BILIPO_POLICE-MAGAZINE_1938_0408 (10,7

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BILIPO_POLICE-MAGAZINE_1938_0408 (10,7
Choc en retour.
Si MUe Augusta L... a fortement contusionné le sieur Constant J..., on ne pourra
guère lui en tenir rigueur dès qu'on aura
appris les raisons de son subit accès de
révolte.
Cette jeune femme, assise en face du
plaignant, est à la fois haute, large, blonde
comme une chope.de bière
et charnue comme une
déesse de Rubens. Elle est
âgée de vingt-sept ans et
fait, paraît-il, profession
de vendeuse dans un magasin d'antiquités.
— Au cours du mois
de septembre, explique-telle, j'ai rencontré Monsieur dans les allées du
Luxembourg. Les soirées
étaient belles, aussi avaisje pris l'habitude de me
promener à travers le
grand jardin public, mon
travail fini. Bientôt je ne
pus m'empêcher de dis-.
tinguer, en plusieurs
occasions, ce promeneur
qui me dévisageait le plus
souvent avec un drôle de
sourire.
Au bout d'une semaine,
il se décida à m'aborder.
— Pour vous dire,
observe M. le président,
que vous lui aviez plu et
qu'il serait heureux de
faire quelques pas avec vous, n'est-ce pas ?
— C'est ça. Et, ensuite, il m'offrit une
consommation, puis à dîner...
— Vous avez accepté ?
— Je m'ennuie le soir. Et. en plus, cela
n'engageait pas à grand'chose...
— La preuve !... Vous êtes devenue la
maîtresse de J... Et vous l'avez à demi
assommé...
M1,e Augusta hausse imperceptiblement
les épaules.
-—N'importe qui en aurait fait autant à
ma place.
— Hum ! Vous le dites !
— C'est que j'ai de bonnes raisons pour
le croire !
— Eh bien I exposez-les. '
— Oh ! je n'y manquerai pas... en affirmant, primo, que j'ai toujours été
une honnête fille et qu'il fallait
vraiment que je fasse une pareille
m'écouta bien tranquillement, et puis,
lorsque j'eus terminé, il me répliqua :
« — Trois mille francs... Mais bien volontiers, ma toute belle... Tenez, les voici et
c'est de grand cœur que je vous les donne.
Cependant, vous me ferez la grâce de croire
que je suis capable de vous donner en plus
quelques joies gratuites.
« Oh ! bien sûr, balbutiai-je. Bien sûr,
Chaque année, depuis 1931, le docteur
Sh... vient en France pour y passer deux
mois. Le but de ces voyages ? Étude des
nouveaux procédés de la science européenne... Sans nul doute !... Mais, aussi étude
des mœurs de notre capitale qui n'est pas
encore près de perdre sa réputation de ville
où l'on s'amuse, à ce qu'il semble.
Le chic, c'est qu'en ayant voulu organiser
1
11
causes
rencontre pour venir en correctionnelle...
Nous y sommes : l'émoi, la surexcitation,
l'anxiété, tout cela vient de faire son
œuvre.
L'imposante Augusta fond brusquement
en larmes. Et c'est un déluge, ponctué
de spasmes, de suffocations, de gémissements qui ne s'atténueront qu'après
maintes exhortations véhémentes du président dont les minutes sont précieuses...
— Hum !... Oui, c'est vrai, j'ai tort de
me révolutionner, reprend la brave fille.
Puisque j'avais des motifs... hi ! hi ! de
bons motifs pour me mettre en colère contre
ce monsieur... Et je vais les dire tout de
suite...
Il faut cependant encore bien cinq
minutes pour qu'ils se décident à sortir...
ces motifs.
Ah ! les transes d'une première comparution en justice...
Enfin cette fois... Fichtre !
— Voilà donc, reprend Augusta. Notre
dîner fini, le jour de la prise de contact, ce
monsieur me proposa comme de juste de
devenir sa maîtresse. Je l'avais si bien prévu qu'en mangeant mes haricots à l'étouffée j'avais préparé la réponse que je ferais
le cas échéant... « Moi, c'est très simple,
je suis encore intacte. Je n'ai pas plus envie
de m'abandonner à vous qu'à un autre,
bien que vous me soyez sympathique... Si
vous y tenez beaucoup, moi je veux bien,
mais à la condition que j'en tirerai un
bénéfice pécuniaire : car, pour mon plaisir
personnel, j'ignore si j'en éprouverai.
« Donnez-moi trois mille francs et je suis
à vous »..
« Comme vous le pensez bien, monsieur
le président, je n'avais dit cela que par
manière de plaisanterie, avec la certitude
de m'entendre répondre par quelques
paroles du même genre;
« Eh bien ! pas du tout, monsieur J...
2
que le procès ne semble pas du tout inquiéter.
Il a tort, car on en arrive bientôt à son
cas personnel, et c'est fini de rire pour lui.
En effet, les deux gentilles danseuses
viennent de déclarer que, si Roger F...
n'avait pas voulu en fin de compte profiter
lui aussi de la situation, tout se serait peutêtre arrangé...
— Hein ? De quoi ? De quoi ? Voilà bien
du nouveau, par exemple \
essaie de gouailler le mis
en cause.
Mais c'est l'exacte vérité.
Lorsque les deux couples
eurent achevé de distraire
le Nippon, Roger F...,
que le spectacle avait pas
1
■
mal émoustillé, se pencha
vers celui-ci et lui demanda de faire avec l'une des
deux danseuses, pour son
propre compte, une réédition des scènes précédentes.
— Allez-y, ajouta-t-il.
s
Pour cent balles, le môme
d'Olga consentira à rentrer chez lui, et je me
charge de vous montrer
quelque chose dont vous
n'avez pas la moindre idée,
même à Tokio chez vos
mousméset autres geishas.
Le docteur, séduit, ne
se le fit pas répéter, mais
la patience des autres
devait toucher à sa fin.
Ils émirent la prétention de s'en aller, tous
les quatre, et déjà les deux jeunes gens
gagnaient la porte avec leurs compagnes
lorsque le Japonais, outré d'une telle
conduite et probablement soùs l'influence
de trop copieuses libations, sortit un revolver en menaçant froidement de tuer tout
le monde si on ne se pliait pas à sa dernière
fantaisie.
Et tout aurait peut-être mal tourné, si
l'une des deux jeunes femmes n'avait déniché un bouton de sonnerie. Elle le fit jouer
subrepticement, une femme de chambre
parut à qui on fit comprendre ce qui se
passait, puis, dix minutes plus tard, trois
agents venaient désarmer le docteur qui
fut emmené au poste avec son organisateur
des plaisirs.
— Tout cela n'est pas extrêmement
grave, dira en fin de compte le défenseur des
deux prévenus. Certes, il y a eu des menaces,
port d'arme, mais, enfin, les premières
excentricités furent obtenues de bon gré...
Pour ma part, je juge bien plus répréhensible la conduite de ces quatre jeunesses,
capables, pour quelques cents francs, de se
livrer à des ébats généralement réservés à
la stricte intimité.
—- La cause est entendue, réplique M. le
président. Deux mois de prison au docteur
Sh... et cent francs d'amende. Quatre mois
à Roger F..., précédemment condamné
pour grivèlerie et vagabondage, en vertu
des premier et deuxième paragraphes de
l'article 334, les deux filles, Olga M... et
Maria B..., amenées par lui à son acolyte,
étant âgées de moins de vingt et un ans...
monsieur. Mais, dans le fond, je me trouvais
horriblement ennuyée avec ces trois billets
de mille entre les mains et la nécessité où je
me trouvais maintenant de sauter le pas...
— Enfin, vous vous résolûtes à payer de
votre personne
Ne nous faites pas
attendre plus longtemps... Et après ?
— Après, je... dus convenir que Monsieur
ne m'avait rien promis d'exagéré. Si bien
que, deux jours plus tard, il revenait chez
moi et trouvait non plus une victime
résignée, mais une véritable amoureuse.
re- De sorte que la discussion qui précéda
les coups dont se plaint le demandeur eut
pour prétexte un avatar sentimental ?...
Chose drôle, on voit, sur la figure de la
plantureuse Augusta, paraître à cet instant
la plus vilaine des grimaces.
— Un avatar sentimental ? répète-t-elle.
Ah, bien, ouiche! M. J...
ne devait pas longtemps
jouer le rôle de l'amoureux passionné et désintéressé... Ce deuxième
soir, alors que, pour
l'accueillir, j'avais fait
les frais de parfums et
<ie déshabillés vaporeux... (j'avais même
fait brûler dans ma
chambre des pastilles
du sérail et placé en
évidence sur la table
un livre illustré de
gravures légères...) Au
lieu de me « propager »
des caresses préliminaires comme il l'avait
fait l'avant-veille, il se
déshabilla en un tourlemain, et, s'étant précipité sur moi comme
une* brute...
— Mademoiselle, je vous en prie, ces détails !...
— Mais, monsieur le président, ils ont
leur utilité. Et la preuve c'est que M. J...
profita de l'instant que vous devinez,
alors que j'attendais de lui l'extase suprême...
— Encore une fois, mademoiselle, de
grâce...
—... Pour me réclamer les trois mille francs
qu'il m'avait donnés, sous prétexte qu'étant
passé du rôle d'ami de rencontre à celui
d'amant de cœur il ne pouvait plus exister
de question d'argent entre nous !...
— Hum ! Le procédé est astucieux. Et
que répondites-vous ?
— Je lui murmurai : « Mon chéri, nous
parlerons de cela plus tard. »
Mais il me repoussa. Alors, me voyant
dédaignée, arrachée brusquement au doux
vertige dans lequel je m'abîmais, je me
sentis envahie par une brusque colère et jetai
dehors ce profiteur, sans aucun ménagement.
— Bref, vous reconnaissez lui avoir porté
les coups faisant le motif de sa plainte,
enchaîne M. le président... C'est parfait...
Et, lorsque J... a parlé, pour tenter une
vague et filandreuse défense :
— Allons, quinze jours de prison avec
sursis à la prévenue et 25 francs d'amende.
Que cet avertissement vous soit salutaire,
mademoiselle !
l^a soirée du médecin
japonais.
Docteur de la Faculté de Sendaï, l'honorable prévenu (si j'ose dire) se présente sous
l'aspect d'un tout petit monsieur brun à
lunettes, et si jeune d'apparence qu'on sursaute en apprenant son âge: cinquante-trois
ans.
des tableaux vivants trop suggestifs le
docteur a eu des ennuis avec ses partenaires.
Il en est résulté une discussion, puis un
petit scandale, lequel finit par mettre en
branle Police-Secours... Et c'est la conclusion du tout qui nous est présenté devant
le tribunal correctionnel.
Flanqué d'un comparse, le sieur Roger
F..., notre Japonais, qui parle assez couramment le français, a donné de l'affaire un
aperçu plein de réticences :
— J'avais demandé à Monsieur (c'est le
complice) de me faire connaître deux jolies
danseuses de music-hall. Il vint me dire un
matin qu'il avait mon affaire... J'invitai ces
demoiselles dans une maison où j'avais déjà
eu des rencontres similaires... Je les traitai
avec soin, bon repas, boissons copieuses, et
enfin je leur demandai en guise de remerciement d'exécuter, pour ma délectation personnelle, un petit numéro particulier..,
— Évidemment pas une danse classique,
ironise M. le président. Mais, avec ces demoiselles, n'aviez-vous pas d'autres invités ?
— Si fait, leurs petits amis et Roger F...,
mon imprésario.
— Imprésario de vos distractions privées ?
— Si vous voulez... Maintenant, je tiens
à dire que, si cette affaire que je déplore
peut s'arranger avec de l'argent...
— Pas en France, devant nos tribunaux,
monsieur. Veuillez vous asseoir, nous allons
entendre les témoignages.
Ils sont apportés par deux jolies filles
qui, bien que fort à la page, semblent ne
pas être encore revenues de leur aventure.
Et l'on apprend de leurs charmantes
bouches, couleur de cerise mûre, que le
docteur Sh..., après s'être montré au cours
du repas le plus agréable des amphitryons,
exigea, le dessert avalé, de ses convives
toutes sortes d'exercices libertins.
— Vous n'aviez qu'à refuser, s'exclame
M. le président.
Piteuse, Olga, la plus blonde des deux
girls, avoue qu'elle y pensa bien un moment,
mais...
— Mais, voilà, assure-t-elle, mon petit
ami est chômeur... Alors, quand il a vu le
monsieur tirer un grand billet de sa poche,
il m'a poussé le coude...
. — Ce qui signifiait ?
— Ben, que... s'aimer devant le Japonais,
c'était une affaire à ne pas laisser échapper...
— De sorte que, pour mille francs, vous
avez, avec votre amant, exécuté, pour la
satisfaction du prévenu, ce qu'il désirait...
— D'abord, il a voulu que je commence
avec Jules... c'est mon ami... Ensuite, au
moment de donner le billet de mille, il a
trouvé que cela n'avait pas assez duré... Il
a chicané...
— Bref, il vous a
dit n'en pas avoir
pour son argent ?
— Il a voulu que
ma camarade
Maria fasse la même
chose avec son compagnon...
— Et vous avez
obéi également,
mademoiselle ?
— Oh ! pour
rendre service à
Olga et à son petit
homme. Ils auraient sans cela
« travaillé pour
rien ».
— Cela montre
votre bon cœur.
— Si encore elle
n'avait montré que
cela, ricane de sa
place l'imprésario
LA SEMAINE PROCHAINE
Police-Magazine
publiera
un grand reportage
de Jean MORIS
Le secret
des femmes
damnées
XVIII (1)
Le camp de représailles.
|uand les avions du colonel
Vuillemin eurent bombardé
le centre aéronautique de
Friedrichshafen, les Allemands' crièrent au massacre... des innocents. Certes, leurs Gothas, leurs
Zeppelins et leur Bertha
attaquaient couramment
nos villes ouvertes, démolissaient nos églises et assassinaient nos civils, mais que nous allions,
de l'autre côté du Rhin, démolir des
hangars et des appareils, c'était un crime
abominable î
Le G. Q. G. allemand annonça donc, dans
(1) Voir Police-Magazine, n°« 391 à 407.
un communiqué rageur,
que, pour éviter à l'avenir de semblables faits, il
allait disposer autour de sa grande
base aérienne un camp de représailles pour prisonniers français.
Ainsi, n'osant pas risquer de tuer
des frères d'armes, nos bombardiers, pensait-on à Berlin, s'abstiendraient de visiter Friedrichshafen.
Envoyer au devant d'eux, pour un combat loyal, quelques-uns de leurs Fokker
paraissait beaucoup trop dangereux ;
mieux valait, n'est-ce pas ? commettre un
nouvel acte de sauvagerie.
Une protestation de notre Gouvernement
contre une mesure aussi odieuse fut transmise à Berlin par une ambassade étrangère
à qui l'on répondit qu'elle avait été rapportée. Cependant personne n'était exactement fixé ; des aviateurs, survolant le
camp, avaient remarqué, disaient-ils, un
va-et-vient inaccoutumé, comme si on y
faisait des travaux d'installation.
Il fallait en avoir le cœur net, et, pour
cela, se rendre sur place. Tel fut l'objet de
la nouvelle mission qu'on me confia.
Comme il était difficile d'aller atterrir
en avion dans les environs du camp allemand, nous renonçâmes à la voie aérienne
et ce fut simplement par chemin de fer
qu'une fois de plus je gagnai la Suisse.
On sait, en effet, que la grande station
aéronautique allemande se trouve sur la
rive du lac de Constance à une quinzaine
de kilomètres de la frontière suisse.
Dans cette région, régnait une contrebande intense, sévèrement réprimée par
la Suisse, mais encouragée par l'Allemagne
à qui les vivres faisaient défaut. Les rives
du lac de Constance voyaient ainsi débarquer toutes sortes de marchandises sous
l'œil bienveillant de la douane teutonne..
... J'arrive sans difficulté à Romanshorn
ville suisse placée sur le lac de Constance
exactement en face de Friedrichshafen.
Certes, d'autres centres de contrebande
sont installés à Arbon et à Constance, mais
je n'y ai pas de relations, tandis qu'à
Romanshorn, je sais que je vais trouver à
qui parler dans la brasserie du Tiergàrten.
Voici justement mon ami St...
— Vous tombez bien, me dit-il ; nous
avons ce soir un transport rapide à effectuer; je compte me servir de mon canot à
moteur et, de cette façon, le trajet sera
moins pénible qu'avec mon bateau à
rames : je dois, du reste, faire IUÏ petit tour
près de Langenargen, distant de dix kilomètres de Friedrichshafen. Accompagneznous si cela peut vous être utile. Il y aura
sans doute des renseignements intéressants
à récolter.
J'accepte avec enthousiasme cette
proposition qui diminue de moitié les
dangers qui m'attendent. Rendez-vous
est pris pour 8 heures du soir à la même
brasserie d'où nous partirons en voiture
pour la petite calanque où nous devons
nous embarquer.
C'est le soir, il fait froid, un petit
.
vent aigre soufflant du Nord ; la car| gaison est composée, je m'en japerçois
i facilement, de poivre et d'épices qui
me font éternuer pendant cinq bonnes
minutes. Nous voici en route pour ce
1 voyage d'une demi-heure ; la nuit est
| noire et on ne voit pas à quelques centimètres devant soi. Dans de telles conditions, ma mission s'annonce facile.
Je devais rapidement déchanter.
An-dessus : Certes, leurs Gothas, leurs
Zeppelins attaquaient couramment nos
villes ouvertes.
Deux coups de feu éclatent, en effet, puis
toute une salve : les « Grenzwâchter »
(gardes-frontière) nous tirent dessus, car,
trompés par l'obscurité et déportés par le
courant du Rhin, nous sommes loin de l'endroit où les contrebandiers ont accoutumé
d'aborder. Et cette fusillade nous en
avertit.
Il nous faut donc remonter la côte pendant une dizaine de minutes, jusqu'en un
lieu sauvage, planté de grands arbres dont
les racines trempent dans l'eau.
— sC'est là ! me glisse mon ami St...
Des ombres viennent à notre rencontre
et je reconnais des « Grenzwâchter ». Ils
font partie de l'association contrebandière,
et la compagne de l'un d'eux tient même
un estaminet où l'on entrepose des marchandises.
— Si l'on vous a canardés tout à l'heure,
nous expliquent-ils, c'est sans doute que
l'on vous a pris pour des passeurs de déserteurs. Laissez votre bateau ici et venez vous
reposer un peu à l'estaminet pendant que
nous le déchargerons.
Puis me dévisageant :
— Qui est ce monsieur ? demande un
garde.
— Un de mes associés suisses.
— Parfait! En route!
Nous marchons un petit quart d'heure
dans une nuit si épaisse qu'il me serait
impossible de dépeindre les lieux où nous
avons passé, puis nous pénétrons dans un
jardin attenant à une petite maison aux
volets soigneusement clos. Trois personnes
qui attendent se lèvent à notre arrivée :
ce sont des membres de la bande.
— Vous pouvez y aller, leur annonce
celui qui nous accompagne. Max va arriver
et il restera ici pour mettre tout en place 1
Nous nous installons autour d'une table
et le vin chaud qu'on nous sert nous réconforte un peu. J'entends sans beaucoup
d'intérêt une importante discussion d'affaires jusqu'au moment où arrive le Max
annoncé. C'est un individu qui boite affreusement. Son métier avoué est celui de
colporteur, mais, en fait, il ne colporte et
même ne vend que des produits de contrebande. Et ce n'est pas la clientèle qui lui
manque ; il doublerait et triplerait son
chiffre d'affaires si la marchandise
était moins rare, du moins l'af firmet-il à mon ami. Et d'ajouter encore, pour le convaincre :
— Oui, Herr St..., oui,
qu'est-ce que nous ne gagnerions pas si vous veniez un peu plus souvent,
d'autant plus que l'on
vient d'établir à Friedrichshafen un camp de
prisonniers français et
que ces gars-là ont besoin de tout...
Inutile de poser des
questions au boiteux, il
est assez bavard pour
que l'on n'ait qu'à l'écouter.
