EPS Activite Eleves Et Transactions P-e
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EPS Activite Eleves Et Transactions P-e
Les transactions professeur-élèves en classe d’éducation physique Pour en savoir davantage : Méard, J., Bertone, S. (2004). Les transactions entre professeurs et élèves à propos des règles en éducation physique Réflexions et propositions d’outils pour enseigner. In Carlier G. (Eds) Si l’on parlait du plaisir d’enseigner l’éducation physique. Montpellier : AFRAPS, 299-310. On ne peut comprendre l’activité d’intégration des règles par les élèves en cours indépendamment des actions du professeur. En effet, l’observation des actions d’élèves en classe d’EPS met en évidence le fait que les règles du cours sont en permanence l’objet de négociations, le plus souvent implicites. Cet ensemble de négociations entre acteurs qui déconstruisent et reconstruisent en continu les règles en classe constituent des transactions (Strauss, 1992). Ces transactions évoluent de façon typique, l’enseignant cherchant au départ à prescrire des actions en s’appuyant sur des modèles idéaux ou des programmes, les élèves arrivant en cours avec un projet social en contradiction avec le projet de l’enseignant (Doyle, 1990). Les élèves explorent les limites de la tolérance magistrale et obligent l’enseignant à mener à tous les niveaux des négociations plus ou moins « serrées », à diminuer les exigences des tâches d’apprentissage, à tolérer les interactions sociales (Woods, 1990). En éducation physique, ces négociations entre l’enseignant et les élèves se développent principalement à travers le degré de participation des élèves dans les tâches d’apprentissage. Les enseignants procèdent souvent en fermant les yeux sur la moindre participation des élèves (Tousignant, 1981 ; Hastie et Siedentop, 1997). A l’observation des élèves, nous avons donc substitué une observation des transactions entre professeurs et élèves à propos des règles en classe d’EPS, le but étant de mettre en corrélation les actions du professeur avec celles des élèves. Autrement dit, que fait l’enseignant lorsque les élèves développent des actions anomiques, hétéronomes, autorégulées et autonomes ? A partir des quatre types d’actions d’élèves d écrites par ailleurs (Méard et Bertone, 2004), nous avons repéré quatre types de transactions stables, c’est-à-dire susceptibles de se prolonger pendant une séquence ou une séance (voir tableau 1). Le type de transaction non contrôle – anomie Quelques cas de chahut prolongé ont été observés (avec des enseignants novices uniquement). Les élèves agissent alors indépendamment des consignes (actions anomiques) et l’enseignant tente des actions d’imposition mais sans effectuer le contrôle nécessaire. Il formule des menaces qui ne sont pas suivies d’effet. Le type de transaction imposition – hétéronomie Le type de transaction le plus fréquemment observé met en présence des élèves qui participent seulement lorsque la supervision de l’enseignant est effective (actions hétéronomes). Celui-ci formule les règles sans indiquer explicitement leur motif et contrôle leur application. Le type de transaction argumentation – autorégulation Un autre type de transaction récurrente consiste pour les élèves à agir sans contrôle de l’enseignant (actions autorégulées). Celui-ci indique explicitement et régulièrement les motifs des règles qu’il énonce. Il met en rapport ces règles avec leur fonction, le but qu’elles permettent d’atteindre. Le type de transaction négociation – autonomie Dans certains cas, les élèves devancent les consignes, se donnent eux-mêmes des règles, engagent des négociations explicites avec l’enseignant et entre élèves, prennent des initiatives en rapport avec les visées transformatives de l’enseignant (actions autonomes). Celui-ci met en place des dispositifs qui laissent des initiatives aux élèves, accueille les propositions imprévues, négocie explicitement dans le cadre de ses visées transformatrices. Elèves anomie hétéronomie autorégulation autonomie REGLES INSTITUTIONNELLES Transactions à propos des … REGLES DE SECURITE REGLES GROUPALES REGLES DES JEUX REGLES D’APPRENTISSAGE Professeur non contrôle imposition argumentation négociation (Tableau 1) Les transactions professeur – élèves stables en EPS Lors de ces transactions stables, il n’est pas possible de déterminer lesquelles, des actions des élèves ou du professeur, sont à l’origine du consensus observé. Plus exactement, il est assuré que ces différentes actions sont toujours co-déterminées en situation (Durand, 2001 ; GalPetitfaux et Durand, 2001). Et si l’on peut imaginer qu’un enseignant développe de façon privilégiée certains modes d’intervention (un « style » d’enseignement ?), si l’on remarque par ailleurs que les élèves manifestent eux aussi certaines actions privilégiées, en rapport avec le sens global qu’ils attribuent à leur activité scolaire, une analyse attentive de multiples situations de classe montre que les transactions qui se mettent en place dans un cours d’EPS, parce qu’elles sont le résultat de négociations incessantes, sont largement imprévisibles. Il suffit pour s’en convaincre de constater que telle classe