Cas clinique 1 / Un cas de conversion de l`enfant - Qu`est

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Cas clinique 1 / Un cas de conversion de l`enfant - Qu`est
Cas clinique 1 / Un cas de
conversion de l’enfant
Présentation du cas clinique
I-Présentation générale
Elise TORDJMAN
Pédopsychiatre
Jean, âgé de 9 ans, a été hospitalisé dans le service de pédiatrie générale pour
des explorations diagnostiques et la prise en charge d’une douleur à la hanche
droite évoluant depuis environ un mois. Il est arrivé via le service de pédiatrie
d’un hôpital de province où il passait les vacances de février avec sa sœur, ses
parents et ses grands-parents paternels.
Les explorations diagnostiques réalisées sont toutes revenues sans
particularité et n’ont pas retrouvé d’étiologie organique à la symptomatologie
présentée. C’est devant la présentation clinique atypique, l’inefficacité des
différentes thérapeutiques médicamenteuses à visée antalgique, et les
entretiens réalisés par le pédopsychiatre de liaison, que le diagnostic de
trouble de conversion a été retenu.
II-Antécédents personnels médicaux
Jean a comme antécédents médicaux :
-un hypospadias opéré à l’âge de 3 ans
-de l’asthme du nourrisson
-une gastroentérite aigue compliquée de déshydratation à l’âge de 3 ans ayant
nécessité une hospitalisation de quelques jours
-un épisode de dyspnée aigue à l’âge de 7 ans ayant nécessité un passage aux
urgences sans étiologie retrouvée
-ses parents rapportaient également une chute sur la hanche sans gravité
survenue à l’école durant les dernières vacances de Noël
III-Histoire de la maladie
L’épisode avait débuté un mois auparavant, par un épisode de diarrhée avec
de la fièvre et une douleur en fosse iliaque droite. Le médecin traitant, alors
consulté, avait posé le diagnostic de gastroentérite aigue, sans gravité. Malgré
le traitement instauré, les parents avaient de nouveau consulté pour Jean aux
urgences de l’hôpital Necker et auprès du médecin traitant, car la douleur
abdominale persistait. Différents bilans complémentaires avaient alors été
réalisés à la recherche d’une appendicite ou d’une infection. Le bilan
biologique sanguin, la coproculture et l’échographie pelvienne ne montraient
aucune anomalie éclairant le diagnostic.
Environ une semaine plus tard, Jean se plaignait d’une douleur apparue au
niveau de la hanche droite provoquant une boiterie à la marche. La diarrhée
avait disparu. Une seconde consultation aux urgences de l’hôpital Necker avait
conduit au diagnostic de probable rhume de hanche droite avec la prescription
d’antalgiques, de cannes anglaises et d’un fauteuil pour le retour au domicile.
Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
Une consultation de rhumatologie à l’hôpital Necker avait cependant été
programmée. Lors de cette consultation survenue quelques jours après, la
douleur persistait ainsi qu’une impotence fonctionnelle. D’autres examens
complémentaires avaient alors été demandés, visant à authentifier une
algodystrophie de la hanche droite. Ont été réalisés, une IRM pelvienne avec
injection, une scintigraphie des hanches, un scanner cérébral et lombaire ;
examens tous revenus sans particularité. Une autre consultation avait été
organisée avec le médecin algologue qui avait introduit un traitement
médicamenteux comprenant : Gabapentine, Amitriptyline, deux traitements à
base de Tramadol.
Jean est ensuite parti en vacances en province chez ses grands-parents
paternels, avec ce traitement et un béquillage. Selon lui et ses parents, ce
traitement aurait soulagé la douleur plusieurs jours, sans pour autant la faire
disparaitre. Jusqu’au jour où Jean s’est plaint d’une forte recrudescence de la
douleur, soit une douleur exquise à la hanche droite au toucher du membre
inférieur droit. L’impotence fonctionnelle était devenue totale. Jean a donc été
emmené à l’hôpital le plus proche, le weekend précédent la rentrée scolaire ,
où un traitement par Nalbuphine puis Morphine a été introduit , avant qu’un
transfert ne soit décidé à l’hôpital Necker pour la suite de la prise en charge.
IV-Hospitalisation en pédiatrie
Durant les premiers jours d’hospitalisation, tous les examens réalisés
jusqu’alors ont été relus/revus, d’autres bilans sanguins ont été réalisés à la
recherche d’un syndrome inflammatoire et de divers anticorps (dosage
pondéral des immunoglobulines, anticorps anti-nucléaires). L’examen
physique était rendu très compliqué, le membre inférieur droit étant
inexaminable du fait de l’hyperesthésie, sans signe inflammatoire observable .
Jean disait ressentir une douleur intense à la hanche droite (il montrait le pli
de l’aine lorsqu’on lui demandait de localiser la douleur) au moindre contact
cutané avec certaines parties de sa jambe droite (tout le pied, et la face
antérieure de jambe), et ce, même pour un simple frôlement. Jean laissait sa
jambe droite raide (tout mouvement des articulations du pied ou du genou
provoquait également la douleur), posée sur un oreiller pour que son talon ne
touche pas le matelas. Jean pouvait cependant mobiliser sa hanche droite, de
façon non douloureuse pour des mouvements de flexion, d’extension, de
rotation, d’abduction, d’adduction. Il hurlait lors de chaque examen physique
qui intéressait sa jambe droite. Un examen vasculaire avait été demandé
devant l’apparition de petites pétéchies sur le pied droit et d’un œdème de la
jambe droite. L’échographie-doppler de la jambe ne rapportait pas de signe de
thrombose veineuse profonde.
C’est dans ce contexte qu’une évaluation pédopsychiatrique a été demandée à
l’équipe de pédopsychiatrie de liaison.
Par la suite, les différents traitements médicamenteux ont été arrêtés, devant
leur inefficacité, sauf l’Amitriptyline qui restait à visée anxiolytique et qui était
administrée par perfusion avec un relai per os après 5 jours d’hospitalisation.
Au fur et à mesure des journées d’hospitalisation, Jean se plaignait toujours
d’une douleur aussi importante, évaluée à 5 ou 6 sur 10 sur l’EVA (avec des
pics à 9 sur 10 au début).