J'apprends ainsi la
vérité et m'aperçois que,
comme toujours, il y
avait du vrai et du faux
dans les renseignements
que je possédais : en
réalité, on a établi un
camp de prisonniers à
Friedrichshafen, mais il
se trouve à l'autre bout
de la ville, bien loin du
parc d'aviation où toute
la place, du reste, est
occupée par des hangars
Ces agents doubles travaillent pour deux pays
à la fois.
et des ateliers. Le bavard, voyant que je
m'intéresse à la ville, va même jusqu'à me
faire un petit croquis de la nouvelle installation.
J'ai donc tout ce qu'il me faut ; béatement, nous tirons sur nos cigarettes,
quand, brusquement, la porte s'ouvre et
les hommes de tout à l'heure apparaissent
effrayés :
— Dépêchez-vous d'embarquer, nous
disent-ils, nous venons d'être prévenus que
des patrouilles, alertées par un poste de
garde, vont fouiller dès le petit jour toutes
les rives du lac. Or il est maintenant trois
heures 1
Il n'y a donc qu'à regagner le bord, à
démarrer et à voguer rapidement vers la
libre Helvétie. Au retour, nous louvoyons
quelque peu afin de ne pas tomber entre
les pattes des hommes de la Landsturm
qui gardent la frontière suisse.
Et puis la suite n'a pas d'histoire. En
deux jours et demi, j'ai su ce qu'il fallait,
c'est-à-dire que nos aviateurs pouvaient
tranquillement bombarder la base de
Friedrishshafen sans risquer de tuer leurs
compatriotes. Ils ne s'en privèrent du
reste pas, puisque la même semaine ils
y incendiaient deux hangars et détruisaient plusieurs appareils ennemis.
Ainsi s'achevait une expédition qui
n'avait coûté que quelques milliers de
francs et que nous avions menée à bien
sans d'excessives émotions.
Bataille d'agents doubles.
Mais je ne puis jamais penser au boiteux
qui fut un des héros obscurs de cette expédition sans me souvenir d'un autre Max,
un espion aux exploits de qui il me fallut
faire mettre un terme, mais celui-là ne
boitait pas.
Combien de fois, dans les récits fantaisistes publiés sur l'espionnage, n'a-t-on pas
entendu parler des agents doubles ?
Comme leur qualificatif l'indique, ils
travaillent pour deux pays à la fois. On a
même vu, au cours de la grande guerre,
des agents triples, mais ces cas exceptionnels ne se rencontraient que dans de toutes
petites affaires où l'enjeu était minime.
Dans une organisation d'espionnage du
temps de guerre, à côté des agents principaux qui relèvent du Deuxième Bureau de
l'état-major, figurent quantité de petits
agents d'importance secondaire qui sont
surveillés et payés par les agents principaux lorsqu'ils sont en territoire ennemi,
et par des bureaux désignés à cet effet
s'ils sont dans le pays lui-même.
En 1914, les services allemands avaient
monté une organisation extrêmement importante à Lôrrach, petite ville située à
deux kilomètres de la frontière suisse et à
une heure de marche de Bâle, importante
ville suisse située sur le Rhin. Ce centre se
trouvait placé d'une façon merveilleuse : à
quelques pas d'un pays neutre, à travers
la frontière duquel il était toujours possible de passer. Il était,en outre, situé à une
vingtaine de kilomètres du front fixé alors
entre Carspoch, Altkirch et Bâle, et à
même de jouer là un rôle fort important.
Il est bon de se rappeler que le télégraphe et le téléphone fonctionnent en
Suisse avec une régularité parfaite et que,
même sur une longue distance, l'attente
d'une communication téléphonique
n'excède jamais cinq minutes. Un renseignement arrivé à Genève où était l'état-
JBojyyfflbL^iià^^
"accordTiyûir piano mécanique ; c'est le
_bal qui commence, .Te me glisse dansjme
plus qu'à attendre la réaction.
encoignure, mais"il"estrîffipossiblc de rien
-Le- lendemain, à un nouveau rendezvoir ni entendre, le bruit de la musique
vous que je lui ai donné, rappelant à mon
couvrant'les conversations.
interlocuteur que j'ai accompli récemment
à Cologne une mission des^pliK importante,
Puis^Jurusquement^a^
tout justê"le lempslle me jeter en arrière ;
jerdxirqproniets=itë=3^
un groupe de quatre hommes, parmi lesécrit, ce que j'ai pu apprendre sur les proquels se trouve Max, passe devant moi et
jets d'attaque de l'armée allemande. Et
il jubile.
tourne à droite, conversant maintenant à
— A propos,, jne f aitiL_en sqrtant-de sa- yoix basse. La rue est sombre. Quelqu'un
n-journal suisseT^votreInïôrmailon
soudain fait demi-tour et revient en visecrète sur le torpillage dans les eaux de
tesse vers la brasserie, mais il n'a pas fait
Suez, elle était connue à Berlin !
vingt pas que claquent deux coups de
Et de me montrer dans un journal
revolver, puis une rafale. Arrêté net, l'ing jsuisse^ j>ù je_ravaiS-Jiéjà Jkie- q^ques-mi^ dividu riposte en direction de ses ennemis
nutes plus tôt, la fausseTSôlïvëTle que je lui
Brève bataille. Max bientôt porte ses mains
; avais confiée hier et qui était reproduite
à sa poitrine, chancelle et s'abat en pleine
' par toutes les feuilles germanophiles :
chaussée.
Berlin. — On apprend de bonne source
' qti'nn transpnrf français, portant prïx de
voici en route pour un voyage d'une
demi-heure.
deux mille hommes et un important matériel,
| a été coulé en Méditerranée. Des émeutes
jj ont éclaté à Marseille dès qu'on a connu la
t~nouvelle.
Désormais, je^JuViixé,JU-ne~peut y avoirde rdoute- : cette nouvelle, que-^j'avais"
inventée de toutes pièces, n'a. pu être
connue que de la seule personne à qui je
l'avais annoncée.
Il importe donc d'agir vite, sans oublier
que je suis dans un pays neutre où les
autorités ne badinent pas avec certaines
choses... surtout les autorités de la Suisse
allemande.
Tentons tout de même, avant ce soir,
un coup qui, s'il réussit, nous fera débarrasser par les Allemands eux-mêmes d'un
collaborateur qui est aussi le leur. Après
y avoir longuement réfléchi en prenant l'air,
je reviens à la Brasserie où une servante
des plus accorte s'inquiète de ce que je
boirai.
— De la bière, mademoiselle î
Et, quand la consommation est devant
moi, sortant de ma poche un pli fermé :
— Pourriez-vous, mademoiselle, faire
porter tout de suite cette lettre à son
adresse ?
L'adresse est celle de M. Obrist, l'un des
principaux chefs de l'espionnage allemand
en Suisse, à qui, sous un nom imaginaire,
j'apprends que M. Max — son agent —
est également appointé par le service de
renseignements français.
Ma bombe ainsi lancée, je n'ai plus qu'à
attendre son explosion...
Ces messieurs les « indics » vont certainement, comme d'habitude, aller passer la
soirée à la Brasserie du Bernerhof. Embusquons-nous donc à deux pas de cet établissement.
Max ne tarde pas à y entrer en compagnie d'un homme avec qui il discute vivement.
Au bout d'un instant, j'entends les
major de l'espionnage allemand pouvait
être téléphoné à Bâle et transmis à Lôrraçh en moins d'une heure. C'était précieux,
aussi tous les pays alliés avaient-ils à Bâle
des yeux attentifs... et des oreilles toujours
aux aguets. Mais Bâle est assez loin de
Paris et les agents que nous y avions,
n'étaient pas contrôlés autant qu'ils
auraient dû l'être. Nous apprîmes cependant qu'un de nos agents, prénommé Max,
faisait du « double » avec l'Allemagne.
Comme, en pareil cas, il importe de se
débarrasser rapidement d'individus capables de provoquer les pires catastrophes
je profitai d'un voyage en Suisse pour aller
enquêter à Bâle sur l'activité de celui-là.
Il me fallait plus de prudence que jamais.
J'arrivai donc la nuit, afin de ne pas être
« respiré » par un de ces nombreux indicateurs qui rôdent autour des trains de
jour et me logeai à l'hôtel sous le nom
d'emprunt d'un négociant. Il n'est point
de profession plus vague, ni plus pratique,
pour qui veut avoir ses coudées franches...
A peine sorti de mon hôtel, je me rends
à la Brasserie du Bernerhof qui sert de
grand quartier général à messieurs les
« indics ». J'y pénètre prudemment et
demande au patron M. Max.
— II n'est pas encore arrivé, me répond-on.
Qu'à cela ne tienne, je vais tuer
le temps en lisant Le Démocrate, un journal
francophile publié à Délémont dans le
Jura bernois.
Ce Max n'est guère pressé. Enfin, le
patron me l'amène et je me présente :
— Henri Lobert, qui passe son temps à
se promener et lui est envoyé par un de ses
confrères M.C.., de Genève.
C..., à Genève, travaille pour nous ;
il ne m'a pas été difficile de le connaître, je
l'ai vu un grand nombre de fois et je sais
que Max a été en relations avec lui à
maintes reprises. Aussitôt, le visage de
mon interlocuteur de s'éclairer. Dame
quand on fait ce métier, on peut toujours
s'attendre à recevoir des visites ou à avoir j
des rendez-vous qui n'ont rien de particulièrement agréable.
Rassuré, il accepte le déjeuner que je
lui offre : un menu excellent et copieux,
arrosé d'un « cortaillod » de derrière les
fagots. Il n'en faut pas davantage pour
faire de nous les meilleurs amis du monde,
encore que l'homme, bien que bavard, se
montre assez adroit dans ses propos, mais
c'est de tout et de rien que nous parlons.
Néanmoins, il se plaint des difficultés
qu'il rencontre et du peu d'argent qu'il
gagne. Depuis trois ans qu'il travaille
pour nous, il n'a pas reçu ce à quoi il croit
avoir légitimement droit ; il me parle de
ses confrères qui touchent des salaires (!)
triples et il ne me cache pas qu'il ne veut
pas travailler encore longtemps dans ces
conditions. En temps ordinaire, il est interprète d'hôtel; toutefois, en ce moment où
le tourisme est à peu près mort, il ne trouve
plus d'emploi stable. Officiellement, il est
représentant, mais on se demande, avec
des restrictions telles que doit s'en imposer
la Suisse, ce qu'il peut bien vendre.
Je sais que, dans le fond, il a raison, la
France a toujours beaucoup plus mal
payé que les autres pays et cependant
elle a toujours été bien servie.
N'empêche qu'il faut que je sache s'il
est exact que M. Max mange aussi au
râtelier des Allemands.
Je me mets donc à" lui raconter toutes
sortes de choses — fausses bien entendu —
sur certaines missions que je prétends
savoir que l'on a confiées à quelques-uns
de nos agents, puis, dans le creux de
l'oreille, je lui glisse une nouvelle sensationnelle : « Un
transport de troupes françaises, chargé de plus d'un
millier d'hommes, a été coulé
à la sortie du canal de Suez.
Cet événement a été tenu rigoureusement secret afin
ne pas affoler la populatio:
qui commence à trouver
la guerre sous-marine c
beaucoup de dégâts. »
Max s'abattit en pleine chaussée.
Xes~portes des maisons s'ouvrent, de
chiens-hurleBfczides ritoyens^S^mpressent
vers la victime, la police, à son tour, va
venir... Il est prudent de s'éclipser,
Le lendemain matinJe_çjOjnnâissais_Jes_
Max, un troisième homme agonisant à
l'hôpital et un quatrième en fuite, sans
doute le principal exécuteur...
... Ainsi finissaient généralement les
agents doubles... ceux surtout que découvraient les Allemands dont les méthodes
étaient toujours aussi brutales que rapides
et qui n'hésitaient pas à supprimer un
Jiojiime,-dèsJa^8e€onde=m^
"soupçon pesait sur lui.
(A suivre.)
Louis BRUNET.
Louis Brunet vous révélera dans le prochain
j^jroé^o^cojiMnenj^^^^
lllllllllimilllllllllllllll
IIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIHIIIMIIIllllllllllllllllllllllllIHUIIIIIIIIHIIIIIIIHIIIIIIIIIIIIIIIIIlillllllllllllllillilllllllH
On accuse, on plaide, on jnge...
Justice de
paix du neuvième arrondissement :
une concierge,
jeune rose et blonde, réclame à une sienne
locataire — ni jeune, ni rose, ni blonde —
bien au contraire, mille francs de dommages-intérêts :
LE JUGE DE PAIX.
A quel titre ?
LA CONCIERGE.
Pour me dédommager.
LE JUGE DE PAIX.
De quoi ?
LA CONCIERGE.
D'une gifle que cette
dame est venue me doimer dans ma loge.
LA LOCATAIRE.
La concierge oublie de
dire que, si je l'ai giflée, c'est parce que j'ai
appris qu'elle était la maîtresse de mon mari.
LA CONCIERGE.
Dame, c'était forcé!
LE JUGE DE PAIX.
Qu'est-ce qui était
forcé ?
LA CONCIERGE.
Que je devienne la
petite amie de mon locataire.
LE JUGE DE PAIX.
Pourquoi cela vous
semblait-il inéluctable ?
LA CONCIERGE, simplement. — Je ne
comprends que le français, monsieur le juge
de paix.
LE JUGE DE PAIX.
Inéluctable l'est,
madame ; en d'autres termes, pourquoi
était-il obligatoire, pour vous, d'avoir des
relations avec votre locataire ?
LA CONCIERGE.
Parce qu'il habite le
rez-de-chaussée en face de ma loge et qu'il
me voyait, toute nue, le matin, par sa fenêtre.
Et puis il y a autre chose.
LE JUGE DE PAIX.
Quoi donc ?
Il m'a offert une perLA CONCIERGE.
manente.
Cette femme est inLA LOCATAIRE.
consciente.
Oh! non, mais il y a
LA CONCIERGE.
encore une autre raison : quand un homme
a une légitime qui a une g..., enfin, une
figure comme la vôtre, il faut bien qu'il se
console ailleurs.
LA LOCATAIRE,
indiquée. — Vous êtes
une gourgandine.
LA CONCIERGE.
Et vous une •< mochetée » et on comprend que votre mari vous
trompe.
LA LOCATAIRE.
Vous avez bien mérité
la gifle que je vous ai donnée !
Cette vengeance lui coûtera deux cents
francs qu'elle devra, à titre de dommagesintérêts, verser à la concierge-maîtresse.
Ce n'est pas trop cher !
GIFLE,
AMOUR
ET INDÉFRISABLE
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
—
SYLVIA
QUAND L'ÉTAT CIVIL
INTERVIENT
RISSER.
C'est une
^oute
un p eu
triste, mais qui prouve que l'on doit toujours choisir sa femme avec le plus grand
soin... Nulle précaution ne sera superflue...
Même si, avant de passer devant M. le
maire, on a vécu en concubinage avec sa
W future, dans le but de savoir ce qu'elle
H donne à l'usage.
Le Tribunal civil de la Seine avait à
examiner l'autre jour le cas des enfants S...
à la naissance plutôt sujette à caution.
Voyons les faits qui présidèrent à leur
venue au monde.
En 1931, un sieur Armand S..., compagnon charpentier, originaire du Nord,
rencontrait une de ses payses dans un bal
montmartrois, n s'éprenait bien vite de la
belle qui, travaillant dans la lingerie,
pouvait sans trop de dépense, exhiber des
dessous soveux et affriolants à l'heure où
'on a coutume sur la Butte de lever la
jambe en jetant son bonnet par-dessus les
moulins.
De ce duo d'amour rapide, presque furtif, devait naître une longue et heureuse
liaison. La jeune femme se nommait
Hélène T..., elle avait vingt-trois ans,
quelques économies et bon cœur.
Elle plut au brave Armand qui possédait
lui-même de véritables dispositions pour
être père de famille. Neuf mois après leur
première entrevue, Hélène accouchait d'une
fille que S... reconnut.
Et la vie continua.
Malheureusement, ce ne fut pas sans
accroc pour le faux ménage. Un beau jour,
la jeune maman tomba malade, elle se remit,
difficilement, donna encore la vie à deux
jumeaux, puis s'affaiblit au point d'inspirer les plus vives inquiétudes.
— Tuberculose, décréta le docteur. Il
faut Lézin ou alors, céans, de la suralimentation, des remèdes, des soins.
Armand S... fit pour le mieux. Mais le
mal se prolongeant, les fonds manquèrent
vite au logis.
— Un secours, se dit-iL.. Je l'obtiendrais
s'il n'y avait pas un obstacle. Ma situation
de... famille irrégulière. Quand on n'est pas
marié, les organisations de bienfaisance
font la sourde oreille.
— Eh bien ! marions-nous ! proposa
Hélène dans un sourire mélancolique.
-s
S... s'empressa d'obéir à ce vœu de la
malade. Il écrivit au maire de son pays,
un bourg voisin d'Amiens, pour obtenir les
pièces nécessaires. Il écrivit également à
Tours afin d'avoir l'acte de naissance de sa
femme.
Les papiers arrivèrent tous ensemble. Il
courut les porter à la mairie dans le but de
faire publier les bans. L'employé les prit
avec cette nonchalance particulière aux
bureaucrates désabusés par la monotonie
de leurs jours et se mit à les examiner.
Or, à mesure qu'il lisait, sa figure changeait. Il fit des gestes d'étonnement, eut
des exclamations de surprise...
Armand S... qui avait suivi ce manège
avec un émoi croissant interrogea avec
inquiétude l'employé :
— Mais, enfin, qu'y a-t-il ?... Tout cela
est en règle, je pense?
— Heu... Évidemment.
— Je vais pouvoir me marier ?
— Ah, j'en doute !
— Et pourquoi ?
— Impossibilité majeure, monsieur !
— Que voulez-vous dire 1
— Oh ! c'est bien simple... La personne
que vous voulez épouser... c'est votre
sœur î
On a beau avoir connu pas mal de jours
misérables, être prêt à tout entendre, à
tout subir, les tuiles de cette grosseur-là,
on les reçoit rarement sans broncher.
Armand S... sentit ses jambes se dérober
sous lui et, lorsque le fonctionnaire lui eut
rendu ses pièces avec un sourire ambigu,
il ne se sentit plus le courage d'insister
Il s'enfuit pour ne pas avoir à dire que,
depuis quatre années, il couchait avec sa
sœur et lui avait fait trois enfants, en
deux fois, il est vrai, mais sans que cette
restriction lui parût absolument consolante.
Cependant, le préposé de l'état civil,
qui, lui-même en proie à un trouble passager, avait laissé partir l'homme bizarr e
venu pour obtenir l'autorisation d'épouser
sa sœur, ne tarda pas à se reprendre.
Il avait eu le temps de voir que la « fiancée » était mère de trois enfants, et que
ceux-ci avaient été reconnus par le « soupirant ». Alors... alors, il convenait d'aviser
les pouvoirs répressifs de cet état de choses
antinaturel et contraire aux lois... Oui,
mais allait-il se souvenir du nom et de
l'adresse de ces gens-là ?
Il avait bien retenu quelques détails. Le
reste était un peu flou... N'importe, ne
fallait-il pas empêcher à tout prix cette
liaison de se poursuivre telle qu'elle était,
c'est-à-dire libre et à l'abri de toute poursuite, puisqu'il n'y avait que lui pour en
connaître l'existence.
Ce fut — on l'apprend au cours de l'audience qui servira à statuer sur le cas de
trois gamins nés dans de si exécrables
conditions — ce fut pour l'employé de
(Suite page 15.)
—IftlIfLJL.
LA GUERRE DES GITANS
— Savons pas.
La loi des romanis, la loi du silence...
L'AVIS
DE MANOEL
Sous la vaste tente aux
rayures rouges, vertes et
jaunes,
couleurs qui évoL'enquête commenC'est là que le magistrat instructeur
quent cette ancienne Égypte dont les
ça. Deux journées en- l'interroge :
romanis de tous les pays du monde se prétières de patients
— Que savez-vous de l'affaire ?
tendent originaires en même temps que
interrogatoires à la suite desquels le parE
drame se déroula à
— Rien.
descendants des pharaons, sous la vaste
quet de Clermont-Ferrand et la brigade
C h a r b o n n i e r-les-Mines,
— Vous étiez pourtant présente ?
tente,
j'ai vu Manoël.
mobile parvinrent à établir les responsadans le bassin de Bras— Bien sûr.
Manoël, le chef.
bilités
des
belligérants.
sac.
— Où ?
