les cheveux raides des Vietnamiennes. Je me trouvais le teint trop sombre, les cils
clairsemés, les yeux petits, le nez plat ; les lèvres trop épaisses. Je rêvais d’être une Française moi
aussi. Or française je l’étais, mais à demi, assez pour qu’on pût me distinguer des Vietnamiennes à
part entière, pas assez pour qu’on me prît pour une Européenne. En tout cas, pas assez pour qu’on
me trouvât belle comme je trouvais extraordinairement attirantes ces images qui me toisaient du
haut de leur encadrement. (p. 30)
C’était une photographie d’identité où l’on voyait une petite fille au visage rond, aux cheveux
courts avec une frange sur le front. Je ne pouvais croire que ce fût moi. Cette image était celle d’une
étrangère. Elle avait l’air si particulière, si différente des autres ! Elle n’avait ni la même apparence,
ni les mêmes expressions que ceux qui m’étaient familiers. Je l’examinai longuement, avec le
sentiment que son univers n’était pas le mien. Je me pensais vietnamienne, je me percevais
intimement, en tout point, semblable à ma mère et à mes sœurs. Comment pouvais-je être celle-ci
qui avait l’air de venir d’ailleurs? J’étais ignorante de mon image car j’avais eu peu d’occasions de
me regarder dans un miroir. Chez nous, seul mon parâtre possédait une glace rectangulaire qu’il
utilisait uniquement pour se raser et qu’il rangeait aussitôt.
La vision de la photographie me bouleversa au point que ma mère, inquiète, courut chercher la
glace de son mari qu’elle me tendit. Je regardai dans le miroir : ma surprise fut profonde. Je n’étais
pas du tout comme je m’étais imaginée. Je dus reconnaître que j’étais plus proche de la photo que
de l’idée que j’avais de moi-même. Ce visage étranger, ce regard interrogatif de quelqu’un qui ne
198
savait pas très bien où il se trouvait, c’était donc moi. Je pris douloureusement conscience de mon
altérité. Mais, si brutale qu’elle fût, cette découverte eut au moins le mérite de me guérir de ma
cécité intérieure. Je savais désormais que je n’étais pas pareille aux autres. (p. 154-155)
Texte 4 : Retour à la saison des pluies, K. Lefèvre, édition de L’aube poche (p. 190-191)
(Après avoir quitté le Vietnam dans les années 60, Kim Lefèvre est revenu dans son pays dans les
années 90.)
Sur ma droite je vois un marché couvert où il y a beaucoup de monde. J’éprouve, en le voyant,
une impression de déjà-vu. Il me rappelle quelque chose mais je n’arrive pas à savoir quoi. J’en suis
encore à m’interroger sur la raison qui me rend ce marché si familier quand mon regard rencontre
une église. Cette fois, il n’y a pas de doute, c’est bien l’église dans laquelle s’est déroulée la
cérémonie de ma confirmation. Elle est attenante à l’école des sœurs où j’étais pensionnaire. Si ma
mémoire n’est pas défaillante, le bâtiment voisin doit être mon ancienne école. Mais je peux me
tromper, toutes les églises se ressemblent.
Le chauffeur interrogé me confirme que nous sommes à Tân Dinh. C’est donc bien l’endroit où
j’ai fait mes études. Je n’en crois pas mes yeux. Comme le hasard fait parfois bien les choses ! Je
fais arrêter la voiture et descends pour revoir les lieux où j’ai vécu jadis. Devant le portail, il y a une
table derrière laquelle se tient un employé. Je pénètre dans la cour : pas l’ombre d’une religieuse,
rien que des fonctionnaires indifférents. Les allées de graviers ont disparu, mais à part ce détail tout
est resté intact.
Devant moi le parloir surplombé par le buste d’un Sacré-Cœur en stuc est toujours là, seulement
noirci par le temps. Aujourd’hui on l’a condamné en installant une barrière de bois devant la porte.
À quoi bon un parloir quand il n’y a plus de fonctionnaires ? À droite, là où se trouvaient les salles
de classe, une école maternelle d’État abrite quelques dizaines de bambins. Je regarde, de loin, celle
où j’avais étudié pendant quatre ans et dont la porte est restée ouverte. Je voudrais savoir si elle a
changé, si je retrouverai le banc où j’étais assise. Je m’avance mais une femme m’arrête : il est
interdit aux étrangers d’y pénétrer. J’explique que je ne suis pas tout à fait une étrangère à cette
école, que j’y ai fait mes études il y a bien longtemps… La femme ne m’écoute pas, elle n’y peut
rien, c’est la consigne, me dit-elle.
Dans le préau je revois les bancs de pierre où nous venions nous asseoir après les classes en
attendant l’heure du repas. Je tourne en rond dans la cour, j’explore. Tiens, on a abattu le tamarinier
centenaire et bouché la grotte de la Vierge ! Je m’aventure là où c’était jadis le territoire privé des
religieuses, le domaine interdit aux élèves. Aux grandes vacances, l’année où j’avais été obligée de
rester une semaine après le départ des autres dans l’attente d’une entrevue avec ma future marraine,
j’avais bien souvent rôdé près de ce bâtiment pour tromper mon ennui et dans l’espoir de croiser
sœur Aimée que le règlement maintenait cloîtrée dans sa communauté.
Près du calvaire je rencontre une femme habillée de noir. Se pourrait-il que des religieuses vivent
encore ici ? Elle me demande ce que je cherche.
« J’étais pensionnaire dans cette institution il y a très longtemps, est-ce que d’anciennes
religieuses y vivent encore?
Ŕ Qui cherchez-vous exactement?
Je me tais. J’aurais l’air ridicule si j’avouais que je cherche sœur Aimée. D’ailleurs il y a peu de
chances que cette femme la connaisse, elle est beaucoup trop jeune. La femme en noir m’observe
avec un mélange de curiosité et de méfiance. Je suis tentée de dire : « Je ne cherche personne » et de
m’en aller, mais son regard insistant me retient.
« Eh bien, j’étais l’élève de sœur Aimée et je me demande si par hasard vous sauriez où elle se
trouve…
199
Ŕ Elle est là, je vais la chercher. »
PRESENTATION DE LA SEQUENCE
SEANCE 1 : présentation de l’auteur et de l’œuvre
- analyse du titre : définition du métis
- consonances asiatique et française du nom de l’auteur
SEANCE 2 : comment reconnaît-on une autobiographie ?
Texte 1 : analyse méthodique de l’incipit
- Quel est le pronom personnel qui se répète le plus souvent ? Peut-on faire un lien entre le nom des
personnages et celui de l’auteur ?
- En quoi l’entrée dans le texte est-elle brutale ?
- En quoi l’identité de la narratrice est-elle incertaine ? Quelles expressions montrent cette
incertitude ?
- Relevez les groupes nominaux qui désignent le père : quel commentaire inspirent-ils ?
1/ le statut du narrateur
Le statut particulier du « je » suppose l’identité auteur/narrateur/personnage :
La particularité du « je » autobiographique est que l’auteur, le narrateur et le personnage
principal se confondent ; dans le cours du récit, le nom du personnage permet de faire le lien avec
celui de l’auteur inscrit sur la couverture du livre.
L’emploi du pronom « je » se prolonge dans le « nous » et les adjectifs possessifs.
2/ un pacte de sincérité
a/ un aveu brutal
L’auteur instaure une relation de confiance et de franchise avec le lecteur. Même si ce qu’elle
raconte paraît impudique, elle ne cherche pas cacher la vérité ou ses sentiments. C’est pourquoi
elle évoque le contexte de sa naissance en soulignant de façon un peu provocante ce qui fait sa
singularité.
Le « je suis née » est nuancé par la mise en incise de « paraît-il » qui montre la fragilité de son
identité.
Elle n’hésite pas à afficher sa situation de métisse en parlant « d’union éphémère entre une jeune
Annamite et un Français ». Dans le dernier paragraphe, elle insiste sur l’inconfort de sa situation de
métisse, rejetée par la communauté vietnamienne et considérée comme « une monstruosité ».
b/ des sentiments excessifs mais sincères
Le père est désigné à l’aide d’expressions impersonnelles comme « mon géniteur », « ce père
inconnu » qui montrent l’absence de lien entre la narratrice et son père. Elle a été élevée dans
l’ignorance de son image « à quoi ressemble mon géniteur…» et de son identité « Ma mère ne
m’en a jamais parlé », ce qui a développé un imaginaire et des sentiments négatifs : s’inspirant de
la chanson d’E. Piaf, elle le voit en « colon arrogant » ; elle affiche également « une haine
violente ».
SEANCE 3 : Comment exprimer ses sentiments?
200
Texte 2 : le portrait maternel
- Quelle phrase introduit le portrait maternel?
- Quel type de vocabulaire domine dans ce portrait?
- Quel sentiment s’exprime à travers ce portrait?
- Quel terme est utilisé pour nuancer le portrait?
- Quelle leçon la narratrice tire-t-elle de ce portrait?
Le portrait commence avec la phrase « Je la trouvais si belle … ».
Le vocabulaire dominant dans ce portrait est celui de la perfection et de l’exception : la
narratrice utilise des expansions du nom qui soulignent la perfection de ses traits physiques :
« visage d’un ovale parfait », « yeux aux larges paupières », « des pupilles d’ébène ». Elle compare
sa mère à la grande actrice des années 30 et 40, M. Dietrich et en fait une figure d’exception avec la
formule « une distinction, une grâce qui la tenaient au-dessus des gens qui l’entouraient ».
À travers ce portrait, la narratrice exprime son admiration pour sa mère en projetant sur elle une
image idéale, fantasmée, qui n’est peut-être pas vraie.
SEANCE 4 : Comment raconter un épisode de son enfance?
Je garde un souvenir assez précis du jour où je rencontrais celui/celle qui allait devenir mon/ma
meilleure amie. Racontez cette rencontre en situant l’époque et le lieu et en exprimant vos
impressions ; vous ne manquerez pas d’exprimer vos sentiments pour cette personne, en utilisant la
description à la manière de Kim Lefèvre dans le texte étudié.
SEANCE 5 : Comment se décrire soi -même?
Texte 3 : l’autoportrait
1re partie : p. 30
- Comment la narratrice se voit-elle ?
- Quel genre de verbes utilise-t-elle ?
- Repérez les adjectifs la caractérisant : quel effet produisent-ils ? quel adverbe les accompagne ?
- Quel rôle jouent les connecteurs d’opposition « or », « mais » et la négation « pas » ?
2e partie : p. 154
- Quelle personne grammaticale la narratrice utilise-t-elle ? Justifiez ce choix.
- Relevez les groupes nominaux désignant la fillette ? Observez les déterminants qui les
accompagnent ; quel est l’effet produit ?
- Sur quelle opposition le texte est-il organisé ?
1/ l’autodénigrement (p. 30)
Comme l’indique la déclaration « Je me trouvais laide », la narratrice ne se plaît pas. Elle utilise
des verbes de jugement Ŕ « détester », « se trouver » Ŕ et les adjectifs péjoratifs la définissant sont
accompagnés de l’adverbe d’intensité « trop » qui accentue son jugement.
Les connecteurs d’opposition « or », « mais » montrent la dualité qui caractérise la narratrice ; la
construction binaire « assez pour », « pas assez pour » montre qu’elle est tiraillée entre deux
identités qu’elle ne parvient à concilier.
2/ le sentiment d’étrangeté à soi
La narratrice utilise la 3e pers. « on », « elle », car elle ne se reconnaît pas dans la personne
qu’elle découvre sur la photographie. Elle décrit avec distance « une petite fille au visage rond » et
201
admet que la fillette est pour elle « une étrangère ». Plus loin dans le texte, elle emploie l’adjectif
démonstratif « ce » dans « ce visage étranger, ce regard…de quelqu’un… » qui accentue la mise à
distance.
D’ailleurs, le texte est organisé sur l’opposition du semblable et du différent : l’enfant de la
photo est associée aux termes « si différente », « son univers », « ailleurs » ; la narratrice se
rattache aux mots « familiers », « le mien », « semblable à ma mère ».
La photographie est l’occasion de se confronter à sa propre image. C’est une expérience
troublante car l’image que l’on se fait de soi-même ne correspond pas forcément à celle que l’on
renvoie ou à celle que les autres se font de nous. Des verbes comme « reconnaître », « je pris
conscience », « bouleversa » attestent de cette révélation à soi-même qui apprend à chacun à se
familiariser avec soi-même.
Écriture : Vous retrouvez une photo sur laquelle vous avez du mal à vous reconnaître : vous
essayez de situer le lieu et l’époque ; vous vous décrivez en insistant sur les détails physiques et sur
les vêtements.
SEANCE 6 : Comment montrer la distance passé/présent ?
Texte 4 : un lieu de l’enfance
- Quel sens domine dès les premières lignes ?
- Relevez des expressions qui montrent l’hésitation de la mémoire.
- Quels endroits précis la narratrice retrouve-t-elle ? Quels changements remarque-t-elle ?
- Devenu adulte, vous retournez sur un lieu de votre enfance ; il ne correspond pas exactement au
souvenir que vous en gardiez : décrivez-le.
1/ Le travail de la mémoire
On constate que l’exercice de la mémoire est lié à celui des sens : dans ce texte, c’est la vue qui
aide la narratrice à se souvenir d’un lieu précis : « je vois un marché… », « mon regard
rencontre… ».
La reconnaissance du lieu se fait de façon progressive et hésitante comme l’indique la phrase
« Il me rappelle quelque chose mais je n’arrive pas à savoir quoi ».
2/ La liaison entre le passé et le présent
L’école fréquentée par la narratrice dans son enfance n’a pas tellement changé même si elle
constate différents changements : « le parloir » est « seulement noirci par le temps » ; les salles de
classe ont été transformées en « école maternelle » mais ne peut retrouver le banc qu’elle occupait
car elle en est empêchée par son occupante. Elle retrouve les « bancs de pierre » apparemment
intacts.
De fait, la permanence des lieux s’illustre dans la présence de la religieuse sœur Aimée à
laquelle la narratrice n’ose croire.
3/ Écriture
Pour décrire un lieu de votre enfance,
- utilisez le vocabulaire des sens : la vue, l’ouïe, l’odorat, le toucher.
- décrivez les personnes et les éléments qui se trouvent dans ce lieu ; soulignez les qualités, les
défauts, les formes et les couleurs ; montrez les différences et les ressemblances entre le passé et le
moment présent.
- exprimez vos sentiments et montrez l’hésitation de la mémoire.
202
DOSSIER 7
EXPOSITIONS COLONIALES, « VILLAGES NEGRES »
ET CULTURE IMPERIALE (XIXe Ŕ XXe SIECLES)
La question des cultures coloniales a été très présente dans l’historiographie de ces dernières
années, suscitant travaux et débats. Pour Pascal Blanchard et Nicolas Bancel, les colonies ont
véritablement conquis la IIIe et la IVe République, ses valeurs : autrement dit, la vision impériale et
impérialiste s’est imposée à la société français, saturant de ses discours propagandistes la pensée, la
culture et les projets politiques, de la France de Jules Ferry à celle de Gaulle. De fait, on ne peut
qu’être frappé par l’omniprésence, le dynamisme, la variété des discours coloniaux, notamment
dans l’apogée de l’entre-deux-guerres : expositions, articles de presse, affiches, publicité, littérature,
cinéma, chanson, bande dessinée, etc., saturent le paysage, entre exotisme et colonialisme, au
prisme d’un ethnocentrisme sans complexes. Il n’est pas jusqu’aux menus gastronomiques de
certaines sociétés savantes qui ne soient accommodés à la sauce coloniale (doc. 3).
Pour autant, il paraît un peu délicat d’affirmer l’existence d’une « culture impériale » sans
s’interroger sur la réception de ces discours par la société. Finalement, l’omniprésence de la
propagande est-elle le signe d’une pénétration et d’une adhésion aux valeurs impériales ou, au
contraire, justement, l’aveu de la difficulté à s’imposer au plus grand monde ? Le succès de
l’Exposition coloniale de Vincennes (doc. 2), visitée en 1931 par 8 millions de personnes, doit-il
être interprété comme un soutien massif au projet colonial ou s’inscrit-il dans la culture et dans la
consommation de loisirs qui se développe depuis le XIXe siècle et qui voit triompher les parcs
d’attraction et les foires-expositions ?
Sur la question particulière des villages nègres (pour utiliser la terminologie de l’époque), les
interprétations sont également délicates : impitoyables « zoos humains » ou spectacles
exotiques finalement assez banals ? Lieux de pur avilissement de victimes exhibées malgré elles ou
mises en scènes plus complexes qui n’excluent pas la participation active des « indigènes » euxmêmes ? On s’en doute, la réponse est forcément nuancée, appelle au croisement des sources, à la
multiplication des études et à dépasser une vertueuse indignation rétrospective (doc. 1).
Au bout du compte, les vocations coloniales sont restées assez rares en France, quand on les
compare avec ce qui s’est passé au même moment en Grande-Bretagne. Et, face à la perte de leur
Empire dans les années 1950-60, les Français ont fait preuve d’une relative indifférence qui cadre
finalement assez mal avec l’idée d’un enracinement profond de la culture impériale.
LECTURES COMPLEMENTAIRES
 Jean-Michel BERGOUNIOU, Rémi CLIGNET et Philippe DAVID, Villages noirs et autres
visiteurs africains et malgaches en France et en Europe (1870-1940), Karthala, 2001.
 Pascal BLANCHARD, Nicolas Bancel et al., Zoos humains, au temps des exhibitions
humaines, La Découverte, 2e éd. 2004 (1re éd. 2002).
 Catherine Hodeir et Michel Pierre, 1931. L’Exposition coloniale, Editions complexe, coll.
« La Mémoire du siècle », 1999.
 Christèle LOZERE, Le Bordeaux colonial (1850-1940), Sud-Ouest, 2007.
203
1 Ŕ UN BAPTEME AU « VILLAGE NOIR »
CARTE POSTALE DE L’EXPOSITION DE TOULOUSE DE 1908
Depuis le milieu du XIXe siècle, on ne compte plus en Europe les expositions, qu’elles soient
universelles (comme à Londres en 1851 ou à Paris en 1889 ou en 1900) ou locales. Toutes les
grandes villes de France organisèrent en effet des foires ou des expositions commerciales et, de plus
en plus souvent, coloniales, au fur et à mesure que s’étendait la domination impériale française en
Asie et en Afrique.
Lors de ces manifestations, les visiteurs pouvaient alors découvrir des villages indigènes, qu’ils
soient africains ou asiatiques. L’idée de ce type d’exhibition remonte au début du XIXe siècle où l’on
a commencé à montrer, dans le cadre des Jardins d’acclimatation, des Lapons, par exemple, ou
autres peuples considérés comme exotiques. Mais, avec la colonisation, ce sont plutôt les
populations des pays soumis par la France qui sont données à voir. Dans les premiers temps des
exhibitions humaines, l’accent était plutôt mis sur l’aspect étrange, dépaysant, des personnes ainsi