L’équipe soignante du service s’est très rapidement sentie démunie devant les
symptômes et l’attitude de Jean. En effet, celui-ci, lorsqu’il était seul dans sa
chambre, restait sans plainte, mais il grimaçait tout en gémissant « Aïe, j’ai
mal » dés qu’il était regardé. Il se montrait hermétique à toute forme de
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
réassurance, que celle-ci soit apportée par l’équipe ou par ses parents. Il se
montrait également volontiers tyrannique et dans la toute puissance, à travers
des demandes, des refus et des exigences récurrents.
Jean a alterné de courtes périodes d’apaisement où il « se montrait » moins
douloureux, tenait un discours plus positif, était plus accessible au dialogue
et plus agréable dans la relation duelle (avec les différents soignants ou avec
ses parents) avec par ailleurs des périodes fréquentes de recrudescence des
plaintes et un refus passif de tout entretien. Jean disait alors qu’il était
fatigué, qu’il voulait rester dans sa chambre et il fermait les yeux ne
répondant plus aux sollicitations lorsque quelqu’un soignant venait le
solliciter.
Anecdote : sollicitation en présence de ses parents pour se rendre dans le
bureau de consultation pour un entretien pédopsychiatrique. Parents en
grande difficulté pour se montrer ferme mais face au constat des attitudes de
toute puissance de Jean. Nécessité de faire sortir les parents de la chambre
pour convaincre Jean de se lever, de façon ferme et sans discussion possible.
Durant trois semaines, Jean passait la plupart de son temps au lit, à dormir ou
à regarder des DVD, à jouer à la console, aux légos ou à lire des BD. Il n’avait
que très peu de contacts avec les autres enfants qui partageaient sa chambre.
Il restait en slip, refusait de mettre un pantalon ou un short à cause de la
douleur que cela occasionnait. Jean est sorti à quelques reprises du service,
pour aller à la cafétéria avec sa famille et avec des copains qui étaient venus
pour le voir, en slip sur un fauteuil roulant. Toute proposition de béquilles
lors de ces sorties pouvait se solder par un refus catégorique de quitter la
chambre.
Les différents entretiens avec Jean n’ont pas toujours été aisés. Son dis cours
se limitait à des plaintes ou bien ses réponses étaient très lisses (comme
« tout va bien »). Lorsqu’il était amené à évoquer ce qui était difficile pour lui,
Jean n’évoquait pas sa douleur, qu’il manifestait pourtant de façon
permanente. Il pouvait par ailleurs s’endormir lors des entretiens familiaux, la
jambe posée sur les genoux de ses parents. Il était possible, durant ces
moments d’endormissement, de visualiser des mouvements de la cheville
droite ou des orteils droits n’occasionnant aucun réveil ni facies douloureux.
Ni l’appétit, ni le sommeil n’étaient perturbés, exceptées les plaintes
concernant les mouvements et soins qui avaient lieu dans la chambre qui
pouvaient le gêner durant la nuit et lors de l’endormissement. Jean dormait
beaucoup durant la journée, essentiellement lorsque quelqu’un passait le voir.
L’équipe soignante et les parents notaient que durant le sommeil, Jean pouvait
avoir la couverture posée sur ses jambes, qui étaient mobiles, qu’il pliait, sans
que cela ne le réveille.
Anecdote : l’équipe soignante ayant développé des contre-attitudes manifestes
à l’égard de Jean, certaines soignantes profitaient des moments de sommeil
pour accrocher le capteur de saturation d’O2 sur le gros orteil droit de Jean.
V-Mode de vie
Jean est l’ainé d’une fratrie de deux. Il a une petite sœur âgée de 5 ans. Son
père travaille comme haut fonctionnaire et sa mère est professeur dans une
école de commerce. Celle-ci travaillait en province depuis environ un an et
demi et dormait deux nuits par semaine dans la ville de son lieu de travail,
chez une amie. Monsieur était dans l’attente d’une mutation sur le lieu de
travail de son épouse.
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Jean et sa sœur étaient très souvent gardés par une nounou (tous les soirs
après l’école). L’année en cours avait été marquée par le départ d’une nounou
très investie auprès des enfants et ce sont trois étudiantes qui alternaient la
garde des enfants après ce départ.
Jean était scolarisé en classe de CE2 et n’avait jamais redoublé. Ses résultats
scolaires ont toujours été très bons. L’école dans laquelle il était scolarisé,
regroupait une maternelle, un primaire et un collège. Jean pourra dire que les
récréations avec les collégiens étaient problématiques, sources de conflits et
de bagarres.
Du côté maternel, Jean a une grand-mère qui habite en Amérique du Nord avec
son deuxième époux. Le grand-père maternel de Jean vit en France. La mère
de Jean racontera qu’à l’âge de 9 ans, ses parents se sont séparés et qu’elle a
alors vécu avec sa mère partie avec son second mari à l’étranger.
Du côté paternel, les grands-parents de Jean vivent en province. Son grandpère paternel est médecin et Jean entretient des liens très forts avec lui .
VI-Antécédents psychologiques
Jean est né trois semaines avant terme. Sa mère, qui travaillait beaucoup, avait
été alitée durant trois semaines pour un « col court ». Jean est décrit comme
ayant été un bébé plutôt « difficile », qui n’était jamais rassasié de lait. La
marche a été acquise à 12 mois, en même temps que l’apparition des premiers
mots. Jean a bénéficié d’un suivi orthophonique à l’âge de 5 ans pendant un
an pour un défaut d’élocution, résolu par la suite. Il existe un bilinguisme au
domicile, la mère de Jean s’adresse à ses enfants en anglais .
Avant la naissance de sa sœur, Jean avait alors 4 ans, le couple parental a
connu des difficultés au sujet de leurs choix éducatifs respectifs. Madame
expliquait qu’elle se montrait alors très permissive, évoquant un « modèle
américain », jusqu’à ce que son entourage lui fasse remarquer l’intoléranc e de
Jean à toute frustration et ses comportements d’opposition permanents.
Madame dira qu’elle a commencé à poser des limites à son fils lors de la
naissance de sa fille.
Cette année-là, malgré un très bon fonctionnement scolaire, les parents de
Jean notaient qu’il était un enfant souvent angoissé, qui manquait de
confiance en lui, qui participait peu en classe et qui souffrait de certaines
relations avec ses pairs (Jean rapportera des jeux violents d’humiliation,
auxquels il participait pour ne pas se faire exclure du groupe et des
compétitions de judo mal vécues car il était mis à terre très rapidement). Jean
a pu également évoquer des brimades de la part des collégiens, l’un d ’eux
ayant tenté de l’ « étrangler » dans la cour.