Plus exactement celui qui dirige les
Là, depuis quelques
tribus de la région parisienne, fait les majours, trois tribus amies
riages, défait les unions lorsque c'est nécesde romanichels, les Metsaire, tranche les différends et même édicté
bach, les "Winterten et les
des lois nouvelles.
Zigler, avaient installé
Les lois des gitans...
différentes baraques, tirs,
Il était pensif, Manoël, pensif et triste,
balançoires, loteries et
comme au lendemain de la tragédie de
même un cinéma.
Noyon, qui avait mis aux prises les Carlos
Dans deux communes voisines, à la
et les Demestre et avait, au surplus, placé
Combelle et à Saint-Germain-Lembron,
une femme — une Carlos — dans une situadeux tribus rivales, les Bauer et les Steis,
tion cornélienne : choisir, pour être tué,
avaient monté leurs tentes.
son
frère ou son mari 1
Dangereuse promiscuité !
Donc Manoël était triste, ce soir-là.
Car ne voilà-t-il pas qu'une jeune fille,
Mais les (apophtegmes de politesse
Georgette Metbach, du clan de Charbonchez les romanis sont gravés dans la pierre
nier, accepta de se fiancer avec un jeune
et le chef de la « région parisienne » n'ouhomme de la tribu des Bauer.
blia pas de me dire, aussitôt mon arrivée :
Une tribu ennemie...
— Une tasse de thé ?
— Qu'as-tu fait ? demanda le chef des
— Bien volontiers.
Bauer au jeune homme.
L'immense samovar de cuivre placé sur
Celui-ci baissa la tête et répondit :
la table centrale nous fournit bientôt un
— Je me suis fiancé.
délicieux breuvage parfumé à Pécorce
— Tu n'en avais pas le droit.
d'orange.
-— Je le sais, mais je l'aime. Je n'ai pas
Manoël restait pensif et triste.
à m'occuper de vos querelles, après tout...
Je l'interpellai.
— Et, là-bas, chez les Metbach, ils ont
— Manoël.
accepté cela ?
Il releva la tête :
— Parfaitement.
— Oui...
— Les misérables !
— Que pensez-vous de la tuerie de
— Je veux me marier.
Charbonnier ?
— Jamais avec une fille de chez eux !
Son visage bronzé se crispa brusquement.
Vaincu, le malheureux jouvenceau rega— C'est pour cela que vous êtes venu ?
gna sa roulotte.
me
demanda-t-il.
Que se passa-t-il ensuite ? On le verra
— Vous auriez dû vous en douter.
plus loin. Toujours est-il que, dans l'aprèsLa belle Georgette, cause de la bataille.
— Je m'en doutais, mais j'espérais que
midi, les romanichels de'Saint-Germain-Lemvous auriez parlé d'autre chose. C'est
bron et leurs alliés de la Combelle allèrent
tellement pénible pour nous ! Vous devez
Il s'ensuivit douze arrestations : six du
demander des explications à ceux de Char— Je prévoyais la bagarre et, lorsque
d'ailleurs vous en douter.
clan « agresseur » et six du clan « agressé »•
bonnier-les-Mines.
j'ai vu comment les événements tournaient,
J'essayai de m'excuser :
Les premiers, les « agresseurs », étaient :
— Nous n'avons rien à vous dire, réplije me suis tapie au fond d'une roulotte.
— D'accord, mais, n'est-ce pas, les
Joseph Steis, quarante-quatre ans ; Maquèrent ces derniers.
C'est à ce moment-là que les premières
nécessités de la profession...
rien Steis, trente-quatre ans ; Charles Steis
— Pourquoi avez-vous laissé se fiancer
balles ont commencé à siffler. Après, j'ai
— Je sais.
dix-sep t ans ; Jacob Bauer, trente ans ;
Georgette Metbach avec un Baiier.
entendu des appels et des cris de douleur :
Et, l'air moins rébarbatif qu'auparaJoachim Bauer, trente ans ; Louis Grégorio,
— Cela ne vous regarde pas.
nos hommes tombaient, abattus par les
vant, il enchaîna :
trente-deux ans ; inculpés d'assassinat, de
-— Attention 1
autres.
/
— En fait, mon avis ne peut avoir
tentative d'assassinat, de complicité et
— Comme vous voudrez.
— Après ?
que peu de valeur puisque les tribus vagade port d'arme prohibée.
— Nous allons revenir.
— Après, je ne sais plus exactement ce
bondes,
celles qui vont de ville en viDe et
-— On vous attend.
Les seconds, les « agressés », se nomqui s'est passé ; on est venu me chercher
de village en village, échappent à mon
maient : François Winterten, cinquante et
Ils revinrent, les Bauer et les Steis, le
pour panser les blessés dont plusieurs hurcontrôle ; je n'ai donc pas le droit de proun ans ; Henri Winterten, vingt-deux ans ;
soir même, à dix-neuf heures.
laient. Puis les gendarmes sont venus, qui
noncer un jugement au sujet de la tuerie de
Jean Metbach, vingt-quatre ans ; Louis
Mais, cette fois, ils étaient armés de fusils.
nous ont interrogés. Tout ce qu'on a pu
Charbonnier. Cependant, je puis vous dire
Zigler, trente-trois ans ; Jean Zigler,
Ce fut terrible. Les romanichels étaient
dire, les miens et moi, c'est que nous nous
que tous les romanis de Paris, à l'annonce
trente-deux ans ; Alfred Zigler, trente et
une quinzaine de chaque côté et, dès qu'ils
étions défendus parce que nous étions
de cette nouvelle, ont été profondément
un ans, inculpés de meurtre, de complicité
virent que leurs adversaires avaient des
attaqués.
émus.
et de port d'arme prohibée.
armes, les Metbach, les Winterten et les
— Vos fiançailles ? '
« Parce que, vous le savez, lorsque la
Zigler prirent les leurs. Et la fusillade éclata.
On apprit alors, détail navrant, que la
— J'ai eu tort, je le sais, mais je ne
guerre éclate entre deux clans de gitans,
femme Horneck avait été abattue par un
Pendant un quart d'heure, ce fut un véripensais pas que cette promesse de mariage
elle ne s'arrête pas comme cela du jour au
de ses enfants au moment où elle se précitable feu roulant, tandis qu'on entendait
faite à un membre d'une tribu ennemie
lendemain. Au contraire, elle dure longpitait au devant des assaillants pour empêcrier les femmes et les enfants. Quant aux
amènerait un tel drame. Si j'avais su...
temps, longtemps... »
cher la sanglante mêlée.
habitants de Charbonnier-les-Mines, ils
Et, d'un ton lamentable, elle répète
Il prit une tasse de thé, la but lentement
Puis la maréchaussée, afin d'éviter tout
s'étaient prudemment réfugiés et barricainlassablement :
et poursuivit :
dés chez eux.
incident, refoulèrent les Metbach, les Win— Si j'avais su... si j'avais su...
—
Chez nous, la mort appelle la mort.
terten et les Zigler au village d'Habet, où
Le maire du pays, M. Malfrett, seul,
Pauvre Georgette Metbach, que l'amour
II y en aura donc, par conséquent.
les romanis purent grouper leurs campefut courageux. Il fit appel aux chasseurs :
rendit aveugle au point de ne pas com— On ne peut pas éviter cela ?
ments à l'abri de leurs ennemis, entourés
— Venez, nous allons faire la police
prendre que les règles en vigueur chez les
— Impossible. Nos lois sont des lois
de leurs voitures bariolées.
nous-mêmes.
siens, les gitans, ne comportent jamais, en
qu'il ne faut pas transgresser : Georgette
Cependant, on vit, dans la soirée, pluPersonne ne voulut le suivre :
aucune façon, la moindre exception.
Metbach ne devait pas se fiancer, sans autosieurs romanichels quitter Habet.
— On aime mieux ne pas se mêler de
risation spéciale, avec un homme d'une
cela.
Peur ?
L'APPEL
Les
gendarmes
recueiltribu
ennemie.
Espoir de représailles ?
— Pourquoi ?
A LA HAINE firent des renseignements
— Lui aussi, alors, a des torts ?
Les gendarmes, malgré toute leur habi— Avec des gens pareils, on ne sait
nouveaux malgré les nom— L'un et l'autre en ont. C'est bien ce
leté, ne purent savoir de qui il s'agissait
jamais. Faut mieux alerter les gendarmes.
breuses difficultés qu'offrent toujours des
qu'il y a de terrible dans l'affaire. Car les
ni quel était le but de cette sortie nocturne.
Ce qu'on fit.
recherches
dans
le
monde
mystérieux
des
Mais, lorsque les gendarmes arrivèrent,
GKO GUASCO.
gitans ; et ces renseignements tendent à
(Suite page 14.)
pour la deuxième fois, le feu avait cessé et
L'INTERROGATOIRE Georgette Metprouver que la bataille entre les deux clans
les belligérants s'étaient dispersés. Sur le
DE GEORGETTE
bach, la resne fut pas aussi spontanée qu'on le croyait
champ de bataille, il y avait une morte,
ponsable invoLes armes du clan « agresseur ».
jusqu'à présent.
Thérèse Horneck, trente ans, mère de sept
lontaire du drame, est à Clermont-Ferrand,
Un
habitant
de
Brassac-les-Mines,
vilenfants, et une dizaine de blessés. Un de
dans un modeste hôtel, allongée sur un
lage voisin de Charbonnier, vint en effet
ceux-ci, Jean Steis, trente-six ans devait
Ut de fer qu'elle ne quitte pas depuis pludéclarer :
succomber peu après chez le docteur
sieurs jours, ne cessant de pleurer les morts
— J'avais remarqué les allées et venues,
Echegu, à Brassac, où il avait été transporté.
de sa famille.
en automobile, d'une femme de la tribu
des Steis, mie nommée Pauline Lafleur,
qui poussait à la bagarre les membres des
Les romanichels arrêtés arrivent à la gare de Clermont-Ferrand.
clans amis. « Il faut « démolir » les Metbach »,
disait-elle.
« Et quelle haine dans ses yeux, quelle
méchanceté dans sa voix !
— Croyez-vous qu'elle ait pris une part
active à l'attaque ?
— J'en suis persuadé. Je me demande
même si cette jeune femme n'a pas été
l'organisatrice de l'expédition punitive.
— Sur quoi basez-vous cette affirmation ?
— Sur le fait qu'elle avait l'air de commander. Elle doit être parente ou alliée
d'un grand chef romanichel.
En possession de cette déposition, les
gendarmes se lancèrent aussitôt à la recherche de Pauline Lafleur ; mais ce fut
en vain, cette dernière ayant disparu
de la contrée sans laisser la moindre trace.
Quant à ses parents, faisant preuve de
la plus évidente mauvaise foi, ils répondirent aux représentants de la maréchaussée
qui vinrent les interroger :
— Pauline ? Connaissons pas.
— Pauline Lafleur.
— Connaissons pas non plus.
— Elle habitait chez vous.
— Peut-être, mais elle n'y habite plus.
— Où est-elle partie ?
CLERMONT-FERRAND
(Do notre envoyé spécial.)
ENQUÊTE ET
ARRESTATIONS
un paisible eafe-dancing de Haut-deCagnes. Elles s'adonnaient, sans se gêner
à quelques rumbas et biguines, deux à
deux, lorsqu'un jeune homme, fort beau
garçon, ignorant ou faisant semblant
d'ignorer « la situation », vint inviter à
danser leur cadette, une ravissante NordAfricaine de seize à dix-sept ans qui accepta tandis que ses trois compagnes ainsi
que les autres clients « initiés «regardèrent
en souriant la scène.
Ce sourire des^trois femmes ne tarda
pas cependant, àyse transformer en une
expression inquiète lorsque le même jeune
homme revint à plusieurs ipèjjrises inviter
la jeune fille qui le suivit toujpurs sur la
piste, non seulement sans déplaisir, mais
sans la moindre hésitation.
— Partons ! proposa alors au bout d'un
court instant leur aînée. Je trouve que, ce
soir, ce n'est pas du tout amusant !...
— Comment ? Vous voulez vous en aller à dix heures et demie ? Restons
encore au moins une heure, implora la
jeune infidèle.
— J'ai sommeil, Myra. Alors à
moins que tu ne veuilles rentrer à
pied...
— Mais je ne demande pas mieux
que de raccompagner Mademoiselle
dans ma voiture... offrit avec candeur le jeune danseur.
ÎÀ'y,éé une figure d'enterrement,
■îles
trois
femmes restèrent
jusqu'à... minuit, jurant sur
toutes les saintes de Lesbos
et de ses environs de ne plus
jamais revenir à Cagnes.
du matin. II a dû aller faire un tour en auto
avec ses amis.
— Pas d'histoire î Vous savez où il est
et je veux que vous m'y conduisiez immédiatement
! Sinon, j'appelle la police.
RETENDEZ-V OUS
Les propriétaires, le personnel, les clients
connaître la
de cette boîte d'une rue voisine de la plage
Côte d'Azur ?
que tout Cannois connaît, en ignorant son
Certes, vous y
genre, un peu spécial, étaient franchement
êtes arrivés en
désemparés. Il pouvait être quatre heures
sleeping-car ou
du matin. Un gentleman venait d'arriver,
en modeste troidemandant deux jeunes hommes — dont
sième, en Hisson
fils —- qui avaient, en effet, passé là une
pano-Suiza ou
partie de la nuit. Il avait l'air d'un imporen 5 CV Citroën;
tant industriel ou d'un haut fonctionnaire
vous y avez
de province, son visage décidé ne laissant
passé
vos
aucun doute sur sa volonté de faire au
«congés payés » ou, tout un hiver, fait les
besoin un esclandre. Pour comble de
excursions traditionnelles à la Turbie et
malheur, la voiture de son fils, une petite
aux gorges du Loup, perdu quelques jetons
torpédo, le siège taché par le contenu de
aux casinos et risqué de timides essais de nudisme dans de petites criques isolées. Je " deux bouteilles de whisky cassées, stationnait devant la porte du dancing, témoivois alors votre air supérieur, car, bien
gnant que le jeune homme avait fait en ces
entendu, vous avez fait aussi de courtes
lieux un passage assez chaloupé.
apparitions dans les boîtes de nuit de
Le barman et le propriétaire essayèrent
Cannes et de Juan-les-Pins, et je vous ende calmer le père en lui promettant monts
tends même déclarer : « La Riviera, elle
et
merveilles à condition qu'il rentrât paime connaît ! »
siblement chez lui... lorsqu'un client pasMais vous oubliez qu'habiter l'avenue
d'Orléans ne veut pas toujours dire con- sablement ivre, mais ayant cependant
conservé assez de lucidité pour suivre la
naître les catacombes... et que la Côte
conversation, s'avança un verre à la main
d'Azur a aussi ses catacombes... Vous vous
vers le visiteur :
en êtes sûrement approchés, vous les avez
— Voyons, mon pote... ne fais pas l'idiot,
peut-être frôlées, mais, pour y pénétrer réellui dit-il en ricanant ; tout le monde sait
lement, il ne suffit pas de donner à l'entrée
que ton fils à papa est allé avec Robert...
trois francs et, à la sortie, un pourboire au
à la villa N... de Vence...
guide. Les guides de chez Cook, pas plus
— Tu dérailles salaud ! bondit le barque les brochures des Syndicats d'Initiaman furieux en se précipitant sur le
tive, n'en soufflent mot. Même si vous êtes
bavard.
journaliste, habitué à jeter le coup de sonde,
Au même instant, le visiteur sortit précià percer les coulisses des vaudevilles et des
pitamment de la boîte et sauta dans
drames, vous devez faire appel à toutes les
sa voiture.
ruses pour découvrir ce qui se cache der— Monsieur ! monsieur ! lui crièrent
rière la façade dorée, toujours majestueuse
propriétaire, barman et autres clients. Ce
et souriante du plus beau pays du monde.
n'est
pas vrai ! Votre fils n'est pas à Vence,
C'est alors cet autre visage qui appamais au Lavandou ! Ne partez pas ! Attenraît. Pour le connaître, suivez-moi...
dez î
GALANTERIE
Les
statisticiens,
L'homme n'hésita pas un quart de sePARTICULIÈRE
qu'on pourrait remconde et, au volant de son auto, démarra
placer en l'occurpour ne s'arrêter qu'une trentaine de kilorence par « les mauvaises langues », disent
mètres plus loin... à Vence. Là, grâce à un
qu'entre Toulon et Menton la moitié des
passant matinal, il n'eut aucun mal à troutouristes de « moins de quarante ans »
ver la villa indiquée, mais, à sa grande
vivent de l'amour.
surprise, il arriva en même temps qu'une
Je les soupçonne d'exagérer, mais je
autre voiture, conduite également par un
dois, cependant, constater que nombre
homme et qui venait de sens inverse.
de couples « Côte d'Azur » sont assez bizarLes deux automobilistes s'arrêtèrent, se
rement assortis, l'homme ou la femme, la
regardèrent un instant avec un mépris mufemme surtout, ayant souvent près d'un
tuel, pour ensuite éclater d'une même indidemi-siècle de plus que son partenaire.
gnation.
Les temps sont durs, n'est-ce pas ?
— Où est mon fils ?
à vous rendre impossibles les vacances pro— Où est ma femme ?
longées sans le secours d'un protecteur ou
— Satyre !
d'une protectrice... Mais la jeunesse sait
— Goujat !
se consoler derrière le dos de ces barbons.
— Votre fils, mais je ne le connais pas.
Et parfois aussi s'égarer...
— Je n'ai jamais vu votre femme !
— Je vous en supplie, monsieur, pas de
— Comment, vous n'êtes pas M... discandale !
sons... Dulong ?
— Où est mon fils ?
— Comment ? Ce n'est pas vous le triste
— Je vous donne ma parole d'honneur
sire qui racole dans cette ignoble boîte de
qu'il sera rentré chez vous avant neuf heures
Cannes... ?
Un couple « Cô/(V d'Azur ».
— Mais pas du tout î Je m'appelle Gabriel X...
— Et moi, Maurice Y...
— Je cherche mon fils, qui est tombé
dans les mains de ce salaud de Dulong...
— Et moi, ma femme qui, après avoir
passé -la nuit dans une boîte louche de
Saint-Paul...
— Comment votre femme ? Mais je
croyais que Dulong... enfin comment vous
dire...
— Mais je m'en f... de Dulong. C'est sa
g_ .. de femme qui détruit mon bonheur
conjugal !
0
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A peine le père écœuré venait-il de ramener son fils « égaré » par le premier train à
Lille et le mari outragé d'intenter un procès en divorce contre sa femme trop féminine qu'une nouvelle affaire non moins
cocasse survint pour alimenter lachronique
scandaleuse.
Un soir, quatre amazones de la « colonie
de femmes » de Saint-Paul se rendirent à
Elles tinrent d'ailleurs parole en se rendant
le surlendemain soir, bien loin de là, à Villefranche, pavoisée et en fête à l'occasion
de l'escale de quelques unités de la flotte
anglaise. A peine eurent-elles pris place dans
un des bistrots pittoresques du port où, au
son d'un orchestre improvisé, marins,
peintres, pêcheurs, filles et riches Américaines se mêlent dans un ensemble très
montparnassien, que le jeune homme surgit, enlevant la belle Myra pour la danse...
Dès ce jour, le petit jeu des « rencontres inattendues », aujourd'hui à Nice,
demain à Sainte-Maxime, après-demain à
Monte-Carlo, dura un mois entier. Jusqu'au
beau matin où le jeune homme (fils d'un
célèbre éditeur belge) reçut dans sa villa
de Cros-de-Cagnes la visite des trois
« amies » de son adorée.
— Monsieur, lui dirent à peu près les
trois amazones en furie, nous sommes toutes
trois d'excellentes tireuses, pugilistes et
même lutteuses, aussi, si vous ne tenez pas
à être défiguré, à recevoir une balle dans
le dos ou à être victime d'un « accident d'automobile mystérieux », quittez,
heureux d'avoir pu obtenir ses œillets
convoités, n'insista pas, sachant que rien
n'est plus difficile que de persuader les
gens de la vérité. Il se contenta sans doute
de sourire, comme fit, il y a quelques années sur la même Côte d'Azur, encore un
Américain, frère d'un grand artiste comique de l'écran. Celui-ci, également à
court d'argent, demanda un jour deux
places gratuites à un cinéma de Nice, qui
projetait un film de son frère, invoquant sa
parenté avec l'illustre acteur.
