La législation communautaire sur les

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La législation communautaire sur les
Emery Mukendi Wafwana & Associates
African-International Law Firm
24 septembre 2014
La législation communautaire sur les télécommunications
dans la région CEMAC
Dr. Sancy Lenoble Matschinga*
Introduction
I. Cadre juridique
La Communauté Economique et Monétaire de l’Afrique
Centrale (CEMAC) comprend 6 pays : le Cameroun, la
Centrafrique, le Congo, le Gabon, la Guinée Equatoriale
et le Tchad. Cette institution régionale a notamment pour
objectif de renforcer l’intégration en Afrique Centrale par
une harmonisation accrue des politiques et des législations
des Etats membres. C’est précisément dans ce cadre
que s’inscrit l’élaboration du droit communautaire des
communications électroniques applicable à ces Etats.
De façon générale, les communications électroniques sont
définies comme des émissions, transmissions ou réceptions
de signes, de signaux, d’écrits, d’images ou de sons, par voie
électronique. Le secteur des communications électroniques
dans la région est essentiellement régi par le règlement
n° 21/08-UEAC 133-CM-18 du 19 décembre 2008 relatif à
l’harmonisation des réglementations et des politiques de
régulation des communications électroniques au sein des
Etats membres de la CEMAC, ainsi que par les cinq directives
suivantes :
En matière de technologies de l’information et de la
communication, la politique de la CEMAC consiste
précisément en l’harmonisation des règlementations et
des politiques de régulation en vue d’accélérer l’intégration
économique et sociale, ainsi que le développement
des réseaux transnationaux dans les Etats membres. La
CEMAC reconnait l’importance dudit secteur dans le
développement de l’innovation, la compétitivité, l’emploi,
la croissance économique et l’aménagement du territoire.
- la directive n° 6/08-UEAC-133-CM-18 du 19 décembre
2008 fixant le régime du service universel dans le secteur
des communications électroniques au sein des Etats
membres de la CEMAC ;
- la directive n° 7/08-UEAC-133-CM-18 du 19 décembre
2008 fixant le cadre juridique de la protection des
droits des utilisateurs de réseaux des services de
communications électroniques au sein de la CEMAC ;
- la directive n° 8/08-UEAC-133-CM-18 du 19 décembre
2008 relative à l’interconnexion et à l’accès des réseaux
et des services de communications électroniques dans les
pays membres de la CEMAC ;
- la directive n° 9/08-UEAC-133-CM-18 du 19 décembre
2008 harmonisant les régimes juridiques des activités de
communications électroniques dans les Etats membres
de la CEMAC ;
- la directive n° 10/08-UEAC-133-CM-18 du 19 décembre
2008 harmonisant les modalités d’établissement et
de contrôle des tarifs de services de communications
électroniques au sein de la CEMAC4.
De façon générale, le marché des télécoms en Afrique a
explosé ces dernières années. Le marché africain de la
téléphonie mobile a connu le taux de croissance annuel
le plus élevé au monde entre 2005 et 20101. En 2013, le
taux de pénétration de la téléphonie cellulaire mobile s’y
établissait à 63 %2. En revanche, le taux de pénétration de
l’internet est encore bas en Afrique, 16 % contre 75 % en
Europe et 61 % dans la région Amériques.
En Afrique Centrale, un grand projet d’interconnexion
des pays à la fibre optique est en cours de réalisation.
Dénommé CAB (Central African Backbone), ce projet
bénéficie de l’appui de la Banque mondiale, de la Banque
africaine de développement (BAD), de la Banque islamique
de développement, ainsi que de l’Union Africaine. Il vise à
relier les réseaux des télécommunications des pays de la
CEMAC, puis des autres pays d’Afrique Centrale membres de
la CEEAC (Communauté Economique des Etats de l’Afrique
Centrale) que sont l’Angola, le Burundi, la République
Démocratique du Congo et Sao Tomé-et-Principe.
Il est utile de rappeler qu’en droit communautaire de la CEMAC,
les règlements ont une portée générale. Ils sont obligatoires
dans tous leurs éléments et directement applicables dans
les Etats membres, tandis que les directives lient les Etats
membres quant au résultat à atteindre, en leur laissant la
compétence en ce qui concerne la forme et les moyens5.
Sancy L. Matschinga
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(+243) 15-12-4738
F : (+1) 646-786-4680
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Au règlement et directives sur les communications électroniques, il
faut également compléter les deux décisions suivantes : la décision
n° 45 108-UEAC-133-CM-18 du 19 décembre 2008 portant création
du comité technique de régulation des communications électroniques
des Etats membres de la CEMAC, ainsi que la décision n° 49/08-UEAC133-CM-18 du 19 décembre 2008 donnant mandat au Président de
la Commission de la CEMAC pour l’élaboration des directives dans le
domaine des télécommunications/TIC.
