Les comptes de l`assurance-vieillesse
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Les comptes de l`assurance-vieillesse
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références ECONOMIE Les comptes de l’assurance-vieillesse L’été et le début de l’automne ont été fertiles en rapports officiels concernant la sécurité sociale, et donc les régimes de retraite. La Cour des comptes a publié fin juin son Rapport de certification des comptes du régime général de sécurité sociale, puis à la mi-septembre son Rapport annuel sur la sécurité sociale. Enfin la Commission des comptes de la sécurité sociale a approuvé début octobre le document présentant les résultats 2011 et les prévisions 2012 et 2013 pour l’ensemble des régimes. La Cour parle de « comptes sociaux durablement déséquilibrés qui exigent un effort de redressement de grande ampleur ». L’assainissement financier du système français de retraites par répartition, qui représente environ 45 % des finances sociales du pays, est donc un objectif de première importance. Mais ces rapports montrent combien l’héritage est lourd : effroyablement compliqué, ce système est difficilement gouvernable. L’enjeu de la « réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse » que la loi retraite 2010 commande d’engager « à compter du 1er semestre 2013 » est de toute première importance. Le travail de la branche vieillesse laisse à désirer les deux réserves, parmi six, qui nous ont paru les plus significatives. La Cour des comptes a certifié les comptes de la branche, mais avec de fortes réserves. Sont reprises ci-dessous Premièrement, « les insuffisances du contrôle interne ne permettent pas de disposer d’une assurance raisonnable sur l’exhaustivité et l’exactitude des reports de données notifiées par des organismes sociaux ou déclarés par des employeurs aux comptes de carrière des assurés sociaux ». Autrement dit, la Cour estime que les données sur lesquelles travaillent les liquidateurs pour calculer le montant des pensions ne sont pas très fiables. Les informations en provenance de Pôle Emploi sont à nouveau sur la sellette, comme en 2008 : cet organisme a du mal à respecter les règles – passablement abscondes, il est vrai – qui président à la validation en tant que durées d’assurance de périodes non travaillées. La détection des erreurs et omissions au niveau des déclarations faites par les employeurs est insuffisante. Cerise amère sur le gâteau, faute d’un outil de saisie approprié, environ 600 000 déclarations, dont certaines remontent à l’an 2000, « demeuraient en attente de saisie au 31 décembre 2011 ». Résumé de l’article Les comptes de l’assurance vieillesse française sont difficiles à établir et à utiliser en raison de la multiplicité des régimes par répartition (56) et de transferts de ressources nombreux, complexes et instables. Les bilans ne sont que rarement fournis. Le montant des pensions distribuées atteint 275 milliards au total ; la qualité du calcul des droits, constate la Cour des comptes, n’est pas irréprochable, et les frais de gestion sont globalement excessifs du fait de la fragmentation du système. Les déficits, calculés avant subventions publiques, ne reculent que dans de rares régimes, et surtout grâce à la mise en place de prélèvements supplémentaires. Il est difficile de gérer efficacement cette mosaïque de régimes. La réforme systémique qui doit faire l’objet d’une “réflexion nationale“ en 2013, avec comme enjeux l’unification du système et la mise en place d’instruments de gestion plus efficaces, est donc de la plus haute importance. 