Ses parents notaient également que malgré certaines situations où Jean
semblait tout faire trop vite, il pouvait se montrer très méticuleux et très
systématique ; comme par exemple lire l’intégralité des BD d’une collection en
une seule fois, ne s’intéresser qu’à un seul objet durant une année (une
voiture) ou aligner ses jouets dans sa chambre.
Jean laissait également transparaitre de fortes angoisses d’abandon et de
séparation, essentiellement depuis que sa mère travaillait en province.
Quelques jours avant les troubles, il avait demandé à sa mère si elle avait « un
amoureux là-bas » et lui avait dit qu’il avait peur qu’elle ne revienne plus,
qu’elle l’abandonne. De plus, lors de l’épisode de gastroentérite initial, Jean
avait dû rester seul plusieurs matinées au domicile et il pourr a évoquer sa
frayeur devant la porte fermée à clé, « et si il y avait eu le feu ? », « en plus
j’avais faim et j’étais tout seul ». Lors de ses crises douloureuses, Jean hurlait
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
à ses parents « sauvez-moi », « je vais mourir », « pourquoi vous m’avez sauvé
de la gastro (celle à 3 ans) et pas là ? ». Jean n’est jamais parti en colonie de
vacances et il existait un projet de voyage linguistique pour les vacances de
Pâques.
Jean avait déjà bénéficié d’un suivi psychologique avec une psychologue
libérale deux ans auparavant, pour une guidance en lien avec un sentiment
d’injustice de Jean vis-à-vis de sa petite sœur. Il était dans des revendications
permanentes et avait des troubles du comportement à l’école. Durant
quelques consultations, Jean a pu être écouté, seul puis avec ses deux
parents. A l’occasion de ce suivi, les emportements du père de Jean avaient
été évoqués, qui, devant l’opposition et l’intolérance à la frustration de son
fils, avait à plusieurs reprises donné des gifles, vécues très difficilement pas
Jean et par son père. Monsieur avait pu parler de son impulsivité et de ses
pertes de contrôle face à son fils. La naissance de la petite sœur avait
également été évoquée, et Jean avait mieux investi sa sœur par la suite. Après
ce suivi, Jean et surtout ses parents étaient de l’avis que « tout était rentré
dans l’ordre ».
Un an après ce suivi (quelques mois avant le trouble), les parents ont de
nouveau contacté la psychologue car ils étaient inquiets devant l’apparition de
propos violents chez leur fils. De plus, celui-ci avait demandé à accrocher un
dessin qu’il avait réalisé représentant Hitler au-dessus de son lit, en même
temps qu’il évoquait sa peur devant ce personnage, mais son « géni »
également. A l’occasion de quelques consultations, il avait été mis en avant
que Jean regardait de nombreux films et documentaires avec son grand -père
paternel. Les figures de violence ont pu être mises à distance en même temps
qu’il était noté un mieux-être dans la famille.
Deux mois après ces quelques séances et deux mois avant l’épisode conversif,
la mère de Jean a de nouveau contacté la psychologue, car elle avait trouvé
dans la chambre de son fils, un mot que celui-ci avait écrit au sujet de son
grand-père paternel, comportant de nombreuses insultes (avec des adjectifs
comme « gros », « laid », « méchant »). Les parents se sont alors questionnés
sur l’existence d’abus devant cette agressivité exprimée sur papier. Jean
pouvait alors dire qu’il était très fâché que ce mot ait été lu et disait qu’il avait
fait cela pour « taquiner » son grand-père. Les parents de Jean sont restés
inquiets malgré tout, alors même qu’ils pouvaient dire qu’ils ne croyaient pas
à leur hypothèse de départ. La psychologue avait elle aussi rassuré les
parents, en leur disant qu’elle n’avait jamais perçu de signe allant dans ce
sens durant les différents suivis. Elle avait cependant conseillé que Jean ne
passe dorénavant ses vacances en Bretagne qu’en compagnie de ses parents,
décision prise pour les vacances de février qui ont précédé l’hospitalisation.
VII-Hospitalisation en pédopsychiatrie
Devant la persistance du symptôme douloureux, l’impotence fonctionnelle et
l’impossibilité de se vêtir, les attitudes inquiétantes de Jean visiblement en
demande d’une aide et l’expression d’une détresse impossible à formuler, une
hospitalisation dans un service de pédopsychiatrie a été demandée après trois
semaines d’hospitalisation en pédiatrie générale.
Un deuxième avis neurologique avait été demandé deux jours avant la sortie
avec la réalisation d’une seconde IRM, cérébro-médullaire par le
neuropédiatre. L’examen clinique neurologique était inchangé, les résultats de
l’IRM étaient attendus.
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
Jean a donc passé une semaine dans un service de pédopsychiatrie, dans un
autre hôpital, avec comme traitement de l’Amitriptyline (10 gouttes matin et
soir). Là-bas, il se serait opposé massivement aux soins avec un refus des
séances de kinésithérapie proposées. Il restait isolé dans sa chambre,
clinophile, conservant un discours pauvre et peu élaboré auprès des
soignants. Aucun
élément
thymique
n’était
retrouvé
malgré
une
symptomatologie de dépressivité mise en évidence durant les semaines
précédentes.
Durant cette semaine, la relecture des images d’IRM à l’hôpital Necker a
conduit à la visualisation d’une prise de contraste méningée au niveau de la
racine L5. Jean a donc été de nouveau transféré à l’hôpital Necker, dans le
service de neuropédiatrie, pour poursuivre des examens , visant à explorer
d’autres étiologies organiques non évoquées jusqu’alors, infectieuses et
tumorales. Le traitement par Amitriptyline était poursuivi.
VIII-Hospitalisation en neuropédiatrie
Lors de ce retour, une ponction lombaire a été réalisée avec des analyses
spécifiques (culture, recherche de cellules anormales, d’anticorps anti neuronaux), toutes revenues sans particularité. Une seconde IRM cérébromédullaire ainsi qu’une IRM de hanches ont été réalisées, ne montrant aucune
modification par rapport aux dernières acquisitions. La clinique étant stable
(symptôme inchangé), les nouveaux examens n’orientaient pas plus le
diagnostic. Une légère stase veineuse avec un œdème modéré du mollet droit
était observée ainsi qu’une sécheresse cutanée associée. Un avis orthopédique
concluait à un examen articulaire normal sans argument en faveur d’une
pathologie osseuse.
