retour au futur » : sommes-nous à la veille du renouveau de la
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retour au futur » : sommes-nous à la veille du renouveau de la
OPINIONS « RETOUR AU FUTUR » : SOMMES-NOUS À LA VEILLE DU RENOUVEAU DE LA RÉSERVE AÉRIENNE? par Allan English ’ C est avec grand plaisir que j’ai assisté, en décembre 2005, à la conférence sur les réserves, intitulée Special Commission on the Restructuring of the Reserves: Ten Years Later, qui avait lieu à Calgary. Je m’y suis instruit énormément. Cependant, je me souviens que, en recevant mon invitation à participer à la conférence, j’avais été quelque peu surpris du thème, car la majorité des travaux qui devaient y être présentés semblaient envisager la réserve en tant que force terrestre. Cette orientation était évidente à plusieurs égards : par exemple, le titre qui apparaissait en cliquant sur l’hyperlien de l’événement, Homeland Defence and Land Reserves, ainsi que le débat d’experts prévu au programme, qui s’intitulait Air and Navy Reserve: Supporting or Equal?. En tant qu’ancien officier d’aviation et fils d’un membre de l’Aviation royale du Canada (force auxiliaire), j’avais l’impression que la force aérienne était reléguée au second plan. Mais après y avoir réfléchi, j’en ai conclu que la force aérienne méritait probablement cette mise à l’écart. En 1968, après l’unification, l’Aviation royale du Canada a été le seul des trois services à perdre tous ses établissements d’instruction professionnelle militaire. Et de toutes ses pertes, la plus importante a été la disparition de son collège d’état-major, sur lequel comptait l’ensemble du service pour tout ce qui concernait les doctrines et les concepts relatifs à l’exploitation des ressources militaires aériennes du Canada. Ce déficit devait avoir des conséquences particulièrement néfastes sur l’élaboration de la doctrine aérienne du Canada qui, dans les années 1970, n’était rien de plus qu’un assemblage disparate et peu cohérent d’expressions des divers secteurs de la guerre aérienne1. On ressent aujourd’hui encore les effets de cette perte, comme en témoigne une note attachée au programme d’études de septembre 2005 du Collège des Forces canadiennes, selon laquelle : « À compter de cette année, le chef d’état-major de la Force aérienne cessera la publication de Out of the Sun [un bulletin qui porte sur la doctrine de la force aérienne] en raison de son caractère restrictif et inadéquat. Le nouveau Centre de guerre aérienne doit produire une doctrine d’ici à quelques années. Entre-temps, au lieu d’une doctrine sanctionnée au Canada, le Collège des Forces canadiennes s’inspirera d’une doctrine aérienne interarmées de l’aviation américaine et du département de la Défense des États-Unis2. » Que peuvent bien en penser le chef d’état-major de la Défense et les officiers supérieurs des forces armées responsables du dossier de la transformation? À leur sens, une doctrine est essentielle à la culture et à une grande partie des activités, et ils se trouvent maintenant aux prises avec une organisation telle que la force aérienne, dénuée de toute doctrine allant au-delà des questions tactiques. automne 2006 ● Revue militaire canadienne Grâce au bulletin Vecteurs stratégiques3, en circulation depuis 2004, et à l’inauguration du Centre de guerre aérienne, cet état de fait touche certainement à sa fin, mais il faut néanmoins reconnaître que, sans doctrine sur laquelle s’orienter depuis 37 ans, les forces aériennes du Canada, y compris la réserve aérienne, se retrouvent en quelque sorte à la dérive, si l’on me permet cette métaphore incongrue. D’un côté, donc, la situation n’est pas brillante. Mais d’un autre côté, l’Aviation canadienne et la réserve aérienne, qui entament un tout nouveau chapitre sur le plan doctrinal, sont parfaitement en mesure d’orienter leurs activités de manière à appuyer la transformation des Forces canadiennes et à l’amplifier. J’aimerais avancer ici une idée qui s’harmonise avec cette orientation et qui repose