livrées à la curiosité des Occidentaux. À la fin du XIXe siècle, leur situation de colonisés est
également mise en valeur. Leur présence dans les allées des foires et expositions de la métropole
rappelle et exalte la geste coloniale. Elle permet, en replaçant les individus dans des villages
reconstitués et « vendus » comme authentiques, de mesurer l’écart entre les indigènes et les
habitants métropolitains et de légitimer ainsi la domination coloniale. Si l’on insistait sur le
caractère encore fruste, voire sauvage des populations exhibées, c’était bien pour souligner les
efforts de la France à les faire accéder aux stades supérieurs de la « civilisation ».
À partir de l’Exposition universelle de 1889 où les visiteurs purent découvrir pour la première
fois quatre « villages noirs », le phénomène se répand en France. Des « villages nègres » sont
présentés à Marseille en 1890 et 1906, à Strasbourg (1891, 1895, 1924), Bordeaux (1895, 1904,
1907), etc. Devenus des attractions recherchées, ils sont pris en main par de véritables
organisateurs. L’un de ces entrepreneurs est Ferdinand Gravier, ancien militaire colonial, qui
proposa, dès la fin du XIXe siècle, des villages noirs et annamites dans le cadre de diverses
expositions et foires locales. Il fit la rencontre de Jean-Alfred Vigé, qui fut le maître d’œuvre de
l’exposition de Toulouse. Celui-ci, ancien courtier bordelais, se fit nommer administrateur de
l’exposition internationale et coloniale de Rochefort, en 1898, ce qui marqua ses premiers pas dans
la carrière. Il fut ainsi l’organisateur d’une vingtaine d’expositions en France et d’une douzaine de
villages noirs. Ainsi, si la foire de Toulouse qui se tint dans la ville de mai à octobre 1908, n’était
en aucune manière coloniale, elle n’en compta pas moins un village noir, de la seule initiative de
Vigé qui fit venir 98 Sénégalais.
Les organisateurs des villages nègres recouraient au service de notables sénégalais ou guinéens
pour recruter les acteurs de leur mise en scène. Ceux-ci, mobilisant leur réseau familial pour
répondre aux demandes des entrepreneurs français, sont devenus à leur tour de véritables
professionnels de l’exhibition de leurs compatriotes. Ainsi le bijoutier sénégalais Jean Thiam, chef
de « village noir », est-il présent à de nombreuses expositions où il reçoit, comme à Toulouse en
1908, des prix récompensant ses productions. Il fut élu au conseil municipal de Gorée en 1904 et
reçut la légion d’honneur en 1920. Son activité de « chef de village » professionnel lui procura
donc une honnête aisance, qui en fit un véritable notable au Sénégal. Les autres « villageois »
recevaient, quant à eux, un modeste salaire.
204
Source : Archives municipales de Toulouse
Les villages noirs se présentaient comme des enclos où des maisons ou cases avaient été
construites pour loger les habitants. Inclus dans le périmètre de l’exposition, ils se visitaient
toutefois à part. Les droits d’entrée variaient entre 25 et 50 centimes par personne.
Les organisateurs cherchaient à reconstituer la vie d’un village, avec ses artisans, ses activités de
tous les jours et même les lieux de culte. Mais le souci « anthropologique » ne l’emportait pas
toujours et les conditions de vie des populations exhibées laissaient souvent à désirer. Les villages
regroupaient 50 à 200 personnes, selon les cas. Enfin, les directeurs des villages nègres se plaisaient
à mettre en scène les fêtes religieuses, musulmanes pour la plupart, et les cérémonies liées au cycle
de la vie. Les naissances étaient particulièrement bienvenues. Les recruteurs prenaient d’ailleurs
soin de choisir des femmes enceintes dans leur équipe. Les déclarations de naissances donnaient
lieu à des baptêmes, parfaitement médiatisés.
À Toulouse, il y eut cinq naissances ! La carte postale présentée illustre l’une de ces fêtes
orchestrées pour la curiosité des Toulousains. Il s’agit peut-être du baptême de l’enfant de Guej
Ndiaye, né le 12 mai 1908, auquel Vigié, en tant que parrain, avait donné son double prénom de
Jean-Alfred. À l’un de ces baptêmes toulousains, l’on note aussi la présence de François Benga,
jeune Sénégalais, étudiant à Montpellier, appartenant peut-être à la famille d’un des membres du
village noir de Toulouse.
On ne peut nier le succès remporté par les villages noirs qui attirèrent un public curieux et
volontiers condescendant à l’égard des « indigènes ». La presse locale, comme la fit La Dépêche à
Toulouse, ne manqua pas de saluer l’événement et d’en faire des comptes rendus élogieux. Un des
journalistes du journal de Toulouse écrit ainsi en 1908 : « Physiquement, les hommes sont beaux,
grands robustes et si chez les femmes, les traits du visage ne répond pas à notre idée de la beauté, du
moins présentent-elles une physionomie des plus régulières ».
Mais les villages noirs ne manquèrent pas non plus, çà et là, de choquer, car ils bafouaient la
dignité des personnes ainsi exhibées. À Bordeaux, l’une des associations culturelles importantes où
se retrouvait une partie de l’élite politique et commerçante de la vie, très liée au mouvement
colonial, la société philomatique de Bordeaux, dénonça le village noir organisé en 1895 par
Ferdinand Gravier, qualifié « d’exhibitions de simili-anthropologie ». L’un des membres de la
société allait même jusqu’à écrire : « Je ne puis m’empêcher de plaindre ces pauvres diables en
deuil de soleil, rongés de nostalgie. Je les plains, oh sincèrement, d’avoir vécu six mois au contact
de l’énorme et féroce bêtise des foules occidentales. » On ne saurait mieux dire.
En 1912, le journaliste Léon Werth, de retour d’une visite d’un village indigène au Jardin
d’acclimatation de Paris, dressait un portrait féroce des spectateurs des villages noirs, volontiers
racistes et méprisants à l’égard des populations exhibées. En 1931, le ministre des Colonies, Paul
Reynaud, dénonça « la curiosité malsaine » qui entourait ces manifestations et interdit aux
administrateurs coloniaux le recrutement d’indigènes pour des spectacles privés. Le temps des
villages noirs était révolu, laissant la place à des expositions qui se voulaient plus ethnographiques
des peuples colonisés….
Mots-clés
Indigènes, expositions coloniales, Toulouse, villages noirs, racisme
Place dans les programmes
Classes de 4e, de 1re et de Ter.S.
Questions
1/ Quels sont les éléments qui rappellent le contexte colonial sur la carte postale ?
2/ Quelles sont les régions de l’Afrique colonisées par les Français en 1908 ? Comment sont-elles alors
organisées ?
3/ Rechercher dans des ouvrages locaux la trace de villages noirs.
4/ À quelle date se tint la grande exposition coloniale à Paris ? Y trouvait-on des villages indigènes ?
5/ Le souvenir de ces villages noirs est-il de nos jours toujours vivace ?
207
2 Ŕ « L’EXPOSITION COLONIALE DE 1931.
CARTOGRAPHIE DE L’IMAGINAIRE COLONIAL »
L’ensemble de l’article (paru dans Mappemonde, n° 1, 1991, p. 23-28), est téléchargeable en
format pdf à l’adresse suivante :
http://www.mgm.fr/PUB/Mappemonde/Mappe191R.html
Mots-clés
Culture coloniale, expositions coloniales, Exposition de 1931, propagande.
Niveaux
Classes de 4e, de 1re et de Ter. S.
Thématiques
-
Réflexion sur les formes multiples prises par la propagande coloniale.
Réflexion sur la réception de la « culture coloniale ».
Pistes de travail possibles
On trouvera dans ce document, plusieurs schémas analysant l’espace de l’Exposition coloniale
de 1931, ainsi que la reproduction d’un plan scénographique d’ensemble publié du numéro spécial
de L’Illustration de 1931 consacré à l’événement de la Porte Dorée.
Cet ensemble pourra fournir aux enseignants un document original, faisant appréhender de
manière concrète aux élèves l’espace de l’Exposition, sa « scénographie » et étudier une des
manifestations phares révélatrices de la « culture coloniale » de l’entre-deux-guerres.
Il pourra aussi permettre aux enseignants d’aborder l’épineuse question de la réception de ces
expositions coloniales : y t-il eu acquiescement profond à l’idée coloniale ou simple engouement
pour une expérience « exotique » à peu de frais ? Leur forme ludique a assuré aux expositions
coloniales de véritable succès populaires en termes de fréquentation. Ainsi, l’Exposition coloniale
de 1931 a-t-elle donné lieu à la vente de 24 millions de billets d’entrée Ŕ ce qui a correspondu à une
fréquentation réelle de 8 millions de personnes (il fallait en effet acheter 3 billets différents pour
accéder aux différents espaces Ŕ attention, l’article, déjà ancien, est fautif sur les chiffres réels de
fréquentation !).
Au final, quelle fut la profondeur réelle de l’adhésion au projet colonial, et l’enracinement de cette
culture « impériale » ? C’est là une des questions les plus difficiles à résoudre en histoire des
représentations Ŕ et une question souvent éludée par les ouvrages consacrés à la propagande et à
l’iconographie coloniales.
208
3 Ŕ MENU GASTRONOMIQUE
DE LA SOCIETE DE GEOGRAPHIE DE TOULOUSE (1903)
Vingtième anniversaire de la Société de géographie de Toulouse
Compte-rendu du 14 février 1902
Tous les membres de la société s’intéressant particulièrement à sa prospérité, ont fêté, dans un
banquet, le vingtième anniversaire de sa fondation. Ce banquet a été admirablement servi par M.
Dupont, dans les vastes salons de l’hôtel de l’Europe, très bien décorés par la circonstance.
Voici le menu de cette agréable agape :
Potages Niams-Niams
Purée de Huang-Ho ou fleuve jaune
Manioc des Galibis
Relevé saharo-cambdogien
Saumon du T’chad ou du Toulé-Sap
Entrées d’Andranovopolopaposy
Filet d’auroch aux truffes caraïbes
Cuissot du grand cerf des cavernes
Pâté de foie chinois à la japonaise
Rôts des Taïpings
Faisans vénérés de l’Inde aux truffes
Primeurs des tropiques
Salade truffée de congaïs, de mousmées et de bayadères
Entremets polaires
Glaciers du Nethou
Fragments de l’Himalaya
Croustades Barios
Vins
Graves Moulins à vent !
Saint-Esthèphe, L. Chandon
Moka, vieille fine
Source : Bulletin de la société de géographie de Toulouse, 1903, T.XXII, p.30
Présentation du document
Si la société de géographie de Paris a vu le jour dès 1821, il faut attendre le derniers tiers du XIXe
siècle pour que les autres villes de France se dotent d’une institution semblable : Lyon en 1873,
Bordeaux en 1874, Marseille en 1876 et Toulouse en 1882. La création en série des sociétés de
géographie est en partie liée à la reprise de l’expansion coloniale qui coïncide avec les débuts de la
Troisième République.
Les sociétés de géographie ont pour objectif de diffuser, parmi un public d’amateurs et d’érudits,
le goût pour la connaissance des territoires et des peuples qui les habitent, proches ou lointains.
209
Elles vont largement participer au mouvement impérial, en finançant des explorations en Afrique ou
en Asie et en publiant des études sur les régions lointaines.
La Société de géographie de Toulouse est donc fondée en 1882. Elle regroupait des hommes
d’affaires, des membres des professions libérales, des universitaires et des militaires. Ces derniers
étaient alors le principal lien de la capitale languedocienne avec les colonies. Beaucoup d’entre eux
y avaient effectué un séjour de plus ou moins longue durée avant d’être affectés dans la ville rose.
La présidence de la société de géographie leur était attribuée une année sur deux.
La société se dote d’un bulletin mensuel assez dense. On peut y lire le texte des conférences
données dans les salons de l’institution par les érudits locaux ou les explorateurs de passage à
Toulouse et des études géographiques sur le Sud-ouest de la France ou le vaste monde. Les centres
d’intérêt de l’institution sont en effet fort variés comme en atteste de manière humoristique le menu
de son vingtième anniversaire. La région toulousaine et surtout les Pyrénées occupaient une place
importante dans les colonnes du périodique. Mais dès sa création, la société s’intéresse de très près
au monde colonial : l’Afrique, Madagascar, l’Extrême-Orient indochinois font l’objet de multiples
articles. Ainsi, par le biais des conférences et du bulletin de l’Association, Toulouse s’est-elle mise
à l’heure impériale au temps de la Belle Époque.
Place dans les programmes
Classes de 4e, de 1re et de Ter.S.
Questions
1. Sur une carte du monde, porter les régions colonisées par la France en 1902.
2. À l’aide de dictionnaire et d’ouvrages sur la colonisation, trouver les régions de l’Empire
colonial français auxquels font allusion de manière humoristique les plats suivants :
 Relevé saharo-cambdogien
 Saumon du T’chad ou du Toulé-Sap
 Potages Niams-niams
3. À quel pays font référence la purée de Huang-Ho ou fleuve jaune ou les rôts des Taïpings ?
4. Chercher dans un dictionnaire la signification des termes : congaïs, mousmées et bayadères.
Quelles visions de la femme dans les colonies ou les pays lointains nous révèlent-ils ?
5. Chercher également la signification du terme Niam-Niam ? Quelle représentation des
populations africaines suggère-t-il ?
Mots-clés
Colonisation, sociétés savantes, sociétés de géographie, culture coloniale, Afrique, Indochine.
210
4 Ŕ UNIVERSALITE DE LA CULTURE, CRITIQUE DE L’ETHNOCENTRISME
Pendant la période coloniale, l'administration et les pouvoirs établis sur place et en métropole ont
utilisé les enquêtes sur une région ou sur une ethnie faites par les anthropologues pour consolider
leur domination et leur exploitation.
Plus gravement l'anthropologie a été accusée - non sans quelques raisons par rapport aux
premières générations d'anthropologues - d'avoir servi de caution à l'idée d'une « mission
civilisatrice », d'avoir rempli une fonction plus légitimante que contestatrice vis à vis du
colonialisme.
Certaines analyses ethnologiques ou leurs interprétations parfois tendancieuses ont accrédité
l'idée que les sociétés dites primitives1 vivent dans une sorte d'enfance de l'humanité ou en marge
du progrès et de la civilisation, ou encore bloquées dans leur évolution à un stade depuis longtemps
dépassé par les sociétés les plus développées de l'humanité. L'inventaire des différences culturelles
et sociales fut lié de manière plus ou moins explicite à des conceptions de l'histoire dominées par le
progressisme et l'évolutionnisme culturel quand il n'était pas rabattu sur une prétendue hiérarchie
des races. Des travaux - parfois polarisés sur les différences anatomiques - suscitèrent l'inquiétude
de quelques esprits héritiers des Lumières qui défendaient l'unité du genre humain et l'universalité
de la raison. Si l'anthropologie raciale céda à une anthropologie de plus en plus sociale, il n'en
demeure pas moins que la plupart des anthropologues jusque dans les dernières années du XIX°
siècle, partageaient l'idée dominante de leur époque d'une histoire universelle embrassant dans un
même mouvement, orienté et irréversible, l'ensemble de l'humanité, ce qui ne permettait guère un
regard critique sur la croyance d'une supériorité non seulement technique mais économique, sociale,
voire morale de l'Occident sur les autres peuples au point d'approuver ou ne pas désavouer les
politiques coloniales de leurs nations d'origine. Si ces anthropologues soutenaient, en effet, l'unité
du genre humain et s'opposaient par là à toute forme de racisme, ils postulaient en même temps que
ce genre était soumis à une seule et même histoire ce qui revenait, par voie de conséquence, à
justifier une politique coloniale paternaliste qui avait le devoir d'arracher les peuples enfants à la
stagnation pour les conduire à la maturité. L'Europe et ses colons étaient chargés d'une lourde
mission devant l'humanité, celle de faire connaître aux peuples sauvages, aux sociétés primitives les
bienfaits de la civilisation. La mystification consistait à penser que les puissances coloniales
apportaient la civilisation alors qu'elles n'apportaient - ce qui est évident pour nous a postériori - que
leur civilisation.
Nous ne proposons pas de présenter les méandres d'une histoire de l'anthropologie, notre objectif
est de faire partager la pertinence, la rigueur, parfois la malice de C. Lévi-Strauss dans sa critique
des avatars passés que l'anthropologie a pu, parfois en dépit de ses intentions ou projets, engendrer,
les a priori idéologiques, des illusions sur son objectivité sous-estimant le lien qui unissait les
ethnologues à leur société d'origine dont ils étaient l'émanation culturelle.
L'œuvre de Lévi-Strauss permet de mesurer le travail d'élucidation de l'anthropologie, y compris
à l'égard de sa propre démarche, travail sans doute inachevé et non exempt de crise. Un des intérêts
de la démarche anthropologique consiste à nous étonner de ce qui nous est le plus familier (ce que
nous vivons quotidiennement dans la société dans laquelle nous sommes nés) et à rendre plus
familier ce qui nous est étranger (les comportements, les croyances, les coutumes des sociétés qui
ne sont pas les nôtres, mais dans lesquelles nous aurions pu naître).
1
Ce n'est que très récemment que les arts de ces peuples ne sont plus qualifiés de « primitifs » mais de « premiers » ce
qui ne demeure pas dénué d'ambiguïtés. Et même pendant longtemps la production artistique de ces peuples n'était
considéré que comme folklore ou au mieux artisanat.
211
Avant l'exposé de quelques éléments de réflexion, parmi d'autres, que nous inspirent les
analyses de Lévi-Strauss, il convient de souligner les mises au point, les inflexions, voire les
renversements opérés par l'anthropologie par rapport à ses débuts :
- la considération des multiples dimensions de l'être humain en société et, par voie de
conséquence, le souci d'articuler les divers champs d'investigation ;
- l'étude de l'homme dans toutes les sociétés, sous toutes les latitudes ;
- la reconnaissance de la diversité culturelle sans référence à sa propre culture prise comme
l'expression de la civilisation ou l'expression de la raison universelle, bref sans hiérarchisation ;
- un engagement en faveur de l'anticolonialisme et pour les droits des minorités ethniques ;
- l'urgence de conservation des patrimoines culturels menacés ;
- la conviction forte qu'il n'y a pas d'anthropologie sans échange, ce qui implique une rupture
