les enjeux économiques et géostratégiques du détroit de malacca

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les enjeux économiques et géostratégiques du détroit de malacca
LES ENJEUX ÉCONOMIQUES ET GÉOSTRATÉGIQUES DU DÉTROIT
DE MALACCA
Nathalie Fau
Editions Choiseul | Géoéconomie
2013/4 - n° 67
pages 123 à 140
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Fau Nathalie, « Les enjeux économiques et géostratégiques du détroit de Malacca »,
Géoéconomie, 2013/4 n° 67, p. 123-140. DOI : 10.3917/geoec.067.0123
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ISSN 1620-9869
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Les enjeux économiques
et géostratégiques
du détroit de Malacca
Maître de conférences à l’université Paris 7 et chercheur au laboratoire
SEDET en délégation CNRS, Nathalie Fau est une experte de l’Indonésie
et de la Malaisie, et plus particulièrement « des nouvelles centralités (...)
et des espaces transfrontaliers et transnationaux en Asie du Sud-est ». C'est
dans ce cadre qu'elle s'intéresse plus particulièrement aux rôles des mers et
des détroits dans l’intégration régionale de l’Asie du Sud-est insulaire.
L
es mutations économiques mondiales depuis 1945 ont
considérablement changé le rôle géostratégique des océans :
auparavant espaces périphériques peu considérés, ils sont devenus
des enjeux stratégiques et économiques aussi importants que ceux
des continents voisins. L’Asie du Sud-est – située entre deux océans,
Pacifique et Indien, et deux continents, l’Asie et l’Australie – est l’un
des principaux carrefours mondiaux de la circulation maritime. Or, la
traversée maritime de la région ne peut s’effectuer qu’en empruntant
les détroits de l’Asie du Sud-est insulaire (Malaisie, Indonésie,
Singapour et Philippines), parmi lesquels le détroit de Malacca occupe
une place centrale. À l’articulation des lignes transocéaniques entre
l’océan Indien et le Pacifique, des lignes intra-asiatiques et des routes
maritimes circumterrestres est-ouest de marchandises, il est un axe
majeur de la circulation maritime mondiale et une artère vitale du
commerce intra régional.
| Nathalie FAU |
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Nathalie FAU
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Les enjeux économiques du détroit
Un enjeu majeur du commerce mondial.
Le détroit de Malacca est une des voies maritimes les plus
empruntées au monde. Il canalise les flux toujours croissants des
échanges mondiaux. Selon les données du système d’Information
du Trafic des Navires (VTIS) de Kuala Lumpur, 75 477 navires
transitent par le détroit en 2012 contre 60 064 en 2000 (Maritime
Department Malaysia). Cette croissance a en partie pour origine la
forte augmentation du trafic maritime conteneurisé qui représente
désormais près d’un tiers du trafic du détroit1. Sur la période 20002012, la croissance du trafic dans le détroit a été soutenue tant par
l’essor du trafic régional intra-asiatique, représentant en 2012 près
de 20 % du trafic maritime conteneurisé mondial, que par la forte
croissance des échanges commerciaux entre la Chine et l’Europe.
La Chine, qui représente aujourd’hui 4 % du PIB mondial et 5 % du
...............................................................................................................................................................
1. N. Khalid, Features, Trends and Prospects of Container Shipping in the Straits of Malacca
and Policy Implications for Malaysia, rapport non publié réalisé pour le MIMA, 2011.
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Ce point de passage obligé, ce goulot d’étranglement des
transports, cristallise et révèle les tensions régionales mais aussi
mondiales. Maillons sensibles des routes maritimes, il représente un
enjeu économique non seulement pour les États riverains mais aussi
pour les États utilisateurs, parfois très éloignés, et les compagnies
maritimes. Par ailleurs, la proximité des rives confère à ce détroit
une dimension stratégique particulière : plus aisément contrôlable
que la haute mer, il pourrait faire l’objet d’un blocus qui remettrait
en cause la liberté de circulation maritime et donc les possibilités
de projection des forces navales. Enfin, dernier aspect, souvent
négligé, voire oublié, le détroit est aussi une mer intérieure, source de
richesses pour les États riverains mais aussi de craintes quant à leur
souveraineté nationale potentiellement menacée par des intrusions
étrangères et de conflits éventuels.
commerce mondial et dont l’économie est très ouverte sur l’extérieur
avec des taux d’exportation par rapport au PIB de près de 40 %, est
devenue le deuxième partenaire de l’Europe. De ce fait, la route
maritime mondiale Europe-Asie est désormais la plus importante en
termes de volumes transportés.