2 Deuxièmement, « en matière de liquidation des droits à la retraite, les dispositifs de contrôle interne n’assurent qu’une maîtrise partielle du risque d’erreurs de portée financière, qui continue à affecter dans une mesure significative les droits liquidés, mis en paiement et comptabilisés. » Un dossier de retraite liquidée, sur cinq, est retourné pour corrections // N°459 Novembre 2012 // Revue Française de Comptabilité Par Jacques BICHOT, Economiste, Professeur émérite à l’université Lyon 3 au service liquidateur ! Les erreurs liées à la saisie ou aux pièces justificatives sont prépondérantes. Outre la mauvaise organisation des services (la Cour estime insuffisante les “supervisions internes“) la source de ces erreurs est pour une part non négligeable « la complexité et l’instabilité des règles relatives à la constitution des droits à la retraite ». Il va falloir simplifier et stabiliser. Résultats et prévisions pour l’assurance vieillesse du régime général Remarquons tout d’abord l’évolution difficilement soutenable qui sera celle des prestations du régime général en 2013 en l’absence de mesures d’économies : progression de 4,2 % (contre 3,2 % en 2011 et 3,1 % en 2012). Avec 4,8 % d’augmentation en 2013, les pensions de retraite seront en tête du mouvement. Les nouvelles dispositions relatives aux conditions de départ anticipé pour carrière longue, qui entrent en vigueur le 1er novembre, devraient se traduire par 17 800 liquidations supplémentaires en 2012, et 65 000 en 2013. Sachant que la diminution du nombre des liquidations provoqué par la loi retraite 2010 a constitué, pour les années 2011 et 2012, le principal frein à l’explosion des dépenses de prestations (tout de même + 4,6 % en 2011 et + 4,1 % en 2012), on constate que le décret 2012 destiné à desserrer ce frein tombe mal du point de vue de l’équilibre financier de ce régime. ECONOMIE La diminution du déficit de la CNAV devrait néanmoins se poursuivre : de presque 9 milliards en 2010 à 6 milliards en 2011 puis 5 en 2012 et 4 en 2013. Mais cette amélioration résulte d’augmentations des prélèvements et de modifications de tuyauterie entre divers organismes sociaux et fiscaux : l’annualisation du mode de calcul des “allégements Fillon“ et la prise en charge par le FSV (Fonds de solidarité vieillesse) d’une partie du minimum contributif expliquent une part importante de l’augmentation (7,5 %) des recettes en 2011 ; et son homologue de 2013 (soit 5,6 %) résultera en grande partie du poste “contributions, impôts et taxes“ (+ 10,8 %, soit + 1,2 milliard) grâce au relèvement de 2 points du taux du prélèvement social sur les revenus du capital, et du poste “forfait social“, qui passe de 0 en 2011 à 320 millions en 2012 puis 1,3 milliard en 2013. L’augmentation des taux de prélèvement ayant des limites, et les perspectives de croissance n’étant pas fameuses, l’heure des économies ne tardera pas à sonner. Après avoir beaucoup contribuée au “window dressing“ des comptes de la CNAV en 2011 et 2012, la prise en charge de cotisations et de prestations par le FSV ne devrait pas s’accroître fortement en 2013. Reste que le résultat net du compte de la CNAV est le fruit de trop de manipulations pour constituer un indicateur fiable de la situation de cet organisme et de son évolution. Il s’agit là d’une réalité ancienne : par exemple, le transfert progressif du FSV à la branche famille de la charge de la majoration de pension pour éducation d’une famille nombreuse, achevé en 2011 (la dernière prise en charge partielle par le FSV est intervenue en 2010), a permis de modifier par étapes les périmètres respectifs de la branche vieillesse (au sens large, incluant le FSV) et de la branche famille, de façon à faire apparaître la situation de la première moins mauvaise qu’elle ne l’est en réalité, au détriment de la seconde. Ces abus de la technique des vases rendus communicants par une tuyauterie budgétaire sans cesse modifiée ne facilite évidemment pas un débat clair concernant les retraites et leur financement, que ce soit au niveau du Gouvernement, de la représentation nationale ou des citoyens. Régime des exploitants agricoles Les prestations vieillesse du régime général ne représentent qu’une petite moitié des pensions versées par l’ensemble des régimes de base : 97,86 milliards sur 197,92 en 2011. Cependant, l’évolution va dans le sens d’une part légèrement croissante pour la CNAV : de 49,29 % en 2010 cette part devrait atteindre 49,83 % en 2013. Le régime des fonctionnaires des collectivités et des hôpitaux croît plus vite, ceux de la RATP et des IEG un peu plus vite, celui des fonctionnaires de l’État à peu près à la même vitesse, et les autres