Le troc en Russie : perte de légitimité de la monnaie ou perte de
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Le troc en Russie : perte de légitimité de la monnaie ou perte de
1 LE TROC EN RUSSIE : PERTE DE LEGITIMITE DE LA MONNAIE OU PERTE DE LEGITIMITE DES INSTITUTIONS MONETAIRES ? Pepita OULD-AHMED* Le troc est souvent présenté, dans la pensée économique, comme le signe d’une démonétarisation de l’économie. L’essor d’un tel phénomène dans nos économies contemporaines résulte de tensions monétaires extrêmes qui ont pour conséquence de remettre en cause la monnaie nationale dans ses fonctions cardinales de réserve de valeur et d’intermédiaire des échanges. Cette interprétation standard du troc trouve son écho dans de nombreuses expériences monétaires, comme – pour ne citer que les plus spectaculaires –, celle de l’Allemagne en 1919 puis en 1947-48, ou encore celle de l’URSS en 1917-19. Par rapport à de tels scénarios de troc, l’expérience monétaire de la Russie post-soviétique présente un intérêt singulier. Cet article propose de montrer en particulier que la signification et les fondements du troc en Russie ne peuvent pas être appréhendés au prisme d’une telle interprétation traditionnelle de ce phénomène. On verra en effet comment, d’une part, loin de conduire à une régression ante-monétaire de l’économie, l’essor du troc permet, paradoxalement, de rappeler le caractère monétaire de l’économie russe. L’expérience des formes complexes des échanges réglés en nature en Russie révèle comment le troc, ou plus exactement la marchandise cédée en contrepartie d’un achat, peut, moyennant une organisation stricte et structurée des échanges, rendre certains services de règlement, et de fait être qualifiée de monnaie privée. D’autre part, on montrera que le troc n’est pas non plus le résultat d’une remise en cause de la légitimité de la monnaie nationale. En effet, l’évolution monétaire donne à voir que le troc se développe à partir de 1993 et persiste encore en 2001 à un haut niveau alors même que l’économie russe connaît une relative stabilisation monétaire – recul de l’inflation dès la fin 1993, appréciation du rouble dès 1995, et résorption significative des problèmes de liquidités, à partir de 1996. Et, malgré la fragmentation du système de paiements, on verra que le rouble reste la monnaie de référence et conditionne l’existence même de ces substituts. Si le troc ne renvoie pas à une crise de légitimité du rouble, on montrera en revanche qu’il est la manifestation d’une profonde crise monétaire dont les origines sont à chercher ailleurs que dans la monnaie nationale elle-même. De par son origine et sa persistance, on *URA 922-CNRS. CEPREMAP.142, rue du Chevaleret, 75013 Paris. [email protected] 2 montrera que le troc russe rend compte de l’existence d’une crise de légitimité des institutions monétaires et bancaires officielles. On verra d’abord que l’essor du troc est une réponse des acteurs à un régime monétaire socialement trop coûteux soutenu par les autorités monétaires et bancaires. L’inadéquation des politiques monétaires et les comportements bancaires vont en effet contribuer à alimenter fortement une pénurie de roubles qui se solde à la fois par une double crise – crise des paiements et crise de financement généralisées -, et par l’émergence de modalités de paiements alternatives, en particulier le troc. Et, les relâchements récurrents et ponctuels de la contrainte de liquidité ne suffiront pas à faire reculer les pratiques monétaires parallèles. La persistance du troc, par-delà la résorption partielle des problèmes de liquidités amorcée à partir de 1996, révèle, comme on le verra, une crise de confiance des acteurs économiques vis-à-vis des institutions monétaires et bancaires dans leur capacité à soutenir durablement une politique de croissance économique. En l’absence d’un véritable système bancaire tourné vers le financement de l’activité productive et dans un tel climat d’incertitude monétaire, les réseaux de troc fonctionnent comme des institutions de paiements alternatives qui, de par leur emprise structurante sur les activités productives, bénéficient de la confiance des acteurs économiques. On verra ainsi que, c’est à partir d’un renforcement et d’une réactivation de la confiance qui lie les acteurs des réseaux de troc, confiance fondée sur des traditions d’échange et des repères communes – confiance que l’on qualifiera de « méthodique », en reprenant la typologie des catégories de confiance proposée par Aglietta et Orléan (2002) –, que les réseaux de troc permettent de répondre partiellement à la crise de paiements et de financement généralisées russe depuis le début de la transition. I. LE TROC N’EST PAS LE SIGNE D’UNE REGRESSION ANTE-MONETAIRE DE L’ECONOMIE RUSSE Comprendre la signification et les fondements du troc russe présuppose que l’on se désimprègne de sa définition conventionnelle. Il renvoie en effet à un phénomène plus large et revêt, comme on va le voir, un caractère partiellement monétaire. Le troc prend une telle ampleur, représentant plus de 50% des règlements des transactions industrielles en 1998 et encore près de 30% en 2001, que l’on aurait pu penser qu’il porterait atteinte à la légitimité de la monnaie nationale à supposer qu’il n’en fut pas déjà sa manifestation. Or, on montrera que, malgré la fragmentation de l’espace monétaire, la confiance dans la monnaie nationale est préservée et que le rouble reste la seule monnaie de référence. 3 I.1. Le troc ou la marchandise comme support des communautés de paiement privées Soutenir la thèse d’une réaffirmation du caractère monétaire de l’économie russe à travers le développement du troc peut surprendre. Mais pour s’en convaincre, il importe au préalable de montrer la singularité que revêt ce phénomène dans cette économie. Par rapport à sa définition standard – échange simultané de biens sans l’utilisation de monnaie comme intermédiaire des échanges – le troc en Russie renvoie à un phénomène beaucoup plus complexe. Il fait référence au troc au sens strict – l’échange de biens contre biens sans intermédiaire monétaire – mais renvoie plus largement à trois formes complexes d’échanges réglés en nature. La première correspond au troc au sens strict (barter), qui consiste en un échange simultané de deux biens pour leur valeur d’usage et répondant à la double coïncidence des besoins. La deuxième forme de troc désigne ce que l’on appelle les accords de compensation (offsets). Elle consiste à livrer des biens qui permettent en contrepartie d'annuler des créances ou des obligations de paiement futur. Enfin, l’utilisation de wechsels (zachety) – billets à ordre – représente, même si cela paraît plus étonnant, la troisième forme de troc. En effet, alors que dans les économies capitalistes, un agent qui émet un billet à ordre à un autre agent s’engage à payer sa dette en cash à l’échéance, en Russie il sera bien souvent réglé en nature. D’un point de vue théorique, on peut dire que le troc en Russie désigne un ensemble d’échanges où la marchandise1, cédée en contrepartie d’un achat, peut rendre des services de règlement des dettes et revêtir, de fait, un caractère partiellement monétaire. Il ne s’agit pas bien sûr de soutenir qu’elle constitue une monnaie à part entière. De nombreux attributs de la monnaie sont voués à lui manquer. Cependant, si l’on s’appuie sur la distinction opérée par Hicks (1989) entre la monnaie publique, laquelle remplit l’ensemble des fonctions d’unité de compte, de réserve de valeur et de moyen de paiement, et la monnaie privée, qui elle ne remplit que certaines de ces fonctions monétaires, la marchandise, cédée en contrepartie d’un achat, peut être qualifiée