avec une conception asymétrique de la recherche, fondée seulement sur une captation
d'informations.
1. Tous les peuples ont une culture.
Lévi-Strauss dénonce le préjugé qui consiste à rejeter hors de la culture des peuples parce que
nous les tenons pour plus proches de la nature que nous. En fait, tous les peuples sans exception ont
une culture, c'est-à-dire une langue, un système de parenté, des croyances, une organisation
politique et juridique etc... Le monde de l'homme est le monde de la culture avec la même rigueur
quelles que soient les sociétés, leur niveau de pauvreté ou de prospérité économique. La présence de
la culture se signale par des règles, , des techniques, des institutions par lesquelles les sociétés se
différencient et s'opposent. Ainsi si « le dénuement où vivent les Nambikwara paraît à peine
croyable », ils n'ont pas moins des techniques de jardinage, des parures, des mœurs qui les situent
d'emblée du coté de la culture :
« L'année nambikwara se divise en deux périodes distinctes. Pendant la saison pluvieuse,
d'octobre à mars, chaque groupe séjourne sur une petite éminence surplombant le cours d'un
ruisseau (...). Ils ouvrent des brûlis dans la forêt-galerie qui occupe le fond humide des vallées,
et ils plantent et cultivent des jardins où figurent surtout le manioc (doux et amer), diverses
espèces de maïs, du tabac, parfois des haricots, du coton, des arachides et des calebasses (...).
Au début de la saison sèche, le village est abandonné et chaque groupe éclate en plusieurs
bandes nomades. Pendant sept mois, ces bandes vont errer à travers la savane, à la recherche
du gibier : petits animaux surtout, tels que larves, araignées, sauterelles, rongeurs, serpents,
lézards ; et de fruits, graines, racines ou miel sauvage, bref tout ce qui peut les empêcher de
mourir de faim.
(…) Le costume des femmes se réduisait à un mince rang de perles de coquilles, noué
autour de la taille et quelques autres en guise de colliers ou de bandoulières ; des pendants
d'oreilles en nacre ou en plumes, des bracelets taillés dans la carapace du grand tatou et
parfois d'étroites bandelettes en coton (tissé par les hommes) ou en paille, serrées autour des
biceps ou des chevilles.
(…) Tous les biens des Nambikwara tiennent aisément dans la hotte portée par les femmes
au cours de la vie nomade.
(…) La consonance du nambikwara est un peu sourde, comme si la langue était aspirée ou
chuchotée. Les femmes se plaisent à souligner ce caractère et déforment certains mots (ainsi,
kititu devient dans leur bouche kediustu) ; articulant du bout des lèvres (…) leur émission
témoigne d'un maniérisme et d'une préciosité dont elles ont parfaitement conscience » (Tristes
tropiques 1955 La Pléiade Gallimard 2008, p.273-277).
L'anthropologue observe que chez tous les groupes humains le pas qui mène de l'animalité à
l'artifice, des instincts à l'institution, de la nuit animale au symbolisme et à la fonction clarifiante du
212
langage articulé, a toujours déjà été franchi. Aucun peuple ne vit naturellement. L'expression
« vivre naturellement » pour l'homme est une contradiction dans les termes ; elle n'est pour l'animal
qu'une tautologie. Le pire contre-sens que l'on puisse commettre sur les peuples sans écriture ou sur
les peuples sans histoire -il serait plus judicieux de préciser que ce sont des peuples qui n'ont pas
envie d'avoir des histoires- est de les imaginer vivre comme des animaux. A bien des égards , leurs
croyances et leurs mœurs sont plus complexes que les nôtres, leurs conventions et leurs artifices
témoignent d'une ingéniosité dont nous avons perdu le sens.
L'homme est le seul animal à ne pas se contenter de ce que la nature lui donne. Partout l'homme
orne, maquille, peint, vêt son corps. Aucun animal ne le fait.
De même aucun animal ne fera cuire ses aliments avant de les absorber.
De même si les animaux ont des signes de communication, ceux-ci sont liés à des stimulations
internes ou externes, seul l'homme a un langage articulé, institué, symbolique et grâce à la
combinaison de mots il peut produire un discours au potentiel infini pour exprimer ses pensées et
connaître le monde.
De même seul l'homme cultive la terre.
De même seul l'homme ne transforme pas seulement la nature mais se transforme lui-même. Il
ne se laisse pas commander par ses instincts, ses pulsions de façon incontrôlée, sa conduite se
soumet à des règles, à des interdits qui n'existent pas à l'état naturel comme la prohibition de
l'inceste et toutes sortes de prescriptions.
La culture n'est pas une particularité ou une donnée seulement propre à certaines sociétés
humaines, elle est un fait humain fondamental : par le jeu combiné du symbolisme et de la
fabrication, les hommes ne vivent pas une vie simplement animale, consistant à naître, se conserver,
se reproduire et mourir. Ce décalage de la vie humaine d'avec la vie animale signifie que toute
injonction d'un retour à la nature ne doit être comprise que métaphoriquement et qu'il s'agit en
l'occurrence d'une injonction culturelle.
Le fait même de vivre dans des cultures est le lot commun des hommes : les langues diffèrent et
avec elles les manières de symboliser et de discourir, mais on ne connait pas d'homme vivant en
dehors du langage ; les formes du travail et de la production diffèrent dans le temps et l'espace, mais
le travail est partout présent ; les institutions juridiques, politiques, les coutumes varient, mais il y
en a dans toutes les sociétés humaines. Ce qu'ont en commun les hommes, c'est leur aptitude à la
variation culturelle.
2. Le concept de culture sous l'angle de l'anthropologie.
L'anthropologie culturelle a commencé par une rupture épistémologique avec le sens
traditionnel et normatif du terme culture désignant et valorisant certaines pratiques, notamment les
productions intellectuelles et les manières de l'élite d'une société. Pour les anthropologues, la culture
concerne aussi les phénomènes que leur banalité, leur quotidienneté faisaient apparaître à tort
comme insignifiants ou naturels, ils ont considéré que la culture est constitué de l'ensemble des
activités, des comportements et des représentations acquis par l'homme, de toutes les manières
d'être, de faire, de penser qui forment un système relativement stable, susceptible de se transmettre
au fil des générations. Relèvent de la culture pour les anthropologues sans appréciation de valeur
positive ou négative aussi bien la tragédie grecque, la dynamo électrique, la sorcellerie etc. L'on
voit, par là, que les anthropologues donnent congé à des jugements de valeur établis sur des
normes culturelles particulières qui, bien qu'elles soient en réalité des plus variables du fait de la
diversité des cultures, s'imposent de façon quasi inconsciente comme des références évidentes à
ceux qui font partie de cette culture. Ainsi l'anthropologie nous rend attentifs à ne pas tenir la
diversité des cultures pour une inégalité des cultures, nous rend compréhensible ce qui, au premier
abord, ne l'était pas (comment peut-on penser qu'un mariage avec toute autre personne que sa
213
cousine est condamnable ? Comment peut-on croire à la magie ?, etc.) nous oblige enfin à prendre
quelque distance à l'égard de jugements qui valorisent certaines choses mais à l'exclusion d'autres,
et finalement nous comprendre les uns les autres.
« L'humanité en progrès ne ressemble guère à un personnage gravissant un escalier,
ajoutant par chacun de ses mouvements une marche nouvelle à toutes celles dont la conquête
lui est acquise ; elle évoque plutôt le joueur dont la chance est répartie sur plusieurs dés et
qui, chaque fois qu'il les jette, les voit s'éparpiller sur le tapis, amenant autant de comptes
différents. Ce que l'on gagne sur un, on est toujours exposé à le perdre sur l'autre, et c'est
seulement de temps à autre que l'histoire est cumulative, c'est-à-dire que les comptes
s'additionnent pour former une combinaison favorable. (...)
La civilisation occidentale s'est entièrement voué, depuis deux ou trois siècles, à mettre
à la disposition de l'homme des moyens mécaniques de plus en plus puissants. Si l'on adopte
ce critère, on fera de la quantité d'énergie disponible par tête d'habitant l'expression du plus
ou moins haut degré de développement des sociétés humaines. La civilisation occidentale sous
sa forme nord-américaine occupera la place en tête, les sociétés européennes venant ensuite,
avec, à la traîne, une masse de sociétés asiatiques et africaines qui deviendront vite
indistinctes (...). Si le critère retenu avait été le degré d'aptitude à triompher des milieux
géographiques les plus hostiles, il n'y a guère de doute que les Eskimos d'une part, les
Bédouins de l'autre emporteraient la palme. L'Inde a su, mieux qu'aucune autre civilisation,
élaborer un système philosophico-religieux, et la Chine un genre de vie1, l'un et l'autre
capable de réduire les conséquences psychologiques d'un déséquilibre démographique. Il a
déjà treize siècles, l'Islam a formulé une théorie de la solidarité de toutes les formes de la vie
humaine : technique, économique, sociale, spirituelle2, que l'Occident ne devait retrouver que
tout récemment avec certains aspects de la pensée marxiste et la naissance de l'ethnologie
moderne. On sait quelle place prééminente cette vision prophétique a permis aux Arabes
d'occuper dans la vie spirituelle du Moyen Age. L'Occident, maître des machines, témoigne de
connaissances très élémentaires sur l'utilisation et les ressources de cette suprême machine
qu'est le corps humain. Dans ce domaine au contraire, comme dans celui connexe des
rapports entre le physique et le moral, l'Orient et l'Extrême-Orient possèdent sur lui une
avance de plusieurs millénaires ; ils ont produit ces vastes sommes théoriques et pratiques que
sont le yoga de l'Inde, les techniques du souffle chinoises ou la gymnastique viscérale des
anciens Maoris3. » (Claude Lévi-Strauss, Race et histoire , folio essais 1997, p. 38-39, 46-47).
Les sociétés les plus différentes de la nôtre, nous les tenons spontanément pour indifférenciées,
elles « deviennent vite indistinctes », alors qu'elles sont en fait aussi différentes entre elles qu'elles
le sont de celle à laquelle nous appartenons. Et, plus encore, elles sont pour chacune d'entre elles,
très rarement homogènes (comme nous pouvions spontanément nous y attendre) mais, au contraire,
diversifiées.
Chaque culture représente un ensemble d'adaptations à un milieu donné et de réponses aux
interrogations de l'homme, chacune privilégie certains aspects de l'existence, des exigences et des
projets spécifiques, certaines valeurs plutôt que d'autres. Il n'existe en conséquence aucun critère
neutre ou absolu qui permettrait d'établir une hiérarchie entre les cultures.
3. La critique du racisme
1
Lévi-Strauss pense vraisemblablement au bouddhisme d'une part, au confucianisme de l'autre.
Cf. par exemple l'œuvre d'Ibn Khaldoun (1332-1406).
3
Indigènes de Nouvelle-Zélande.
2
214
Le racisme soutient que les hommes constitue un ensemble hétérogène et inégal de « races »
hiérarchiquement réparties, il veut préserver la race dite supérieure de tout croisement et prétend
justifier sa domination sur les autres races. Dans les pays démocratiques, la constitution et les lois
condamnent toutes les formes de discrimination raciale. Pour autant, un racisme diffus ou virulent
n'en persiste pas moins.
Le fantasme biologique est dominant dans le racisme : on sait le rôle qu'y jouent la couleur de la
peau ou la prétendue pureté du sang. En ravalant l'autre à un rang inférieur, le raciste cherche à
présenter et à préserver les inégalités sociales comme des inégalités de race fondées en nature.
Pour les biologistes, l'humanité est une même espèce génétiquement. Tout découpage dans le
champ continu de l'espèce humaine est arbitraire : il n'existe pas scientifiquement de races
humaines, il existe certes des types physiques (taille, forme de visage, couleur de la peau etc.) mais
leur variété extrême rend tout classement scientifique impossible.
Quant aux peuples, leur existence est le résultat de leur culture.
On peut aussi effectuer un retour sur la civilisation qui a généré l'idéologie raciste, dans sa
prétention faussement scientifique, et l'expansion coloniale qu'elle a justifiée en tant qu' exploitation
méthodique d'un territoire étranger et asservissement de sa population : c'est interroger l'Occident et
dans une certaine mesure le monde arabe. Cela permet de souligner qu'aujourd'hui ce qui importe
c'est le refus théorique, politique et moral de tout compromis ou de toute compromission avec une
idéologie obscurantiste s'opposant aux droits de l' homme.
Lévi-Strauss, dans les extraits qui suivent, a le mérite d'élucider les préjugés d'une idéologie qui
confond les différences physiques entre les hommes avec des différences culturelles, qui prétend
déduire de caractères physiques un mode de comportement, des aptitudes intellectuelles ou des
qualités morales. Lévi-Strauss démontre l'absurdité des présupposés d'une telle idéologie dont les
premières générations d'anthropologues n'ont pas été exempts.
« Le péché originel de l'anthropologie consiste dans la confusion entre la notion purement
biologique de race (à supposer, d'ailleurs, que, même sur ce terrain limité, cette notion puise
prétendre à l'objectivité ce que la génétique moderne conteste) et les productions
sociologiques et psychologiques des cultures humaines. (…)
[L'originalité des apports culturels de l'Asie ou de l'Europe, de l'Afrique ou de l'Amérique]
tient à des circonstances géographiques, historiques et sociologiques, non à des aptitudes
distinctes liées à la constitution anatomique ou physiologique des noirs, des jaunes ou des
blancs. (…) Il y a beaucoup plus de cultures humaines que de races humaines, puisque les
unes se comptent par milliers et les autres par unités : deux cultures élaborées par des
hommes appartenant à la même race peuvent différer autant, ou davantage, que deux
cultures relevant de groupes racialement éloignées. » (Race et histoire, p. 10-11).
4. La critique de l'illusion archaïque.
Une autre façon de méconnaître la culture de certains peuples, tout aussi anti-scientifique, c'est
de les considérer comme les survivants d'une enfance de l'humanité. Ce ne sont plus des bêtes mais
ce sont encore des primitifs (en tout cas ils demeurent inaccomplis)1. Ce préjugé que Lévi-Strauss
1
La notion de primitivité appliquée aux sociétés non occidentales est une invention du XVIII° siècle: elle repose sur
l'idée que certaines sociétés figurent un stade de développement révolu. Cette notion, comme celle de civilisation qui
lui fait pendant, est liée à une conception de l'histoire qui embrasserait dans un même mouvement uniforme, linéaire
et ascendant l'ensemble des sociétés. Précisons que lorsque Lévi-Strauss utilise l'expression « sociétés primitives », il
ne fait que désigner sans aucune connotation péjorative et selon une convention ethnologique qui perdure, des
215
qualifie d' « illusion archaïque », en engendre un autre le faux évolutionnisme assimilant les
différentes cultures aux différents stades d'un même processus évolutif: « Car, si l'on traite les
différents états où se trouvent les sociétés humaines, tant anciennes que lointaines, comme des
stades ou des étapes d'un développement unique qui, partant d'un même point, doit les faire
converger vers le même but, on voit bien que la diversité n'est plus qu'apparente. » (Race et
histoire, p. 23-24)
Le faux évolutionnisme présuppose que l'on retrouverait, étalés dans l'espace, les différents
stades culturels qui se sont succédés dans le temps et dont l'aboutissement est représenté par
l'Occident. C'est ainsi que le touriste s'imagine retrouver l'âge de pierre auprès des aborigènes en
Australie, nos premiers siècles dans les campagnes en Ethiopie, le Moyen Age dans certains
marchés du Proche-Orient.
Quant à l'illusion archaïque, elle consiste à penser que certaines sociétés seraient, du fait d'une
stagnation culturelle, plus proches des états originaires de l'humanité représentant une figure de
l'histoire passée ; bref tout en feignant de leur reconnaître une culture, cette illusion nie à sa façon
la diversité culturelle dans la mesure où celle-ci est rattachée aux étapes d'un développement social
uniforme, comparable aux âges de la vie. Or aucun peuple ne représente une étape infantile de
l'humanité, les peuples dits primitifs ne sont ni des enfants attardés ni des témoins vivants des temps
préhistoriques, appelés à devenir adultes, « matures » en s'intégrant à la civilisation occidentale.
Lévi-Strauss critique cette illusion en expliquant comment s'est formée une telle représentation et
les raisons de sa persistance.
« Il est tentant, en vérité, de voir dans les sociétés primitives une image approximative
d'une plus ou moins métaphorique enfance de l'humanité, dont le développement intellectuel
de l'enfant reproduirait aussi pour sa part et sur le plan individuel, les stades principaux (…).
[Mais l'enfant n'est] pas un adulte ; il ne l'est, ni dans notre société, ni dans aucune autre,
et dans toutes, il est également éloigné du niveau de pensée de l'adulte ; si bien que la
distinction entre pensée adulte et pensée infantile recoupe, si l'on peut dire, sur la même ligne,
toutes les cultures et toutes les formes d'organisation sociale. (…) la culture la plus primitive
est toujours une culture adulte, et par cela même incompatible avec les manifestations
infantiles (...).
Quand nous comparons la pensée primitive et la pensée infantile, et que nous voyons
apparaître tant de ressemblances entre les deux, nous sommes donc victimes d'une illusion
subjective, et qui se reproduirait sans doute pour les adultes de n'importe quelle culture
comparant leurs propres enfants avec les adultes relevant d'une culture différente. La pensée
de l'enfant étant moins spécialisée que celle e l'adulte, elle offre en effet, toujours à celui-ci,
non seulement l'image de sa propre synthèse, mais aussi de toutes celles susceptibles de se
réaliser ailleurs et sous d'autres conditions (…) si bien que, pour une société quelconque, ce
