Les arts du spectacle dans la ville (1404–1721). Éd. Marie

Transcription

Les arts du spectacle dans la ville (1404–1721). Éd. Marie
92 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
Les arts du spectacle dans la ville (1404–1721). Éd. Marie-France Wagner et
Claire Le Brun-Gouanvic. Collection « Colloques, Congrès et Conférences sur
la Renaissance ». Paris, Champion, 2001. P. 288.
Les arts du spectacle au théâtre (1550–1700). Éd. Marie-France Wagner et
Claire Le Brun-Gouanvic. Collection « Colloques, Congrès et Conférences sur
la Renaissance ». Paris, Champion, 2001. P. 273.
Marie-France Wagner et Claire Le Brun-Gouanvic, de l’Université Concordia,
présentent ici en deux volumes complémentaires, qui permettent de dégager
continuités et évolutions, les arts du spectacle dans la ville puis au théâtre.
L’ensemble illustre à la fois le progressif renfermement du spectacle et la perte
concomitante de son caractère civique, dès lors que l’absolutisme royal n’a plus
besoin de spectacles comme les entrées pour s’affirmer. Ces deux volumes font
ainsi le point et aussi le lien entre les travaux antérieurs sur les fêtes ou les entrées
et ceux sur le théâtre des XVIIe et XVIIIe siècles, tout en renouvelant largement,
par ce rapprochement même, l’étude de ces différents termes.
Les arts du spectacle dans la ville sont divisés en trois sections. La première,
« Les spectacles publics de la cour et de la bourgeoisie », comprend une série de
contributions qui vont du caractère spectaculaire de la vie aristocratique ou
bourgeoise aux formes proprement culturelles de ces spectacles. Claire Le BrunGouanvic montre comment s’opposent dans l’œuvre de Christine de Pisan les
spectacles du milieu royal, faits pour mettre en scène un pouvoir légitime, et les
peu décents étalages des richesses bourgeoises. Danielle Quéruel illustre ensuite,
en particulier grâce au témoignage de Georges Chastelain, à quel point la toponymie de la ville est impliquée non seulement dans toutes les formes de théâtre
médiéval mais dans toute réjouissance, fête ou entrée, qui s’y déroule, la ville toute
entière devenant alors spectacle, s’animant, pont, portes et hôtels, de tableaux
vivants et de personnages. Juliette Valcke étudie les différentes formes spectaculaires que prennent les activités (assemblées, défilés, banquets) d’une société
joyeuse telle que celle de la mère folle de Dijon, véritable force politique et sociale,
dont la ville est l’enjeu, l’objet et le théâtre. Denis Hüe, enfin, met en valeur le
caractère particulier du spectacle auquel donne lieu le Puy de la Conception de
Rouen, où le poète apparaît face au Prince comme l’orateur d’une communauté
d’artisans dont le poème élève le métier à une dimension spirituelle en le donnant
comme partie prenante de l’ordre du monde. Le poète n’est pas seulement au
demeurant le héraut d’un groupe social, il l’est aussi des individus et même de Dieu
et de la Vierge. On peut voir à travers cet exemple à quel point l’adoption du point
de vue du spectacle, i.e. ici de l’auditoire, permet de mieux comprendre le
processus d’ensemble d’une poésie et d’une poétique.
La deuxième section est consacrée aux entrées royales. M.-F. Wagner offre
une vue synthétique de leur déroulement et de leur fonction politique au XVIIe
siècle, comme mise en scène de l’ordre. La ville devient le théâtre où prince et
peuple, tour à tour public et acteur, racontent une histoire difficile et complexe de
soumission et de domination, ce qui est ici illustré à travers l’exemple de la statue
Book Reviews / Comptes rendus / 93
équestre de Louis XIII, lors de l’entrée royale en Avignon de 1622. A partir de là
les communications suivantes mettent en valeur les variantes de ce modèle. Hannah
Fournier étudie la transposition du spectacle politique de l’entrée au Nouveau
Monde à travers le Théâtre de Neptune de Lescarbot, spectacle de 1606 publié en
1609, qui diffuse une propagande royale que l’histoire entérinera quelques années
plus tard. Dans un autre registre, la Description de la superbe et imaginaire entrée
faite à la reine Gijllette passant par Venise (1582) offre, selon Guy Poirier, le
témoignage, par son caractère satirique, de l’évolution de l’entrée à la fin de la
Renaissance, sous les derniers Valois.
