Les comptes de l`assurance-vieillesse

Transcription

Les comptes de l`assurance-vieillesse
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références
ECONOMIE
Les comptes de l’assurance-vieillesse
L’été et le début de l’automne ont été fertiles en rapports officiels concernant
la sécurité sociale, et donc les régimes de retraite. La Cour des comptes
a publié fin juin son Rapport de certification des comptes du régime
général de sécurité sociale, puis à la mi-septembre son Rapport annuel
sur la sécurité sociale. Enfin la Commission des comptes de la sécurité
sociale a approuvé début octobre le document présentant les résultats
2011 et les prévisions 2012 et 2013 pour l’ensemble des régimes. La Cour
parle de « comptes sociaux durablement déséquilibrés qui exigent un
effort de redressement de grande ampleur ». L’assainissement financier
du système français de retraites par répartition, qui représente environ
45 % des finances sociales du pays, est donc un objectif de première
importance. Mais ces rapports montrent combien l’héritage est lourd :
effroyablement compliqué, ce système est difficilement gouvernable. L’enjeu
de la « réflexion nationale sur les objectifs et les caractéristiques d’une
réforme systémique de la prise en charge collective du risque vieillesse »
que la loi retraite 2010 commande d’engager « à compter du 1er semestre
2013 » est de toute première importance.
Le travail de la branche
vieillesse laisse à désirer
les deux réserves, parmi six, qui nous ont
paru les plus significatives.
La Cour des comptes a certifié les
comptes de la branche, mais avec de
fortes réserves. Sont reprises ci-dessous
Premièrement, « les insuffisances du
contrôle interne ne permettent pas de
disposer d’une assurance raisonnable
sur l’exhaustivité et l’exactitude des
reports de données notifiées par des
organismes sociaux ou déclarés par des
employeurs aux comptes de carrière
des assurés sociaux ». Autrement dit,
la Cour estime que les données sur
lesquelles travaillent les liquidateurs
pour calculer le montant des pensions
ne sont pas très fiables. Les informations
en provenance de Pôle Emploi sont à
nouveau sur la sellette, comme en 2008 :
cet organisme a du mal à respecter les
règles – passablement abscondes, il est
vrai – qui président à la validation en tant
que durées d’assurance de périodes non
travaillées. La détection des erreurs et
omissions au niveau des déclarations
faites par les employeurs est insuffisante.
Cerise amère sur le gâteau, faute d’un
outil de saisie approprié, environ 600 000
déclarations, dont certaines remontent
à l’an 2000, « demeuraient en attente de
saisie au 31 décembre 2011 ».
Résumé de l’article
Les comptes de l’assurance vieillesse française sont difficiles à établir
et à utiliser en raison de la multiplicité
des régimes par répartition (56) et de
transferts de ressources nombreux,
complexes et instables. Les bilans
ne sont que rarement fournis. Le
montant des pensions distribuées
atteint 275 milliards au total ; la
qualité du calcul des droits, constate
la Cour des comptes, n’est pas
irréprochable, et les frais de gestion
sont globalement excessifs du fait
de la fragmentation du système. Les
déficits, calculés avant subventions
publiques, ne reculent que dans
de rares régimes, et surtout grâce
à la mise en place de prélèvements
supplémentaires. Il est difficile de
gérer efficacement cette mosaïque
de régimes. La réforme systémique
qui doit faire l’objet d’une “réflexion
nationale“ en 2013, avec comme
enjeux l’unification du système et
la mise en place d’instruments de
gestion plus efficaces, est donc de
la plus haute importance.
2
Deuxièmement, « en matière de liquidation des droits à la retraite, les dispositifs
de contrôle interne n’assurent qu’une
maîtrise partielle du risque d’erreurs de
portée financière, qui continue à affecter
dans une mesure significative les droits
liquidés, mis en paiement et comptabilisés. » Un dossier de retraite liquidée,
sur cinq, est retourné pour corrections
// N°459 Novembre 2012 // Revue Française de Comptabilité
Par Jacques BICHOT,
Economiste,
Professeur émérite
à l’université Lyon 3
au service liquidateur ! Les erreurs liées
à la saisie ou aux pièces justificatives
sont prépondérantes. Outre la mauvaise
organisation des services (la Cour estime
insuffisante les “supervisions internes“)
la source de ces erreurs est pour une
part non négligeable « la complexité et
l’instabilité des règles relatives à la constitution des droits à la retraite ». Il va falloir
simplifier et stabiliser.
