Quelle attitude avoir devant un malade hospitalisé pour un
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Réanimation 15 (2006) 221–233 http://france.elsevier.com/direct/REAURG/ Mise au point Quelle attitude avoir devant un malade hospitalisé pour un syndrome fébrile sévère au retour d’un pays tropico-équatorial ? Management of a patient returning from the tropics with a severe fever syndrome S. Rebaudet *, P. Brouqui Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Nord, Chemin-des-Bourellys, 13915 Marseille cedex 20, France Résumé La fièvre est le principal problème de santé présenté par les voyageurs rentrant de zone tropicale. Les étiologies les plus fréquentes sont le paludisme, puis la dengue, les hépatites virales et les fièvres typhoïdes et paratyphoïdes qui ont toutes un potentiel évolutif sévère. Toute fièvre au retour des tropiques doit faire évoquer de principe un paludisme. Devant un tableau sévère, une démarche diagnostique exhaustive incluant notamment les données épidémiologiques relatives au séjour et aux pays visités doit néanmoins être systématique. Certaines étiologies ont en effet des modes de présentation peu spécifiques et un risque contagieux potentiel imposant des mesures d’isolement rapide. Les modalités du diagnostic spécifique et de l’instauration de thérapeutiques anti-infectieuses d’épreuve sont également discutées. Enfin, un certain nombre d’étiologies fréquentes ou posant des problèmes particuliers sont détaillées. © 2006 Société de Réanimation de Langue Française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. Abstract Fever is the most common leading cause of medical seeking for travelers returning from the tropics. Malaria is the main etiology, followed by dengue fever, viral hepatitis or enteric fever, all of which may be life threatening. Malaria should always be ruled out. Epidemiological and travel assessment is a key diagnostic point since many diseases may have the same clinical presentation and several require rapid and strict isolation to prevent nosocomial contamination. Specific diagnostic methods and preemptive specific treatments are exposed. Several frequent or emerging important diseases are also detailed. © 2006 Société de Réanimation de Langue Française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. Mots clés : Fièvre sévère ; Fièvre grave ; Réanimation ; Voyage ; Tropiques ; Tropical ; Diagnostic ; Prise en charge Keywords: Severe fever; Intensive care; Critical care; travel; Tropics; Tropical; Diagnostic; Management 1. Introduction–épidémiologie Une fièvre au retour des tropiques se définit comme un syndrome fébrile associé à un antécédent de séjour, même lointain, en zone tropicale. Le flux de voyageurs français en zone tropicale est actuellement de l’ordre de huit millions par an. Quinze à 70 % d’entre eux sont malades pendant leur séjour ou au * Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] (S. Rebaudet). retour, et entre 5 et 30 % selon les études consultent un médecin au retour [1]. D’après une étude récente fondée sur 17 353 voyageurs malades au retour issue des données du réseau Geosentinel, la fièvre serait le premier syndrome retrouvé (22,6 %), suivie par les diarrhées aiguës (22,2 %), les dermatoses (17 %), les troubles respiratoires n’arrivant qu’en sixième position (7,7 %) [2]. Selon la même étude, la principale étiologie de la fièvre est le paludisme (35,2 %), suivie de la dengue (10,4 %), 40,6 % des syndromes fébriles n’ayant pas de cause spécifique [2]. Dans une autre étude portant sur 232 fièvres au retour, la prin- 1624-0693/$ - see front matter © 2006 Société de Réanimation de Langue Française. Publié par Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.reaurg.2006.03.013 222 S. Rebaudet, P. Brouqui / Réanimation 15 (2006) 221–233 Tableau 1 Principales causes infectieuses de fièvre au retour des tropiques [2] Tableau 2 « Check-list » de la prise en charge d’une fièvre sévère au retour des tropiques Agents Paludisme Plasmodium falciparum Plasmodium vivax Plasmodium ovale Plasmodium malariae Arbovirose (dengue) Hépatites virales Hépatite A Hépatite B, D, E Fièvre typhoïde Amibiase compliquée Rickettsiose Leptospirose Fièvres cosmopolites Démarche diagnostique Penser au paludisme et aux causes non infectieuses Terrain, comorbidités, statut immunitaire Dates, pays visités, conditions de séjour, activités à risque, prophylaxies Fréquence ++++ ++++ ++ ++ + +++ +++ +++ + + ++ ++ + +++ ++++ : Très fréquent ; +++ : Fréquent ; ++ : Rare ; + : Très rare ; rien : Exceptionnel. cipale cause reste le paludisme (27 %), puis les infections respiratoires (24 %), gastro-intestinales (14 %), la dengue (8 %), la fièvre typhoïde (3 %), l’hépatite A (3 %) [3]. On dénombre en effet, de l’ordre de 6000 cas annuels de paludisme en France dont plus de 80 % à Plasmodium falciparum [1], dont on connaît le risque fatal. De même, diverses autres étiologies « tropicales » peuvent motiver une admission en réanimation, comme la dengue dans ses formes hémorragiques ou encore les hépatites virales fulminantes par exemple. On perçoit donc ici tout l’intérêt de la question des fièvres au retour des tropiques en réanimation et de la connaissance d’un certain nombre de pathologies tropicales (Tableau 1), en dehors desquelles la démarche diagnostique ne saurait oublier les causes cosmopolites infectieuses (pyélonéphrites…) et les causes non infectieuses de fièvre (maladies thromboemboliques, inflammatoires ou néoplasiques). Se renseigner sur les risques des pays visités et les épidémies en cours (Tableau 4) Courbe thermique, signes cliniques et biologiques d'orientation Bilan biologique standard Radiographie de thorax Frottis sanguins répétés, hémocultures, autres prélèvements en fonction des signes d'appel, bilan sérologique (Tableau 7) Traitement Reconnaître et placer en isolement les patients à risque contagieux (Tableau 8) Traitement symptomatique des défaillances d'organe Traitement antipaludique d'épreuve au moindre doute Autres traitements probabilistes en fonction du contexte (§4.3) ● le terrain du patient, avec notamment son âge et surtout son statut immunitaire (infection par le VIH, corticothérapie au long cours…) ; ● les pays visités, comprenant également les lieux d’escale éventuelle et les séjours antérieurs, avec les conditions de séjours ; ● les dates des séjours (arrivée et retour), afin de retenir les étiologies d’incubation compatible (Tableau 3) ; ● les expositions à risque : baignades, alimentation, marche en brousse, relations sexuelles… ; ● le statut vaccinal et les mesures prophylactiques réellement suivies, notamment antipaludiques (avec modalité et observance). 2. Démarche diagnostique Bien que la majorité des patients présentant une fièvre au retour des tropiques soit adressée au réanimateur avec un diagnostic déjà établi (de paludisme la plupart du temps) et à la faveur d’une dégradation avec apparition d’une ou plusieurs défaillances d’organe, la démarche diagnostique doit néanmoins dans certains cas être menée par l’équipe de réanimation (Tableau 2). C’est le cas des patients adressés directement en service de soins intensifs ou encore des patients pour lesquels un diagnostic a été posé mais dont l’état stagne ou s’aggrave malgré une thérapeutique bien conduite, posant le problème d’une co-infection, fréquemment observée au retour des tropiques. 