Apropos Enquête
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Apropos Enquête
L’ECHO SAMEDI 10 MAI 2014 47 A propos Enquête GARAGE CITROËN UN JOYAU ARCHITECTONIQUE Première filiale établie hors de France par André Citroën, la Société Belge des Automobiles Citroën est constituée le 31 janvier 1924. L’entreprise installe une usine en 1926, rue Saint-Denis à Forest avant d’ouvrir un magasin d’exposition boulevard Adolphe Max et d’autres établissements rue Émile Claus et rue du Compas. En 1934, tous les services administratifs, commerciaux, techniques et d’après-vente, sont regroupés dans le vaste complexe de 16.500 m² de la Place de l’Yser, dessiné par Marcel Van Goethem et Alexis Dumont et qui était à l’époque la plus grande «station-service» d’Europe. Après la guerre et la réquisition de la main-d’œuvre et des outillages par l’armée anglaise, les bâtiments de la Place de l’Yser sont rapidement remis en état à l’exception du magasin d’exposition, plus sérieusement détruit, qui devra attendre 1959 – d’où certainement son allure un peu expo 58 – pour être reconstruit. Le bâtiment inscrit sur la liste de sauvegarde du patrimoine est composé de deux volumes contigus qui s’étendent sur une surface totale de 16.500 m² au sol. La salle d’exposition donne sur la place de l’Yser tandis que la partie garage proprement dite, avec les ateliers, les magasins de pièces détachées, la station-service et les bureaux, occupe tout le bloc délimité par le quai des Péniches, le long du canal, le quai de Willebroeck et le quai de la Voirie. A chacune de ces rues, correspond une entrée du garage vitré sur trois côtés et qui couvre une surface de 102 sur 130 mètres, soit 90% de l’ensemble du complexe. Les deux volumes sont reliés par une sorte de «rue» d’acier large de 12 mètres. Selon le projet actuellement dans les cartons du ministre-président bruxellois, le musée occuperait la partie exposition, la rue d’acier et une toute petite partie du garage englobant la porte d’entrée située au quai de Willebroeck. Le solde resterait propriété de PSA Peugeot Citroën qui envisagerait d’y développer un projet mixte de commerces, bureaux et logements. Source: www.citroenyser.be/histoire © SASKIA VANDERSTICHELE Le choix du garage Citroën semble donc une option marquée au coin du bon sens. «Le bâtiment est superbe, explique Yves Rouyet, géographe et urbaniste auteur d’un récent article sur l’histoire de la vie culturelle dans le territoire du canal à Bruxelles (1). Vingt ans plus tard, on ne va pas réinventer Bilbao et son bâtiment iconique. Ici l’on peut récupérer un bâtiment existant, qui a une grande valeur architecturale et qui n’est pas loin du centre-ville. L’emplacement n’est pas idiot.» Le projet peut en outre s’inscrire dans le Plan canal de l’urbaniste français Alexandre Chemetoff qui vise à développer l’urbanité du canal pour en faire un lieu d’intensité urbaine tout en maintenant emploi et activité. Le canal se situe au centre-ville mais est vécu comme étant la périphérie. Implanter une fonction culturelle au canal le rapprocherait du centre-ville. Outre sa valeur architectu- rale, il y a la localisation du bâtiment à proximité du Kaaitheater, du KVS et de Tour & Taxis qui est également un lieu de développement culturel. L’objectif de ce Musée étant de constituer une référence de l’art belge aux XXe et XXIe siècles, il devrait accueillir – c’est en tout cas ce qui est annoncé – le projet de Laboratoire pos-moderne élaboré par Michel Draguet et qui constitue en quelque sorte la suite du Musée Fin-de-Siècle. Les collections n’étant pas très fournies – sans pour autant en être dépourvues – en art contemporain, d’aucuns évoquent la possibilité de collaborer avec des institutions «parafédérales» qui disposent d’une collection comme Belfius, la Banque nationale ou Belgacom, voire ING. Du côté de chez Belfius qui prête déjà des œuvres notamment au Musée Magritte et au Musée Fin-de-Siècle, on précise que rien n’est encore décidé. «La réflexion sur l’avenir de la collection est toujours en cours, explique Ulrike Pommée, porte-parole de la banque. Il est évident que nous poursuivons les échanges temporaires d’oeuvres mais quant à céder tout ou partie de la collection, ce n’est pas d’actualité». S’il se réjouit de l’enthousiasme du privé qui pourrait déboucher sur des synergies, Michel Draguet prône la prudence, surtout en matière d’art contemporain dont le marché connaît une spéculation folle. «Il ne faut pas que le musée devienne un alibi à une valorisation mercantile d’un patrimoine», dit-il. Reste qu’il faudra transformer un bâtiment industriel en espace muséale avec toutes les contraintes que cela implique notamment en matière d’isolation, de conditionnement d’air et de sécurité. «Il faut effectivement retravailler le bâtiment qui offre beaucoup de possibilités, commente Michel Draguet, mais il faudrait le faire