Résultats et prévisions
pour l’assurance vieillesse
du régime général
Remarquons tout d’abord l’évolution
difficilement soutenable qui sera celle des
prestations du régime général en 2013
en l’absence de mesures d’économies :
progression de 4,2 % (contre 3,2 % en
2011 et 3,1 % en 2012). Avec 4,8 %
d’augmentation en 2013, les pensions
de retraite seront en tête du mouvement.
Les nouvelles dispositions relatives
aux conditions de départ anticipé pour
carrière longue, qui entrent en vigueur le
1er novembre, devraient se traduire par
17 800 liquidations supplémentaires en
2012, et 65 000 en 2013. Sachant que
la diminution du nombre des liquidations
provoqué par la loi retraite 2010 a constitué, pour les années 2011 et 2012, le
principal frein à l’explosion des dépenses
de prestations (tout de même + 4,6 % en
2011 et + 4,1 % en 2012), on constate que
le décret 2012 destiné à desserrer ce frein
tombe mal du point de vue de l’équilibre
financier de ce régime.
ECONOMIE
La diminution du déficit de la CNAV
devrait néanmoins se poursuivre : de
presque 9 milliards en 2010 à 6 milliards en 2011 puis 5 en 2012 et 4 en
2013. Mais cette amélioration résulte
d’augmentations des prélèvements et
de modifications de tuyauterie entre
divers organismes sociaux et fiscaux :
l’annualisation du mode de calcul des
“allégements Fillon“ et la prise en
charge par le FSV (Fonds de solidarité
vieillesse) d’une partie du minimum
contributif expliquent une part importante de l’augmentation (7,5 %) des
recettes en 2011 ; et son homologue
de 2013 (soit 5,6 %) résultera en grande
partie du poste “contributions, impôts
et taxes“ (+ 10,8 %, soit + 1,2 milliard)
grâce au relèvement de 2 points du
taux du prélèvement social sur les
revenus du capital, et du poste “forfait social“, qui passe de 0 en 2011 à
320 millions en 2012 puis 1,3 milliard
en 2013. L’augmentation des taux de
prélèvement ayant des limites, et les
perspectives de croissance n’étant pas
fameuses, l’heure des économies ne
tardera pas à sonner.
Après avoir beaucoup contribuée au
“window dressing“ des comptes de
la CNAV en 2011 et 2012, la prise en
charge de cotisations et de prestations
par le FSV ne devrait pas s’accroître
fortement en 2013. Reste que le résultat
net du compte de la CNAV est le fruit de
trop de manipulations pour constituer
un indicateur fiable de la situation de cet
organisme et de son évolution. Il s’agit là
d’une réalité ancienne : par exemple, le
transfert progressif du FSV à la branche
famille de la charge de la majoration de
pension pour éducation d’une famille
nombreuse, achevé en 2011 (la dernière
prise en charge partielle par le FSV est
intervenue en 2010), a permis de modifier par étapes les périmètres respectifs
de la branche vieillesse (au sens large,
incluant le FSV) et de la branche famille,
de façon à faire apparaître la situation
de la première moins mauvaise qu’elle
ne l’est en réalité, au détriment de la
seconde.
Ces abus de la technique des vases
rendus communicants par une tuyauterie
budgétaire sans cesse modifiée ne facilite
évidemment pas un débat clair concernant les retraites et leur financement, que
ce soit au niveau du Gouvernement, de la
représentation nationale ou des citoyens.
Régime des exploitants
agricoles
Les prestations vieillesse du régime général
ne représentent qu’une petite moitié des
pensions versées par l’ensemble des
régimes de base : 97,86 milliards sur 197,92
en 2011. Cependant, l’évolution va dans
le sens d’une part légèrement croissante
pour la CNAV : de 49,29 % en 2010 cette
part devrait atteindre 49,83 % en 2013. Le
régime des fonctionnaires des collectivités
et des hôpitaux croît plus vite, ceux de la
RATP et des IEG un peu plus vite, celui
des fonctionnaires de l’État à peu près à
la même vitesse, et les autres progressent
plus lentement ou reculent (mines).