Les comportements de Jean, tout comme son symptôme, restaient inchangés.
Jean restait le plus souvent au lit, détestait qu’on le sollicite et insultait, voire
tapait régulièrement les soignants qui tentaient de le stimuler pour la toilette
et les repas. Poursuivre l’hospitalisation devenait compliqué et inutile en
dehors d’un miliau pédopsychiatrique.
Jean est ainsi resté une semaine à l’hôpital Necker avant que ne soit décidé un
retour au domicile. Des examens en ambulatoire étaient convenus, soient une
IRM, un électromyogramme et des potentiels évoqués somesthésiques. Les
parents de Jean étaient alors informés que les explorations s’achèveraient avec
l’EMG et les PES, si ceux-ci revenaient normaux, et que le diagnostic de trouble
de conversion serait toujours le plus probable. La clinique stable et les
résultats des examens réalisés jusqu’alors restaient rassurants quant à une
origine organique. La non-spécificité des images retrouvées lors de l’IRM
médullaire a été évoquée par les neuropédiatre (découverte fortuite). Les
parents, ainsi que Jean, se montraient très réticents à l’idée d’un retour en
service de pédopsychiatrie. Jean avait très mal toléré la séparation et le cadre
qui y était imposé.
Anecdote : au sujet de la semaine passée en pédopsychiatrie, Jean accusait un
soignant de l’avoir accompagné durant sa toilette et de lui avoir lavé ses
parties intimes. Ce qui pouvait apparaître comme un soin banal dans un
contexte d’impotence fonctionnelle apparaissait, dans le discours de Jean,
comme un abus de type attouchement.
Durant cette semaine particulièrement difficile, Jean pourra aborder un
événement qu’il n’avait pas verbalisé jusqu’alors. Il a évoqué une dispute
particulièrement violente avec le père d’un camarade de judo, renco ntré au
parc en début d’année scolaire. Jean jouait au ballon et celui -ci avait atterri sur
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
ce monsieur. Alors que Jean n’était plus sous le regard de sa nounou, ce
monsieur lui aurait agrippé les vêtements et l’aurait giflé. Par la suite, cet
homme se serait montré menaçant lors de la sortie d’un cours de judo, fait
confirmé par la nounou alors présente.
Jean expliquera qu’il ne voulait pas raconter cela car il avait peur de cet
homme et qu’il ne voulait pas que celui-ci aille en prison et que ses enfants ne
voient plus leur père. Jean expliquait qu’il avait entendu des histoires comme
celles-ci à la radio et à la télévision chez son grand-père. Les parents de Jean
en ont été informés en sa présence et ils ont pu rassurer leur fils quant à la
suite à donner à cela. Ils ont contacté ce monsieur par le biais de l’école
(camarade scolarisé dans le même établissement) et l’ont rencontré, une
première fois seuls puis une seconde fois avec Jean. Cet homme était décrit
par les parents comme « nerveux voire violent », celui-ci estimant que Jean lui
devait des excuses pour avoir insulté son fils ne remettant pas en question sa
propre attitude à l’égard de Jean.
IX-Prise en charge ambulatoire
Lors du retour au domicile, il avait été convenu que Jean ne pouvait pas
retourner à l’école tant qu’il ne serait pas à même de mettre un short ou un
pantalon. Des consultations rapprochées ont eu lieu avec le pédopsychiatre de
l’hôpital Necker ainsi que la poursuite du suivi avec la psychologue qui avait
été contactée par les parents et qui avait rendu visite à plusieurs reprises à
Jean pour quelques entretiens, durant l’hospitalisation.
L’EMG réalisé en ambulatoire ne retrouvait pas d’argument pour une
pathologie plus diffuse du nerf périphérique type polyradiculonévrite. Les PES
sont revenus normaux.
Au domicile, Jean restait la journée pour lire. Lors de quelques sorties, il
pouvait dire souffrir de remarques et des regards posés sur sa jambe « oh t’as
vu il est moche ». Les parents notaient que la maladie rendait Jean
extrêmement capricieux mais qu’il parvenait à se plier aux règles de la vie de
famille depuis son retour.
Lors de la troisième consultation en ambulatoire, Jean semblait plus souriant,
plus détendu, plus sympathique dans la relation, avec une douleur qui
persistait cependant. Il ne voyait pas ses copains et n’allait pas à l’école. Il
parlait plus facilement de ses ressentis, de sa souffrance quant aux départs
itératifs de sa maman, quant aux histoires effrayantes lues dans les livres et
vues à la télévision.
Il évoquait les vacances d’été tout en disant qu’il souhaitait partir aux Etats
Unis avec sa famille. Il lui était formulé que ces vacances seraient compliquées
si on ne parvenait pas à le guérir d’ici-là. Ses grands-parents paternels
arrivaient le soir même pour passer quelques jours avec lui. Jean est sorti
triste de cette rencontre, du fait de ce qui avait été annoncé au sujet des
vacances prochaines.
Une heure après cette consultation, Jean, en sortant de la v oiture, a plié sa
jambe avec un grand cri de douleur mais est parvenu à faire quelques pas en
prenant appui sur sa jambe droite. Par la suite, il recouvra progressivement
une mobilité complète avec une disparition totale des douleurs.
Lors de la consultation suivante il pourra dire « je voulais aller en Amérique, je
ne voulais pas aller à Debré, j’ai plié ma jambe et après c’est parti »
X-Evolution
Jean est retourné à l’école jusqu’à la fin de l’année scolaire, et aucun
redoublement n’a été proposé, ce qu’il redoutait depuis le début. Il se
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
plaignait de cauchemars récurrents avec des angoisses lors du coucher
(cauchemars où il se retrouvait abandonné seul dans une forêt). Jean
poursuivait le suivi en psychothérapie. La famille avait également débuté une
thérapie familiale, pour, selon eux, « éclaircir certains schémas ».
Un déménagement a finalement été décidé en province, suite à la mutation du
père. La mère de Jean a quitté son travail et s’est mise en recherche d’un
nouveau, proche de son nouveau domicile.