2.1. Anamnèse Bien que difficile en soins intensifs chez des patients dont l’état de conscience ne permet pas toujours la réalisation d’un interrogatoire, l’anamnèse est capitale dans la démarche diagnostique des fièvres au retour des tropiques. On précisera : Tableau 3 Délai d’incubation des principaux agents responsables des fièvres au retour des tropiques Paludisme Inférieur à 7 jours 7 à 14 jours Supérieur à 14 jours a Plasmodium falciparum : sept jours à deux mois ; Plasmodium vivax, ovale, malariae : sept jours à plusieurs mois (voire années) ; Bactéries : méningite à méningocoque ; shigellose Virus : majorité des arboviroses (dengue, fièvre jaune, fièvre hémorragique de Crimée-Congo, encéphalite japonaise, fièvre de West Nile…) ; fièvres hémorragiques virales (Lassa, Marburg, Ébola) Parasites : shistomosomoses (phase d'invasion) Majorité des fièvres cosmopolites Bactéries : fièvre typhoïde ; leptospirose et borrélioses récurrentes ; rickettsioses Virus : fièvres hémorragiques virales (Lassa, Marburg, Ébola) Parasites : paludisme ; bilharziose (phase d'invasion) Bactéries : tuberculose ; brucellose Virus : primo-infection à VIH ; hépatites virales Parasites : paludisme ; schistosomiase (phase d'état), bilharziose (phase d'état)a, distomatosea, filariosea ; trypanosomiasesa, leishmaniose viscéralea ; amibiase hépatiquea ; kyste hydatique surinfectéa Jusqu’à plusieurs mois, voire années. S. Rebaudet, P. Brouqui / Réanimation 15 (2006) 221–233 2.2. Contexte épidémique des pays visités La connaissance des pays visités est en soit un indice précieux dans la démarche diagnostique. On sait par exemple que bien que la majorité des fièvres au retour des tropiques soit imputable au paludisme, cela n’est en réalité le cas qu’au retour d’Afrique subsaharienne ou d’Amérique Centrale. Pour les autres régions tropicales, et notamment les Caraïbes, la dengue est l’étiologie principale. De manière similaire, au retour du sous-continent indien, les fièvres typhoïdes ou paratyphoïdes sont aussi fréquentes que le paludisme et la dengue [2]. De plus, la connaissance des diverses épidémies en cours dans les pays visités, en plus d’aider au diagnostic, permet le cas échéant la mise en place de mesures d’isolement pour la protection du personnel et des autres patients. On retiendra par exemple les épidémies de méningite à méningocoque W135 à la Mecque en 2000, de SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère) en 2003–2004 en Chine et au Vietnam notamment, de grippe aviaire en 2005, de choléra au Sénégal en 2005, ou de Chikungunya aux Comores ou à la Réunion en 2005–2006… Plusieurs sources d’information sont actuellement disponibles sur Internet (Tableau 4). 2.3. Analyse de la courbe thermique L’analyse de la courbe thermique a en soit une bonne valeur d’orientation. Une fièvre élevée d’installation rapide orientera notamment vers un paludisme, une amibiase hépatique, une dengue ou d’autres arboviroses. Une fièvre en plateau est évocatrice de typhoïde. Une fièvre prolongée, désarticulée est décrite dans les leishmanioses viscérales. Une fièvre récurrente (succession de périodes fébriles et d’apyrexies de plusieurs jours) est caractéristique des borrélioses récurrentes. 2.4. Signes associés La recherche des symptômes et signes cliniques associés est aussi une aide importante au diagnostic (Tableau 5). Par exemple, la palpation d’une hépatomégalie dans ce contexte est associée à un risque relatif de paludisme de 4, et la palpation d’une splénomégalie d’un risque relatif de paludisme de 8 [3]. Tableau 4 Liste des sites Internet de surveillance épidémiologique et de conseil au voyageur http://www.mit.ap-hm.fr http://www.promedmail.org http://www.who.int/csr/don http://www.who.int/ith http://www.cdc.gov/travel http://www.pasteur.fr http://www.safetravel.ch http://www.edisan.timone.univ-mrs.fr/edisan/Guide.html http://www.invs.sante.fr Liens détaillant les critères diagnostiques et la conduite à tenir en cas de suspicion de SRAS et de grippe aviaire http://www.ap-hm.fr/nrbc/ http://www.sante.gouv.fr (rubrique SRAS) http://www.invs.sante.fr/surveillance/grippe_aviaire 223 Du fait de la possibilité de co-infections, toutes les étiologies à évoquer devant tel ou tel tableau clinique sont listées dans le Tableau 5, y compris celles ne pouvant en elles-mêmes motiver une admission en réanimation. 2.5. Examens à réaliser en urgence En dehors des examens nécessaires à la prise en charge des défaillances d’organes motivant le transfert du patient en réanimation, un certain nombre d’examens de base à la recherche de signes non spécifiques sont nécessaires à la démarche diagnostique : NFS-plaquettes, VS-CRP, bilan hépatique (ASAT, ALAT, PAL, γGT, bilirubine), créatininémie, cholestérol [4] et triglycéride [5], radiographie du thorax et éventuellement échographie abdominale. Les orientations diagnostiques en découlant sont résumées dans le Tableau 6. Le diagnostic spécifique, lui, repose sur la réalisation systématique de trois hémocultures, si possible espacées d’une demi-heure chacune, de frottis sanguins et de gouttes épaisses répétés (voire d’un QBC-test ou quantitative buffy-coat au microscope à fluorescence, ou de tests antigéniques palustres). En fonction des signes d’appels, on réalisera examen cytobactériologique des urines, ponction lombaire (avec examens bactériologiques, parasitologiques, mycologiques, virologiques), coproculture, examen cytobactériologique des selles, ponction de moelle osseuse (recherche de leishmanies, culture bactérienne, examen virologique…), et divers examens sérologiques et moléculaires. En pratique devant une fièvre au retour, en raison de la fréquence importante des co-infections, du manque de spécificité des signes d’appel dans bon nombre d’étiologies potentielles et a fortiori devant un tableau sévère, il paraît sage de « ratisser large ». Le Tableau 7 synthétise une sorte de « kit tropiques » que l’on pourra réaliser dans ce contexte. 3. Prise en charge thérapeutique initiale 3.1. Mesures d’isolement éventuelles Les dernières décennies ont vu un certain nombre d’épidémies « tropicales » fleurir ça et là dans le monde, dont certaines à très haut degré de létalité et/ou à degré de contagiosité élevé ou encore inconnu, comme par exemple les fièvres hémorragiques africaines ou le SRAS. La mondialisation des échanges avec le développement du tourisme de masse vers les zones tropicales à risque et l’accélération des moyens de transports permettant de passer en quelques heures des forêts équatoriales aux rues parisiennes, rendent le risque d’être confronté à un patient potentiellement atteint de plus en plus important. Cela implique donc de savoir reconnaître ces patients à risque et de mettre en place en urgence les mesures d’isolement adéquates (Tableau 8). 3.2. Traitement symptomatique Nous ne développerons pas ici les modalités générales du traitement symptomatique mis en place, qu’il soit avant ou après l’admission en réanimation. 224 S. Rebaudet, P. Brouqui / Réanimation 15 (2006) 221–233 Tableau 5 Orientation diagnostique devant des signes cliniques associés à une fièvre au retour des tropiques Syndrome hémorragique Altération de l'état général Syndrome pseudogrippal Céphalées et signes neuropsychiatriques Diarrhée Douleur de l'hypochondre droit Ictère Hépatomégalie Splénomégalie Adénopathies Signes pulmonaires Prurit, urticaire Exanthème « tache noire » Bactéries : leptospirose ictérohémorragique ; méningococcémie ; fièvre typhoïde Virus : dengue et fièvres hémorragiques virales ; hépatites virales fulminantes Parasites : paludisme Parasites : leishmaniose viscérale ; paludisme viscéral évolutif ; amibiase tissulaire Virus : VIH Parasites : paludisme Virus : dengue et autres arboviroses ; hépatites virales ; VIH Parasites : paludisme ; trypanosomiase africaine ; Angiostrongylus cantonensis ; coccidioïdomycose Bactéries : Fièvre typhoïde ; méningite aiguë ; leptospirose ; tuberculose ; rickettsioses Virus : VIH ; encéphalite herpétique ; dengue et autres arboviroses (encéphalite japonaise, West-Nile, fièvre de la vallée du Rift) ; fièvres hémorragiques virales africaines ; poliomyélite ; rage Parasites : paludisme ; amibiase intestinale compliquée Bactéries : fièvre typhoïde ; shigellose ; borrélioses Virus : hépatites virales ; rotavirus Parasites : amibiase hépatique ; distomatose Virus : hépatites virales Parasites : paludisme Bactéries : leptospirose Virus : fièvre jaune ; hépatites virales Parasites : amibiase hépatique ; kyste hydatique infecté ; paludisme ; leishmaniose viscérale ; bilharziose ; trypanosomiase Bactéries : tuberculose ; brucellose ; borrélioses Parasites : paludisme ; leishmaniose viscérale ; trypanosomiase Bactéries : fièvre typhoïde ; borrélioses ; brucellose ; rickettsiose ; endocardite Virus : VIH ; EBV ; CMV ; dengue Parasites : leishmaniose viscérale ; trypanosomiase africaine ; filariose lymphatique Bactéries : tuberculose ; peste bubonique Bactéries : infections bronchopulmonaires cosmopolites ; fièvre Q ; peste pulmonaire Virus : hantavirus Parasites : abcès amibien du poumon ; kyste hydatique pulmonaire Mycoses : histoplasmose Parasites : fièvres d'invasion larvaire (bilharziose, distomatose, ascaridiose) Virus : VIH Virus : arboviroses ; VIH Bactéries : rickettsioses ; leptospirose ; maladie de Lyme ; syphilis Parasites : trypanosomiase africaine (trypanides) ; trichinose Bactéries : rickettsioses à tiques Tableau 6 Orientation diagnostique devant des signes biologiques associés à une fièvre au retour des tropiques Anémie Thrombopénie Leuconeutropénie Pancytopénie Hyperleucocytose neutrophile Hyperéosinophilie Syndrome mononucléosique Cytolyse hépatique Insuffisance rénale aiguë Syndrome inflammatoire (CRP, VS) Hypocholestérolémie Hypertriglycéridémie Parasites : paludisme ; leishmaniose viscérale ; trypanosomiase Bactéries : leptospirose Virus : fièvres hémorragiques virales africaines Parasites : paludisme ; leishmaniose viscérale Virus : arboviroses ; fièvres hémorragiques virales Bactéries : leptospirose ; rickettsioses Parasites : paludisme ; leishmaniose viscérale Bactérie : fièvre typhoïde ; rickettsioses ; brucellose Virus : arboviroses ; VIH Parasites : leishmaniose viscérale ; paludisme viscéral évolutif Parasites : amibiase hépatique ; trypanosomiase africaine Bactéries : infections à pyogènes ; leptospirose Parasites : filariose ; bilharziose ou ascaridiose en phase d'invasion ; distomatose ; larva migrans viscérale Virus : primo-infection par le VIH ; hépatites virales (A, B, E) ; mononucléose infectieuse ; CMV ; arboviroses Parasites : trypanosomiase ; toxoplasmose Virus : hépatites virales (surtout A) ; EBV ; CMV ; VIH ; fièvre jaune ; dengue et autres arboviroses ; fièvres virales hémorragiques africaines Bactéries : leptospirose ; fièvre typhoïde ; borrélioses ; rickettsioses Bactéries : choc septique ; leptospirose ; rickettsioses Virus : fièvre jaune ; fièvres hémorragiques virales avec syndrome rénal Parasites : amibiase hépatique ; paludisme ; leishmaniose viscérale ; trypanosomiase ; kyste hydatique surinfecté Bactéries : toutes… Parasites : paludisme Parasites : paludisme grave S. Rebaudet, P. Brouqui / Réanimation 15 (2006) 221–233 225 Tableau 7 Examens du diagnostic spécifique devant une fièvre au retour des tropiques Étiologies Parasites, champignons Paludisme grave Histoplasmose sévère Anguillulose maligne Amibiase intestinale compliquée Virus Dengue hémorragique Fièvre jaune et de Crimée-Congo Lassa Hantaan Hépatites virales fulminantes Bactéries Fièvres typhoïdes et paratyphoïdes Leptospirose Rickettsioses Examens Frottis−goutte épaisse ; QBC-test® (quantitative buffy coat) ; tests antigéniques (type ICT-malaria®) Antigène urinaire ; examen direct, culture ; sérologie ; IDR à l'histoplasmine Examen parasitologique des selles répété ; biopsies Examen parasitologique des selles répété Sérologie ; culture virale à partir du sang ; RT-PCR Culture cellulaire à partir du sang ; sérologie Culture cellulaire à partir du sang, LCR ou biopsies ; RT-PCR ; sérologie Sérologie ; PCR ; culture virale Sérologies hépatite A (IgM et G), E (IgM et G), B (Ag HBs, Ac anti-HBs et anti-HBc) Hémocultures ; myéloculture ; coprocultures ; (Sérologie) Examen sanguin et urinaire au microscope à fond noir ; Culture ; Sérologie ; PCR ; tests sérologiques rapides non disponibles en France Sérologies ; culture, PCR sur sang et biopsies Tableau 8 Mesures d’isolement Type d'isolement Respiratoire Contact Isolement en zone confinée Description Masque canard de type FFP1 pour les soignants Masque de type chirurgical pour le patient Aération pluri-quotidienne de la chambre ou du box Gants Poubelle individuelle Centres spécialisés seulement Maladies suspectées ou avérées concernées Pneumopathie avant élimination d'une tuberculose Tuberculose pulmonaire Méningite à méningocoque Toute diarrhée fébrile Choléra Hépatites A et E Typhoïde, paratyphoïdes Grippe aviaire, SRAS Fièvres virales hémorragiques africaines (Lassa, Marburg, Ébola), Guanarito Peste pulmonaire, charbon pulmonaire Diphtérie laryngée Variole ● parasites : paludisme ; amibiase intestinale compliquée ; trypanosomiase africaine ; leishmaniose viscérale ; ● bactéries : fièvres récurrentes à Borrelia ; méningites bactériennes ; leptospirose ; tuberculose pulmonaire ; légionellose ; ● infections chez le sujet sida ou immunodéprimé : pneumocystose pulmonaire ; ● suspicion clinique et épidémiologique de paludisme grave : faire un traitement d’épreuve même en absence de frottis initial positif [6] ; ● choc septique : antibiothérapie large spectre orientée par une porte d’entrée éventuelle ; ● méningoencéphalite : couvrir HSV (acyclovir IV), Mycobacterium tuberculosis (quadrithérapie antituberculeuse) et Listeria (amoxicilline) en systématique ; ● diarrhée fébrile grave : antibiothérapie de type ciprofloxacine ou cotrimoxazole ; ● pneumopathie hypoxémiante chez le sujet sida : couverture systématique de Pneumocystis jirovecii (anciennement Pneumocistis caninii f. sp. hominis) ; ● syndrome hémorragique fébrile : traitement probabiliste systématique d’une méningococcémie (céphalosporine de troisième génération) ; et en fonction des arguments épidémiologiques, traitement d’un paludisme, d’une leptospirose (Pénicilline G, ou C3G), d’une fièvre hémorragique de Crimée-Congo (Ribavirine®). Le second groupe concerne les patients devant recevoir un traitement anti-infectieux rapide en absence de confirmation diagnostique et comprend les cas de figure suivants : Ces traitements seront bien entendus à réévaluer en fonction des résultats des prélèvements spécifiques et de l’évolution du patient. 3.3. Traitement spécifique en urgence Il existe théoriquement deux cas de figure d’introduction précoce d’un traitement anti-infectieux : les patients présentant une pathologie infectieuse pour laquelle on dispose de modalités diagnostiques au résultat « instantané » ou presque, et ceux atteints de pathologies dont la confirmation diagnostique demeure trop tardive mais dont la gravité potentielle implique un traitement probabiliste rapide. Le premier groupe concerne les : 226 S. Rebaudet, P. Brouqui / Réanimation 15 (2006) 221–233 Les paragraphes suivants détaillent quelques étiologies fréquentes susceptibles d’être rencontrées dans ce contexte de fièvre au retour des tropiques, et exposent quelques problèmes posés par d’autres qui le sont moins. auteurs retrouvent comme significativement prédictifs d’une évolution fatale : le choc, l’œdème pulmonaire, l’acidose, le coma et les troubles de la coagulation [9]. 4.2. Stratégie diagnostique 4. Paludisme grave Une centaine de cas sont recensés par an en France. Le nombre de décès annuels reste de l’ordre de 20 cas [1]. Toute fièvre au retour des tropiques doit être a priori considérée comme un paludisme, et toute fièvre « grave » comme un paludisme sévère à Plasmodium falciparum jusqu’à preuve du contraire même plusieurs mois après le retour. 