La situation financière de ces régimes
peut s’envisager de deux manières :
soit en comparant la totalité de leurs
recettes à celle de leurs dépenses ; soit
en distinguant dans leurs recettes entre
celles qui correspondent à la gestion d’un
organisme autonome, y compris le bénéfice de la compensation démographique,
et celles qui constituent un renflouement
opéré par les pouvoirs publics, sous
forme de subventions ou de taxes affectées. Le régime des exploitants agricoles,
par exemple, régulièrement déficitaire, le
serait beaucoup plus s’il ne bénéficiait
d’une taxe sur les boissons qui représente
entre 29 % et 33 % de ses ressources.
De plus, l’amélioration de ses résultats
entre 2010 et 2013 (de 1 283 millions de
déficit à 845 millions) tient pour l’essentiel
à l’augmentation du rendement de cet
impôt (+ 417 millions).
Régimes des
fonctionnaires
Cette remarque a un équivalent de grande
taille quand on observe le régime des
fonctionnaires de l’État, dont le résultat
est par définition égal à zéro : la “cotisation fictive d’employeur“ est calculée pour
cela. Plus précisément, figurent dans la
partie “produits“ du compte de résultats
deux sortes de cotisations d’employeur :
la première, au taux applicable pour un
régime ordinaire, se cumule avec les
cotisations salariales pour former les
“cotisations sociales des actifs“ 1 ; la
seconde est tout simplement le montant
de la subvention d’équilibre de l’État à ce
régime spécial. De 33,1 milliards en 2010,
cette subvention d’équilibre passerait à
37,7 milliards en 2013. Son augmentation
en 3 ans atteindrait ainsi 13,94 %, nettement plus que celle du total des pensions
(9,31 %) : le déficit de ce régime, cause
importante du déficit de l’État, réalise une
belle performance !
1. En fait, il s’agit de la somme des
cotisations sociales salariales et patronales.
Les comptes de la sécurité sociale désignent
depuis longtemps cette somme par
“cotisations des actifs“, ce qui est pertinent
du point de vue économique mais contraire
aux conventions terminologiques habituelles.
Curieusement, la même présentation
des comptes n’a pas été adoptée pour
le régime des fonctionnaires territoriaux
et hospitaliers. Cette fois, le poste “cotisations sociales des actifs“ englobe les
cotisations salariales, les cotisations
patronales au taux ordinaire, et le surplus de cotisations patronales destiné
à équilibrer (approximativement cette
fois) le régime, c’est-à-dire la CNRACL.
Les prestations servies par cette caisse
progressent à grande vitesse (13,9
milliards en 2010, 17 prévus en 2013 :
+ 22 % en 3 ans). Le déficit est non
négligeable : 491 millions en 2010,
puis 375 en 2011, probablement 786
en 2012, et 1 306 en 2013 sauf mesures
ad hoc. Les annexes financières au
rapport d’activité de la CNRACL, disponibles sur le site de la Caisse des
dépôts, montrent ce qui s’est passé de
2008 à 2011 : les capitaux propres ont
fondu de 2,16 milliards à 1,29 milliard,
et les valeurs mobilières de placement
de 1,13 milliard à 0. Comment éviter le
passage à des capitaux propres négatifs et à l’endettement ? Information
de dernière minute (Liaisons sociales
du 10 octobre) : une augmentation du
taux de la cotisation employeur est
programmée au 1 er janvier 2013, une
autre envisagée pour l’année suivante,
et la CNRACL bénéficiera d’un transfert
de réserves à hauteur de 690 millions,
pris sur d’autres programmes sociaux
relatifs aux fonctionnaires territoriaux.
Abstract
There are difficulties in preparing and
using the accounts of French old age
pension plans.This is because of the
huge number of plans (56) and of
multiple transfers of resources, all
being complex and unstable. The
financial positions are rarely provided. The amount of pensions served
is 275 billions € in total; according to
the Court of Auditors, the quality of
the calculation of entitlements is not
beyond reproach, and the management costs are globally excessive,
owing to the fragmentation of the
system. The deficits, before government subsidies, are diminishing only
in a small number of plans, thanks
mostly to additional contributions.
Such a complex “mosaic” of plans
is not easy to manage efficiently.
Therefore, the “systemic reform“
due to be debated nationwide in
2013 with the objectives of unification and efficiency is of paramount
importance.