Une IRM cérébro-médullaire de contrôle a été réalisée à 6 mois, ne montrant
aucune modification par rapport aux images précédentes. L’état physique de
Jean s’était, quant à lui, totalement normalisé.
Jean a été revu après son entrée en CM1 dans sa nouvelle école. Le suivi
psychothérapique s’interrompait progressivement sans projet de reprendre le
suivi avec une personne plus proche du domicile. La thérapie familiale a été
relayée dans en province. Il est à noter, cependant, des éléments dépressifs
apparus chez la mère de Jean.
Discussion
Intervention d’Emelie TARJUS
Emélie TARJUS
Psychologue clinicienne et thérapeute familial
Je vais tenter de donner un éclairage systémique et relationnel à cette
situation clinique.
En Thérapie familiale systémique, nous élaborons des hypothèses que nous
soumettons aux patients par des questions destinées à confirmer ou à
infirmer ces hypothèses. Ces hypothèses constituent donc la trame des
entretiens et permettent aux thérapeutes de se construire une représentation
du fonctionnement de la famille. En pratique, nous apprenons quelquefois
d’avantage d’une hypothèse que la famille nous conduit à infirmer que d’une
hypothèse confirmée trop facilement. Nos hypothèses doivent à la fois nous
permettre d’accéder à une meilleure compréhension des relations familiales et
permettre aux membres de la famille d’élargir le champ de leurs
représentations, en leur proposant implicitement un regard alternatif sur leurs
relations et une définition originale de leur problématique.
Cette précision pour indiquer que nos hypothèses n’ont pas la prétention
d’être nécessairement justes et encore moins uniques. Elles sont utiles quand
elles permettent aux patients d’accéder à une nouvelle compréhension de
leurs relations et de leur problématique.
Concernant Jean, avant d’en venir à une réflexion sur les relations familiales et
leur histoire, il m’a semblé intéressant de me pencher sur la façon dont la
relation se définit entre Jean et le système de soins.
La présentation du cas montre bien à quel point la relation entre Jean et les
soignants est compliquée. On peut supposer que Jean est très sensible au
regard qui est porté sur sa douleur. Ainsi les diverses explorations médicales
peuvent apparaître comme rassurantes (pour Jean mais sans doute aussi pour
ses parents) car elles viennent légitimer une probable origine somatique de la
douleur. A contrario l’invitation à s’exprimer sur les émotions et l’évocation
de difficultés psychologiques semblent se heurter à de fortes résistances. On
est souvent frappés de voir des patients et leur famille être déçus de ne pas
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
être atteint telle ou telle affection somatique qui pourrait pourtant s’avérer
grave, tellement ils attendent une reconnaissance de leur souffrance.
Pour Jean, ce peut être inquiétant que ses troubles soient définis comme
psychiques, et d’imaginer qu’on peut penser de lui qu’il simule, qu’il en
rajoute voire qu’il est fou. Le fait de tenter d’avoir une compréhension
relationnelle de ses difficultés peut permettre de se sortir de la dichotomie
corps/psyché où ce qui est inscrit dans le corps est perçu comme quelque
chose sur lequel le sujet ne peut rien et qui doit être soigné par les médecins
et ce qui est psychique est perçu comme quelque chose sur lequ el le sujet a le
contrôle et qui n’est pas réel. Ainsi voir le symptôme comme l’expression dans
le corps d’une difficulté relationnelle peut permettre de se dégager de la
recherche d’un dysfonctionnement interne qu’il soit somatique ou psychique.
Cette vision alternative n’a cependant de sens qu’en complémentarité avec les
autres approches. On ne peut réfléchir sur le plan systémique et relationnel
que si les enjeux somatiques et psychiques sont par ailleurs pris en compte.
Mais le travail relationnel peut s’avérer très utile également pour guider les
équipes sur la place dans laquelle elles se trouvent mises et sur le sens que
les examens somatiques peuvent prendre. On voit comment l’impossibilité de
Jean à s’appuyer sur les adultes et la façon dont il vit les interventions comme
des intrusions suscitent des contre attitudes négatives chez les soignants. Au delà de l’intérêt qu’il y aurait pour les soignants à se sortir de leur position
d’impuissance et à éviter d’entrer dans un jeu relationnel où ils pourra ient
chercher à contraindre Jean et à prouver l’absence de réalité de sa douleur,
cela nous renseignerait aussi sur le mode de relation de Jean avec son
entourage. Il semble avoir été assez peu rassuré sur sa capacité à intéresser
l’autre, à pouvoir être investi de manière constante et sur la capacité des
adultes à le contenir. Avec des conséquences sur l’ensemble de ses relations
notamment avec ses pairs où il semble être soit rejeté soit sadisé. Son mode
de relation aux autres peut interroger sur le type d’attachement à l’objet qu’il
a pu construire.
Je vais tenter de faire des hypothèses à partir des éléments présentés même
s’ils sont nécessairement partiels et incomplets d’autant qu’ils peuvent avoir
été modifiés par souci d’anonymat. On peut imaginer qu’il a pu être difficile
pour ces parents de devenir parents ensemble et de se sentir mutuellement
légitimés dans ce rôle. La façon dont les modèles éducatifs paternels et
maternels semblent s’opposer pourrait ainsi être le signe de la déception de
chacun des parents à ne pas s’être senti suffisamment soutenu par l’autre, au
moment de la naissance de Jean. Le père a pu ne pas être en capacité de
rassurer suffisamment son épouse inquiète à l’idée de ne pas savoir combler
son fils qu’elle voyait comme un enfant difficile, jamais rassasié. Jean a pu dès
ce moment éprouver la difficulté de ses parents à le contenir (cela se traduit
par un vécu abandonnique et par la façon dont il attend de ses parents qu’ils
le sauvent de sa gastro). Il est frappant de voir que la mère ne parvient à poser
des limites à son fils qu’après la naissance de sa fille qui a pu modifier sa
capacité à se positionner comme mère mais on imagine que cela vient
renforcer le sentiment abandonnique de Jean. Bien sûr il faudrait avoir des
éléments sur ce que les parents ont ou n’ont pas reçu eux-mêmes comme
enfants pour comprendre les attentes sur lesquelles ils ont fondé leur couple
puis sont devenus parents ensemble et ainsi les déceptions qui en découlent
éventuellement. Le fait que les références culturelles et éducatives des deux
parents semblent s’opposer plutôt que se compléter peut -être vu comme un
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
signe de ces déceptions. En disqualifiant le modèle de l’autre, chacun des
parents tente de signifier son échec à son partenaire et de se rass urer sur
l’affiliation de Jean à ses propres références et donc à lui -même. Par sa
permissivité, la mère semble avoir tenté de compenser ses difficultés avec
Jean sur le plan affectif, tout en affichant sa proximité avec son fils devant son
mari mais aussi en montrant l’incapacité de ce dernier à faire tiers dans cette
relation. La façon dont le père se sent attaqué par les crises de son fils, au
point de perdre son contrôle, pourrait confirmer un sentiment d’incompétence
(il ne sait pas réagir face à son fils) et un sentiment d’échec dans son rôle de
père. Ses réactions de violences viennent encore plus le disqualifier et
l’empêcher de jouer son rôle, ce qui augmente probablement sa frustration et
prive la mère du tiers bienveillant dont elle aurait besoin dans la relation à son
fils. Chaque parent semble ainsi piégé par la nécessité de maintenir l’autre
parent en échec, afin de tenter de se légitimer soi-même.