sont toujours ses propres enfants qui offrent le point de comparaison le plus commode avec
des coutumes et des attitudes étrangères. Les mœurs très éloignées des nôtres nous
apparaissent toujours, et très normalement, puériles » (Les structures élémentaires de la
parenté,1947, Mouton, 1971, p. 102-111)
L'enfant n'est pas encore formé par la culture ; il reste apte à acquérir tous les comportements
possibles, de même qu'il n'a pas encore , parmi l'infinité des sons qu'il reste apte encore à prononcer,
sélectionné sous l'effet de l'habitude et de l'imitation, le système de sons et de règles grammaticales
qui constituera son langage. Mais ne soyons pas victimes de cette illusion en confondant le monde
adulte et celui de l'enfant. Tous les peuples sont adultes.
sociétés sans écriture; dans ses dernières œuvres, il prend la précaution d'employer l'expression « sociétés dites
primitives ».
216
Lévi-Strauss remet en cause la mystique d'un devenir historique univoque conçu comme une
évolution continue, le postulat d'un sens de l'histoire unique et totalisateur avec sa tendance à ne
reconnaître les singularités culturelles qu' étalonnées par référence à la norme des sociétés
occidentales.
Les sociétés dites primitives se définissaient avant tout par leurs insuffisances leurs manques
supposées : sans écriture, sans histoire, sans État. Les particules privatives employées pour qualifier
ces sociétés par rapport à la nôtre, ne sont désormais plus dépréciatives. Ainsi l'ethnologue Pierre
Clastres a vu dans l'absence d'État une maîtrise intentionnelle de défense contre la division de la
société : « Tout se passe comme si ces sociétés constituaient leur sphère politique en fonction d'une
intuition qui leur tiendrait lieu de règle: à savoir que le pouvoir est en son essence coercition.(..) Ces
sociétés ont très tôt pressenti que la transcendance du pouvoir recèle pour le groupe un risque
mortel. » La société contre l'État, Minuit, 1974, p. 40.
5. La critique de l'ethnocentrisme.
A la différence de l'idéologie raciste qui n'a imprégné que certaines sociétés à certaines époques,
l'ethnocentrisme apparaît comme un comportement quasi universel1.
En quoi consiste l'ethnocentrisme? Il désigne une attitude collective à répudier les autres cultures
à partir de la sienne érigée, le plus souvent inconsciemment, en absolu, à refuser une culture autre.
Pour chaque groupe social, l'humanité cesse à la frontière linguistique, ethnique voire de classe ou
de caste. On préfère diagnostiquer l'absence de culture plutôt que la diversité des cultures. Bien
souvent les peuples se nomment eux-mêmes les « hommes », les « bons »,les « excellents » les
« complets », « impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des
vertus - ou même de la nature - humaines, mais sont tout au plus composés de « mauvais », de
« méchants », de « singes de terre » ou d' « œufs de pou ». (Race et histoire, p. 21). Les autres, les
étrangers, sont vus comme des sauvages ou des barbares, leur langue est inintelligible, leur
nourriture immangeable, leurs vêtements ridicules, leurs lois injustes. Nous refusons aux autres le
droit d'être différents en jugeant leurs manières d'être, de faire, de penser d'après les critères
propres à notre culture prise comme référence universelle et en allant jusqu'à rejeter hors de
l'humanité ceux dont les us et coutumes apparaissent trop incompréhensibles ou nous semblent trop
éloignés de nos habitudes culturelles. Ce rejet trahit à la fois un dégoût et une peur. Les hommes
d'autres cultures ne sont donc parfois pas reconnus comme des hommes à part entière, comme nos
semblables, leur
réalité relève d'un ordre fantasmé, imaginaire, qui fait écran à leur
(re)connaissance.
Ainsi les Espagnols dressèrent le catalogue des comportements inhumains qui leur permettent de
voir en tout Indien, une bête: «Ils mangent de la chair humaine,ils n'ont pas de justice, ils vont tous
nus, mangent des puces, des araignées et des vers crus...Ils n'ont pas de barbe et si par hasard il leur
en pousse, ils s'empressent de l'épiler.» (Ortiz devant le Conseil des Indes, 1525.) (Tristes tropiques,
p. 61). La conclusion s'impose: ils seront mieux en «hommes esclaves» qu'en «animaux libres».
Quant aux Indiens pour vérifier l'éventuelle divinité des Espagnols, ils montaient la garde autour de
leurs cadavres afin de voir s'ils étaient sujets à putréfaction on non.
Ce mécanisme psychologique et social semble bien être la chose du monde la plus partagée et
fait de nous tous des barbares si l'on y prend garde ; le partage ne se joue pas entre civilisés d'une
part et barbares de l'autre, mais au sein même de toutes les cultures, chacune peut être porteuse de
barbarie.
« L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur les fondements psychologiques
solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans
1
Cf. M. Leiris, Cinq études d'ethnologie, Denoël-Gonthier, 1969.
217
une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles:
morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles nous
nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n'est pas de chez nous », « on ne devrait
pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même frisson, cette
même répulsion, en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui nous sont
étrangères. Ainsi l'Antiquité confondait-elle tout ce qui ne participait pas de la culture
grecque (puis gréco-latine) sous le même nom de barbare ; la civilisation occidentale a ensuite
utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or derrière ces épithètes se dissimule un même
jugement : il est probable que le mot barbare se réfère étymologiquement à la confusion et à
l'inarticulation du chant des oiseaux opposées à la valeur signifiante du langage humain ; et
sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi un genre de vie animale, par opposition à la
culture humaine. Dans les deux cas, on refuse d'admettre le fait même de la diversité
culturelle ; on préfère rejeter hors de la culture, dans la nature, tout ce qui ne se conforme pas
à la norme sous laquelle on vit (...).
Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux qu'on
choisit de considérer comme tels) hors de l'humanité, est justement l'attitude la plus
marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes. On sait, en effet, que la notion
d'humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de l'espèce
humaine, est d'apparition fort tardive et d'expansion limitée(...). C'est dans la mesure même
où l'on prétend établir une discrimination entre les cultures et les coutumes que l'on
s'identifie le plus complètement avec celles qu'on essaye de nier(...) Le barbare, c'est d'abord
celui qui croit à la barbarie » (Race et histoire, p.19 à 22)
Il convient de bien interpréter la pensée de Lévi-Strauss : toute nomination qualifiant l'autre de
barbare est prisonnière d'une affirmation systématique du particulier, elle nie ou déprécie la culture
des autres. Mais il y a plus qu'une barbarie: la plus terrifiante ne provient pas de ces peuples
démunis, de ces « Indiens des tropiques et leurs semblables dans le monde », « tous voués à
l'extinction, sous le choc des maladies et des modes de vie- plus horribles encore- que nous leur
avons apportés » (Anthropologie structurale II, Plon 1973 p. 44).
L'ethnocentrisme peut engendrer l'intolérance - du fait d'une adhésion aveugle et exclusive à ses
propres valeurs -, prendre des formes extrêmes (religieuses, politiques, culturelles) allant jusqu'à la
destruction d'autres cultures et d'autres peuples (ethnocide, génocide).
Un exemple de cet ethnocentrisme est la répulsion que suscite l'anthropophagie. La question est
de savoir si certaines de nos institutions ne sembleraient pas tout aussi barbares à des hommes d'une
autre culture. Les coutumes sont des règles sociales qui font partie de la culture des peuples chez
qui elles apparaissent et leurs usages ont une raison d'être par la fonction qu'ils remplissent dans la
société. Les procédés en usage dans notre société sont-ils toujours plus honorables ?
« Prenons le cas de l'anthropophagie, qui, de toutes les pratiques sauvages, est sans doute
celle qui nous inspire le plus d'horreur et de dégoût (...) l'ingestion d'une parcelle du corps
d'un ascendant ou d'un fragment d'un cadavre ennemi, pour permettre l'incorporation de ses
vertus ou encore la neutralisation de son pouvoir ; outre que de tels rites s'accomplissent le
plus souvent de manière fort discrète, portant sur de menues quantités de matière organique
pulvérisée ou mêlée à d'autres aliments, on reconnaîtra, même quand elles revêtent des
formes plus franches, que la condamnation morale de telles coutumes implique soit une
croyance dans la résurrection corporelle qui serait compromise par la destruction matérielle
du cadavre, soit l'affirmation d'un lien entre l'âme et le corps et le dualisme correspondant,
c'est-à-dire des convictions qui sont de même nature que celles au nom desquelles la
consommation rituelle est pratiquée, et que nous n'avons pas de raisons de leur préférer.
D'autant plus que la désinvolture vis à vis de la mémoire du défunt, dont nous pourrions faire
218
grief au cannibalisme, n'est certainement pas plus grande, que celle que nous tolérons dans les
amphithéâtres de dissection.
Mais surtout, nous devons nous persuader que certains usages qui nous sont propres,
considérés par un observateur relevant d'une société différente, lui apparaîtraient de même
nature que cette anthropophagie qui nous semble étrangère à la notion de civilisation. Je
pense à nos coutumes judiciaires et pénitentiaires. A les étudier du dehors, on serait tenté
d'opposer deux types de sociétés: celles qui pratiquent l'anthropophagie, c'est-à-dire qui
voient dans l'absorption de certains individus détenteurs de forces redoutables le seul moyen
de neutraliser celles-ci, et même de les mettre à profit ; et celles qui, comme la nôtre, adoptent
ce que l'on pourrait appeler l'anthropoémie (du grec émein, vomir) ; placés devant le même
problème, elles ont choisi la solution inverse, consistant à expulser ces êtres redoutables hors
du corps social en les tenant temporairement ou définitivement isolés, sans contact avec
l'humanité, dans des établissements destinés à cet usage. A la plupart des sociétés que nous
appelons primitives, cette coutume inspirerait une horreur profonde ; elle nous marquerait à
leurs yeux de la même barbarie que nous serions tentés de leur imputer en raison de leurs
coutumes symétriques. (Tristes tropiques, p. 415-416)
Thèmes et débats
. Pour ne pas succomber à l'ethnocentrisme -dont on ne se libère peut-être jamais complètementle mieux est de s'adonner à l'étude patiente et généreuse des autres cultures, ce qui amène à
relativiser celle dans laquelle nous avons été éduqués. Faut-il pour autant répudier toute exigence
d' universalité et de normativité? Si tous les points de vue se valent, au nom de quoi combattre
l'ethnocentrisme? Ou encore: prendre en compte la diversité des cultures contraint-il à renoncer à
l'idée même de valeurs universelles?
. Peut-on juger sa propre culture?
. Le phénomène communautariste
. Que faut-il penser de l'expression « choc des civilisations »?
Mots clés
anthropologie/barbarie/civilisation/culture/ethnologie/ethnocentrisme/évolutionnisme/
illusion archaïque /sauvage.
219
DES PROPOSITIONS DE STAGES DANS LE CADRE DU PAF 2009-2010
Nous avons proposé trois stages pluridisciplinaires ouverts aux enseignants d’histoiregéographie, de lettres, de langues, de philosophie, aux professeurs-documentalistes…
Trois thèmes nous paraissaient particulièrement intéressants :
-
un stage « Sociétés coloniales : inégalités et tensions » ;
-
un stage « Colonisation, littérature et philosophie » ;
-
un stage Migrations coloniales et postcoloniales transformés en « Migrations et Europe :
XXe-XXe siècles » lors de la réunion de la formation continue.
Au final, le stage retenu au PAF pour l’année 2009-2010 s’intitule : « Regards croisés sur la
colonisation »
Objectif pédagogique
1. Dresser un bilan des apports de la recherche récente en lien avec l’étude de la colonisation dans
les nouveaux programmes (collège).
2. Mener une approche pluridisciplinaire de la colonisation (histoire, lettres, philosophie).
3. Etudier des regards croisés sur la colonisation (la colonisation vue des colonisateurs et des
colonisés).
Description du contenu
Proposer des documents historiques neufs. Formation menée en partenariat avec l’Université de
Toulouse-Le Mirail. Mises au point scientifique, concevoir et échanger des pratiques de classe.
Public
Professeurs d’histoire-géographie et de lettres collège/lycée/lycée professionnel ; professeurs de
philosophie et documentalistes.
220
V. OUTILS DE TRAVAIL
PISTES DE LECTURE
Atlas, dictionnaires et manuels
• Généralités
Marcel DORIGNY, Bernard GAINOT & Fabrice LE GOFF, Atlas des esclavages. Traites, sociétés
coloniales, abolitions de l’Antiquité à nos jours, Autrement, 2006.
Sophie DULUCQ, Jean-François KLEIN et Benjamin STORA (dir.), Les mots de la colonisation,
Presses universitaires de Mirail, coll. « Les mots de », 2008.
Jacques FREMEAUX, Les empires coloniaux dans le processus de mondialisation, Maisonneuve &
Larose, 2002.
Gilles GAUVIN, Abécédaire de l’esclavage des Noirs, Éditions Dapper, 2007.
Claude LIAUZU, Colonisation, droit d’inventaire, A. Colin, coll. « U », 2004.
Claude LIAUZU, Dictionnaire de la colonisation française, Larousse, coll. « À présent », 2007.
Éric MESNARD & Aude DESIRE, Enseigner l’histoire des traites négrières et de l’esclavage, Cycle
3, coll. « Repères pour agir », Sceren/ CRDP de Créteil, 2007 (conçu pour le niveau fin primaire
Ŕ début secondaire, mais fort utile pour l’enseignement en collège).
MEYER Jean et al., Histoire de la France coloniale, 2 tomes, A. Colin, 1991.
Guy PERVILLE, De l'Empire français à la décolonisation, Hachette, « Carré Histoire », 1993.
Olivier PETRE-GRENOUILLEAU, Les traites négrières, Documentation photographique, n° 8032,
2003.
Patrick WEIL, Stéphane DUFOIX et al. (dir.), L’esclavage, la colonisation et après… France, EtatsUnis, Grande-Bretagne, PUF, 2005.
 Manuels sur l’histoire des Antilles
Paul BUTEL, Histoire des Antilles françaises, XVIIe – XXe siècles, Perrin, 2002 (éd. de Poche 2006).
Frédéric REGENT La France et ses esclaves. De la colonisation aux abolitions (1620-1848), Grasset,
2007.
Jacqueline ZONZON et Gérard PROST, Histoire de la Guyane, Maisonneuve & Larose – Servedit,
1996.
 Manuels sur l’histoire du Maghreb colonial
Frédéric ABECASSIS, Gilles BOYER, Benoit FALAIZE, Gilbert MEYNIER & Michelle ZANCARINIFOURNEL, La France et l'Algérie : leçons d'histoire. De l'école en situation coloniale à
l'enseignement du fait colonial, INRP – Université Lyon 1, 2007.
Yvette KATAN-BENSAMOUN, Le Maghreb. De l’empire ottoman à la fin de la colonisation
française, Éditions Belin, collection « Sup. », 2007.
Daniel RIVET, Le Maghreb à l’épreuve de la colonisation, Hachette, 2003.
221
 Manuels sur l’histoire de l’Afrique subsaharienne coloniale
Elikia M’BOKOLO, Afrique Noire. Histoire et civilisations, t. 2 : XIXe-XXe siècles, Hatier/ Aupelf,
1992.
Hélène D’ALMEIDA-TOPOR, L’Afrique au XXe siècle, A. Colin, coll. « U », 1993.
Hélène D’ALMEIDA-TOPOR et MONIQUE LAKROUM, L’Europe et l’Afrique. Un siècle d’échanges
économiques, A. Colin, coll. « U », 1994.
Catherine COQUERY-VIDROVITCH, L'Afrique et les Africains au XIXe siècle. Mutations, révolutions,
crises, A. Colin, coll. « U », 1999 (chapitre 6. L’intervention coloniale).
 Manuels sur l’histoire de l’Indochine coloniale
Pierre BROCHEUX et Daniel HEMERY, Indochine, la colonisation ambiguë (1858-1954), La
Découverte, 2001.
Daniel HEMERY, Hô Chi Minh, de l’Indochine au Vietnam, Gallimard, coll. « Découvertes », 1994.
NGUYEN The Anh, Parcours d’un historien du Viêt Nam, Recueil des articles écrits par Nguyen Thê
Anh, Les Indes savantes, 2008.
Institut de Recherche sur le Sud Est Asiatique, Le contact franco-vietnamien, Le premier demisiècle (1858-1911), Publications de l’Université de Provence, 1999.
Documents publiés
 Traites, esclavage
Equiano Olaudah, Ma véridique histoire, Africain, esclave en Amérique, homme libre, Mercure de
France, coll. « Le temps retrouvé», Paris, 2008.
Il s’agit de la dernière édition d’un récit paru dès 1789 à Londres. Traduction, présentation et
annotations réalisées par Régine Mfoumou-Athur. Il en existe une version pour la jeunesse
éditée par Rageot.
Douglass, Frederick / Tronc, Hélène.- La vie de Frederick Douglass, esclave américain, écrite par
lui-même.- Gallimard, 2006.- 1 vol. (193 p.) ; ill., couv. ill. en coul. ; 18 cm.- La bibliothèque
Gallimard, Bibliogr. et webliogr. p. 191-192. Glossaire.En 1845, Frederick Douglass, ancien esclave américain, publie l'un des récits les plus
puissants contre l'esclavage. Dossier pédagogique< ;
Capitaine William Snalgrave, Journal d’un négrier au
2008 (édition établie par Pierre Gibert).
e
XVIII
siècle, Gallimard, coll. « Témoins »,
Estévez, Francisco, Le Rancheador, Journal d’un chasseur d’esclaves, Tallandier, Paris, 2008.
Marronnage à Cuba première moitié du XVIIIe siècle.
Jean-Gabriel Stedman, Capitaine au Surinam : une campagne de cinq ans contre les esclaves
révoltés, édition Sylvie Messinger, 1989.
 Colonisation des XIXe et XXe siècles
222
Émile Dussaulx, Journal du Soudan (1894-1898) (édition établie par Sophie Dulucq), L’Harmattan,
2000.
Mohammed Dib, L’incendie, Points Seuil (1e édition 1954).
Mouloud Feraoun, Le Fils du pauvre, Livre de Poche, 1997 (1e édition : 1950)
Amadou Hampâté Bâ, t. 1 : Amkoullel, l’enfant peul, Actes Sud, 1991, t. 2 : Oui, mon commandant,
Actes Sud, 1999.
Albert Londres, Terre d’ébène, Albin Michel, 1929 (rééd. Le serpent à plumes, 1998).
Bachir Hadjaj, Les voleurs de rêves. 150 ans d’histoire d’une famille algérienne , Albin Michel,
2007.
Mohamed Harbi, Mémoires politiques, t. 1 : 1945-1962. Une vie debout, La Découverte, coll.
« Cahiers libres », 2001.
Jacques Weulersse, Noirs et Blancs. À travers l'Afrique nouvelle de Dakar au Cap, Paris, 1931
(réédition CTHS 1993)
Littérature générale
Récits autobiographiques