réputée difficile traverse de longues séquences de travail scolaire autorégulé (transactions argumentation – autorégulation) avec Mme X, même si en quelques occasions Mme X a rappelé à l’ordre et menacé un groupe d’élèves qui faisaient autre chose que ce qui était prescrit (transaction imposition – hétéronomie) ; qu’à l’inverse, tels élèves dociles et « scolaires » s’échangent fréquemment des insultes à haute voix et invectivent ouvertement le professeur dans la classe de M. Y (transaction non contrôle - anomie), sauf au cours du cycle d’acrosport (transaction argumentation – autorégulation). Proposition d’outils Pour cette raison, nous proposons ici une réflexion sur les actions du professeur qui consistent à présenter les règles aux élèves (des actes de langage selon Searle, 1972), actions qui, nous en faisons l’hypothèse, ont un effet sur les actions des élèves et peuvent soit les orienter vers une intégration et une autonomie, soit, au contraire, les pousser à des actions hétéronomes, voire anomiques. En effet, il existe de nombreuses manières de présenter les règles aux élèves (tableau 2), les différences se manifestant essentiellement par la formulation explicite du motif de la règle (argumentation) ou par un questionnement qui laisse le choix de l’opération aux élèves (négociation). Intentions « il faut », « il ne faut pas », « il faut essayer / il Opérations « faire ceci » « faire ainsi » (néant) « sinon » Motifs Motif absent Menace (Actions) Imposition faudrait », « parce que » « Faut-il » « Que faut-il … » « faire ceci ou cela » « pour ? » (néant) « pour ? » Motif présent Argumentat° Questions partant Négociation du motif (Tableau 2) Types de présentation des règles en EPS Or, lorsqu’on observe des enseignants dans un cours d’EPS dans l’enseignement secondaire et primaire en France, on s’aperçoit que la plupart des interventions sont sur le mode impositif (les règles ne sont pas justifiées, leur motif est absent). Les enseignants invoquent deux raisons principales pour expliquer ce phénomène : d’abord le manque de temps, l’impossibilité de tout justifier ; ensuite le fait qu’ils sont convaincus que les élèves savent déjà pourquoi on met en place tel dispositif, pourquoi on propose telle tâche (« parce que cela a été dit dans les séances précédentes », « parce que cela est évident »). Le constat d’une corrélation entre ce mode de présentation des règles (actions d’imposition) et les actions hétéronomes d’élèves montre les limites de cette conviction : lorsque de façon répétée, des élèves sont passifs, dévient par rapport aux règles dès que l’enseignant a le dos tourné et que l’on associe ces actions à un mode majoritairement impositif de la part l’enseignant, on peut se demander si les élèves ont véritablement à l’esprit « ce qui a été dit lors des séances précédentes », s’ils perçoivent bien l’articulation entre les règles présentées et le motif auquel elles sont rapportées, si ce lien « est évident » à leurs yeux. Cette investigation nous pousse à suggérer un recours plus systématique chez les enseignants à des actions d’argumentation (justification des règles, évocation explicite des motifs) susceptibles d’opérer l’articulation entre ce qu’il y a à faire pour l’élève et ce pourquoi il le fait. Chez les enseignants qui engagent le plus souvent des transactions argumentation – autorégulation, on perçoit ce travail de justification, en début de séance et au cours des régulations. Ce qui est prescrit aux élèves est sans cesse rapporté à des buts et des motifs explicites. Les buts et motifs sont enchâssés (tableau 2) Intentions Il faut Règle d’apprentissage en badminton Opérations Buts et motifs enchâssés viser des pour obliger l’adversaire à se déplacer cibles variées pour qu’il soit en retard sur le volant pour qu’il te renvoie une trajectoire haute pour pouvoir smasher et marquer le point pour pouvoir gagner le match et le tournoi (Tableau 3) Exemple d’action d’argumentation Notons que ce mode d’intervention est associé à des situations qui impliquent les élèves, qui les placent dans une activation initiale (un jeu, une situation de référence où l’émotion est présente, où l’élève a la possibilité de battre son record, de se confronter à un adversaire de son niveau, de présenter à d’autres un enchaînement de formes corporelles, …) ou les projettent vers une échéance repérée (un tournoi, une sortie, un spectacle) (tableau 4). Elèves Vers une transaction persuasion autorégulation Professeur anomie imposition hétéronomie autorégulation persuasion autonomie négociation (Tableau 4) Les effets de l’argumentation sur les transactions professeur – élèves Une réflexion est sans doute à mener également sur les outils permettant de négocier avec les élèves. En effet lorsque des élèves négocient, amendent, les règles, prennent des initiatives (actions autonomes) dans le cadre des visées transformatives de l’école, cela est associé à un certain type d’intervention de la part de l’enseignant. Dans ce cas, les gestes professionnels que nous qualifions sous le terme générique « d’actions de négociation » sont assez disparates. Premièrement, le professeur laisse des initiatives aux élèves : après