De son coté Jean semble tester, par son niveau d’exigence, la capacité de ses
parents à se mettre d’accord pour les contenir et vérifie à ses dépens qu’ils
sont l’un et l’autre dans l’incapacité de se montrer fermes face à lui. Ainsi
peut se poser la question quant à sa difficulté à supporter le cadre du service
de pédopsychiatrie : s’agit-il d’intolérance à la frustration ou aux limites ou
s’agit-il plutôt de sa difficulté à accepter de tiers, le cadre que ses parents ne
sont pas en mesure de lui proposer et qui lui fait défaut. Les relations que
Jean noue avec le monde extérieur semblent être très marquées par
l’insécurité et de ce fait, très empreintes d’un besoin de maîtrise et d’une
angoisse de se séparer. Ainsi, même dans ses intérêts ou ses lectures, on
perçoit un souci d’exhaustivité et une difficulté à rompre ou interrompre la
relation. Dans sa relation à ses parents, Jean semble pris dans des
mouvements de loyauté à ses deux parents, qu’il tente de mobiliser
également. Ainsi il étend ses jambes sur ses deux parents en consultation,
comme s’il ne pouvait choisir de s’appuyer sur l’un ou sur l’a utre. De même il
est frappant de voir que dans l’exposé, les parents sont toujours décrits
comme une entité uniforme, qui ne fait pas apparaître de positionnement
propre à l’un ou à l’autre. On peut supposer que Jean se trouve également mis
en position de devoir signifier son appartenance à l’une ou l’autre des familles
d’origine de ses parents. Pendant longtemps, il semble qu’il ait été très
proche de son grand-père paternel, avant d'être déçu de sa relation avec lui. Il
s’est montré ensuite particulièrement désireux de partir en vacances chez sa
grand-mère maternelle au point que l’incertitude de ce départ permette l’arrêt
des symptômes.
Nous n’avons pas d’éléments sur les relations de chacun des parents avec sa
belle-famille ni comment ils sont perçus par elle. On peut s’interroger sur la
façon dont la mère de Jean pouvait vivre la relation très étroite entre son fils
et le père de son mari. Le grand père de Jean pouvait -il être perçu comme une
figure protectrice et soutenante, y compris pour elle, ou pouv ait-il être vécu
comme un rival dans la relation à Jean ? Des indications sur les relations de
chacun avec les familles d’origine, particulièrement de la mère avec ses beaux parents, permettraient de mieux comprendre notamment, la façon dont a été
interprété le mot écrit par Jean et contenant des insultes contre son grand
père. On peut se demander qui des deux parents a fait, à partir de ce mot
agressif, l’hypothèse d’abus dont Jean aurait été victime et sur quels autres
éléments éventuels cette inquiétude se fonde. L’agressivité de Jean contre son
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
grand-père peut donner lieu, en effet, à d’autres hypothèses (sentiment de
trahison, d’abandon, dépit etc.).
Le fait que la psychologue conseille aux parents d’être présents pendant les
vacances de Jean chez ses grands-parents lui donne aussi le pouvoir de réunir
la famille paternelle, ce qui peut prendre une signification très différente selon
la tonalité des relations entre les adultes.
Par ailleurs il est également question d’abus sexuels dans cette présentation
lorsque Jean vit l’accompagnement d’un soignant durant sa toilette comme
des attouchements. Il est certes important de ne pas exclure l’hypothèse que
Jean ait pu subir des traumatismes. On peut d’ailleurs imaginer que ces
traumatismes éventuels se soient trouvés réactivés par sa situation de
dépendance et que Jean ait pu se servir du contexte hospitalier pour dévoiler
des faits qu’il n’aurait pas pu exprimer autrement. Faut -il en faire pour autant
une hypothèse centrale ? Compte tenu du contexte on peut aussi s’interroger
sur la façon dont Jean vit son propre corps, en lien avec la façon dont il a été
investi. Il semble en effet compliqué pour lui de supporter que d’autres que
ses parents prennent soin de lui.
En réponse aux questions des organisateurs du colloque, j’espère avoir
montré à quel point l’approche systémique ne pouvait prendre sens que si les
autres types de prise en charge étaient assurés. Ainsi chacun des regards peut
s’avérer complémentaire des autres, à condition que soit clairement défini le
cadre de son intervention.
Concernant les limites de mon propre modèle, j’aime faire référence à Mara
Selvini qui écrivait en conclusion de son dernier ouvrage, combien les modèles
théoriques de référence sont insuffisants pour rendre compte de réalités dont
la complexité échappe à chacun de ces modèles, nécessairement
simplificateurs.
Intervention de Bertrand CRAMER
Bertrand CRAMER
Pédopsychiatre et psychanalyste
Cette présentation permet de relever de nombreux facteurs prédisposant et –
surtout – maintenant le symptôme de conversion : nous pouvons éclairer
certains éléments de l’enfance, les facteurs de risque et de prédispos ition, des
éléments déclenchants et – surtout – des éléments de maintenance des
symptômes. L’évaluation de ces différents facteurs permet de relever des
caractéristiques de conversion : une relation au corps particulière, une
dramatisation et une théâtralisation, un effet contenu de corporalisation avec
effacement des contenus psychiques et, finalement, une certaine forme de
suggestion.