4.1. Critères de Gravité Ils doivent être systématiquement recherchés. Les formes graves de paludisme sont l’apanage de Plasmodium falciparum, même s’il a été décrit des cas de décès lors d’accès à Plasmodium vivax ou ovale. Cette évolution vers une forme grave peut survenir de manière très rapide au cours de l’accès et ses facteurs de risque sont l’âge supérieur à 65 ans, le sexe féminin et principalement la grossesse, l’absence d’immunité préalable, l’existence de comorbidités, l’absence de chimioprophylaxie, le retard thérapeutique et la gravité des symptômes à l’admission [7]. Le tableau est alors celui d’une fièvre associée à des signes neurologiques et des signes de défaillance multiviscérale. En 1990, l’OMS a mis en place des critères diagnostiques d’accès sévère, révisés en 2000 [6], présentés dans le Tableau 9. D’après une série récente, les signes présents à l’admission d’un sujet non immun les plus prédictifs d’évolution vers un accès grave semblent être l’ictère, une parasitémie supérieure ou égale à plus de 4 % et la prostration [8]. Sur le plan biologique, l’hypertriglycéridémie est de manière intéressante un autre marqueur de gravité [5]. Dans une autre série française d’accès pernicieux hospitalisés en réanimation, les Le diagnostic de paludisme est confirmé rapidement par mise en évidence de parasites sur le frottis sanguin. Le frottis permet la mesure de la parasitémie, le diagnostic d’espèce et la recherche de formes matures (schizontes et gamétocytes) dont la présence est souvent corrélée avec une évolution sévère [6]. La goutte épaisse est réalisée en deuxième intention par les biologistes mais sa sensibilité est 20 à 40 fois plus grande. La microscopie à fluorescence (quantitative buffy-coat ou QBCTest®) permet encore d’accroître la sensibilité de la détection des parasites. La détection d’antigènes PfHRP2 au moyen de tests diagnostiques rapides (ParaSight® ou ICT Malaria Pf®), d’excellente valeur prédictive négative ou la réalisation de PCR peut également aider au diagnostic, avec des sensibilités parfois supérieures à celle de la goutte épaisse selon les méthodes utilisées et l’entraînement du biologiste [6]. La négativité de la goutte épaisse n’élimine pas un paludisme, particulièrement en cas d’accès grave. Les examens doivent donc être répétés et le traitement antiparasitaire d’épreuve non différé en cas de forte suspicion [6]. À l’inverse, la présence d’une parasitémie ne prouve pas que le paludisme soit la principale voire unique cause aux symptômes du patient, principalement en zone d’endémie ou une parasitémie asymptomatique est fréquente. En conséquence, même s’il ne faut pas remettre en question l’indication d’un traitement antipaludique chez un patient sévère, on n’oubliera jamais d’envisager les diagnostics différentiels éventuels, notamment les infections bactériennes [6]. On réalisera à ce titre une ponction lombaire systématique devant les signes neurologiques. Tableau 9 Critères de gravité 2000 de paludisme selon l’OMS [6] Critère Neuropaludisme Convulsions répétéesa Troubles de consciencea Prostrationa SDRA ou œdème lésionnel Ictère cliniquea Hyperbilirubinémiea Hémoglobinurie macroscopique Anémie sévèrea Hyperparasitémiea Hypoglycémie Hémorragie anormale et/ou CIVDa Collapsus circulatoire Insuffisance rénale Acidose métaboliquea Hyperthermie > 40 °Ca Description Score de Glasgow ≤ 9, ou score de Blantyre ≤ 2 (ou ≥ 3 avec impossibilité de localiser la douleur) ≥ 3 convulsions/24 heures Score de Glasgow < 15 et > 9, ou score de Blantyre < 5 et > 2 (ou ≤ 3 avec impossibilité de localiser la douleur) Selon les critères habituels de SDRA Bilirubine totale > 43 μmol/l (> 2,5 mg/dl) Hématocrite < 15 % ou hémoglobine < 5 g/dl ≥ 4 % chez le sujet non immun, ou ≥ 20 % chez le sujet immun < 2,2 mmol/l TAS < 50 mmHg avant cinq ans, ou TAS < 80 mmHg après cinq ans, avec signes d'hypoperfusion périphérique Diurèse < 400 ml/24 heures (ou < 12 ml/kg par 24 heures chez l'enfant), ou créatininémie > 265 μmol/l (> 3 mg/dl) pH < 7,25 ou bicarbonates plasmatiques < 15 mmol/l Ne définit pas à elle seule un paludisme sévère Discuter l’admission en réanimation devant la présence d’au moins un signe. SDRA : syndrome de détresse respiratoire aigu ; CIVD : coagulation intravasculaire disséminée. a critères modifiés ou ajoutés en 2000. S. Rebaudet, P. Brouqui / Réanimation 15 (2006) 221–233 La détection au frottis sanguin de P. vivax, malariae ou ovale n’élimine pas un accès sévère à P. falciparum. Les coinfections sont en effet, fréquentes et souvent mal diagnostiquées [6]. La sérologie n’a pas de place dans le diagnostic de la crise [6]. 4.3. Traitement 4.3.1. Traitement spécifique La quinine intraveineuse, sous sa forme dihydrochloride, reste le traitement de référence. Plusieurs alternatives sont possibles dont les modalités sont détaillées dans le Tableau 10. La dose doit être calculée en milligramme de sel de quinine, et non en milligramme de quinine-base, la confusion pouvant être source de complications. Il ne semble pas exister de recommandations claires quant à l’intérêt du monitorage des taux sanguins de quinine. La corrélation entre taux thérapeutique et efficacité clinique dans les accès sévères n’est en effet, pas établie. On estime néanmoins qu’une concentration plasmatique totale entre 8 et 20 mg/l ou encore mieux de concentration de quinine libre entre 0,8 et 2 mg/l est efficace et sûre [6]. Un relais per os doit être entrepris dès que possible pour une durée totale de traitement de sept jours. Les effets secondaires de la quinine, regroupés sous le terme de cinchonisme, sont fréquents et ne doivent en aucun cas conduire à une réduction de posologie ou de durée de traitement [6]. L’arthéméter (Paluther®) est un dérivé de l’artémisine, un extrait de plante. Elle n’est disponible en France pour l’instant qu’en milieu hospitalier et en ATU nominative. Cette molécule permet une négativation de la parasitémie plus rapide que la quinine. Il n’existe cependant pas de différence significative de morbimortalité entre les deux molécules, hormis sur le sous-groupe des patients adultes asiatiques chez lesquels l’arthéméter apporte un gain de survie, probablement du fait de la prévalence plus importante de la résistance à la quinine en Asie [7]. Cette molécule est donc une alternative à la quinine en cas 227 de contre-indication à la quinine (allergie, surdosage) ou de résistance probable à la quinine (pays de contamination dans le sud-est asiatique, échec d’un traitement bien conduit par quinine). L’apparition récente et croissante de résistances à la quinine notamment, rend la nécessité de traitements antipaludiques combinés de plus en plus prégnante [10]. Plusieurs schémas sont proposés, notamment pour les patients rentrant d’Asie : quinine + tétracycline, ou quinine + clindamycine [11,12] ; arthémeter + méfloquine par exemple [7]. Ces schémas thérapeutiques ne sont pas encore validés dans le traitement des accès sévères mais ils pendront sans nul doute un essor important dans les années à venir. 4.3.2. Suivi thérapeutique La persistance de la fièvre est tolérée jusqu’au deuxième jour inclus. L’efficacité du traitement doit être surveillée au moins quotidiennement par frottis sanguin [6]. L’augmentation de la parasitémie pendant les 24 premières heures est habituelle. Seule la stagnation ou l’augmentation au-delà de 36– 48 heures est un signe d’échec thérapeutique [7] et suggère une résistance au traitement, particulièrement en cas de retour d’Asie. Les surinfections bactériennes sont fréquentes et la similitude des symptômes avec ceux du paludisme rend leur reconnaissance difficile. La répétition de prélèvements appropriés à visée bactériologique (sang, crachats, urines, liquide céphalorachidien) permet la mise en place rapide d’antibiotiques efficaces en cas de dégradation [6,7]. 