5
Le droit communautaire de la CEMAC s’élabore à travers des actes
juridiques définis aux articles 40 et 41 du Traité révisé de la CEMAC du
25 Juin 2008 : « Les actes additionnels sont annexés au Traité de la CEMAC et complètent celui-ci sans le modifier. Leur respect s’impose aux
Institutions, aux Organes et aux Institutions Spécialisées de la Communauté ainsi qu’aux autorités des Etats membres. Les règlements et
les règlements cadres ont une portée générale. Les règlements sont
obligatoires dans tous leurs éléments et directement applicables dans
tout Etat membre. Les règlements cadres ne sont directement applicables que pour certains de leurs éléments. Les directives lient tout Etat
membre destinataire quant au résultat à atteindre tout en laissant aux
instances nationales leur compétence en ce qui concerne la forme et
les moyens. Les décisions sont obligatoires dans tous leurs éléments
pour les destinataires qu’elles désignent. Les recommandations, les
avis ne lient pas ».
4
Le potentiel du secteur des télécommunications ou
communications électroniques demeure élevé en Afrique
au regard notamment de la forte poussée démographique
sur le continent qui représentera un quart de la population
mondiale d’ici 20503, ainsi que de la nécessité de satisfaire
les besoins des populations rurales qui représentent
actuellement près des deux tiers de la population
africaine.
http://www.itu.int/ITU-D/treg/Events/Seminars/GSR/GSR10/
newsroom/documents/Africaoverview-F.pdf
2
http://www.itu.int/en/ITU-D/Statistics/Documents/facts/ICTFactsFigures2013-f.pdf
3
http://www.unicef.org/french/publications/files/UNICEF_Africa_Generation_2030_fr.pdf
1
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Floor, North-Wing
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1
Les directives en matière de communications électroniques sont
complétées par des règlementations nationales6.
II. Organisation du secteur des communications électroniques
1. La libéralisation du secteur
Le droit communautaire de la CEMAC libéralise le secteur des
communications électroniques en mettant en relief la nécessité d’une
concurrence effective, loyale, transparente, non discriminatoire et
durable. Il matérialise l’objectif visé par l’institution régionale de
renforcer le développement intérieur de ce marché dont les retombées
positives sont connues en termes d’innovation, de création d’emplois,
de croissance économique et d’aménagement des territoires.
L’article 3-4 du règlement communautaire susvisé dispose que la
réglementation et la régulation des communications électroniques
dans les Etats membres doivent poursuivre entre autres objectifs : « le
développement du marché intérieur : en veillant à la libéralisation des
activités de communications électroniques ».
En outre, ledit règlement définit les principes directeurs qui doivent
être appliqués par les Etats membres dans la gestion du secteur. Au
titre de ces principes directeurs, les Etats membres doivent, d’une
part, assurer une séparation entre les fonctions de réglementation
et de régulation des réseaux et des services de communications
électroniques et les fonctions d’exploitation ; et d’autre part, respecter
une dissociation entre les pouvoirs de réglementation et les pouvoirs
de régulation des communications électroniques.
2. La régulation du secteur
Hormis les pouvoirs de réglementation classiquement exercés par
les Etats à travers les ministères en charge des télécommunications,
les pouvoirs de régulation sont exercés par des autorités nationales
de régulation. Comme en Europe, en Afrique, la montée en puissance
du concept de régulation dans les secteurs de réseaux est une
conséquence directe de la libéralisation de ces secteurs. Les autorités
administratives chargées de veiller à la régulation ont principalement
pour tâche de veiller au respect de la concurrence dans le secteur. Pour
ce faire, celles-ci sont plus ou moins indépendantes du pouvoir exécutif
et constituent des autorités administratives sui generis, également
qualifiées d’autorités administratives indépendantes.
Dans la zone CEMAC, la régulation du secteur des communications
électroniques est assurée par les autorités nationales de régulation qui
jouissent d’une personnalité juridique et d’une autonomie financière.
Au titre de l’article 4-2 du règlement susvisé, ces autorités de régulation
« doivent être juridiquement distinctes et fonctionnellement autonomes
du pouvoir politique et des entreprises assurant la fourniture de réseaux,
de services ou d’équipements de communications électroniques ». Elles
sont dotées de pouvoirs d’enquête et de sanction d’ordre pécuniaire
et administratif (suspension, abrogation des titres délivrés)7. Ces
sanctions doivent être motivées et sont susceptibles de recours devant
une instance juridictionnelle nationale.