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L’émergence des pays asiatiques s’est traduite par une forte
concentration des flux des conteneurs en Chine mais aussi en Asie
du Sud-est : la part des ports de l’ASEAN dans le trafic mondial de
conteneurs est ainsi passée de 4,8 % en 1980 à 13,5 % en 2008. Or le
détroit de Malacca abrite les plus grands ports à conteneurs d’Asie du
Sud-est. Jusqu’à la fin des années 1990, Singapour captait l’essentiel
des flux transocéaniques tandis que les ports malaisiens, incapables
d’attirer des lignes maritimes internationales étaient contraints de
transiter par les terminaux singapouriens. Pour le gouvernement
malaisien cette situation était politiquement inacceptable et toute sa
politique de modernisation des infrastructures portuaires a eu pour
but de détourner vers ses ports une partie des échanges maritimes de
la cité-État. Depuis le début des années 2000, Port Klang, situé à 40 km
de Kuala Lumpur, et Tanjung Pelapas (PTP) au sud du détroit dans
l’État de Johor, font partie des 20 premiers ports mondiaux (13ème et
17ème place en 2011). Le trafic de conteneurs de Port Klang est passé
de 1,1 million d’EVP en 1996 à 9,9 millions en 2012. Quant au port
de Tanjung Pelapas (PTP), construit à proximité du second pont
reliant l’État de Johor à Singapour, il a été conçu exclusivement pour
devenir un rival direct du port de Singapour. Son ouverture officielle
date seulement de 2000 mais sa croissance a été fulgurante : 418 000
EVP en 2000, 2,6 millions en 2002 et 7,7 millions en 2012 !
Un corridor énergétique.
Le détroit de Malacca est également un véritable corridor
énergétique : un peu plus de deux tiers des flux de pétrole et de gaz y
transitent, soit trois fois plus que par le canal de Suez et quinze fois
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Des ports internationaux sur ses rives.
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États riverains versus États utilisateurs : des
perceptions divergentes du détroit
Les enjeux du détroit de Malacca ne sont pas les mêmes entre
d’un côté les États riverains et de l’autre les puissances maritimes
et les États utilisateurs3 : si les premiers, craignant une remise en
cause de leur souveraineté nationale se soucient avant tout de la
sûreté de la navigation dans le détroit afin d’éviter une catastrophe
environnementale et une crise des secteurs économiques qui
vivent de l’exploitation de la mer (aquaculture, tourisme, etc.), les
seconds défendent le maintien d’une libre circulation dans le détroit
et se préoccupent uniquement de la sécurité de leur navires et de
leur chargement (risque de piraterie et terrorisme potentiel). Ces
oppositions se cristallisent autour de deux points. ...............................................................................................................................................................
2. S. Zhao, « China’s Global Search for Energy Security : cooperation and competition in
Asia-Pacific », Journal of Contemporary China 17 (55), May 2008, p. 207-227.
3. N. Fau, « Les détroits en Asie du Sud-Est », in L'évolution du débat stratégique en Asie du
Sud-Est depuis 1945 de Pierre Journoud, Études de l’INSERM n°14, 2012, pp. 249-288.
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plus que par le canal de Panama. Les estimations basses prévoient
même un transit de 20 millions de barils en 2020. Pour les pétroliers,
la route maritime empruntant le détroit de Malacca est la plus courte
et la plus rapide entre le Golfe Persique et l’Asie Orientale et donc
la plus économique. Cette fonction s’est renforcée avec la croissance
économique chinoise qui a eu pour corolaire une formidable
augmentation de ses demandes d’hydrocarbures : devenue
importateur net de pétrole en 1993, la Chine dépend désormais
de 53 % de ses importations pour sa consommation. Selon l’Agence
internationale de l’énergie, ses besoins pourraient atteindre
15 millions de barils par jour en 2035 contre 8,6 millions en 2010. Or
ces importations qui proviennent majoritairement du golfe Arabopersique et d’Afrique transitent à 80 % par le détroit de Malacca2.
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Le premier contentieux entre États riverains et États utilisateurs
concerne le partage des coûts d’entretien, de la maintenance et de
la construction des infrastructures de navigation dans le détroit de
Malacca. Les conditions de navigation dans le détroit de Malacca
sont souvent délicates en raison de son étroitesse4 (pas plus de 12
mètres dans ses points les plus resserrés) et d’un taux d’envasement
élevé5. Ces difficultés de navigation associées à une densification du
trafic rendent donc les risques de collision très élevés. Pour prévenir
tous risques, les États riverains se sont déclarés responsables de la
gestion et de la sécurité maritime du détroit lors du communiqué
commun du 16 novembre 1971. Cette coopération trilatérale a abouti
en février 1977 à la mise en place de couloirs de navigation et de
systèmes d’aides à la navigation et en 1998, à la mise en place d’un
système de signalement obligatoire des navires en transit.