4.3.3. Thérapeutiques associées L’hypoglycémie, fréquente au cours du paludisme grave, est aggravée par la quinine et doit impérativement être surveillée et prévenue [6]. L’hyperparasitémie chez le sujet non immun est associée à une évolution péjorative. Les échanges transfusionnels ont été Tableau 10 Paludisme sévère. Modalités du traitement antipaludique Molécule Quinine (sel de dihydrochloride de quinine) Dose de charge 20 mg sel/kg i.v. en quatre heures dans un soluté isotonique, puis dose d'entretien à partir de la 8e heure Dose d'entretien 10 mg sel/kg i.v. en quatre heures toutes les huit heures. Relais per os à j3 si déglutition possible Durée totale sept jours Arthémether (Paluther®) 3,2 mg/kg i.m. Chloroquine (base) 10 mg base/kg i.v. sur huit heures dans un soluté isotonique, puis Même dose Quinine Plus Doxycycline Quinine Plus Clindamycine Pas de dose de charge Même dose Pas de dose de charge i.v. : intraveineux ; i.m. : intramusculaire ; po : voie orale. 1,6 mg/kg i.m. par jour Relais per os à partir du 4e jour Durée totale sept jours 15 mg base/kg i.v. sur 24 heures Même dose 1,5 mg/kg (100 mg) po ou i.v. toutes les 12 heures pendant sept jours Même dose 5 mg/kg po ou i.v. toutes les huit heures Commentaires Protocole de référence Pas de dose de charge si traitement préalable Surveiller la glycémie Réduire les doses à partir de la 48e heure ATU nominative En cas de contre-indication ou de résistance à la quinine Réservé aux zones de chloroquinosensibilité certaine En cas de retour d'une zone de quininorésistance (Asie) 228 S. Rebaudet, P. Brouqui / Réanimation 15 (2006) 221–233 suggérés comme un complément thérapeutique utile aux antiparasitaires. L’intérêt serait de réduire la charge parasitaire, de réduire également la concentration des antigènes, cytokines et substances pro-inflammatoires et de corriger l’anémie avec des érythrocytes sains. L’OMS recommande dans certaines indications, de procéder à des échanges transfusionnels [6]. Les indications préconisées par l’OMS chez le sujet non immun sont les suivantes : ● parasitémie supérieure à 30 % ; ● parasitémie supérieure à 10 % associée à des signes de gravité ; ● parasitémie supérieure à 10 % ne répondant pas après 24 heures de traitement optimal ; ● parasitémie supérieure à 10 % associée à des facteurs de mauvais pronostic (âge élevé, schizontes sur les frottis sanguins) [6]. Il n’existe cependant aucune étude de qualité sur le sujet, les groupes traités et non traités n’étant jamais comparables en termes de gravité. Une méta-analyse récente ne retrouve pas de bénéfice significatif aux échanges transfusionnels [13]. D’autres traitements ont été proposés dans la prise en charge des accès palustres sévères : corticoïdes, anti-TNFα, antiinflammatoires, cyclosporine A, chélateur du fer (desferoxamine) ; antiœdémateux cérébraux [6]. Aucun d’entre eux ne peut être recommandé. 5. Dengue hémorragique La dengue est une maladie virale causée par un flavivirus (de la famille des Flaviviridae), dont il existe quatre sérotypes (DEN-1−DEN-4) transmis par la piqûre des moustiques Aedes aegypti qui sévissent la journée dans les zones tropicales d’Asie, d’Océanie, d’Amérique Centrale et du Sud, des Antilles et d’Afrique [14]. La dengue est en pleine recrudescence et représente actuellement environ 10 % des fièvres au retour des tropiques. Cette fréquence ne cesse d’augmenter, et mis à part en Afrique subsaharienne et en Amérique Centrale, on considère actuellement que pour le voyageur la probabilité de contracter la dengue est plus importante que le paludisme, principalement en Asie du Sud-Est [2]. L’incubation de la dengue est habituellement de quatre à sept jours (plus rarement de 3 à 14 jours). Cette infection est fréquemment bénigne, occasionnant un tableau de fièvre algique inconstamment éruptive associée à une polyadénopathie et régressant en une semaine (Tableau 11). À la fin de l’épisode, la maladie peut néanmoins évoluer vers une forme grave. Tout épisode doit être surveillé jusqu’au moins 24 heures après la défervescence du fait du risque d’évolution vers une forme hémorragique. Les signes d’alarme doivent être connus : douleur abdominale importante, vomissements incoercibles, modification du degré de conscience, passage soudain de fièvre à hypothermie ou thrombopénie soudaine (Tableau 11). Cette forme peut se compliquer également d’un choc (dengue shock syndrome), d’une encéphalite, d’une insuffisance hépatocellulaire, d’une myocardite, ou encore d’une CIVD. La dengue hémorragique survient principalement chez des sujets ayant déjà présenté une dengue due à un virus d’un autre sérotype. Les voyageurs sont donc rarement touchés. La mortalité est élevée, 10 à 20 %, et jusqu’à 40 % en cas de choc [14–16]. Le diagnostic de la dengue est le plus souvent fait de manière rétrospective par sérologie (Tableau 11). La sérologie pose des problèmes de réactions croisées avec les autres flavivirus et constitue donc un diagnostic d’élimination aux nombreux diagnostics différentiels. Les méthodes d’isolement du virus par culture, ou de détection par immunohistochimie notamment, restent peu sensibles (< 50 %) et peu disponibles. La biologie moléculaire (RT-PCR, reverse-transcriptase polymerase chain reaction) est de bonne sensibilité (> 90 %) mais uniquement au cours des premiers jours de la maladie et demeure également peu disponible. Devant un syndrome hémorragique fébrile, on pensera notamment, au purpura fulminans méningococcique, au paludisme, à la leptospirose, à la typhoïde, aux fièvres hémorragiques virales africaines (Tableau 5) [14–16]. Il n’existe pas de traitement spécifique de la dengue. Tableau 11 Diagnostic de la dengue Dengue Fièvre aiguë avec au moins deux des signes suivants : céphalées, douleurs rétroorbitaires, myalgies, arthralgies, rash maculopapuleux, signes hémorragiques, leucopénie Dengue hémorragique (critères de l'OMS) Fièvre aiguë de deux à sept jours +syndrome hémorragique (signe du tourniqueta positif, voire purpura, hémorragies des muqueuses, du tractus digestif, des points de ponctions…) +thrombopénie < 100 × 109/L +signes de fuite plasmatique (augmentation de l'hématocrite > 20 %, signes hémodynamiques, épanchements des séreuses) Dengue shock syndrome Dengue hémorragique + un des deux critères suivants : +hypotension < 90 mmHg ou +pression artérielle différentielle < 20 mmHg Diagnostic probable Sérologie positive en IgM ou titre ≥ 1280 des IgG en Élisa ou contexte épidémique avec survenue en même temps et au même endroit de cas confirmés Diagnostic certain Isolement du virus par culture à partir du sérum ou de prélèvements d'autopsie ou séroconversion avec augmentation des titres d'IgG et IgM d'un facteur ≥ 4 ou détection de virus dans le sérum, des tissus ou du LCR par immunohistochimie, Élisa ou immunofluorescence ou détection de séquences génomiques du virus par RT-PCR Élisa : enzyme-linked immunosorbent assay ; RT-PCR : reverse-transcriptase polymerase chain reaction. a Test du tourniquet : brassard à tension gonflé au niveau de PAM pendant cinq minutes. Positif si apparition de pétéchies sur l’avant-bras. S. Rebaudet, P. Brouqui / Réanimation 15 (2006) 221–233 6. Autres fièvres hémorragiques virales 6.1. Arboviroses hémorragiques : fièvre jaune, fièvre hémorragique de Crimée-Congo, fièvre de la vallée du Rift Les arbovirus forment un groupe hétérogène de virus animaux habituellement transmis par piqûre d’arthropodes hématophages (moustiques, phlébotomes, tiques…), d’où leur nom (arthropode-borne virus). Ils peuvent être responsables de syndromes variés. Leur diagnostic repose sur la sérologie, l’isolement du virus sur culture cellulaire. Il n’existe pas de traitement