Des missions étendues ont été dévolues aux autorités nationales de
régulation. Il s’agit notamment de : veiller au respect par les opérateurs
du secteur de leurs obligations résultant de la réglementation
communautaire et des réglementations nationales, ainsi que des
autorisations dont ils bénéficient ; veiller à ce que les actions et les
pratiques des opérateurs n’aient pas pour effet d’empêcher, de
restreindre ou de fausser la concurrence sur le marché national et/
ou sous-régional des communications électroniques ; sanctionner
les manquements des opérateurs à leurs obligations ainsi que les
actions et pratiques anticoncurrentielles ; délivrer les autorisations aux
opérateurs, à l’exception de celles qui portent sur l’établissement et
l’exploitation de réseaux ouverts au public de nature radioélectrique;
accorder les agréments des équipements terminaux ; assurer la
gestion, le contrôle et l’assignation du spectre des fréquences
radioélectriques; établir et gérer le plan national de numérotation et
attribuer les ressources en numérotation ; assigner les ressources en
adressage ; mettre en œuvre les dispositions liées à l’interconnexion et
à l’accès ; assurer la conciliation ou l’arbitrage des différends nés entre
les exploitants de réseaux de communications électroniques et/ou les
fournisseurs de services associés8.
3. L’interconnexion et l’accès aux réseaux
L’article 1er de la directive n° 8/08-UEAC-133-CM-18 du 19 décembre
2008 relative à l’interconnexion et à l’accès des réseaux et des services
de communications électroniques dans les pays membres de la CEMAC
définit l’interconnexion comme « une liaison logique ou physique des
réseaux ouverts au public exploités par le même opérateur ou un
opérateur différent, afin de permettre à tout utilisateur de communiquer
avec les utilisateurs d’un autre opérateur, ou bien d’accéder aux services
fournis par un autre opérateur ».
La régulation de l’interconnexion constitue ainsi l’un des facteurs
essentiels du cadre concurrentiel. Les opérateurs de réseaux ouverts
au public doivent faire droit aux demandes d’interconnexion des
autres exploitants de réseaux ouverts au public ou des fournisseurs
de services provenant des Etats de la CEMAC. A cet effet, lesdites
demandes font l’objet d’une négociation qui ne peut pas excéder trois
mois et qui est tenue entre les personnes concernées afin d’aboutir
à un accord d’interconnexion ayant la nature d’une convention de
droit privé. L’interconnexion ne peut être refusée que si la demande
n’est pas raisonnable, en particulier au regard de l’interopérabilité,
de la compatibilité ou de l’incapacité technique de l’exploitant de la
satisfaire.
Au Cameroun : loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun ; décret n° 2012/203 du 20 avril 2012 portant
organisation et fonctionnement de l’agence de régulation des télécommunications (ART). En Centrafrique : loi n° 07.020 du 28 décembre 2007 portant
régulation des télécommunications en République Centrafricaine ; décret n°
96.241 du 27 août 1996 portant approbation des statuts de l’agence chargée
de régulation des télécommunications (ART) en République Centrafricaine. Au
Congo : loi n° 9-2009 du 25 novembre 2009 portant réglementation du secteur des communications électroniques ; loi n° 11-2009 du 25 novembre 2009
portant création de l’agence de régulation des postes et des communications
électroniques (ARPCE). Au Gabon : loi n° 005/2001 du 27 juin 2001 portant règlementation du secteur des télécommunications en République Gabonaise,
ensemble les textes modificatifs subséquents ; loi n° 006/2012 portant ratification de l’ordonnance n° 0000008/PR/2012 du 13 février 2012 portant création
et organisation de l’autorité de régulation des communications électroniques et
des postes (ARCEP). En Guinée Equatoriale : loi n° 7/2005 du 7 novembre 2005,
dénommée loi générale des télécommunications. Au Tchad : loi n° 014/PR/2014
du 17 février 2014 portant sur les communications électroniques ; loi n° 013/
PR/2014 du 11 février 2014 portant régulation des communications électroniques et des activités postales.
6
Les services d’interconnexion offerts par les opérateurs de réseaux
doivent respecter des exigences de transparence, de non-discrimination
et de qualité. Les accords d’interconnexion qui en découlent précisent
notamment les tarifs de ces services, leur description, la rémunération
y relative et leurs caractéristiques techniques. Il faut noter que les
tarifs d’interconnexion sont orientés vers les coûts pertinents qui
comprennent les coûts de réseau général et des coûts spécifiques9.
Articles 7 et 8 règlement n° 21/08-UEAC 133-CM-18 du 19 décembre 2008
relatif à l’harmonisation des réglementations et des politiques de régulation des
communications électroniques au sein des Etats membres de la CEMAC.