de monnaie privée. A la différence du rouble, elle présente une double caractéristique : il s’agit d’une monnaie partielle puisqu’elle ne fait qu’endosser la fonction de paiement ; sa légitimité est circonscrite car elle n’est acceptée, enfin, qu’au sein de micro-systèmes de paiements locaux et privés. Néanmoins, pour que la marchandise puisse servir d’instrument des paiements, il faut évidemment davantage que ce qu’exige la monnaie nationale. Alors que l’utilisation du rouble pour payer une dette permet son extinction immédiate, les formes complexes du troc en 4 Russie révèlent que le paiement à travers la marchandise, cédée en contrepartie d’un achat, ne devient effectif que dans deux cas de figure. Le premier renvoie au cas où la marchandise cédée par l’agent A, en contrepartie d’un achat, fait valeur d’usage pour l’agent B qui la reçoit. Hors de cette configuration, il est erroné de considérer que le paiement est reconnu au moment où l’entreprise A règle l’entreprise B, par exemple, à l’aide de sa propre production. La livraison de marchandises à l’entreprise B correspond à un transfert de biens sans avoir encore produit pour cette dernière, de son point de vue de créancière, un pouvoir d’achat. Pour que la marchandise utilisée par la firme A comme moyen de paiement se transforme en paiement effectif pour la firme B, il faut que cette dernière, si elle n’utilise pas cette marchandise pour sa propre production, réussisse à vendre celle-ci contre du cash à une autre entreprise ou parvienne à l’utiliser à son tour comme moyen de règlement d’un créancier. Ceci signifie que le dénouement de la transaction bilatérale ne se réalise pas au moment de la cession par l’entreprise A d’une marchandise-moyen de paiement à l’entreprise B, mais seulement lorsque B aura réussi elle-même à acheter quelque chose à l’aide de cette marchandise cédée à une entreprise C. C'est seulement à ce moment que la firme B aura transformé la marchandise reçue en pouvoir d’achat et que la dette de l'entreprise A pourra être considérée comme éteinte. Il manque encore quelques étapes pour que le dénouement de la transaction bilatérale A-B se transforme en véritable validation sociale de la production de A. Car lorsque B éteint une de ses dettes en se défaisant auprès de C de la marchandisecontrepartie reçue en paiement de A, elle ne fait que reporter la contrainte monétaire2 sur une autre entreprise. La validation sociale n’est donc acquise que lorsque prend fin la séquence des reports et que la marchandise-paiement arrive dans les mains d’un agent aux yeux de qui elle a une valeur d’usage. Aussi, se met en place une relation de dette médiatisée par la marchandise et non par la monnaie qui pourrait être qualifiée de relation de dette « fractionnée ». En effet, lors du paiement en monnaie, extinction de la dette et recouvrement de la créance sont simultanés. A l’inverse, lorsque la marchandise est utilisée comme moyen de paiement, elle permet certes d’éteindre la dette du côté du débiteur ; mais du côté du créditeur, le recouvrement de la créance – en dehors du cas de la double coïncidence des besoins – ne sera effectif que lorsque 1 On envisage non pas une marchandise qui serait élue équivalent général, mais la marchandise dans sa généricité, c’est-à-dire actualisée dans toutes les marchandises particulières. 2 On entend par contrainte monétaire ce que définit Aglietta de la manière suivante : « la contrainte monétaire signifie que chaque participant aux échanges doit vendre sa marchandise, c'est-à-dire prouver en obtenant de la monnaie qu'il disposait avec cette marchandise particulière d'une fraction du travail global de la société. Ayant satisfait à cette obligation, il dispose d'un pouvoir d'achat social sur l'ensemble des marchandises grâce auquel il peut acheter toute valeur d'usage de son choix dans la limite des relations d'équivalence, c'est-à-dire toute valeur d'usage qui représente une fraction identique de travail social » (Aglietta, 1997, p. 356). Autrement dit, la contrainte monétaire est l’expression du « saut périlleux de la marchandise » de Marx. 5 le créancier aura lui-même converti cette marchandise en moyen de règlement de ses propres dettes. Aussi, pendant la période où l’entreprise B cherche à transformer le produit reçu en cash ou à le transmettre en paiement à un tiers, – période qui oscille selon les enquêtes3 entre un et sept mois –, la relation de dette reste ouverte. Autrement dit, tant que le produit obtenu par l’entreprise B ne donne pas lieu à un usage effectif (pouvoir libératoire ou productif), celle-ci consent un crédit. Aussi, lors de l’utilisation de la marchandise comme moyen de paiement, la relation de crédit précède bien souvent la relation monétaire. Les enquêtes de Commander et Mummsen (2001) montrent une évolution dans le comportement des directeurs d’entreprises qui recourent au troc entre 1995 et 1997. Même si les marchandises reçues par les firmes sont essentiellement désirées pour leur valeur d’usage et utilisées dans le processus de production, le troc fait de plus en plus l’objet d’une vente différée, accroissement qui témoigne de la montée de cette nouvelle forme de crédit interentreprises. A la différence d’une relation de crédit bancaire traditionnelle, la relation de dette qui lie les entreprises diffère sur deux aspects essentiels. En effet, la relation de dette véhiculée par l’utilisation de la marchandise comme moyen de paiement n’est pas bilatérale mais tripolaire : son dénouement implique non seulement le débiteur (l’entreprise A) qui utilise la marchandise pour régler sa dette et le créditeur (l’entreprise B) qui la reçoit, mais aussi un tiers agent (l’entreprise C) qui acceptera in fine la marchandise de la part de B pour paiement ou pour sa valeur d’usage et par-là clora la relation de paiement A-B. La deuxième particularité de cette relation d’endettement renvoie à la transformation de la relation débiteur/créditeur autour de la contrainte monétaire : alors que dans une relation de crédit bancaire, la relation de dette s’éteint lorsque le débiteur s’affranchit de sa contrainte monétaire – qui se double dans le cas d’un financement de sa production par le crédit bancaire, d’une contrainte de remboursement – ; dans le cas d’une relation d’endettement, médiatisée par la marchandise, la preuve de la validation sociale de la marchandise revient au créancier. Aussi, compte tenu des conditions particulières qui rendent possible l’utilisation de la marchandise comme moyen de règlement par une communauté privée d’acteurs, il n’est pas surprenant que les formes du troc exigent une organisation stricte et ordonnée de ces échanges en nature. Dans le cas russe, le réseau est cette forme d’organisation des échanges réglés en nature qui permet de créer les conditions et d’améliorer la probabilité selon laquelle les marchandises, cédées en contrepartie d’un achat, réalisent un paiement effectif entre les membres du réseau. Le réseau de troc fonctionne ainsi comme une institution de paiement 3 Voir en particulier les résultats de Marin, Kaufmann et Gorochoskij (2000). 