spécifique, à l’exception de la fièvre de Crimée-Congo, sensible à la Ribavirine. Outre la dengue, détaillée plus haut, plusieurs d’entre eux peuvent être responsables de fièvre au retour de tropiques, avec notamment des tableaux sévères et à létalité élevée pouvant motiver une admission en réanimation, et que l’on peut classer en deux grands syndromes : arbovirose de forme hémorragique comprenant fièvre jaune, fièvre de Crimée-Congo, fièvre de la vallée du Rift ; et arboviroses de forme encéphalitique comprenant l’encéphalite japonaise essentiellement, détaillée plus loin. La fièvre jaune [17,18] est causée par le virus amaril de la famille des Flaviviridae, transmis par piqûre du moustique Aedes aegypti. Elle sévit encore en Afrique tropicale et en Amérique du Sud, sur un mode épidémique, malgré un vaccin efficace et bon marché, avec environ 200 000 cas par an selon l’OMS. L’atteinte de voyageurs occidentaux est exceptionnelle mais deux décès ont déjà été rapportés. L’incubation est inférieure à six jours et le tableau clinique est biphasique avec une phase « rouge » associant un syndrome pseudogrippal sévère et une bradycardie, suivie au quatrième jour dans 15 % des cas, d’une phase « jaune » ictérohémorragique associant une hépatite, une défaillance rénale, un syndrome hémorragique, une encéphalopathie et un choc, dont la létalité est de 25 à 50 %. Il n’existe pas de traitement antiviral efficace connu. Les sujets contacts non immunisés doivent rapidement être vaccinés. La fièvre hémorragique de Crimée-Congo [17,18] est due à un virus de la famille des Bunyaviridae transmis par morsure de tique ou contact direct avec des animaux infectés. Il sévit dans certaines régions d’Europe de l’Est et en Afrique. En zone d’endémie, une grande proportion de la population est immunisée, suggérant une présentation fréquemment asymptomatique de la maladie et une prévalence importante… Plusieurs cas chez le voyageur ont été décrits, et il n’existe pas de vaccin disponible. L’incubation est inférieure à six jours et une fois déclarée, le tableau est proche de celui de la fièvre jaune, avec une létalité de 30 % environ. Il s’agit d’une des seules arboviroses hémorragiques accessibles à un traitement antiviral, la ribavirine : 30 mg/kg de dose de charge, puis 15 mg/kg toutes les six heures pendant quatre jours, puis 7,5 mg/kg toutes les six heures pendant six jours [19]. La fièvre de la vallée du Rift [17,18] est due à un Phlebovirus, de la famille des Bunyaviridae, transmis par piqûre de moustique. La maladie sévit en Afrique de l’Est et sur la Péninsule Arabique où elle a été au cours des dix dernières années responsable de prés de 100 000 cas. Le risque chez le 229 voyageur est considéré peu élevé mais des cas ont là aussi été rapportés. L’incubation est inférieure à six jours. La maladie, lorsqu’elle se déclare, débute par un syndrome grippal brutal avec douleurs rétrooculaires. Dans 5 % des cas, des complications apparaissent avec rétinite, encéphalite, syndrome hémorragique. Le décès survient dans moins d’un pour cent des cas et des séquelles sont fréquentes. 6.2. Fièvres hémorragiques virales africaines : Lassa, Marburg, Ébola Ce groupe comprend trois maladies causées par des virus de familles différentes, de fréquences différentes, mais présentant néanmoins plusieurs points communs : une létalité élevée, un mode de contamination interhumain possible avec risque important de contamination nosocomiale impliquant un isolement draconien dès la suspicion clinique (Tableau 8). Le virus Lassa [17,18] appartient à la famille des Arenaviridae. Son aire de répartition est l’Afrique de l’Ouest où il pourrait être responsable de 100 000 cas par an. Des cas sporadiques ont été importés en Europe. Sa transmission se fait soit par inhalation d’excréta de rat, soit par contamination interhumaine directe par voie aérienne, avec risque nosocomial important. Dix à 25 % des infections sont symptomatiques avec alors une mortalité de 5 %. Après une incubation d’une à trois semaines, débute un syndrome grippal progressif et non brutal qui peut évoluer vers la forme grave associant œdème de la face, conjonctivite, pharyngite, pleurésie, péricardite, syndrome hémorragique, choc, encéphalopathie, avec une mortalité de 15 %. Le diagnostic repose sur l’isolement du virus en deux jours par culture cellulaire à partir du sang, du LCR ou de tissus, la RT-PCR sur le sang ou encore la sérologie. La ribavirine réduit la mortalité de manière significative à condition d’être administrée précocement. Ébola et Marburg [17,18] sont des Filovirus transmis à l’homme lors de contacts avec des primates et évoluant ensuite sur un mode épidémique avec contamination interhumaine et donc à risque nosocomial, en Afrique Centrale et en Afrique de l’Est et Australe. Ces maladies émergentes ont été responsables de moins de 1500 cas. Des cas chez le voyageur ont été décrits. La mortalité est catastrophique, de l’ordre de 50 à 90 %. Il n’existe pas de traitement spécifique efficace reconnu à ce jour. 6.3. Fièvre virale hémorragique avec syndrome pulmonaire ou syndrome pulmonaire à Hantavirus Ce syndrome, en anglais « Hantavirus pulmonary syndrome » (HPS), correspond à un groupe de viroses émergentes sur l’ensemble du contient américain, dues à des virus de la famille des Bunyaviridae, les Hantavirus. La plus connue est l’HPS à Sine nombre virus, décrite aux États-Unis en 1993. De nombreux autres virus ont été par la suite décrits en Amérique latine. Des cas survenant chez le voyageur au retour de zone rurale ont été rapportés. Le tableau est celui d’une fièvre aiguë survenant deux semaines après contact direct avec des rongeurs 230 S. Rebaudet, P. Brouqui / Réanimation 15 (2006) 221–233 ou inhalation de leurs selles, associée à une thrombopénie, évoluant rapidement vers un œdème interstitiel pulmonaire. Trente à 40 % des patients décèdent, en général dans un contexte de CIVD avec syndrome hémorragique. Le diagnostic repose sur la sérologie IgM et IgG. La reverse-transcriptase PCR est également possible [20]. 6.4. Fièvres hémorragiques avec syndrome rénal Au sein de ce syndrome sont regroupées un grand nombre de viroses tropicales réparties en deux familles : divers Hantavirus (famille des Bunyaviridae) dont Hantaan ; et divers Arenaviridae (dont Machupo, Junin, Guanarito). Hantaan [18] est une virose émergente responsable de plus de 100 000 cas annuels en Asie et transmise par contact avec des rongeurs ou inhalation de leurs excréta. Le tableau est celui d’une fièvre aiguë associée à une thrombopénie, évoluant vers la défaillance rénale et un syndrome hémorragique, deux à quatre semaines après l’exposition. Le taux de mortalité est de 5 %. Sérologie et RT-PCR font le diagnostic. Machupo, agent de la fièvre hémorragique de Bolivie, Junin, celui de la fièvre hémorragique d’Argentine et Guanarito, agent de celle du Venezuela, sont trois Arenaviridae transmis par les rongeurs et responsables d’un syndrome fébrile d’apparition progressive associé à des signes neurologiques et un syndrome hémorragique. Leur prévalence peut être élevée dans certaines zones d’endémie. Des cas de transmission interhumaine ont été décrits pour Guanarito. Le diagnostic repose sur la sérologie, la culture virale et la PCR. Leur évolution est gravissime, avec un taux de mortalité entre 10 et 50 % [18]. 