8
Les litiges entre les opérateurs et les utilisateurs sont prévus dans la directive
n° 7/08-UEAC-133-CM-18 du 19 décembre 2008 fixant le cadre juridique de la
protection des droits des utilisateurs de réseaux des services de communications électroniques au sein de la CEMAC.
9
Article 9-2 de la directive n° 8/08 précitée.
7
2
Les opérateurs exploitant un réseau de communications électroniques
ouvert au public sont tenus de publier et de mettre à jour de façon
annuelle un catalogue d’interconnexion10, lequel précise de façon
détaillée les conditions techniques et tarifaires d’interconnexion.
Au titre de l’accès aux réseaux, il englobe trois dimensions : l’accès
à la boucle locale, l’accès des opérateurs de réseaux au domaine
public et leur accès à la propriété privée. L’article 1er de la directive
susmentionnée définit la boucle locale comme un « circuit physique
qui relie le point de terminaison du réseau dans les locaux de l’abonné
au répartiteur principal ou à toute autre installation équivalente du
réseau téléphonique fixe ».
Ainsi, si l’interconnexion vise à permettre aux utilisateurs des services
de communications électroniques de communiquer entre eux,
indépendamment du réseau auquel ils appartiennent ou des services
qu’ils utilisent, l’accès à la boucle locale (paires de cuivre) leur permet
de choisir leur operateur sur un marché concurrentiel (téléphonie fixe,
internet…). L’ouverture à la concurrence du secteur a en effet imposé
le dégroupage de la boucle locale qui se caractérise par la possibilité
offerte aux opérateurs alternatifs de se connecter aux éléments de la
boucle locale appartenant à l’opérateur historique pour desservir de
façon concurrente les abonnés. Pour ce faire, les opérateurs exploitant
un réseau téléphonique public fixe (opérateurs historiques) sont tenus
de publier chaque année une offre de référence pour l’accès dégroupé
à leur boucle locale et aux ressources connexes. Le refus des demandes
qui leur sont adressées par des opérateurs tiers ne peut être justifié
que par des raisons liées à la faisabilité technique ou à la nécessité de
préserver l’intégrité du réseau.
S’agissant de l’accès des opérateurs de réseaux au domaine public
et à la propriété privée, il est essentiel pour installer et exploiter
les infrastructures, supprimer ou prévenir les perturbations
électromagnétiques et maintenir ainsi le bon fonctionnement des
réseaux. L’accès au domaine public s’effectue grâce à des droits de
passage, et celui à la propriété privée, au moyen de servitudes.
Les opérateurs détenteurs d’autorisations d’établir et/ou d’exploiter
un réseau ouvert au public bénéficient de ces droits sous réserve du
respect de l’environnement11. Toutefois, l’occupation du domaine
public peut être soumise au paiement d’une redevance à la collectivité
publique et fait l’objet d’une convention, tandis que la mise en œuvre
des servitudes sur une propriété privée requiert une autorisation
préalable des autorités locales compétentes, après information du
propriétaire et sous réserve d’une indemnisation de ce dernier.
Le service universel englobe les services suivants : le raccordement au
réseau téléphonique public dont les Etats membres doivent permettre
la satisfaction des demandes correspondantes par une entreprise
au moins ; la mise à disposition de cabines téléphoniques publiques
qui doivent être installées dans toutes les communautés de plus de
200 habitants ; l’accès à un télécentre communautaire qui permet de
réduire la fracture numérique en facilitant l’accès des populations à des
ordinateurs et à l’internet ; l’accès gratuit aux services d’urgence ; la
possibilité d’utiliser des services de renseignements et un annuaire, ce
qui n’implique pas obligatoirement la distribution gratuite de l’annuaire
imprimé aux utilisateurs ; le bénéfice de mesures particulières pour
certains groupes sociaux, tels que les utilisateurs handicapés. Cette
liste de services peut être complétée par les Etats membres. Le service
universel est un concept dynamique, c’est-à-dire dont le contenu reste
adaptable en fonction des progrès technologiques.
Les Etats membres choisissent une ou plusieurs entreprises chargées
de fournir des composantes du service universel par voie d’appels
publics à candidatures. Ces appels publics à candidatures sont organisés
dans le respect des principes de non-discrimination, d’objectivité et
de transparence. Les entreprises désignées se voient octroyer des
licences de service universel spécifiant leurs droits et obligations. Ces
licences comportent en particulier les méthodes de calcul des coûts
nets dudit service et les modalités de versement des subventions en
vue de compenser ces coûts. Au titre de l’article 12-1 de la directive n°
6/08 susmentionnée, le coût net « correspond à la différence entre les
coûts d’investissement et d’exploitation nécessaires à la fourniture du
service universel et les recettes pertinentes ».