Antilles
Chamoiseau, Patrick, Une enfance créole, Gallimard, Folio.
Confiant, Raphaël, Ravines du devant-jour, Gallimard, Folio.
Lahens, Yannicks, Dans la maison de mon père, Paris, Le Serpent à plumes, 2000.
Dans les années 1940, Alice Bienaimé grandit dans une famille de la grande bourgeoisie
d’Haïti. En pratiquant la danse, elle découvre ses racines africaines.

Algérie
Bey, Maïssa, Entendez-vous dans les montagnes…, L’aube, 2005
Au hasard d’un voyage en train, une jeune femme retrouve le bourreau de son père.
Bey, Maïssa, Bleu blanc vert, L’aube, 2006
Récits parallèles de jeunes Algériens ayant vécu les premiers jours de l’indépendance…
Bey, Maïssa, Sous le jasmin la nuit, L’aube, 2008.
Chraïbi, Driss, La Civilisation, ma Mère!…, Gallimard Folio, 1989.
Collectif, Algérie, un rêve de fraternité, recueil de récits d’E.Roblès, J.Roy, M. Dib etc. , Omnibus,
1997.
Sebbar, Leïla, Je ne parle pas la langue de mon père, Julliard, 2003.
La narratrice s’interroge sur le silence de son père, maître d’école, qui ne lui a pas appris la
langue de son peuple.
223
Mammeri, Mouloud, La colline oubliée, Folio Gallimard, 1952.
Sebbar, Leïla, L’arabe comme un chant secret, Bleu autour, 2007.
Sebbar, Leïla, Une enfance algérienne, Gallimard Folio 1999.
Les seize écrivains présents dans ce recueil sont nés en Algérie avant l'indépendance. Ils se
retrouvent réunis ici comme ils ne l'ont jamais été sur la terre natale. Ils nous disent leur
Algérie : éclats d'enfance heureuse ou meurtrie par la guerre, approches résurrectives qui
restituent une société polyphonique où se côtoient musulmans, juifs, chrétiens, et où
s'échangent, s'adoptent et parfois s'excluent traditions et cultures.
Sebbar, Leïla, Une enfance outremer, Seuil Points virgule, 2001.
Sebbar, Leïla, J’étais enfant en Algérie (juin 1962), Éditions du Sorbier, 2001.
Yacine, Kateb, Nedjma, 1956