sur les principes en vigueur à l’époque glorieuse de la réserve aérienne des années 1950. La réserve aérienne pourrait obtenir de nouvelles capacités si mon idée, venant enrichir l’excellent travail que les membres ont déjà accompli à cet égard, se concrétisait. À l’apogée de cette « époque glorieuse », l’Aviation royale du Canada (force auxiliaire)4 comptait un effectif de près de 6 000 hommes et un ordre de bataille de quelque 13 escadrons de chasseurs ou de chasseurs-bombardiers, 14 escadrons de contrôle aérien et d’alerte, 16 unités de secours médical, 9 quartiers généraux et d’autres unités 5. À cette époque, soit au début de la guerre froide, la force auxiliaire remplissait des rôles complémentaires à ceux de la force régulière, contrairement aux rôles de renfort que la réserve aérienne actuelle joue, qui viennent enrichir les fonctions de la force aérienne. En effet, la force auxiliaire était responsable d’assurer, en grande partie, la défense aérienne du Canada à l’aide d’escadrons de chasseurs et de radars mobiles, alors que la force régulière devait se contenter de remplir essentiellement les mêmes fonctions qu’elle exerçait pendant la période d’avant-guerre, soit la photographie aérienne, le transport et l’instruction. Les facteurs qui contribuaient principalement à la réussite de la force auxiliaire pendant ses plus belles années étaient : • la prise en conscience du fait que, pour assembler une telle force dans les plus brefs délais, la force aérienne devait définir ses besoins en fonction des compétences et de la disponibilité des membres de la population civile; • la prise en conscience du fait qu’une vision et un plan étaient nécessaires pour guider la création de cette force; • la volonté de mettre un tel plan en vigueur. 91 OPINIONS Or, je crois que des facteurs comparables sont réunis aujourd’hui au sein de la réserve aérienne, quoique dans un contexte différent. Pour commencer, nous savons que toute profession, notamment le métier des armes, doit nécessairement compter parmi ses éléments des prétendus « travailleurs du savoir ». Par exemple, on peut lire dans un article sur la gestion du savoir, publié récemment dans Bravo Defence que : « La mise sur pied d’une opération basée sur les effets repose sur une connaissance approfondie et systématique de l’ensemble des moyens de l’adversaire, des forces amies et des intérêts neutres. Cette connaissance doit couvrir tous les systèmes de la région (politique, militaire, économique, social, informatique) ainsi que son infrastructure6. » Acquérir cette connaissance et la gérer nécessite l’emploi d’un éventail considérable de talents. Toutefois, les Forces canadiennes éprouvent déjà des difficultés à recruter de tels spécialistes, à les former et à les maintenir en poste. On compte cependant au Canada, dans la population civile, un nombre important de « travailleurs du savoir », et la réserve aérienne pourrait tirer parti de leurs capacités, sur une base temporaire. Imaginons que la force aérienne crée des escadrons de création et de gestion du savoir. Répartis sur l’ensemble du territoire, ces escadrons se composeraient principalement de réservistes, encadrés par des membres du personnel de la force régulière. Ils pourraient remplir plusieurs fonctions, notamment celles qui viennent appuyer les opérations basées sur les effets, comme dans l’exemple précédent; ils s’occuperaient de l’analyse des facteurs stratégiques, économiques et politiques, sociaux et culturels ainsi que de l’analyse des risques. Les membres des escadrons de création et de gestion du savoir se verraient confier des postes semblables à ceux qu’ils occupent dans leur vie civile de sorte qu’ils n’auraient besoin que d’une instruction limitée. Ils pourraient travailler à domicile ou dans tout autre local de leur choix, à condition d’avoir accès au monde virtuel qu’est Internet. Quelques rencontres en personne suffiraient de temps à autre pour assurer la cohésion de l’équipe et pour permettre aux membres de participer à certaines