Pour ne pas subir, il faut agir!
Transcription
Pour ne pas subir, il faut agir!
Numéro 2 Juillet 2004 Balayons devant notre porte l A ouette Association suisse des journalistes de langue française www.francophonie.ch L e ras-le-bol face à l’horripilant sabir atlantique se confirme. La création d’une association Défense du français a clairement démontré que des centaines de personnes en Suisse romande souhaitent des interventions énergiques. Des parlementaires se lancent également à l’assaut du Conseil fédéral, lui demandant de réagir par des directives précises pour supprimer les «Swissmedic» ( Institut suisse des produits thérapeutiques), «Fedpol» (Office fédéral de la police), «Finweb» (concernant la place financière suisse, DFF), «Swissmint» (l’ancienne monnaie fédérale) et de ne plus utiliser les termes de «budgeting», «reporting», «controlling», «newsletter» ou «task force», alors que des équivalents existent dans nos langues nationales. Tous ces efforts sont louables. Nous les soutenons. Or, des critiques toujours plus nombreuses s’adressent à nos rédactions et concernent notre travail dans la presse écrite, à la radio ou à la TV. Vous les connaissez: «Que faites-vous pour limiter les multiples fautes de français, et laisser dire qu’un avion s’est crashé ou que vous pouvez répondre par e-mail?» Difficile de comprendre le silence des rédacteurs en chef et des journalistes sportifs face aux nouvelles dénominations de «Swiss league, challenge league». Que pouvons-nous faire? Il serait certes faux de vouloir établir un code, mais ne craignons pas de récrire… en français les messages que nous recevons. Et pourquoi les responsables rédactionnels ne prennent-ils pas l’initiative de faire appel à des conseillers linguistiques? Chacun peut montrer l’exemple. Suivons le modèle de Radio-Canada, qui affirme avec vigueur sa volonté de faire de la qualité du français une priorité. Daniel Favre, président Face à l’anglais Pour ne pas subir, il faut agir! Créer des produits, c’est prendre l’initiative; créer les mots qui désignent ces produits, c’est imposer une manière de vivre. T rop souvent, nous nous contentons d’adopter le mot étranger plutôt que de créer un équivalent en français. Quand un Américain dit: «I bought a teeshirt and a short...» ça sonne pour lui très exactement comme si nous disions: «J’ai acheté une chemise T et un court.» A aucun moment, ce que l’Américain dit ne sonne pour lui étranger ou exotique. Le débardeur, ce maillot de corps si franchouillard, a bien trouvé une appellation proprement française, le marcel. Pourquoi ne pas en trouver pour tee-shirt et short? Pas de passéisme, pas de fermeture obses- sionnelle: il y a des apports heureux. Du verbe anglais to mix, on a fait en français mixer et mixeur, à côté de mélanger et mélangeur. C’est heureux et ça rappelle le mot mixte. Mais la paresse et le suivisme confinent parfois au snobisme ou au ridicule. Helsana s’associe à la Fédération suisse d’athlétisme et à Markus Ryffel, ancienne gloire helvétique, pour créer des swiss running walking trails. On vous initiera aux walking/nordic walking et running. Je veux bien qu’on m’apprenne à marcher et à courir comme un Norvégien, mais pourquoi ces méthodes ont-elles, ici, des noms anglais? N’oubliez pas vos sticks, parce que le nordic walking, ça consiste à marcher très vite, avec des bâtons de ski! Dit en français, évidemment, ça fait un peu ringard. Notez qu’Helsana prend la peine d’annoncer ces cours dans les trois langues officielles suisses... En tennis, les commentateurs de télévision comptent les aces. Curieux retour des choses: le tennis, ce sont des mots français anglicisés. Un ace, c’était un as, comme l’as de cœur aux cartes. Les Allemands disent d’ailleurs: «Was für ein Ass!» Deuce, c’est simplement le mot français deux, prononcé «diousse». Il signifie que les deux joueurs sont à égalité... A RolandGarros, le filet l’emporte désormais sur let qui n’était autre que la finale du mot français! En tennis ou en golf, quand un Anglais a gagné un tournoi ouvert aux pros et aux amateurs, il dit «I won the open!» Et ça sonne pour lui très exactement – j’insiste – comme: «J’ai gagné l’ouvert!» Pourquoi les mots français nous parais- sent-ils étranges alors que les