— Ces resquilleurs n'ont vraiment aucune pudeur, riposta furieux le directeur
du cinéma ; en voilà un qui ose prétendre
être le frère d'un homme qui, comme tout
le monde sait, est enfant unique !
Les directeurs de cinéma ne savent pas
tout.
0
Une autre aventure amoureuse de...
fauché, plus délicate et plus cocasse, arriva,
il y a peu de temps, à un jeune prince de
Hohenzollern. .
Beau garçon et « coureur »
réputé, il ne dédaigne pas, au
cours de ses fréquentes randonnées en Italie, de « faire
un saut » sur la Riviera
française, dans l'espoir d'y
rencontrer quelques nouvelles
âmes sœurs.
C'est ce qui lui valut un jour
de se faire conduire en voiture
à Nice, par une riche et jeune
Suédoise, dont il venait de
faire la connaissance à MonteCarlo.
Là, brûlant les étapes, le
couple ne tarda pas à entrer
dans un hôtel accueillant de
la rue de France, mais;
au moment de payer la
chambre... à l'avance, le
prince
s'aperçut qu'il
n'avait pas d'argent français sur lui. Il dut courir
après la jeune femme qui
La romantique fugue se termina en Égypte
par un heureux màriage.
aujourd'hui même, la Côte d'Azur.
— Je répondrai à vos menaces par une
autre, riposta le garçon nullement impressionné. Si vous ne laissez pas Myra faire ce
qu'il lui plaît, j'écrirai à sa mère, dont j'ai
l'adresse, et je lui apprendrai dans quel
milieu se trouve sa fille.
— Monsieur, nous pouvons vous épargner cette peine. Sa mère est une de nos
amies, et, dans la lettre que voici, elle
désapprouve complètement le flirt dangereux dans lequel vous avez entraîné
Myra.
— Quelle plaisanterie ! balbutia-t-il candidement, en lisant la lettre maternelle
dont le moins qu'on pût dire est qu'elle
était inattendue !
— Alors maintenant, vous êtes prévenu !
Bon voyage, sinon...
Suivant le conseil de ses chères visiteuses, il partit le soir même... mais avec
Myra. Cependant, dès son arrivée en Belgique, le couple fut appréhendé par la police qui, sur la plainte de la mère, voulait
ramener la jeune fille chez les bonnes
dames de Saint-Paul. Fort heureusement,
les autorités, mises au courant de la véritable situation, refusèrent de se prêter à
cèttemanœuvre. Aujourd'hui, Myra, placée
dans une pension de la Côte Belge, n'attend
que la décision de son tuteur, qui lui fut
désigné d'office, pour épouser son fiancé
et... sauveur.
0
0
Mais détrompez-vous, les histoires de ce
genre se terminent plus souvent par des
drames que par de riches mariages.
Pour rester dans le domaine des mineures, l'hiver dernier ne vit-on pas, parmi
les habitués d'un dancing niçois, dont les
spécialités sont justement les attractions
de seize, quinze et même quatorze ans, un
riche architecte arménien ? Celui-ci s'intéressait surtout à une petite Italienne, qui
aurait pu être sa petite-fille et à qui il promit ciel et terre, ou plus exactement une
voiture, des bijoux, un engagement au
cinéma.
Les promesses restant irréalisées, la jeune
prodige s'orienta bientôt vers d'autres
bienfaiteurs du même âge.
Puis,subitement, elle disparut de la côte,
partie, disait-on, en croisière. Enfin, elle
revint en avril et alla trouver son exbienfaiteur.
— Tu me dois assez de promesses, lui
dit-elle, pour qu'une fois tu puisses vraiment faire quelque chose pour moi. J'ai
trouvé une riche poire, un idiot de fils à
papa, fou de moi et prêt à m'épouser. Mais
je n'ai que quinze ans et demi et, mon père
étant émigré, les Italiens ne me donneront
jamais l'autorisation de me marier, il
faut donc que tu me procures un faux acte
de naissance italien qui prouverait que j'ai
au moins dix-neuf ou vingt ans.
Une fois de plus, l'Arménien promit
tout et, le même soir, eut l'étrange surprise
de rencontrer à la terrasse d'un café la petite
oie blanche en compagnie de... son propre
0
Un client passablement ivre
s'avança, un verre à la main,
vers le visiteur.
fils, mais qui, naturalisé et ayant fait son
service militaire en France, avait échangé
aussi son nom arménien contre un autre plus
gaulois.
— Permettez-moi de vous présenter mon
fiancé... M. Y..., un vieil ami de ma famille.
Surprise, bredouillement... et, comme
vous le devinez sans doute, le mariage n'eut
jamais lieu.
Transportons-nous de
Nice à Cannes. Ce n'était pas un richissime vieillard
d'Arménie, mais un authentique infant
d'Espagne, qui, quelques semaines avant
la guerre actuelle, vivait autour de la
Croisette, dans une purée des plus verdâtre. Il n'en était pas moins amoureux
d'un fort joli mannequin et ses dettes s'accumulaient chez le fleuriste.
Ce qui ne l'empêcha pas d'entrer un soir,
non sans hésitation, chez son fournisseur,
après s'être rendu compte, de l'extérieur,
que seule une vendeuse se trouvait dans
la boutique.
— Mademoiselle, dit-il à cette charmante
enfant, je suis honteux et confus, je vous
dois déjà le • prix d'une dizaine de roses,
mais, si vous avez du cœur, vous me ferez
encore crédit d'un bouquet de vos plus
beaux œillets. Je suis invité à dîner ce
soir par une jeune fille qui est le plus grand
amour de ma vie et j'ai exactement 2 fr. 75
en poche. Voici ma carte et je vous donne ma
parole d'infant d'Espagne que ma dette
antérieure, ainsi que celle-ci, seront payées
après-demain à six heures du soir.
La jeune vendeuse, sentimentale comme
il seyait à ses dix-neuf ans, jeta en souriant
un coup d'oeil machinal sur la carte pour
se tourner subitement et quelque peu dépitée vers son c lient :
— Naturellement, je veux bien vous
faire crédit d'un bouquet d'œillets, monsieur, mais pourquoi voulez-vous vous faire
passer à tout prix pour un prince espagnol ?
Tout porte à croire que l'infant, trop
AMOURS MONDAINES
AMOURS ROYALES
gravissait déjà les marches
le l'escalier et lui emprunter
quelque monnaie.
Cet incident, au fond banal
et innocent, suffit pour éveiller les soupçons de l'hôtelier qui, devant
la riche et jeune étrangère naïve et le
beau jeune homme qui lui faisait payer
la chambre après s'être fait conduire par
elle, pensa tout de suite à une affaire de
traite de blanches î
Raconter ses soupçons par téléphone à
un inspecteur de police ne fut l'œuvre que
de quelques instants. Arrivé sans retard,
le policier eut cependant le tact d'attendre
avec patience la sortie du couple et ce ne
fut que lorsque celui-ci fut remonté en voiture que, sous un prétexte quelconque, il
Celui-ci s'intéressait surtout à une petite
Italienne, qui aurait pu être sa petite-fille.
lui demanda ses papiers... et tranquillisa
l'hôtelier I
UNE NUIT D'AMOUR
DE 100 000 FRANCS
POUR RIEN.
Mais, s'il arrive fréquemment
aux
amoureux de
la Côte d'Azur de n'avoir plus de quoi
payer leur bouquet de roses ou leur...
chambre d'hôtel, la Riviera ne manque
pas
non
plus
d'amateurs galants,
prêts à donner des sommes respectables,
pour une nuit... ou une heure d'amour,
Cependant, verser cent mille francs
d'avance à une belle pour finir par lui
poser un lapin, c'est une aventure qui n'arrive pas tous les jours, même aux bords de
la Méditerranée.
Cette incroyable prodigalité débuta au
bar du Casino de Juan-les-Pins où un
riche aristocrate hongrois (qui, ainsi que
sa femme, comptait parmi les assidus des
salles de jeu) regardait avec une admiration
croissante une ravissante jeune femme assez
légèrement vêtue. Il lia enfin conversation
avec elle, puis, encouragé par le Champagne
et les œillades de la belle :
— Mademoiselle, s'écria-t-il, vous êtes
si belle... que je donnerais... je donnerais...
je ne sais ce que je donnerais pour passer
une nuit avec vous !
— Eh bien, combien donneriez-vous ?
demanda l'ange en question.
— Combien î Vous demandez combien ?
Mais... tous les jetons que j'ai en poche.
Attendez que je les compte... 20, 30, 60,
90... 100 000 francs. Les voici!
— Vous plaisantez, monsieur. Mais...
ce n'est pas passible !
— Je ne plaisante pas et je vous donne
les jetons tout de suite. Où habitez-vous 1
Encore sous le coup de sa première stupeur, elle nomma une petite pension de
troisième ordre..
— Ah !... ça ne va pas. On me connaît
trop à Juan pour que je puisse aller passer
une nuit dans votre pension. Si ma femme
n'était pas ici, je vous demanderais de venir chez moi... Mais rien n'est plus simple :
vous allez prendre une chambre pour une
nuit au palace où j'habite moi-même. Et
demain, à minuit et demie, vous en laisserez ouverte la porte... Maintenant au revoir... à demain... Ma femme et mes partenaires m'attendent au « bac ».
Il disparut, laissant la jeûne fille fort
perplexe et les mains remplies de jetons.
Les deux témoins de la scène, deux amis
du Hongrois, lui affirmèrent que cette
« plaisanterie » était très sérieuse. Elle finit
par y croire et emménagea le lendemain
dans le palace où, à partir de minuit et
demie, elle attendit non sans émotion l'arrivée de son riche amoureux.
Elle attendit une heure... deux heures...
trois heures... puis s'habilla et, n'osant rien
demander au portier, elle retourna au casino, non seulement surprise, mais blessée
dans son amour-propre, pour'y apprendre
que le Hongrois, en train de livrer une des
plus grandes batailles de « 30 et 40 » de la
saison..., avait complètement oublié le
rendez-vous ! Il y aurait sans doute songé
un peu plus tard, si, après avoir gagné une
somme considérable, il n'avait reçu un coup
de téléphone de Budapest qui le décida à
partir sur-le-champ.
(Suite page 12.)
MONIQUE SERGE.
La lamé était légèrement recourbée et adaptée
à un manche de bois.
RÉSUMÉ
DES
CHAPITRES
PRÉCÉDENTS.
Chargé de trouver qui a tué l'acteur de
cinéma Leslie Delmond dans l'appartement de l'artiste londonienne Laureen,
l'inspecteur Reynolds va de mystère en
mystère. Il soupçonne Laureen et son ami
le millionnaire Lansberg; il soupçonne
aussi une certaine Valérie Baird qui,
sans qu'il le sache, s'est évadée d'un hôpital
où elle avait été amenée à la suite d'un
accident; il recherche un homme sans
pouce et un mystérieux Tony, que sont
venus chercher à Paris deux amis de
Laureen, le peintre Dick Spencer et Lady
Avice. Au moment où il se croit sur le
point de découvrir Tony, il s'aperçoit qu'il
a été joué par Lady Avice. Et l'affaire se
complique, car, à son tour, Lady Avice est
partie en avion avec un homme qui, sans
doute, est Tony. Déçu, Reynolds rentre à
Londres. Mais, pendant son voyage, son
frère est arrivé dans cette ville, revenant
des colonies; en rentrant du cinéma avec
sa belle-sœur, il est grièvement blessé par
un inconnu d'un coup de couteau dans le
dos.
XIX (1).
Empreintes digitales»
Reynolds était comme un
cheval qui sent l'écurie lorsqu'il descendit du train, le mercredi soir, avec
Spencer.
L
'INSPECTEUR
(1) Voir Police-Magazine, n" 391 à 407.
— Vous me trouverez à mon
atelier ce soir, inspecteur, annonça
u le peintre. Ou, si vous préférez,
f j'irai vous trouver à Scotland Yard.
— Je vous téléphonerai demain
matin, répondit le détective distraitement.
Il avait d'autres choses plus importantes à faire. « Une voix de fausset ? »
C'était peut-être la solution de cet appel
téléphonique. Était-ce la voix de Delmond avant quILfût assassiné ? Mrs.
Carter avait e^ëntlulies votxrd'hommes
par le tube acoustique. Était-ce l'un
d'eux qui avait parlé au téléphone ?
Reynolds entra dans son bureau d'un
pas vif, comme w^n-Kqridervoyagerà:
Paris ne lui avait causé aucune fatigue.
— Eh bien! Jenkins, vous«vez reçu
mes télégrammes ? Quoi de neuf? demanda-t-il.
Jenkins se leva, le vJsage_sombre ;
~ii jouait avec un porte-plume;
— J'ai de mauvaises nouvelles pour
vous, commença-t-il.
L'inspecteur le regarda, les sourcils
froncés.
— Lady Avice Garth n'est pas rentrée
chez elle ? demanda-t-il.
Jenkins secoua la tête.
— C'est votre frère, monsieur. II a
reçu un coup de couteau hier soir, vers
onze heures et demie, dans votre jardin.
Mrs. Reynolds l'a trouvé et a téléphoné.
Heureusement, le docteur Tempest a
bon espoir : il le sauvera !
— Bill ! s'écria Reynolds, stupéfait,
mais il n'a pas un seul ennemi !
Puis une lumière se fit en lui :
— On l'a pris pour moi, nous sommes
à peu près de la même taille.
Reynolds serra les poings; il remuerait
ciel et terre, mais ne laisserait pas ce
crime impuni.
— Je trouverai le scélérat qui a blessé
mon frère 'ou je changerai de métier !
Jenkins eut l'air soucieux :
— Je suppose que ce n'est pas quelqu'un
qui a trempé dans l'autre crime, suggéra-til.
Son chef réfléchit une minute.
Certainement aucune femme n'aurait pu
faire cela. Bill était très fort; quant à
Lansberg, c'était in\Taisemblable. Spencer, Tony et l'homme sans pouce étaient à
Paris au'moment de l'attentat.
— Non, répondit-il lentement, je ne
crois pas. D'ailleurs comment connaîtraiton mon adresse ? Il y a des douzaines de
Reynolds dans l'annuaire et la situation
n'est pas spécifiée.
Jenkins regarda son chef. Il se rappelait
qu'il avait outrepassé ses instructions et
qu'il avait un aveu à faire, car le souvenir
lui revenait que, sur le bureau de Lansberg, il avait vu l'adresse particulière de
l'inspecteur Reynolds écrite sur une feuille
de papier.
Le détective regarda le visage égaré de
Jenkins avec étonnement. Que diable
avait son fidèle collaborateur ? Ce n'était
pas son frère à lui qui avait été blessé I
— Avez-vous le couteau avec lequel on
l'a frappé ? demanda Reynolds.
Jenkins ouvrit un tiroir et en sortit une
boîte en carton.
— Il est là, monsieur. Le docteur a eu
soin de ne pas toucher le manche.
L'inspecteur souleva le couvercle et
regarda l'arme. La lame était légèrement
recourbée et adaptée à un manche de bois.
— On n'en voit pas beaucoup de ce
modèle, grommela Reynolds, en repoussant
la boîte avec un frisson. Des empreintes
digitales ?
Avant de répondre, Jenkins referma la
boîte dans le tiroir.
— Trois sortes différentes. Elles sont un
peu les unes sur les autres, mais cependant très distinctes. La main droite dans
chaque cas. Deux de ces empreintes
ont été identifiées.
Reynolds se leva d'un bond.
— Un pouce manque ? demandat-il.
Jenkins secoua la tête, et Reynolds
ajouta :
— Non, c'est vrai, l'homme était
à Paris, mais il aurait pu manier
le couteau avant.
Soudain, il remarqua l'air soucieux
de son collaborateur et les gouttes
de sueur qui perlaient sur son
front.
— Qu'avez-vous donc ? Etes-vous
malade ?
Jenkins poussa un soupir :
— Non, monsieur, mais je suis
dans de jolis draps ! Quand vous
êtes parti pour Paris, j'ai essayé
d'être habile et de vous aider.
Je crains d'être responsable de
l'accident arrivé à votre frère.
— Vous, responsable ! répéta
le détective. Etes-vous fou ?
Asseyez-vous, Jenkins et ditesmoi tout.
Jenkins se laissa tomber dans
un fauteuil et raconta comment il s'était introduit
chez Lansberg, sa ruse pour
s'emparer de la clé, ses
Pourquoi Néron aurait-il
caché cette chemise et ce gilet
sous le matelas ?
recherches
dans l'apparcoffrefort avec sa merveilleuse collection de pierreries.
Le détective l'interrompit :
^^'^siu4trange,-remarqua-t-il, les célibataires ne collectionnent pas en géff~
les diadèmes, les colliers et les
comme vous en avez vu dans ce coffre
—fort, à moins~q"gîls^iie~soieM mnnaisseurs
ou voleurs. Lansberg semble trop austère
pmir ftntrpr dans la première catégorie
et trop riche pour la seconde. Continuez
votre histoire, Jenkins. Vous avez refermé
le coffre-fort et vous êtes parti sans que
personne vous voie ?
Jenkins s'épongea le front.
— C'est là le malheur, monsieur. Je n'a*
pas pu refermer ce maudit coffre-focL'
J'avais décidé de partir quand j'ai entendu
quelqu'un qui entrait.
L'inspecteur Reynolds se leva et arpent
la pièce d'un air sombre. Jenkins le suivait
des yeux, s'attendant à de violents reproches.
A sa grande surprise, il n'en reçut pas.
Une main se posa sur son épaule et Reynolds remarqua d'une voix bienveillante :
— Vous avez risqué gr^s.
(
Le jeune homme prit un paquet, l'ouvrit et montra à l'inspecteur
étonné une chemise empesée
et un gilet de soie.
— J'ai trouvé cela sous le
matelas dans la chambre du
domestique, monsieur, déclara-t-il.
Il montra une balafre dans le
plastron empesé et une autre dans
le gilet.
Reynolds examina les deux vêtements à la loupe.
•— La chemise n'a pas été complètement transpercée et sans doute
la peau n'a pas été atteinte, annonça-t-il.
Jenkins avait encore une révélation à faire.
— Sur la dernière étagère du
coffre-fort de Mr. Lansberg, monsieur, j'ai vu le couteau qui a
frappé votrefrère, dit-il lentement.
L'inspecteur Reynolds tressaillit.
Il devinait la suite des événements.
Le domestique de Lansberg avait
trouvé le coffre-fort ouvert et
deviné que l'inspecteur avait
fouillé l'appartement. Reynolds se
rappelait l'hostilité qu'il avait lue
dans les yeux de Néron. Son
dévouement à Lansberg était évident. Autrement, pourquoi auraitil caché cette chemise et ce gilet sous son
matelas ?
Quand il s'était aperçu que ces deux
pièces à conviction lui avaient été dérobées,
saisi d'un désir de vengeance, il avait pris
l'arme dans le coffre-fort et avait erré devant
la maison de Reynolds, dans l'obscurité.
Une autre idée frappa le détective. Comment ce couteau se trouvait-il dans le
coffre-fort de Lansberg ? A qui l'avait-il
pris et quand ?
Il se hâta de demander :
— De qui étaient les empreintes digitales qu'on a trouvées sur le manche ?
— Celles de Lansberg et celles de Delmond.
— Lansberg 5 s'écria le détective. Vous
en êtes sûr ?
— Nous avons relevé ses empreintes sur
un étui à cigarettes laissé dans l'appartement de Laureen, répliqua Jenkins, et de
nouvelles aujourd'hui sur le volant de son
auto.
Reynolds donna un coup de poing sur la
table.
— Voyez-vous ce que cela signifie, Jenkins ? Ce couteau devait appartenir à Delmond et il a évidemment frappé Lansberg
la nuit où il a été assassiné, comme cette
chemise trouée le prouve. Ainsi Lansberg
était dans l'appartement de Laureen. Il a
dû saisir le couteau après avoir chloroformé Delmond et l'a enfermé dans son
coffre-fort... Des papillons ! continua-t-il.
Dans ce cas le papillon a des cheveux dorés
et un joli visage !... Je me demande comment il va expliquer tout cela.
— Voudriez-vous les empreintes digitales du domestique de Lansberg ? demanda
Jenkins.
— Je les aurai, je vous en donne ma
parole ! s'écria l'inspecteur. Elles me sont
indispensables.