Commençons par les effets prédisposant à l’éclosion de la conversion :
l’enfance n’est présentée dans le texte que par allusion : bébé difficile, élevé
dans un climat de permissivité « à l’américaine » ; on peut imaginer une mère
hyper gratifiant Jean de façon compulsive ce qui peut avoir provoqué au moins
3 évolutions :
d’abord, et par reconstruction basée sur la connaissance d’autres cas, cette
hyper gratification doit s’être appliquée surtout au niveau des échanges
corporels : les mères d’enfants conversifs emploient le corps de l’enfant
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
comme une annexe de leur propre corps, déposant des excès libidinaux que la
mère ne parvient pas à contenir.
La séduction originaire généralisée est prolongée et surchargée : le corps de
l’enfant devient le dépotoir d’une libido maternelle non filtrée et exportée sur
l’enfant : cela peut produire des pathologies fonctionnelles du bébé, comme –
par exemple – ce qu’on nomme asthme du nourrisson dans ce cas.
Le trouble fonctionnel est retrouvé à 7 ans sous forme de dyspnée aigue
menant aux urgences.
En généralisant on peut décrire chez ces mères un usage du corps de l’enfant
comme une zone érogène annexe.
Au niveau de l’enfant, cette surcharge exogène est ressentie comme une
forme de colonisation de son corps qui devient un corps étranger dont
l’enfant se dissocie, ce qui est souvent marqué par « la belle indifférence »
(d’ailleurs manquante chez Jean).
Structure psychopathologique de l’enfant
Impossible de définir une structure ou une névrose hystérique : la conversion
doit être libérée de ce terme, puisqu’il ne renvoie pas à une structure
spécifique. Jean présente un trouble narcissique marqué par la mégalomanie :
c’est un enfant roi (ou un dictateur comme Hitler qu’il affiche contre le mur)
qui rejette, parfois avec mépris et violence, le partage affectif avec autrui. Cela
se marque au niveau des relations avec les pairs et les soignants.
Autres facteurs prédisposant
Jean a démontré une forte angoisse de séparation ; les exemples abondent :
d’abord, l’éloignement de la mère pendant la semaine marqué e par les
craintes d’abandon ; une nounou très investie vient de disparaître ; l’épisode
conversif précède deux séparations annoncées : la première hospitalisation
précède la rentrée scolaire ; un séjour linguistique est prévu pour Pâques.
Ces événements de séparation peuvent être considérés comme des facteurs
déclenchant la conversion.
Les éléments œdipiens ne sont pourtant pas absents du tableau : Jean se
demande si sa mère a un amant lorsqu’elle est loin de lui.
On note également les gifles reçues du père qui est exaspéré par l’éducation
permissive pratiquée par la mère.
En résumé : les gratifications compulsives maternelles (qui seraient le corrélat
de l’éducation permissive) entraînent une atrophie du développement des
désirs de l’enfant et une abrogation des limites concernant les représentations
que l’enfant fait de son corps, non séparé de celui de la mère.
A cela s’ajoute, le défaut d’étayage du père, comme alternatif libidinale à la
mère et comme garant de la séparation progressive mère-enfant. Une tièrcéité
s’est probablement instaurée avec le grand-père paternel, mais elle s’éteint
lorsque ce dernier est suspecté d’abus sexuel. Les injures dirigées contre le
grand-père peuvent révéler une accusation d’homosexualité.
Quant à la sexualité, omniprésente en fantasmes et en réalité dans les
conversions, elle apparaît de la façon la plus classique : Jean se dit la victime
de la sexualité perverse d’autrui lors de l’épisode où un soignant lui aurait
infligé des attouchements sexuels. On retrouve les scènes des séductions
putatives narrées dans les études sur l’hystérie. Une fois encore , l’enfant se
présente comme subissant une effraction sexuelle, sur le mode de la
séduction primaire des mains de sa mère.
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
Autres facteurs prédisposant
Les maladies d’enfance : hypospadias opérée, asthme, gastroentérites,
dyspnée aigue. Ces maladies itératives sont notées dans de nombreuses
observations. Elles semblent prédisposer à la corporalisation par
l’intermédiaire d’une érogénéisation du corps lors de soins.
Plus important encore est l’activisme médical. Il joue plusieurs rôles : tout
d’abord il officialise et consacre l’authenticité somatique, matériel le du
symptôme. Ce faisant il soulage le patient et les parents de la menace de
recherche de troubles psychiques qui les embarrasserait tous. Puis, l’activisme
médical donne une forme légitime à une dramatisation : les douleurs clamées
par le patient agitent le microcosme médical, entraînant une inquiétude
diagnostique autour d’un cas qui fascine et rend perplexe les soignants.
L’enfant devient une sorte de héros médical, un apport narcissique non
négligeable, autour duquel Jean pourra – une fois encore – subir des
sollicitudes concernant son corps qui est livré – passif – aux manipulations
médicales. La pratique médicale lui offre une légitimation de son désir,
régressif, d’offrir son corps comme objet, au service aux désirs des médecins,
et cela dans une homologie à l’offrande qu’il avait faite de son corps à la
mère.
La suggestion joue ici un rôle non négligeable : l’enfant manœuvre de façon si
convaincante que les médecins en sont comme hypnotisés par l’énigme qu’ils
doivent déchiffrer.
L’importance de la complicité médicale dans le théâtre que cherche à
matérialiser l’enfant doit être soulignée : tant que l’on trouve une suspicion
du genre « prise de contraste méningée au niveau de la racine L5 », la mise en
scène de la corporalisation est triomphante. Il faut noter que dans le cas de
Jean, il y a eu pas moins de 9 hospitalisations dans sa courte vie, et 7
épisodes distincts d’examens, souvent lourds, depuis l’avènement de la
conversion.
Ces chiffres rendent compte du pouvoir considérable de l’enfant, au service de
sa tyrannie certes, mais aussi de l’addiction à la corporalisation ; mais elle
révèle aussi la complicité nécessaire des médecins dans la conversion : ils
étayent la dramatisation et confirment l’adage : « sans publicité, pas
d’hystérie » (les iconographies des leçons de mardi de Charcot témoignent de
l’importance de la mise en scène médicale).