7. Fièvres typhoïdes et paratyphoïdes sévères Les fièvres typhoïdes et paratyphoïdes (dues à Salmonella enterica sérotypes Typhi et Paratyphi A, B et C) sont devenues rares en France avec 100 à 150 cas annuels, importés dans trois quarts des cas. D’après les données internationales, elles sont responsables de 3 % environ des fièvres chez les voyageurs de retour des tropiques. Ce chiffre est cependant de 14 % chez ceux rentrant du sous-continent indien [2], où l’incidence de la maladie est de 23 à 81 pour 100 000 voyageurs [21]. L’efficacité de la vaccination est de l’ordre de 70 %. L’admission en réanimation peut être motivée par une hémorragie digestive cataclysmique, perforation intestinale (marquée par une aggravation des douleurs abdominales, une accélération de la fréquence cardiaque et une baisse de la tension artérielle), une myocardite ou encore une encéphalopathie (sur un mode apathique ou au contraire agité) qui est fréquemment associée à un choc, de mauvais pronostic [22]. Le diagnostic repose sur l’isolement de la bactérie par hémocultures (sensibilité de 60 à 80 %) ou mieux par myéloculture, spécialement en cas de prise antibiotique antérieure (sensibilité 80 à 95 %), par coproculture (30 %) ou à partir de l’érythème. La sérologie Widal n’est ni sensible ni spécifique, spécialement chez le sujet voyageur vacciné antérieurement. D’autres méthodes sont en cours de développement, ainsi que la PCR [21,22]. Devant la fréquence croissante des souches résistantes aux fluoroquinolones (spécialement en Asie), la ceftriaxone, 2 g i.v. par jour pendant 10 à 14 jours, apparaît le traitement le plus approprié. En cas de souche sensible, la ciprofloxacine devra être privilégiée. En cas de signes toxiniques majeurs (cardiaques ou cérébraux), un bénéfice de survie est observé avec l’administration précoce de dexamethasone à la dose initiale de 3 mg/kg suivie de huit doses toutes les six heures de 1 mg/kg. L’administration de doses d’hydrocortisone, comme celles utilisées dans le choc septique, n’a pas montré son efficacité [22]. 8. Hépatites fulminantes Les hépatites virales aiguës représentent plus de 10 % des pathologies du voyageur au retour de zone tropicale, et jusqu’à 20 % pour ceux rentrant d’Asie [2]. L’hépatite A est l’étiologie retrouvée dans 90 % des cas et est considérée comme la maladie du voyageur évitable par vaccination la plus fréquente avec un risque jusqu’à 20/1000 voyageurs non immunisés et par mois. L’hépatite E, également liée au péril fécal est retrouvée dans moins de 10 % des cas et principalement au retour d’Asie. Une vaccination est en cours d’étude. Dans une moindre mesure on retrouve l’hépatite B, de transmission principalement sexuelle [23]. D’autres virus peuvent être responsables d’hépatites aiguës au retour des tropiques mais l’évolution vers l’hépatite fulminante est encore plus rare : EBV ; CMV ; VIH ; fièvre jaune ; dengue et autres arboviroses ; fièvres virales hémorragiques africaines. 9. Leptospirose La leptospirose est une zoonose de répartition mondiale mais à très nette prédominance tropicale, notamment en Amérique du Sud. Elle est due à Leptospira interrogans, spirochète pénétrant à travers les érosions cutanées ou muqueuses, les conjonctives, le plus souvent lors d’activités aquatiques de loisir en eaux douces. Cette notion d’exposition est un élément essentiel du diagnostic. La maladie touche surtout les hommes [24]. La leptospirose peut évoluer vers une forme ictérohémorragique avec manifestations viscérales de mauvais pronostic : ictère franc qui est un signe d’alarme, associé à une légère cytolyse ; défaillance rénale ; rhabdomyolyse ; myocardite, choc cardiogénique ; atteinte respiratoire avec hémorragie intra-alvéolaire pouvant évoluer vers un SDRA gravissime ; syndrome hémorragique cutanéomuqueux et viscéral. Les méthodes diagnostiques sont résumées dans le Tableau 7. Toute suspicion de forme sévère, du fait des difficultés et des délais nécessaires à l’obtention d’un diagnostic de certitude, doit conduire à l’instauration d’une antibiothérapie probabiliste rapide. Le traitement de référence reste la pénicilline G. Une alternative aux résultats comparables est la ceftriaxone [25]. S. Rebaudet, P. Brouqui / Réanimation 15 (2006) 221–233 10. Rickettsioses sévères Les rickettsioses sont des zoonoses bactériennes émergentes transmises à l’homme par des arthropodes. Plusieurs centaines de cas liés au voyage ont déjà été rapportées et les rickettsioses s’avèrent devenir l’une des causes principales de fièvre au retour des tropiques [2]. La majorité d’entre eux correspondent au typhus murin (causé par Rickettsia typhi), à la fièvre boutonneuse méditerranéenne (due à Rickettsia conorii), à la fièvre à tiques africaine (causée par Rickettsia africae) ou au typhus des broussailles ou « scrub typhus » (dû à Orientia tsutsugamushi). Il a été rapporté quelques cas de typhus épidémique. Ces pathologies se présentent le plus souvent sous la forme d’un syndrome fébrile bénin associé à des céphalées, des myalgies et une éruption. Une évolution sévère peut néanmoins se rencontrer, avec possibilité de décès. Leur diagnostic repose sur la sérologie, PCR et culture sur sang et biopsies cutanées ou d’escarre. Étant donné les délais diagnostiques, toute suspicion de rickettsioses doit conduire à traitement probabiliste par doxycycline 200 mg par jour pendant une à deux semaines [26]. 10.1. Rickettsioses à tiques (groupe boutonneux) Ce groupe de rickettsioses compte actuellement plus de dix espèces pathogènes pour l’homme de distribution tropicale. Leur mode de présentation est relativement proche mais seules quelques-unes peuvent évoluer vers des formes malignes justifiant l’admission en réanimation. La fièvre boutonneuse méditerranéenne (et ses variantes régionales) est due à R. conorii. Son aire de répartition englobe le pourtour méditerranéen, l’Afrique, le Moyen Orient et le Sous-continent indien. On doit y penser devant l’association d’une fièvre élevée, de céphalées, d’algies diffuses, d’une éruption maculopapuleuse et d’une « tache noire » correspondant à l’escarre d’inoculation de la tique. Le taux de mortalité global est d’environ 2,5 % [26,27]. La fièvre pourprée des Montagnes Rocheuses, due à Rickettsia rickettsii, est présente aux États-Unis mais aussi en Amérique du Sud. Elle est rare chez le voyageur mais considérée comme la plus sévère des rickettsioses à tiques, avec une mortalité de 50 % sans traitement antibiotique [26,27]. 10.2. Rickettsioses à poux et à puces (groupe typhus) Le typhus murin ou typhus endémique, est dû à Rickettsia typhi. Transmis à l’homme par les puces du rat, sa répartition est mondiale. Plusieurs dizaines de cas ont été rapportées chez des voyageurs rentrant d’Asie ou d’Afrique. Le tableau, habituellement peu sévère sous forme d’un syndrome fébrile souvent associé à des céphalées voire une éruption, peut cependant se compliquer, avec un taux de mortalité de 4 % [26]. Le typhus épidémique ou typhus exanthématique, est causé par Rickettsia prowazekii qui est transmis par les poux du corps, et sévit habituellement dans les camps de réfugiés et 231 les cas importés sont exceptionnels. Les plus récemment rapportés étaient cependant très sévères. Il existe en effet, de fréquentes complications cardiaques et neurologiques. La mortalité est passée de 60 à 4 % avec l’arrivée des antibiotiques [26, 27]. 10.3. Typhus des broussailles Également dénommé « scrub typhus », son agent responsable est Orienta tsutsugamushi, transmis par piqûre d’acariens. La maladie est extrêmement fréquente en Asie du SudEst et en Océanie avec environ un million de cas annuels. Le tableau est celui d’une fièvre associée à une polyadénopathie et souvent une escarre d’inoculation. L’évolution peut être sévère avec 1 à 35 % de décès sur pneumopathie, méningoencéphalite, CIVD, insuffisance rénale [26]. 