Il se calma un peu. Son imagination ne
l'entraînait-elle pas trop loin ? Pourquoi
un homme dans la situation de Lansberg
commettrait-il un assassinat ? Certainement pas pour obtenir la main de Laureen,
qui, à moins que Reynolds ne se trompât
beaucoup, détestait Delmond et n'avait
que de la sympathie pour Lansberg.
Et comment expliquer aussi le rôle de
"4HëiBSèn£f-'-le
II fouilla les tiroirs,
les placards, enleva
les tableaux de leur cadre et les jeta par terre.
Tony, de Spencer, de Lady Avice et de Mrs. de
Groot ? Et Valérie Baird ? Et le paquet de lettres ?
Et qui était l'homme sans pouce qui, sans aucun
doute, avait séjourné dans l'appartement de Laureen comme le prouvaient les empreintes relevées sur
la table ?
Reynolds décida qu'il n'avait pas encore atteint la
vérité.
— A-t-on surveiller les ports ? demanda-t-il brusquement.
Le visage de Jenkins s'assombrit.
— Aucune nouvelle de ce côté-là, monsieur,
répondit-il. On n'a vu nulle part un homme sans
pouce.
Son chef ne montra aucun signe de désappointement.
— Je m'y attendais. Téléphonez à Lady Avice Garth,
Warnham House, et, si elle est arrivée, dites que je
veux lui parler.
Jenkins demanda le numéro et tendit le récepteur.
— Ici, l'inspecteur Reynolds, de Scotland Yard...
Elle a laissé un message. Voulez-vous me le répéter ?
Il couvrit le récepteur de sa main et se tourna vers
Jenkins.
— Prenez cette conversation en sténo, chuchotat-il. « Lady Avice Garth est arrivée à quatre
heures et a dit qu'elle se rendrait à Scotland Yard à
onze heures du matin demain jeudi, pour voir l'inspecteur Reynolds », répéta-t-il.
«Lady Avice Garthétait-elle .seule quand elle est
arrivée
Oui... Où est-elle allée maintenant ?... Elle
ne l'a pas dit. »
•'
B raccrocha avec colère.
— Cette maudite affaire finira par me faire perdre
la tête, Jenkins. Il y à trop de femmes là-dedans et
les hommes ne veulent pas parler. Ils font tous leur
petit Don Quichotte, mais cela complique terriblement ma tâche.
A ce moment, on frappa à la porte et il cria :
« Entrez y.
— Un homme demande à vous voir, monsieur,
annonça un agent. Il croit que Delmond a pris
pension chez lui.
—■ Faites-le monter tout de suite, ordonna Reynolds.
Un homme chétif, aux yeux mobiles entra et
s'assit sur l'invitation de l'inspecteur.
— Vous croyez que l'homme assassiné a pris
pension chez vous ? demanda brusquement Reynolds.
— J'ai reconnu la photo dans le journal et je crois
bien que c'est lui qui a occupé
une chambre dans mon hôtel
jusqu'à dimanche dernier.
L'inspecteur 1 ' e x a m i n a
attentivement.
— C'est aujourd'hui jeudi,
remarqua-t-îl. Les photos ont
paru dans le journ^dès lundi
matin. Il vous a fallu deux
jours pour le .reconnaître ?
L'homme s'agita avec inquiétude.
— On n'aime pas beaucoup- à être
mêlé à une histoire d'assassinat, gémitil.
— Où se trouve votre hôtel ?
— Près d'Euston Station, répondit
l'homme. D'ailleurs, je ne savais pas
qu'il s'appelait Delmond. Il avait donné
comme nom Leslie Jackson. La porte
est fermée à clé et il a emporté la clé.
— J'irai vous voir demain, promit
l'inspecteur. Combien de temps a-t-il logé chez vous ?
— Un mois. Il payait bien et ne donnait aucun ennui ;
il était dehors toute la journée. Aussi, comme je
n'avais pas à me plaindre de lui, j'ai pensé que
j'attendrais son retour.
— Et la photographie vous a appris qu'il avait été
assassiné, observa le détective. Recevait-il des visiteurs ou des lettres ?
— Aucune lettre n'est arrivée pour lui, mais j'ai
trouvé une fois, une enveloppe déchirée adressée à
L. Delmond, poste restante, Charing Cross. C'est
probablement là qu'il faisait adresser son courrier.
Quant à ses visiteurs, je ne m'occupe pas des affaires
des autres tant qu'on me paie et qu'on ne fait pas
de chahut.
v
— Répondez à ma question, insista l'inspecteur.
Avez-vous jamais vu quelqu'un chez lui ?
-— Je crois qu'une dame, un jour, est montée à
sa chambre, mais je n'en suis pas sûr.
— Mince et jeune ? Blonde ou brune ? demanda
l'inspecteur.
— Ni l'un ni l'autre, affirma l'homme. Elle était
d'un certain âge avec des cheveux gris et une toilette
élégante. On voyait que c'était quelqu'un de la haute.
— Vous êtes sûr qu'elle était d'un certain âge ? questionna l'inspecteur. N'était-ce pas une jeune femme
déguisée ?
— Sûrement non. D'ailleurs, je la connais, je l'ai
revue depuis.
— Où ?
— Je suis allé voir jouer Laureen lundi soir ; j'étais
au parterre. Dans une loge, j'ai reconnu la dame que
j'avais vue chez moi et j'ai demandé son nom à l'ouvreuse.
Le détective réprima son impatience :
— Et qui était-ce? demanda-t-il.
—■ La comtesse de Warnham ; sa nièce l'accompagnait, elle s'appelle Lady Avice Garth.
XX
EiSk
troisième clé.
La comtesse de "Warnham ! répéta le détective
quand l'hôtelier fut parti. Vous avez entendu,
Jenkins ? Encore une femme ! Je me demande
pourquoi Delmond avait tant de succès.
Jenkins haussa les épaules :
— D était assez beau, à en juger d'après ses
photographies. D'ailleurs, un acteur de cinéma a toujours un certain prestige.
— Du prestige ! s'écria Reynolds avec dédain.
Une femme de l'âge et du rang de la comtesse de
Warnham ne se laisse pas éblouir si facilement. Et
cette Américaine, Mrs. de Groot ? Elle a bien trente
ans, ce n'est plus une ingénue. Cependant, elle
était folle de lui.
— N'exerçait-il pas sur elles une sorte de chantage, monsieur ? suggéra Jenkins.
— Peut-être ; mais l'amour de Marie de Groot pour
Leslie Delmond était sincère. En apprenant sa mort,
elle a eu beaucoup de chagrin. Elle a même été jalouse
de son amie Lady Avice quand elle a su que celle-ci
avait écrit à Delmond récemment.
L'inspecteur avait raconté son séjour à Paris à
son collaborateur. Il avait grande confiance en
Jenkins.
— Vous avez fait du bon
travail à Paris, monsieur,
commenta Jenkins. Vous
êtes maintenant sûr que l'homme sans
pouce connaît'Mrs. de Groot et Lady Avice .
Vous avez découvert le lien qui existe
entre Mrs. de Groot et Delmond. Et vous
savez que Tony est mêlé à toute l'histoire.
Voulez-vous que je consulte la généalogie
de Lady Avice ? demanda-t-il.
Reynold fit un signe affirmatif.
— Dites-moi tout ce que vous pourrez
trouver sur elle et sa famille, dit-il. Je sais
seulement qu'ils sont presque sans le sou
et que le père dé Lady Avice, le comte de
Brentshire, est un vieux joueur qui ne
quitte guère Monte Carlo.
Au bout d'un moment, Jenkins leva les
yeux du gros livre rouge qu'il feuilletait.
— Lady Avice a trois frères, annonça-t-il,
et le plus jeune s'appelle Anthony.
— Ah, ah ! s'écria l'inspecteur. Tony
est l'abrégé d'Anthony.
Il prit le récepteur et demanda un numéro.
Après une brève conversation, H raccrocha, l'air très satisfait.
— Le frère aîné de Lady Avice est aux
Indes avec son régiment. Les deux plus
jeunes sont à l'étranger et on ne les a pas
vus depuis des années. L'un était dans la
diplomatie, mais a donné sa démission.
L'autre s'occupait d'art et on suppose
qu'il est à Paris dans une banque. C'est
notre Tony, j'en mettrais la main au feu.
Il jeta un coup d'ceil à sa montre.
— Eh bien, j'en ai assez pour ce soir.
Si on téléphone, de la clinique, dites qu'on
m'appelle chez moi. Bonsoir.
La rue était déserte. Quelques secondes
auparavant, l'agent de garde avait fait sa
ronde en projetant le rayon de sa lampe
électrique sur chaque porte.
Un homme tourna le coin ; il marcha
rapidement jusqu'à ce qu'il eût atteint la
maison qu'il cherchait. Et il jeta un regard
furtif autour de lui, puis disparut sans bruit
à l'intérieur.
Il s'arrêta devant la porte de l'appartement, tendit l'oreille et sonna. Son cœur
battit en entendant le petit carillon, mais
personne ne vint. Après quelques minutes
d'attente, il introduisit une clé dans la
serrure. Il entra, referma la porte et resta
immobile dans le vestibule obscur. Le
silence n'était troublé que par le bruit des
voitures qui passaient dans la rue. A pas de
loup, il fit le tour de l'appartement. Sûr
qu'il était seul, il se mit enfin au travail.
D'abord il fouilla les tiroirs et les placards
lentement et avec méthode. Comme il ne
trouvait pas ce qu'il cherchait, des gouttes
de sueur parurent sur son front. Il commençait à perdre son sang-froid ; il éventra
des coussins et des fauteuils avec un couteau emprunté à la cuisine, enleva les
tableaux de leurs cadres et les jeta par
terre.
Une porte était fermée à clé, mais il
l'enfonça facilement d'un coup d'épaule.
Dans l'intérieur de la pièce se trouvait un
grand fauteuil de cuir. Il s'agenouilla
devant, espérant que ce meuble avait pu
servir de cachette, mais ce fut en vain.
L'inconnu revint dans le vestibule,
titubant comme s'il avait bu et sans
crainte maintenant d'être vu ou entendu.
Il ferma la porte derrière lui et descendit.
Il arriva à l'Embankment et s'assit
sur un banc, frissonnant bien que la soirée
fût chaude. Lorsqu'un agent s'approchait
de lui, il se levait, faisait quelques pas et
revenait s'asseoir.
Vers l'aube, son désespoir parut se
calmer. Il traversa un pont et se dirigea
vers la chambre qu'il occupait dans une
rue sordide, au sud de la Tamise.
Le jeudi matin, de bonne heure, l'inspecteur Reynolds téléphona à la clinique
et apprit que Bill avait passé une bonne
nuit. Un peu rassuré, il se rendit à Euston
pour examiner la chambre de Delmond.
— Où étiez-vous quand la comtesse
de "Warnham est venue ? demanda-t-il à
l'hôtelier.
Je l'ai croisée dans l'escalier.
— Peut-être allait-elle voir quelqu'un
au premier ou au second étage, insinua le
détective.
L'hôtelier le regarda d'un air sceptique.
— Alors qu'aurait-elle fait dans l'escalier du troisième ? riposta-t-il.
Reynolds hocha la tête.
— Qui habite au troisième étage et audessus ? demanda-t-il.
— Un homme et sa femme qui ne rentrent que le soir ont la chambre voisine
de celle de Mr. Leslie Jackson ou Delmond.
A cet étage, il n'y a qu'une autre pièce
qui est libre depuis des semaines. Au quatrième, habitent quatre commis de magasins qui sont mes locataires depuis quatre
ans.
— Vous étiez donc sûr que cette dame
allait voir Delmond puisque les autres
locataires étaient sortis ?
— Je l'ai supposé, c'est tout, dit l'homme
maussade.
L'inspecteur leva le doigt :
— Écoutez-moi bien, mon garçon, ditil. Si vous ne répondez pas volontiers à
mes questions, vous y répondrez de force.
Conduisez-moi à la chambre de Delmond.
— Elle est fermée à clé, monsieur, et le
locataire a emporté la clé.
— Nous essaierons celle-ci. Je l'ai
trouvée dans la poche de Delmond.
Sur le palier du troisième étage, l'hôtelier s'arrêta et indiqua une porte.
— C'est sa chambre, monsieur, dit-il
poliment. Je vous montrerai les autres si
cela vous intéresse.
Il ouvrit les deux autres portes ; l'une des
pièces ne paraissait pas habitée ; l'autre
l'était, mais les locataires étaient sortis.
Reynolds introduisit dans la serrure la
clé qu'il avait trouvée sur le mort et entra
dans une chambre assez spacieuse. Il
regarda autour de lui : les objets qui couvraient la table de toilette et la cheminée
en disaient long sur le caractère de Delmond.
L'inspecteur vit une bouteille de parfum,
un vaporisateur, une boîte de poudre, un
onglier, de la brillantine et des brosses à
monture d'argent. Une pile de romans et
de vieux journaux occupaient les chaises.
Sur la cheminée s'étalaient diverses
photographies d'étoiles de cinéma. Il y
avait bien aussi une demi-douzaine de
portraits du mort dans divers costumes.
^L'armoire et la commode montraient
que Delmond était amateur d'une élégance un peu vulgaire.
Reynolds fouilla les poches, mais ne
trouva que de vieux tickets d'autobus.
— Où sont ses
? demanVers l'aube, ilsedirigea bagages
vers sa cliambre, dans da-t-il.
L'hôtelier
une rue sordidemi bord ouvrit
un placard
de la Tamise.
et en tira deux
valises. L'une
était vide. Dans
l'autre, l'inspecteur trouva un
petit coffret. Il
l'ouvrit avec une
des clés trouvées
sur Delmond et le
referma en
voyant qu'il
contenait des papiers.
— Je vais
prendre cela^ annonça-t-il.
Cette chambre
sera de nouveau
fermée à clé. Personne ne doit y
entrer sàns ma
permission.
—- Bien, monsieur, répondit
l'hôtelier.
— Vous rappelez-vous quel
jour la vieille
dame est venue
voir Delmond ?
demanda le détective.
— Oui, monsieur, répondit
promp tement
l'homme. Vendredi dernier, vers trois heures
de l'après-midi. C'était le
28 juin, deux jours avant
l'assassinat de Mr. Delmond.
— Comment se fait-îî
que vous en ayez gardé
un souvenir si précis ?
demanda l'inspecteur
d'un ton soupçonneux.
— B. avait plu toute
la nuit et, le matin, mes
locataires qui logent au
quatrième m'ont dit que
l'eau entrait dans leur
chambre. Je suis allé
voir l'après-midi, et je
me rappelle bien que
c'était vendredi.
— Vous avez le téléphone ? demanda
l'inspecteur.
L'homme montra un renfoncement derrière la porte du vestibule. .
— Avez-vous jamais entendu Delmond
téléphoner à quelqu'un ?
' L'hôtelier secoua la tête :
— Il n'a jamais appelé quelqu'un autant
que je sache, mais, une ou deux fois, on
l'a demandé. Chaque fois c'était une femme
qui parlait, assez jeune, je crois.
— Vous ne vous rappelez pas quel jour
on Ta appelé au téléphone ?
L'homme réfléchit une minute :
— On a dû l'appeler jeudi ou vendredi
dernier. La seconde fois, c'était dimanche
dernier vers une heure et demie. J'étais
en train de dîner.
B indiqua la pièce près du téléphone.
Les yeux du détective brillèrent.
— Continuez, dit-il.
— J'ai appelé Mr. Delmond. Il est
descendu tout de suite, mais je n'ai pu
entendre la conversation, excepté qu'il
disait : * Vous n'avez donc rien à ajouter
à votre lettre ? Eh bien ! nous verrons ».
« Il a ouvert la porte et m'a remercié
et m'a dit : « Votre dîner sent bon ». Je
lui ai répondu en riant : « Je vous invite ».
Mais il a répliqué qu'il était obligé de
sortir. Je ne l'ai plus revu, ajouta l'homme.
—■ Une dame l'appelle au téléphone
jeudi. La comtesse de Warnham vient le
voir vendredi à trois heures et demie et la
première dame le rappelle à une heure et
demie le dimanche 30 juin, résuma l'inspecteur.
C'est cela, monsieur, répondit l'hôtelier.
— Qui répond au téléphone quand vous
n'êtes pas là ?
— Personne. Ma femme est sourde
comme un pot, et la vieille bonne ne saurait
pas répondre.
Dans son bureau, Reynolds ouvrit le
coffret et examina avec soin le contenu.
Il trouva plusieurs lettres signées Marie.
Elles étaient très affectueuses et annonçaient des envois d'argent : elles venaient
sans doute de Mrs. de Groot. Il y avait
aussi quelques bijoux sans valeur, des
boutons de manchette et des épingles de
cravate. Trois photographies découpées
dans des magazines. Sur l'une d'elles
l'adresse de l'appartement de Laureen
était écrite au crayon, n y avait aussi
(Suite page 15.)
ELAINE HAMILTON.
(Traduit et adapté de l'anglais par JANE
FOURNIER-PARGOIRE.)
9
La
EN étais à
ma troisième semaine de démarches
et à ma huitième ou neuvième « sollicitud » (2) dûment timbrée et taxée au
prix fort.
Le consulat et l'ambassade de France
venus à la rescousse, harcelaient de leurs
recommandations officielles le ministère
de la Marine, seul qualifié, paraît-il, pour
me permettre de débarquer en Terre de
Feu argentine et d'y séjourner.
Au cours d'un dîner diplomatique, le dernier de la saison,
l'ambassadeur de France en personne, voisin de table du
ministre, plaida ma cause avec chaleur et crut bien que
la partie était gagnée. Et je m'en réjouis, car le mois de
janvier à Buenos Ayres, lourd et humide, y est proprement
insupportable. Mais le ministre, qui n'aimait pas les journalistes et encore moins lès responsabilités uniques, lui écrivit
le lendemain même une lettre courtoise, mais où il déclarait son regret « bien sincère » de ne pouvoir m'accorder
aucun visa, sans l'approbation écrite de ses distingués collègues de la Justice et de l'Instruction publique...
Tout était à recommencer : entrevues diverses, sollicituds
sur papier réglementaire à trois pesos, et les indispensables
propinas (3) pour éviter « qu'elles ne s'égarent d'un ministère
à.l'autre ».
Le thermomètre se maintenant ferme au-dessus de quarante
degrés à l'ombre, je vis ainsi quantité de cabaUeros suprêmement élégants dans leurs blancs palm-beaches tropicaux,
gominés et manucurés à ravir et tous d'une exquise affabilité, mais dont, par malheur, la réponse était toujours remise
à la manana ou lendemain.
Naïf et convaincu, je revenais à la manana, exact
au rendez-vous à une minute près. Et naturellement le
caballero-fonctionnaire se trouvait soit en congé, soit au chevet lointain de sa mère malade. Cosas de Argentina!
Je n'avais même pas la ressource de me passer de cette
autorisation et de tenter l'aventure à mes risques et périls,
car la Terre de Feu argentine et son unique port et ville,
Ushuaïa, ne sont desservis, par aucune ligne régulière de
navigation. Des vedettes de la marine de guerre assurent
seules pendant les trois mois de l'été des communications
bi-mensuelles entre Magallanes (ex-Punta Arenas), port d'escale des lignes commerciales Buenos Ayres-Valparaiso; et
la « capitale » du Territorio de Tierra de Fuego...
EN ROUTE POUR LES
« DÉTROITS » AVEC CEUX
DE LA CROISIÈRE
Et puis, en moins
d'une semaine, les
choses s'arrangèrent
d'elles-mêmes et sans
le secours du ministère. La « Hamburg-Sudamerikanische », ne négligeant ni ses affaires en baisse
notable faute d'émigrants, ni le prestige du pavillon à
croix gammée, organisait une croisière populaire dans
les détroits fuégiens. Trois cents pesos (1 200 francs
français à l'époque) pour seize jours de mer et de fraîcheur, ce n'était pas cher ; les inscriptions affluèrent.
L'itinéraire prévoyant une courte escale à Ushuaïa,
; la mienne ne fut pas la dernière. Bien entendu, les passagers n'étaient pas autorisés à y débarquer pour
« raisons politiques », mais je comptais bien me
« débrouiller ».