Revue Française de Comptabilité // N°459 Novembre 2012 //
3
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références
ECONOMIE
SNCF et RATP
La multiplicité des régimes de base
pose à l’évidence un difficile problème
de gouvernance. Les pouvoirs publics
cherchent à les rapprocher progressivement du régime général, soit directement,
soit en les alignant sur le régime des
fonctionnaires, lui-même en voie de rapprochement du régime général. De 2005
à 2008, la RATP et la SNCF ont fait l’objet
de décrets réformant leurs régimes, en
principe dans ce sens. Cela n’empêche
pas que la Commission des comptes de
la sécurité sociale ait dû constater une
fois de plus que pour la SNCF : « La
branche vieillesse est structurellement
déficitaire. (…) Elle est équilibrée par une
subvention en augmentation régulière ».
Plus précisément, le taux de cotisation
salariale est encore à 7,85 %, alors qu’il
est passé à 8,39 % cette année pour les
fonctionnaires et doit aboutir à 10,55 %
en 2020. La cotisation employeur se
décompose en deux, la première part,
au taux T1, devant couvrir l’équivalent
du régime général et de l’ARRCO/AGIRC,
tandis que la seconde, au taux T2, finance
les droits spécifiques : de 12,73 % en
2010, ce taux est passé à 11,26 % en
2011 alors que dans le même temps
la subvention d’équilibre versée par
l’État passait de 3,025 milliards à 3,221
milliards. Les perspectives sont de 3,3
milliards en 2012 et 3,374 milliards en
2013. Sans cette générosité, les comptes
de la SNCF (résultat net part du groupe
125 millions en 2011) seraient largement
déficitaires.
Pour la RATP les détails ne sont pas
les mêmes (en particulier le taux de la
cotisation salariale est passé de 7,85 % à
12 % en 2006), mais le déficit de la caisse
de retraite avant subvention d’équilibre
de l’État est, en proportion, comparable
à celui de la caisse de la SNCF : il atteint
531 millions en 2011, à comparer à 434
millions de cotisations.
La Cour des comptes a consacré le
Chapitre VI de son rapport sécurité
sociale 2012 aux réformes de ces deux
régimes. Elle juge que ces réformes
(2005 – 2008) ont été “d’ampleur limitée“. Et cela continue : si la loi retraite de
novembre 2010 (recul des âges légaux)
a été transposée par décret en mars
2011, l’accélération du passage à 62
et 67 ans décidée en décembre 2011
pour le régime général et la fonction
publique n’a pas été transposée : la
politique d’alignement n’a pas tenu
la distance, dirait-on familièrement.
Surtout, les “mesures d’accompagnement“ des réformes, telles que des
créations d’échelons de rémunération
4
supplémentaires, des majorations salariales en fin de carrière, et l’intégration
de certaines primes dans la base de
calcul des droits à pension, ont assez
fortement renchéri le coût salarial et
celui des pensions.
La Cour, d’après les indications qu’elle
a pu obtenir de la SNCF, estime à 4,73
milliards d’euros 2010 le surcoût salarial
pour la présente décennie (2011-2020), et
4,14 milliards pour la suivante. La caisse
de retraite de la SNCF, quant à elle, pourrait gagner 4,1 milliards durant la première
décennie et 6,3 sur la suivante.
De son côté la RATP pourrait perdre sur
la première décennie l’équivalent des
300 millions que gagnerait sa caisse de
retraite ; sur la seconde, la caisse pourrait
gagner 1,1 milliard pour 700 millions au
moins de surcoût pour l’entreprise.
En conclusion la Cour juge « inévitables
à moyen terme de nouvelles étapes pour
assurer la pérennité de ces deux régimes
en cohérence beaucoup plus forte avec
l’effort global qui sera nécessaire pour
garantir dans la durée la soutenabilité de
l’ensemble du système des retraites ».
Mais peut-être faut-il aller plus loin dans
l’interrogation : en 2030, pour la SNCF
et la RATP, des caisses de retraites et
des régimes spécifiques autres que des
régimes supplémentaires d’entreprise
fonctionnant par capitalisation, cela aurat-il encore un sens ?
Retraite des
professions libérales
Gestionnaire du seul régime de base à
recourir aux points pour comptabiliser
les droits à pension, la CNAVPL (Caisse
nationale d’assurance vieillesse des
professions libérales) bénéficie d’un
ratio cotisants sur pensionnés encore
exceptionnel bien que déclinant rapidement : 2,25 en 2012, mais 2,51 en
2010 et probablement 2,13 en 2013. Cet
avantage démographique explique en
partie l’ampleur inusitée de la compensation démographique dont ce régime est
débiteur : 654 millions en 2012, nettement
plus de la moitié des 1 146 millions de
prestations versées.