Par ailleurs, les entreprises chargées de fournir le service universel
sont tenues d’établir, de façon séparée, les comptes liés aux activités
relevant dudit service et les comptes liés aux autres prestations
fournies. Cette séparation des comptes a pour but d’éviter toute
compensation financière indue de la part des Etats membres et toute
distorsion de la concurrence. Un Fonds de financement du service
universel chargé notamment d’indemniser les opérateurs prestataires
dudit service est créé par les Etats membres et géré par les autorités
nationales de régulation.
IV. Protection des droits des utilisateurs
La prise en compte de la nécessité d’assurer le droit à l’information
des utilisateurs, de renforcer la cybersécurité, de prévenir la
cybercriminalité et de protéger la vie privée et les données à caractère
personnel est un enjeu essentiel de la société de l’information.
Par ailleurs, lorsque l’accès au domaine public et à la propriété privée
n’est pas possible pour des raisons de protection de l’environnement,
de la santé ou de la sécurité publiques, ainsi que pour des raisons liées à
la réalisation d’objectifs d’urbanisme ou d’aménagement du territoire,
les Etats membres peuvent imposer aux opérateurs de réseaux établis
le partage des infrastructures ou de bien fonciers12.
Dans l’exercice de leurs activités, les opérateurs doivent notamment faire
preuve de transparence en mettant à la disposition des utilisateurs une
information actualisée sur les services proposés, les tarifs pratiqués et
les conditions générales de vente. Les contrats d’abonnement conclus
avec les utilisateurs doivent également contenir certaines prescriptions
spécifiées par le droit communautaire.
III. Régime juridique du service universel
En outre, sauf pour des raisons de sécurité publique, les données
relatives au trafic concernant les utilisateurs doivent être effacées
ou rendues anonymes lorsqu’elles ne sont plus nécessaires à la
transmission d’une communication. Toutefois, les données servant à
l’établissement des factures peuvent être traitées jusqu’à la forclusion
des délais de recours juridictionnels. Ces données peuvent être
traitées par les opérateurs à des fins commerciales, sous réserve du
consentement préalable et éclairé de l’utilisateur qui est libre de se
rétracter à tout moment.
Le règlement communautaire du 19 décembre 2008 susvisé prévoit à
son article 5, point 12, que les autorités nationales de régulation ont
pour mission d’assurer le suivi et le respect de la mise en œuvre de la
politique d’accès et de service universel. La directive n° 6/08-UEAC133-CM-18 du 19 décembre 2008 fixant le régime du service universel
dans le secteur des communications électroniques au sein des Etats
membres de la CEMAC définit ensuite le service universel comme
un « ensemble minimal des services définis de bonne qualité qui est
accessible à l’ensemble de la population dans des conditions tarifaires
abordables, indépendamment de la localisation géographique»13.
Le service universel permettrait ainsi de pallier aux défaillances et
imperfections du marché.
Article 7 de la directive n° 8/08-UEAC-133-CM-18 du 19 décembre 2008 relative à l’interconnexion et à l’accès des réseaux et des services de communications
électroniques dans les pays membres de la CEMAC.
11
Article 12-1 de la directive n° 8/08 précitée.
12
Article 12-6 de la directive n° 8/08 précitée.
13
Article 1er de ladite directive.
10
De plus, la directive n° 7/08-UEAC-133-CM-18 du 19 décembre 2008
fixant le cadre juridique de la protection des droits des utilisateurs de
réseaux des services de communications électroniques au sein de la
CEMAC prévoit la mise en place des procédures extrajudiciaires devant
les autorités nationales de régulation pour la résolution des litiges
entre les utilisateurs et les opérateurs. L’article 15 y relatif dispose
que ces procédures extrajudiciaires sont gratuites, simples, et doivent
permettre le règlement équitable et rapide des litiges potentiels.
3
V. Régime juridique des activités de communications électroniques
Les activités de communications électroniques sont exercées par les
opérateurs de communications électroniques dont la définition s’appuie
sur les notions de réseau et de service. La directive n° 9/08-UEAC-133CM-18 du 19 décembre 2008 harmonisant les régimes juridiques des
activités de communications électroniques dans les Etats membres de
la CEMAC définit ces deux notions dans son article 1er.
