L`internet pour tous est une nécessité
Transcription
L`internet pour tous est une nécessité
Dossier : l’économie de l’Internet L’Internet pour tous est une nécessité Erik Van Rompay Délégué général de Renaissance numérique Avec un Français sur deux qui n’a pas accès à Internet depuis son domicile, notre pays accuse un fort retard sur ses voisins européens. Pour l’association Renaissance numérique, think tank composé de 80 dirigeants d’Internet et d’enseignants et chercheurs, cette situation n’est pas irrémédiable. Son objectif est d’équiper, de connecter et de former 80 % des foyers français en 2010 et de hisser la France aux premiers rangs du monde numérique. S eulement 52 % des foyers français sont connectés à Internet, alors qu’ils sont presque 70 % en Angleterre ou en Allemagne et même 80 % aux Pays-Bas ou en Suède. Selon Eurostat, la France n’occupe qu’une moyenne 12e place pour la connexion haut débit dans l’Europe des Vingt-cinq. Une analyse plus fine nous apprend que la fracture numérique française se concentre sur trois populations. Quand le taux moyen est de 52 % de foyers équipés, ce taux n’est que de 18 % chez les foyers défavorisés (ayant un revenu mensuel de 800 à 1 500 euros), de 24 % chez les ouvriers ou d’un maigre 11 % chez les plus de 70 ans (en comparaison, plus de 50 % des septuagénaires américains sont connectés). Et la fracture numérique ne se limite pas à nos ménages. La France compte près de 3,5 millions de petites et moyennes entreprises. On estime que 800 000 d’entre elles ne sont pas encore connectées à Internet et que 1,5 million n’ont pas de site Internet. Nos artisans et nos TPE françaises sont 4 à 5 fois moins nombreux que leurs voisins britanniques ou allemands à utiliser Internet pour se faire connaître et, dans la majorité des cas, ils utilisent une informatique domestique pour leurs besoins professionnels. Pas surprenant que l’Allemagne réalise un chiffre d’affaire du commerce électronique deux fois supérieur à celui de la France. . http://www.renaissancenumerique.org. . Médiamétrie, 1er trimestre 2008. 54 • Sociétal n°61 L’Internet pour tous est une nécessité Dans ses écoles aussi, la France a un retard important à combler, avec seulement un ordinateur pour douze élèves en France, alors que nos voisins sont mieux équipés avec, par exemple, un ordinateur pour sept élèves en Belgique et un ordinateur pour huit élèves en Italie. Pire encore, nos enseignants ne croient guère en l’utilisation des nouvelles technologies dans la classe même. Pourtant, selon une étude de l’OCDE de 2005, les élèves qui utilisent régulièrement un ordinateur obtiennent de meilleurs résultats dans les matières-clés que ceux qui n’ont qu’une expérience limitée de l’informatique ou qui manquent de confiance pour exécuter des tâches élémentaires avec un ordinateur. Promouvoir les usages L’un des freins importants vis-à-vis des nouvelles technologies est la résistance au changement face à des techniques et des produits nouveaux. La plupart du temps, ce sont des freins psychologiques tels que le refus ou la réticence à se former, la crainte de ne pas pouvoir maîtriser la technique et d’être « dépassé », le fait de ne pas vouloir passer pour un novice. Cette barrière psychologique, qui entraîne une résistance au changement, a pour conséquence une « e-exclusion » croissante d’une partie de la population. Il semble donc nécessaire d’aider ces populations à mieux comprendre l’intérêt pour elles d’accéder à cette société de l’information, en l’informant sur ses usages, notamment la simplification de la vie quotidienne et le renforcement du lien intergénérationnel. Renaissance numérique propose, en contrepartie d’une éventuelle taxation des acteurs Internet pour financer la suppression de la publicité sur France Télévisions, une série d’émissions en prime time sur les usages d’Internet et les nouvelles technologies. Ces programmes simples et concrets doivent montrer la multiplicité des utilisations possibles d’Internet et des nouvelles technologies, comme la communication avec la famille éloignée, l’envoi de photos par e-mail, l’entretien d’un PC, l’utilisation des nouvelles fonctionnalités des téléphones portables, etc. Ils auront un impact non négligeable et faciliteront l’adhésion des Français à une culture numérique. . Are students ready for a technology-rich world ?, OECD, 2005. . European Commission/Empirica/Lisbon Strategy and i2010, « Benchmarking Access and Use of ICT in European Schools », septembre 2006. 