Le reste de l’explication tient au rattachement au régime des professions libérales
de nombreux auto-entrepreneurs, qui ne
figurent pas dans les effectifs indiqués
par la Commission, mais sont bel et bien
pris en compte pour le calcul de la compensation démographique ! De 2009 à
2010 (première année de prise en compte
massive d’auto-entrepreneurs) cette compensation a bondit de 25 % ; elle devrait
encore croître de 17 % de 2010 à 2013.
// N°459 Novembre 2012 // Revue Française de Comptabilité
L’effet du baby-boom dans les comptes
de la CNAVPL se fait ressentir 5 ans plus
tard que dans la plupart des régimes,
car l’exercice libéral d’une profession se
poursuit généralement jusqu’à 65 ans,
voire plus, et on assiste donc à partir de
2011 au départ à la retraite des nombreux
adhérents nés à partir de 1946. Ainsi les
pensions versées par la CNAVPL vontelles augmenter, probablement, de 31 %
entre 2010 et 2013 !
Les cotisations ne progressant pas au
même rythme (+ 9 % en 3 ans) le résultat
net, devenu négatif en 2010 du fait du
bond en avant de la compensation démographique, se creuse et va probablement
se creuser de plus en plus : de 21 millions
en 2010 le déficit pourrait passer à 218
millions en 2013.
La Commission des comptes pointe sans
ambiguïté la cause de cette dégradation :
dans une section intitulée “un résultat
très sensible à l’évolution de la charge
de compensation démographique“, on lit :
« Le niveau de ce transfert avait connu
une hausse de près de 25 % en 2010
consécutive de la montée en charge du
statut d’auto-entrepreneur qui améliore
la situation démographique relative du
régime ». Elle ne fait aucun commentaire,
mais il est clair que cette mésaventure de
la CNAVPL illustre le caractère inadapté
de la compensation démographique, pour
le calcul de laquelle tous les cotisants ont
le même poids, qu’ils cotisent sur 5 000 €
par an ou sur 100 000 €.
Régime des indépendants
À la différence de celui des professionnels libéraux, le ratio démographique des
artisans, industriels et commerçants est
mauvais : de l’ordre de un pensionné
pour un cotisant. Néanmoins, ce ratio
s’améliore depuis peu, selon les statistiques fournies par la Commission, car
pour ce régime, à la différence de celui
des professions libérales, la Commission
compte les auto-entrepreneurs parmi les
cotisants (on notera au passage l’imperfection d’un système statistique qui ne
fournit pas des données comparables
d’un régime à l’autre). Plus précisément,
de 1,813 million de cotisants pour 1,954
million de bénéficiaires en 2010, on
devrait passer à 2,066 millions de cotisants pour 2,061 millions de bénéficiaires
en 2013.
Comme celui des fonctionnaires de l’État,
ce régime a par construction des comptes
équilibrés : il reçoit en effet une part de la
CSSS (Cotisation sociale de solidarité des
sociétés) calculée pour combler exactement son déficit. Le poste “CSSS“ dans
la partie produit du bilan donne donc une
idée de l’insuffisance de ses ressources
ECONOMIE
“normales“. De fortes progressions du
produit des cotisations en 2010 et 2011
(+ 13,2 % et + 11,2 %) restent plutôt
mystérieuses ; le document les explique
par la mise en place de nouvelles modalités de paiement qui comportent des
acomptes mensuels et une régularisation
à la fin de l’année suivante en fonction des
résultats de l’entreprise ; il faut se référer
aux comptes 2009 pour constater que
des changements dans les modalités de
calcul et de paiement des cotisations ont
provoqué de fortes fluctuations de leurs
rentrées (+ 19,9 % en 2008 et - 13,2 %
en 2009 pour les commerçants).
L’opération de rapprochement entre le
régime des artisans et celui des commerçants, tous deux désormais gérés
par le RSI, a visiblement été difficile. Il
serait souhaitable qu’elle soit précisément
analysée, de façon à ce que des leçons
puissent en être tirées, puisque l’unification des différents régimes, en faveur
de laquelle plaident de forts arguments
économiques, doit être discutée dans
le cadre de la réflexion nationale sur la
réforme systémique prévue pour 2013.
