les enjeux économiques et géostratégiques du détroit de malacca
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LES ENJEUX ÉCONOMIQUES ET GÉOSTRATÉGIQUES DU DÉTROIT DE MALACCA Nathalie Fau Editions Choiseul | Géoéconomie 2013/4 - n° 67 pages 123 à 140 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-geoeconomie-2013-4-page-123.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Fau Nathalie, « Les enjeux économiques et géostratégiques du détroit de Malacca », Géoéconomie, 2013/4 n° 67, p. 123-140. DOI : 10.3917/geoec.067.0123 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Editions Choiseul. © Editions Choiseul. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul ISSN 1620-9869 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Les enjeux économiques et géostratégiques du détroit de Malacca Maître de conférences à l’université Paris 7 et chercheur au laboratoire SEDET en délégation CNRS, Nathalie Fau est une experte de l’Indonésie et de la Malaisie, et plus particulièrement « des nouvelles centralités (...) et des espaces transfrontaliers et transnationaux en Asie du Sud-est ». C'est dans ce cadre qu'elle s'intéresse plus particulièrement aux rôles des mers et des détroits dans l’intégration régionale de l’Asie du Sud-est insulaire. L es mutations économiques mondiales depuis 1945 ont considérablement changé le rôle géostratégique des océans : auparavant espaces périphériques peu considérés, ils sont devenus des enjeux stratégiques et économiques aussi importants que ceux des continents voisins. L’Asie du Sud-est – située entre deux océans, Pacifique et Indien, et deux continents, l’Asie et l’Australie – est l’un des principaux carrefours mondiaux de la circulation maritime. Or, la traversée maritime de la région ne peut s’effectuer qu’en empruntant les détroits de l’Asie du Sud-est insulaire (Malaisie, Indonésie, Singapour et Philippines), parmi lesquels le détroit de Malacca occupe une place centrale. À l’articulation des lignes transocéaniques entre l’océan Indien et le Pacifique, des lignes intra-asiatiques et des routes maritimes circumterrestres est-ouest de marchandises, il est un axe majeur de la circulation maritime mondiale et une artère vitale du commerce intra régional. | Nathalie FAU | Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Nathalie FAU 123 Les enjeux économiques du détroit Un enjeu majeur du commerce mondial. Le détroit de Malacca est une des voies maritimes les plus empruntées au monde. Il canalise les flux toujours croissants des échanges mondiaux. Selon les données du système d’Information du Trafic des Navires (VTIS) de Kuala Lumpur, 75 477 navires transitent par le détroit en 2012 contre 60 064 en 2000 (Maritime Department Malaysia). Cette croissance a en partie pour origine la forte augmentation du trafic maritime conteneurisé qui représente désormais près d’un tiers du trafic du détroit1. Sur la période 20002012, la croissance du trafic dans le détroit a été soutenue tant par l’essor du trafic régional intra-asiatique, représentant en 2012 près de 20 % du trafic maritime conteneurisé mondial, que par la forte croissance des échanges commerciaux entre la Chine et l’Europe. La Chine, qui représente aujourd’hui 4 % du PIB mondial et 5 % du ............................................................................................................................................................... 1. N. Khalid, Features, Trends and Prospects of Container Shipping in the Straits of Malacca and Policy Implications for Malaysia, rapport non publié réalisé pour le MIMA, 2011. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul 124 Ce point de passage obligé, ce goulot d’étranglement des transports, cristallise et révèle les tensions régionales mais aussi mondiales. Maillons sensibles des routes maritimes, il représente un enjeu économique non seulement pour les États riverains mais aussi pour les États utilisateurs, parfois très éloignés, et les compagnies maritimes. Par ailleurs, la proximité des rives confère à ce détroit une dimension stratégique particulière : plus aisément contrôlable que la haute mer, il pourrait faire l’objet d’un blocus qui remettrait en cause la liberté de circulation maritime et donc les possibilités de projection des forces navales. Enfin, dernier aspect, souvent négligé, voire oublié, le détroit est aussi une mer intérieure, source de richesses pour les États riverains mais aussi de craintes quant à leur souveraineté nationale potentiellement menacée par des intrusions étrangères et de conflits éventuels. commerce mondial et dont l’économie est très ouverte sur l’extérieur avec des taux d’exportation par rapport au PIB de près de 40 %, est devenue le deuxième partenaire de l’Europe. De ce fait, la route maritime mondiale Europe-Asie est désormais la plus importante en termes de volumes transportés. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul L’émergence des pays asiatiques s’est traduite par une forte concentration des flux des conteneurs en Chine mais aussi en Asie du Sud-est : la part des ports de l’ASEAN dans le trafic mondial de conteneurs est ainsi passée de 4,8 % en 1980 à 13,5 % en 2008. Or le détroit de Malacca abrite les plus grands ports à conteneurs d’Asie du Sud-est. Jusqu’à la fin des années 1990, Singapour captait l’essentiel des flux transocéaniques tandis que les ports malaisiens, incapables d’attirer des lignes maritimes internationales étaient contraints de transiter par les terminaux singapouriens. Pour le gouvernement malaisien cette situation était politiquement inacceptable et toute sa politique de modernisation des infrastructures portuaires a eu pour but de détourner vers ses ports une partie des échanges maritimes de la cité-État. Depuis le début des années 2000, Port Klang, situé à 40 km de Kuala Lumpur, et Tanjung Pelapas (PTP) au sud du détroit dans l’État de Johor, font partie des 20 premiers ports mondiaux (13ème et 17ème place en 2011). Le trafic de conteneurs de Port Klang est passé de 1,1 million d’EVP en 1996 à 9,9 millions en 2012. Quant au port de Tanjung Pelapas (PTP), construit à proximité du second pont reliant l’État de Johor à Singapour, il a été conçu exclusivement pour devenir un rival direct du port de Singapour. Son ouverture officielle date seulement de 2000 mais sa croissance a été fulgurante : 418 000 EVP en 2000, 2,6 millions en 2002 et 7,7 millions en 2012 ! Un corridor énergétique. Le détroit de Malacca est également un véritable corridor énergétique : un peu plus de deux tiers des flux de pétrole et de gaz y transitent, soit trois fois plus que par le canal de Suez et quinze fois | Nathalie FAU | Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Des ports internationaux sur ses rives. 125 États riverains versus États utilisateurs : des perceptions divergentes du détroit Les enjeux du détroit de Malacca ne sont pas les mêmes entre d’un côté les États riverains et de l’autre les puissances maritimes et les États utilisateurs3 : si les premiers, craignant une remise en cause de leur souveraineté nationale se soucient avant tout de la sûreté de la navigation dans le détroit afin d’éviter une catastrophe environnementale et une crise des secteurs économiques qui vivent de l’exploitation de la mer (aquaculture, tourisme, etc.), les seconds défendent le maintien d’une libre circulation dans le détroit et se préoccupent uniquement de la sécurité de leur navires et de leur chargement (risque de piraterie et terrorisme potentiel). Ces oppositions se cristallisent autour de deux points. ............................................................................................................................................................... 2. S. Zhao, « China’s Global Search for Energy Security : cooperation and competition in Asia-Pacific », Journal of Contemporary China 17 (55), May 2008, p. 207-227. 3. N. Fau, « Les détroits en Asie du Sud-Est », in L'évolution du débat stratégique en Asie du Sud-Est depuis 1945 de Pierre Journoud, Études de l’INSERM n°14, 2012, pp. 249-288. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul 126 plus que par le canal de Panama. Les estimations basses prévoient même un transit de 20 millions de barils en 2020. Pour les pétroliers, la route maritime empruntant le détroit de Malacca est la plus courte et la plus rapide entre le Golfe Persique et l’Asie Orientale et donc la plus économique. Cette fonction s’est renforcée avec la croissance économique chinoise qui a eu pour corolaire une formidable augmentation de ses demandes d’hydrocarbures : devenue importateur net de pétrole en 1993, la Chine dépend désormais de 53 % de ses importations pour sa consommation. Selon l’Agence internationale de l’énergie, ses besoins pourraient atteindre 15 millions de barils par jour en 2035 contre 8,6 millions en 2010. Or ces importations qui proviennent majoritairement du golfe Arabopersique et d’Afrique transitent à 80 % par le détroit de Malacca2. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Le premier contentieux entre États riverains et États utilisateurs concerne le partage des coûts d’entretien, de la maintenance et de la construction des infrastructures de navigation dans le détroit de Malacca. Les conditions de navigation dans le détroit de Malacca sont souvent délicates en raison de son étroitesse4 (pas plus de 12 mètres dans ses points les plus resserrés) et d’un taux d’envasement élevé5. Ces difficultés de navigation associées à une densification du trafic rendent donc les risques de collision très élevés. Pour prévenir tous risques, les États riverains se sont déclarés responsables de la gestion et de la sécurité maritime du détroit lors du communiqué commun du 16 novembre 1971. Cette coopération trilatérale a abouti en février 1977 à la mise en place de couloirs de navigation et de systèmes d’aides à la navigation et en 1998, à la mise en place d’un système de signalement obligatoire des navires en