Depuis le milieu des années 1990, les États indonésien et malaisien
dénoncent cependant la lourdeur financière des coûts d’entretien et
le peu d’implication des compagnies maritimes internationales mais
aussi des États utilisateurs. Ils ont fini par avoir gain de cause. L’OMI
a lancé et encadré une réflexion sur la mise en place d’un modèle de
coopération incluant également les usagers du détroit. Elle a organisé
des réunions à Batam et Jakarta (2005), à Kuala Lumpur (2006) et
à Singapour (2007) qui ont abouti à la création d’un « système de
coopération » (cooperative mechanism) décliné en trois structures
de coopération : le fonds d’aide à la navigation, le comité spécial
en charge de projets spécifiques et un forum de discussions. Par
ailleurs, les pays riverains ont proposé une liste de projets concrets
...............................................................................................................................................................
4. A. Hamzah, The Straits of Malacca, International Co-operation in trade, Funding and
navigational safety, 1997, p. 3-14.
5. N. Fau, « Le nord de Sumatra : une périphérie indonésienne sur le détroit de Malacca,
un espace partagé entre intégration nationale et recomposition transnationale », thèse de
doctorat, 2003, p. 567-573.
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Qui doit financer la sécurisation du détroit ?
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qui nécessiteraient une participation des utilisateurs des détroits6 ; ils
demeurent ainsi les seuls responsables de la sécurisation du détroit
tout en bénéficiant d’investissements extérieurs.
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Le second litige touche à la sécurité dans le détroit de Malacca.
Les perceptions des risques sont très différentes entre d’un côté les
gouvernements malaisien et indonésien et de l’autre le gouvernement
de Singapour et les États utilisateurs. Depuis les attentats du 11
septembre 2001, les gouvernements indonésien et malaisien craignent
une remise en cause de leurs droits sur le détroit au nom de la lutte
contre la piraterie et le terrorisme. Ils estiment notamment que la
menace d’une coalition entre les pirates les terroristes est très exagérée,
voire entretenue, afin de favoriser l’intrusion de puissances militaires
extérieures7. En revanche pour le gouvernement singapourien
le risque terroriste est bien réel8 et nécessiterait de recourir à des
puissances étrangères.
Afin d’éviter d’être qualifiés d’État faibles, les gouvernements
indonésien et malaisien ont décidé en juin 2004 de renforcer la
sécurité dans le détroit de Malacca en multipliant les patrouilles
conjointes et en augmentant le nombre de garde-côtes. Le 20 juillet
2004, ils ont lancé avec Singapour, et à grands renforts de publicité,
la Malacca Straits Coordinated Patrol (MSCP : Patrouille maritime du
détroit de Malacca) chargée d’organiser des patrouilles coordonnées
dans le détroit dans le cadre des opérations MALSINDO (acronyme
pour Malaisie-Indonésie-Singapour). Ce dispositif a été renforcé
en septembre 2005 par la mise en place de patrouilles militaires
...............................................................................................................................................................
6. J. Ho, « The International Maritime Organization-Littoral State Meeting on Enhancing the
Safety, Security and Environmental Protection of the Straits of Malacca and Singapore »,
Maritimes Studies, janvier-février 2007, pp. 16-21.
7. J.N. Mak, « Unilateralism and Regionalism : Working together and Alone in the Malacca
Straits », dans Piracy, Maritime Terrorism and Securing the Malacca Straits de Graham
Gerard, ONG-WEBB (ed.), ISEAS, 2006, pp. 135- 164.
8. E. Frecont, « Géopolitique de la Piraterie au Sud-Est asiatique. Conflit de représentations »,
dans Les seigneurs de la mer, Outre Terre 25, Revue européenne de géopolitique, 2010, p. 102-103.
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Sûreté maritime et souveraineté nationale.
Ces initiatives permettent aux gouvernements indonésien et
malaisien de rejeter avec fermeté toute proposition de présences
militaires étrangères dans les détroits. En 2004, ils ont refusé la
proposition de l’Amiral Thomas Fargo, commandant de l’US
PACOM, de créer le Regional Maritime Security Initiative (RMSI) ainsi
que la suggestion chinoise d’impliquer les membres de l’ASEAN+3
dans la sécurisation du détroit ; en 2005 ils rejettent la proposition
japonaise de déploiement de garde-côtes japonais dans le détroit.
Cette crainte d’internationalisation de la gestion du détroit explique
aussi le refus de l’Indonésie et de la Malaisie de ratifier l’accord de
coopération régionale sur la lutte contre la piraterie et le brigandage
maritime en Asie (ReCAAP) qui prévoit la mise en place d’un centre
anti-pirate à Singapour. Pour le gouvernement malaisien, ce centre,
dont les fonctions sont redondantes avec celles du centre de Kuala
...............................................................................................................................................................