Ainsi, le réseau de communications électroniques est constitué par «
les systèmes [ou installations] de transmission et, le cas échéant, les
équipements de commutation ou de routage et les autres ressources qui
permettent l’acheminement de signaux par câble, par voie hertzienne,
par moyen optique ou par d’autres moyens électromagnétiques,
comprenant les réseaux satellitaires, les réseaux terrestres fixes (…) et
mobiles ». Les services de communications électroniques sont des «
prestations consistant entièrement ou principalement en la fourniture
de communications électroniques [c’est-à-dire en l’émission, la
transmission ou la réception de signes, de signaux, d’écrits, d’images
ou de sons, par voie électronique] ».
De façon générale, au sein de la CEMAC, les opérateurs sont
des personnes physiques ou morales exploitant un réseau de
communications électroniques ouvert au public ou fournissant au public
un service de communications électroniques. L’exercice des activités de
communications électroniques par lesdits opérateurs est soit soumis à
un régime d’autorisation, soit à un régime de déclaration, soit libre.
Le droit communautaire impose aux Etats membres de spécifier dans
leurs réglementations nationales les activités soumises à chacun de ces
régimes, les droits et obligations relatifs à chacun de ces régimes, ainsi
que les procédures de déclaration et d’octroi d’autorisation.
1. Le régime de l’autorisation
Les activités soumises à l’obtention d’une autorisation concernent :
l’établissement et/ou l’exploitation de réseaux de communications
électroniques ouverts au public ; l’établissement et/ou l’exploitation
de réseaux de transport ; la fourniture de services téléphoniques au
public ; l’utilisation des ressources rares (fréquences radioélectriques,
numérotation et noms de domaine Internet) ; l’établissement et
l’exploitation de réseaux indépendants14; la fourniture d’équipements
terminaux lorsqu’ils sont destinés à être connectés à un réseau de
communications électroniques ouvert au public15.
Les demandes d’autorisations ne peuvent être rejetées que pour des
motifs suivants : la sauvegarde de l’ordre public ou les besoins de la
défense ou de la sécurité publique ; les contraintes inhérentes à la
disponibilité des fréquences ; l’incapacité technique ou financière
du demandeur de faire face durablement aux obligations résultant
des conditions d’exercice de son activité ; l’existence d’une sanction
de suspension, d’une sanction de retrait d’autorisation ou d’une
condamnation pénale dont le demandeur a fait l’objet. Une fois
octroyées, les autorisations sont en principe personnelles. Toutefois,
chaque Etat membre peut légalement autoriser leur cession ou location
de façon partielle ou totale.
Il faut noter que le terme d’autorisation utilisé par la directive n° 9/08
susmentionnée inclut également l’agrément qui est délivré pour les
équipements terminaux destinés à être connectés à un réseau ouvert
au public, ainsi que pour les installations radioélectriques. L’agrément
est délivré par les autorités nationales de régulation qui en reçoivent
les demandes et se prononcent dans un délai de deux mois16. Un
refus ne peut être opposé au demandeur que dans les hypothèses
de non-conformité aux exigences essentielles17 ou aux normes et
Un réseau indépendant est un réseau de communications électroniques réservé à un usage privé ou partagé.
15
Article 8 de la directive n° 9/08 précitée.
16
Article 12-3 de de la directive n° 9/08 précitée.
17
Au titre de l’article 1er de la directive n° 9/08 précitée, les exigences essentielles sont « les exigences nécessaires pour garantir dans l’intérêt général, la
sécurité du personnel exploitant des réseaux de télécommunication, ainsi que
des utilisateurs, la protection des réseaux et notamment des échanges d’informations de commande et de gestion qui y sont associées, l’interopérabilité des
services et des équipements terminaux et la protection des données personnel14
spécifications techniques reconnues dans les Etats membres. Il est
surtout indispensable de relever que le terme d’autorisation susévoqué revêt plusieurs formes juridiques au sein des Etats membres :
licence, contrat de concession, agrément et autres autorisations.
Ainsi, en République du Congo, la notion d’autorisation au sens
communautaire couvre d’abord la licence, délivrée par un arrêté du
ministre des télécommunications pour l’exploitation ou la fourniture
de réseaux publics de communications électroniques nécessitant
des ressources rares, ainsi que pour la fourniture de services vocaux
publics nécessitant des numéros18. Ensuite, cette notion couvre
l’autorisation proprement dite, laquelle est délivrée par décision de
l’autorité nationale de régulation19 pour certaines activités telles que
l’exploitation ou la fourniture de réseaux publics de communications
électroniques ou la fourniture de services vocaux publics avec moindre
impact20. Enfin, la notion communautaire d’autorisation y couvre
l’agrément qui est assuré par l’autorité nationale de régulation,
notamment pour les installations radioélectriques et les équipements
terminaux destinés à être raccordés à un réseau ouvert au public21.