transit. Depuis le milieu des années 1990, les États indonésien et malaisien dénoncent cependant la lourdeur financière des coûts d’entretien et le peu d’implication des compagnies maritimes internationales mais aussi des États utilisateurs. Ils ont fini par avoir gain de cause. L’OMI a lancé et encadré une réflexion sur la mise en place d’un modèle de coopération incluant également les usagers du détroit. Elle a organisé des réunions à Batam et Jakarta (2005), à Kuala Lumpur (2006) et à Singapour (2007) qui ont abouti à la création d’un « système de coopération » (cooperative mechanism) décliné en trois structures de coopération : le fonds d’aide à la navigation, le comité spécial en charge de projets spécifiques et un forum de discussions. Par ailleurs, les pays riverains ont proposé une liste de projets concrets ............................................................................................................................................................... 4. A. Hamzah, The Straits of Malacca, International Co-operation in trade, Funding and navigational safety, 1997, p. 3-14. 5. N. Fau, « Le nord de Sumatra : une périphérie indonésienne sur le détroit de Malacca, un espace partagé entre intégration nationale et recomposition transnationale », thèse de doctorat, 2003, p. 567-573. | Nathalie FAU | Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Qui doit financer la sécurisation du détroit ? 127 qui nécessiteraient une participation des utilisateurs des détroits6 ; ils demeurent ainsi les seuls responsables de la sécurisation du détroit tout en bénéficiant d’investissements extérieurs. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul 128 Le second litige touche à la sécurité dans le détroit de Malacca. Les perceptions des risques sont très différentes entre d’un côté les gouvernements malaisien et indonésien et de l’autre le gouvernement de Singapour et les États utilisateurs. Depuis les attentats du 11 septembre 2001, les gouvernements indonésien et malaisien craignent une remise en cause de leurs droits sur le détroit au nom de la lutte contre la piraterie et le terrorisme. Ils estiment notamment que la menace d’une coalition entre les pirates les terroristes est très exagérée, voire entretenue, afin de favoriser l’intrusion de puissances militaires extérieures7. En revanche pour le gouvernement singapourien le risque terroriste est bien réel8 et nécessiterait de recourir à des puissances étrangères. Afin d’éviter d’être qualifiés d’État faibles, les gouvernements indonésien et malaisien ont décidé en juin 2004 de renforcer la sécurité dans le détroit de Malacca en multipliant les patrouilles conjointes et en augmentant le nombre de garde-côtes. Le 20 juillet 2004, ils ont lancé avec Singapour, et à grands renforts de publicité, la Malacca Straits Coordinated Patrol (MSCP : Patrouille maritime du détroit de Malacca) chargée d’organiser des patrouilles coordonnées dans le détroit dans le cadre des opérations MALSINDO (acronyme pour Malaisie-Indonésie-Singapour). Ce dispositif a été renforcé en septembre 2005 par la mise en place de patrouilles militaires ............................................................................................................................................................... 6. J. Ho, « The International Maritime Organization-Littoral State Meeting on Enhancing the Safety, Security and Environmental Protection of the Straits of Malacca and Singapore », Maritimes Studies, janvier-février 2007, pp. 16-21. 7. J.N. Mak, « Unilateralism and Regionalism : Working together and Alone in the Malacca Straits », dans Piracy, Maritime Terrorism and Securing the Malacca Straits de Graham Gerard, ONG-WEBB (ed.), ISEAS, 2006, pp. 135- 164. 8. E. Frecont, « Géopolitique de la Piraterie au Sud-Est asiatique. Conflit de représentations », dans Les seigneurs de la mer, Outre Terre 25, Revue européenne de géopolitique, 2010, p. 102-103. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Sûreté maritime et souveraineté nationale. Ces initiatives permettent aux gouvernements indonésien et malaisien de rejeter avec fermeté toute proposition de présences militaires étrangères dans les détroits. En 2004, ils ont refusé la proposition de l’Amiral Thomas Fargo, commandant de l’US PACOM, de créer le Regional Maritime Security Initiative (RMSI) ainsi que la suggestion chinoise d’impliquer les membres de l’ASEAN+3 dans la sécurisation du détroit ; en 2005 ils rejettent la proposition japonaise de déploiement de garde-côtes japonais dans le détroit. Cette crainte d’internationalisation de la gestion du détroit explique aussi le refus de l’Indonésie et de la Malaisie de ratifier l’accord de coopération régionale sur la lutte contre la piraterie et le brigandage maritime en Asie (ReCAAP) qui prévoit la mise en place d’un centre anti-pirate à Singapour. Pour le gouvernement malaisien, ce centre, dont les fonctions sont redondantes avec celles du centre de Kuala ............................................................................................................................................................... 