progressent plus lentement ou reculent (mines). La situation financière de ces régimes peut s’envisager de deux manières : soit en comparant la totalité de leurs recettes à celle de leurs dépenses ; soit en distinguant dans leurs recettes entre celles qui correspondent à la gestion d’un organisme autonome, y compris le bénéfice de la compensation démographique, et celles qui constituent un renflouement opéré par les pouvoirs publics, sous forme de subventions ou de taxes affectées. Le régime des exploitants agricoles, par exemple, régulièrement déficitaire, le serait beaucoup plus s’il ne bénéficiait d’une taxe sur les boissons qui représente entre 29 % et 33 % de ses ressources. De plus, l’amélioration de ses résultats entre 2010 et 2013 (de 1 283 millions de déficit à 845 millions) tient pour l’essentiel à l’augmentation du rendement de cet impôt (+ 417 millions). Régimes des fonctionnaires Cette remarque a un équivalent de grande taille quand on observe le régime des fonctionnaires de l’État, dont le résultat est par définition égal à zéro : la “cotisation fictive d’employeur“ est calculée pour cela. Plus précisément, figurent dans la partie “produits“ du compte de résultats deux sortes de cotisations d’employeur : la première, au taux applicable pour un régime ordinaire, se cumule avec les cotisations salariales pour former les “cotisations sociales des actifs“ 1 ; la seconde est tout simplement le montant de la subvention d’équilibre de l’État à ce régime spécial. De 33,1 milliards en 2010, cette subvention d’équilibre passerait à 37,7 milliards en 2013. Son augmentation en 3 ans atteindrait ainsi 13,94 %, nettement plus que celle du total des pensions (9,31 %) : le déficit de ce régime, cause importante du déficit de l’État, réalise une belle performance ! 1. En fait, il s’agit de la somme des cotisations sociales salariales et patronales. Les comptes de la sécurité sociale désignent depuis longtemps cette somme par “cotisations des actifs“, ce qui est pertinent du point de vue économique mais contraire aux conventions terminologiques habituelles. Curieusement, la même présentation des comptes n’a pas été adoptée pour le régime des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers. Cette fois, le poste “cotisations sociales des actifs“ englobe les cotisations salariales, les cotisations patronales au taux ordinaire, et le surplus de cotisations patronales destiné à équilibrer (approximativement cette fois) le régime, c’est-à-dire la CNRACL. Les prestations servies par cette caisse progressent à grande vitesse (13,9 milliards en 2010, 17 prévus en 2013 : + 22 % en 3 ans). Le déficit est non négligeable : 491 millions en 2010, puis 375 en 2011, probablement 786 en 2012, et 1 306 en 2013 sauf mesures ad hoc. Les annexes financières au rapport d’activité de la CNRACL, disponibles sur le site de la Caisse des dépôts, montrent ce qui s’est passé de 2008 à 2011 : les capitaux propres ont fondu de 2,16 milliards à 1,29 milliard, et les valeurs mobilières de placement de 1,13 milliard à 0. Comment éviter le passage à des capitaux propres négatifs et à l’endettement ? Information de dernière minute (Liaisons sociales du 10 octobre) : une augmentation du taux de la cotisation employeur est programmée au 1 er janvier 2013, une autre envisagée pour l’année suivante, et la CNRACL bénéficiera d’un transfert de réserves à hauteur de 690 millions, pris sur d’autres programmes sociaux relatifs aux fonctionnaires territoriaux. Abstract There are difficulties in preparing and using the accounts of French old age pension plans.This is because of the huge number of plans (56) and of multiple transfers of resources, all being complex and unstable. The financial positions are rarely provided. The amount of pensions served is 275 billions € in total; according to the Court of Auditors, the quality of the calculation of entitlements is not beyond reproach, and the management costs are globally excessive, owing to the fragmentation of the system. The deficits, before government subsidies, are diminishing only in a small number of plans, thanks mostly to additional