6 informelle qui veille à l’extinction des dettes des membres (dettes commerciale, salariale et fiscale) du réseau à partir d’une multiplicité de marchandises utilisées comme moyen de règlement. Etant donné la complexité des chaînes de relations établies, ces enclaves monétaires privées nécessitent, bien souvent, l’intervention d’intermédiaires professionnels spécialisés (Guriev, Ickes, 2000) chargés de formaliser le contenu, l’échéance et les procédures de règlement des dettes entre les acteurs. Le développement de telles monnaies privées en Russie conduit à s’interroger sur les origines et les conséquences d’un tel essor de monnaies privées sur le rouble. I.2. Le maintien du rouble comme monnaie de référence ultime On aurait pu penser qu’un tel engouement pour ces monnaies privées traduirait une crise de la monnaie nationale. Or, il n’en est rien. D’une part, le troc se développe et persiste alors même que l’économie russe connaît une relative stabilité monétaire. D’autre part, malgré une telle fragmentation monétaire, le rouble reste la monnaie de référence et constitue la monnaie « hiérarchiquement » supérieure. A l’origine du troc, non pas le rejet du rouble mais sa pénurie Deus séries d’analyses ont appréhendé l’émergence du troc comme le résultat d’un rejet du rouble. Pour certains, l’essor du troc résulterait des fortes tensions monétaires du début de la décennie 90 qui auraient eu pour conséquence de remettre en cause le rouble dans ses fonctions de réserve de valeur et/ou d’intermédiaire des échanges (Poser, 1998). La préférence pour le troc s’expliquerait donc par des défaillances du système de paiements, liées aux taux annuels d’inflation très élevés de cette période (de 160% en 1991, 2500% en 1992 et 840% en 1993), amplifiés par la libéralisation des prix en janvier 1992. Dans un tel contexte de dévalorisation massive de la monnaie nationale, le recours aux biens ou aux devises étrangères constituerait une meilleure réserve de valeur, et de fait un medium des échanges plus convoité. Cependant, une telle explication du troc se heurte à trois objections. Tout d’abord, l’évolution monétaire russe donne à voir que le troc n’est pas le résultat de tensions monétaires importantes. En effet, on constate que la forte inflation du début des années 90 ne s’est pas accompagnée d’un accroissement en parallèle du troc (graphique). A l’inverse, les tests économétriques soulignent sur le long terme une corrélation négative entre le troc et 7 l’inflation (Brana, Maurel, 1999a). Même si le troc apparaît en période de haute inflation, son expansion se fera à partir de 1994, période marquée à l’inverse par un recul très prononcé de l’inflation4. En outre, il apparaît même que le troc se développe et se maintient à un haut niveau au moment où l’économie russe connaît une relative stabilité monétaire – recul très net de l’inflation, dès la fin 1993, et résorption significative des problèmes de liquidités, à partir de 1996. Le troc représente à la mi-1998 près de 60% de l’ensemble des transactions interindustrielles russes et même s’il régresse par la suite, il représente encore 42,9% en 19992000 et près de 30% en 2001. 60 45 40 35 30 25 20 15 10 5 0 -5 Part du troc 50 40 30 20 10 m dé c93 ar s94 ju in -9 se 4 pt -9 dé 4 cm 94 ar s9 ju 5 in -9 se 5 pt -9 dé 5 cm 95 ar s9 ju 6 in -9 se 6 pt -9 dé 6 cm 96 ar s9 ju 7 in -9 se 7 pt -9 dé 7 cm 97 ar s9 ju 8 in -9 se 8 pt -9 dé 8 cm 98 ar s9 ju 9 in -9 se 9 pt -9 dé 9 c99 0 Taux d'inflation (IPC) Graphique – Le troc augmente malgré le recul de l’inflation Part du troc dans les ventes industrielles Taux d'inflation (IPC) Source : Russian Economic Trends, 1998, 2001. Enfin, dernière objection, il faut souligner que les périodes de tensions monétaires récurrentes durant la décennie 90 ne se sont pas pour autant traduites par une fuite en avant vers des devises étrangères comme substituts du rouble que ce soit dans sa fonction de moyen de paiement ou dans sa fonction de réserve de valeur. Si l’on s’intéresse d’abord à l’utilisation des devises étrangères comme moyen de paiement alternatif au rouble, le ratio dépôts bancaires en devises étrangères/PIB, en dépit des taux annuels d’inflation élevés, reste relativement peu élevé, s’élevant à 33% en 1992 et à 7% en 1994 (Buchs, 2000). Cette faible dollarisation de l’économie russe s’explique essentiellement par trois facteurs. Il faut d’abord rappeler les restrictions imposées par la Banque centrale de Russie sur l’utilisation de devises, particulièrement pendant la période fortement inflationniste de 1992-1994. L’instruction de la Banque centrale, dès le 29 juin 1992, basée sur un décret présidentiel, impose que 50% des 4 Si l’on fait bien évidemment abstraction du pic d’inflation qui a suivi le krach de l’été 1998. 8 recettes d’exportation des entreprises soient converties en roubles. Cette mesure sera suivie, début octobre 1993, d’une interdiction supplémentaire imposée aux entreprises : celle de réaliser des ventes en devises à l’intérieur du territoire russe. Outre les autorités monétaires, le gouvernement contribue également à limiter le recours aux devises étrangères, notamment en passant des arrangements implicites5 avec les firmes étatiques en 1993 visant à les inciter à payer leurs impôts et à demander de facto des roubles. Cet accord repose sur l’idée suivante : « payez d’abord vos impôts, nous vous accorderons ensuite des crédits ». Cet arrangement permet de répondre ainsi à un double objectif : d’un côté, il permet de répondre aux pressions des autorités internationales qui conditionnent leurs prêts à l’amélioration de la discipline fiscale de l’Etat russe ; de l’autre, cet accord permet au gouvernement de soutenir les entreprises étatiques en difficulté tout en limitant les tensions inflationnistes supplémentaires qui résulteraient de la mise en marche de la planche à billets. Hormis ces mesures politiques, le faible recours aux devises comme moyen de paiement tient au fait que les entreprises détentrices de devises et bien souvent détentrices de roubles également, préfèrent, à partir de 1993, conserver par devers elles les liquidités à des fins spéculatives, et régler leurs dettes domestiques à partir de monnaies privées qu’elles émettent (Ould-Ahmed, 2002). Si l’on s’intéresse, enfin, à l’utilisation de devises comme réserve de valeur, là encore les chiffres témoignent de la préférence pour le rouble. Si jusqu’à la mi-1993, la part des dépôts en devises dans le total des dépôts bancaires augmente en raison de facteurs standards, à savoir importante inflation, dépréciation du rouble et taux d’intérêt créditeurs réels négatifs, dès 1994, elle baisse considérablement6. La prépondérance des dépôts bancaires des ménages en roubles est d’autant plus importante que l’on assiste à une forte appréciation de la monnaie nationale jusqu’au krach 1998. En avril 1998, par rapport au total des dépôts bancaires, la part des dépôts libellés en devises représente 31,6% contre 68,4% des dépôts en roubles (Toshihiko, 2002). Une deuxième série analyses s’accordent également pour voir dans le troc le signe d’un rejet du rouble mais avancent, quant à elles, des arguments cette fois non monétaires. Le troc représenterait pour les firmes une stratégie plus avantageuse en termes de gains que les échanges réglés en roubles. Le troc serait, d’abord, un moyen pour les entreprises de ne pas déclarer une partie de leur production et de leurs transactions aux autorités fiscales et de contourner ainsi l’impôt (Hendley et al., 1997). Il permettrait également aux entreprises créancières, payées à des prix plus élevés que les prix en roubles, de gonfler leurs résultats et leur poids social afin de faire pression sur les autorités centrales et régionales et de ne pas être 5 Granville (1995). 