9. Pour un descriptive détaillé de leur dépenses militaires, voire l’article de A. Tan, « The Emergence of Naval Power in the Straits of Malacca », Defence Studies, vol.12, n°1, mars 2012, pp. 106-135. | Nathalie FAU | Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul aériennes conjointes (Eyes in the Sky : Des yeux dans le ciel) et en 2006 par la création d’une agence de renseignements trilatérale (Intelligence Exchange Group : Groupe d’échanges de renseignements) dont le but est de partager entre les États riverains et en temps réel toutes les informations relatives à la circulation dans le détroit. Par ailleurs, depuis 1992, Kuala Lumpur accueille le Centre régional de piraterie (CRP), qui est une antenne régionale du Bureau maritime internationale (BMI) en Asie du Sud-est. Tous ces dispositifs ont été renforcés avec la nouvelle implication de la Thaïlande qui a rejoint le MSCP en 2009. Les quatre pays riverains ont par ailleurs nettement investi depuis les années 2000 dans l’amélioration de leurs forces militaires navales9. Comme le souligne fort justement Joon Num Mak, l’objectif principal de ces mesures n’est pas tant de lutter contre le terrorisme et la piraterie que de donner des gages de bonne volonté à la communauté internationale sur la prise en compte par les Étatsriverains des problèmes de sécurité dans les détroits. 129 Lumpur, est non seulement perçu comme un désaveu mais aussi comme une ingérence de puissances étrangères dans la gestion du détroit. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul 130 Le rôle international, tant militaire qu’économique du détroit de Malacca s’est nettement affirmé dans les années 2000. Outre le Japon et les États-Unis qui s’y intéressent de près depuis 1945, deux autres pays les considèrent désormais comme un enjeu majeur de la sécurité nationale : la Chine et l’Inde. Le Japon : le seul pays à être régulièrement intervenu dans le détroit Pour le Japon, l’enjeu est moins militaire qu’économique10. Le détroit de Malacca est une artère vitale pour l’économie japonaise tant pour son approvisionnement en matières premières que pour ses exportations vers l’Europe de produits manufacturés. Par lui transitent près de 41 % des importations totales de l’archipel nippon et notamment 80 % de son pétrole en provenance du golfe Arabopersique. Afin de sécuriser ses approvisionnements, le Japon participe depuis le milieu des années 1960 au financement de la sécurisation du détroit. En 1968 le ministre japonais des Transports en coopération avec des entreprises pétrolières, des transporteurs et des entreprises privées japonaises travaillant dans le secteur maritime (assurances, constructions navales, armateurs) ont créé le Malacca Strait Council (MSC) qui apporte une aide technique et financière afin d’améliorer les conditions de navigation dans le détroit. ............................................................................................................................................................... 10. J. Tsuneskawa « Japan Perspectives on the Straits of Malacca », in Proceedings of the 6th MIMA International Conference on the Straits of Malacca : Charting the future, Kuala Lumpur23-24 June 2009 de Nazerih Khalid, 2010, pp. 31-40. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Un rôle de plus en plus stratégique Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Pour les États-Unis, les enjeux du détroit de Malacca ont toujours été essentiellement militaires. Dans les années 1970, le détroit de Malacca était au cœur de la swing strategy des États-Unis, c’est-à-dire le déplacement rapide des forces navales entre les océans Pacifique, Indien et le Moyen-Orient11. Toute remise en cause de la liberté de circulation dans ce détroit était perçue comme une atteinte au déploiement des flottes navales et donc au maintien de l’équilibre des puissances militaires. Même après le départ des Américains de Saigon en 1975 puis le déclin de la présence et de l’influence des États-Unis en Asie du Sud-est consécutif à la fin de la Guerre froide, l’US Pacific Command (US PACOM) a toujours trouvé des alliées favorisant son déploiement en Asie du Sud-est12. Et surtout, après le 11 septembre 2001, la menace terroriste a provoqué un réengagement des ÉtatsUnis en Asie du Sud-est, qualifié de « second front » dans la « guerre globale » contre le terrorisme. Dans ce contexte, le détroit est devenu une zone de risque majeur. Par ailleurs les États riverains, conscients que la RPC dispose de moyens économiques et militaires deux fois supérieurs à ceux de l’ASEAN, renforcent depuis une dizaine d’années leur coopération militaire avec les États-Unis. Tous les pays riverains, Singapour en tête, se sont rapprochés des États-Unis. La cité-État a agrandi la base navale de Changi afin de faciliter les escales des navires de l’US Pacom et elle abrite l’unité américaine de coordination stratégique COMLOG WestPac. L’Indonésie a accepté pour la première fois l’aide d’une puissance extrarégionale pour sécuriser le détroit : les États-Unis y ont financé l’installation d’une douzaine de stations de surveillance équipées de ............................................................................................................................................................... 