9. Pour un descriptive détaillé de leur dépenses militaires, voire l’article de A. Tan, « The
Emergence of Naval Power in the Straits of Malacca », Defence Studies, vol.12, n°1, mars
2012, pp. 106-135.
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aériennes conjointes (Eyes in the Sky : Des yeux dans le ciel) et en
2006 par la création d’une agence de renseignements trilatérale
(Intelligence Exchange Group : Groupe d’échanges de renseignements)
dont le but est de partager entre les États riverains et en temps réel
toutes les informations relatives à la circulation dans le détroit. Par
ailleurs, depuis 1992, Kuala Lumpur accueille le Centre régional de
piraterie (CRP), qui est une antenne régionale du Bureau maritime
internationale (BMI) en Asie du Sud-est. Tous ces dispositifs ont été
renforcés avec la nouvelle implication de la Thaïlande qui a rejoint le
MSCP en 2009. Les quatre pays riverains ont par ailleurs nettement
investi depuis les années 2000 dans l’amélioration de leurs forces
militaires navales9. Comme le souligne fort justement Joon Num
Mak, l’objectif principal de ces mesures n’est pas tant de lutter contre
le terrorisme et la piraterie que de donner des gages de bonne volonté
à la communauté internationale sur la prise en compte par les Étatsriverains des problèmes de sécurité dans les détroits.
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Lumpur, est non seulement perçu comme un désaveu mais aussi
comme une ingérence de puissances étrangères dans la gestion du
détroit.
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Le rôle international, tant militaire qu’économique du détroit de
Malacca s’est nettement affirmé dans les années 2000. Outre le Japon
et les États-Unis qui s’y intéressent de près depuis 1945, deux autres
pays les considèrent désormais comme un enjeu majeur de la sécurité
nationale : la Chine et l’Inde.
Le Japon : le seul pays à être régulièrement intervenu dans le détroit
Pour le Japon, l’enjeu est moins militaire qu’économique10. Le
détroit de Malacca est une artère vitale pour l’économie japonaise
tant pour son approvisionnement en matières premières que pour
ses exportations vers l’Europe de produits manufacturés. Par lui
transitent près de 41 % des importations totales de l’archipel nippon
et notamment 80 % de son pétrole en provenance du golfe Arabopersique. Afin de sécuriser ses approvisionnements, le Japon participe
depuis le milieu des années 1960 au financement de la sécurisation du
détroit. En 1968 le ministre japonais des Transports en coopération
avec des entreprises pétrolières, des transporteurs et des entreprises
privées japonaises travaillant dans le secteur maritime (assurances,
constructions navales, armateurs) ont créé le Malacca Strait Council
(MSC) qui apporte une aide technique et financière afin d’améliorer
les conditions de navigation dans le détroit.
...............................................................................................................................................................
10. J. Tsuneskawa « Japan Perspectives on the Straits of Malacca », in Proceedings of the
6th MIMA International Conference on the Straits of Malacca : Charting the future, Kuala
Lumpur23-24 June 2009 de Nazerih Khalid, 2010, pp. 31-40.
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Un rôle de plus en plus stratégique
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Pour les États-Unis, les enjeux du détroit de Malacca ont toujours
été essentiellement militaires. Dans les années 1970, le détroit de
Malacca était au cœur de la swing strategy des États-Unis, c’est-à-dire
le déplacement rapide des forces navales entre les océans Pacifique,
Indien et le Moyen-Orient11. Toute remise en cause de la liberté
de circulation dans ce détroit était perçue comme une atteinte au
déploiement des flottes navales et donc au maintien de l’équilibre des
puissances militaires. Même après le départ des Américains de Saigon
en 1975 puis le déclin de la présence et de l’influence des États-Unis
en Asie du Sud-est consécutif à la fin de la Guerre froide, l’US Pacific
Command (US PACOM) a toujours trouvé des alliées favorisant son
déploiement en Asie du Sud-est12. Et surtout, après le 11 septembre
2001, la menace terroriste a provoqué un réengagement des ÉtatsUnis en Asie du Sud-est, qualifié de « second front » dans la « guerre
globale » contre le terrorisme. Dans ce contexte, le détroit est devenu
une zone de risque majeur. Par ailleurs les États riverains, conscients
que la RPC dispose de moyens économiques et militaires deux fois
supérieurs à ceux de l’ASEAN, renforcent depuis une dizaine d’années
leur coopération militaire avec les États-Unis.