activités sociales. Vu qu’ils fonctionneraient dans un environnement virtuel, ces escadrons n’auraient pas besoin de locaux permanents, évitant donc les dépenses en immobilisations et autres frais généraux. En outre, les membres de ces escadrons n’auraient pas à se plier aux mêmes exigences d’ordre physique que leurs collègues ailleurs dans les Forces canadiennes7. Par conséquent, les escadrons de création et de gestion du savoir ne seraient jamais obligés de déployer leurs effectifs sur le terrain, mais pourraient simplement, comme les anciennes milices sédentaires, s’établir dans un lieu géographique déterminé. Néanmoins, en appliquant des méthodes de participation comme « anciens réservistes réadmissibles » ou « nouveaux réservistes admis », ils pourraient apporter leur appui à toute opération expéditionnaire dans un contexte virtuel. Les escadrons de création et de gestion du savoir pourraient ainsi offrir leurs services à diverses organisations des Forces 92 canadiennes. Par exemple, le nouveau groupe stratégique du chef d’état-major de la Défense pourrait bénéficier de leur perspective et de leur analyse en matière de planification stratégique, et le Commandement Canada pourrait tirer parti de leur appui virtuel. Le type de personne susceptible de joindre les rangs d’un escadron de création et de gestion du savoir serait une personne désireuse d’apporter une contribution pratique aux Forces canadiennes dans le domaine d’expertise correspondant à son emploi civil, moyennant un minimum de dérangement dans son mode de vie. Dans la plupart des cas, la raison principale pour adhérer à la réserve ne serait pas le gain monétaire. Comme l’ont prouvé les diverses études sur le comportement humain au sein des organisations, ce serait plutôt le désir profond de participer à un travail passionnant, au sein d’une équipe hors pair, qui inciterait une telle personne à s’engager. Selon moi, la force aérienne, dont l’évolution a toujours été intimement liée aux progrès de la technologie, offre une culture organisationnelle idéale pour ces professionnels et pour la poursuite de leurs activités8. Par ailleurs, et je m’appuie ici sur l’expérience que j’ai tirée du Cours de commandement et d’état-major interarmées (Réserve), j’estime que l’idée est tout à fait viable. Deux aspects appris dans le cadre du cours me portent à croire à la possibilité de créer des escadrons « fondés sur le savoir » : d’une part, le processus et, d’autre part, les qualités individuelles du personnel et des participants. En ce qui concerne le processus, le Cours de commandement et d’état-major interarmées est un cours de dix mois, totalisant quelque 30 heures d’instruction. Il comprend deux programmes résidentiels. Le premier dure deux jours et est offert au cours de la première période de formation; il donne aux participants l’occasion de faire connaissance et de créer un esprit d’équipe. Le deuxième, qui se déroule pendant la quatrième période, se résume à deux semaines d’ateliers en groupe. Les deux tiers du travail se font par le truchement d’Internet, au cours de la deuxième et de la troisième période. Malgré les difficultés inhérentes, la méthode d’enseignement à distance donne d’excellents résultats. Par exemple, les participants à l’atelier auquel j’ai moi-même assisté étaient répartis aux quatre coins du globe. Le « directeur » de l’atelier était un colonel de l’armée australienne qui s’est rendu au Timor-Oriental pendant la première moitié du cours, puis est revenu en Australie pour la seconde moitié. L’atelier regroupait des étudiants venus du Canada, des États-Unis et du Royaume-Uni. L’équipe personnel-étudiants a très bien fonctionné, même si le groupe ne s’est réuni qu’à la quatrième étape. En ce qui concerne les qualités et les compétences individuelles, dans l’ensemble, celles des participants au cours étaient excellentes. J’estime que la formation d’escadrons de création et de gestion du savoir serait couronnée de succès parce que les stagiaires possédaient de nombreuses