11. J.N Mak, op.cit., pp. 135-161. 12. P. Grosser, « Les États-Unis et l’Asie du Sud-Est depuis le milieu des années 1970 » in L’évolution du débat stratégique en Asie du Sud-Est depuis 1945 de Pierre Journoud, Études de l’INSERM n°14, pp. 91-128. | Nathalie FAU | Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Les États-Unis et la liberté de circulation maritime des forces militaires 131 La Chine et le « Dilemme de Malacca » Depuis les années de la Guerre froide, la position du gouvernement chinois envers le détroit de Malacca a radicalement changé. Lors de la 3ème Conférence des Nations unies sur le droit de la mer en 1974, la Chine était le seul pays à soutenir les revendications des gouvernements indonésien et malaisien qui refusaient le concept de liberté de navigation et souhaitaient au contraire désinternationaliser le détroit afin d’en interdire sa traversée aux bâtiments de guerre et ainsi préserver leur sécurité nationale. En dépit des oppositions politiques, toutes les puissances maritimes s’étaient alors retrouvées sur le principe de la liberté de circulation et avaient dénoncé les tentatives de mainmise des États riverains sur les détroits. La position divergente chinoise s’expliquait en grande partie par une présence navale soviétique accrue en Extrême-Orient et dans l’océan Indien qui aurait pu menacer la Chine d’encerclement13. La libéralisation de l’économie chinoise a entièrement changé ............................................................................................................................................................... 13. Michaël Leifert, International straits of the world : Malacca, Singapore and Indonesia, Alphen aan den Rijn, the Netherlands, Sijthoff and Noordhohh, 1978, pp. 115-124. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul 132 radars, de systèmes d’identification des navires, d’infrastructures de communications et ont même donné des patrouilleurs. Quant à la Malaisie, si sa coopération avec les États-Unis n’est pas nouvelle, elle s’est discrètement intensifiée (manœuvres communes, ouverture de port aux flottes navales américaines, autorisation pour des douaniers américains d’inspecter les conteneurs en partance vers les ÉtatsUnis, formation de la police maritime malaisienne par des officiers américains, etc.). Outre ces coopérations bilatérales, les trois États riverains participent à des opérations multilatérales organisées par la marine américaine dans la région. Singapour, l’Indonésie et la Malaisie prennent ainsi part, respectivement depuis 2000, 2010 et 2011 aux exercices militaires Cobra Gold qui étaient à l’origine uniquement américano-thaïs. Cette situation explique l’intérêt de la Chine pour diversifier ses routes commerciales et d’approvisionnement énergétique : ouverture en mai 2006 d’un oléoduc de 3 000 km reliant le territoire kazakh et le Xinjiang et qui constitue la première phase d’un projet plus vaste devant permettre de transporter du pétrole de la mer Caspienne à la Chine, construction de deux autres oléoducs transnationaux, l’un entre le port birman de Sittwe et Kunning, la capitale du Yunnan, l’autre entre Taishet en Sibérie russe et Daqing en Chine, mais aussi la construction du port de Gwadar au Pakistan donnant un accès aux eaux de la mer d’Oman et de l’océan Indien. Tous ces projets onéreux ne mettront cependant pas complètement fin à la dépendance de la ............................................................................................................................................................... 14. C. Shaofeng, « China’s self-extrication from the "Malacca Dilemma" and Implications », International Journal of China Studies, vol.1, n°1, Janvier 2010, pp.1-24. 15. L. Amelot, « Le dilemme de Malacca » », Les seigneurs de la mer, Outre Terre 25, Revue européenne de géopolitique, 2010, pp. 247-268 ; Ian Storey, « China’s Malacca Dilemma », China Brief, vol. 6, 11 avril 2006. | Nathalie FAU | Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul la donne. Ayant opté pour une économie capitaliste privilégiant les exportations, la Chine dépend du détroit de Malacca pour exporter ses productions, en particulier vers l’Europe, son premier partenaire commercial depuis 2005, mais aussi pour importer des hydrocarbures. Chen Shaofeng14 estime que près de 60 % des navires en transit dans le détroit de Malacca sont chinois. Or, la marine chinoise n’a guère les moyens de peser sur la situation dans le détroit et elle doit donc concéder de facto à des marines étrangères, notamment américaines, la sécurisation de son approvisionnement énergétique et de son commerce extérieur. En 2003, le président Hu Jintao exprime ses inquiétudes, reprise dans la presse chinoise sous l’expression « dilemme de Malacca »15, quant à la possibilité pour une puissance maritime de déstabiliser l’économie de la Chine en contrôlant et bloquant le détroit de Malacca. Pékin perçoit par ailleurs la lutte contre le terrorisme international comme un moyen de justifier la présence permanente de forces navales d’une puissance hostile à la RPB dans le détroit de Malacca. 