Dernière remarque concernant ce régime :
292 millions de charges de gestion courante pour 7 200 millions de prestations
versées, en 2012, cela représente 4 %
de frais administratifs. La CNAVPL fonctionne avec 2,3 %. Il serait intéressant
de savoir ce qui explique le caractère
très coûteux de la gestion par le RSI.
L’hypothèse la plus simple est que les
frais sont liés au nombre des retraités et
des cotisants plutôt qu’au montant des
pensions versées. En 2012 la pension
moyenne RSI ne s’élève qu’à 3 560 €,
contre 6 540 € pour son homologue
CNAVPL : cela explique probablement
la plus grosse partie de la différence des
frais de gestion en pourcentage des pensions. Mais si cette relation inverse entre
frais de gestion et valeur moyenne des
pensions est robuste, n’implique-t-elle
pas que l’on économiserait beaucoup sur
le coût de fonctionnement du système
français de retraites par répartition en
parvenant à distribuer le même montant
par retraité à l’aide d’une seule pension
(ou deux s’il y a une réversion) au lieu
de 2,7 pensions par retraité en moyenne
actuellement ?
universel, témoin le journal Les Échos qui,
le 12 octobre 2012, titrait sur 6 colonnes
à la une : « Retraites des cadres : les
réserves épuisées dès 2017 ». Les prévisions de l’ARRCO/AGIRC, citées par
ce journal, sont des pertes cumulées de
2012 à 2020 atteignant 27 milliards pour
l’AGIRC, et 53 milliards pour l’ARRCO 2.
En 2008 ces régimes ont essuyé pour
la première fois depuis longtemps des
pertes sérieuses sur leurs portefeuilles,
mais surtout leurs résultats nets hors
résultats financiers se sont dégradés,
devenant négatifs pour l’AGIRC, rejointe
l’année suivante par l’ARRCO. Depuis,
les deux régimes sont dans le rouge (hors
résultats financiers) et le seront probablement encore en 2013, sauf mesures de
redressement, comme on le voit sur le
tableau ci-dessous :
Année
2010
2011
2012
2013
ARRCO
1 058
1 990
2 688
3 295
AGIRC
1 438
1 785
1 963
957
Les charges de gestion courante, 1 677
millions pour l’ARRCO et 655 millions
pour l’AGIRC en 2012, s’établissent
en pourcentage des pensions versées
à 3,54 % et 2,75 % respectivement.
Pour l’ARRCO, la valeur élevée de ce
pourcentage s’explique par la modicité
de la pension moyenne (3 520 € par an).
En revanche, les 8 720 € de la pension
moyenne AGIRC auraient laissé espérer
un taux plus raisonnable, de l’ordre de 2%
ou un peu moins.
IRCANTEC
Ce régime complémentaire des agents
non titulaires de l’État et des collectivités
publiques est géré par la Caisse des
dépôts. Il bénéficie d’un ratio démographique favorable (2,77 millions de cotisants pour 1,89 millions de pensionnés),
et sa situation est encore bien meilleure
du fait que bon nombre de ces pensionnés n’ont pas passé la totalité de leur vie
active comme contractuels : la durée de
cotisation moyenne à ce régime est de
l’ordre de dix ans.
AGIRC/ARRCO
Le montant très modeste de la pension
moyenne (1 230 € par an en 2012) correspond à ces faibles durées de cotisation. Il
rend tout à fait honorable le pourcentage
Les régimes complémentaires des salariés du privé ont constitué des réserves
non négligeables, sur lesquelles ils tirent
actuellement pour financer le déficit de
leur compte de résultat. Ces réserves ne
sont malheureusement pas suivies par la
Commission des comptes de la sécurité
sociale. Ce manque d’intérêt n’est pas
2. En fait ces régimes fonctionnant par
points, il leur suffirait pour éviter cela de
fixer la valeur de service du point, année
après année, à un niveau assurant l’équilibre
financier. Ces projections alarmistes
correspondent à des hypothèses ménageant
le pouvoir d’achat des retraités.
de 3,80 % que représentent les charges
de gestion courante en proportion des
prestations versées : à peine supérieur à
celui de l’ARRCO, alors que les pensions
versées sont presque trois fois plus
modestes. L’AGIRC/ARRCO devrait-elle
confier sa gestion à la CDC ?