Tous les pays riverains, Singapour en tête, se sont rapprochés
des États-Unis. La cité-État a agrandi la base navale de Changi afin
de faciliter les escales des navires de l’US Pacom et elle abrite
l’unité américaine de coordination stratégique COMLOG WestPac.
L’Indonésie a accepté pour la première fois l’aide d’une puissance
extrarégionale pour sécuriser le détroit : les États-Unis y ont financé
l’installation d’une douzaine de stations de surveillance équipées de
...............................................................................................................................................................
11. J.N Mak, op.cit., pp. 135-161.
12. P. Grosser, « Les États-Unis et l’Asie du Sud-Est depuis le milieu des années 1970 » in
L’évolution du débat stratégique en Asie du Sud-Est depuis 1945 de Pierre Journoud, Études
de l’INSERM n°14, pp. 91-128.
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Les États-Unis
et la liberté de circulation maritime des forces militaires
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La Chine et le « Dilemme de Malacca »
Depuis les années de la Guerre froide, la position du gouvernement
chinois envers le détroit de Malacca a radicalement changé. Lors
de la 3ème Conférence des Nations unies sur le droit de la mer en
1974, la Chine était le seul pays à soutenir les revendications des
gouvernements indonésien et malaisien qui refusaient le concept de
liberté de navigation et souhaitaient au contraire désinternationaliser
le détroit afin d’en interdire sa traversée aux bâtiments de guerre
et ainsi préserver leur sécurité nationale. En dépit des oppositions
politiques, toutes les puissances maritimes s’étaient alors retrouvées
sur le principe de la liberté de circulation et avaient dénoncé les
tentatives de mainmise des États riverains sur les détroits. La position
divergente chinoise s’expliquait en grande partie par une présence
navale soviétique accrue en Extrême-Orient et dans l’océan Indien
qui aurait pu menacer la Chine d’encerclement13.
La libéralisation de l’économie chinoise a entièrement changé
...............................................................................................................................................................
13. Michaël Leifert, International straits of the world : Malacca, Singapore and Indonesia,
Alphen aan den Rijn, the Netherlands, Sijthoff and Noordhohh, 1978, pp. 115-124.
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radars, de systèmes d’identification des navires, d’infrastructures de
communications et ont même donné des patrouilleurs. Quant à la
Malaisie, si sa coopération avec les États-Unis n’est pas nouvelle, elle
s’est discrètement intensifiée (manœuvres communes, ouverture de
port aux flottes navales américaines, autorisation pour des douaniers
américains d’inspecter les conteneurs en partance vers les ÉtatsUnis, formation de la police maritime malaisienne par des officiers
américains, etc.). Outre ces coopérations bilatérales, les trois États
riverains participent à des opérations multilatérales organisées
par la marine américaine dans la région. Singapour, l’Indonésie et
la Malaisie prennent ainsi part, respectivement depuis 2000, 2010
et 2011 aux exercices militaires Cobra Gold qui étaient à l’origine
uniquement américano-thaïs.
Cette situation explique l’intérêt de la Chine pour diversifier ses
routes commerciales et d’approvisionnement énergétique : ouverture
en mai 2006 d’un oléoduc de 3 000 km reliant le territoire kazakh et
le Xinjiang et qui constitue la première phase d’un projet plus vaste
devant permettre de transporter du pétrole de la mer Caspienne à
la Chine, construction de deux autres oléoducs transnationaux, l’un
entre le port birman de Sittwe et Kunning, la capitale du Yunnan,
l’autre entre Taishet en Sibérie russe et Daqing en Chine, mais aussi
la construction du port de Gwadar au Pakistan donnant un accès aux
eaux de la mer d’Oman et de l’océan Indien. Tous ces projets onéreux
ne mettront cependant pas complètement fin à la dépendance de la
...............................................................................................................................................................
14. C. Shaofeng, « China’s self-extrication from the "Malacca Dilemma" and Implications »,
International Journal of China Studies, vol.1, n°1, Janvier 2010, pp.1-24.
15. L. Amelot, « Le dilemme de Malacca » », Les seigneurs de la mer, Outre Terre 25, Revue
européenne de géopolitique, 2010, pp. 247-268 ; Ian Storey, « China’s Malacca Dilemma »,
China Brief, vol. 6, 11 avril 2006.