11. Fièvre tropicale associée à des manifestations neurologiques centrales [28] La méningite à méningocoque [29] ne doit pas être oubliée. Un mode de transmission épidémique est possible illustré par l’épidémie de méningocoque W135 lors du pèlerinage de la Mecque de 2000 ou les épidémies fréquentes à méningocoque A et C en Afrique Sub-saharienne, et pour lesquels un vaccin existe. La connaissance du statut vaccinal du patient et des épidémies en cours dans le monde (consulter l’adresse http:// www.who.int/csr/don) permet d’aider le diagnostic dans certains cas. Par ailleurs, toute méningite aseptique dans un contexte de fièvre au retour des tropiques doit faire envisager une leptospirose (voir ci-dessus). L’encéphalite japonaise [18] est une arbovirose causée par un flavivirus transmis par piqûre d’un moustique du genre Culex. Sa répartition géographique recouvre les zones rurales d’Asie, du Japon à l’Inde où elle a été la cause d’une épidémie importante dans la région de New Delhi en 2005. En zone d’endémie, 70 % des enfants ont été en contact avec le virus avant l’âge de cinq ans, mais l’infection n’est symptomatique que dans 1 cas sur 200. Bien que sa description chez le voyageur au retour des tropiques reste anecdotique, il existe un risque théorique non négligeable. L’incubation est de 6 à 16 jours, et une fois déclarée, l’infection évolue vers une méningoencéphalite très sévère grevée d’une mortalité supérieure à 25 % en absence de prise en charge et de l’ordre de 5 à 10 % à l’hôpital, et de séquelles neuropsychiques dans 50 % des cas environ. Une vaccination est disponible en ATU nominative [1]. D’autres arboviroses d’évolution sévère peuvent se présenter sous forme de fièvre avec syndrome encéphalitique, comme la fièvre de la vallée du Rift, ou West Nile. 12. Histoplasmose américaine L’histoplasmose américaine est la mycose d’importation la plus fréquemment rencontrée en France. L’agent responsable 232 S. Rebaudet, P. Brouqui / Réanimation 15 (2006) 221–233 est le champignon dimorphique Histoplasma capsulatum var. capsulatum. Cette maladie est très répandue aux États-Unis et en Amérique du Sud (Guyane). Il existe également des foyers en Afrique et en Asie. La contamination se fait par inhalation de spores présentes dans des fientes d’oiseaux ou le guano de chauves-souris, et les facteurs de risques sont donc la spéléologie ou les activités de démolition par exemple [30]. Le diagnostic repose sur la recherche d’antigène urinaire, la détection de levures à l’examen direct des tissus prélevés, l’isolement du champignon par culture, la sérologie et l’intradermoréaction à l’histoplasmine. L’incubation dure une à trois semaines. Chez le sujet immunocompétent, la maladie se manifeste sous forme d’une pneumopathie dont la sévérité dépend de l’inoculum, mais dont l’évolution est en général spontanément favorable en trois semaines et n’implique un traitement qu’en cas de localisation diffuse. Dans les formes sévères et nécessitant un support ventilatoire, le traitement repose sur l’amphotéricine B 0,7 mg/kg par jour en i.v. pendant sept jours, suivi par un traitement éradicateur d’itraconazole 200 mg une ou deux fois par jour pendant 12 semaines. À la phase aiguë, une corticothérapie adjuvante par prednisone 60 mg par jour pendant deux semaines est discutée [31]. Il existe un risque important de dissémination chez le sujet immunodéprimé, notamment atteint du sida ou âgé. La fièvre et l’amaigrissement accompagnent les signes d’atteinte polyviscérale : hépatosplénomégalie, pancytopénie centrale, éruption, péricardite, médiastinite, choc, détresse respiratoire, insuffisance hépatique, insuffisance rénale, atteinte cérébroméningée, coagulopathie. La mortalité est alors de 80 % sans traitement. Elle peut être réduite à moins de 25 % sous traitement antimycotique [31]. Pour l’histoplasmose disséminée, le traitement de référence est actuellement l’amphotéricine B liposomale (Ambisome®) à la dose de 3 mg/kg par jour i.v. pendant 14 jours. Un relais par itraconazole 200 mg per os une ou deux fois par jours est indiqué pour 6 à 18 mois chez le sujet non sida, et à vie chez le sujet sida, avec surveillance des antigénuries occasionnelle [31,32]. 13. Anguillulose maligne Cette infection gravissime et potentiellement fatale est due à l’envahissement multiviscéral des larves de Strongyloides stercoralis à la faveur d’une immunodépression. Celle-ci, classiquement liée à une corticothérapie pas forcément prolongée, peut également être secondaire à un cancer ou une hémopathie, un sida, une infection par le virus HTLV-1 (human T-cell leukemia virus-1) ou tout simplement dénutrition, alcoolisme, cirrhose ou maladie auto-immune. Elle entraîne une fièvre associée à des atteintes d’organes, principalement neurologiques, et l’évolution vers une sepsis grave à entérobactéries et une défaillance multiviscérale est fréquente. Le diagnostic repose sur la notion de voyage, la découverte d’une hyperéosinophilie qui est inconstante, l’examen parasitologique des selles qui doit être répété et surtout dans ce contexte sur l’examen parasitologique du liquide d’aspiration duodénal ou des biopsies duodé- nales, de sensibilité nettement supérieure. Des parasites peuvent également être retrouvés dans les biopsies des divers organes atteints. Le traitement des formes sévères est long et repose sur l’administration d’un benzimidazolé : Thiabendazole® ou Mintézole® 25 mg/kg deux fois par jour ou encore albendazole ou Zentel® 400 mg deux fois par jour pendant au moins sept jours. Des cures additionnelles mensuelles sont recommandées pendant quelques mois. En cas d’impossibilité de prise orale, une administration rectale est possible. L’adjonction d’ivermectine 200 mg/j pendant quelques jours est également la règle [33]. 14. SRAS Il existe une possibilité sérieuse de résurgence d’une épidémie de type SARS (syndrome respiratoire aigu sévère). Celle de 2003, issue de Chine et étendue en quelques mois à 29 pays du globe dont la France a conduit à plus de 8000 cas et près de 800 décès [34]. Le recours aux soins intensifs a été nécessaire dans 20 % des cas [35], avec ventilation assistée chez plus de la moitié de ces patients, et décès chez 30 % d’entre eux environ [34]. L’extrême contagiosité, notamment pour les personnels de santé, implique un circuit de prise en charge confiné avec des mesures strictes d’isolement de tous les patients suspects. Les autorités de santé publique ont dans ce cadre défini des procédures disponibles sur Internet (Tableau 4). Est considéré comme cas possible de SRAS toute personne présentant une fièvre supérieure à 38 °C associée à des signes d’atteinte respiratoire basse et provenant d’une zone de transmission active de SRAS [35]. 15. Conclusion Bien que le paludisme soit la plus fréquente des maladies prise en charge en réanimation, les autres infections graves acquises sous les tropiques sont nombreuses et nécessitent d’être exhaustif dans la recherche étiologique. Certaines de ces infections sont très hautement contagieuses et sont un risque non négligeable d’infection nosocomiale comme le SRAS. Cela implique une prise de conscience quant aux conditions d’isolement et de prise en charge de ces patients en milieu confiné. Références [1] Institut de veille sanitaire République Française. Numéro thématique santé des voyageurs et recommandations sanitaires. Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire 2005;24–25:117–28. [2] Freedman DO, Weld LH, Kozarsky PE, Fisk T, Robins R, von Sonnenburg F, et al. Spectrum of disease and relation to place of exposure among ill returned travelers. N Engl J Med 2006;354:119–30. [3] O’Brien D, Tobin S, Brown GV, Torresi J. Fever in returned travelers: review of hospital admissions for a 3-year period. Clin Infect Dis 2001; 33:603–9. [4] Badiaga S, Barrau K, Parola P, Brouqui P, Delmont J. Contribution of nonspecific laboratory test to the diagnosis of malaria in febrile travelers returning from endemic areas: value of hypocholesterolemia. J Travel Med 2002;9:117–21. S. Rebaudet, P. 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