mots étrangers nous sont familiers? Parce que nous n’avons pas su inventer une expression comme proam? On aurait l’Open de Wimbledon et le Proam de Paris... (Proam ou autre chose: faites marcher votre imagination.) Paresse ou snobisme: même quand les mots existent en français, nous les négligeons. Un template, c’est un patron, un calibre, un gabarit, une matrice. Un driver, c’est un conducteur, un pilote. Les adeptes de la scientologie confrontent souvent. To confront, c’est tout simplement affronter. Imposer son langage, c’est imposer sa vision du monde. Grande est la responsabilité de la presse et plus encore celle des agences de presse francophones. Pas seulement face à l’anglais. L’AFP et l’ATS ne prennent pas la peine d’écrire les noms étrangers comme on devrait les prononcer en français pour être proches de l’original. On écrit Kusturica ce qui se prononce Koustouritsa. On a dit Krouchtchèv au lieu de Krouchtchiof. Ecrirait-on aujourd’hui Lenin et Bulganin ? Il y a des exceptions. Poutine a été francisé. On n’a pas simplement écrit Putin. Je me demande bien pourquoi. Francis Luisier A La Poste tout n’est pas timbré Nous parlerons swissglish En Suisse, l’anglais ne passera pas. Avant les Romands, les Alémaniques se sont organisés pour résister à la langue et à la pensée anglo-saxonnes. Ils ont créé le swissglish. Pas un anglais fédéral. Un véritable dialecte qui est à l’anglais ce que leurs patois sont à l’allemand. Nous l’avons découvert en tentant de comprendre le langage de notre poste. A u départ, nous aurions aimé rencontrer M. Ulrich Gygi, le patron. L’idée était de lui proposer de remplacer les anglicismes, déjà que l’on recourt à des langues étrangères que certains usagers ignorent, par des idéogrammes chinois, faciles à mémoriser et esthétiquement plus beaux que nos caractères d’imprimerie. Impossible de déranger un homme aussi important pour un journal qui n’est lu que par quelques centaines de journalistes, de surcroît francophones («french speaking» a-t-il dû penser). Nous nous sommes rabattus sur son porte-parole, un Neuchâtelois charmant, François Tissot-Daguette, qui nous a fait découvrir le swissglish. Une langue dans laquelle «service public» se traduit avec difficulté, mais qui, compte tenu de l‘attachement à ses parlers locaux d’une majorité de nos concitoyens, garantit que l’anglais, pas plus que l’allemand, ne deviendra jamais une langue maternelle helvétique. L’allemand fédéral menacé «La facilité avec laquelle les Alémaniques cèdent à l’anglais tient à ce que l’allemand n’est pas leur langue maternelle, mais une langue véhiculaire, et qu’en allemand il y a beaucoup de mots anglais, nous a expliqué François Tissot-Daguette. Cela les a incités à créer le swissglish qui est l’anglais utilisé par les Suisses alémaniques quand ils parlent entre eux. Il intègre dans l’allemand beaucoup de mots anglais qui ont souvent des sens différents de ceux qu’ils ont en anglais. On retrouve cela dans l’allemand fédéral de l’administration et, par la cascade des traductions, dans les autres langues officielles. «Mais à La Poste, poursuit mon interlocuteur, nous avons une politique de défense de nos langues. Vous vous représentez une entreprise qui a quatre noms différents, avec l’anglais! Nous n’uniformisons ce nom qu’à l’extérieur où nous sommes SwissPost, même en France ou en Allemagne. A l’intérieur du pays le nom de marque est différent selon les régions linguistiques!» Je n’ai pas été bon. Je n’ai pas réagi. Je ne lui ai pas demandé si notre quatrième langue n’était pas le romanche. Pardonnezmoi. Mais j’ai constaté une grande bienveillance envers ces dialectes locaux que sont, la globalisation aidant, l’allemand, le français et l’italien. Carton jaune: courrier en baisse – C’est que les gens ont un attachement extraordinaire à La Poste, poursuivait François Tissot-Daguette, nous avons fait des études. – A quoi est dû cet attachement? – Au fait que chacun a eu recours à La Poste... – Et pourquoi y a-t-il eu recours? – A cause de la qualité de son service. Quand on demande aux gens à quoi leur fait penser le jaune, avant même qu’au soleil, ils pensent à La Poste! – Mais l’attachement ne vient-il pas d’une activité plus orientée vers le service du public que vers la