9 déclarées en faillites (Gaddy, Ickes, 1998). Enfin, le troc, pratique illégale héritée de la période soviétique pour échapper aux contraintes imposées par les autorités centrales (Ledeneva, Seabright, 2000), constituerait à présent un moyen d’atténuer les contraintes de l’économie de marché et de pérenniser les avantages du système économique d’interventionnisme étatique, en particulier celui de la garantie de solvabilité des entreprises. Néanmoins, ces analyses sont confrontées, à leur tour, à trois objections principales. Tout d’abord, de multiples enquêtes montrent la faible influence de l’évasion fiscale pour expliquer le recours au troc. Moins de 20% des dirigeants d'entreprises interrogés répondent que les avantages fiscaux constituent une cause importante du recours au troc (BERD, 1997). Ensuite, ces interprétations présentent le troc comme un phénomène avantageux pour l’ensemble des firmes leur permettant de gonfler leurs résultats. Or, même si les entreprises arrivent, comme on va le voir, à augmenter de manière nominale leur prix de vente lors des règlements en nature, elles subissent en parallèle une hausse de leurs coûts de production si bien que les prix relatifs et les taux de marge restent bien souvent inchangés7. Enfin, même si les modalités de paiement alternatives sont des pratiques issues de la période passée, elles répondent à une tout autre logique et se déploient dans un contexte radicalement différent. Alors que pendant la période soviétique, le troc permettait de surmonter la pénurie de biens intermédiaires et finis, il désigne dans les années 90 une stratégie d’adaptation financière de la part des entreprises qui résulte, on va le voir, d’une pénurie de liquidités et d’un rationnement drastique du crédit bancaire. Ainsi, sur la base de ce qui précède, il y a tout de même lieu de penser que les origines du troc ne sont pas à chercher dans la crise de la monnaie nationale. On peut néanmoins s’interroger sur les effets d’une telle fragmentation monétaire sur le rouble. Monnaie publique, monnaie privées : quand la bonne monnaie conditionne les mauvaises… Le développement du troc affecte bien sûr la monnaie nationale. Il altère notamment le rouble dans sa fonction de moyen général de règlement des dettes et remet en cause l'idée d'une construction monétaire unitaire autour du rouble. Néanmoins, malgré l’ampleur des monnaies privées, plusieurs facteurs montrent pourtant que le rouble demeure la monnaie de référence et constitue la monnaie « hiérarchiquement» supérieure. Tout d’abord, il faut remarquer que le paiement des dettes en nature est plus coûteux que le règlement en cash. Ceci tient au fait que l’utilisation de monnaies privées implique des coûts plus importants. Il existe en effet un système de prix relatifs complexe selon les 6 7 Si l’on fait abstraction à la crise du rouble d’octobre 1994. Marin (2002). 10 modalités de paiement retenues. Plus le degré de liquidité des instruments de paiement utilisés est faible, plus les prix des biens échangés ont tendance à augmenter. Dans l'ensemble des régions russes, le prix de troc au sens strict et le prix de compensation d'un bien sont similaires et supérieurs de 40-50% au prix en roubles (OCDE, 2000). Le différentiel important entre les prix des biens réglés en substituts du rouble et les prix de ces mêmes biens réglés en cash reflète évidemment la préférence des acteurs pour la liquidité. En outre, il faut ajouter les coûts plus importants en termes de temps qui pèsent sur les entreprises lors des échanges réglés à l’aide de monnaies de substitution. Comparés aux échanges en cash, plus de 69% des entreprises interrogées reconnaissent que le temps d’échange en troc (au sens strict) par exemple est beaucoup plus long (Commander, Mummsen, 2001). La deuxième raison qui permet de parler de supériorité « hiérarchique » du rouble tient au fait que l’existence même de ces substituts monétaires est conditionnée à la monnaie nationale. En effet, d’une part, le développement du troc résulte en partie non pas du rejet du rouble mais à l’inverse de sa pénurie relative particulièrement pendant la première moitié des années 90 : de 1990 à 1995, le ratio M2/PIB s’est en effet contracté de 62% (Popov, 1999). D’autre part, l’utilisation même des marchandises comme moyen d’acquittement des dettes n’est possible que parce que le rouble désigne l’unité de compte socialement reconnue en laquelle s’expriment ces monnaies privées. Le rouble se présente en effet comme l'opérateur de la valeur, c'est-à-dire l'instrument qui permet la commensurabilité des biens en faisant correspondre à chaque bien son prix. Autrement dit, c’est parce qu’il existe un système de prix monétaires prenant le rouble comme unité de compte, sur la base duquel les acteurs économiques peuvent se référer pour réaliser leurs transactions, que les échanges réglés en monnaies privées sont rendus possibles. Même si ces prix monétaires connaissent des tensions inflationnistes, en fonction des monnaies privées utilisées pour le règlement des dettes (wechsels, marchandise), celles-ci ne font que refléter la préférence pour le paiement en roubles cash. Par exemple, il est socialement reconnu que le règlement en nature d’un bien est deux fois plus coûteux que le règlement de ce même bien en cash. Mais ce système de prix de biens relatifs aux monnaies de règlement utilisés, n’est pas fixé de manière arbitraire par chacun des individus mais en fonction de la reconnaissance sociale de la valeur de chaque type de monnaie privée par rapport à celle du rouble. Il apparaît donc que le troc en Russie ne correspond nullement à l’effondrement de l’ordre monétaire, au contraire : c’est la persistance de cet ordre monétaire qui donne à la présente forme de troc ses conditions de possibilité ne serait-ce que parce que les échanges en nature sont réalisés sur la base de prix monétaires définis à partir du rouble comme unité de mesure des valeurs. Sur ce point, on rejoint l’approche du troc développée par Aglietta et 11 Orléan (2002) qui montrent que, dès lors que les échanges en nature se réalisent sur la base d’un système de prix monétaires des objets considérés, le troc n’est rien d’autre qu’un « simulacre de l’échange marchand8». Jusqu’ici on a montré que le troc ne peut pas être appréhendé comme l’indice d’une démonétarisation de l’économie russe qui résulterait d’une remise en cause de la monnaie nationale. L’utilisation de la marchandise comme moyen de règlement des échanges, en effet, moyennant une organisation des échanges stricte et ordonnée, peut endosser la fonction de paiement sans pour autant miner la légitimité du rouble qui demeure la monnaie « hiérarchiquement » supérieure. Même si le monopole du rouble dans sa fonction de paiement, comme on vient de le voir, se trouve altéré par l’essor des monnaies privées, ses fonctions de réserve de valeur et d’unité de mesure des valeurs sont préservées. Si le troc ne traduit pas une crise de légitimité de la monnaie nationale elle-même, de par ses origines et sa persistance, il est bien en revanche la manifestation d’une crise profonde dont on va tenter d’en présenter la nature. II. LE TROC COMME L’EXPRESSION D’UNE CRISE DE LEGITIMITE DES INSTITUTIONS MONETAIRES ET BANCAIRES Si le rouble constitue la monnaie de référence, on ne comprend pas dans ce cas pourquoi le troc se développe et connaît une telle ampleur alors même que les coûts de transaction lors des règlements en nature, on l’a vu, sont plus élevés. Pour élucider alors les ressorts de ces pratiques monétaires privées parallèles, il faut à présent s’interroger sur les origines et la persistance de ce phénomène. C’est à partir d’une démarche institutionnelle que l’on va tenter de montrer la nature de la crise sous-jacente au développement du troc tout au long de la décennie 90. S’il ne traduit pas une crise monétaire qui renverrait à une crise de la monnaie nationale elle-même, le troc exprime en revanche, comme on va le voir, une crise monétaire qui doit se lire comme une crise de légitimité des institutions monétaires et bancaires. On verra d’abord que le troc se présente en grande partie comme une réponse des acteurs à un régime monétaire socialement trop coûteux mené par les autorités monétaires et bancaires tout au long de la décennie 90. Les autorités monétaires et bancaires ont en effet, comme on va le voir, une part de responsabilité dans le processus de « déroublisation » partiel et forcé des paiements, pénurie de roubles face à laquelle les acteurs économiques réagissent 8 Aglietta, Orléan (2002), p. 70. 