contributions. Such a complex “mosaic” of plans is not easy to manage efficiently. Therefore, the “systemic reform“ due to be debated nationwide in 2013 with the objectives of unification and efficiency is of paramount importance. Revue Française de Comptabilité // N°459 Novembre 2012 // 3 Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références ECONOMIE SNCF et RATP La multiplicité des régimes de base pose à l’évidence un difficile problème de gouvernance. Les pouvoirs publics cherchent à les rapprocher progressivement du régime général, soit directement, soit en les alignant sur le régime des fonctionnaires, lui-même en voie de rapprochement du régime général. De 2005 à 2008, la RATP et la SNCF ont fait l’objet de décrets réformant leurs régimes, en principe dans ce sens. Cela n’empêche pas que la Commission des comptes de la sécurité sociale ait dû constater une fois de plus que pour la SNCF : « La branche vieillesse est structurellement déficitaire. (…) Elle est équilibrée par une subvention en augmentation régulière ». Plus précisément, le taux de cotisation salariale est encore à 7,85 %, alors qu’il est passé à 8,39 % cette année pour les fonctionnaires et doit aboutir à 10,55 % en 2020. La cotisation employeur se décompose en deux, la première part, au taux T1, devant couvrir l’équivalent du régime général et de l’ARRCO/AGIRC, tandis que la seconde, au taux T2, finance les droits spécifiques : de 12,73 % en 2010, ce taux est passé à 11,26 % en 2011 alors que dans le même temps la subvention d’équilibre versée par l’État passait de 3,025 milliards à 3,221 milliards. Les perspectives sont de 3,3 milliards en 2012 et 3,374 milliards en 2013. Sans cette générosité, les comptes de la SNCF (résultat net part du groupe 125 millions en 2011) seraient largement déficitaires. Pour la RATP les détails ne sont pas les mêmes (en particulier le taux de la cotisation salariale est passé de 7,85 % à 12 % en 2006), mais le déficit de la caisse de retraite avant subvention d’équilibre de l’État est, en proportion, comparable à celui de la caisse de la SNCF : il atteint 531 millions en 2011, à comparer à 434 millions de cotisations. La Cour des comptes a consacré le Chapitre VI de son rapport sécurité sociale 2012 aux réformes de ces deux régimes. Elle juge que ces réformes (2005 – 2008) ont été “d’ampleur limitée“. Et cela continue : si la loi retraite de novembre 2010 (recul des âges légaux) a été transposée par décret en mars 2011, l’accélération du passage à 62 et 67 ans décidée en décembre 2011 pour le régime général et la fonction publique n’a pas été transposée : la politique d’alignement n’a pas tenu la distance, dirait-on familièrement. Surtout, les “mesures d’accompagnement“ des réformes, telles que des créations d’échelons de rémunération 4 supplémentaires, des majorations salariales en fin de carrière, et l’intégration de certaines primes dans la base de calcul des droits à pension, ont assez fortement renchéri le coût salarial et celui des pensions. La Cour, d’après les indications qu’elle a pu obtenir de la SNCF, estime à 4,73 milliards d’euros 2010 le surcoût salarial pour la présente décennie (2011-2020), et 4,14 milliards pour la suivante. La caisse de retraite de la SNCF, quant à elle, pourrait gagner 4,1 milliards durant la première décennie et 6,3 sur la suivante. De son côté la RATP pourrait perdre sur la première décennie l’équivalent des 300 millions que gagnerait sa caisse de retraite ; sur la seconde, la caisse pourrait gagner 1,1 milliard pour 700 millions au moins de surcoût pour l’entreprise. En conclusion la Cour juge « inévitables à moyen terme de nouvelles étapes pour assurer la pérennité de ces deux régimes en cohérence beaucoup plus forte avec l’effort global qui sera nécessaire pour garantir dans la durée la soutenabilité de l’ensemble du système des retraites ». Mais peut-être faut-il aller plus loin dans l’interrogation : en 2030, pour la SNCF et la RATP, des caisses de retraites et des régimes spécifiques autres que des régimes supplémentaires d’entreprise fonctionnant par capitalisation, cela aurat-il encore un sens ? Retraite