rentabilité? (Trop poli pour être honnête, je n’ai pas suggéré, face aux hausses de prix, que le jaune est, diton, la couleur des cocus, même s’ils sont consommateurs de courrier, et qu’un certain rouge est celui de Coca-Cola et du Père Noël). L’indépendance dépendante du chef de service – La Poste n’est pas une administration. Nous sommes indépendants bien que nous dépendions entièrement de la Confédération, argumente courageusement François Tissot-Daguette. Nous dépendons du politique. Il nous indique le cadre dans lequel nous devons travailler. M. Leuenberger fixe le prix du timbre. Mais nous dépendons aussi de l’évolution des technologies. L’année dernière, le courrier a diminué pour la première fois dans l’histoire de La Poste. A cause des e-mails (en français, «courriels», mais nous sommes à Berne et la cascade du swissglish est impitoyable). – Parce que vous êtes devenus chers, plus chers que la poste française, par exemple. – Si vous comparez les prix, nous sommes chers. Mais si vous comparez le pouvoir d’achat en France et en Suisse, nous sommes très avantageux. Ce disant, M. Tissot-Daguette était en train de me révéler que la politique des prix d’un service public suisse (comme son utilisation de la couleur), se calque sur celle de Coca-Cola qui module aussi ses prix en fonction du pouvoir d’achat de chaque pays, plus cher en Suisse qu’en France. Sur le plan financier, La Poste a un mandat très clair du Conseil fédéral. Il lui demande de faire croître la valeur de l’entreprise. Cet objectif a été atteint pour la première fois cette année. De là à ce que La Poste devienne au service public ce que Canada Dry est à l’alcool... L’anglais pour se faire comprendre – Revenons aux langues. Pourquoi l’anglais que certains clients ne comprennent pas et qui, en Suisse, n’est la langue de personne? Allons-nous devenir un sous-continent indien sans avoir même été occupés par Sa Gracieuse Majesté? – L’introduction de l’anglais est aussi liée à des considérations de coût, mais cela n’est pas la priorité. La priorité est de se faire comprendre. L’anglais n’est pas un objectif économique. L’objectif est d’utiliser les langues nationales et de ne recourir à l’anglais que lorsque c’est la meilleure solution possible. Le mot «courriel» poserait par exemple un problème aux Alémaniques. L’empire du mail Mais pas aux Canadiens anglophones? Le dialogue est parfois difficile chez le géant jaune. Pour expliquer que, parfois, on ne peut agir autrement, le porte-parole de La Poste cite l’exemple de PostMail en précisant: «On a choisi l’anglais, on ne dit pas Poste mail, ni Posta mail, sans même plus se rendre compte que c’est le mail qui gêne. – Nous ne pouvons pas faire comme si l’anglais n’existait pas dans certains domaines comme l’informatique et les finances, secteurs où les anglicismes sont très répandus. – Mais si vous utilisez Word en français, le programme d’écriture de Microsoft, chaque fois que vous écrirez mail, son correcteur d’orthographe vous dira qu’il faudrait mettre «courriel». – Le tout est de savoir si celui qui reçoit le message comprend «courriel». Pourquoi faire simple? – Nous désirons, enchaîne M. Tissot-Daguette, que le produit envoyé de Genève ne change pas de nom en arrivant à Saint-Gall. Avec une préférence aux langues nationales. Pour la lettre signature (que les Romands s’entêtent à appeler un «recommandé», mais qui évite aux Alémaniques d’utiliser le bon allemand, me suis-je dit), ou la lettre assurance, nous avons choisi le français. – S’il faut unifier, pourquoi ne pas utiliser l’allemand, langue de la majorité des Suisses? Si l’on pense que pour eux ce n’est qu’une langue véhiculaire, pourquoi ne pas utiliser le français, langue de la majorité relative face à des dialectes alémaniques cantonalement éclatés? – Nous voulons utiliser un vocabulaire dont les racines puissent se comprendre intuitivement. Dans secure post, le francophone comprend intuitivement mieux secure que sicher Post. Un jour peut-être le chinois... – Pourquoi ne pas utiliser des idéogrammes pour les produits. Ils seraient lisibles par tout le monde, comme la cigarette barrée pour les espaces non-fumeurs. Voire des idéogrammes chinois, si graphiques sur les affiches. Ils prépareraient la population