12 en développant des modalités de paiement privées alternatives. L’amélioration de la situation monétaire – recul de l’inflation dès 1994, appréciation du rouble dès 1995, et résorption partielle des problèmes de liquidités à partir de 1996 –, ne suffira pas à faire disparaître les monnaies privées. La persistance du règlement en nature à un niveau élevé, de près de 30% encore en 2001, peut se lire comme un indicateur d’approfondissement de la crise de confiance des acteurs économiques dans les autorités monétaires et des institutions bancaires : cette crise de la confiance, que l’on peut qualifier de « hiérarchique » en reprenant la typologie d’Aglietta et Orléan (2002), s’explique à la fois par la perte de légitimité de la Banque centrale dans sa capacité à mener une politique favorable au soutien de la croissance économique, et par l’absence d’intermédiaire monétaire et financier. En l’absence d’un régime monétaire socialement acceptable, les réseaux de troc, qui ne sont que la réactivation des anciens réseaux d’entreprises de la période soviétique, de par leur rôle structurant sur les activités productives et la confiance qui lie les membres du réseau entre eux, permettent de soutenir des formes d’échanges stables et moins risquées. II.1. Les incidences des politiques monétaires et des comportements bancaires sur le rouble Une autre interprétation de l’émergence du troc, plus conforme à la réalité russe, doit donc à présent être considérée. Elle repose sur l’idée que le recours au troc résulte non pas d’un rejet de la monnaie nationale mais plutôt d’une pénurie9 de liquidités dans l’économie tout au long de la décennie 90, pénurie pour laquelle les autorités monétaires et bancaires ont joué un rôle important. L’orientation restrictive des politiques monétaires menées par la Banque centrale et le rationnement du crédit bancaire exercé par les banques contribuent en effet à alimenter fortement la pénurie de roubles qui s’est soldée à la fois par une double crise – des paiements et de financement –, et par un essor, en parallèle, de micro-systèmes de paiements locaux utilisant des monnaies de substitution. La pénurie de liquidités est en partie le résultat des vagues successives de politiques d’austérité monétaire10 mises en oeuvre à partir de 1993. Celles-ci ont pour objectifs la lutte contre l’inflation et l’imposition d’une discipline financière accrue aux acteurs économiques. L’insuffisance relative de roubles par rapport aux besoins de l’économie peut être estimée à partir du ratio M2/PIB qui passe de 33,7% en 1992 à 13,4% en 1996 (Toshihiko, 2002). Mais la pénurie de roubles trouve également son lieu de naissance dans les comportements des 9 De nombreux auteurs soutiennent cette thèse. Se reporter par exemple à Aglietta, Moutot (1993), Commander, Mummsen (1998, 2000), Ould-Ahmed (1999), Schoors (1999) et Seabright (2000). 13 banques qui encore en 2002 se détournent massivement du financement de l’économie. Jusqu’au milieu des années 90, la puissance oligarchique constituée essentiellement d’anciens nomenklaturistes, qui détient plus de 90% du capital bancaire russe, ne va cesser de déployer des stratégies d’enrichissement d’horizons courts, jouant sur les différentiels de taux d’intérêt, taux d’inflation et de taux de change (Aglietta, Moutot, 1993). A partir de 1995, ces empires financiers privilégient des opérations sur titres de la dette publique (GKO). Ils assument également le financement d’une partie du déficit public accédant en contrepartie à une fraction du capital des entreprises jugées « stratégiques » par l’Etat11, dont la valeur faciale est délibérément sous-évaluée par l’Etat au profit de ces banques et dont la revente ultérieure de ce capital permet aux banques de dégager des plus-values exorbitantes (Benaroya, Lavrov, 2000). L’ensemble de ces opérations spéculatives se fera bien sûr au détriment de l’activité productive dont le rendement escompté est jugé plus faible et plus incertain. Ainsi, comme le montre Pyle (2002), l’évolution de la situation bancaire aboutit à un résultat surprenant : alors que le nombre de banques croît de manière spectaculaire, passant de 24 en janvier 1989 à 2527 en janvier 1995, la part des crédits bancaires accordés à l’économie par rapport au PIB est faible et ne cesse de se contracter, passant de 33,6% de 1992 à 10% à 1996. Le rationnement du crédit bancaire à l’économie va perdurer par la suite, la part moyenne des crédits12 rapportés au PIB pour la période 1995-2000 s’élève à 10,16%. Mais cette contraction du crédit s’explique également par la cherté des coûts d’endettement : même si les taux d’intérêt débiteurs ne cessent de baisser depuis 1995 (320,3%), ils s’élèvent à 41,5% en 1998 et passent à 24,3% en 200013. Une telle restriction financière ne pouvait qu’avoir d’importantes répercussions macroéconomiques dans un pays où la principale modalité de financement reposait pendant la période soviétique sur le crédit bancaire. De nombreux travaux économétriques14 insistent sur l’impact récessif d’un tel durcissement de l’offre de crédit bancaire. En réaction au resserrement monétaire, dans un premier temps, les entreprises de l’amont et de l’aval utilisent le prix comme une « variable de financement » (1991-1993) rendu possible par la libéralisation de la grande majorité des prix. Mais cette stratégie expose 10 Pour une description des politiques monétaires restrictives qui se sont succédées à partir de 1993, voir Baliño, Hoelscher, Horder (1997) et Palazuelos (1997). 11 C’est ce que l’on appelle des « prêts contre actions ». Le décret présidentiel n°889 du 31 août 1995 décide de se débarrasser d’une partie de ses parts de capital dans les entreprises auprès des banques, en échange de la prise en charge par celles-ci d’une partie du financement du déficit public. Les entreprises concernées sont les entreprises exportatrices. 12 Les chiffres sont issus de Russian Economic Trends, juin 2001. 13 Russian Economic Trends, 2001. 14 Voir en particulier Abel, Siklos (1993), Calvo, Kumar (1994), Coricelli (1998), Layard, Richter (1994) et Stiglitz (1999). 14 alors l’économie russe à une inflation ouverte15, combinant une inflation par la demande et une inflation par les coûts (Ould-Ahmed, 1999), qui dans un contexte de non indexation des salaires sur les prix et de forte contrainte extérieure, a pour effet de déprimer la demande intérieure et de conduire les entreprises à réaliser des ajustements récessifs (Fan, Schaffer, 1994). La situation financière des firmes se détériore de manière continue tout au long de la décennie 90, mais cette dégradation s’approfondit à partir de l’année 1995 en raison de l’appréciation du rouble accentuant alors la concurrence extérieure. Pour la période 19951998, plus de 70% des directeurs d’entreprises interrogés déclarent avoir contracté leur investissement en raison de la pénurie des ressources financières, et plus de 65% ont contracté leur production pour ce même motif16. Le volume des investissements en capital fixe en Russie connaît un déclin dramatique, ne représentant plus en 1998 que 22,3% de son niveau de 1990 (Buiter, 2000). Si l’on s’intéresse à la production industrielle, son volume se contracte fortement au cours de la période 1991-1998. Alors qu’en 1993, il représentait 70% du niveau de 1991, en 1998 il