compétences, acquises dans leur vie civile et pendant leur service militaire. Or, beaucoup de personnes dotées de telles qualités et compétences travaillent Revue militaire canadienne ● automne 2006 OPINIONS actuellement à l’extérieur de la réserve, et je maintiens que les Forces canadiennes auraient tout avantage à tirer le maximum de ce potentiel humain. C’est un projet qui ne manquerait certainement pas de difficultés, mais, comme l’a démontré l’Aviation royale du Canada (force auxiliaire) à l’apogée de sa gloire, un plan bien conçu allié à la détermination des responsables ne manquera pas de vaincre tout obstacle surgissant pendant la réalisation du projet. Si ce concept devait être adopté, il pourrait offrir aux Forces canadiennes une source non exploitée de « travailleurs du savoir » hautement qualifiés, qui n’auraient besoin que d’un minimum d’instruction, qui ne requerraient aucune infrastructure importante et qui pourraient apporter une contribution utile à l’Aviation royale du Canada et aux Forces canadiennes de l’avenir. Pour conclure, je tiens à affirmer sans équivoque que ce modèle viendrait en complément et non pas en remplacement des rôles actuels de la réserve aérienne. Allan English, Ph. D., ancien navigateur aérien, enseigne dans le cadre du programme d’études sur la guerre du Collège militaire royal du Canada. NOTES 1. 2. 3. 5. régulière, une force auxiliaire, une force de réserve et un corps de cadets. L’effectif des unités de la force régulière se composait de personnes engagées pour le service à plein temps; celui des unités de la force auxiliaire était formé de personnes engagées pour un service militaire à temps partiel; la réserve regroupait le personnel inactif qui serait mis en service en cas de mobilisation. Au fil du temps, on en est venu à désigner comme réservistes les membres de la force auxiliaire et de la réserve. Ministère de la Défense nationale, La période postérieure à l’unification, [en ligne]. <http://www.airforce.forces.ca/air_reserve/ history/post_integration_f.asp> R. P. Haskel, The Rise and Fall of the RCAF Auxiliary, document non publié du cours de bachelier ès arts et sciences militaires du Collège militaire royal du Canada, p. 38-39. 6. 7. 8. Lieutenant-colonel Tom Gibbons, « CF Experimentation Centre: Leads KM Multinational Project », Bravo Defence, vol. 5, été 2005, p. 17. Récemment, le Collège des Forces canadiennes affichait, dans sa page Web intitulée Plein feux sur les nouvelles militaires, une liste de postes auxquels une personne inadmissible au service dans les Forces canadiennes pouvait postuler afin de joindre les rangs d’un escadron de création et de gestion du savoir. Shi Davidi, Pyear Has High Hopes, [en ligne]. < h t t p : / / a r m y. c a / f o r u m s / i n d e x . p h p / t o p i c , 37076.msg303905.html> On trouvera une discussion détaillée sur les différences de culture selon l’environnement ou le « service » dans Allan English, Understanding Military Culture: A Canadian Perspective, Montréal et Kingston, McGill-Queen’s University Press, 2004. Boeing, photo D4C-122059-l 4. Ken R. Pennie, « The Impact of Unification on the Air Force », sous la direction de William March et Robert Thompson, The Evolution of Air Power in Canada, Vol. 1, Winnipeg, Air Command History and Heritage, 1997, p. 108-109. Collège des Forces canadiennes, A/JC/CPT 404/LE-3, Nature of Air Operations, programme du Cours supérieur des études militaires, le 27 septembre 2005. Ministère de la Défense nationale, Vecteurs stratégiques : Vision de la transformation de la Force aérienne, Ottawa, directeur général du Développement de la force aérienne, 2004, [en ligne]. <http://www.airforce.forces.gc.ca/ vision/strategic_f.asp> En février 1946, le conseil des ministres a approuvé l’adoption d’une nouvelle structure pour l’Aviation royale du Canada en temps de paix. Cette nouvelle structure comptait quatre éléments : une force L’avion de transport stratégique C-17 Globemaster III de Boeing. automne 2006 ● Revue militaire canadienne 93