Encore un mot sur la suggestion, toujours présente dans les présentations
cliniques de cas de conversion : la suggestion est une entreprise de prise de
pouvoir sur le jugement d’autrui, mais également sur soi-même : les parents
sont en collusion avec l’enfant ; ils partagent une conviction – en partie
autosuggérée – qu’il y a là maladie somatique. Ils détestent ensemble
l’hospitalisation en pédopsychiatrie qu’ils doivent ressentir comme une
menace à la somatisation officielle.
Quant à l’autosuggestion, elle joue certainement chez Jean lorsqu’il proclame
de souffrir grandement, alors que le staff le suspecte d’une forme de
simulation.
Mais à mes yeux, la plus évidente forme d’autosuggestion est à relever dans la
guérison aussi inattendue qu’entièrement agencée par Jean : c’est lui, et lui
seul, qui décide de la cessation de tout symptôme. Il est bien le maître de son
symptôme qu’il convertit à souhait quand il le désire.
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
Réponse aux questions des organisateurs :
1. Qu’attend-on des croisements des différents regards théoriques ?
J’attends de la systémique qu’elle éclaire les modes de fonctionnement de cette
famille dont nous ne savons que très peu. Quelle délégation est attribuée à cet
enfant ? Quelle forme ont pris les interrelations familiales, notamment concernant
l’établissement des limites, et les interactions corporelles – en fantasmes et en
réalité ? Quelles sont les traditions et les valeurs transgénérationnelles concernant
l’émancipation de l’enfant hors de l’orbite maternelle. Quels sont les histoires de
maladie et les conflits principaux joués entre les 4 membres de cette famille ?
Des neurosciences j’attends plus que ce qui a été démontré jusqu’alors dans les
conversions, à savoir : « une désactivation sélective, controlatérale dans les circuits
ganglio-thalamiques avec réactivation une fois le symptôme guéri (réf. Vuilleumier
P. « Hysterical conversion and brain fonction » : dans Progress in brain research,
Vol. 150, 2005. Elsevier: pp 309-3029).
2. Où voyez-vous les limites de votre propre modèle de références?
La principale limite est celle qui arrête la connaissance psychanalytique en aval de
l’explicitation des corrélats neuraux des processus menant à la conversion :
Comment des représentations psychiques - surtout inconscients – peuvent-elles
modifier le fonctionnement neuronal provoquant des symptômes moteurs,
sensoriels et neurovégétatifs (épistaxis, œdèmes, etc.) ?
Comment la trace psychique d’un traumatisme peut-elle se muer en modification
des neurones et hormones cérébraux ?
En fait, il s’agit toujours de la même question : comment l’esprit peut-il modifier la
matière ?
3. Qu’en est-il de la causalité psychique ?
La causalité psychique est d’abord obscurcie dans la conversion, tant l’effet de la
corporalisation parvient à occulter l’épaisseur psychique.
Mais lorsqu’on prend ces sujets en thérapie ou en analyse, on parvient à expliciter
une série de causes (et non une cause ultime) que l’on peut considérer, tout en
tenant compte des après-coups multiples, comme des causes psychiques.
J’ai eu l’occasion d’analyser un jeune adulte qui souffrait de paralysie conversive
des deux derniers doigts de la main gauche, une pénalité insupportable pour le
violoniste qu’il était. Il produisait son symptôme dans la séance lorsque les émois
transférentiels renvoyaient à une série d’angoisses qui mettaient à vif les conflits
infantiles : la plus prégnante de ses angoisses avait ses racines dans des
expériences de séparation avec sa mère et revécues dans le transfert : il
maintenait le fantasme que son corps était un prolongement de celui de sa mère
et toute expérience ou velléité de séparation entraînait dans la séance des
attaques de panique accompagnées de la conversion au niveau des doigts ; il
craignait alors que ses doigts se séparent du reste du corps et que le sang n’y
parvenait plus. L’angoisse de castration paraissait au premier plan, mais entraînait
immédiatement des angoisses archaïques de démembrement total.
Dans cet exemple, les causalités étaient à plusieurs niveaux : la séparation avec la
mère était perçue comme une atteinte quasi mortelle à l’intégrité physique de
celle-là, causant une culpabilité intense. Mais cette angoisse apparaissait aussi à la
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Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme – 5 avril 2013
suite de coïts, comme si la pénétration avivait un fantasme de destruction du corps
féminin.
Quelles sont ici les causalités psychiques ? L’angoisse et la culpabilité liées à
l’attaque du corps maternel entraînaient la nécessité d’une autocastration
symbolique manifestée par la conversion des organes les plus précieux pour sa
vie : ses doigts de violoniste.
Je dirais en résumé que les conversions permettent d’expliciter les causalités suivantes à
l’œuvre :
-
La libidinisation du corps de l’enfant.
-
Un attachement du corps de l’enfant au corps de la mère, le corps de l’enfant
devient une annexe autoérotique au corps de la mère.
-
Un conflit massif lors de l’émancipation hors de l’orbite maternelle.
-
Une corporalisation défensive avec une expulsion dans le corps des émois sexuels
et agressifs.
-
C’est lors de l’après-coup de la puberté que différents émois basculent dans le
corps formant le symptôme de conversion.
J’ai ainsi tenté de formuler une analyse psychopathologique de ce cas de conversion, en
employant des références d’obédience généralement psychanalytiques. Cela permet,
d’une part, de fournir un recensement des facteurs prédisposants, de maintien et de
causalité (je souligne le pluriel), offrant un tableau cohérent. D’autre part, cela permet un
certain degré d’objectivation, sans en faire une chose en soi échappant à l’effet de
l’observateur sur ce qui est observé. Pour reprendre l’apologie, si bien présentée par S.
Missonnier, de la nécessaire complémentarité (plutôt qu’une intégration assimilatrice) des
différents modes de préhension des phénomènes psychiques, je pense que la définition de
la psychopathologie comme processus d’écoute et qui se fonde sur l’intersubjectivité
(comme l’a proposé D. Widlöcher) est un moment de la réflexion psychopathologique,
mais qu’elle doit se complémenter par une construction phénoménologique qui permet le
moment de la description du tableau psychopathologique. Ce dernier est le garant de la
transmission et, notamment, de la pédagogie.
Qu’est-ce que la psychopathologie ? Intégration ou complémentarisme
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