En République du Cameroun, l’autorisation au sens communautaire
couvre au niveau national d’abord la concession, octroyée à toute
personne morale adjudicataire d’un appel à concurrence. La concession
concerne l’établissement et l’exploitation des réseaux à couverture
nationale ouverts au public, à l’exclusion des réseaux de transport,
ainsi que l’établissement et l’exploitation de réseaux de transport,
y compris l’exploitation des stations d’atterrissage des câbles sousmarins et les téléports vers un ou plusieurs réseaux à satellites22.
Ensuite, l’autorisation concerne la licence qui est notamment
nécessaire à l’établissement et à l’exploitation de tout service support,
de certains réseaux privés indépendants ou encore des réseaux de
communications électroniques ouverts au public dans les zones
rurales23. Enfin, l’autorisation couvre l’agrément dont l’obtention est
nécessaire à la réalisation de l’activité d’installateur des équipements
et infrastructures des communications électroniques, à l’homologation
des équipements terminaux destinés à être raccordés à un réseau
public et aux installations radioélectriques24.
2. Le régime de la déclaration
Au sens du droit communautaire de la CEMAC, les activités soumises à
déclaration concernent la fourniture de services Internet et la fourniture
de services à valeur ajoutée. Les déclarations doivent être effectuées
par les opérateurs auprès des autorités nationales de régulation. Ces
dernières autorités peuvent opposer un refus à l’exercice des activités
déclarées si elles estiment que les entreprises concernées ne disposent
pas de capacité technique et financière pour faire face durablement
aux exigences essentielles ou à d’autres exigences d’intérêt public.
Toutes activités échappant aux régimes d’autorisation et de déclaration
peuvent en principe être librement exercées.
A titre d’exemple, au Cameroun, sont précisément soumises à une
déclaration préalable les activités suivantes : la fourniture au public de
services à valeur ajoutée, la fourniture au public du service Internet,
la revente du trafic téléphonique, tout service de communications
électroniques à partir des terminaux de systèmes globaux de
communication par satellite (GMPCS), ainsi que l’utilisation d’une
liaison louée de capacité supérieure à 10 mégabits par seconde.
les et le cas échéant, la bonne utilisation du spectre radioélectrique ».
18
Articles 10 et 16 de la loi n° 9-2009 du 25 novembre 2009 portant réglementation du secteur des communications électroniques.
19
L’autorité nationale de régulation en République du Congo est dénommée
Agence de Régulation des Postes et des Communications Electroniques (ARPCE).
20
Articles 11 et 19 de la loi n° 9-2009 du 25 novembre 2009 précitée.
21
Articles 12 et 20 de la loi n° 9-2009 du 25 novembre 2009 précitée.
22
Article 9 de la loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 régissant les communications électroniques au Cameroun.
23
Article 10 (1) de la loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 précitée.
24
Article 14 de la loi n° 2010/013 du 21 décembre 2010 précitée.
4
De façon plus globale, il faut rappeler que la directive n° 9/08
susmentionnée ne fait pas obstacle aux Etats membres d’adopter au
niveau national des régimes juridiques plus favorables aux activités
de communications électroniques que ceux édictés au niveau
communautaire.
VI. Tarification des services de communications électroniques
Le droit communautaire régional prévoit un cadre juridique pour les
tarifs dans le secteur à travers la directive n° 10/08-UEAC-133-CM-18
du 19 décembre 2008 harmonisant les modalités d’établissement et
de contrôle des tarifs de services de communications électroniques au
sein de la CEMAC. Le principe posé est celui de la libre fixation des
tarifs par les opérateurs dans le respect des exigences de transparence,
d’objectivité et d’égalité de traitement. L’égalité de traitement
n’empêche pas néanmoins, d’une part, les réductions de tarifs liées
à des conditions d’abonnement spécifiques ou à des volumes de
trafic importants et, d’autre part, les suppléments de tarifs liés à des
demandes spécifiques des clients25.
Cependant, le principe de la liberté des tarifs est assorti de deux
dérogations importantes. Les tarifs relatifs au service universel sont en
effet encadrés par les autorités nationales de régulation. Il en va de
même pour les tarifs des services ou paniers de services fournis par
un opérateur disposant de droits exclusifs ou spéciaux ou bénéficiant
d’une position dominante sur le segment de marché des services
concernés. Dans ce dernier cas, la décision d’encadrer les tarifs est
précédée d’une étude préalable du marché concurrentiel menée
par les autorités nationales de régulation et qui peut aboutir à une
renonciation de l’encadrement de ces tarifs.