133 L’Inde et « le Collier de Perles » Le gouvernement indien porte également un intérêt très récent au détroit de Malacca. Au lendemain de son indépendance, l’Inde a davantage été inquiétée par ses frontières continentales, notamment avec la Chine et le Pakistan que par ses frontières maritimes, son développement économique étant alors davantage autocentré que tourné vers l’extérieur et sa flotte commerciale et sa marine peu développées16. La donne se transforme dans les années 1990 avec la maritimisation de l’économie indienne et sa nouvelle stratégie maritime. L’Indian Maritime Doctrine de 2004 affirme la nécessité pour l’Inde de s’imposer militairement sur la scène internationale en contrôlant notamment les voies maritimes de l’océan Indien ............................................................................................................................................................... 16. S. Prabhakar, W. Lawrence « Maritime Security Triangulation of ASEAN-AustraliaIndia, An Indian Perspective », William Tow, Chin Kin Wah, editor, ASEAN-IndiaAustralia : Towards Closer Engagement in a New Asia, Singapore, ISEAS, 2009, pp. 219-242. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul 134 Chine envers le détroit de Malacca. D’après l’étude de Chen Shaofeng, réalisée à partir des données statistiques chinoises disponibles, si toutes ces routes alternatives avaient été opérationnelles en 2007, elles n’auraient pu véhiculer qu’à peine 26 % des importations chinoises en pétrole. Or depuis, la consommation énergétique chinoise n’a cessé de croître. Outre la création de points d’appui pour protéger ses routes commerciales et ses flux économiques internationaux, la Chine s’est rapprochée des États riverains du Malacca. Lors des réunions du système de coopération (cooperative mechanism) de Kuala Lumpur (2005) et Singapour (2006), le gouvernement chinois s’est engagé à participer au financement du projet indonésien de remplacement des aides à la navigation détruite par le tsunami de 2004, du projet singapourien de centre de mesures et des projets malaisiens concernant les substances nocives et potentiellement dangereuses (SND). Il a également ratifié des accords de coopérations maritimes avec l’Indonésie le 25 avril 2005, avec la Malaisie le 25 août 2006 et avec Singapour fin 2006. Pour parer à une éventuelle menace chinoise d’encerclement, le gouvernement indien envisage désormais le détroit de Malacca comme une extension de la mer d’Andaman. Afin de sécuriser l’entrée nord du détroit, il a établi de nouvelles bases navales dans les îles Andaman et Nicobar17. L’Indian Maritime Doctrine préconise également le développement de coopération navale avec les marines de la région ; son gouvernement a signé un partenariat stratégique avec la Thaïlande en 2001 et avec l’Indonésie en 200518 afin de mener des patrouilles conjointes à l’entrée nord du détroit de Malacca. Depuis 1993, la marine indienne participe également annuellement à des exercices bilatéraux avec Singapour. En revanche, les relations militaires maritimes entre l’Inde et la Malaisie demeurent faibles. L’Inde a également ratifié en 2006 l’accord ReCAAP et même posté un officier des garde-côtes dans le centre de partage d’informations de Singapour. ............................................................................................................................................................... 17. S. Prabhakar, W. Lawrence, op.cit. p. 228. 18. R. B. Rai « India’s Perspectives on the Straits of Malacca », in Proceedings of the 6th MIMA International Conference on the Straits of Malacca : Charting the future, Kuala Lumpur, 23-24 June 2009, N. Khalid, 2010, pp. 25-31. | Nathalie FAU | Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul et ses détroits névralgiques. Par ailleurs, depuis les attentats du 11 septembre, les États-Unis poussent l’Inde à jouer un plus grand rôle dans la sécurisation de l’océan Indien. La redécouverte par l’Inde de l’océan Indien est aussi une réaction à ce qui est perçu comme la nouvelle stratégie chinoise dite « du collier de perles » : la Chine investirait dans des ports en Chine (île d’Hainan et île Woody aux Paracels) mais aussi en Birmanie (Sittwe et Mergui), au Bangladesh (Chittagong), au Sri Lanka (Hambantota et Colombo), au Pakistan (Gwadar), non pour sécuriser ses voies de navigation en établissant un réseau de relais, « les perles », mais pour les transformer un jour en bases navales. En disposant ainsi d’une présence militaire des deux côtés du détroit de Malacca, la marine chinoise aurait la possibilité d’en bloquer l’accès et de remettre ainsi en cause la liberté de circulation maritime. 