Afrique subsaharienne
Amadou Hampâté Bâ, L’étrange destin de Wangrin ou les roueries d’un interprète africain, 10/18,
1973.
Roman désopilant sur l’ascension sociale d’un interprète colonial.
Ousmane Sembene, Les bouts de bois de Dieu, Presses Pocket, 1960.
.sur la grande grève des cheminots du Dakar-Niger en 1947.

Indochine
Coatelem, Jean-Luc, Suite indochinoise, La Table Ronde, 2008.
Le dilettante : un jeune écrivain d’une trentaine d’années retourne sur les traces d’un grandpère, militaire en Indochine dans les années 30.
Dorgelès, Roland, Sur la route mandarine, Editions Kailash, 1997.
Lefèvre, Kim, Métisse blanche ; Retour à la saison des pluies, L’aube, 2003.
Roze, Pascal, L’eau rouge, Stock, 2006.
Le narrateur évoque le séjour en Indochine d’une jeune française dans les années 1948
Récits, romans

Esclavage
Chamoiseau, Patrick, L’esclave vieil homme et le molosse, Gallimard Folio, 2000.
Kanor, Humus, Continents noirs, Gallimard, 2006.
Variation poétique autour du périple de femmes esclaves noires entre Badagry et SaintDomingue ; chacune prend successivement la parole.
224
Saint-Pierre, Bernardin de, Esclaves des îles françaises, Les éditeurs libres, 2006.
Trouillot, Lyonel, Bicentenaire, Actes Sud Babel, 2006.
Voltaire, Candide, Larousse, 2007.

Afrique
Bouyain, Métisse façon, La chambre d’échos, 2003.
Waberi, Le pays sans ombre, Edition du Rocher, 2000.
« Conte de fer »: prophétie sur le développement du chemin de fer à travers le continent africain.

Indochine
Moï, Anna, Rapaces, Gallimard, 2005.
Le narrateur, un artiste peu concerné par la guerre d’indépendance fait pourtant le messager
dans les montagnes du haut Tonkin. Il se remémore les années 1944-45. Chaque chapitre
présente une citation du gouverneur général de l’époque.
Ragon, Michel, Ma sœur aux yeux d’Asie, Albin Michel, 2000.
Sebbar, Leïla, Travail à domicile in Le ravin de la femme sauvage, Editions Thierry Magnier, 2007.
Une jeune française d’origine vietnamienne retourne sur la terre de ses ancêtres et découvre le
tourisme sexuel.

Algérie
Sebbar, Leïla, La photo d’identité in La jeune fille au balcon, Points Seuil, 2007.
Un adolescent d’origine algérienne se trouve fasciné par une photo de femme présentée dans
la vitrine d’une librairie. Ce cliché fait partie d’un ensemble de photos prises par un militaire
durant la guerre d’Algérie.
Sebbar, Leïla, Monologue du soldat in Le ravin de la femme sauvage, Editions Thierry Magnier,
2007.
Récit sur le statut du soldat considéré comme traître ; parallèle entre le destin du père et du
fils.

