Gagner du temps en bibliothèque: pourquoi? Pour qui

Transcription

Gagner du temps en bibliothèque: pourquoi? Pour qui
Journée
d'étude
organisée
par
l'ABF
Midi-Pyrénées
à
Toulouse,
le
29/09/2014
Gagner du temps en bibliothèque: pourquoi? Pour qui? Comment?
En bibliothèque comme ailleurs, d'où vient ce sentiment que nous courrons après le temps? Y a-t-il
des alternatives, des outils à mettre en place dans nos pratiques pour gagner du temps ? Pour tenter
de prendre un peu de recul sur nos activités et nos journées de travail, le groupe Midi-Pyrénées a
proposé le 29 septembre 2014 une journée d'étude à Toulouse sur ce thème.
La journée s'est déroulée autour de quatre approches avec d'abord l'intervention de Jens Thoemes,
sociologue et directeur du CERTOP, un laboratoire de recherche à l'Université Jean Jaurès. Il
s'agissait alors de prendre de la hauteur et de mieux cerner comment l'évolution du monde du travail
a conduit à ce sentiment de manque de temps. Ensuite à travers l'exemple du projet de création du
nouveau Centre de recherche des langues de l'université Jean Jaurès, Mélisande Ferry, responsable
du centre et Joson de Foras, membre de l'équipe, ont abordé la question de l'organisation du temps
de travail au cœur des projets d'amélioration des services aux usagers. Héloïse Courty, directrice de
la Médiathèque l'Echo au Kremlin Bicêtre, devait intervenir sur cette thématique mais a du annuler
sa venue pour cause de grève des pilotes d'Air France. L'après-midi, la table ronde était consacrée à
une réflexion sur les réseaux et les possibilités de gain de temps offertes ou non par la
mutualisation. Sont intervenues Carole Tilbian, responsable de bibliothèque de IEP de Lyon à
propos de l'organisation de l'alimentation des bases Sign@l et Mir@bel, Cécile Clarac, ancienne
responsable des ressources électroniques au SICD de l’université de Toulouse sur la mutualisation
des bibliothécaires avec la création du service de chat « Une question » et Christine Desplebains,
chargée de la coopération entre les médiathèques au Centre régional des lettres Midi-Pyrénées à
propos des animations qu'elle coordonne (le festival Chemin faisant, le Mois du film documentaire
et la journée Médiazique). Enfin, la journée s'est clôturée par la présentation de David Joao,
médiateur numérique à la Médiathèque GrandM et Nadège Barreaud, membre du CA MidiPyrénées sur la présentation d'outils numériques permettant de gagner du temps pour s'informer et
échanger.
Le constat de manque de temps au travail est lié à une évolution plus large de la société. La notion
de temps de travail est née avec les débuts de l'industrialisation au XIXème siècle. Les premières
règles et lois ont été liées à la fois à des préoccupations hygiénistes (préserver la force de travail)
mais aussi à une volonté de progrès social (prendre en compte le bien être des travailleurs). La
norme sur la fixation de la durée du travail, qui a évolué sur 150 ans (baisse de la durée journalière,
apparition des jours de repos, des congés) a été conditionnée à l'exigence de temps libre. Ce
problème du manque de temps semblait résolu à la fin des trente glorieuses autour de l'idée de plus
de temps pour soi et du travail pour les autres. Or, la question réapparaît à partir des années quatrevingt, suite à un ensemble de réformes permettant l'ouverture des négociations collectives dans
l'entreprise, réformes qui ont abouti au modèle actuel. Les termes du débat, nous dit Jens
Thoemmes, ont changé : les accords ne sont plus liés aux travailleurs mais à l'entreprise, préoccupée
par ses clients, ses fournisseurs. Les normes de travail sont variables, avec des aménagements
possibles en fonction des branches, un temps de travail annualisé, des négociations possibles sur
tous les aspects. La baisse du temps de travail a entraîné une augmentation mécanique de la
productivité, les embauches n'ayant pas couvert les besoins, d'où la persistance de ce sentiment de
manque de temps. Du temps comme protection du salarié, on est passé à un temps au service des
marchés, c'est à dire ajusté à la demande et à l'emploi. Les conséquences ? Aujourd'hui, la
disponibilité, l'efficacité au travail priment. Et si la baisse du temps de travail est un gain sur la
durée annuelle, la flexibilité a conduit à une perte sur la durée journalière avec par exemple le retour
aux journée de 12h pas forcément profitable en terme de productivité. A côté de cette évolution, les
temps sociaux évoluent peu, d'où les frictions qui se produisent entre les deux sphères. Ainsi, dans
le rapport négatif au temps de travail, le rapport au temps de trajet, un des seuls temps sociaux en
augmentation, joue un rôle. Du coup, par jeu de compensation, les difficultés liées à la perception
du temps au travail entraînent un surinvestissement du temps privé. La porosité -dans les deux sensentre le temps de travail et du temps personnel alimente ce sentiment de manque de temps.