n’en représente plus que 50% (Tikhorimov, 2000). Même la conjoncture économique est favorable à la production domestique après le krach de l’été 1998, la reprise de l’activité productive reste faible, la moyenne du taux de croissance de la production industrielle s’élevant à un peu moins de 3% pour la période 2000-2002 (Toshihiko, 2002). Pour contourner l’absence de modalités de financement de l’économie et la pénurie de roubles, les firmes vont également privilégier des modalités de paiement et de financement alternatives qui à leur tour conduisent progressivement au recul relatif du rouble de la sphère des transactions. Le recours au crédit interentreprises, vieille pratique illégale pendant la période soviétique, se développe à nouveau, concernant d’abord les entreprises de transformation puis l’ensemble des acteurs17 (entreprises, salariés et Etat). Mais ces crédits vont peu à peu se transformer en arriérés de paiements puis en impayés à mesure que l’échéance de remboursement des dettes devient de plus en plus indéterminée et fixée par le débiteur. Enfin, les monnaies privées plus ou moins liquides se développent, à partir de 1993, permettant de pallier partiellement la paralysie du système de paiements. Il s’agit bien sûr des wechsels, des accords de compensation et du troc pur. Les enquêtes et les tests économétriques18 corroborent l’influence du faible accès au crédit bancaire pour expliquer le recours à ces monnaies de substitution. 15 Sur les déterminants de l’inflation en Russie au début des années 90, voir en autres les travaux d’Aglietta, Sapir (1992) et Motamed-Nejad (1996). 16 Les résultats de ce sondage ont été fournis par Russian Economic Barometer. 17 IMF (1999). 18 Aukutsionek (1999), Commander, Dolinskaia, Mummsen (2000) et Khanin, Suslov (1999). 15 Bien sûr, la crise de paiements, qui concerne à la fois les acteurs privés et publics, et le développement de substituts du rouble vont affecter profondément la légitimité de la Banque centrale. Au cours de la décennie 90, elle se voit contrainte d’abandonner régulièrement son orientation initiale, en raison des deux menaces récurrentes qu’elle doit gérer. Elle doit, d’une part, prévenir l’émergence d’un risque de système lié à la crise de paiements généralisée et donc intervenir comme prêteur en dernier ressort pour le contenir. Elle doit, d’autre part, gérer les conséquences de la crise de paiements. En particulier, la Banque centrale doit réagir à l’apparition de mécanismes de paiements privés, qui remettent en cause le monopole de la monnaie nationale comme moyen de paiement, et entament son emprise sur l’ensemble de l’espace monétaire – au risque sinon de voir la notion même de régulation centrale menacée d’être vidée de son sens. Ces contraintes expliquent les revirements et les hésitations de sa politique monétaire. D’une part, la Banque centrale entendra renforcer son emprise sur l’offre de crédit et la circulation monétaire et se conformer à une ligne de strict contrôle de la liquidité bancaire. Mais, d’autre part, elle sera obligée de faire l’impasse, de manière ponctuelle mais récurrente, sur son orientation restrictive pour combattre la crise de paiements et de financement généralisée. C’est pourquoi, elle procède à plusieurs reprises, en juillet 1992, en juillet 1993 et au printemps 1994, à la monétisation d’une partie des dettes des entreprises, et vient à la rescousse des banques sous-capitalisées et illiquides en accordant directement des crédits directs centralisés19 de 1992 à 1994, en abaissant son taux de refinancement et son taux de réserves obligatoires. Elle va également soutenir l’Etat notamment en prenant en charge une partie de la dette publique par émission monétaire du déficit public jusqu’en 1995, puis ensuite par l’achat direct ou indirect des titres publics. A cet égard, la Sberbank, banque majoritairement détenue par la Banque centrale, va jouer un rôle important : alors que les titres publics représentent 20% de son portefeuille en 1995, ils s’élèvent à la fin 1996 à plus de 50%, et à plus de 70% à la mi-1997 (Tompson, 1998a). Mais dès que le risque de système est contenu et qu’en particulier la situation du secteur bancaire semble s’améliorer, les instances reviennent à nouveau au contrôle strict de la masse monétaire et du crédit bancaire. Mais, une telle alternance durcissement-relâchement de la politique monétaire finit par remettre en cause sa crédibilité et par là à compromettre ses propres objectifs. Compte tenu du coût social d’une telle politique monétaire et bancaire, l’amélioration de la situation monétaire à partir de 1996 ne permettra pas pour autant à faire reculer les 19 Les crédits centralisés accordés par la Banque centrale visent à liquider les dettes des entreprises majoritairement étatiques à l’égard des banques et à maintenir le niveau d’emploi dans l’agriculture et l’industrie pétrolière. La part de ces crédits centralisés par rapport au PIB passe de 15,5% à 2,3% de 1992 à 1994 pour être ensuite supprimés. 16 pratiques monétaires privées parallèles. La persistance du troc pendant la deuxième moitié des années 90 témoigne, comme on va le voir, de l’aggravation de la crise de confiance hiérarchique. II.2. La persistance du troc comme le signe d’une crise de confiance hiérarchique compensée par un renforcement de la confiance méthodique On s’attendait à assister avec la résorption partielle de la pénurie de liquidités amorcée dès 1996 à un reflux corrélatif du troc. Mais il n’en est rien. Le troc se maintient à un niveau élevé, représentant encore 42,9% du règlement des transactions industrielles en 1999-2000 et près de 30% en 2001. Deux raisons majeures permettent d’expliquer la persistance du troc : la méfiance accrue des acteurs vis-à-vis des institutions monétaires et bancaires dans leur capacité à soutenir une politique de croissance économique ; la faible incitation pour les acteurs économiques à abandonner les réseaux de troc qui permettent, dans un tel contexte d’incertitude monétaire, la réalisation de formes d’échanges moins risquées. L’hysteresis du troc ou la crise de confiance hiérarchique Les acteurs affichent une grande méfiance à l’égard de la Banque centrale de Russie dans sa capacité à soutenir une politique monétaire favorable à l’économie et se souviennent encore de la douleur de la politique de stabilisation affligée par celle-ci. Cette perte de confiance de l’opinion publique s’est en outre trouvé renforcé par les revirements de politique monétaire de la Banque centrale qui ont eu pour effet de décrédibiliser davantage celle-ci dans sa capacité même à mener une politique monétaire tout au long de la période 1992-1998. Une certaine incertitude monétaire règne depuis le krach de l’été 1998 compte tenu de l’accentuation des pressions sur la Banque centrale, pressions divergentes qui rappellent le manque d’indépendance véritable de cette institution20. Le changement rapproché de trois Présidents21 de la Banque centrale en l’espace de trois ans entre 1992 et 1995, alors que l’indépendance de l’institution et de son personnel est en principe garantie et que les présidents sont nommés pour quatre ans, avait déjà éveillé un certain doute sur cette question. Après la crise financière de 1998, la Banque centrale subit d’un côté, au niveau intérieur, les pressions parlementaires habituelles qui menacent de réviser son statut d’indépendance si elle 20 Voir les travaux de Tompson (1997, 1998a, 1998b, 2000), pour une étude fouillée sur les flous juridiques qui concernent la question de l’indépendance de la Banque centrale de Russie et sur les relations étroites entre cette institution et le gouvernement. 