En sus de ses mérites, l’IRCANTEC a de
la chance. En 2011, un taux de cotisation de 5,69 % lui a suffi, contre 7,5 % à
l’ARRCO, pour la tranche A (salaires inférieurs au plafond de la sécurité sociale). Et
17,6 % pour la tranche B, contre 20,3 %
à l’AGIRC. De plus, il n’est nul besoin
d’un équivalent de l’AGFF pour financer
la retraite à 60 ans : cela veut dire encore
2 points de cotisation en moins par rapport
à l’AGIRC/ARRCO ! Cela met l’IRCANTEC
à l’aise pour prévoir un relèvement progressif des cotisations. Ses réserves
(5,1 milliards d’euros, soit 27 mois de
prestations) sont orientées à la hausse,
et il est hors de question d’interrompre
ce mouvement.
Reste à savoir s’il est convenable, au pays
de l’égalité, qu’un heureux hasard démographique mette ainsi un régime en bien
meilleure posture que ses semblables. Il
n’existe pas de compensation démographique entre régimes complémentaires
pour établir un semblant de solidarité ;
est-ce normal ? Compte tenu des graves
imperfections de la compensation, et
de l’impossibilité de l’améliorer sensiblement, il serait mal venu de proposer
d’en établir une. Mais les perspectives
d’unification doivent être étudiées en
2013, si cette disposition de la loi retraite
de 2010 est respectée. L’ARRCO, initialement mosaïque de régimes disparates,
a eu l’immense mérite d’unifier tous ces
régimes. Pourquoi ne pas l’imiter (sur ce
point) au plan national ?
Régimes
complémentaires des
professions libérales
La section 18.6 des comptes de la
sécurité sociale regroupe deux types de
régimes sans le moindre point commun :
les régimes complémentaires classiques
gérés chacun par une des dix sections
de la CNAVPL, et les ASV (“Avantages
sociaux vieillesse“), cadeau empoisonné
fait par les pouvoirs publics aux professionnels de santé conventionnés, qui
constituent environ la moitié des professionnels libéraux.
Les premiers ont distribué 2,22 milliards de prestations en 2011, et perçu
2,75 milliards de cotisations, auxquels
s’ajoutent environ 300 millions de produits
financiers pour ce mauvais exercice (ces
produits dépassaient 500 millions en
Revue Française de Comptabilité // N°459 Novembre 2012 //
5
Synthèse // Réflexion // Une entreprise/un homme // Références
ECONOMIE
2010, et devraient approcher 400 millions
en 2012). Les comptes de la sécurité
sociale ne donnent aucune information
sur leurs bilans ; il faut donc aller sur le
site de chaque section pour disposer des
informations.
Ainsi la CARMF (médecins), qui a distribué 697 millions de pensions au titre du
régime complémentaire en 2011, avait
au passif de son bilan en fin d’année
4,23 milliards de “provisions techniques
vieillesse“, soit 6 années de prestations,
et à l’actif des placements en rapport.
La CAVEC (experts-comptables), dont
les derniers comptes mis en ligne sont
ceux de 2010, a distribué cette annéelà 97 millions de prestations pour 127
millions de cotisations et 62 millions de
produits de gestion financière et dispose
de réserves s’élevant à 877 millions, soit
presque 9 années de prestations.
Ces régimes complémentaires fonctionnent donc selon une formule mixte, la
répartition provisionnée. Leurs frais administratifs sont modestes en pourcentage
des pensions distribuées : 1,43 % à la
CARMF, 1,1 % à la CAVEC, ce qui semble
indiquer une meilleure productivité à la
CAVEC puisque la pension moyenne y
est plus faible (environ 11 064 € en 2010
contre 13 236 € en 2011 à la CARMF),
ce qui aurait pu justifier un taux de frais
administratifs légèrement plus élevé.
Venons-en aux ASV, au titre desquels
802 millions ont été distribués en 2011.
Mis en place par les pouvoirs publics en
1960 sous forme facultative, ces régimes
devaient fonctionner par capitalisation.