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la donne. Ayant opté pour une économie capitaliste privilégiant
les exportations, la Chine dépend du détroit de Malacca pour
exporter ses productions, en particulier vers l’Europe, son premier
partenaire commercial depuis 2005, mais aussi pour importer des
hydrocarbures. Chen Shaofeng14 estime que près de 60 % des navires
en transit dans le détroit de Malacca sont chinois. Or, la marine
chinoise n’a guère les moyens de peser sur la situation dans le
détroit et elle doit donc concéder de facto à des marines étrangères,
notamment américaines, la sécurisation de son approvisionnement
énergétique et de son commerce extérieur. En 2003, le président
Hu Jintao exprime ses inquiétudes, reprise dans la presse chinoise
sous l’expression « dilemme de Malacca »15, quant à la possibilité
pour une puissance maritime de déstabiliser l’économie de la Chine
en contrôlant et bloquant le détroit de Malacca. Pékin perçoit par
ailleurs la lutte contre le terrorisme international comme un moyen
de justifier la présence permanente de forces navales d’une puissance
hostile à la RPB dans le détroit de Malacca.
133
L’Inde et « le Collier de Perles »
Le gouvernement indien porte également un intérêt très récent
au détroit de Malacca. Au lendemain de son indépendance, l’Inde a
davantage été inquiétée par ses frontières continentales, notamment
avec la Chine et le Pakistan que par ses frontières maritimes, son
développement économique étant alors davantage autocentré que
tourné vers l’extérieur et sa flotte commerciale et sa marine peu
développées16. La donne se transforme dans les années 1990 avec
la maritimisation de l’économie indienne et sa nouvelle stratégie
maritime. L’Indian Maritime Doctrine de 2004 affirme la nécessité
pour l’Inde de s’imposer militairement sur la scène internationale
en contrôlant notamment les voies maritimes de l’océan Indien
...............................................................................................................................................................
16. S. Prabhakar, W. Lawrence « Maritime Security Triangulation of ASEAN-AustraliaIndia, An Indian Perspective », William Tow, Chin Kin Wah, editor, ASEAN-IndiaAustralia : Towards Closer Engagement in a New Asia, Singapore, ISEAS, 2009, pp. 219-242.
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Chine envers le détroit de Malacca. D’après l’étude de Chen Shaofeng,
réalisée à partir des données statistiques chinoises disponibles, si
toutes ces routes alternatives avaient été opérationnelles en 2007, elles
n’auraient pu véhiculer qu’à peine 26 % des importations chinoises
en pétrole. Or depuis, la consommation énergétique chinoise n’a
cessé de croître. Outre la création de points d’appui pour protéger
ses routes commerciales et ses flux économiques internationaux,
la Chine s’est rapprochée des États riverains du Malacca. Lors des
réunions du système de coopération (cooperative mechanism) de
Kuala Lumpur (2005) et Singapour (2006), le gouvernement chinois
s’est engagé à participer au financement du projet indonésien de
remplacement des aides à la navigation détruite par le tsunami de
2004, du projet singapourien de centre de mesures et des projets
malaisiens concernant les substances nocives et potentiellement
dangereuses (SND). Il a également ratifié des accords de coopérations
maritimes avec l’Indonésie le 25 avril 2005, avec la Malaisie le 25 août
2006 et avec Singapour fin 2006.
Pour parer à une éventuelle menace chinoise d’encerclement,
le gouvernement indien envisage désormais le détroit de Malacca
comme une extension de la mer d’Andaman. Afin de sécuriser
l’entrée nord du détroit, il a établi de nouvelles bases navales dans
les îles Andaman et Nicobar17. L’Indian Maritime Doctrine préconise
également le développement de coopération navale avec les marines
de la région ; son gouvernement a signé un partenariat stratégique
avec la Thaïlande en 2001 et avec l’Indonésie en 200518 afin de mener
des patrouilles conjointes à l’entrée nord du détroit de Malacca.
Depuis 1993, la marine indienne participe également annuellement
à des exercices bilatéraux avec Singapour. En revanche, les relations
militaires maritimes entre l’Inde et la Malaisie demeurent faibles.
L’Inde a également ratifié en 2006 l’accord ReCAAP et même posté
un officier des garde-côtes dans le centre de partage d’informations
de Singapour.
...............................................................................................................................................................
17. S. Prabhakar, W. Lawrence, op.cit. p. 228.
18. R. B. Rai « India’s Perspectives on the Straits of Malacca », in Proceedings of the 6th MIMA
International Conference on the Straits of Malacca : Charting the future, Kuala Lumpur, 23-24
June 2009, N. Khalid, 2010, pp. 25-31.