pour n’importe quelle institution muséale. Les qualités artistiques du bâtiment, reflet de notre temps, méritent l’investissement que l’on va y faire.» Après tout, il en a été de même, et avec succès, pour la Tate à Londres et, plus près de nous le Wiels à Forest et la Centrale électrique place Sainte Catherine. En ce qui concerne les moyens, le directeur général des MRBAB ajoute que «le projet Citroën passera par le refinancement du musée comme une vraie grande nouvelle institution». Il faudra donc revoir les budgets à la hausse pour se donner les moyens de ses ambitions. La balle est dans le camp du politique. (1) Yves Rouyet, «Rock the Canal! Contribution à l’histoire de la vie culturelle dans le territoire du canal à Bruxelles» publié sur www.brusselsstudies.be. TROIS QUESTIONS À YAMILA IDRISSI «if you can dream it, you can do it» D epuis la fermeture du musée d’art moderne en 2011, la députée sp.a au parlement flamand Yamila Idrissi remue terre et ciel, sous la devise «If you can dream it, you can do it», pour mobiliser particuliers, mandataires publics et toute personne concernée pour développer une vision cohérente d’un Musée d’Art moderne et contemporain sur le Canal de Bruxelles. La parlementaire considère que, outre le projet artistique proprement dit, un tel musée constituerait un point d’ancrage dans le centre-ville et un levier pour un quartier au potentiel encore largement négligé. En juin 2011, Yamila Idrissi publie une lettre ouverte intitulée «Bruxelles, terre de barbares?» qu’elle signe avec les artistes Luc Tuymans et Angel Vergara, la directrice artistique de la biennale de Sydney Catherine De Zegher et l’historien d’art Hans de Wolf. En juillet 2013, elle obtient le soutien de plus de 100 personnalités bruxelloises parmi lesquelles on trouve notamment Arno, Marion Hansel, Michaël Roskam, Wim Vandekeybus, Sven Gatz, Stromae, Marie Daulne, Edouard Vermeulen, Chantal Akerman, Josse De Pauw ou Geert Van Istendael. En septembre de la même année, une soirée publique autour du projet fait salle comble au Kaaitheater. Yamila Idrissi y affirme: «le Musée au Canal est pour moi une métaphore des ambitions de notre ville. Il symbolise la possibilité du monde politique fédéral, flamand et bruxellois d’agir de concert, de se dépasser et d’ouvrir les portes au changement.» Comment expliquez-vous un tel enthousiasme? Je pense que ce projet est juste. J’ai reçu beaucoup de réactions d’artistes, de politi- ciens et d’habitants. Parfois de personnes qu’on n’attendait pas comme cette mère de six enfants qui m’a félicitée dans un café de la chaussée de Gand. Ce qui montre que les gens croient dans le potentiel de leur quartier. Ce n’est pas mon projet, c’est le projet de chacun. Pour que cela marche, il faut que ce soit à tout le monde, que ce soit le symbole de ce que Bruxelles peut devenir en dépassant les clivages politiques. Le réalisateur Michael Roskam dit qu’il «ne s’agit pas seulement d’art mais du propre respect de la ville» («stedelijk zelfrespect»). Depuis 1958, on n’a plus rien fait à Bruxelles. Le gouvernement bruxellois s’est maintenant approprié le projet, c’est un élément positif qui montre que c’est un projet important. Aujourd’hui, la communauté bruxelloise croit dans un tel projet qui ne se résume pas seulement à créer un musée. Il s’agit de créer un nouveau centre qui fasse le lien entre les quartiers et générer une nouvelle activité comme ce fut le cas à Liverpool ou à Lens. Pour reprendre les mots du sociologue australien Tony Bennett: «Donnez-moi un musée et je changerai la société.» De qui attendez-vous les initiatives: le fédéral, la région, la ville? Tous ceux qui veulent collaborer sont les bienvenus. Le fédéral peut prêter ses collections, la Région bruxelloise acheter un bâtiment. Et si les ministres de la Culture Fadila Laanan et Joke Schauvliege veulent poser le premier geste concret dans le cadre de l’accord de coopération qu’elles ont signé en créant un musée d’art moderne, ce serait très positif. Mais il faut rester réaliste, c’est du côté du fédéral que l’on doit attendre les efforts les plus importants éventuellement avec l’aide du privé. En termes de contenu, quelles collections envisagez-vous dans ce musée? Le fédéral dispose d’une importante collection d’art moderne, il faudrait l’agrandir mais cela semble difficile pour les pouvoirs publics. D’autres institutions qui possèdent également de nombreuses œuvres comme la Banque nationale ou Belgacom ou des collectionneurs privés pourraient collaborer sous forme de prêts à long terme. On pourrait envisager qu’un curateur aille puiser dans ces collections dont certaines ont quand même été payées avec de l’argent public. De telles collaborations ne sont pas toujours une question d’argent, cela relève du «thinking out of the box», de chercher des situations win-win. PROPOS RECUEILLIS PAR D.B. www.macbruxelles.be