Dans l’hypothèse d’un encadrement des tarifs, les autorités de
régulation fixent le prix moyen pondéré des services concernés dans
la limite des prix plafond et plancher qu’elles déterminent en fonction
de différents facteurs économiques au plan national et régional, en
particulier des coûts de revient de référence des services dont le calcul
prend en compte les investissements nécessaires au renouvellement et
à l’extension du réseau à des fins de maintien de la qualité du service,
ainsi que la rémunération du capital investi26.
VII. Régimes fiscal et de change
La fiscalité des activités de communications électroniques au sein de
la région CEMAC est définie au niveau des Etats membres. Au niveau
communautaire, les textes précisent trois principales orientations
à la discrétion des Etats membres. D’abord, les Etats membres sont
libres d’instaurer un mécanisme de contributions des opérateurs au
Fonds de financement du service universel. Ensuite, ils sont libres
d’assujettir les entreprises autorisées et déclarées au paiement des
taxes et redevances dans le respect du principe de non-discrimination
et en prenant notamment en compte le développement nécessaire des
services innovateurs. Enfin, les Etats peuvent assujettir les entreprises
au paiement de redevances pour l’utilisation des ressources rares
(fréquences, numéros et noms de domaine Internet) qui leur sont
délivrées27.
De plus, les textes communautaires autorisent les Etats membres à
mettre à la charge des entreprises le paiement des droits et redevances
participant au financement des activités des autorités nationales de
régulation : la redevance de régulation, les droits pour l’agrément des
équipements terminaux de télécommunications, les frais d’acquisition
pour les documents publiés par les autorités nationales de régulation
des télécommunications, les droits d’entrée, et autres taxes parafiscales
autorisées par les lois de finances nationales28.
S’agissant du régime de change, il faut noter que les opérateurs
économiques étrangers sont soumis à la réglementation des changes
et bénéficient de la libre convertibilité entre la monnaie nationale et
les devises étrangères. Au sein de la zone CEMAC, les cours d’achat et
de vente des devises autres que l’euro sont établis sur la base du taux
de change fixe du franc CFA par rapport à l’euro et des cours de ces
devises par rapport à l’euro sur le marché des changes.
Enfin, l’article 5-6 de la directive n° 10/08 susvisée garantit aux
opérateurs dont les prix des services sont encadrés le droit de « saisir
l’autorité nationale de régulation d’une requête de révision des règles
d’encadrement en cas de modification significative de l’environnement
économique général, du niveau de la concurrence ou de la structure de
leurs coûts. L’autorité nationale de régulation décide alors s’il y a lieu de
modifier les règles d’encadrement et/ou de supprimer l’encadrement».
25
26
Article 3-3 de la directive n° 10/08 précitée.
Article 5 de la directive n° 10/08 précitée.
27
28
Articles 7 et 10-4 de directive n° 9/08 précitée.
Article 4-2 du règlement du 19 décembre 2008 précité.
DISCLAIMER: Toute information contenue dans le présent document n’est fournie qu’à titre informatif et ne constitue pas un avis juridique. Pour recevoir des conseils
juridiques sur les questions soulevées dans le présent document, merci de bien vouloir prendre contact avec nos avocats en visitant notre Site Internet www.cabemery.org
* Auteur
Dr. Sancy Lenoble Matschinga est Juriste International au sein du cabinet d’avocats Emery Mukendi Wafwana & Associates à New York. Avant de rejoindre le cabinet, il a eu
différentes expériences professionnelles en France, notamment en cabinets d’avocats, en administration (Ministère de l’Intérieur) et en juridiction (Conseil d’Etat). Il a développé une expertise en droit public des affaires (contrats et marchés publics, partenariats publics-privés, infrastructures) et en contentieux administratif. Dans sa pratique
professionnelle, il intervient dans les domaines du droit minier et des ressources naturelles dans les pays d’Afrique francophone. Dr. Matschinga est titulaire d’un Doctorat en
droit public et du Certificat d’Aptitude à la Profession d’Avocat (CAPA) obtenu à l’Ecole de Formation Professionnelle des Barreaux de la Cour d’Appel de Paris (EFB). Il détient
également le certificat du Programme Exécutif de l’Université d’Harvard sur l’Innovation pour le Développement Economique (IFED). En outre, il a obtenu un Master en droit
privé et public de l’économie de l’Université d’Evry Val d’Essonne, une Maîtrise en droit public des affaires de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne (France) et une Maîtrise
en droit de l’Université Marien-Ngouabi (Congo Brazzaville). Il est aussi titulaire du Master Series for Distinguished Leaders du Skinner Leadership Institute à Washington DC.
Membre de la French-American Bar Association, il parle le français, l’anglais, le lingala et le munukutuba. Contact : [email protected]
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