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et ses détroits névralgiques. Par ailleurs, depuis les attentats du 11
septembre, les États-Unis poussent l’Inde à jouer un plus grand rôle
dans la sécurisation de l’océan Indien. La redécouverte par l’Inde
de l’océan Indien est aussi une réaction à ce qui est perçu comme
la nouvelle stratégie chinoise dite « du collier de perles » : la Chine
investirait dans des ports en Chine (île d’Hainan et île Woody aux
Paracels) mais aussi en Birmanie (Sittwe et Mergui), au Bangladesh
(Chittagong), au Sri Lanka (Hambantota et Colombo), au Pakistan
(Gwadar), non pour sécuriser ses voies de navigation en établissant
un réseau de relais, « les perles », mais pour les transformer un
jour en bases navales. En disposant ainsi d’une présence militaire
des deux côtés du détroit de Malacca, la marine chinoise aurait la
possibilité d’en bloquer l’accès et de remettre ainsi en cause la liberté
de circulation maritime.
135
Quelles perspectives pour le détroit de Malacca ?
Pour les années à venir, il est possible d’identifier quatre enjeux
économiques et géopolitiques majeurs pour le détroit de Malacca.
Le premier enjeu touche à la capacité de charge limite du détroit
à accueillir toujours plus de navires. Si la croissance du trafic dans
le détroit de Malacca se poursuit au même rythme, près de 150 000
navires devraient le traverser en 2020. Or une étude du Maritime
Institute of Malaysia (MIMA) montre qu’à partir de 122 000 navires
en transit le détroit serait complètement congestionné19. Xue Li, un
chercheur chinois, conteste cependant cette conclusion : d’après ses
propres recherches, si le trafic s’accroissait de 75 % dans les prochaines
années sans nouvel aménagement du détroit, le temps de traversée
n’augmenterait que de 13 %, soit un surplus de coût négligeable20.
Ces deux points de vue ne sont qu’en apparence contradictoires car
à nouveau les perceptions du détroit sont divergentes. Lorsque les
chercheurs malaisiens évoquent une capacité limite du détroit, ils
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19. H. Ibrahim & M. Shahryari (2008), « The ship Carrying Capacity of the Malacca Straits »,
MIMA Bulletin, 15 (4).
20. M. Duchâtel, « Le dilemme de Malacca revisité », in China Analysis n°32, pp. 8-20.
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Le gouvernement indien est cependant dans une position délicate
car il doit sécuriser son espace maritime et ses intérêts économiques
tout en évitant d’être accusé d’ingérence par ses voisins qui ont
notamment peu apprécié la participation de la marine indienne à
l’opération américaine de patrouille « Sagitarrarius » dans le détroit
de Malacca juste après le 11 septembre. Pour montrer son respect
des prérogatives des États riverains, l’Inde participe au financement
de deux des six projets du système de coopération dans le détroit.
Ses demandes de participer aux patrouilles conjointes du MSCP afin
de mieux surveiller l’entrée nord-ouest du Détroit ont cependant
toujours étés rejetées.
Le second enjeu concerne l’évolution du « système de coopération ».
Bien qu’étant une réelle avancée dans le partage des coûts pour la
sécurisation du détroit, on peut se demander si ce nouveau mécanisme
ne pourrait pas devenir un « cheval de Troie » pour les puissances
maritimes étrangères. Des voix de plus en plus nombreuses, émanant
aussi bien d’Inde, de Chine que des États-Unis, s’élèvent contre la trop
grande susceptibilité des gouvernements malaisiens et indonésiens à
protéger leur souveraineté nationale au détriment de la communauté
internationale. Elles dénoncent par ailleurs des États qui rejettent
toute implication directe des puissances extérieures au détroit tout en
acceptant leur financement, leurs équipements et leurs formations21.
Pour les États utilisateurs, le système de coopération n’est qu’une
première étape, amenée à évoluer vers une internationalisation de
la gestion du détroit. Ils sont nombreux à se justifier en mettant en
...............................................................................................................................................................
21.Voir Commander S. Upadhaya, « Malacca Straits Security Initiative, Potential for Indian
Navy’s Participation in the Evolving Regional Security Environment », Maritime Affairs,
vol.5, n°2 Winner 2009, pp. 47-67.
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ne l’abordent pas en termes de fluidité du trafic mais de protection
de leurs zones côtières. Les gouvernements malaisien et indonésien
réfléchissent actuellement à la possibilité de demander au Comité de
protection de l’environnement marin de l’OMI de classer le détroit
de Malacca en « zone maritime particulièrement sensible (SMPS) ».
Cette demande de classement devrait à n’en pas douter alimenter un
nouveau contentieux entre États riverains et États utilisateurs car en
cas d’application, les pays riverains seraient en mesure d’imposer des
normes supplémentaires de navigation aux navires en transit. Notons
enfin que la crise économique actuelle tout comme la montée en
puissance des liens directs, aussi bien maritimes que terrestres, entre
la Chine et les pays d’Asie du Nord et de l’Asie du Sud-est continental
pourraient sérieusement remettre en cause l’augmentation du trafic
dans le détroit. Le ralentissement du commerce international en
2008 puis en 2011 explique ainsi directement la baisse du trafic
conteneurisé dans le détroit en 2009 et 2012.