des professions libérales Gestionnaire du seul régime de base à recourir aux points pour comptabiliser les droits à pension, la CNAVPL (Caisse nationale d’assurance vieillesse des professions libérales) bénéficie d’un ratio cotisants sur pensionnés encore exceptionnel bien que déclinant rapidement : 2,25 en 2012, mais 2,51 en 2010 et probablement 2,13 en 2013. Cet avantage démographique explique en partie l’ampleur inusitée de la compensation démographique dont ce régime est débiteur : 654 millions en 2012, nettement plus de la moitié des 1 146 millions de prestations versées. Le reste de l’explication tient au rattachement au régime des professions libérales de nombreux auto-entrepreneurs, qui ne figurent pas dans les effectifs indiqués par la Commission, mais sont bel et bien pris en compte pour le calcul de la compensation démographique ! De 2009 à 2010 (première année de prise en compte massive d’auto-entrepreneurs) cette compensation a bondit de 25 % ; elle devrait encore croître de 17 % de 2010 à 2013. // N°459 Novembre 2012 // Revue Française de Comptabilité L’effet du baby-boom dans les comptes de la CNAVPL se fait ressentir 5 ans plus tard que dans la plupart des régimes, car l’exercice libéral d’une profession se poursuit généralement jusqu’à 65 ans, voire plus, et on assiste donc à partir de 2011 au départ à la retraite des nombreux adhérents nés à partir de 1946. Ainsi les pensions versées par la CNAVPL vontelles augmenter, probablement, de 31 % entre 2010 et 2013 ! Les cotisations ne progressant pas au même rythme (+ 9 % en 3 ans) le résultat net, devenu négatif en 2010 du fait du bond en avant de la compensation démographique, se creuse et va probablement se creuser de plus en plus : de 21 millions en 2010 le déficit pourrait passer à 218 millions en 2013. La Commission des comptes pointe sans ambiguïté la cause de cette dégradation : dans une section intitulée “un résultat très sensible à l’évolution de la charge de compensation démographique“, on lit : « Le niveau de ce transfert avait connu une hausse de près de 25 % en 2010 consécutive de la montée en charge du statut d’auto-entrepreneur qui améliore la situation démographique relative du régime ». Elle ne fait aucun commentaire, mais il est clair que cette mésaventure de la CNAVPL illustre le caractère inadapté de la compensation démographique, pour le calcul de laquelle tous les cotisants ont le même poids, qu’ils cotisent sur 5 000 € par an ou sur 100 000 €. Régime des indépendants À la différence de celui des professionnels libéraux, le ratio démographique des artisans, industriels et commerçants est mauvais : de l’ordre de un pensionné pour un cotisant. Néanmoins, ce ratio s’améliore depuis peu, selon les statistiques fournies par la Commission, car pour ce régime, à la différence de celui des professions libérales, la Commission compte les auto-entrepreneurs parmi les cotisants (on notera au passage l’imperfection d’un système statistique qui ne fournit pas des données comparables d’un régime à l’autre). Plus précisément, de 1,813 million de cotisants pour 1,954 million de bénéficiaires en 2010, on devrait passer à 2,066 millions de cotisants pour 2,061 millions de bénéficiaires en 2013. Comme celui des fonctionnaires de l’État, ce régime a par construction des comptes équilibrés : il reçoit en effet une part de la CSSS (Cotisation sociale de solidarité des sociétés) calculée pour combler exactement son déficit. Le poste “CSSS“ dans la partie produit du bilan donne donc une idée de l’insuffisance de ses ressources ECONOMIE “normales“. De fortes progressions du produit des cotisations en 2010 et 2011 (+ 13,2 % et + 11,2 %) restent plutôt mystérieuses ; le document les explique par la mise en place de nouvelles modalités de paiement qui comportent des acomptes mensuels et une régularisation à la fin de l’année suivante en fonction des résultats de l’entreprise ; il faut se référer aux comptes 2009 pour constater que des changements dans les modalités de calcul et de paiement des cotisations ont provoqué de fortes fluctuations de leurs rentrées (+ 19,9 % en 2008 et - 13,2 % en 2009 