21 On pense au changement de présidents suivants : Georgii Matyukhin en 1992, Viktor Gerashchenko en 1994 et Tat'yana paramonova en 1995. 17 continue à se détourner des problèmes de financement de l’activité économique. D’un autre côté, à l’inverse, au niveau externe, le FMI ne cesse de rappeler que son soutien est conditionné au maintien de la fermeté de la discipline financière par la Banque centrale. La crainte de revirements de politique monétaire va se trouver confirmer par la réalité. Malgré le souhait affiché à partir de 1999 de mener une politique monétaire visant à soutenir la croissance économique, dans la pratique aucun changement véritable n’est constaté (Rock, Solodkov, 2001). Depuis la crise financière d’août 1998, la politique monétaire se limite à des interventions régulières de la Banque centrale sur les marchés monétaire et de change afin de contenir les tensions sur le rouble. A cette perte de crédibilité de la Banque centrale à soutenir une politique socialement acceptable, vient s’ajouter l’éternelle absence d’un système bancaire orienté vers l’industrie, qui pourtant constitue une condition nécessaire à la mise en place d’une croissance économique de long terme. En dépit de la situation des banques, devenues après la crise de 1998 illiquides, décapitalisées et déficitaires22, il n’existe toujours pas dans la pratique de politique de recapitalisation et de restructuration bancaires. Là encore, il semblerait que la Banque centrale n’exerce qu’une influence limitée pour la reconstruction du système bancaire. Malgré les deux nouvelles lois sur l’insolvabilité et la restructuration des établissements bancaires en 1999, accordant à la Banque centrale le pouvoir de révoquer les agréments bancaires et de prendre la direction des banques insolvables, de fortes pressions politiques ne cessent d’annuler de telles tentatives voir au mieux de les retarder23. Pour ne prendre que deux exemples, on peut mentionner le cas de l’Inkombank dont le retrait de licence a d’abord été juridiquement contesté en 1998 pour être finalement autorisé en juin 2000. Dans le même ordre d’idée, on peut citer le cas de Promstroïbank dont le retrait de licence réclamé en juillet 1999, sera reconnu comme illégal puis finalement accepté en novembre 2000. La Banque centrale voit en outre son pouvoir affaibli par la création de l’ARKO, l’agence pour la restructuration des établissements de crédit, en mars 1999, financée par le Ministère des finances, et reconnue comme le seul responsable de la restructuration des banques en difficulté. La Banque centrale se réserve toujours le droit de révoquer des agréments bancaires mais ils ne deviennent effectifs qu’après examen de l’ARKO. Or, en raison des pressions politiques subies par ces deux institutions, le processus de restructuration bancaire est fortement ralenti. Il faut attendre la mi-2000 pour pouvoir constater les premiers résultats des efforts modestes de l’ARKO : Most Bank est mise sous tutelle en mai, 22 La Banque centrale estimait en avril 1999 que le capital agrégé du système bancaire était proche de zéro, et la Banque Mondiale estimait que les 30 premières banques avait un capital négatif de 10-15 milliards de dollars (Tompson, 2000). 23 Pour une étude précise de l’évolution du système bancaire, se référer à Iskyan et Besedin (2000). 18 Vneshtorgbank est reprise en octobre, SBS agro et Mezhkombank sont déclarées en faillite... Néanmoins, la restructuration bancaire est très lente car elle ne repose pas sur un programme homogène mais sur une gestion des banques en difficulté au cas par cas, selon laquelle les plans de sauvetage sont proposés bien souvent de manière arbitraire, selon des critères politiques (Schoors, 2001). Malgré les mouvements de fusions bancaires qui s’opèrent afin de recapitaliser le secteur bancaire, on comptait encore 1330 banques en place au début 2000. La possibilité de voir émerger un système bancaire orienté vers l’économie semble depuis l’année 2001 être devenue effectivement une priorité pour la Banque centrale et pour le gouvernement. La Sberbank et la Vneshtgorbank qui sont les deux principales banques étatiques financent à elles seules la moitié des crédits totaux au secteur réel. En outre, à partir du printemps 2001, le gouvernement met la pression pour la création de deux nouvelles banques étatiques, la Rosiiski Bank Razvitiya (la Banque Russe pour le Développement), et la Rosselkhozbank (la Banque Russe d’Agriculture) afin de financer les secteurs économiques jugés critiques. Aussi, il semblerait que le krach de l’été 1998 aurait permis la renationalisation et recentralisation du système bancaire et de donner les moyens à l’Etat de jouer à nouveau un rôle de premier plan dans le financement de l’économie. Les moyens dont il disposerait semblent importants puisque ce sont les banques étatiques qui mobilisent la plus grande part de l’épargne des ménages : seuls les dépôts des ménages à la Sberbank correspondent à plus de 75% de la totalité des dépôts des ménages dans le secteur bancaire en avril 2001 (Kemme, 2001). Même si les réformes bancaires sont encourageantes, les autorités monétaires doivent à présent chercher à regagner la confiance de l’opinion publique et prouver leur capacité à mener et faire respecter une politique monétaire tournée vers le soutien d’une croissance économique de long terme. Dans l’attente d’une reconstruction de légitimité par les autorités monétaires et bancaires, les réseaux de troc représentent des institutions de paiements informelles alternatives qui bénéficient de la confiance des acteurs. Les réseaux de troc crédités d’une confiance méthodique Le réseau de troc permet, on l’a vu, de faciliter le règlement d’un ensemble de dettes des membres du réseau. Mais la capacité du réseau de troc à constituer une véritable communauté de paiements privée n’est pas son seul atout. En créant les conditions pour que les marchandises, cédées en contrepartie d’un achat, réalisent un paiement effectif, il favorise, par la même occasion, l’écoulement de la production de ces marchandises. Par conséquent, les réseaux de troc permettent aux entreprises de s’émanciper de deux contraintes articulées – la contrainte de liquidité et la contrainte de débouchés – qui menacent 19 leur propre survie mais bien souvent celles de leurs partenaires également. Cette menace de contagion des risques d’illiquidité et d’insolvabilité résulte bien sûr de l’importance des crises de paiements récurrentes durant la décennie 90 mais aussi de la spécificité de l’organisation industrielle russe caractérisée par une structure monopolistique (Perotti, Geffer, 1998). En raison de la forte concentration de l’industrie russe, héritée de la période soviétique, les entreprises fonctionnent bien souvent en situation de monopole avec des productions et des approvisionnements peu substituables. Les relations de dépendance entre les fournisseurs et les clients sont donc très fortes et rendent de fait plus difficiles la possibilité de trouver de nouveaux partenaires et la probabilité qu’ils soient liquides, compte tenu de la crise de paiements, est faible. La dernière enquête d’Hendley, Murrel et Ryterman (2000) montre que les réseaux de troc se maintiennent d’autant plus facilement que le nombre d’entreprises illiquides est très élevé et qu’il est très difficile de savoir quelle firme peut payer en cash. Dans ces conditions, le troc est vécu pour certaines firmes comme un phénomène subi, qui les contraint à accepter la marchandise comme moyen de paiement de la part de leur principal client afin de pouvoir maintenir leur propre production. Plus de 70% des entreprises interrogées reconnaissent avoir recours au troc en raison de l’illiquidité de leurs