137
Le troisième enjeu est lié à la dépendance de plus en plus forte du
détroit de Malacca vis-à-vis de l’évolution des enjeux géostratégiques
en mer de Chine du Sud et dans l’océan Indien. Le détroit est en
train de devenir un champ de rivalités entre les puissances maritimes
indiennes et chinoises. Si pour sécuriser ses routes commerciales la
Chine est de plus en plus intrusive dans l’océan Indien, par réaction
et par crainte d’un éventuel encerclement de l’Inde par la République
populaire de Chine, le gouvernement indien tente de se rapprocher
non seulement de la Birmanie mais aussi du Japon et du Viêt Nam et
d’affirmer sa présence en mer de Chine du Sud. La réorientation, depuis
2010, des priorités de l’armée américaine vers la région Asie-Pacifique
est par ailleurs autant désirée que crainte par les gouvernements des
États riverains qui mènent une politique d’équilibristes en tentant de
maintenir une relation stable avec la Chine tout en étant ouverts à
une coopération renforcée avec l’armée américaine.
Le dernier enjeu concerne les possibilités de trouver des routes
alternatives au détroit. Pour une fois, un consensus, non formulé,
entre certains États riverains et États utilisateurs semble émerger sur
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avant l’efficacité d’un tel système dans le Golfe d’Aden et en Somalie.
Bien conscients des nombreuses assimilations faites entre cette zone
et celle dans le détroit de Malacca, les gouvernements indonésien
et malaisien ont suivi de près les décisions de 2008 prises par la
communauté internationale pour lutter contre la piraterie dans le
golfe d’Aden. Ils ont vu d’un mauvais œil non pas tant l’intervention
unilatérale de marines de guerre originaires de 14 pays différents que
les différentes résolutions prises alors par le Conseil de Sécurité des
Nations unies qui permettent de poursuivre les pirates dans les eaux
territoriales somaliennes et qui étend (résolution 1851) au territoire
somalien le mandat des marines engagés dans la lutte contre la
piraterie. Le gouvernement indonésien craint que la résolution 1851
crée un précédent et qu’il suffise à l’avenir de remettre en cause les
capacités d’un pays à lutter contre la piraterie pour permettre à des
forces extérieures d’intervenir sur son territoire.
Résumé
À l’articulation des lignes transocéaniques entre l’océan Indien et le
Pacifique, des lignes intra-asiatiques et des routes maritimes circumterrestres
est-ouest de marchandises, le détroit de Malacca est un axe majeur de la
circulation maritime mondiale et une artère vitale du commerce intra
régional. Il représente de ce fait un enjeu stratégique majeur pour les États
riverains mais aussi pour la communauté internationale.
...............................................................................................................................................................
22. M. Hazmi bin M. Rusli, « Linking the East and West : Discovering Alternatives to the
Straits of Malacca and Singapore », in M. Subhan and all., Port, maritime and hinterland
development in South East-Asia, pp. 60-99.
23. F. Lasserre, « Le passage du Nord-Ouest : une route maritime en devenir ? », Revue
Internationale et Stratégique, Paris, n°42, 2001 p.143-160.
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la nécessité de mettre en place des voies de transit alternatives au
détroit de Malacca. Pour le gouvernement chinois, l’aménagement
de routes logistiques contournant le détroit permettrait de réduire
la vulnérabilité énergétique de la Chine. Pour les gouvernements
malaisien et indonésien, il permettrait de soulager le trafic du détroit
de Malacca et de diminuer ainsi les risques d’accidents. Les projets
les plus fréquemment débattus22 sont ceux du creusement d’un canal
ou de la construction d’un oléoduc dans l’isthme de Kra afin de
relier la mer d’Andaman au golfe de Siam et celui de détournement
des flux maritimes vers les détroits de la Sonde et de Lombok. Les
changements climatiques et la fonte des glaces arctiques sont par
ailleurs à l’origine d’un regain d’intérêt pour la route maritime
du Nord depuis le Pacifique nord jusqu’à la mer de Norvège et à
l’Atlantique nord et pour le passage du Nord-Ouest qui relie l’océan
Atlantique à l’océan Pacifique en passant entre les îles arctiques du
Grand Nord canadien23.
139
Abstract
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Located at the juncture of the transoceanic merchandise shipping lines
between the Indian Ocean and the Pacific, intra-Asian lines and east-west
circumterrestrial maritime routes, the Straits of Malacca is a major axis in
worldwide maritime traffic and a vital artery of intraregional commerce. Due
to this fact, the Straits hold tremendous strategic value not only to the littoral
states but also to the international community.