pour les commerçants). L’opération de rapprochement entre le régime des artisans et celui des commerçants, tous deux désormais gérés par le RSI, a visiblement été difficile. Il serait souhaitable qu’elle soit précisément analysée, de façon à ce que des leçons puissent en être tirées, puisque l’unification des différents régimes, en faveur de laquelle plaident de forts arguments économiques, doit être discutée dans le cadre de la réflexion nationale sur la réforme systémique prévue pour 2013. Dernière remarque concernant ce régime : 292 millions de charges de gestion courante pour 7 200 millions de prestations versées, en 2012, cela représente 4 % de frais administratifs. La CNAVPL fonctionne avec 2,3 %. Il serait intéressant de savoir ce qui explique le caractère très coûteux de la gestion par le RSI. L’hypothèse la plus simple est que les frais sont liés au nombre des retraités et des cotisants plutôt qu’au montant des pensions versées. En 2012 la pension moyenne RSI ne s’élève qu’à 3 560 €, contre 6 540 € pour son homologue CNAVPL : cela explique probablement la plus grosse partie de la différence des frais de gestion en pourcentage des pensions. Mais si cette relation inverse entre frais de gestion et valeur moyenne des pensions est robuste, n’implique-t-elle pas que l’on économiserait beaucoup sur le coût de fonctionnement du système français de retraites par répartition en parvenant à distribuer le même montant par retraité à l’aide d’une seule pension (ou deux s’il y a une réversion) au lieu de 2,7 pensions par retraité en moyenne actuellement ? universel, témoin le journal Les Échos qui, le 12 octobre 2012, titrait sur 6 colonnes à la une : « Retraites des cadres : les réserves épuisées dès 2017 ». Les prévisions de l’ARRCO/AGIRC, citées par ce journal, sont des pertes cumulées de 2012 à 2020 atteignant 27 milliards pour l’AGIRC, et 53 milliards pour l’ARRCO 2. En 2008 ces régimes ont essuyé pour la première fois depuis longtemps des pertes sérieuses sur leurs portefeuilles, mais surtout leurs résultats nets hors résultats financiers se sont dégradés, devenant négatifs pour l’AGIRC, rejointe l’année suivante par l’ARRCO. Depuis, les deux régimes sont dans le rouge (hors résultats financiers) et le seront probablement encore en 2013, sauf mesures de redressement, comme on le voit sur le tableau ci-dessous : Année 2010 2011 2012 2013 ARRCO 1 058 1 990 2 688 3 295 AGIRC 1 438 1 785 1 963 957 Les charges de gestion courante, 1 677 millions pour l’ARRCO et 655 millions pour l’AGIRC en 2012, s’établissent en pourcentage des pensions versées à 3,54 % et 2,75 % respectivement. Pour l’ARRCO, la valeur élevée de ce pourcentage s’explique par la modicité de la pension moyenne (3 520 € par an). En revanche, les 8 720 € de la pension moyenne AGIRC auraient laissé espérer un taux plus raisonnable, de l’ordre de 2% ou un peu moins. IRCANTEC Ce régime complémentaire des agents non titulaires de l’État et des collectivités publiques est géré par la Caisse des dépôts. Il bénéficie d’un ratio démographique favorable (2,77 millions de cotisants pour 1,89 millions de pensionnés), et sa situation est encore bien meilleure du fait que bon nombre de ces pensionnés n’ont pas passé la totalité de leur vie active comme contractuels : la durée de cotisation moyenne à ce régime est de l’ordre de dix ans. AGIRC/ARRCO Le montant très modeste de la pension moyenne (1 230 € par an en 2012) correspond à ces faibles durées de cotisation. Il rend tout à fait honorable le pourcentage Les régimes complémentaires des salariés du privé ont constitué des réserves non négligeables, sur lesquelles ils tirent actuellement pour financer le déficit de leur compte de résultat. Ces réserves ne sont malheureusement pas suivies par la Commission des comptes de la sécurité sociale. Ce manque d’intérêt n’est pas 2. En fait ces régimes fonctionnant par points, il leur suffirait pour éviter cela de fixer la valeur de service du point, année après année, à un niveau assurant l’équilibre financier. Ces projections alarmistes correspondent à des hypothèses ménageant le pouvoir d’achat des retraités. de 