La dernière section consacrée aux « Métamorphoses des lieux et des personnages » étudie les formes que prend cette évolution. Françoise Siguret s’attache à
la fortune d’un automate représentant Hercule triomphant de l’hydre ou Apollon
victorieux de Python, que l’on retrouve pour célébrer la victoire du Roi sur les
protestants dans une entrée de 1623, aussi bien que dans d’autres situations au long
du siècle. Elle en suit les avatars jusqu’au progressif glissement de la valeur
politique à la seule valeur esthétique de cette représentation. Les deux dernières
communications forment en quelque sorte transition avec le volume suivant.
Daniel Vaillancourt s’intéresse aux différentes formes du spectacle urbain au
XVIIe siècle. La ville se transforme en même temps que le spectacle quitte le parvis
des églises ou les places pour trouver son lieu. Le spectacle ne quitte pas la rue au
demeurant mais se spécialise, en deux lieux clés, la foire et le cours, ici décrits à
travers l’image qu’en donnent Scarron et La Bruyère. À l’autre bout de la chaîne
chronologique enfin, C. Biet et P. Peveri abordent la question dans l’autre sens,
montrant comment la mise en scène de l’affaire Cartouche illustre le rapport du
théâtre à la société, de l’histoire au spectacle.
Le deuxième volume traite des arts du spectacle au théâtre entre 1550 et 1700. Il
replace le théâtre classique dans un large contexte, à la fois chronologique (le
théâtre renaissant) et générique (le théâtre à machines, la pastorale, la comédieballet, le théâtre de la foire), en relativisant ainsi la valeur d’archétype, et adopte
la même perspective évolutive que le premier volume, en complétant les données.
La première section est consacrée au théâtre renaissant, et si l’on en croit son titre
à son caractère « visuel et l’auditif ». P.-L. Vaillancourt traite de la théologie du
sacrifice à partir de l’exemple privilégié de la Jephté de Buchanan et montre que
l’entremêlement savant des sources antiques et bibliques rend complexe l’interprétation d’une pièce aux enjeux théologiques essentiels. Louise Frappier étudie
quant à elle le lien de la tragédie à la représentation de l’histoire. La conception de
la tragédie héritée du Moyen Âge en fait le miroir des renversements de fortune
des grands, conception spéculaire qui s’exacerbe avec les guerres de religion. Cette
vision de l’histoire y fonde, selon L. Frappier, le primat de la parole, d’une parole
que l’action ne fait qu’actualiser, sur le spectacle. Il faut attendre la contribution
de Jeanne Bovet pour que soit abordée de front la question du visuel et de l’auditif
et dépassé le débat traditionnel entre le caractère rhétorique et le caractère spectaculaire du théâtre renaissant au nom de l’action rhétorique, elle-même mise en
94 / Renaissance and Reformation / Renaissance et Réforme
œuvre de façon exemplaire par ce théâtre où priment la pronuntiatio et la voix.
C’est donc précisément le caractère rhétorique de ce théâtre qui en définirait le
caractère proprement théâtral. La dernière communication de cette section, celle
d’Hélène Visentin, forme une très belle transition avec la partie suivante et montre,
à travers l’exemple des prologues, comment, à la charnière des XVIe et XVIIe
siècles, on passe d’un spectacle du discours qui donne moins à voir qu’à entendre,
au spectacle des machines, qui donne plus à voir qu’à entendre, avant qu’avec le
théâtre classique, triomphe à nouveau, autrement, le discours.
La deuxième section porte sur « quelques considérations dramaturgiques ».
Benoît Bolduc analyse un dialogue qui met en scène deux personnages allégoriques
(Gracieux et Désir) décrivant une fête donnée en 1565 à Bologne. La forme choisie
est ici essentielle, médiatise et réinvente la matière première. Antoine Soare
s’intéresse ensuite aux métiers de Clindor dans le récit d’Alcandre de L’Illusion
comique. L’itinéraire décrit ne serait pas celui d’un héros picaresque mais serait
propre au monde du théâtre. Clindor passe en effet par tous les aspects du théâtre
de foire avant de se vouer à la comédie et à la tragédie. Dominique Lafon réévalue
ensuite la question de collaboration Corneille-Molière à l’aide d’une comparaison
systématique, fondée sur la méthode d’analyse matricielle de S. Marcus, des deux
corpus. Cette analyse permet de nier toute collaboration, tant la configuration est
différente d’un auteur à l’autre, même si s’exerce par ailleurs une influence du
premier sur le second.