Textes critiques
Collectif, Littérature et histoire coloniale, Indes Savantes, 2004.
Copin, Henri, L’Indochine des romans, Kailash, 2000.
225
Littérature jeunesse
Romans

Esclavage
Bally-Kenguet Sokpe, Romain / Boucher, Bernard / Pinguilly Yves - Les prisonniers du vent.- Paris
: Oskar jeunesse, 2009.- 305 p. ; 21 x 13 cm.- Cadet, Lexique.Un navire négrier français se rend à l'embouchure du fleuve Niger pour embarquer de futurs
esclaves noirs. Un très jeune garçon, qui tente en vain de sauver les nouveaux prisonniers, est
à son tour esclave en Martinique où il subit des violences. Puis, en pensant embarquer
clandestinement pour l'Afrique, il se retrouve esclave au Québec avec les Indiens.
Borton de Trevino, Elizabeth.- Je suis Juan de Pareja : né esclave à Séville élève en secret de
Velazquez, peintre malgé tout.- Ecole des loisirs, 2000.- 330 p..- Medium
Juan de Pareja fut donné en héritage, comme esclave au peintre Velazquez. Etre esclave,
même au service d'un des plus grands peintres de son époque, n'est pas n'est pas une situation
enviable, mais il apprendra beaucoup, rencontrera d'autres artistes, voyagera et son destin
finira par basculer.
Equiano, Olaudah / Cameron, Ann.- Le prince esclave.- Rageot, 2008.- 154 p. : ill. ; 18 x 13 cm.Rageot romans, 160.L'histoire vraie d'un jeune prince africain arraché à sa terre natale du Bénin pour devenir
esclave.
Gaude.- Voyages en Terres Inconnues.- Magnard, 2008.- 108 p..- Dossier pédagogique.Deux nouvelles ayant pour cadre le continent africain : " Sang négrier" et "Dans la nuit du
Mozambique".
Hendry Frances Mary, Les Enfants du négrier. Milan, 2003, coll. Poche Histoire Ŕ
Embarqués de force sur un même navire, Juliet, fille d’un riche marchand, Dand, jeune
écossais Gbodi, arrachée à son village africain et Hassan, fils de marchand d’esclaves, sont
réunis par leur destin et destinés au trafic d’esclaves.
Pinguilly Yves, L’île de la lune, Milan, 2004, coll. Poche Junior Ŕ
Émile, 14 ans embarque avec son père à bord de la Belle Hortense. Ils quittent Nantes pour
l’Afrique, puis Madagascar et l’océan Indien, en quête de la fleur de l’Ylang-ylang. Mais leur
226
route croise celle de pirates et ils vont connaître la captivité, l’esclavage et bien d’autres
péripéties.
Pool, Joyce / Andriga, Kim.- Cœur noir.- Flammarion, 2004.- 236 p. ; 21 x 14 cm.- Glossaire.La vie d'une fillette dont les parents, colons hollandais, ont une exploitation dans la forêt
tropicale : Map et sa famille doivent fuir lorsque les français menacent d'envahir le pays et
Kwasi, jeune esclave du père de Map, lui sauve la vie. Map découvre alors la vie de ces
hommes opprimés par leurs maîtres. Permet d'aborder le thème de l'esclavage au Surinam
(Guyane) en 1712.
Solet Bertrand, Chasseurs d’esclaves, Flammarion, Castor Poche « Voyage au temps de… », 2005
Des hommes blancs accostent les rives d’Afrique, on les appelle les chasseurs d’esclaves. Ils
viennent chercher des hommes et les emmènent travailler dans leur pays. Ouma, de retour de
la chasse, découvre son village décimé. Il décide de sauver les siens et part à leur recherche.
Mais lui aussi devient prisonnier…

Second empire colonial
Daeninckx, Didier.- L'enfant du zoo.- Rue du monde, 2004.- 111 p..Ève a la chance de visiter la grande Exposition coloniale de Paris en 1931, ses extraordinaires
palais, ses festivités. Mais elle y découvre aussi un enfant venu de loin, enfermé derrière des
barreaux comme un dangereux animal...
Davy, Pierre, Oran 62, la rupture, Nathan, 2003.
Nozière, Jean-Paul, Un été algérien, Gallimard folio, 1998.
Ouvrages documentaires

Esclavage
Davidson, Marie-Thérèse / Aprile, Thierry / Heinrich, Christian.- Sur les traces des esclaves.Gallimard-Jeunesse, 2004.- 128 p. : ill. en nb. ; 21 x 17 cm.- Sur les traces de.., Bibliographie..Sur trois générations, la destinée de deux familles d'esclaves, de la capture en Afrique à la
proclamation de l'abolition de l'esclavage en 1848. Pour en apprendre plus sur le commerce
négrier, la société esclavagiste aux Antilles et en Amérique, les plantations, le monde créole,
les différents mouvements abolitionnistes.
Dhotel, Gérard.- Esclavage ancien et moderne.- Milan, 2004.- 37 p. ; 21 x 14 cm.- Les essentiels
Milan junior, 48.Retrace l'histoire de l'esclavage depuis l'Antiquité, où il est une pratique courante, à nos jours,
en passant par la période de la conquête de l'Amérique par les Européens au XVIe siècle où de
227
véritables réseaux de vente d'hommes se développent. Aujourd'hui, l'esclavage prend de
nouvelles formes : ventes d'enfants, travail forcé, prostitution des femmes, etc.
Haudrère, Philippe / Vergès, Francoise.- De l'esclave au citoyen.- Gallimard, 1998.- 185 p. ; ill.,
couv. ill. ; 18 cm.- Découvertes texto., Bibliogr. p. 174-177. Index.Metoudi, Michèle / Thomas, Jean-Paul.- Abolir l’esclavage : Essai et anthologie.- Gallimard,
1998.- 166 p., bibliogr..Une anthologie sur l'esclavage divisée selon 5 concepts : justifier, décrire et comprendre,
textes officiels, critiquer, rester vigilant, choisis dans des oeuvres philosophiques, poétiques,
romanesques ou journalistiques à travers le temps.
Moissac, Patrick.- Esclavage : La République se déchaîne – 150e anniversaire de l'Abolition de
l'Esclavage.- Archer, 1998.- 108 p., ill..De l'esclavage en France, de ses débuts à son abolition en 1848. Textes de Montesquieu, Voltaire,
Schoelcher.

Second empire colonial
Jarry, Grégory / Otto, T..- Petite histoire des colonies françaises. Tome 1 : l'Amérique française.éditions FLBLB, 2008.- 126 p..- Tome 2 L'Empire.- Poitiers : Ed. FLBLB, 2007.
Articles de périodiques
Vautravers, Anne.- Séquences et lecture cursive : la colonisation.- L'École des Lettres des collèges
(Paris), 15/05/2004, 2003/04-12, p.19-26.
Présentation de romans ayant pour thème la colonisation à des élèves de classe de 4e.
Delain, Flore.- L'esclavage au siècle des Lumières.- L'École des Lettres des collèges (Paris),
15/04/2004, 2003/04-11, p.23-58.
Séquence sur l'argumentation à partir de l'étude d'un groupement de textes sur l'esclavage au
18e siècle, en classe de 4e .
Discours contre l'esclavage au XVIIIe siècle.- BT2. Nouvelle série, 09/2001, 041, p.1-63.
Dossier d'analyse comparée du thème de l'esclavage dans les oeuvres de Montesquieu et de
Bernardin de Saint-Pierre et en particulier dans L'Esprit des lois et Paul et Virginie : la
question de l'esclavage des Noirs dans la littérature française avantet après la Révolution
française ; la mode coloniale ; le genre littéraire de la pastorale. Bibliographie.
La France esclavagiste : le Code Noir.- BT2. Nouvelle série, 09/2002, 051, p.1-63.
228
De 1685 à 1848, un texte juridique français (le Code noir) a encadré l'exploitation de
centaines de milliers d'Africains transplantés aux Antilles dans le cadre d'un commerce mené
par des marchands venant de France.
Jahier, Marie-Claire.- Cannibale, de Didier Daeninckx (à suivre).- L'École des Lettres des collèges
(Paris), 15/10/2002, 2002/03-05, p.87-104.
Étude, en classe de 3e, du livre de Didier Daeninckx, qui dénonce le mépris dont ont fait
preuve les Occidentaux envers des populations de Nouvelle-Calédonie en les « exposant » à
Paris.
Bonrepaux, Christian.- Enseignants à former, programmes à réformer.- Le Monde de l'éducation,
03/2006, 345, p.42-43.
Réflexion, en 2006, sur l'enseignement de l'histoire de l'esclavage et des colonisations :
comment réformer les programmes et notamment la formation initiale pour qu'ils prennent en
considération l'esclavage ; comment former les enseignants face aux difficultés des différents
points de vue.
Deslouis, Emmanuel.- La traite de Noirs, le commerce de la honte.- Science & vie junior, 04/2006,
199, p.74-81.- Cartes, glossaire, schémas.
Dossier, réalisé en 2006 sur la loi Taubira et les mouvements de commémoration, l'étude de
l'historien Olivier Pétré-Grenouilleau sur "Les Traites négrières" : rappel historique, définition
de la traite et du commerce triangulaire. Rôle du monde musulman et des pays occidentaux
dans ce trafic. Les mouvements abolitionnistes au 19e siècle. Encadrés sur un trafiquant
occidental : Joseph Mosneron-Dupin et un trafiquant oriental : Tippo Tip.
Dubray, Jean.- L'abbé Grégoire et l'abolition de l'esclavage.- Inter CDI (Etampes), 05/2006, 201,
p.68-70.- Bibliographie, biographie.
Hommage, en 2006, au prêtre Henri Grégoire, figure de la Révolution française : son
engagement en faveur des droits de l'homme, comme l'abolition de l'esclavage ; ses victoires
et ses échecs dans le contexte colonialiste du 18e siècle ; l'aspect théologique et scientifique de
sa cause ; les ouvrages critiques à son propos et les traces modernes de ses luttes contre les
discriminations raciales.
Lafitte, Corinne.- Philosopher en quatrième.- NRP. Lettres collège, 01/2007, 2006/07-05, p.33-42.
En 2007, séquence pédagogique qui propose une initiation à la philosophie dans le cadre du
cours de français en classe de 4e. Présentation d'une réflexion argumentative sur le thème de
l'esclavage à partir d'un groupement de textes d'Aristote, de Rousseau, de Victor Hugo et
Henry Winterfeld.
Salles, Daniel.- De La Case de l'oncle Tom à l'élection d'Obama.- L'École des Lettres des collèges
(Paris), 11/2008, 2008/09-03, p. 53-55.
Étude historique, en 2008 de la question de l'esclavage à l'aide de données en ligne. Thèmes
proposés : historique de l'esclavage, les Afro-Américains, Rosa Parks, Martin Luther King,
Barak Hussein Obama, l'Amérique et Obama, le racisme.
229
Thiriet, Delphine.- Harriet Beecher-Stowe : La Case de l'oncle Tom.- L'École des Lettres des
collèges (Paris), 11/2008, 2008/09-03, p.3-47.
Plan de séquence pour une classe de 5e ou une classe de 4e. Pour les 5e, étude du cadre
générique et du récit d'aventures, pour les 4e, étude de la dimension historique et le livre en
tant qu'œuvre majeure du 19e siècle.
Argot, Pascale.- Carnets de voyage, mémoire des échanges : des pistes utiles.- Inter CDI (Etampes),
07/2004, 190, p.34-35.
Nécessité de développer des actions éducatives autour des voyages de la Mémoire.
Présentation du projet éducatif « La route de l'esclave » qui fédère aujourd'hui 25 pays. De
nombreuses pistes documentaires signalées.
Bandes dessinées

Esclavage
. François Bourgeon, Les Passagers du Vent, 5 tomes, Casterman (la traite négrière)
. Patrice Pellerin, L’épervier, Tome 5 : Le trésor du Mahury, Repérages, Dupuis, 2001 (série qui se
déroule en partie en Guyane au milieu du XVIIIe siècle).