3 ème trimestre 2008 • 55 Dossier : l’économie de l’Internet Équiper la France Même si le prix d’achat des ordinateurs devient de plus en plus accessible, il reste également un frein majeur. Renaissance numérique propose deux solutions complémentaires pour mieux équiper les foyers : la donation et l’ordinateur reconditionné à 99 euros. La première proposition de Renaissance numérique datant de mars 2007 est déjà une réalité par l’effet d’un amendement, déposé par le sénateur Bruno Retailleau et publié fin décembre 2007 au Journal officiel. Cet amendement permet aux entreprises de donner leurs ordinateurs totalement amortis à leurs salariés non équipés, sans que cela constitue pour eux un avantage en nature. C’est une mesure simple en matière de fiscalité et de comptabilité pour équiper des foyers encore non équipés. L’association souhaite également que la France instaure une réelle filière du reconditionnement permettant de fournir de bons ordinateurs à ceux qui en ont besoin. La directive DEEE (déchets d’équipements électriques et électroniques) est un premier pas, mais elle considère chaque ordinateur comme un déchet et non comme une ressource réutilisable. C’est ainsi que 3 millions d’ordinateurs quittent chaque année nos entreprises vers les déchetteries ou vers l’étranger sans que nos concitoyens dans le besoin puissent en bénéficier. Or aujourd’hui, un ordinateur sur deux peut être reconditionné (nettoyé des fichiers de l’entreprise ou du particulier et réinstallé avec des logiciels), puis réutilisé. D’autres pays ont montré l’exemple, comme l’Angleterre, la Belgique ou le Canada. Ces filières ont permis d’équiper de nombreuses écoles ou des foyers à faibles revenus. C’est une solution écologique, économique et avec un impact sociétal important. Dans le cadre du développement de la filière du reconditionnement en France, Renaissance numérique a organisé en mai 2008 une journée de travail réunissant les principaux acteurs et ministères. Cette journée a permis d’étudier la faisabilité de la création d’une structure regroupant plusieurs partenaires, dont l’objectif est de développer et de gérer une plate-forme Web regroupant les différents acteurs du reconditionnement (donateurs, reconditionneurs, partenaires logistiques, partenaires financiers, bénéficiaires). Cette plate-forme permettra d’une part à des entreprises ou des administrations de donner, par une procédure simple, des ordinateurs, et d’autre part à une cible de bénéficiaires (foyers défavorisés, écoles, retraités, associations…) d’accéder facilement à des ordinateurs reconditionnés à faible prix. . Directive 2002/96/CE. Elle a été transposée en droit français en 2005. 56 • Sociétal n°61 L’Internet pour tous est une nécessité Accompagner Au-delà de la barrière à l’achat, de nombreux freins tiennent à « la peur de l’ordinateur et d’Internet ». Il existe une réelle barrière à l’usage de l’ordinateur liée à sa manipulation et à la méconnaissance de ses bénéfices. La meilleure réponse possible est l’information et la formation. La prise en compte de ce besoin de formation a été intégrée dans le milieu scolaire et universitaire, elle ne l’est que très partiellement dans le milieu professionnel et chez les retraités. Rapprocher Internet des citoyens Dans la déclaration faite à Riga en 2006, les ministres européens se sont fixé comme objectifs de diviser par deux le nombre de personnes qui n’utilisent pas Internet et n’ont pas de culture numérique, et de rendre les sites Web publics accessibles à 100 % d’ici à 2010. Il est toujours triste de voir qu’à dix-huit mois de l’échéance, l’accessibilité de nos sites publics ne dépasse toujours pas les 3 %… Tim Berners-Lee, co-fondateur du Web, définit son accessibilité de la manière suivante : « Mettre le Web et ses services à la disposition de tous les individus, quels que soient leur matériel ou logiciel, leur infrastructure réseau, leur langue maternelle, leur culture, leur localisation géographique, ou leurs aptitudes physiques ou mentales. » Malgré cette définition très logique, le gouvernement, ainsi que beaucoup de chefs d’entreprise, considèrent le sujet de l’accessibilité comme une matière technique qui ne s’adresse qu’à une population restreinte… les personnes handicapées. Or un respect des recommandations d’accessibilité apporte plusieurs bénéfices à tous. Il y a d’abord une meilleure fidélisation des internautes. Des études américaines montrent une augmentation de la fidélité de 10 points chez les internautes non handicapés. De plus, des économies peuvent être réalisées lors du développement du site par une méthodologie de projet normalisée, qui permet de gagner un temps précieux. Plusieurs exemples en témoignent, comme