à la langue qui sera indispensable dans vingt ans pour les carrières internationales. – On peut tout imaginer. L’influence culturelle est souvent liée à la prédominance politique et économique mondiale des Etats. Peut-être un jour nous en viendrons aux idéogrammes. – Vous avez tendance à écrire post le nom de la poste sur vos produits. Quand on voit les difficultés actuelles des jeunes avec l’orthographe... ... mais pas de rôle éducatif – Le problème actuel de l’orthographe n’est pas dû à La Poste... – Mais vous en remettez une petite couche... – Notre tâche première est de nous faire comprendre, nous n’avons pas un rôle éducatif. Ce qui ne nous empêche pas de sponsoriser («parrainer», nos lecteurs auront rectifié d’eux-mêmes, avant que le swissglish ne retombe en cascade sur eux), des manifestations culturelles comme le Salon du livre à Genève, ou le Festival du film à Locarno. Avec la double volonté de soutenir la culture et les minorités. Damned! Le jaune serait-il la couleur d’un enfer pavé de bonnes intentions? Jean-Charles Abreu Notre invitée Micheline Calmy-Rey Muette, éloquente et pantoise Nous fumes un peu plus de 70 journalistes, ce 16 juin 2004 au Lausanne-Palace, pour ne pas entendre la conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey. Mais si nous ne l'avons pas entendue, nous l'avons bien comprise. S ituation rare: invitée par Daniel Favre, président de l'Association suisse des journalistes de langue française, à laquelle s'étaient joints pour l'occasion les membres du Cercle lausannois de la presse, la chef du Département des affaires étrangères prési- On ne s'en étonnera pas: un obstacle crânement surmonté et, malgré lui, l'habituel sourire de Mme Calmy-Rey lui valurent une attention concentrée, puis de chaleureux applaudissements. D'abord, la conseillère fédérale aurait pu s'excuser au dernier moment, et propos sur ses lèvres, on ne pouvait douter de la conviction, de l'engagement, de la force intérieure de l'oratrice: les yeux brillants, la tête penchée en avant, l'habituel sourire souvent disparu, elle disait, au fond, de toute sa personne que la démission de ses La conseillère fédérale Micheline Calmy-Rey et Daniel Favre, président de l’Association suisse des journalistes de langue française. dait un déjeuner, mais souffrait d'une extinction de voix si sérieuse qu'il fallut tendre une oreille attentive pour capter ses propos susurrés au micro: quelques souffles avec, de temps en temps, un brusque et bref retour de voix propre à faire sursauter l'auditoire. nous laisser le bec dans nos assiettes; or elle vint. Ensuite, elle dut charger son porte-parole (quasiment son porte-larynx) Christian Meuwly de lire son discours introductif; mais elle voulut répondre elle-même à la plupart des questions, et s'il fallait parfois lire ses cordes vocales, les divisions du Conseil fédéral, les obus lancés contre sa «diplomatie transparente», ni les éventuelles chausse-trappes ouvertes sous ses pieds, ne l'intimidaient pas. Une Suisse, justement, qui ne craint pas d'être elle-même: voilà le fond de son message. Un pays neutre et décidé, pourtant, à «ne pas se cacher sous la table». Qui multiplie ses liens avec les pays de l'Est européen. Qui parraine l'initiative de Genève pour la paix au Moyen-Orient. Qui conclut les fameux accords bilatéraux avec l'Union européenne, et les soumettra, sûr du résultat, au suffrage universel. Qui traverse, il se peut, des moments plutôt difficiles en politique intérieure, mais n'a pas de raison de douter de ses institutions. Et puis une Suisse active au sein de l'Organisation internationale de la Francophonie, dont elle est, en termes financiers, le troisième contributeur. Elle y combattra pour le respect des droits de l'homme et, notamment, contre l'incarcération des journalistes par les gouvernements autoritaires. Elle proposera que l'OIF prenne davantage d'initiatives et collabore plus souvent avec les ONG. Elle accueillera, fin 2005, un congrès de juristes francophones à Lausanne (il discutera de ce problème vital dans notre monde: la législation sur l'eau). Et puis... «...Est-il vrai, madame, que de hauts fonctionnaires de votre département, à commencer par le secrétaire d'Etat, tiennent la Francophonie pour un gentil