Second empire colonial
. Baloup, Quitter Saigon, La boîte à bulles, 2006 (trois récits de vie racontant les circonstances du
départ) .
. Christophe Daitch et Jean-Denis Pendanx, Abdallahi, 2 tomes, Futuropolis, 2006 (l’itinéraire de
René Caillé vers Tombouctou).
. Giroud et Lax, Azrayen, l’intégrale, Dupuis, 2004 (la guerre d’Algérie).
. Ferrandez, Carnet d’Orient, 10 tomes, Casterman , 1990-2009 (l’Algérie de 1830 à la fin des
années 50).
. Hergé, plusieurs aventures de Tintin (Tintin au Congo, Tintin et le Crabe aux pinces d’or ,…).
. Serge Huo-chao-si et Apollo, La grippe coloniale, Vents d’Ouest, 2003 (le retour à La Réunion de
soldats de la Première Guerre mondiale).
. Grégory Jarry et Otto T, Petite histoire des colonies françaises, 2 tomes parus, FLBLB, 20062007.
. Patrick Jusseaume et Jean-Charles Kraehn, Tramp, tome 7 : Escale dans le passé, Dargaud, 2005).
. Hugo Pratt, Les Scorpions du désert, Casterman, 1993 (les soldats enrôlés de force durant la
Deuxième Guerre mondiale).
. Joann Sfar, Le chat du rabbin, 5 tomes, Dargaud (Alger et le quartier juif durant la colonisation).
SUGGESTIONS FILMOGRAPHIQUES
. Jean-Jacques ANNAUD, La victoire en chantant, 1976 (des français d’un petit comptoir aux confins
de l’Oubangui et du Cameroun décident de s’emparer d’un poste allemand durant la Première
Guerre mondiale).
230
. Richard ATTENBOROUGH, Gandhi, 1984 (la vie du leader indien)
. Jean-Claude BARNY, Tropiques amers, France Télévision distribution, 2 DVD 2007.
. Jacques de BARONCELLI, L’homme du Niger, 1940 (un officier français fait construire un barrage
au Soudan puis est abattu par un « indigène »).
. Rachid BOUCHAREB, Indigènes, 2006 (un groupe de tirailleurs maghrébins durant la Deuxième
Guerre mondiale).
. Sarah BOUYAIN, Les Enfants du Blanc, 2000 (documentaire sur le destin de la grand-mère métisse
de la réalisatrice, née en 1920 au Burkina).
. Alain CORNEAU, Fort Saganne, 1984 (les aventures de l’officier Charles Saganne dans sa lutte
contre des rebelles au Sahara).
. Julien DUVIVIER, Pépé le Moko, 1937 (un truand trouve refuge dans la Casbah d’Alger).
. Manuel GASQUET, Blancs de mémoire (2004), documentaire de 52 mn, co-produit par le Sceren et
le CNDP (sur l’affaire Voulet-Chanoine vue du côté des colonisés)
(un livret pédagogique sur ce téléfilm est disponible sur le site du Sceren :
<http://www.sceren.fr/tice/teledoc/Mire/mire_capitaines.htm>)
. Marcel L’HERBIER, Les hommes nouveaux, 1936 (un homme d’affaires dans le Maroc de Lyautey)
. Jean-Pierre LLEDO, Le rêve algérien, documentaire, 110 minutes, 2003, DVD, Doriane Films. (sur
le retour en Algérie d’Henry Alleg en 2002).
. Serge MOATI, Capitaine des ténèbres (2004), consacré à l’affaire Voulet-Chanoine.
. Euzhan PALCY, Rue Cases-Nègres, 1983 (un village d'ouvriers agricoles en Martinique au début
des années 1930).
. Sydney POLLACK, Out of Africa, 1986 (les amours entre une propriétaire blanche et un aventurier
au Kenya au début du XXe siècle).
. Bertrand TAVERNIER, Coup de torchon, 1981 (chronique amère et désenchantée de la vie de la
communauté française dans un village du Sénégal à la fin des années trente).
. Régis WARNIER, Indochine, 1992 (l’Indochine des années 20 aux années 1950).
231
INTERNET ET L’HISTOIRE DE LA COLONISATION, UN APERÇU SITOGRAPHIQUE
Nous nous sommes proposé de dresser un inventaire de sites Web proposant des ressources pédagogiques exploitables sur les thématiques
coloniales : sites institutionnels (centres d’archives, bibliothèques, ministères, musées, UNESCO, etc.) ; sites pédagogiques (sites académiques,
CRDP, IUFM, etc.) ; sites divers (sites associatifs, sites personnels…).
1. Sites institutionnels
- Nationaux
Intitulé URL
BNF
http://gallica.bnf.fr/VoyagesEnAfrique
Descriptif
Dossier constitué par la BNF sur l’Afrique (ouvrages,
articles de revues, cartes, iconographie) du XVIIIe siècle à
la période coloniale. Cet ensemble, d’une très grande
richesse, permet d’accéder à de très nombreux documents
numérisés qui vont bien au-delà des seuls récits de voyage
récits de voyage. Le site offre également des mises au
point, des bibliographies et des chronologies.
Mots-clés
Afrique
Voyages
Explorations
Esclavage
Traite
Iconographie
Outils
pédagogiques
Centre des Archives d’Outre-Mer
(ANOM)
http://www.archivesnationales.culture.gouv.fr/
caom/fr
CNRS/
CIRESC
http://www.esclavages.cnrs.fr/
Archives nationales d’Outre-mer (ANOM), correspondant
aux fonds des anciennes colonies françaises (à l’exception
des protectorats français du Maroc, de la Tunisie, qui sont
conservés à Nantes et dépendent du ministère des Affaires
étrangères).
Iconographie
Le site propose un accès en ligne (cliquer sur IREL) à
certaines archives, comme notamment l’état civil de
l’Algérie coloniale ou une riche base iconographique : la
base Ulysse. Cette dernière permet d’avoir accès aux
images numérisées des documents de l’iconothèque et de
la cartothèque des ANOM : photographies, cartes postales,
affiches, dessins et gravures, cartes et plans. Ensemble
d’une richesse exceptionnelle pour l’histoire des premier et
deuxième empires coloniaux français.
Afrique
Le Centre International de Recherches sur les Esclavages.
Il est composé d’un réseau international de chercheurs
appartenant à des universités et des centres de recherche
des continents africain, américain et européen. Il propose
des documents d’archives, des séquences pédagogiques et
des bibliographies exhaustives.
Esclavage
Traite
Afrique
Amériques
Marronnage
Plantations
233
Cartographie
État civil Algérie
Indochine
Amériques
Océan indien
Polynésie
Séquences
pédagogiques
L’INA propose des émissions de télévision qui peuvent
être utilisées pédagogiquement. Exemples :
- Avec une recherche « esclavage » : des émissions sur la
commémoration de l’abolition.
- Avec une recherche « colonisation » : des émissions
comme « Itinéraires » ou « Apostrophes »
http://ecehg.inrp.fr/ECEHG/actualites/enseign
er-l-histoire-de-l-immigration-a-l-ecole
Ce rapport d'enquête réalisé sous la direction de Benoît
Falaize fait un état des lieux sur l’enseignement de
l'histoire de l'immigration à l'école. Il propose une analyse
des programmes et des manuels du primaire et du
secondaire, des entretiens avec des enseignants et des
séquences pédagogiques.
Site de l’INRP (Institut National de Recherche
Pédagogique)
Les questions vives et sensibles de l’enseignement
(colonisation, esclavage, immigration) sont présentées sous
forme de dossiers : ressources et séquences pédagogiques,
état de la recherche.
Support
audiovisuele
INRP
INA
http://www.ina.fr/archivespourtous/index.php
http://ecehg.inrp.fr/ECEHG/enjeux-dememoire
234
Immigration
Séquences
pédagogiques
Algérie
Séquences
pédagogiques
Esclavage
Immigration
Recherche
universitaire
Ministère des Affaires
Etrangères
Ministère des Affaires
Etrangères
Ministère de
l’Education
nationale
http://www.cndp.fr/memoire/esclavages/ecole/
selecdoc.htm
et
http://www.educnet.education.fr/bd/urtic/histg
eo/index.php?commande=changepage&id=1
http://www.diplomatie.gouv.fr/archives/dossie
rs/regards/asie.html
http://www.diplomatie.gouv.fr/archives/dossie
rs/regards/afrique-sub.html
Une sélection de sites portant sur l’esclavage : textes,
Esclavage
iconographie, séquences pédagogiques (en particulier pour Traite
les enseignants de français), repères chronologiques.
Iconographie
Littérature
jeunesse
EDU'bases : références documentaires et pédagogiques en
histoire-géographie. Plusieurs notices concernant
l’esclavage et la colonisation.
Ministère des Affaires étrangères.- Archives et
Chine
patrimoine.- Ministère des Affaires Etrangères, 07/2003,
Indochine
Date de mise à jour 03/2002 [réf. du 24/02/2009].- Regards
sur l'Asie.Historique de la colonisation de l'Extrême-Orient par les
grands pays européens, notamment la France, du milieu du
19e siècle au début du 20e siècle : les conséquences des
guerres de l'opium, le système des concessions
extraterritoriales en Chine, la conquête de l'Indochine par
les français.
Archives et patrimoine.-, 07/2003, Date de mise à jour
Afrique noire
03/2002 [réf. du 24/02/2009].- Regards sur l'Afrique
subsaharienne.- [env. 3p.],
Historique de la politique coloniale française en Afrique
Noire au tournant du 20e siècle : les ambitions du ministre
des Affaires étrangères, Charles Freycinet ; la conquête de
nouveaux territoires (Guinée, Afrique Equatoriale,
Madagascar..) ; la concurrence de l'Allemagne et de
l'Angleterre dans la mise en place de l'empire colonial
français.
235
Séquences
pédagogiques
Chronologie
Ministère des
Affaires Etrangères
Ministère des Affaires Etrangères
RMN
(Musées
Nationaux)
http://www.diplomatie.gouv.fr/archives/dossie
rs/regards/afrique-du-nord.html
http://www.diplomatie.gouv.fr/archives/dossie
rs/shanghai/index.html
http://www.histoireimage.org/site/rech/index.php
Archives et patrimoine.- Ministère des Affaires Etrangères, Maghreb
07/2003, Date de mise à jour 03/2002 [réf. du
Maroc
24/02/2009].- Regards sur l'Afrique du Nord.- [env. 3p.],
Tunisie
Iconographie
Les origines de la colonisation du Maghreb par la France,
de la fin du 19e siècle au début du 20e siècle, et la mise en
place des protectorats en Tunisie et au Maroc.
L'importance de la photographie pour la propagande et le
renseignement.
Archives et patrimoine.- Ministère des Affaires Etrangères, Indochine
07/2003, Date de mise à jour 05/2002 [réf. du
Iconographie
24/02/2009].- Le Paris de l'orient : présence française à
Shanghai, 1849-1946.- [env. 30p.]
Chronologie et dossier complet sur l'installation des
Français dans la ville chinoise de Shangaï, du milieu du
19e au milieu du 20e siècle : la mise en place de la
municipalité et du consulat, les rapports avec les notables
locaux, le problème de l'opium, une ville composée de
nombreuses nationalités, les échanges commerciaux et
artistiques, les débuts du parti communiste chinois. De
nombreuses photos et documents pour parcourir la ville de
l'époque.
Documents iconographiques en provenance des fonds
Iconographie
institutionnels (musées, archives) avec analyse et étude
comparative.
236
http://10-mai.rfo.fr/indexfr.php?page=article&id_rubrique=5&id_article
=23
Dossier sur les origines et les caractéristiques de
l'esclavage, sur la déportation de millions d'africains vers
les plantations américaines entre le 16e et le 19e siècle :
reportage télé sur le commerce triangulaire au départ de
Nantes, description des conditions inhumaines
d'internement et de transport des esclaves, fonctionnement
de la traite des noirs, présentation de la légitimité de
l'esclavage en Europe avec notamment le texte du Code
noir, édicté par Colbert, ministre de Louis 14. L’article 27
de la même émission est consacrée au marronnage, l’article
24 aux abolitions.
RFO
(Radio France Outre-Mer)
France
5
Arch. Dép.
La Réunion
Noires Mémoires.- L'Esclavage : histoire de la traite
négrière.- In RFO : Réseau France Outremer.- Réseau
France Outremer, 2008, Date de mise à jour 05/2006 [réf.
du 24/02/2009].- [env. 3p.],
http://www.curiosphere.tv/esclavage_eleves/in
dex.html
http://iconotheque-de-l-ocean-indien.org/
La rubrique 6 concerne d'anciens esclaves ou des hommes
politiques qui se sont battus pour l'abolition de l'esclavage
dans les colonies françaises et américaines, au 18e et 19e
siècle : Harriet Tubman, le Chevalier de Saint-George,
Louis Delgrès, Toussaint Louverture, l'abbé Grégoire et
Victor Schoelcher. Ce dossier complet est accompagné de
reportages télévisés.
Dossier pédagogique : histoire, évolution et actualité de
l'esclavage
Iconothèque historique de l’Océan indien. Réalisée par le
conseil général de la Réunion (la moitié des documents
proposés relèvent du fonds des AD).
L’iconothèque propose plus de 30 000 images en
consultation : dessins, photos, aquarelles fin XVIe / début
XXe
237
Esclavage
Marronnage
Abolitions
Document audio
Iconographie
Document video
Esclavage
Iconographie
Iconographie
La Réunion
Océan indien
-
Organisations internationales
Unesco
http://webworld.unesco.org/goree/fr/
Bureau Régional de l' UNESCO à Dakar.- Visite virtuelle
de l'île de Gorée - Unesco, 2008, Date de mise à jour
03/2008 [réf. du 24/02/2009].- 30 photos + 1 vidéo
(10mn). Découverte de photos et d'un reportage vidéo sur
le centre esclavagiste de l'île de Gorée, au large de Dakar,
au Sénégal.
238
Iconographie
Sénégal
Gorée
Esclavage
Traite
2. Sites institutionnels académiques
URL
Descriptif
Mots-clés
Amiens
IUFM
http://www.amiens.iufm.fr/amiens/histoire/colonisat
ion/index.html
Site pédagogique consacré à « Colonisation
et décolonisation française du milieu du
XVIIe aux années 60 » : textes et documents,
analyses historiques, notes de lecture.
Historiographie
Traite
Esclavage
Afrique
Indochine
Algérie
Créteil
CRDP
Bordeaux
Académie
Besançon
Académie
Intitulé
http://www.missiontice.ac-besançon.fr/hg/
Dix planisphères permettent de comparer les
principaux empires coloniaux à la veille de la
première guerre mondiale.
http://histoire-geographie.acbordeaux.fr/lycee/index.htm
Un diaporama (powerpoint) : « La France et la
colonisation au début du XXe siècle ». Analyse
d’une image du Petit journal (téléchargeable sur le
site).
http://hgc.accreteil.fr/spip/echelles/IMG/pdf/Echelle_27.pdf
Échelles, revue en ligne des enseignants d'histoire Immigration
et de géographie de l'Académie de Créteil.
Le numéro de janvier 2008 concerne l'immigration
et la colonisation.
239
Outils
pédagogiques
Dossiers
pédagogiques
Colonisation 1914 Cartes
Empires coloniaux interactives
Diaporama
Guadeloupe
Académie
IUFM de Créteil
http://pedagene.creteil.iufm.fr/ressources/mada/index.h
tm
http://www.acguadeloupe.fr/actualite/seminaire/enseigner_esclavage.
htm
La Réunion
Acédémie
http://www.ac-reunion.fr/pedagogie/HistEtGeo/
et
http://www.acreunion.fr/Pedagogie/HistEtGeo/expo/expocollo.htm
Dachet, Fabienne.- Madagascar : l'empire colonial
français.- In Ressources pédagogiques de l’IUFM
de Créteil, 12/1998, Date de mise à jour 12/1998
[réf. du 24/02/2009].- [env. 50p.]
Madagascar
Historique de Madagascar. Définition de la
colonisation et des opinions divisées sur le sujet au
début du XXe siècle. Biographies de l'explorateur
Paul Boucabeille et du général Gallieni. Récit d'une
expédition coloniale de 1897 entre Tananarive et
Diego-Suarez.
Séminaire (avril 2006) « Enseigner la traite et
Traite
l'esclavage aux Antilles ». Bibliographie raisonnée Esclavage
(4 thèmes : traites et esclavage, esclavage hier et
aujourd’hui, histoire et mémoire, racisme,
esclavage et colonisation).
Sitographie.
- Pas de page « dédiée » à l’histoire de la
colonisation. Des séquences pédagogiques en lien
avec les programmes.
- Compte rendu du Colloque « La Réunion et
l'Océan indien, de la décolonisation au XXIe
siècle" Co-organisé par l'AHIOI (Association
Historique Internationale de l'Océan Indien) et
le CRESOI (Centre de Recherches sur les
Sociétés de l'Océan Indien) octobre 2006 .
* "La décolonisation aujourd'hui, entre histoire
et mémoires"
* "Décolonisations des espaces insulaires de
l'Ouest de l'Océan Indien"
240
La
Réunion
IUFM
Bibliographie et sitographie.
http://www2.ac-lyon.fr
Sélection de ressources en ligne sur l’abolition de
l’esclavage
Esclavage
Abolitions
Plantations
La Réunion
Océan indien
Abolition
Esclavage
- http://www.lettres-histoire.ac-aixmarseille.fr/hgbacpro.htm
- La politique coloniale sous la Troisième
République.
Décolonisation
Empires coloniaux
Nantes
Académie
NancyMetz
Académie
Martinique
Académie
Marseille
Académie
Lyon
Académie
http://www.reunion.iufm.fr/dep/HG/biblio%20r%E9un
ion.doc
- http://histgeo.ac-aixmarseille.fr/durance/brochure2005.doc
- Colonisations, développement, mondialisation.
Compte rendu très complet des journées organisées
par l’inspection d’histoire pour un public
d’enseignants de la discipline.
http://www.crdp.ac-martinique.fr
http://www.ac-nancy-metz.fr/enseign/HistGeo/EspacePeda/LYCEE/Christophe/Algerie/prese.ht
m
Présentation pédagogique de sites internet
concernant l’Algérie. Public : lycée.
Algérie
Séquences
pédagogiques
http://www.pedagogie.ac-nantes.fr
nantes.fr/1157644391968/0/fiche___actualite/&RH=I
A44
Dans l’espace « pédagogie », choisir « histoiregéographie-citoyenneté » : un dossier sur la traite
négrière atlantique, l'esclavage et leurs abolitions.
Ttraite
Esclavage
Abolition
Nantes
Mémoire
Séquences
pédagogiques
241
Nice
CRDP
Nouvelle
Calédoni
e
http://www.crdpnice.net/bouquet/imprimer.php?rub_id=&ssr_id=&cat_
id=719
Compilation thématique de liens réalisée par
Claudine Vidal « dans un but strictement
pédagogique » (mai 2006)
http://www.ac-noumea.nc/histoire-geo/
Histoire de la Nouvelle Calédonie. Sur le site des
professeurs d’histoire et de géographie, de
nombreux dossiers concernant la colonisation en
Océanie.
http://crdp.ac-paris.fr/
Littérature
francophone
Théâtre
Exposition
http://ww2.ac-poitiers.fr/civique/spip.php?rubrique46
Sitographie sur l'esclavage et les traites.
Esclavage
Traite
http://crdp.ac-reims.fr/cinquieme/decolonisation.htm
La France face à la décolonisation de 1945 à 1962 : Décolonisation
dossier pédagogique.
Lyautey
Maroc
Revue des professeurs d’histoire-géo de l’académie
de Reims. Numéro 26 : analyse d’une statue de
Lyautey.
Paris
Académie
Poitiers
Académie
Nouvelle
Calédonie
Comptes-rendus d'ouvrages ou d'expositions se
rapportant à la colonisation et aux migrations.
Précieux outil bibliographique pour les enseignants
qui fait aussi la part des ouvrages publiés dans les
CRDP et qui sont moins connus du grand public.
Dans la série « Parcours littéraires francophones »,
de nombreuses séquences pédagogiques sur la
littérature francophone.
Sitographie sur l'histoire de la colonisation et de la
décolonisation.
http://ww2.ac-poitiers.fr/civique/spip.php?rubrique62
Poitiers
CRDP
Reims
CRDP
Esclavage
Marronnage
Traite
Abolition
Bibliographie
Océanie
http://crdpreims.fr/ressources/brochures/blphg/default.htm
242
Colonisation
Séquences
pédagogiques
Reims
Académie
Dossier Indochine, public de lycée. Cours, cartes,
documents sonores, sitographie.
Indochine
http://www.ac-rouen.fr
Sur la page d’accueil, chercher dans "ressources
pédagogiques" puis "histoire-géographie" puis
"mémoires de l'esclavage". Bibliographie,
chronologie, exemples de situations de classes,
documentation sur Victor Schoelcher, la situation
aux Mascareignes (Maurice, Réunion), nombreux
liens avec d'autres sites-ressources. Textes officiels.
Traite
Eesclavage
Abolitions
Schoelcher
La Réunion
Maurice
http://pedagogie.ac-toulouse.fr/histgeo/
Dans l’espace disciplinaire « histoire-géo »,
Algérie
rechercher « colonisation », puis stage de formation Décolonisation
sur les nouveaux programmes STG : l’Algérie de
1954 à nos jours.
Toulouse
Académie
Rouen
Académie
http://www.ac-reims.fr/datice/histgeo/dossier/site_indochine/index.html
243
Séquences
pédagogiques
Séquences
pédagogiques
Versailles
Académie
http://www.histoire.ac-versailles.fr/
Voir la page Strabon réservée à l'enseignement de Mémoire,
l'histoire.
Enseignement
Historiographie
1/Dans ce site on peut consulter le très intéressant
dossier constitué par Claude Robinot, « Etudier la
colonisation : l'exemple africain ». Le dossier
comporte
des
cartes,
des
documents
iconographiques, des textes. Il propose aussi des
exercices et des conseils pédagogiques.
2/ Sur le même site Strabon, on peut également
consulter les conférences prononcées lors d'un
colloque qui s'est tenu le 16 novembre 2006 au
CDDP des Hauts de Seine de Marc Vigié, Daniel
Rivet et Jean-Pierre Rioux sur l'enseignement et la
mémoire de la colonisation
3/Une conférence de Marie-Albane de Suremain sur
« Histoire coloniale et construction des savoirs sur
l'Afrique ».
244
Séquences
pédagogiques
3. Sites à l'étranger
Site des Archives nationales du Sénégal conservant les
archives fédérales de l’ancienne AOF (Afrique
occidentale française) : en construction.
Accès en ligne à quelques documents numérisés (cartes
postales coloniales, notamment, et documents officiels).
Iconographie
http://international.loc.gov/intldl/fiahtml/fiawebsite
s.html
Quelques documents à propos de la Louisiane et du
Canada.
Louisiane
Canada
http://www.oceanie.org/graphes/gouvernements_c
oloniaux.html
Musée de la civilisation de Québec.- L'Océanie : peuples
des eaux, gens des îles.- Musée de la civilisation, 2001,
Date de mise à jour 2001 [réf. du 24/02/2009].-
Océanie
Canada
Bibliothèque
du Congrès
Archives
Nationales
du Sénégal
http://www.archivesdusenegal.gouv.sn/
Rappel des conséquences de la colonisation de l'Océanie
qui eut un impact dévastateur sur les cultures locales. Les
puissances coloniales gèrent les archipels sous leur
contrôle en infligeant aux Océaniens, l'ordre social et les
lois de leur pays d'origine.
245
Slavevoyages
Site Universitaire ouest africain
http://www.histoire-afrique.org/rubrique3.html
http://www.slavevoyages.org
Suisse
http://hypo.ge.ch/www/cliotexte//index.html
Ce site est l’œuvre commune d’historiens de plusieurs
universités ouest africaines.
En exergue du site : « Aussi longtemps que les lions
n’auront pas leur historien, les récits de chasse
tourneront toujours à la gloire du chasseur »
Historiographie : la sélection proposée ici aborde
l’histoire de la discipline et en particulier de l’histoire
africaine : comment s’est-elle développée ? Quels sont
ses objets ? ses perspectives ? Ces textes en appellent
d’autres et lancent le débat.
Méthodologie : comment travaille l’historien de
l’Afrique ? Quelles sont ses sources et comment les fait-il
parler ? Quelles sont les influences de la recherche
africaine sur ses collègues d’autres périodes et espaces
géographiques ?
Base de données exhaustive sur les voyages de traite.
En anglais.
Historiograph
ie
Burkina Faso
Togo
Niger
Mali
Sénégal
Côte d’Ivoire
Traite
Esclavage
Cliotextes : catalogue de textes utiles à l’enseignement de Enseignement
l’histoire
XIXe et XXe siècle : colonialisme et impérialisme
246
4. Sites associatifs
Intitulé
URL
Comité de Vigilance « Clionautes »
face aux usages
publics de l’Histoire.
Etudes
coloniales
Anneaux de
la mémoire
http://www.lesanneauxdelamemoire.com
http://letempscolonial.canalblog.com/
Descriptif
Site de l’association nantaise « Les anneaux de la
mémoire ». Retrace « cinq siècles de relations EuropeAfrique-Amériques » : exposition virtuelle sur la traite et
l'esclavage, les migrations. Des références de
publications, mallette pédagogique, calendrier d'activités
(conférences, publications)
Répertoire des historiens du temps colonial.
Mots-clés
Traite négrière
Esclavage
Nantes
Abolition
Migration
Historiographie
http://www.clionautes.org/spip.php?rubrique163
Les clionautes sont une association de professeurs
Historiographie
d’histoire géographie.
Sur la page « le fait colonial », des articles et des analyses
de documents en ligne, ainsi que les url de nombreux
sites sur le sujet.
http://cvuh.free.fr/spip.php?article10
Deux articles d’Éric Mesnard (iufm Créteil)
Enseignement
- « Quelques réflexions pour contribuer à l’enseignement
de l’histoire de la traite transatlantique et de l’esclavage
des Noirs dans les colonies d’Amérique » avril 2005
- « Mémoire de la traite négrière : ce qu’on enseigne à
l’école », Monde diplomatique, novembre 2007.
et
http://cvuh.free.fr/spip.php?article119
247
Outils
pédagogiques
http://nuevomundo.revues.org/document492.html
- Index thématique de recherche
Le site archéologique d'Anse Sainte-Marguerite (Guadeloupe, Grande Terre) :
présentation d’un cimetière d’époque coloniale.
http://aphgreunion.free.fr/
Ressources en ligne proposées par les professeurs
d’histoire et géographie de La Réunion : cartes,
documents d’archives, bibliographie.
Textes officiels et programmes.
La Réunion
APHG
Esclavage
Il s’agit des fouilles d’un ensemble funéraire d’époque Archéologie
coloniale regroupant 150 tombes dont certaines
concernent des esclaves.
http://www.ldh-toulon.net/spip.php?rubrique20
Le web histoiregéo
LDH
Toulon
La rubrique « histoire et colonies » comporte de
nombreuses sous rubriques permettant l’analyse,
alimentant la réflexion, sous forme de commentaires de
l’actualité.
http://www.histoire-geo.org/
Bibliographie
Amérique latine
- Bibliographie sur l’esclavage dans le monde
http://www.flmnh.ufl.edu/jca/ansestemarg.pdf
Journal of
Caribbean
archeology
Fédération de
revues en
sciences
humaines et
sociales
http://www.revues.org/
Esclavage
Océanie
La Réunion
Maurice
Traite
Abolitions
Bibliographie
Traite
Esclavage
Décolonisation
Philosophie
Enseignement
Site personnel d'un professeur, Jean-François Carémel.
On y trouve des méthodes, des cours sous forme de plans
ou rédigés, des documents (chronologies, cartes,
tableaux), des évaluations (questions accompagnées de
photos, textes, citations, cartes) parfois corrigées, des
fiches, ainsi que des liens avec des sites sur l'histoiregéographie et des bibliographies).
248
Séquences
pédagogiques
Site d’analyses politiques de livres traitant de questions
de sociétés dont la colonisation, les traites et l’esclavage.
En particulier, les enjeux d’un livre récent « Les traites
négrières » d’Olivier Pétré-Grenouilleau. Article de
Marcel Dorigny, maître de conférence à Paris VIII
(septembre 2005).
Traite
Esclavage
Racisme
http://kapeskreyol.potomitan.info/dissertation_bibli
o.php
Sur ce site d'information du CAPES de créole, études et
bibliographie concernant les Antilles, la Guyane et la
Réunion.
La société d’habitation : une civilisation historique.
Article et bibliographie.
Plantation
Antilles
Guyane
Littérature
http://clioweb.free.fr/dossiers/colonisation/esclaves.
htm.
Clioweb, site indépendant réalisé par une professeur
d’histoire du lycée de Vire dans l’académie de Caen.
- Histoire des esclavages : site comportant bibliographie
et sitographie abondantes de l’existant en matière
d’enseignement. A noter des sites anglophones
concernant l’esclavage en Amérique du nord.
Algérie
Esclavage
Amériques
SMEP
Société des
Missions
Evangélique
de Paris
Sites personnels
Site
associatif
LMSI
(Collectif Les
mots sont
importants)
http://lmsi.net/article.php3?id_article=460
et
http://clioweb.free.fr/dossiers/colonisation/colonisa
tion.htm
http://www.defap-bibliotheque.fr/
Société
française
d’histoire
d’outremer
http://sfhom.free.fr/Revue.php
Histoires coloniales : Le cas de l’histoire francoalgérienne
La bibliothèque du Defap-service protestant de missions
est l’unique centre spécifiquement consacré à l’histoire
des missions protestantes. Sur son site, on trouve des
photographies et des expositions virtuelles (Les missions
protestantes à l’exposition coloniale de 1931).
Site de la société française d’histoire d’outre-mer, créée
en 1912. Site de la revue exclusivement réservée à
l’histoire de la colonisation : Outre-mers. Revue
d’histoire.
Propose les sommaires des numéros.
249
Missions
Colonisation
Iconographie
Bibliographie
Se propose de recenser et commenter les "lieux de
mémoire et d'histoire de la traite négrière, de l'esclavage
et de leurs abolitions en Normandie". Aspect
documentaire, encore en cours de constitution
Version en français, anglais et créole réunionnais.
Traite
Esclavage
Normandie
Le Havre
Abolitions
La Réunion
http://www.comite-memoireesclavage.fr/inventaire/presentation.html
Traite négrière, esclavage et abolitions, pour un
inventaire muséographique
Esclavage
Traite
Abolitions
Iconographie
Arts plastiques
Comité pour
la mémoire de
l’esclavage
Routes du
philanthrope
http://www.routesduphilanthrope.org
250
5. Sites personnels
Nguyen, Tan Loc
http://nguyentl.free.fr/html/sommaire_photo_ancienn
e_fr.htm
Fuma, Sudel
http://www.futurasciences.com/comprendre/d/dossier158-1.php
Claude Richardet
http://www.memo.fr/article.asp?ID=CON_COL_004
Nguyen, Tan Loc.- Vietnam, mon pays natal.- Nguyen,
Tan Loc, 07/2003, Date de mise à jour 07/2003 [réf. du
24/02/2009].- Les images d'autrefois du Vietnam.- [env.
100p.]
Indochine
Iconographie
Un panorama de photos, regroupés par thèmes, présente
l'histoire de la société vietnamienne, notamment à l'époque
de l'occupation française : les vieux métiers, les scènes de
la vie quotidienne, l'éducation, les Français en Indochine,
la Cour Royale, l'Indochine et les expositions universelles,
l'armée indochinoise, la résistance vietnamienne à
l'occupation française...
.- L'esclavage et le marronnage à la Réunion.- In Les
Esclavage
dossiers de Futura Sciences : homme.- FuturaMarronnage
Sciences.com, 2005, Date de mise à jour 01/12/2002 [réf. La Réunion
du 24/02/2009].- [4p.],
Etude du phénomène de l'esclavage et du marronnage à La
Réunion au 18e siècle.
Les empires européens.- In Mémo : le site de l'histoire.-,
Colonisation
2006, Date de mise à jour 05/2005 [réf. du 24/02/2009].[env. 5p.]
Historique des différents statuts des territoires, dans le
monde, sous le contrôle des grandes puissances, du 19e
siècle à la Seconde Guerre Mondiale : l'influence des
Etats-Unis dans les Caraïbes et le Pacifique, le sort de
l'Afrique, victime de la colonisation des pays européens et
de leurs rivalités politiques et militaires
251
Site personnel d'un enseignant : documents sur l'esclavage
et sur les abolitions.
Esclavage
Abolition
http://www.esclavage-martinique.com/index.php#
Site bilingue sur l'esclavage en Martinique : documents
d'archives, chronologie.
Esclavage
Martinique
Site Personnel
Dominique
Chathuant
http://abolitions.free.fr/
252
CONCLUSION & PERSPECTIVES
 Apports
Nous avons essayé d’ancrer nos dossiers dans les problématiques de recherche actuelles, de
manière à fournir aux enseignants des pistes de réflexion en prise avec les chantiers en cours. Nous
avons ainsi voulu dépasser le découpage « classique » entre 1re et 2e colonisation afin d’envisager le
phénomène colonial dans la longue durée, ne pas nous focaliser sur une période donnée (le
XX
e
siècle) ou sur la seule Algérie, comme il est souvent de mise dans les travaux généralistes sur
l’histoire de la colonisation.
Afin de ne pas rebattre des sentiers déjà bien balisés, nous avons également choisi de limiter les
documents iconographiques liés à la propagande coloniale, déjà très présents dans les manuels. De
même, il nous a semblé que les thèmes de l’exploitation économique, des thématiques politiques et
des décolonisations étaient déjà largement traités dans les outils pédagogiques à la disposition des
enseignants.
Nous avons donc privilégié des thématiques travaillées aujourd’hui par les spécialistes en
présentant des documents, pour une bonne part inédits, et des séquences que nous espérons
novatrices (une séquence histoire-lettres, une séquence lettres). L’interdisciplinarité démontre une
fois encore ses vertus : multiplicité des points d’entrée dans le sujet, ponts entre des approches
disciplinaires distinctes, enrichissement mutuel des analyses.
 Limites
Nous avons conscience d’avoir privilégié une approche franco-centrée de la question, approche
qui nous paraît répondre aux besoins concrets des enseignants, les programmes étant
essentiellement focalisés sur la colonisation française et sur l’histoire de la construction nationale.
Il a fallu également opérer des choix et donc rejeter, pour des raisons de faisabilité, des
thématiques pourtant passionnantes (sur les conquêtes, les découvertes, les décolonisations, les
migrations coloniales et post-coloniales).
Nous avons opté pour la remise d’un rapport rédigé, plutôt que pour la réalisation d’un site
Internet qui aurait nécessité des moyens financiers, des compétences techniques et du temps dont
nous ne disposions pas. Enfin, ne bénéficiant pas d’un budget pour l’acquisition de divers droits liés
à la propriété intellectuelle (citations, images), nous avons dû renoncer à la mise à disposition de
certains supports, au profit de documents libres de droits.
 Perspectives
Il est évident qu’une ouverture plus grande aux autres empires coloniaux pourrait enrichir encore
notre travail. La réalisation d’un document sur l’ascension de la famille Tata, grands industriels
indiens, pourrait compléter, par exemple, notre dossier sur les dynamiques sociales en situation
coloniale. Et, de façon générale, l’idée de faire la lumière sur des figures, connues ou pas, de
l’histoire coloniale (esclaves, négriers, colonisés, colonisateurs) nous paraît tout à fait intéressante.
La bibliographie propose des références utiles pour les enseignants qui aimeraient choisir tel ou tel
personnage comme point d’entrée dans un sujet donné.
De même, nous avions envisagé de construire un dossier sur les migrations à l’époque coloniale,
centré sur le Marseille des années 1940 et appuyé en grande partie sur le roman d’Ousmane
Sembène, Le docker noir. Un tour d’horizon plus approfondi sur les littératures en situation
coloniale et postcoloniale aurait pu trouver sa place. Nous n’avons guère abordé la question des
héritages postcoloniaux, pourtant passionnante et fort actuelle.
Faute de temps, nos ambitions de départ ont nécessairement été revues à la baisse. Mais, nous
l’espérons, les outils proposés (dossiers, mise au point scientifique, bibliographie, sitographie et
filmographie) permettront
aux professeurs de s’approprier le sujet, de construire leur propre
démarche et d’explorer des voies nouvelles.
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