La dernière section s’intitule « Du spectaculaire » et s’ouvre sur une contribution de Laurence Giavarini. Elle y étudie la tension qui caractérise le genre
pastoral entre l’imitation (comme réécriture des modèles) constitutive du genre et
la mimesis (comme « représentation du social »). La pastorale dramatique française, par la relation particulière qu’elle entretient, à la suite de L’Astrée, avec la
société aristocratique, son objet et son public, résoudrait cette tension en privilégiant l’avènement d’un sens commun. Bénédicte Louvat se consacre ensuite à la
comédie-ballet. A partir du cas de Georges Dandin, qu’elle lit à travers la relation
de Félibien, B. Louvat dresse une typologie de la comédie-ballet : plus les deux
parties constitutives de la pièce appartiennent au même registre, mieux s’opère une
« fusion des langages ». Georges Dandin représenterait l’écart maximal et poserait
la question même de la légitimité de la comédie parlée face à un public courtisan.
La dernière contribution, celle de Guy Spielman, offre à la fois le point
d’orgue et la clé de lecture de l’ensemble. Attaquant de front la question de la
dichotomie traditionnellement posée entre théâtre et spectacle, il en décèle les
origines scolaires et aristotéliciennes. Toute l’analyse du théâtre repose en effet
sur un corpus restreint de textes littéraires « classiques » du XVIIe siècle, composé
par des auteurs obéissant à des impératifs littéraires, et sur des critères d’analyse
fondés exclusivement sur la structure narrative. Il propose au contraire de prendre
en compte l’ensemble du corpus théâtral (y compris par exemple le théâtre de la
foire) des XVIIe et XVIIIe siècles pour y analyser une syntaxe du spectaculaire
fondée non sur un agencement diégétique, mais sur un agencement des effets, et
de leur variation. Cette contribution renouvelle ainsi de manière extrêmement
Book Reviews / Comptes rendus / 95
stimulante toute l’histoire théâtrale de l’âge dit « classique » par le panorama
même qu’au détour de sa démonstration elle en offre, et fournit sans doute la
meilleure conclusion, ouverte aux travaux placés dans cette perspective, de l’ensemble de l’ouvrage.
Par la richesse et la variété des domaines abordés et des perspectives adoptées,
ces deux volumes offrent donc un ensemble extrêmement utile qui est loin de
s’adresser seulement aux spécialistes ou amateurs de théâtre. Tout leur intérêt
consiste justement à montrer que le point de vue du spectacle permet une réévaluation générale de l’ensemble des formes d’expression culturelle.
NATHALIE DAUVOIS, Université de Toulouse II—Le Mirail
Mary E. Burke, Jane Donawerth, Linda L. Dove, and Karen Nelson, eds.
Women, Writing, and the Reproduction of Culture in Tudor and Stuart Britain.
Syracuse, NY: Syracuse University Press, 2000. Pp. xxx, 306.
This collection seeks to challenge the still widely accepted notion that women were
at the margins of early modern culture by instead positing women as producers of
culture. Taking their cue from cultural studies, the editors in their introductory
remarks outline the complex relationship which women had with early modern
culture. The dominant culture may have constructed and oppressed “woman,” yet,
in requiring women’s identification with its constructs, it actually depended on
women’s participation in the creation of culture. This dependence opened the door
for women’s negotiation with culture, for their resistance, and also, of course, for
their reproduction of the very structures which oppressed them.
Despite the complex model of women’s relationship to culture posited in the
introduction, however, most of the contributors to Women, Writing, and the
Reproduction of Culture concentrate on the more positive constructions of
women’s relationship with culture — namely, negotiation and resistance — and
shy away from women’s contribution to their own apparent silencing and marginalization. This is perhaps unsurprising for a collection which, despite its alignments with the poststructuralist assumptions of cultural studies, assumptions
which necessarily problematize women’s heroic agency, is still ultimately about
recuperation.
Some of the first essays in the collection show women using and reworking
the materials of their culture. Jane Donawerth demonstrates that some Tudor
women — her examples are Anne Lok, Isabella Whitney, and Mary Sidney —
conceived the creation, presentation, and circulation of texts in terms of the system
of gift exchange in which women were already active participants, presenting
embroidery or medicaments, for instance, as a way to cement social relationships.
Georgianna Ziegler’s thoroughly researched essay on Esther Inglis, a woman of
Huguenot family living in Scotland, shows how her manuscript “gift books”
transformed and personalized already printed works of devotion for her various