135 Quelles perspectives pour le détroit de Malacca ? Pour les années à venir, il est possible d’identifier quatre enjeux économiques et géopolitiques majeurs pour le détroit de Malacca. Le premier enjeu touche à la capacité de charge limite du détroit à accueillir toujours plus de navires. Si la croissance du trafic dans le détroit de Malacca se poursuit au même rythme, près de 150 000 navires devraient le traverser en 2020. Or une étude du Maritime Institute of Malaysia (MIMA) montre qu’à partir de 122 000 navires en transit le détroit serait complètement congestionné19. Xue Li, un chercheur chinois, conteste cependant cette conclusion : d’après ses propres recherches, si le trafic s’accroissait de 75 % dans les prochaines années sans nouvel aménagement du détroit, le temps de traversée n’augmenterait que de 13 %, soit un surplus de coût négligeable20. Ces deux points de vue ne sont qu’en apparence contradictoires car à nouveau les perceptions du détroit sont divergentes. Lorsque les chercheurs malaisiens évoquent une capacité limite du détroit, ils ............................................................................................................................................................... 19. H. Ibrahim & M. Shahryari (2008), « The ship Carrying Capacity of the Malacca Straits », MIMA Bulletin, 15 (4). 20. M. Duchâtel, « Le dilemme de Malacca revisité », in China Analysis n°32, pp. 8-20. Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul 136 Le gouvernement indien est cependant dans une position délicate car il doit sécuriser son espace maritime et ses intérêts économiques tout en évitant d’être accusé d’ingérence par ses voisins qui ont notamment peu apprécié la participation de la marine indienne à l’opération américaine de patrouille « Sagitarrarius » dans le détroit de Malacca juste après le 11 septembre. Pour montrer son respect des prérogatives des États riverains, l’Inde participe au financement de deux des six projets du système de coopération dans le détroit. Ses demandes de participer aux patrouilles conjointes du MSCP afin de mieux surveiller l’entrée nord-ouest du Détroit ont cependant toujours étés rejetées. Le second enjeu concerne l’évolution du « système de coopération ». Bien qu’étant une réelle avancée dans le partage des coûts pour la sécurisation du détroit, on peut se demander si ce nouveau mécanisme ne pourrait pas devenir un « cheval de Troie » pour les puissances maritimes étrangères. Des voix de plus en plus nombreuses, émanant aussi bien d’Inde, de Chine que des États-Unis, s’élèvent contre la trop grande susceptibilité des gouvernements malaisiens et indonésiens à protéger leur souveraineté nationale au détriment de la communauté internationale. Elles dénoncent par ailleurs des États qui rejettent toute implication directe des puissances extérieures au détroit tout en acceptant leur financement, leurs équipements et leurs formations21. Pour les États utilisateurs, le système de coopération n’est qu’une première étape, amenée à évoluer vers une internationalisation de la gestion du détroit. Ils sont nombreux à se justifier en mettant en ............................................................................................................................................................... 21.Voir Commander S. Upadhaya, « Malacca Straits Security Initiative, Potential for Indian Navy’s Participation in the Evolving Regional Security Environment », Maritime Affairs, vol.5, n°2 Winner 2009, pp. 47-67. | Nathalie FAU | Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul ne l’abordent pas en termes de fluidité du trafic mais de protection de leurs zones côtières. Les gouvernements malaisien et indonésien réfléchissent actuellement à la possibilité de demander au Comité de protection de l’environnement marin de l’OMI de classer le détroit de Malacca en « zone maritime particulièrement sensible (SMPS) ». Cette demande de classement devrait à n’en pas douter alimenter un nouveau contentieux entre États riverains et États utilisateurs car en cas d’application, les pays riverains seraient en mesure d’imposer des normes supplémentaires de navigation aux navires en transit. Notons enfin que la crise économique actuelle tout comme la montée en puissance des liens directs, aussi bien maritimes que terrestres, entre la Chine et les pays d’Asie du Nord et de l’Asie du Sud-est continental pourraient sérieusement remettre en cause l’augmentation du trafic dans le détroit. Le ralentissement du commerce international en 2008 puis en 2011 explique ainsi directement la baisse du trafic conteneurisé dans le détroit en 2009 et 2012. 