La traduction dans les bibliothèques ? Le passage au temps des marchés correspond sûrement au
glissement d'une priorité d'action tournée vers les collections à une priorité mise aujourd'hui sur les
usagers avec les conséquences sur les horaires et les services offerts, qui ont amené les
bibliothécaires à revoir leur organisation pour adapter leur tâches traditionnelles à de nouveaux
besoins. A cette mutation interne d'un métier à redéfinir se sont ajoutées les mutations externes
comme le passage aux 35 heures, mais aussi le développement du numérique dont l'appropriation
par les professionnels et la médiation auprès du public sont très chronophages. Les pistes ? Voir si le
sentiment de manque de temps ne pourrait pas être pris en compte par un véritable diagnostic et par
une négociation autour de l'organisation du travail. Et prendre conscience des nécessités d'arbitrage
et de l'impossibilité de gagner du temps à tous les niveaux.
La question de l'organisation du temps de travail a été ensuite abordée à travers l'exemple du projet
du Centre de recherche des langues de l'Université Jean Jaurès. La réflexion préalable sur ce point a
été l'une des conditions sine qua non d'amélioration des services aux usagers à l'occasion de la
fusion de cinq unités documentaires éclatées sur le campus aux fonctionnements hétérogènes en un
seul centre de ressources hébergé dans un nouveau bâtiment. La réalisation de ce projet, contraint
par une réduction des surfaces disponibles et facilité par le renouvellement d'une partie du
personnel a pris deux ans avec une ouverture en 2012. L'intérêt de l'intervention était d'avoir le
point de vue de la responsable et d'un porte parole de l'équipe. Du point de vue de la responsable, le
gain de temps a été pensé à long terme et s'est traduit dans les méthodes de travail et par la révision
de l'organigramme en donnant à chaque membre de l'équipe un domaine d'acquisition et une tâche
transversale. Reste que la communication interne pour ce type d'organisation n'est pas toujours
optimale. La mise en commun, la formalisation des pratiques d'acquisition, de désherbage, de
catalogage, d'équipement ont certes nécessité beaucoup de réunions et de discussions au départ mais
constituent aujourd'hui un référentiel commun qui a permis de développer de nouveaux services et
de continuer à réfléchir aux évolutions. L'accueil s'est professionnalisé, un fonds de guides de
voyage a été créé, la veille pour les enseignants s'est développée, une politique d'animation s'est
mise en place. Du point de vue de l'équipe, le travail paraît plus varié ce qui est jugé valorisant mais
qui change la perception du temps: « avant on faisait tout mieux mais moins ». Cela pose la
question du morcellement des tâches, qui ne permet pas toujours d'avoir conscience de la globalité
du travail accompli. A noter par ailleurs qu'au delà de l'organisation du travail, des contraintes
externes, celles du bâtiment, sur lesquelles il n'a été possible d'agir qu'à la marge, favorisent la perte
de temps.
La table ronde de l'après-midi s'interrogeait sur le rôle possible des réseaux pour gagner du temps.
La réflexion sur la mutualisation, qu'elle porte sur le contenu, la force de travail ou les animations
trouve-t-elle vraiment son intérêt dans le partage du temps de travail ? Oui, si on considère qu'elle
permet de faire à plusieurs ce que l'on ne pourrait pas faire seul par manque de disponibilité mais
aussi de moyens : l'appui sur un réseau de 14 partenaires garantit l'enrichissement des bases Sign@l
et Mir@bel. La participation des différentes bibliothèques de la région rattachées à l'Université de
Toulouse a été la condition sine qua non de la création du service de chat « Une question ». Le rôle
du CRL Midi-Pyrénées comme facilitateur tant au niveau des contacts que de l'organisation, permet
aux établissements partenaires d'avoir des projets, des animations qu'ils auraient difficilement pu
avoir seuls. Plus globalement, la mutualisation est une occasion d'accroître sa visibilité comme
partenaire d'un réseau national ou d'un événement régional ou national.
Mais comment se traduit-elle dans la gestion du temps de travail? Elle oblige d'abord
individuellement chacun à remettre en cause son fonctionnement propre pour mieux l'adapter à
l'engagement collectif, ce qui peut conduire à devoir dégager de la disponibilité en abandonnant
certains pans de l'activité initiale jugés moins importants. L'élément qui ressort de tous les projets
est le besoin d'avoir un pilote qui accepte un investissement lourd, seul garant de la pérennité de la
mutualisation. La phase de démarrage nécessite du temps pour définir le projet, démarcher des
partenaires, définir des procédures communes, adapter les outils. La survie de la mutualisation dans
la durée est toujours fragile en fonction de l'évolution des objectifs de chacun, de la nécessité
d'accepter flexibilité de la part des partenaires. Les apports techniques tant au niveau des outils
professionnels que des outils de communication sont de véritables vecteurs de gain de temps.
Toutefois, la rencontre physique, plus chronophage et difficile à organiser, demeure toujours
nécessaire pour faire vivre ces projets
Si la finalité de certains projets constitue à coup sûr un gain de temps pour les usagers, elle implique
un investissement tel que la plus-value temporelle est beaucoup moins sûre pour les professionnels
pour qui l'intérêt se trouve ailleurs.
La dernière demi-heure de la journée a été consacrée à la présentation d'outils sur Internet,
permettant d'organiser son temps de travail et donc de gagner du temps. Le diaporama de cette
présentation, ainsi que les autres présentations, se trouvent sur le site de l'ABF Midi-Pyrénées.
Stéphanie Fohanno
ABF Midi-Pyrénées