ce grand site d’assurances français qui a réduit de deux ans à six mois son délai de développement en intégrant l’accessibilité en amont de la constitution dudit site. Ensuite, comme le contenu est bien structuré, le site bénéficiera automatiquement d’un meilleur référencement dans les moteurs . Des initiatives ont été lancées dans le passé aboutissant à des formations variées et non coordonnées. Renaissance numérique propose donc une formation diplômante, le « Passeport Internet », qui serait décliné en différents contenus suivant le public, depuis le B2i (Brevet informatique et Internet) en primaire jusqu’à un diplôme pour adulte reconnu sur un CV. Renaissance numérique incite à l’utilisation du droit individuel à formation pour se préparer au Passeport Internet. 3 ème trimestre 2008 • 57 Dossier : l’économie de l’Internet de recherche. Enfin, avec l’envolée des sites d’Internet mobile, un site respectant les recommandations d’accessibilité facilite fortement la portabilité vers les supports mobiles. L’accessibilité est une stratégie visant à optimiser la gestion du site en facilitant la navigation pour tous. Combien de nos sites Internet mobile sont accessible à partir d’un téléphone mobile ? Pas assez. Il est donc important que nous préparions l’avenir, car de plus en plus de sites seront consultés à partir d’outils mobiles. L’association se bat pour faciliter l’accès à Internet à tous, et la question de rapprocher Internet des citoyens est plus critique chez les personnes âgées ou handicapées. Une première loi a été votée le 11 février 2005, mais son décret d’application se fait attendre. Renaissance numérique demande aux pouvoirs publics de publier ce décret d’application et de s’aligner sur les normes internationales pour le bénéfice de toute la population. Ce décret doit également contraindre tous les sites publics, sans exception, à respecter l’accessibilité. Grâce une vraie volonté politique, la France peut très vite devenir un exemple dans l’accessibilité à Internet pour tous, avec la création de sites de plus en plus puissants et conviviaux. Combattre la fracture géographique La France est un pays très étendu, dont 30 % de la population vit en zone rurale, contre 10 % en Allemagne ou en Italie. Si nous ne voulons pas qu’environ 1,8 million de Français et près de 2 000 mairies soient des laissés-pour-compte, nous devons assurer la couverture de tout le territoire. Cependant, la généralisation du haut débit révèle que tous les accès haut débit ne se valent pas. Avec le déploiement actuel, seulement 60 % des foyers seront à terme éligibles au triple Play (Internet + téléphone + télévision). Une nouvelle fracture dans les services numériques risque d’arriver très vite. Il est donc important de changer d’optique et d’aller d’une logique d’aménagement du territoire à une logique de compétitivité numérique nationale et régionale. C’est pourquoi il faut dès aujourd’hui une volonté politique pour lancer l’Internet de demain, basée sur des infrastructures de très haut débit national (et pas uniquement dans les plus grandes agglomérations), avec un déploiement rapide d’un bouquet universel de services pour tous. Il est important que ce réseau soit neutre (impliquant 58 • Sociétal n°61 L’Internet pour tous est une nécessité donc une séparation entre l’opérateur de l’infrastructure et la société qui livre les services et produits Internet), qu’il soit ouvert (tout le monde peut, sous conditions, fournir des services numériques) et concurrentiel (un internaute doit avoir le choix de son opérateur et pouvoir accéder à tous les services Internet fixes et mobiles). Les solutions existent, mais pour atteindre rapidement une couverture satisfaisante, l’association Renaissance numérique propose qu’on incite les collectivités locales à engager des projets structurants et pérennes à une échelle a minima départementale, évitant ainsi les microprojets. Un meilleur partage des expériences permettra également d’avancer plus vite. La nécessité d’utiliser le dividende numérique se pose d’une manière très évidente. Côté Internet mobile, la France ne peut pas se contenter de la vision actuelle, qui consiste à ne couvrir à terme qu’un pauvre 30 % du territoire… sachant qu’en même temps les solutions ADSL-Fibre ne couvriront jamais 100 % de notre territoire. Il faut donc fournir un Internet haut débit (2Mbits), puis rapidement du très haut débit (100Mbits) à tous les Français, et le dividende numérique ne sera qu’un élément de ce service citoyen. Une chance à saisir Pour Viviane Reding, membre de la Commission européenne, chargée de la