137 Le troisième enjeu est lié à la dépendance de plus en plus forte du détroit de Malacca vis-à-vis de l’évolution des enjeux géostratégiques en mer de Chine du Sud et dans l’océan Indien. Le détroit est en train de devenir un champ de rivalités entre les puissances maritimes indiennes et chinoises. Si pour sécuriser ses routes commerciales la Chine est de plus en plus intrusive dans l’océan Indien, par réaction et par crainte d’un éventuel encerclement de l’Inde par la République populaire de Chine, le gouvernement indien tente de se rapprocher non seulement de la Birmanie mais aussi du Japon et du Viêt Nam et d’affirmer sa présence en mer de Chine du Sud. La réorientation, depuis 2010, des priorités de l’armée américaine vers la région Asie-Pacifique est par ailleurs autant désirée que crainte par les gouvernements des États riverains qui mènent une politique d’équilibristes en tentant de maintenir une relation stable avec la Chine tout en étant ouverts à une coopération renforcée avec l’armée américaine. Le dernier enjeu concerne les possibilités de trouver des routes alternatives au détroit. Pour une fois, un consensus, non formulé, entre certains États riverains et États utilisateurs semble émerger sur Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul 138 avant l’efficacité d’un tel système dans le Golfe d’Aden et en Somalie. Bien conscients des nombreuses assimilations faites entre cette zone et celle dans le détroit de Malacca, les gouvernements indonésien et malaisien ont suivi de près les décisions de 2008 prises par la communauté internationale pour lutter contre la piraterie dans le golfe d’Aden. Ils ont vu d’un mauvais œil non pas tant l’intervention unilatérale de marines de guerre originaires de 14 pays différents que les différentes résolutions prises alors par le Conseil de Sécurité des Nations unies qui permettent de poursuivre les pirates dans les eaux territoriales somaliennes et qui étend (résolution 1851) au territoire somalien le mandat des marines engagés dans la lutte contre la piraterie. Le gouvernement indonésien craint que la résolution 1851 crée un précédent et qu’il suffise à l’avenir de remettre en cause les capacités d’un pays à lutter contre la piraterie pour permettre à des forces extérieures d’intervenir sur son territoire. Résumé À l’articulation des lignes transocéaniques entre l’océan Indien et le Pacifique, des lignes intra-asiatiques et des routes maritimes circumterrestres est-ouest de marchandises, le détroit de Malacca est un axe majeur de la circulation maritime mondiale et une artère vitale du commerce intra régional. Il représente de ce fait un enjeu stratégique majeur pour les États riverains mais aussi pour la communauté internationale. ............................................................................................................................................................... 22. M. Hazmi bin M. Rusli, « Linking the East and West : Discovering Alternatives to the Straits of Malacca and Singapore », in M. Subhan and all., Port, maritime and hinterland development in South East-Asia, pp. 60-99. 23. F. Lasserre, « Le passage du Nord-Ouest : une route maritime en devenir ? », Revue Internationale et Stratégique, Paris, n°42, 2001 p.143-160. | Nathalie FAU | Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul la nécessité de mettre en place des voies de transit alternatives au détroit de Malacca. Pour le gouvernement chinois, l’aménagement de routes logistiques contournant le détroit permettrait de réduire la vulnérabilité énergétique de la Chine. Pour les gouvernements malaisien et indonésien, il permettrait de soulager le trafic du détroit de Malacca et de diminuer ainsi les risques d’accidents. Les projets les plus fréquemment débattus22 sont ceux du creusement d’un canal ou de la construction d’un oléoduc dans l’isthme de Kra afin de relier la mer d’Andaman au golfe de Siam et celui de détournement des flux maritimes vers les détroits de la Sonde et de Lombok. Les changements climatiques et la fonte des glaces arctiques sont par ailleurs à l’origine d’un regain d’intérêt pour la route maritime du Nord depuis le Pacifique nord jusqu’à la mer de Norvège et à l’Atlantique nord et pour le passage du Nord-Ouest qui relie l’océan Atlantique à l’océan Pacifique en passant entre les îles arctiques du Grand Nord canadien23. 139 Abstract Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Document téléchargé depuis www.cairn.info - - PORCHERET Laurent - 81.57.86.158 - 02/11/2014 19h44. © Editions Choiseul Located at the juncture of the transoceanic merchandise shipping lines between the Indian Ocean and the Pacific, intra-Asian lines and east-west circumterrestrial maritime routes, the Straits of Malacca is a major axis in worldwide maritime traffic and a vital artery of intraregional commerce. Due to this fact, the Straits hold tremendous strategic value not only to the littoral states but also to the international community.