3,80 % que représentent les charges de gestion courante en proportion des prestations versées : à peine supérieur à celui de l’ARRCO, alors que les pensions versées sont presque trois fois plus modestes. L’AGIRC/ARRCO devrait-elle confier sa gestion à la CDC ? En sus de ses mérites, l’IRCANTEC a de la chance. En 2011, un taux de cotisation de 5,69 % lui a suffi, contre 7,5 % à l’ARRCO, pour la tranche A (salaires inférieurs au plafond de la sécurité sociale). Et 17,6 % pour la tranche B, contre 20,3 % à l’AGIRC. De plus, il n’est nul besoin d’un équivalent de l’AGFF pour financer la retraite à 60 ans : cela veut dire encore 2 points de cotisation en moins par rapport à l’AGIRC/ARRCO ! Cela met l’IRCANTEC à l’aise pour prévoir un relèvement progressif des cotisations. Ses réserves (5,1 milliards d’euros, soit 27 mois de prestations) sont orientées à la hausse, et il est hors de question d’interrompre ce mouvement. Reste à savoir s’il est convenable, au pays de l’égalité, qu’un heureux hasard démographique mette ainsi un régime en bien meilleure posture que ses semblables. Il n’existe pas de compensation démographique entre régimes complémentaires pour établir un semblant de solidarité ; est-ce normal ? Compte tenu des graves imperfections de la compensation, et de l’impossibilité de l’améliorer sensiblement, il serait mal venu de proposer d’en établir une. Mais les perspectives d’unification doivent être étudiées en 2013, si cette disposition de la loi retraite de 2010 est respectée. L’ARRCO, initialement mosaïque de régimes disparates, a eu l’immense mérite d’unifier tous ces régimes. Pourquoi ne pas l’imiter (sur ce point) au plan national ? Régimes complémentaires des professions libérales La section 18.6 des comptes de la sécurité sociale regroupe deux types de régimes sans le moindre point commun : les régimes complémentaires classiques gérés chacun par une des dix sections de la CNAVPL, et les ASV (“Avantages sociaux vieillesse“), cadeau empoisonné fait par les pouvoirs publics aux professionnels de santé conventionnés, qui constituent environ la moitié des professionnels libéraux. Les premiers ont distribué 2,22 milliards de prestations en 2011, et perçu 2,75 milliards de cotisations, auxquels s’ajoutent environ 300 millions de produits financiers pour ce mauvais exercice (ces produits dépassaient 500 millions en Revue Française de Comptabilité // N°459 Novembre 2012 // 5 Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références ECONOMIE 2010, et devraient approcher 400 millions en 2012). Les comptes de la sécurité sociale ne donnent aucune information sur leurs bilans ; il faut donc aller sur le site de chaque section pour disposer des informations. Ainsi la CARMF (médecins), qui a distribué 697 millions de pensions au titre du régime complémentaire en 2011, avait au passif de son bilan en fin d’année 4,23 milliards de “provisions techniques vieillesse“, soit 6 années de prestations, et à l’actif des placements en rapport. La CAVEC (experts-comptables), dont les derniers comptes mis en ligne sont ceux de 2010, a distribué cette annéelà 97 millions de prestations pour 127 millions de cotisations et 62 millions de produits de gestion financière et dispose de réserves s’élevant à 877 millions, soit presque 9 années de prestations. Ces régimes complémentaires fonctionnent donc selon une formule mixte, la répartition provisionnée. Leurs frais administratifs sont modestes en pourcentage des pensions distribuées : 1,43 % à la CARMF, 1,1 % à la CAVEC, ce qui semble indiquer une meilleure productivité à la CAVEC puisque la pension moyenne y est plus faible (environ 11 064 € en 2010 contre 13 236 € en 2011 à la CARMF), ce qui aurait pu justifier un taux de frais administratifs légèrement plus élevé. Venons-en aux ASV, au titre desquels 802 millions ont été distribués en 2011. Mis en place par les pouvoirs publics en 1960 sous forme facultative, ces régimes devaient fonctionner par capitalisation. Financés aux deux tiers par l’assurance maladie, qui a pris en quelque sorte le rôle d’employeur des professionnels de santé conventionnés, ils ont été une