Le ministre de la Justice, « sportivement », m'évita
cette peine possible. Lorsqu'un beau matin de février
le « troisièmes classes uniques » Monte Pascoal leva
l'ancre pour la croisière, je possédais un laissez-passer
en bonne et due forme pour le directeur du pénitencier
de Terre de Feu...
De haut en bas : Je possédais un laissez
passer en bonne et due forme pour le pénitencier de Terre de Feu.
Les derniers descendants de la race fuégienne,
sales el repoussants, déguenillés.
Débarquement
de forçais.
Une famille d'Indiens en quête autour du
navire.
10
fouille.
craquer. Sur les 1 400 passagers de la croisière, les trois quarts n'avaient jamais vu ni
la mer, ni de montagnes, ni de neiges, et
encore moins de banquises. Leur enthousiasme délirant du départ, savamment
entretenu par les airs joyeux de l'orchestre
du bord rassemblé sur le pont, suivant la
coutume des lignes allemandes, ne devait
pas faiblir un seul instant pendant le reste
du voyage.
L'habituelle corvée d'alerte en devint
'une vraie kermesse et la blonde et charmante photographe du bord réalisa une
petite fortune à saisir pour la postérité
des vingtaines de groupes fièrement agrémentés de bouées et de ceintures de sauvetage. Cinq jours après notre départ de
Buenos Ayres, le Monte Pascoal passa à
. quelques encablures de l'île des Pingouins
et la moitié des passagers renoncèrent au
déjeuner pour mieux jouir du spectacle de
cette « Union Communiste Pingouine ».
Je dois reconnaître qu'en dépit de multiples difficultés le service à bord était
impeccable et placé sous le signe de la plus
stricte discipline. La cloche du petit déjeuner sonnait à 6 h. 30, et, passé 6 h. 40, les
retardataires trouvaient fermées les portes
des salles à manger. Narquois, les stewards
de garde les renvoyaient à la manana !
Aucune bousculade aux escales de Patagonie pour descendre à terre dans les chaloupes à moteur du paquebot. Chacun prenait son tour dans l'ordre fixé par le commissaire aux premiers jours de la croisière.
Bien des idylles naissantes en furent
compromises. En bon Français, indiscipliné
et frondeur, j'essayai à l'escale de Coin m odoro Rivadavia, port des pétroles de la
Patagonîe argentine, de débarquer au
cinquième tour du canot n° 9.
Mais j'étais inscrit au premier tour du
canot n° 6 : il n'y eut rien à faire, les marins
germaniques ne comprennent pas la plaisanterie et sont réfractaires à la propina. Sans la haute intervention du
commissaire, je restais à bord. Je débarquai, mais il m'en coûta une forte semonce...
EXILÉS
VOLONTAIRES
Dès le départ, j'avais
remarqué leur petit
groupe et m'étais étonné de leur, discrétion et de leur apparente
tristesse. Sur les ponts, à table, ils s'isolaient des autres, ne descendaient jamais
aux escales. Le soir, on ne les rencontrait
ni au salon-brasserie ni dans la salle de bal.
Leurs compatriotes, du reste, crainte
peut-être de la demi-douzaine de mouchards officiels qui étaient aussi du voyage,
leur rendaient la pareille, affectaient de ne
pas les connaître lorsque je les interrogeais
à leur sujet. De toute évidence, volontairement ou non, le groupe se trouvait en quarantaine.
Les
valses
langoureuses succédaient
nostalgiques tangos.
aux
Ils étaient sept, et qui ne paraissaient pas
bien dangereux : une très vieille dame aux
cheveux blancs et à qui les autres témoignaient d'un grand respect, ses deux filles,
charmantes senoritas au teint chaud et aux
yeux de velours, deux jeunes garçons d'Une
quinzaine d'années chacun et leur mère.
Un chief-steiuard, qui n'avait pas les
mêmes raisons de redouter les « anges garns », me conta leur touchante hisire.
Cinq mois auparavant, un pronunciamento avait éclaté à Buenos Ayres. Ce
genre de révolutions est fréquent sous les
tropiques. Un parti trop longtemps éloigné
du pouvoir et de ses prébendes «achète »
un régiment ou deux. Les mitrailleuses
entrent en action durant toute une demijournée. A l'heure de la sieste, le pronunciamcnto a généralement réussi. Il ne
reste plus aux chefs de l'ancien parti que
d'entreprendre un voyage en Europe, d'où
ils reviendront à peu près pardonnes.
Mais le pronunciamento de septembre
n'avait pas réussi. Le nombre des morts
ayant même dépassé la cinquantaine, le
parti au pouvoir, dérogeant à la tradition,
fit emprisonner les leaders rebelles et, après
un semblant de jugement, jugea plus
prudent de les déporter pour une durée
illimitée au pénitencier politique de Terre
de Feu...
Les suspects du Monte Pascoal, exilés
volontaires, s'en allaient rejoindre leur
mari ou leur père et les aider à supporter
les rigueurs de cet exil inhumain. Et c'est
ainsi qu'à l'âge de soixante-quatre ans la
senora Julieta M. de Pueyrredon quitta
sans regret sa magnifique estancia de Cordoba pour le désert glacé de Terre de
Feu...
LES DERNIERS
DE LA RACE
Nous étions entrés
dans
les
canales.
De part et d'autre
des fjords, entre deux chaînes de montagnes, s'étendaient des glaciers immenses
longs de plusieurs dizaines de kilomètres.
L'été s'achevait à peine que déjà les glaces
se reformaient dans les baies. Des excursions furent organisées.
Dans des huttes de boue édifiées
au bord des grèves, sales et repoussants, les derniers de la race
fuégienne nous accueillaient avec une surprise
hébétée, mendiant des
cigarettes et de l'alcool.
Leur déchéance était définitive...
Moins d'un siècle auparavant, leurs anciens,
athlétiques et fiers, se baignaient nus dans les eaux
glacées des fjords et affrontaient sur de frêles embarcations
les baleines et les lames de
l'océan Antarctique.
Mais les « ombres blanches »
n'épargnèrent pas la Terre de
Feu : c'était alors l'époque des
grands voiliers de la ligne San
et leurs maladies d'hom
mes
d'escales... La « coloni
sation»
de la Terre de Feu par
1' Argentine et le Chili fut marquée de leurs
inutiles massacres. Dans l'île entière, leur
nombre, actuellement, ne dépasse pas deux
mille. L'alcoolisme et la tuberculose aidant,
faute de missions et d'un minimum d'humanité, la race tout entière aura cessé
d'exister dans dix ans...
LA PI ROQUE
DE LA
BAIE GARIBALDI
Deux jours avant
d'arriver à Ushuaïa,
le Monte Pascoal
relâcha dans un des
plus beaux décors de l'île : la baie Garibaldi. A moins de mille mètres d'altitude
ceux de la croisière purent fouler aux pieds
leurs premières neiges éternelles. Ce soirlà eut lieu la fête du bord.
Deux orchestres, l'un germanique, le
second argentin, menaient la danse. Les
valses langoureuses de Vienne succédaient
aux nostalgiques tangos et aux trépidantes rancheras. Dans le salon-brasserie,
la bière coulait à flots.
Je flânais sur le pont supérieur : la lune
était pleine et baignait d'une pure lumière
le cirque grandiose des montagnes. Sous
ses reflets, les banquises à la dérive s'illuminaient d'une multitude de petites étoiles.
Et c'est alors qu'apparut la pirogue.
Elle déboucha d'une gorge obscure : une
famille entière la montait. Trois hommes
pagayant à l'avant, deux femmes et des
enfants rassemblés à l'arrière. Dans la
journée, la sirène du paquebot, rappelant
les touristes retardataires, les avait surpris
dans leur retraite et, profitant de la nuit, ils
venaient rôder autour du grand navire
des blancs. Ils pagayaient silencieusement, se glissant entre
les glaces, mais restant
au but, mais déjà il n'en subsistait plus
que des miettes. Comme des fauves affamés
se partageant une maigre proie, les Fuégiens de la pirogue se disputaient ces bribes
de nourriture. Dans la lutte, une femme bascula hors de la pirogue. Elle réapparut
enfin, se mit à hurler...
L'officier de quart n'aimait pas les histoires. Il fit donner trois longs beuglements
de sirène.
Effrayés, les Fuégiens se précipitèrent
sur leurs pagayes et, traînant lafemmeà leur
remorque, disparurent en quelques minutes.
Le Monte
Pascoal levait
l'ancre lorsque
je pénétrai dans la cour intérieure du
pénal d'Ushuaïa. Sur la montagne voisine, la neige tombait à gros flocons et
pourtant les gardes-chiourme rassemblaient
les forçats par équipes pour les conduire
aux « travaux forcés de l'extérieur ».
«Leur indiscipline persistante de ces
derniers jours exigeait cette sanction,
m'expliqua assez piteusement le secrétaire
du directeur du pénitencier, plutôt démonté par la soudaine arrivée d'un journaliste
étranger. Du reste, Senor periodista, le
travail au grand air n'a jamais tué personne. »
Au grand air ! J'examinai les forçats
de plus près. Si les gardes-chiourme exhibaient de chaudes capotes, des gants et des
bottes fourrés, les hommes punis n'avaient
que des uniformes de mauvaise laine et leurs
souliers étaient dans un triste état. Beaucoup montraient les yeux brillants de
fièvre »et les faces décharnées
des grands tuberculeux. Ils cheminaient en silence, les épaules
courbées^ ruminant leur peine.
Le convoi s'ébranla : sur les
AU BAGNE
DES « HOMMES PUNIS »
DE L'ARGENTINE
Au travail en
forêt.
Au-dessus : Les
cellul es. Un
poêle unique.
Groupe
de prisonniers
politiques devant
leur maison. De gauche
à droite : DT Mosca,
Guermes, de Pueyrredon, A Ivarez de Toledo, Rofas.
côtés
circulaient des gardes-chiourme
en laisse de redoutables molosses,
eige maintenant tombait abondamment sur Ushuaïa. Les hommes punis
qu'on dirigeait sur les pentes de la montagne s'étaient transformés en autant de
spectres blancs.
L'ENFER
GLACE
Départ de forçats pour
forestiers.
Ne w York e t
qui, pour
ta plupart,
r elâch'aien t
au cap Horn
pour se réappro visionner
en eau douce.
Aux primitifs
qui, montés sur
des pirogues de
parade se faisaient
une fête de leur
offrir l'hospitalité,
les marins transnettaient leurs vices
les chantiers
toujours
dans l'ombre du paquebot.
Ils en firent ainsi le tour. A bord du
Monte Pascoal,les vraies réjouissances commençaient : la colonie allemande, réunie
dans un coin du salon, chantait à pleine
voix les lieds populaires du Rhin ; à l'autre
bout, les Sud-Américains reprenaient au
refrain les airs favoris que jouait leur
orchestre nacional. Des assiettes remplies de sandwiches traînaient un peu
partout et même sur le plancher. J'en
dérobai une.
Plus bas dans l'ombre, la pirogue glissait
toujours le long de la coque. Je lançai
quelques sandwiches : certains arrivèrent
Les moindres nouvelles circulent vite dans un bagne :
profitant de l'absence momentanée de mon « guide », un forçat qui,
dans la forêt, abattait des troncs d'arbre se
pencha de mon côté et, à voix basse, me
souffla :
— Dites donc, le compatriote, ouvrez
les yeux, ouvrez bien les yeux et racontez-le à Paris. Ici, on nous traite comme
des bêtes. Ici, on crève de froid, on
crache ses poumons en moins d'un an.
Que f... donc le Consulat à BuenosAyres ?...
Un garde-chiourme venait 'de notre
côté. L'homme reprit sa tâche. Deux pieds
de neige recouvraient le sol de la forêt
et il y avait cinq ou six degrés audessous de zéro...
Sans affectation, je me rapprochai d'un
groupe : des Argentins, ceux-là. Et au vol
je surpris d'autres confidences.
— Je suis malade, j'ai la fièvre, mais
le médecin refuse de me faire
hospitaliser...
— Mon frère est mort il y a quinze
jours ; on l'a retrouvé le matin raidi
sous sa couverture... »
— Pas moyen de s'évader, senor fronces,
pas de vivres, pas de canots, et ces chiens
du diable...
L'un de ces hommes, pour bien montrer
qu'il fallait le croire, cracha et la neige
rougit de son sang. Un autre en fit autant.
Je passai ainsi d'un groupe à l'autre.
Les forçats paraissaient s'être donné le mot :
ils ne relevaient pas la tête, ne me regardaient pas, semblaient se parler entre eux,
mais en réalité, toutes leurs paroles m'étaient
adressées.
Non, mon compagnon des cabarets
de la Bocca ne m'avait pas menti. C'était
pire que la Guyane, pire que les bagnes
sibériens.
Ce pénal servilement copié sur les
pénitenciers nord-américains (uniformes,
disposition intérieure des cellules, chemins
de ronde et tours de guet armées de mitrailleuses) n'était que le bagne de la mort
lente...
Nous l'avons déjà dit : dans un pays
où, pendant les nuits d'hiver, il n'est pas
rare d'enregistrer des froids de trente
degrés au-dessous de zéro un poêle unique
servait à chauffer trois étages de cellules
grillagées : simple oubli des ingénieurs
argentins chargés de la construction du
pénitencier après un court voyage d'études
aux Etats-Unis !
J'avais réussi
à dépister les
habituels espions du gouverneur. C'était méritoire :
Ushuaïa n'est pas si grand. En une demiheure, on a vite fait le tour du pénal,
des casernes où logent les gardes-chiourme.
des villas où résident les « officiels » et des
quelques bâtiments appartenant à des
AVEC LES DÉPORTÉS
POLITIQUES
11
compagnies de pêcheries, mais le quartier
« réservé" » m'intéressait, ainsi appelle-t-on
ici la ville haute où sont concentrés les
déportés politiques, et je ne tenais pas à
compromettre mes visiteurs...
Au nombre de deux cents et répartis
dans de misérables chalets de bois, les
victimes
du
dernier
pronunciamento,
des fonctionnaires en disgrâce, quelques
meneurs communistes vivaient en bonne
intelligence, réunis par la même infortune.
Dénués de tout, manquant de vivres et
de bois, leur sort inspirait la pitié. Ils
ét aient sans nouvelles des leurs sept mois de
l'année sur douze, privés de livres et de
journaux. On m'assura que trois d'entre
eux étaient devenus fous au cours de l'hiver
précédent et qu'il avait fallu les rapatrier
par avion...
Je rencontrai une vingtaine de ces exilés
politiques : je les trouvai d'abord dans
l'abattement, grelottant de froid sous leurs
légers punchos, envisageant les plus folles
évasions ou évoquant le suicide libérateur.
Et puis le naturel reprenait un peu le dessus.
Ils se grisaient de discours, s'exaltaient,
s'excitaient mutuellement... envoyaient au
diable le gouvernement de « scélérats »,
lui promettaient
un
pronunciamento
impitoyable. Ils se voyaient déjà débarquant en grande pompe à Buenos Ayres
paradant dans les somptueux cafés de
î'Avenida de Mayo...
Mais dehors la tempête soufflait et l'absence de feu dans la cheminée finissait
par les ramener à la triste réalité.
Un Européen se serait peut-être adapté,
aurait au moins recherché un certain confort matériel, coupé du bois dans la forêt
voisine, chassé, oublié la souffrance morale
dans l'effort physique, oublié la politique
cause de tout le mal. Mais il leur aurait
fallu pour cela vivre en solitaires, renoncer
à leurs interminables discussions, à leurs
emballements collectifs. C'était trop demander à ces créoles sensibles et imaginatifs :
résignés ils laissaient la nostalgie détraquer leurs nerfs et les ronger lentement...
Ce soir1 à
j e
m'entretins avec
M. Alvarez de Toledo, chef moral des
déportés politiques d'Ushuaïa. La pauvre
maison où il logerait avec ses compagnons
d'exil : le docteur Mosca, MM. Guermes et
Rojas, ne disposait d'aucun salon, et il me
reçut dans sa chambre.
DES SALONS
DES AMBASSADES AU
DÉSERT DE TERRE DE FEU
La pièce était sommairement meublée
d'un lit de camp, de deux chaises et d'une
commode. Glaciale en dépit des quelques
bûches qui fumaient dans l'étroite cheminée. A la fenêtre, des carreaux cassés étaient
remplacés par des journauxJeune encore, le visage ardent, le leader
politique évoqua son aventure sans amer. tume. Tout au plus reprocha-t-il au gouvernement de Buenos Ayres d'avoir exilé
en Terre de Feu des vieillards inoffensifs
comme Pueyrredon et le docteur Mosca
que le climat rigoureux de l'île condamnait
à une lente agonie. Leur participation au
pronunciamento avait été minime et il
espérait du général-président Justo qu'une
mesure de clémence interviendrait bientôt
en leur faveur pour leur épargner un second
hivernage (1) ainsi qu'à leurs familles.
Quant à lui, Alvarez de Toledo, il n'était pas
disposé à sacrifier ses convictions politiques au prix d'une grâce humiliante. De
ce désert où on l'exilait comme un vulgaire
condamné de droit commun, il continuait
et continuerait la lutteCette entrevue constituait notre seconde
rencontre. La première remontait à sept
ou huit années. Dans les luxueux salons de
l'ambassade argentine à Paris...
Avec une bonne grâce parfaite et qui lui
avait valu la sympathie du Tout-Paris,
Son Excellence M. Alvarez de Toledo,
ambassadeur d'Argentine, accueillait ses
invités...
Et, maintenant, je le retrouvai frissonnant
de froid dans une misérable chambre d'une
misérable cité dù bout du monde.
Craignant de raviver sa peine je me gardais de lui rappeler ce souvenir des temps
heureux. Mais il m'en parla le premier, sourit même de ce contraste. La fierté castillane, elle aussi, a émigré en Argentine...
En me quittant, une flamme chaleureuse
brillant dans son regard, il me dit :
— Si les prochaines élections sont favorables
à notre parti, je puis vous assurer qu'il n'y
aura plus de pénal criminel ou politique en
Terre de Feu. Ce pénitencier, vous l'avez
vu vous-même, c'est l'Enfer sur la terre,
un châtiment disproportionné à la faute
commise. Il ne nous appartient pas à nous
humains, à nous civilisés, de martyriser
ainsi nos semblables... Nos ennemis politiques ? Le monde est vaste, nous les enverrons se faire pendre ailleurs. Nous n'obligerons pas une autre senora de Pueyrredon
à souffrir ce calvaire...
JEAN
ALLOUCHERIE.
(1 ) Il fut gracié deux mois plus tard.
llllllllllllllllllllllllHIIIIIIIIIIIIIlIllilIlItlIllllllIllllllllllllllllllllllllllllIllilIllllllItltlIIttlIIttllIIIIUIIIIIItlIllllIIfllIllllllIlllIIllIIIIIIIIIIIIII
RIVIERA SECRETE
Quant à la jeune fille, disparue le jour
même de la Côte où elle n'est plus jamais
revenue, elle a épousé avec sa « dot », un
brave garçon avec qui elle vit parfaitement
heureuse dans une ville du Nord... grâce
au prix d'une nuit d'amour jamais
consommée.
DANS LES COULISSES
DES CASINOS :
LE RACKET
Mais sur
cette côte
où le climat
chaud,
la
nature grisante finissent par énerver les
plus calmes, l'amour a une autre rivale : la
passion du jeu, qui s'abrite dans les casinos,
dans les salles où résonnent les appels
éternellement semblables des croupiers.
Salles froides... banales, me direz-vous,
mais où rôdent pourtant les ombres d'un
monde inconnu, au visage toujours masqué : le monde du racket.
LA NAISSANCE
DU RACKET :
L'ENLEVEMENT
MYSTERIEUX
DE MISS MACBETH
Miss
Macbeht..,.
riche
héritière
américaine, était en
1926 une habituée delà plupart
des salles de jeu publiques et clandestines de
la Côte.
Elle était arrivée en Europe avec une
vieille gouvernante, mais avait fait rapidement la connaissance sur la Riviera
d'un jeune Américain, qui était devenu
son chevalier inséparable.
Une nuit, au cours de laquelle elle aurait
perdu au baccarat et au « 30 et 40 » une
somme fantastique dans un casino de Nice,
elle disparut sans laisser de trace.
La police fut priée de la rechercher sans
ébruiter la disparition.