hochet diplomatique? » Question d'un impertinent. Réponse à peu près inaudible. Mais, si l'on en croit un journaliste à l'oreille fine, vigoureux démenti: «J'en reste pantoise...» Un seul vœu: que le secrétaire d'Etat, M. Franz von Däniken, en soit lui aussi pantois. Ce serait une très bonne nouvelle. Jean-Marie Vodoz Le mobile Roi du mélange des langues Natel, portable, mobaïle, cellulare, telefonino, handy… P our tout mélanger en matière de langues, il n’y a rien de mieux que le téléphone mobile, ce petit appareil que tous les Suisses (ou presque) possèdent aujourd’hui, pour ne parler que de nous. En effet, son nom, dans les pays qui nous entourent, tout comme chez nous, mérite qu’on s’y arrête un peu. Tant les absurdités sont reines. En Suisse d’abord: certains appellent encore ce genre de téléphone «Natel». C’est faux! Le Natel est le réseau de téléphonie mis en place par Swisscom à l’époque et non pas l’appareil lui-même. Certains, en France aussi d’ailleurs, par- lent de portable. C’est tout aussi faux. Le téléphone portable est un appareil relié au réseau fixe de téléphonie, toutefois sans câble. On peut le transporter avec soi à travers l’appartement mais il ne fonctionne que sur une courte distance, quelques dizaines à quelques centaines de mètres. Le terme exact est tout simplement «mobile». Regardez d’ailleurs dans l’annuaire officiel de Swisscom, que ces irrespectueux appellent d’ailleurs Directories: les téléphones autres que les fixes sont indiqués sous «mobile». Bravo! Raison de plus pour s’offusquer lorsque la publicité parle de mobaïle… La France, elle, a choisi plutôt, à tort, le terme de portable. Quant aux Italiens, ils utilisent l’expression de cellulare, voire – et c’est joli – de telefonino. Les Anglais, eux, parlent de cellular. Les plus forts restent les Allemands et les Suisses allemands. En effet, ils utilisent le mot handy, expression qui n’est même pas reprise par les pays anglophones, comme s’ils n’avaient aucun terme convenable dans leur vocabulaire. On ne le répétera jamais suffisamment, la technologie qui nous envahit est assez naturellement exprimée en anglais. Il n’empêche que, dans la grande majorité des cas, des termes français sont créés à la satisfaction de tous, à condition d’y mettre un peu de bonne volonté et, surtout, de faire de la résistance. Lorsque Roland Béguelin, membre éminent des journalistes de langue française, a voulu imposer la «dominique» pour parler du week-end, il a cruellement échoué, même si certains utilisent la terminologie de «fin de semaine», qui recouvre toutefois une notion légèrement différente. C’est dommage car les francophones canadiens utilisent là un fort beau mot. Ce n’est cependant pas une raison pour baisser les bras... Pierre Boillat prononcé «diousse». Il signifie que les deux joueurs sont à égalité... A RolandGarros, le filet l’emporte désormais sur let qui n’était autre que la finale du mot français! En tennis ou en golf, quand un Anglais a gagné un tournoi ouvert aux pros et aux amateurs, il dit «I won the open!» Et ça sonne pour lui très exactement – j’insiste – comme: «J’ai gagné l’ouvert!» Pourquoi les mots français nous parais- sent-ils étranges alors que les mots étrangers nous sont familiers? Parce que nous n’avons pas su inventer une expression comme proam? On aurait l’Open de Wimbledon et le Proam de Paris... (Proam ou autre chose: faites marcher votre imagination.) Paresse ou snobisme: même quand les mots existent en français, nous les négligeons. Un template, c’est un patron, un calibre, un gabarit, une matrice. Un driver, c’est un conducteur, un pilote. Les adeptes de la scientologie confrontent souvent. To confront, c’est tout simplement affronter. Imposer son langage, c’est imposer sa vision du monde. Grande est la responsabilité de la presse et plus encore celle des agences de presse francophones. Pas seulement face à l’anglais. L’AFP et l’ATS ne prennent pas la peine d’écrire les noms étrangers comme on devrait les prononcer en français pour être proches de l’original. On écrit Kusturica ce qui se prononce Koustouritsa. On a dit Krouchtchèv au lieu de Krouchtchiof. Ecrirait-on aujourd’hui Lenin et Bulganin ? Il y a des exceptions. Poutine a été francisé. On n’a pas simplement écrit