partenaires économiques (Brana, Maurel, Sgard, 1999b). Néanmoins, en contrepartie, elles bénéficient de la garantie de solidarité du réseau de troc en ce qui concerne l’écoulement de la production, garantie d’écoulement qui est aussi une garantie de financement si elles venaient à leur tour à être confrontées à des problèmes de liquidité. L’efficacité des réseaux de troc et leur aptitude à maintenir en vie de nombreuses activités de production transparaissent dans les enquêtes. On constate que 66% des produits, reçus à travers le troc, sont utilisés directement dans le processus de production, 10% servent au paiement de la dette salariale et 24% de ces produits font l’objet d’une nouvelle opération de troc (Linz, Krueger, 1998). Compte tenu de leur rôle déterminant dans le financement et le maintien en vie de nombreuses activités productives, les réseaux de troc, à l’inverse des institutions monétaires officielles, sont crédités d’une confiance des acteurs économiques qui contribue fortement à faire du troc une forme stable des échanges. Les réseaux de troc lient essentiellement des entreprises qui, depuis la période soviétique, ont développé des relations de longue date et qui ont de fait des habitudes d’échanges et une confiance dans la nature des biens échangés et les personnes avec qui elles contractent. Les réseaux reposent ainsi sur ce qu’Aglietta et Orléan (2002) appellent une confiance méthodique : « fondée sur la routine ou la tradition, elle (la confiance méthodique) procède de la répétition des actes qui mènent les échanges à bonne fin et les dettes privées à leur règlement. Ce type de confiance exprime une dimension sécuritaire par adhésion commune à la règle explicitée. C’est une armature de repères et de rôles où se 20 moulent les acteurs privés. Elle est le fruit de la régularité24». Le réseau de troc garantit l’extinction d’un ensemble de dettes et l’écoulement de la production en contrepartie de l’acceptation par les membres d’une discipline de réseau et d’un renoncement à la liberté de choix de partenaire. Ce principe disciplinaire s’explique par la complexité de l’organisation des chaînes de relations établies afin que les marchandises qui circulent au sein du réseau, cédées en contrepartie d’un achat, trouvent in fine, par le jeu des échanges interentreprises, un acquéreur final. Compte tenu des conditions particulières pour que les échanges soient réglés en nature, le principe disciplinaire du réseau repose sur une combinaison d’ostracisme et de menace : menace de l’incertitude qui règne à l’extérieur. Dans ces conditions, le non respect de cette discipline par un membre du réseau impliquerait son exclusion définitive et la perte des avantages que lui procure le réseau. Or, l’extérieur étant dominé, on l’a vu, par une incertitude monétaire, économique et sociale radicales, il n’offre guère, dans ces conditions, d’incitations pour les membres du réseau à prendre le risque de transactions à l’extérieur. La confiance dans le réseau de troc est d’autant plus forte qu’il s’agit d’entreprises qui entretiennent de longue date des relations étroites. Les réseaux dont il s’agit sont pour une grande partie les anciens réseaux officiels organisés alors par le Plan, mais aussi réseaux officieux qui s’étaient constitués afin de développer des réseaux de solidarité informels afin de contourner les pénuries et les contraintes planifiées de production. Les réseaux actuels ne font donc que réactiver leur longue pratique d’échanges mutuels dont le principe de coordination à l’intérieur du réseau réside dans l’habitude et les pratiques rodées avec le temps et se reproduisant toutes seules. Aussi, c’est bien parce qu’il existe au préalable des références communes entre les membres du réseau comme des traditions d’échanges et un système de prix monétaires, reposant sur le rouble comme unité de mesure des valeurs, que les réseaux de troc peuvent constituer des formes d’échanges en nature. On retrouve dans l’approche théorique du troc développée par Aglietta et Orléan (2002) l’importance de ces conditions d’émergence et de développement du troc. Ces auteurs montrent en effet que dans des économies de troc, marquées par une crise de la monnaie dans sa fonction d’instrument des échanges, le troc « pour se réaliser, il (le troc) prend appui sur les données objectives que lui fournit le principe monétaire, à savoir les prix. […] Il (le troc) est rendu possible par l’existence de multiples références sociales issues des traditions d’échange. Ces références permettent aux protagonistes de s’accorder sur les taux auxquels les transactions doivent s’effectuer25 ». 24 25 Aglietta, Orléan (2002), p. 104. Aglietta, Orléan (2002), p. 71. 21 Même si le troc constitue une solution de second ordre en raison de l’impossibilité sur la base de cette forme d’échanges de procéder à la nécessaire modernisation de l’industrie russe, moindre mal, il constitue une réponse institutionnelle à la perte de confiance des individus dans les institutions monétaires et bancaires. Tout comme Marin (2002), on pense que le troc constitue une « bonne chose » pour reprendre son expression car il permet au secteur réel de financer la production dans une économie où le secteur bancaire ne joue pas son rôle. Conclusion Alors que l’interprétation traditionnelle du troc présente ce phénomène comme le signe d’une régression monétaire et comme l’indice d’un rejet de la monnaie nationale, on a montré à l’inverse que le troc en Russie conserve un caractère partiellement monétaire et se développe dans une économie où la suprématie de la monnaie nationale et la confiance qu’elle suscite sont préservées. Le troc renvoie en effet à une diversité des formes complexes des échanges en nature selon lesquelles la marchandise, moyennant une organisation stricte et ordonnée des échanges, peut rendre des services de paiement et être de fait qualifiée de monnaie privée. Si le troc ne témoigne pas d’une crise de légitimité du rouble, on a montré en revanche, par son origine et sa persistance, une crise profonde des institutions monétaires et bancaires officielles. L’inadéquation des politiques monétaires menées par les autorités monétaires durant les années 90 et les comportements de détournement de la liquidité par les grandes banques ont joué un rôle déterminant dans la mise en place d’une forte contrainte de liquidité que les acteurs économiques ont essayé de desserrer en recherchant des monnaies de substitution. Les réseaux de troc fonctionnent ainsi comme des enclaves monétaires privées et informelles permettant de surmonter partiellement les crises de paiements récurrentes. Et, la résorption partielle des problèmes de liquidités à partir de 1996 ne suffira pas à faire reculer le troc. Les oscillations de la politique monétaire et l’absence d’un véritable système bancaire ont profondément miné l’emprise de la Banque centrale sur l’espace monétaire et, de fait, la confiance des acteurs dans sa capacité à soutenir un régime monétaire socialement acceptable. Dans un tel contexte d’incertitude monétaire, les réseaux de troc de par leur rôle structurant sur les activités productives, sont crédités de la confiance des acteurs économiques. 22 REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES ABEL I., SIKLOS P. (1993), « Constraints on Enterprise Liquidity and their Impact on the Monetary Sector in Formerly Centrally Planned Economies », CEPR Discussion paper, n° 841. AGLIETTA M. (1997), Régulation et crise du capitalisme. L’expérience des Etts-Unis, 2ème édition. AGLIETTA M., ORLEAN A. (2002), La monnaie entre violence et confiance, Odile Jacob. AGLIETTA M., MOUTOT P. 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