La presse locale avait accepté de ne pas
parler de l'affaire quand, le surlendemain,
le correspondant d'un journal américain
sur la Côte reçut un coup de téléphone
mystérieux lui révélant que Miss Macbeth... après avoir perdu au jeu tout son
argent ainsi que ses bijoux, en proie au
désespoir et n'osant revoir désormais ses
parents, était tombée entre les mains d'une
bande faisant le trafic des blanches et
s'était déjà embarquée sous un autre nom
pour l'Amérique du Sud.
Cette nouvelle désastreuse n'allait pas
manquer d'être exploitée en Amérique par
les concurrents de la Côte d'Azur. On était
donc atterré dans tous les milieux niçois
quand un homme et une femme, parlant
le français avec un fort accent britannique, se présentèrent à l'hôtel que ve-
12
(Suite de la page 7.)
le monde ici, ce soir,
à vingt et une heures !
C'est en ces termes
que, lundi dernier, dans
le courant de l'après-midi,
M. Badin, le si actif commissaire de la Police judiciaire, chef du service de
la voie publique, faisait savoir aux inspecteurs placés sous ses ordres qu'ils seraient
mobilisés pour une opération nocturne.
Et, comme le commissaire Badin commandait également quatre autocars et trois
voitures au garage de la Préfecture, on
pouvait en déduire qu'il s'agissait d'un
coup de filet important.
Ce soir-là, aux approches de vingt et
une heures, le quai des Orfèvres, habituellement si calme à cette période de la journée,
présentait une grande animation.
Les inspecteurs s'interpellaient bruyamment et plaisantaient joyeusement :
— Dis, vieux, tu sais ce qu'on fait ?
— Non ! Pas plus que toi ! Le patron n'a
rien dit !
Le patron, en l'occurrence M. Badin, ne
tardait pas à arriver et à donner ses dernières instructions.
— Holzer, prenez cette voiture avec dix
hommes et vous dirigerez le cortège !
— Vous, Ferroud-Plattet, dans la seconde
voiture, avec dix hommes également.
Tranquillement, les policiers s'installent
aux places indiquées. Quelques passants,
amusés, contemplent ce déploiement de
forces.
Les ultimes consignes données, les rôles
distribués, le commissaire me fait monter
à ses côtés, et les moteurs ronronnent.
Lentement, le cortège se met en route.
OUT
— Tout
le monde ici
ce soir.
Quelle vaste opération projetait la
police ? Allait-elle surveiller et procéder à
un nettoyage de Montmartre ou de Montparnasse? A une épuration de la zone
lépreuse ou des boulevards extérieurs ?
Au dépistage de quelque « cagoulard » ou à
la découverte d'un dépôt d'armes ?
Quelques minutes plus tard, les voitures
stoppaient boulevard Henri-IV.
Le but de notre randonnée était maintenant bien apparent. Le coup de main policier allait s'exercer rue de Lappe.
Rue de Lappe ! Que de tragiques souvenirs rappelle ce coin tristement célèbre
de la capitale. Dans le passé, c'était une
dépendance du royaume d'argot et, au
siècle dernier, quand Eugène Sue écrivit
ses Mystères de Paris, il lui arriva bien
souvent d'y venir voir vivre ses personnages.
L'aspect de la rue de Lappe a bien
changé. Un à un, les bouges sanglants
d'autrefois ont disparu, faisant place à des
bals musette fréquentés encore par des
« durs », mais aussi par des « barbillons »
qui n'en sont encore qu'à l'A B C du
métier, et surtout par de jeunes ouvriers
et de petites midinettes qui ne craignent
nait de quitter la jeune fille, ainsi qu'au
casino où elle avait joué. Ils se déclarèrent
« envoyés spéciaux » de journaux américains, venus de Paris pour enquêter sur
la disparition de Miss Macbeth.
On devine aisément le reste : la stupeur
des intéressés, leur demande polie aux « reporters » d'attendre quelques jours avant
de publier « leur papier sensationnel »,
l'hésitation des « journalistes » à rater une
affaire qui devait leur rapporter des bénéfices considérables, enfin l'offre gênée et
timide de l'hôtel et du casino de les dédommager, offre qui fut acceptée « uniquement
dans l'intérêt de la bonne réputation de la
Riviera ».
L'enquête piétinant, le lendemain ce fut
le tour de deux autres « correspondants »,
ceux-ci venant de Rome et voulant faire
un
article
illustré
retentissant.
Par
malheur, ils avaient pu se procurer, sans en
révéler les sources, quelques photos en
déshabillé suggestif, représentant une jeune
femme au visage plutôt méconnaissable et
qui étaient les premières prises de Miss
Macbeth en vue de ses « engagements »
pour l'Amérique du Sud.
Cette fois, les dédommagements que
l'hôtel et le casino durent payer aux deux
vaillants reporters furent encore plus importants... Puis un prétendu avocat russe
voulut organiser un meeting pour protester
contre l'influence néfaste des casinos sur
les mœurs de la Côte et un Belge, interdit
depuis longtemps de toutes les salles de jeu
de la Riviera, menaça d'écrire ses mémoires
sur « les dessous mystérieux » de tel ou
tel casino.
Personne^ ne sait quand se serait arrêtée
cette habile campagne de chantage si, au
bout de huit jours, une carte postale, envoyée d'Egypte, n'avait appris à la vieille
gouvernante que Miss Macbeth était partie
de son propre gré, pour Alexandrie, avec le
jeune Américain qui, loin de trafiquer des
blanches, était lui même l'héritier d'une
grande fortune de New-York. Et, dès
qu'arriva le consentement des parents,
sollicité par câble, la romantique fugue
se termina en Egypte par un mariage devant un cpnsul américain.
Quant à l'histoire sensationnelle de
Buenos Ayres, elle était l'invention d'un
escroc américain qui, par hasard, avait été
au courant de l'embarquement du couple
sur un yacht particulier, yacht qui ne devait s'arrêter dans aucun port avant une
semaine.
(A suivre.)
M. S.
De jeunes ouvriers et de petites midinettes qui ne craignent pas de venir en « suer une
^jgsjde venir en « suer iine-^^u-son^gç- zp=z^-C'est malheureux toutr'de-TOême-dé-1
-Taccordéon. Jeunesse Insouciante,rie redoutoujours tarabuster les poules !
tant pas les « terreurs », les mauvais gar— Enfin on épure la capitale ! C'est pas
çons qui continuent à se donner rendezdommage
::Tas de s..., a-xerrt coirtre ûn;""y n'ont
vous dans la ruelle aux masures crasseuses,
tiennes enseignes lumineuses éclairent pas de mal !
les façades brillantes des musettes et les
— C'est ridicule d'empoisonner les gens
lézardes noires de maisons voisines.
de la sorte. Les honnêtes gens sont pourSautant en bas des autocars, les policiers
chassés et les crapuIes-^asseiHV-^toujQurs:
^^en^angsrsen&^vancère
à-traversT
— Halte !
— C'est pas par ici qu'ils dégoteront les
Inutile de tenter de fuir, les inspecteurs
mecs du C. S. A. R. et de la Cagoule !
occupaient entièrement la rue, interdisant
Deux hommes d'opinions opposées discutoutes les issues.
taient âprement.
rzrr—Mr fiarfm^le^cliàpëWHraelô^^
~— ils ne vous ont certainement pas vu,
enfoncé, avait pénétré dans une salle de
sans cela vous seriez déjà dans le panier
bal et, d'jun geste énergique, interrompu
à salade!
une java endiablée.
Cette jnjure toute giatuitejlit^étorder.
Police ! Que personne ne bouge 1
l'un des antagonistes.
— Encore ! grommela une femme éche— Et celui-là, l'as-tu vu ?
velée, attablée devant une menthe verte.
D'un direct du droit, il fit chanceler son
Vingt inspecteurs avaient fait irruption I=gdwjggiig:qi»f-passa aiiCTitrtt~ ^^-japfM&fe-daiKTla salie. ———
——
— Tiens ! Tu la fermeras ta g... !
— Que chacun prenne ses vêtements et — Des gardiens de la paix »"*^'^'"rp"tjwnir: sorfprim~préje^
- ^separer—les pugilistes, mais ceux-ci se
Au brouhaha provoqué par l'arrivée
trouvèrent d'accord pour tourner leur
intempestive des policiers succéda bientôt
fureur contre les représentants de l'ordre.
le plus profond silence.
Un agent reçut un coup de pied dans le
Le commissaire Badin permit aux garbas-ventre, un autre un coup de poing à
çons d'encaisser le prix des consommations
l'œil droit. Alors ces policiers empoignèrent
servies et le défilé commença dans le plus
solidement les deux énergumènes et les
grand calme.
emmenèrent au poste de la Goutte-d'Or.
— Par ici !
-— C'est le traditionnel intermède, me
— Hé ! là-bas, que cherches-tu ? C'est
dit en riant le commissaire Badin.
devant toi la sortie. Allons vite T Inutile
Lentement, les policiers poursuivaient
de faire le clown 1
leur route sans s'inquiéter du minime
— Tes papiers ?
incident dont je venais d'être témoin,
— J'en ai pas. !
grapillant de-ci, de-là, une fille, un sidi,
— Tant pis pour toi! Allez, ouste en
un suspect.
voiture. Un client ! Un !
Tous les cafés, les bars interlopes furent
D'une main solide, l'homme était emporté
visités par le chef de la Voie publique et ses
vers un des cars.
inspecteurs.
A une table, quatre clients : deux
Et les cars se remplissaient sans disconhommes et deux femmes n'avaient pas
tinuer.
bougé. Quand le commissaire s'approcha,
Au rond-point de la Villette, trois noules hommes protestèrent assez violemment,
velles voitures arrivèrent et le premier
arguant de leurs droits de citoyens français.
convoi prit le chemin de la Cité.
Droits qui, d'après eux, leur permettaient
Dans ces quartiers où les rafles sont fréde demeurer dans l'établissement et de n'en
quentes, on voit que les passants intersortir qu'à leur gré, sous la seule réserve
pellés ou les clients des établissements
de justifier de leur identité à la demande de
visités ont l'habitude de ces opérations.
la police.
Les hommes sans se faire prier étendent
Toujours aimable, M. Badin écouta
les bras en croix et se laissent fouiller sans
leurs doléances, mais ne se laissa pas
la moindre réaction. Après quoi, ils ramèattendrir :
nent les mains à leurs poches et exhibent
— Sortez d'abord, vos papiers à la
leurs papiers.
main ! Vous rentrerez ensuite.
Boulevard de la Villette, un homme dort
Une cinquantaine d'hommes et de
paisiblement sur un banc. Des inspecteurs
femmes sortirent ainsi entre une. haie de
l'arrachent un peu vigoureusement des bras
policiers tandis que le commissaire Badin
de Morphée.
et ses auxiliaires Holzer et Ferroud-Plattet
L'homme, un « sidi », émet une faible
examinaient soigneusement les pièces
plainte. Un policier palpe ses vêtements
d'identité qui leur étaient présentées.
pour s'assurer s'il ne possède pas d'arme
Au passage, les inspecteurs palpaient les
et s'il a des papiers.
Vêtements des hommes, faisaient ouvrir
Il ne peut réprimer un cri. Ses mains
les sacs des femmes pour s'assurer que des
sont ensanglantées. Le « dormeur '» a été
armes ne s'y trouvaient pas dissimulées.
blessé d'un coup de couteau à la poitrine.
L'opération terminée, les policiers passèOn l'emmène rapidement à Lariboisière.
rent dans un bal voisin, déjà gardé à vue
Sans la rafle, il serait probablement mort
par une autre équipe d'inspecteurs.
sur le banc.
Il y eut, cette nuit-là, rue de Lappe,
Un peu plus loin, c'est la grosse Thérèse.
deux départs de cars... Les premières voiEn apercevant les policiers, elle les salue
tures étaient bondées et M. Badin demanda
d'un énergique :
à ses chauffeurs de revenir, après avoir
— Bonsoir, les potes !
déposé leurs voyageurs quai des Orfèvres.
C'est une habituée. Elle hisse péniblePlus de deux cents personnes prirent
ment ses cent kilogs dans le car et occupe
ainsi le chemin de la Police judiciaire —
à elle seule la moitié d'une banquette.
chemin que certains connaissaient déjà :
La rafle touche maintenant à sa fin.
jeunes gens à la casquette tirée sur l'oreille
et au foulard blanc classique, des soldats,
des marins en permission irrégulière, de
braves étrangers de passage à Paris et de
paisibles bourgeois qui avaient commis,
l'impardonnable imprudence de venir rue
de Lappe sans les indispensables papiers
d'identité.
Quai des Orfèvres, hommes et femmes
étaient assemblés dans les couloirs, assis
sur d'inconfortables banquettes de bois,
attendant que les vérifications nécessaires
soient opérées.
NOUVEL
OBJECTIF
Dernier rassemblement avant le retour à
la Police judiciaire.
— En voiture !
-^-4^s-autocai^«vtrIi'.s~aTitniTinhi IPK descendent en trombe le faubourg du Temple.
Un court arrêt place de la République
et c'est l'arrivée quai des Orfèvres.
VÉRIFICAlFiONS^L^és—nouveaux arri
vants sont rassemblés
dans différents bureaux de la brigade de la
Voie publique et le commissaire Badin va
étudier la situation des individus appréhendés rue oc Trappe.—
Pendant ce temps, ses services alertent
les différents organismes de renseigne-
ments : sommiers judiciaires, garnis, mandats, pour les vérifications nécessaires.
Et le défilé commence dans le bureau
du commissaire. Les sonneries des appareils téléphoniques se font entendre sans
arrêt.
— Exact !
— Bon, remettez-le en liberté !
— Recherché par le parquet de Dijon.
— Dépôt ! Dépôt !
— Pas de carte d'identité d'étranger !
— A descendre au centre où il sera
— En route !
Inlassable, le commissaire
Badin redonnait le signal
du départ. Après avoir confié ses premiers
clients à la garde de ses secrétaires et d'une
dizaine d'inspecteurs, il repartait, avec ses
hommes, vers un nouvel objectif.
Il était maintenant plus de minuit.
La seconde opération prévue consistait
à nettoyer le boulevard de la Chapelle; et
le boulevard de la Villette.
Partis de Barbes, les inspecteurs avançaient en éventail, par groupes de deux.
Une douzaine d'agents cyclistes les suivaient à une cinquantaine de mètres et
trois autocars venaient ensuite.
Personne ne pouvait échapper aux policiers et les cyclistes avaient pour mission
de rejoindre les fuyards éventuels et aussi
d'alerter des renforts en cas de nécessité.
Une, deux, dix, vingt filles attendant le
chaland attardé, derrière les piliers du
métro, se trouvaient prise dans la rafle,
quelques minutes après son début.
Deux étrangers ayant omis de faire
régler leur situation étaient également
embarqués malgré leurs véhémentes protestations en un jargon cocasse.
La rafle commençait bien.
Des curieux, amusés — on en trouve à
toute heure du jour et de la nuit — suivaient les policiers, à distance respectueuse
évidemment, tout en échangeant leurs
impressions.
tant de-ci, de-là, une fille, un ■ idi. un suspect.
consigné. Demain matin, le diriger sur
le service des étrangers !
— Sans domicile.
A garder I
Plus de trois cents personnes défilent
ainsi devant M. Badin qui accuse maintenant une fatigue compréhensible, mais que
n'abandonne jamais son affabilité coutumière. Beaucoup repartent avec l'admonestation d'usage :
— Ne sortez jamais sans papiers et abstenez-vous de fréquenter des endroits où
vous n'avez rien à faire !
Les recherches entreprises aux archives
et au service de l'Identité judiciaire établissent rapidement l'état civil de ceux
qui possèdent d'excellentes raisons de vouloir dissimuler leur nom ou leur adresse.
— Alors, monsieur Badin, le bilan de la
soirée ?
—- Pas mauvais ! J'en garde cent-dixsept. Quelques vérifications sont encore
nécessaires, je verrai cela tout à l'heure !
Pour le moment, je vais aller me reposer.
R était près de cinq heures du matin.
— Tout à l'heure, c'est-à-dire ?
— A neuf heures I Quand je reviendrai,
je procéderai au dernier tri. Ceux dont
l'identité et le domicile seront reconnus
exacts seront remis en liberté, les étrangers
qui ne sont pas en règle seront expulsés,
les malfaiteurs recherchés seront mis à la
disposition des parquets qui les réclament,
et tous ceux contre lesquels un délit de
port d'armes ou de violences sera établi
prendront le chemin du dépôt.
-— Mais ces rafles sont véritablement
d'une utilité ?...
— Comment donc ! Dans la nasse.il y a
évidemment beaucoup de fretin, mais il y a
aussi des gens susceptibles de nous renseigner sur certaines affaires en cours. Et puis,
il y a aussi le hasard, ce précieux auxiliaire
de la police. Tenez, cela me rappelle une
histoire curieuse.
« Un peu après la fin de la guerre, un
forçat évadé, nommé Vendamme,avait fait
la rencontre d'une fille et l'avait emmenée
dans un hôtel.
« Au moment du règlement de comptes,
une discussion s'élève ; la femme s'élance
sur le bagnard, un couteau à la main. Le
forçat s'empare d'un chandelier de cuivre
et en frappe la femme qui s'écroule et ne
bouge plus. Elle a été tuée sur le coup.
« Voilà notre homme bien ennuyé. Que
faire ? Se dénoncer ? Personne ne le croira,
n'est-il pas un récidiviste du- crime ?
«Après réflexion, Vendamme découpe
le cadavre en morceaux ; des débris il fait
un paquet, l'enveloppe avec une couverture et descend le corps dans la rue. Il
s'en débarrasse au coin d'un quai.
« On rechercha l'assassin fort longtemps.
Un jour, au cours d'une rafle, on arrête le
forçat évadé. N'ayant rien à perdre, il dit
aux agents qui le gardaient :
« — Si vous m'offrez une bonne bouteille
de pinard, je vous raconterai quelque chose
qui vous intéressera.
« Tranquillement, il but la bouteille et
se dénonça. Il est probable que la police ne
l'aurait jamais soupçonné? »
Un secrétaire entra dans le bureau :
— Patron, bonne affaire, nous avons le
déserteur de Toulon, vous savez, l'assassin
de la rentière de Cros-de-Cagnes.
— Parfait, mon vieux 1 Vous avertirez
la Sûreté nationale chargée de l'affaire et
vous mettrez le gars à sa disposition !
Puis le secrétaire se pencha à l'oreille du
commissaire et murmura quelques mots.
Jugeant ma présence indiscrète et sentant le sommeil m'envahir, je pris congé
pour profiter d'un repos réparateur.
Comme je sortais, j'entendis le commissaire Badin répondre à son collaborateur :
— Bon ! Faites-le monter tout de suite,
je vais tirer cela au clair immédiatement.
Quelques heures plus tard, les journaux
du soir annonçaient l'arrestation des bandits de Fontenay-sous-Bois.
J.-C. DAMIENS.
13
L'ARGENT QUI TUE
BAPAUME
(De notre envoyé spécial.)
trois semaines, voici
un an, parmi tant d'autres
du même ordre, un « avis »
était placardé à la mairie
de Bapaume. Il annonçait le prochain mariage
de Francis Blanchard et
de Marie Bucamp.
Mariage d'amour ?
Union d'innocents tourtereaux ?
Le jour dit, l'adjoint au maire vit arriver
deux personnes d'âge qui, l'air raisonnable,
semblaient se plier à une coutume... notariale plutôt qu'à un rite consacré par le
petit Dieu malin Éros.
Francis Blanchard avoua, d'ailleurs sa
toison d'argent l'aurait trahi en dehors
de toute indiscrétion de l'état civil :
soixante-quatre ans.
Marie Bucamp, sans plus de façon, ce
qui écartait même l'espoir qu'elle fût restée
coquette, annonça de son côté cinquantehuit ans.
Ils convinrent tout aussi bonnement
qu'ils étaient veufs tous deux eL qui plus
est, pourvus chacun de rejetons ayant déjà
atteint plus que l'âge de raison.
— Elle va être drôle la nuit de noces 1
pensa par devers lui l'adjoint au maire.
Et il n'avait point tort.
Ces unions sur le tard répondent en
général à tel ou tel mobile :
Finir ses vieux jours dans la paix d'une
aimable et réciproque tendresse tout à
coup née de s'être rencontrés au seuil de
la vieillesse avec la même sagesse et le
même idéal.