Financés aux deux tiers par l’assurance
maladie, qui a pris en quelque sorte le rôle
d’employeur des professionnels de santé
conventionnés, ils ont été une douzaine
d’années plus tard rendus obligatoires et
les réserves initialement constituées ont
été progressivement utilisées pour payer
les pensions beaucoup trop généreuses
qui avaient été promises. Ce sont maintenant des régimes par répartition, obligés
de diminuer la valeur du point pour ne pas
6
faire faillite (par exemple, il est programmé
une baisse de cette valeur de 15,55 € à
14 € ou 13 € selon les cas entre 2012 et
2015). Ils font réaliser qu’en matière de
retraites il ne suffit pas que les pouvoirs
publics assurent la maîtrise d’œuvre pour
que ce qui est mis en place soit “soutenable“, c’est-à-dire apte à fonctionner
correctement sur la longue durée.
Conclusion
Les 56 régimes de retraite par répartition
couverts par les comptes de la sécurité
sociale ont distribué en 2011 environ 275
milliards d’euros au titre de pensions de
retraite (droits directe et droits dérivés).
Seize d’entre eux, présentés regroupés,
ne répartissent que 260 millions. Dix
autres, correspondant aux dix sections
professionnelles de la CNAVPL, versent
2,3 milliards. Enfin, les cinq régimes supplémentaires des professions médicales
distribuent 0,8 milliard.
Comme le souligne le rédacteur des
comptes, cette « multiplicité des régimes
reflète l’histoire de la sécurité sociale
française ». S’il s’agissait de régimes
par capitalisation, elle ne poserait pas
de problème insoluble. Mais est-elle
compatible avec le principe de la répartition ? Il est naturel que la création des
activités s’effectue dans un foisonnement
plutôt désordonné ; il n’est pas forcément
sain de sanctuariser ce foisonnement,
qui brouille la perception synthétique du
problème des retraites par répartition,
rend difficile et moins efficace le pilotage
de l’ensemble du système français,
engendre des frais administratifs excessifs, et complique considérablement la vie
des assurés sociaux dont la carrière n’est
pas un long fleuve tranquille.
De plus, il n’est pas évident que ce foisonnement respecte le tout premier article
du Code de la sécurité sociale, l’article L.
111-1, qui dispose : « l’organisation de la
sécurité sociale est fondée sur le principe
de la solidarité nationale ». Que des subdivisions de la Nation organisent leur propre
// N°459 Novembre 2012 // Revue Française de Comptabilité
régime en tirant profit ou en pâtissant
de circonstances démographiques qui
entraînent des avantages ou des inconvénients “apportés par le vent“, comme
le disent joliment les anglo-saxons,
n’est pas forcément non plus conforme
à cette fraternité et à cette égalité que
prône la devise de la République (art. 2
de la Constitution). Quant au premier des
trois principes républicains, la liberté,
l’interventionnisme dont font preuve
les pouvoirs publics pour chacun des
régimes passés en revue montre hélas le
peu de cas qui en est fait. Faute d’avoir
établi un cadre législatif formé de règles
claires et stables à l’intérieur desquelles
les gestionnaires pourraient prendre leurs
responsabilités, l’État français impose
discrétionnairement sa volonté pour des
détails qui ne sont pas de son ressort.
Il est donc probablement temps de
fusionner en un régime national unique
tout ce qui, dans les régimes existants, ne
relève pas d’une retraite professionnelle
(et donc de la capitalisation) ; tout ce qui
relève vraiment et spécifiquement de la
répartition, c’est-à-dire d’un transfert de
l’ensemble des actifs du pays en direction
des retraités.
Une telle réorganisation serait, à coup sûr,
un travail d’Hercule, mais elle créerait les
conditions d’une réelle maîtrise des problèmes que pose l’avenir de nos retraites
et de nos finances publiques.
Bibliographie
t $PVS EFT DPNQUFT Rapport 2012 de certification
des comptes du régime général de sécurité sociale
+VJO%JTQPOJCMFTVSMFTJUFEFMB$PVSQ
t $PVS EFT DPNQUFT La sécurité sociale. Rapport
2012 sur l’application des lois de financement de la
sécurité sociale 4FQUFNCSF %JTQPOJCMF TVS MF
TJUFEFMB$PVSQ
t.JOJTUÒSFEFMÏDPOPNJFFUEFTGJOBODFTNJOJTUÒSF
EFTBGGBJSFTTPDJBMFTFUEFMBTBOUÏLes comptes de
la sécurité sociale ; résultats 2011 ; prévisions 2012
et 2013.0DUPCSFUPNFTQFUQ
%JTQPOJCMFTVSMFTJUFTFDVSJUFTPDJBMFGS