avoir mis en place des situations impliquantes pour eux, il offre des alternatives (faut-il faire ceci ou cela ?) ou procède par questions ouvertes (que faut-il faire ?) (voir tableau 2). Pour aboutir à de véritables négociations, ces actes de langage sont suivis d’un accueil positif des propositions d’élèves. En d’autres termes, le professeur accepte les propositions peu pertinentes d’élèves (en effet, on observe souvent des simulacres de négociations où le questionnement se resserre systématiquement sur la réponse attendue par le professeur. Dans ce cas, les élèves ne sont pas dupes). Deuxièmement, au niveau des règles d’apprentissage, ces gestes professionnels permettant de négocier avec les élèves prennent souvent la forme de situations de résolution de problème (échanges d’actes de langage) ou de situations de découverte (dans lesquelles les élèves ne sont pas amenés à verbaliser). Au niveau des règles groupales et des règles de jeux, on constate plus rarement ce type de démarche que nous appelons « négociation » et qui consiste à « ne pas tout dire aux élèves », à les laisser errer vers des dispositifs non pertinents (des équipes déséquilibrées en sports collectifs, un règlement de jeu volontairement partiel). Troisièmement, la négociation du professeur peut passer par une délégation de pouvoir, à l’occasion par exemple d’une co-évaluation, de l’organisation d’un tournoi. Dans ce type de situations, un ensemble de règles est placé sous la responsabilité des élèves. Quatrièmement, les actions de négociation peuvent prendre la forme d’une demande de conception de la part des élèves (un enchaînement en danse, en acrosport ; l’invention d’un jeu de squash adapté à la configuration spatiale du gymnase). Elèves Vers une transaction négociation – autonomie Professeur anomie imposition hétéronomie argumentation autorégulation autonomie négociation (Tableau 5) Les effets de la négociation sur les transactions professeur – élèves Conclusion Notre tentative de formalisation contient les perversions inhérentes à tout modèle : le désir de tout expliquer et la simplification abusive. De plus, elle est présentée ici de façon succincte. On pourrait ainsi développer les notions de « conflit », de « crise », de « régression » comme transitions dans le processus de maturation de l’élève. De même, les suggestions que nous avons développées ne peuvent faire oublier que le mode de présentation des règles par l’enseignant est inclus dans des transactions, qu’il est dépendant des actions d’élèves. On peut penser par exemple, à l’opposé des postulats non directifs, que face à des actions anomiques la première étape n’est pas celle de la persuasion ni de la négociation mais celle de l’imposition de la règle, avec contrôle extérieur (c’est-à-dire l’installation d’une transaction hétéronomie – imposition). Cette transition (de l’anomie à l’hétéronomie), lorsqu’elle n'est plus prise en charge par les familles, est coûteuse en temps, en énergie, en inconfort (Ria et coll., 2001) pour les acteurs du système scolaire. Mais, lorsqu’elle est atteinte, elle porte en germe le risque d’une fixation, devenant une sorte de ligne d’arrivée, un but en soi (la pédagogie autoritariste). On constate en effet qu’avec des classes dociles, passives, soumises à la règle imposée et contrôlée, le risque est de muer cette « étape hétéronome » en « soumission définitive » ; lorsque les élèves sont « sages », l’enseignant ne cherche pas toujours à proposer des espaces de liberté, à réduire le contrôle (autorégulation) pour, ensuite, provoquer la négociation, la conception de règles par les élèves eux-mêmes (autonomie). Néanmoins, le fait d’envisager la situation de classe en termes de « transactions à propos des règles de la classe » permet de sortir de la fausse problématique « didactique ou pédagogie », de se convaincre de l’indétermination de la situation d’enseignement (donc de l’opportunité d’y avoir un effet comme professeur) et, de là, de poser les éternel questions de motivation, de réduction des actions inciviles d’élèves en des termes nouveaux, axé vers des stratégies dans lesquelles l’enseignant est impliqué, comme acteur. Quand on interprète la réalité éducative à partir des règles, l’idée qui s’impose est que l’autonomie de l’élève et celle de l’enseignant sont consubstantielles (Méard, Champsavoir, Euzet, 2000). BIBLIOGRAPHIE Amade-Escot, C. (1989). Stratégies d’enseignement en EPS : contenus proposés, conception de l’apprentissage et perspectives de différenciation, Bui-Xuan, G. éd. Méthodologie et didactique de l'EPS. AFRAPS, 119.130. Bertone, S., Méard, J., Flavier, E., Euzet, JP, Durand, M. (2002). Undisciplined actions and teacher – student transactions during two physical education lessons. European Physical Education Review, 2, (8), 4-21. Bertone, S., Méard, J.A., Euzet, J.P., Ria, L., Durand M., (2003). Intrapsychic conflict Experienced by a preservice teacher during classroom interactions: A case study in physical education. Teaching and Teacher Education, 19, (1), 113-125. Coulon, A. (1994). Ethnométhodologie et éducation, Paris : PUF. Doyle, W. (1990). 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