Putin. Je me demande bien pourquoi. Francis Luisier A La Poste tout n’est pas timbré Nous parlerons swissglish En Suisse, l’anglais ne passera pas. Avant les Romands, les Alémaniques se sont organisés pour résister à la langue et à la pensée anglo-saxonnes. Ils ont créé le swissglish. Pas un anglais fédéral. Un véritable dialecte qui est à l’anglais ce que leurs patois sont à l’allemand. Nous l’avons découvert en tentant de comprendre le langage de notre poste. A u départ, nous aurions aimé rencontrer M. Ulrich Gygi, le patron. L’idée était de lui proposer de remplacer les anglicismes, déjà que l’on recourt à des langues étrangères que certains usagers ignorent, par des idéogrammes chinois, faciles à mémoriser et esthétiquement plus beaux que nos caractères d’imprimerie. Impossible de déranger un homme aussi important pour un journal qui n’est lu que par quelques centaines de journalistes, de surcroît francophones («french speaking» a-t-il dû penser). Nous nous sommes rabattus sur son porte-parole, un Neuchâtelois charmant, François Tissot-Daguette, qui nous a fait découvrir le swissglish. Une langue dans laquelle «service public» se traduit avec difficulté, mais qui, compte tenu de l‘attachement à ses parlers locaux d’une majorité de nos concitoyens, garantit que l’anglais, pas plus que l’allemand, ne deviendra jamais une langue maternelle helvétique. L’allemand fédéral menacé «La facilité avec laquelle les Alémaniques cèdent à l’anglais tient à ce que l’allemand n’est pas leur langue maternelle, mais une langue véhiculaire, et qu’en allemand il y a beaucoup de mots anglais, nous a expliqué François Tissot-Daguette. Cela les a incités à créer le swissglish qui est l’anglais utilisé par les Suisses alémaniques quand ils parlent entre eux. Il intègre dans l’allemand beaucoup de mots anglais qui ont souvent des sens différents de ceux qu’ils ont en anglais. On retrouve cela dans l’allemand fédéral de l’administration et, par la cascade des traductions, dans les autres langues officielles. «Mais à La Poste, poursuit mon interlocuteur, nous avons une politique de défense de nos langues. Vous vous représentez une entreprise qui a quatre noms différents, avec l’anglais! Nous n’uniformisons ce nom qu’à l’extérieur où nous sommes SwissPost, même en France ou en Allemagne. A l’intérieur du pays le nom de marque est différent selon les régions linguistiques!» Je n’ai pas été bon. Je n’ai pas réagi. Je ne lui ai pas demandé si notre quatrième langue n’était pas le romanche. Pardonnezmoi. Mais j’ai constaté une grande bienveillance envers ces dialectes locaux que sont, la globalisation aidant, l’allemand, le français et l’italien. Carton jaune: courrier en baisse – C’est que les gens ont un attachement extraordinaire à La Poste, poursuivait François Tissot-Daguette, nous avons fait des études. – A quoi est dû cet attachement? – Au fait que chacun a eu recours à La Poste... – Et pourquoi y a-t-il eu recours? – A cause de la qualité de son service. Quand on demande aux gens à quoi leur fait penser le jaune, avant même qu’au soleil, ils pensent à La Poste! – Mais l’attachement ne vient-il pas d’une activité plus orientée vers le service du public que vers la rentabilité? (Trop poli pour être honnête, je n’ai pas suggéré, face aux hausses de prix, que le jaune est, diton, la couleur des cocus, même s’ils sont consommateurs de courrier, et qu’un certain rouge est celui de Coca-Cola et du Père Noël). L’indépendance dépendante du chef de service – La Poste n’est pas une administration. Nous sommes indépendants bien que nous dépendions entièrement de la Confédération, argumente courageusement François Tissot-Daguette. Nous dépendons du politique. Il nous indique le cadre dans lequel nous devons travailler. M. Leuenberger fixe le prix du timbre. Mais nous dépendons aussi de l’évolution des technologies. L’année dernière, le courrier a diminué pour la première fois dans l’histoire de La Poste. A cause des e-mails (en français, «courriels», mais nous sommes à Berne et la cascade du swissglish est impitoyable). – Parce que vous êtes devenus chers, plus chers que la poste française, par exemple. – Si vous comparez les prix, nous sommes chers. Mais si vous comparez le pouvoir d’achat en France et en