Achever la vie la main dans la main, alors
qu'un ancien amour insatisfait par les
exigences de la vie — parents tyraniques qui
se refusèrent au mariage et obligèrent à
des unions qui leur plaisaient davantage et
arrangeaient mieux leurs intérêts —trouve
un regain tout platonique après une séparation qui a tué toute jeunesse. C'est l'occasion, le soir, à la chandelle, de pouvoir
rappeler avec un touchant attendrissement
les premiers serments... les premiers baisers... les premières souffrances du cœur..
C'est très doux...
En ce qui concerne M. et Mme Blanchard
nouveau couple, il n'en était point ainsi
Personne ne les avait forcés à se marier
une première fois contre leur gré ; au surplus, ils ne se connaissaient pas trois mois
avant de décider de convoler en justes
noces.
Enfin, nul sentiment commun ne les
avaient jetés l'un vers l'autre, j'entends
sentiment élevé, prenant sa source dans le
cœur ou l'esprit.
Alors ? Alors ?
Alors, inconsciemment, ils jouèrént lors
de leur union le double rôle des épouseux
qui ne s'aiment pas et des parents qui, pour
l'« intérêt » des familles, obligent à une
union où l'amour importe peu.
Plus simplement, sans vénération, sans
amour, sans respect l'un pour l'autre, ils
décidèrent cependant, et sans pression
venant de tiers, de consacrer une- union,
avec ce seul et unique but : concilier des
intérêts d'argent !
Ils avaient tous deux des rentes !
Elle avait trente-cinq mille francs par an.
Lui, quinze mille.
Le premier venu dira :
— Hé ! Hé ! pas mal, cela fait un total
annuel de cinquante mille...
A la vérité, au bout d'un an, cela a fait
un drame !
UBANT
ont hérité de fortes sommes, mais Marie n'a
pas à se plaindre.
Deux belles maisons en pierres solides,
tout fraîchement reconstruites après la
guerre, et, pour les menus besoins de la vie
quotidienne, 35 000 francs de rentes par an.
Marie, la petite bonne, a ses vieux jours
assurés...
<î>
<î>
Dans le même temps qu'arrivaient ces
événements, un honnête commerçant vendait sacs à main et valises de « pur porc »
rué Rochechouart à Paris.
Les affaires allaient bien leur petit traintrain.
Il était marié et avait un grand fils. Il
s'appelait, le maroquinier, Francis Blanchard.
Son commerce était modeste, mais vivotait heureusement grâce au rythme de l'habitude.
Et lui aussi, le maroquinier, tout comme
l'industriel de Grosnay, perdit sa femme.
Mais, à rencontre de l'industriel, il
n'avait pas à son service d'accorte soubrette et. n'eut point comme lui la discrétion
de mourir... sans histoire...
Et voici donc un veuf maroquinier
à Paris, rue Rochechouart, exactement,
répétons-le.
Et une veuve d'industriel, ex-camériste
aux appas autrefois tentants, qui pleure en
sa bonne ville de Bapaume son défunt
époux.
Évidemment le veuf et la veuve séchèrent assez vite leurs larmes. Cela arrive
assez souvent pour qu'on ne leur en tienne
pas grief. Mais, par Dieu, grâce à quel
malencontreux hasard rejoignirent-ils leurs
destinées d'adultes mûris, isolés et esseulés ?
Dites-le si vous le savez. De toute façon,
ce fut un bien malheureux hasard !
<•>
Ils se rencontrèrent donc fortuitement,
fortuitement comme finissent par se rencontrer deux collectionneurs de timbres ou
deux amateurs de médailles romaines, tous
deux à faire le compte de leurs sous et de
leurs rentes.
Car ils aimaient l'argent...
Et ce fut l'alliance...
Une alliance basée non pas sur le même
idéal, mais sur le même amour du portemonnaie.
— Avec ce que j'ai...
— Avec ce que j'apporte...
— On pourrait vivre...
— Confortablement..,
Les confidences d'amour, s'en tinrent
à ces propos... assez matérialistes.
Ainsi naquit le couple Blanchard î
— Tu es mon mari ; je te somme de rejoindre le domicile conjugal à Bapaume...
Abandonne cette échoppé... Tu y perds ton
temps... Elle vaut quatre sous... Donne-la
au premier venu et suis-moi...
Francis Blanchard eut le tort d'obéir...
Il est vrai qu'il pensait aux trente-cinq
mille de rentes de son impossible moitié.
Et il alla à Bapaume demeurer au reste
dans un charmant pavillon de la rue de
l'Ermitage.
Et il fit trop comprendre aussi que, dans
son acceptation, entrait pour une trop
grand part l'intérêt qu'il portait aux rentes
de son épouvantail d'épouse.
Et la vie reprit plus navrante que jamais.
Marie Bucamp, non moins perspicace
que son ancien boutiquier de mari, ne tarda
pas à se convaincre une nouvelle fois que,
sur le plan de l'économie financière pure,
elle était... le dindon de la farce...
— Séparons-nous, décida-t-elle...
Pensant à ses commodités, Blanchard
refusa.
Malgré tout, la séparation de corps, à
défaut de divorce, fut prononcée et le
28 août, Blanchard aurait dû quitter
Bapaume... et le pavillon... et les trentecinq mille francs de rentes... et la maritorne.
Il refusa.
L'affaire s'envenimait.
— Si tu refuses de partir, je te ferai tuer...
— Ah ! ah !... tu plaisantes...
— Si... Par mon frère, il est chômeur...
Ça me coûtera deux cents billets, mais il acceptera..
Dès ce moment, Blanchard se montra
moins sûr de lui.
Cependant, l'attrait de l'argent lui faisait dire :
— Je ne partirai pas et ton frère n'osera
* pas.
— Tu verras...
Il ne restait qu'une solution à Blanchard
pour rester et pour ne pas être « descendu »
par le frère de son irascible épouse, prendre
les devants. Il la choisit. Il acheta un revolver.
' Il acheta les balles...
Et il attendit le moment venu où, assez
surexcité, il pourrait tirer sans effort... et
sans réfléchir...
Cet instant se présenta le 14 août dernier, dans l'après-midi, vers les 17 heures.
Une nouvelle querelle s'engagea, alors,
terrible, dans le couloir du pavillon.
Les mots claquent déjà comme des
balles.
— Mon frère t'aura.
— Pas vrai! Il n'aura pas ma peau...
J'aurai la tienne avant...
Pan ! Une gifle.
C'est elle qui l'a donnée.
C'était la seconde voulue...
n tire...
Elle s'écroule...
Elle met une heure à mourir, là, dans le
petit corridor.
Il reste une heure à la voir mourir..N'est-ce pas, malgré lui, il en éprouve
une certaine satisfaction ?
Lorsqu'elle n'avait pas cinquante-huit
ans, Marie Ducamp, bien longtemps
avant... lorsqu'enfin sa petite personne
avait quelque attrait, était soubrette.
La villa Hortensia, où l'on découvrit le cadavre de Marie Bucamp. (R.)
C'était une gentille soubrette ! Et pas
bête !
Elle avait oublié alors de baisser les yeux
M. et Mme « Denis » étaient beaucoup
Au bout d'une heure, le dernier râle sort
devant les hommes... et savait ce qu'un
plus sympathiques.
de ses lèvres, alors lui, tranquillement, la
regard coulé, langoureux, persistant, fouiVoyez lune de miel.
roule dans une couverture, puis la descend
neur, voulait dire de choses.
Dès le départ, les conversations du duo
à la cave.
De choses qu'elle ne détestait pas...
sont de cet ordre.
Puis~encore il se lave les mains...
Ainsi, elle n'avait pas manqué de remar— Faisons les comptes...
Puis encore il sort, ferme la clé et prend
quer que son patron, pas vilain homme
— J'ai plus dépensé que toi.
un billet pour Paris... respirer un peu.
d'ailleurs, n'était pas insensible à... l'appel
— Partageons! Tu me dois.
Ouf ! fait l'homme !
de ses charmes...
— Puisque c'est moi qui...
Dans le train, il jette le revolver... Il
Et Marie, avec une certaine désinvolture,
— Tais-toi, tu apportes à peine quinze
ne reste plus rien du passé.
de laisser aimablement parler ses charmes
mille, alors que moi...
Tant et si bien que le jour où la patronne
Avec un peu d'imagination, on peut
0
vint à disparaître à la suite de quelque
aisément parvenir à la reconstitution du
fâcheuse maladie, elle la remplaça fort
tête-à-tête.
Oui, mais l'avenir ?
gentiment dans la couche conjugale et paEt les paroles acerbes, blessantes de pleuIl est un assassin... et comment jouir de
tronale.
voir comme à la belle saison... des pluies.
sa petite aisance ?... et comment profiter
L'affaire était d'autant plus piquante que
— Tu m'as volée... Je croyais que tu
de la petite maison de Bapaume et des
le patron était un riche industriel, industriel
possédais autant que moi.
rentes de la morte ?
à Groslay en Seine-et-Oise, et riche à mil— Mais mes quinze raille...
Rien à faire... La police va s'occuper de
lions.
— Un rien à côté de ce que j'apporte.
la chose...
La belle affaire I
C'est bien simple:Blanchard abandonna
Déjà il devine la condamnation se desQuoi qu'il en soit, pour avoir trop vite
femme, rentes et le reste pour retourner à
siner en ombres chinoises à l'horizon...
brûlé sa flamme, peut-être, à son tour,
son magasin.
Tuer... tuer, c'est très bien, enfin estimel'industriel alla rejoindre ses ancêtres.
Cette passagère tranquillité dura trois
t-il dans son cas... mais comment en proVoici donc Marie veuve.
mois, après quoi l'ex-soubrette fit une
fiter même dans son cas ?
Deux fils du premier lit de l'industriel
incursion dans la boutique.
Alors, traqué moins par le remords que
14
Marie Bucamp, qui fut assassinée par son
mari. (R.)
par l'idée que son temps de liberté est
compté devant la justice des hommes, il
préfère se tuer...
A Rennes où il se rend sur la tombe de
sa première femme, dans un dernier sursaut d'honnêteté, il se jette dans la Rance.
Mourir... Finis, les ennuis !•
Ouat ! On le repêche !...
A l'hôpital, npuvel essai tout aussi désastreux dans le sens qu'il espère. Il se tranche
les poignets... sans succès !...
Retour à Paris...
Au fait, une confession lui voudrait peutêtre un bon conseil.
Il dit tout à son fils.
Le fils ne croit pas :
— Ce n'est pas vrai...
Tant il lui paraît que la chose est horrible et le mobile mesquin.
Et Blanchard en revint au suicide...
Seule solution.
D'un quai de Charenton, il se jette dans
la Marne.
On le repêche encore...
Rien à faire.
A bout de tout, il dit la vérité.
Cette vérité dite à un commissaire avec,
pour tout horizon, la prison, les Assises, le
bagne... peut-être est-elle sincère.
—■ Vouli regrettez ?
— Oui...
Mais, sur la fin, pour les derniers mots à
dire, Blanchard ajoute :
—- Dites donc, marquez bien que tous
les meubles qui sont dans la maison de
Bapaume sont à moi... On ne sait jamais 1
L'argent ! L'argent I L'argent !
PHILIPPE
ARTOIS. .
IIIIIMIIIIIIIIIinillllllllllllllllllllHIIMIIIIIIIIIIIHtlIIIIIIIIIIIIIIIIIHI
La guerre des Gitans
(Suite de la page 5.)
Metbach sont persuadés qu'ils ont été victime d'une véritable agression, alors que
les Steis, eux, sont convaincus que leur
expédition punitive était justifiée. Par
conséquent, chaque clan se croit être le
représentant du droit.
— Et Pauline Lafleur, la « semeuse de
haine », comme un confrère l'a nommée ?
— Elle n'a fait que son devoir de femme
romanie.
— Vous prévoyez donc le pire ?
—■ Absolument.
Et Manoël de conclure :
— La police a tort de se mêler de cette
affaire. Je vous le dis et vous le répète :
le sang appelle le sang chez nous, les gitans
de, partout, qui descendons des pharaons
d'Égypte; il y aura peut-être d'autres morts,
mais la justice à rendre n'appartient qu'à
eux, aux Steis et aux Metbach. Comme
elle appartenait aux Demestre et aux
Carlos.
« Pourquoi vouloir enquêter ? Cela ne
servira à rien.
— Et, vraiment, vous ne pouvez pas
empêcher une nouvelle tuerie, en vous rendant vous-même à Clermont-Ferrand ?
Nouvelle hésitation :
— A quoi bon, puisque mes pouvoirs
sont limités ?
— Personne ne peut donc intervenir ?
— Si. Mais il est trop loin.
— Qui est-ce ?
—- Le roi des romanis lui-même.
Cette dernière phrase fut prononcée sur
un ton de profond respect et, en se levant,
Manoël me fit comprendre que notre entretien avait assez duré.
La mort appelle la mort, le sang appelle
le sang.
Telle est la loi des romanis.
Attendons...
G. G.
IIHIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIlIlllIllliiiiiiHHllIliiiiiiiHnilllllllllll
|
IIIIIIIIIHIIIIIIIIIIIIIIIIIimilllllllllU
11111111111*:
| Peux hommes sont assassinés...
Une femme, Marîa-la-Rousse, révèle sa tragique 1
destinée de prostituée, poussée au vice et au |
crime par l'abandon de son premier amour. |
§
s
J POURQUOI A-T-ELLE TUÉ? [
| Vous le saurez en lisant le roman que publie aujourd'hui I
f 1
"
5™__SF
M m fTj
PoWce-Roma
{
|
R
«■■.
On accuse, on plaide, on juge...
(Suite de la page 4.)
l'état civil un véritable casse-tête chinois
que de retrouver, rétablir l'identité de ces
deux êtres sur le simple rapport de sa mémoire. Il parvint enfin à obtenir des mairies
dont il avait heureusement retenu les
noms des pièces concernant Armand S.,
et Hélène T..., tous deux issus de la même
mère, une certaine Marie Martin... Et la
police fut priée de rechercher les deux
coupables, car leur adresse n'avait pas laissé
de trace dans le souvenir du bureaucrate.
Pendant ce temps, l'histoire de leur commune origine fut élucidée et la voici :
Armand S... avait pu se déclarer le
père des enfants de sa maîtresse à deux
reprises et il lui avait suffi de deux témoins
pour régulariser sans aucune anicroche ces
arrivées au monde. Les fonctionnaires
n'avaient pas établi de rapprochement
entre le nom de la mère du papa et celui
de la maman.
Or, c'était la même femme.
D'abord mariée, puis séparée de son mari,
elle avait quitté le village proche d'Amiens
en abandonnant son fils âgé de quelques
mois pour s'établir à Tours.
L'enfant apprit plus tard de l'auteur de
ses jours que sa mère était morte, et qu'il
valait mieux n'en jamais parler.
A Tours, Marie rencontra un ouvrier de
filature avec lequel elle vécut en concubinage. Une fille naquit de cette union deux
ans plus tard. Et il aurait été impossible de
la déclarer à la mairie autrement que fille
de Marie, femme de S..., du bourg voisin
d'Amiens, si, juste la veille, l'acte définitif
de divorce n'était arrivé, autorisant ainsi,
tous délais étant expirés, l'amant de la
femme volage à reconnaître la fillette.
On l'appela Hélène et elle prit le nom de
son père lorsque celui-ci régularisa son
union avec sa maîtresse.
Lorsque les policiers intervinrent dans
ce ménage à la suite de cette histoire si
péniblement reconstituée, ils trouvèrent
deux êtres qui avaient fini par se haïr, mais
qui n'avaient pas osé se séparer dans la
crainte du scandale. Et, tout cela, parce
qu'ils n'avaient jamais eu l'occasion de
parler de leur mère respective.
Leur procès fut rapidement expédié. Ils
s'étaient unis de bonne foi, la justice ne leur
enjoignit que de mettre fin à leur existence
commune. Et les enfants furent placés dans
un patronage jusqu'à ce qu'un tribunal
ait pris une décision à leur endroit.
Les juges à qui ces détails viennent d'être
exposés rendent maintenant leur sentence.
Elle est sage :
Les trois petits porteront le nom de leur
maman et, sur les registres de l'état civil,
une main indifférente effacera le nom de
leur père qui n'avait qu'un droit: celui
d'être leur oncle.
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LES
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a
„
(Suite de la page 9.)
quelques autres . lettres et des factures.
Trois reconnaissances du mont-de-piété
intriguèrent Reynolds et il décida de faire
faire une enquête immédiatement. Le
coffret ne contenait ni passeport, ni carnet
de chèques, ni enveloppes portant des
adresses. Le détective en conclut que le
mort avait beaucoup à cacher et ne se
fiait à personne.
De plus, Delmond était sans doute au
bout de ses ressources, car il n'avait pas
d'autre argent que celui trouvé dans ses
poches.
Le détective songea de nouveau à la
lettre à Valérie que Carter, le concierge,
avait mise à la poste.
Qu'y avait-il dans cette lettre et où
était-elle maintenant ?
Laureen ou Lansberg, séparément ou
de complicité, avaient-ils pris des papiers
dans la poche du mort, et, craignant des
fouilles, les avaient-ils glissés dans la boîte
à lettres du vestibule ?
Enfin, tout au fond du coffret, sous le
manuscrit d'un scénario, il trouva un
instantané. Il le regarda à la loupe. Il
n'avait pas fini cet examen quand Jenkins
entra, le visage bouleversé :
— Du nouveau ! s'écria-t-il. Les photographes étaient allés voir s'ils pouvaient
trouver d'autres empreintes digitales.
—- Eh bien ?
— Ils téléphonent que l'appartement
a été cambriolé. Tout est en désordre. Les
tiroirs sont sens dessus dessous, les tapis
et les coussins sont déchirés.
— La serrure de l'appartement était-elle
forcée ou la porte ouverte à leur arrivée ?
— La serrure était intacte et la porte
fermée.
— La troisième clé 1 s'écria le détective.
La personne qui a pénétré dans l'appartement la nuit dernière avait la clé qui
manquait et l'a prise à Delmond, vivant ou
mort.
La pendule qui sonnait lui rappela que
c'était l'heure de son entretien avec Lady
Avice. Il était sûr d'ailleurs qu'elle ne se
rendrait pas au rendez-vous.
— Une dame vous demande, monsieur
dit un agent à la porte.
— Faites-la entrer, ordonna Reynolds,
un peu surpris.
Mais l'agent annonça :
— La comtesse de Warnham î
(10*1
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CEDUCTIOM
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15
En plein Paris, place de la Bastille, M. Quêtis, directeur commercial d'une importante société,
a été attaqué, à neuf heures du matin, par des bandits qui ne purent lui rafler une serviette
contenant 230 000 francs. Ci-dessus : Le lieu de l'agression. En médaillon : M. Quêtis. (F. P.)
On a arrêté à Paris un nommé Georges
Suzanne, technicien du vol des automobiles
et aussi de la constitution de faux états civils,
déjà dix fois condamné.
Dans un hôtel, place de l'Opéra, à Paris, on
a mis la main au collet de Fred Gurra, de
nationalité tchécoslovaque, rat d'hôtel notoire
déjà condamné quatre fois en France. (F. P.)
M. Tanfield, banquier londonien, a disparu avec vingt millions de bijoux Kidnapping ?
Fugue ? Déconfiture ? On l'ignore. M. Percy Philipps (au centre), solicitor de Mrs. Tanfield,
est chargé des intérêts de la famille et des clients. (Safara.)
Un nommé Robert Descaires avait été tué
rue Saint-Claude, à Paris, par un inconnu.
Daniel Moch (ci-dessus), auteur du crime,
s'est constitué prisonnier. (F. P.)
G. Quentin, à Paris, se faisant passer pour
policier, cherchait à faire licencier une jeune
femme de sa place. C'était un amant délaissé
qui avait trouvé ce mode de vengeance. Arrêté.
Dans une prairie à Boussières-sur-Sambre, près Hautmont, un jeune homme, Alphonse
ses jours en raison de l'intervention d'un garde champêtre. M. Bruyère. De gauche à droite :
S
e
rLe 9^de Bruyère, qui mit Carlier cn,oue;le cadavre d'Alfreda Douay, et enfin le criminel,
mourir ensemble. Carlier étrangla la jeune femme avec un fil d'acier, mais ne put mettre fin â
Carlier. (Kap.)