société de l’information et des médias, « dans la société actuelle, l’accès à l’information pour tous est un droit autant qu’une condition de la prospérité. Il n’est ni moralement acceptable, ni économiquement viable de laisser des millions de personnes à la traîne, incapables d’utiliser les technologies de l’information et des communications à leur avantage ». Cet objectif simple pourrait produire des bénéfices pour la France de 7 à 21 milliards d’euros sur cinq ans, juste par une meilleure diffusion des technologies de l’information et de la communication sur son territoire ! C’est ainsi que nous pouvons contribuer à l’accès généralisé et individuel au savoir, aux loisirs et à la culture. La société numérique n’est pas uniquement un moteur de développement économique, elle participe aussi de manière très significative à la cohésion sociale de notre pays, tout en modernisant notre démocratie grâce à des outils de plus en plus accessibles. 3 ème trimestre 2008 • 59 Pour aller plus loin Les réflexions sur l’impact économique d’Internet en sont bien évidemment à leur début. Néanmoins, les structures publiques d’études tendent à systématiquement conduire des enquêtes et des colloques sur ce sujet et fournissent d’ores et déjà une littérature assez abondante. Les grandes organisations internationales • L’organisation internationale la plus avancée dans la réflexion sur Internet et la Net-économie est probablement l’OCDE. En 1998, s’est réunie sous son égide la Conférence ministérielle sur le commerce électronique. L’OCDE a tenu un rôle d’observateur aux Sommets mondiaux sur la société de l’information de 2003 et 2005. Elle a ensuite monté à Séoul les 17 et 18 juin 2008 une nouvelle conférence ministérielle consacrée à l’économie d’Internet. Les conclusions de cette rencontre ainsi que la déclaration finale d’intention sont consultables sur le site de l’organisation à l’adresse suivante : www.oecd.org/futurInternet. • Le FMI développe surtout une réflexion sur la notion de « fossé numérique mondial ». On trouvera en particulier à ce sujet sur le site du Fonds (www.imf.org) un article de Ashfaq Ishaq (http://www.imf. org/external/pubs/ft/fandd/fre/2001/09/pdf/ishaq.pdf) paru dans le numéro de septembre 2001 de la revue Finances et développement, la publication « grand public » du FMI. Cet article explique les raisons pour lesquelles il faut combler le fossé numérique et porte sur les conséquences que sa perpétuation aurait sur le niveau général de formation des jeunes des pays émergents, et donc en fin de compte, sur leur croissance et leur effort de rattrapage. Publications françaises • Le Centre d’analyse économique, que préside Christian de Boissieu et qui conseille le gouvernement sur les grands problèmes économiques, a publié en mai 2004 un rapport sur « La société de l’information ». Ce rapport, numéroté 47 et rédigé par Nicolas Curien et Pierre-Alain Muet, est disponible sur le site du CAE dont l’adresse est www.cae.gouv.fr. 60 • Sociétal n°61 n novembre 2007, Denisplus Olivennes loin a remis au gouvernement un P• Erapport our aller sur « Le développement et la protection des œuvres culturelles sur les nouveaux réseaux ». Ce rapport, qui aborde le problème de la gratuité de la diffusion de l’information et des œuvres de création sur Internet, est consultable sur le site du ministère de la Culture à cette adresse : http://www.culture.gouv.fr/culture/ actualites/index-olivennes231107.htm. • Chercheur à l’École des mines et membre de la Commission Olivennes, Olivier Bomsel a publié en 2007 Gratuit ! Du déploiement de l’économie numérique chez Gallimard dans la collection Folio, livre analysant les problèmes de la gratuité sur Internet et plus généralement l’impact économique du développement d’Internet. • Les PUF ont publié plusieurs « Que sais-je » sur Internet. Nous en signalons deux : La Net économie par Andrée Muller (2001) ; Les 100 mots de l’Internet par Xavier Niel et Dominique Roux (2008). • On signalera également parmi les « Repères » aux Éditions de la Découverte La Nouvelle économie par Patrick Artus (2005). • The Global Internet Economy par Bruce Kogut, professeur à l’Insead, aux Éditions du MIT (2004), en anglais. • La Revue économique a consacré son numéro 52 (2001) à l’économie d’Internet. La réalisation de ce numéro était confié à Eric Brousseau et Nicolas Curien. Sites Internet • On peut trouver des informations utiles sur Internet sur le site de l’Internet Society dont l’adresse est www.isoc.fr. • L’adresse du site du secrétariat d’État à l’Économie numérique est www. prospective.fr. 3 ème trimestre 2008 • 61