Suisse, nous sommes très avantageux. Ce disant, M. Tissot-Daguette était en train de me révéler que la politique des prix d’un service public suisse (comme son utilisation de la couleur), se calque sur celle de Coca-Cola qui module aussi ses prix en fonction du pouvoir d’achat de chaque pays, plus cher en Suisse qu’en France. Sur le plan financier, La Poste a un mandat très clair du Conseil fédéral. Il lui demande de faire croître la valeur de l’entreprise. Cet objectif a été atteint pour la première fois cette année. De là à ce que La Poste devienne au service public ce que Canada Dry est à l’alcool... L’anglais pour se faire comprendre – Revenons aux langues. Pourquoi l’anglais que certains clients ne comprennent pas et qui, en Suisse, n’est la langue de personne? Allons-nous devenir un sous-continent indien sans avoir même été occupés par Sa Gracieuse Majesté? – L’introduction de l’anglais est aussi liée à des considérations de coût, mais cela n’est pas la priorité. La priorité est de se faire comprendre. L’anglais n’est pas un objectif économique. L’objectif est d’utiliser les langues nationales et de ne recourir à l’anglais que lorsque c’est la meilleure solution possible. Le mot «courriel» poserait par exemple un problème aux Alémaniques. L’empire du mail Mais pas aux Canadiens anglophones? Le dialogue est parfois difficile chez le géant jaune. Pour expliquer que, parfois, on ne peut agir autrement, le porte-parole de La Poste cite l’exemple de PostMail en précisant: «On a choisi l’anglais, on ne dit pas Poste mail, ni Posta mail, sans même plus se rendre compte que c’est le mail qui gêne. – Nous ne pouvons pas faire comme si l’anglais n’existait pas dans certains domaines comme l’informatique et les finances, secteurs où les anglicismes sont très répandus. – Mais si vous utilisez Word en français, le programme d’écriture de Microsoft, chaque fois que vous écrirez mail, son correcteur d’orthographe vous dira qu’il faudrait mettre «courriel». – Le tout est de savoir si celui qui reçoit le message comprend «courriel». Pourquoi faire simple? – Nous désirons, enchaîne M. Tissot-Daguette, que le produit envoyé de Genève ne change pas de nom en arrivant à Saint-Gall. Avec une préférence aux langues nationales. Pour la lettre signature (que les Romands s’entêtent à appeler un «recommandé», mais qui évite aux Alémaniques d’utiliser le bon allemand, me suis-je dit), ou la lettre assurance, nous avons choisi le français. – S’il faut unifier, pourquoi ne pas utiliser l’allemand, langue de la majorité des Suisses? Si l’on pense que pour eux ce n’est qu’une langue véhiculaire, pourquoi ne pas utiliser le français, langue de la majorité relative face à des dialectes alémaniques cantonalement éclatés? – Nous voulons utiliser un vocabulaire dont les racines puissent se comprendre intuitivement. Dans secure post, le francophone comprend intuitivement mieux secure que sicher Post. Un jour peut-être le chinois... – Pourquoi ne pas utiliser des idéogrammes pour les produits. Ils seraient lisibles par tout le monde, comme la cigarette barrée pour les espaces non-fumeurs. Voire des idéogrammes chinois, si graphiques sur les affiches. Ils prépareraient la population à la langue qui sera indispensable dans vingt ans pour les carrières internationales. – On peut tout imaginer. L’influence culturelle est souvent liée à la prédominance politique et économique mondiale des Etats. Peut-être un jour nous en viendrons aux idéogrammes. – Vous avez tendance à écrire post le nom de la poste sur vos produits. Quand on voit les difficultés actuelles des jeunes avec l’orthographe... ... mais pas de rôle éducatif – Le problème actuel de l’orthographe n’est pas dû à La Poste... – Mais vous en remettez une petite couche... – Notre tâche première est de nous faire comprendre, nous n’avons pas un rôle éducatif. Ce qui ne nous empêche pas de sponsoriser («parrainer», nos lecteurs auront rectifié d’eux-mêmes, avant que le swissglish ne retombe en cascade sur eux), des manifestations culturelles comme le Salon du livre à Genève, ou le Festival du film à Locarno. Avec la double volonté de soutenir la culture et les minorités. Damned! Le jaune serait-il la couleur d’un enfer pavé de bonnes intentions? Jean-Charles Abreu