douzaine d’années plus tard rendus obligatoires et les réserves initialement constituées ont été progressivement utilisées pour payer les pensions beaucoup trop généreuses qui avaient été promises. Ce sont maintenant des régimes par répartition, obligés de diminuer la valeur du point pour ne pas 6 faire faillite (par exemple, il est programmé une baisse de cette valeur de 15,55 € à 14 € ou 13 € selon les cas entre 2012 et 2015). Ils font réaliser qu’en matière de retraites il ne suffit pas que les pouvoirs publics assurent la maîtrise d’œuvre pour que ce qui est mis en place soit “soutenable“, c’est-à-dire apte à fonctionner correctement sur la longue durée. Conclusion Les 56 régimes de retraite par répartition couverts par les comptes de la sécurité sociale ont distribué en 2011 environ 275 milliards d’euros au titre de pensions de retraite (droits directe et droits dérivés). Seize d’entre eux, présentés regroupés, ne répartissent que 260 millions. Dix autres, correspondant aux dix sections professionnelles de la CNAVPL, versent 2,3 milliards. Enfin, les cinq régimes supplémentaires des professions médicales distribuent 0,8 milliard. Comme le souligne le rédacteur des comptes, cette « multiplicité des régimes reflète l’histoire de la sécurité sociale française ». S’il s’agissait de régimes par capitalisation, elle ne poserait pas de problème insoluble. Mais est-elle compatible avec le principe de la répartition ? Il est naturel que la création des activités s’effectue dans un foisonnement plutôt désordonné ; il n’est pas forcément sain de sanctuariser ce foisonnement, qui brouille la perception synthétique du problème des retraites par répartition, rend difficile et moins efficace le pilotage de l’ensemble du système français, engendre des frais administratifs excessifs, et complique considérablement la vie des assurés sociaux dont la carrière n’est pas un long fleuve tranquille. De plus, il n’est pas évident que ce foisonnement respecte le tout premier article du Code de la sécurité sociale, l’article L. 111-1, qui dispose : « l’organisation de la sécurité sociale est fondée sur le principe de la solidarité nationale ». Que des subdivisions de la Nation organisent leur propre // N°459 Novembre 2012 // Revue Française de Comptabilité régime en tirant profit ou en pâtissant de circonstances démographiques qui entraînent des avantages ou des inconvénients “apportés par le vent“, comme le disent joliment les anglo-saxons, n’est pas forcément non plus conforme à cette fraternité et à cette égalité que prône la devise de la République (art. 2 de la Constitution). Quant au premier des trois principes républicains, la liberté, l’interventionnisme dont font preuve les pouvoirs publics pour chacun des régimes passés en revue montre hélas le peu de cas qui en est fait. Faute d’avoir établi un cadre législatif formé de règles claires et stables à l’intérieur desquelles les gestionnaires pourraient prendre leurs responsabilités, l’État français impose discrétionnairement sa volonté pour des détails qui ne sont pas de son ressort. Il est donc probablement temps de fusionner en un régime national unique tout ce qui, dans les régimes existants, ne relève pas d’une retraite professionnelle (et donc de la capitalisation) ; tout ce qui relève vraiment et spécifiquement de la répartition, c’est-à-dire d’un transfert de l’ensemble des actifs du pays en direction des retraités. Une telle réorganisation serait, à coup sûr, un travail d’Hercule, mais elle créerait les conditions d’une réelle maîtrise des problèmes que pose l’avenir de nos retraites et de nos finances publiques. Bibliographie t $PVS EFT DPNQUFT Rapport 2012 de certification des comptes du régime général de sécurité sociale +VJO%JTQPOJCMFTVSMFTJUFEFMB$PVSQ t $PVS EFT DPNQUFT La sécurité sociale. Rapport 2012 sur l’application des lois de financement de la sécurité sociale 4FQUFNCSF %JTQPOJCMF TVS MF TJUFEFMB$PVSQ t.JOJTUÒSFEFMÏDPOPNJFFUEFTGJOBODFTNJOJTUÒSF EFTBGGBJSFTTPDJBMFTFUEFMBTBOUÏLes comptes de la sécurité sociale ; résultats 2011 ; prévisions 2012 et 2013.0DUPCSFUPNFTQFUQ %JTQPOJCMFTVSMFTJUFTFDVSJUFTPDJBMFGS