Les ravages du Régent Concurrent du Gaucho, insecticide accusé
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Les ravages du Régent Concurrent du Gaucho, insecticide accusé
Les ravages du Régent Concurrent du Gaucho, insecticide accusé de décimer les ruches, le fipronil, la molécule du Régent, se révèle encore plus dangereux pour les abeilles... et pour l'homme François Malye «Nous ne sommes plus en sécurité ici. Ce n'est plus possible. » En quelques mots, Marie-Noëlle Cauquil, 53 ans, apicultrice à Larra, près de Toulouse, a résumé la catastrophe du Régent. Certes, les apiculteurs voient depuis plusieurs années leur cheptel décimé par les produits toxiques utilisés dans l'agriculture. Ils se battent depuis longtemps contre le Gaucho, insecticide du laboratoire Bayer qui a causé des ravages dans la filière apicole et a été interdit partiellement en 1999. Mais, jusqu'à maintenant, les abeilles mouraient l'été, quand elles allaient butiner les fleurs. Jamais au printemps. « Il y avait un tapis noir d'abeilles mortes devant les ruches. Au moins 5 centimètres d'épaisseur. Une mortalité foudroyante et très supérieure à celle due au Gaucho », explique JeanClaude Cauquil, 53 ans. En cette chaude journée d'avril 2002, les abeilles ne vont pas être les seules à souffrir. Pour MarieNoëlle, ce sera un subit oedème du visage, des nausées, des éruptions de boutons. « Quand JeanClaude est revenu des ruches, il avait les yeux comme des abricots. » Beaucoup plus ennuyeuses encore sont les douleurs musculaires dont il a souffert de longs mois et les découvertes faites lors d'examens à l'hôpital Purpan de Toulouse : désordre dans la composition sanguine et hypertrophie inexpliquée du foie. « Bien sûr, certains de ces symptômes peuvent avoir une origine allergique, explique le docteur Carole Mathieu, médecin de la Mutualité sociale agricole (MSA) de Toulouse. Mais nous avons eu quand même douze cas semblables en même temps dans le voisinage. » 3 000 ruches décimées L'affaire du Régent commence. Ce puissant insecticide commercialisé par BASF est aujourd'hui au coeur de deux informations judiciaires, ouvertes à Paris et à Saint-Gaudens, affaires dans lesquelles les premières mises en examen devraient intervenir prochainement, révélant, au passage, les curieuses pratiques du ministère de l'Agriculture et des industriels concernés. Mais, au printemps de 2002, personne ne comprend encore ce qui s'est produit dans les nombreuses exploitations apicoles comme celle des Cauquil. Près de 3 000 ruches ont en effet été décimées dans la seule région MidiPyrénées et d'autres, en Vendée, ont été durement touchées. A Larra, une cellule de crise réunissant les représentants de toutes les administrations locales pense d'abord à une fraude, à un produit artisanal bricolé dans les arrière-cours de ferme et vendu « au cul des camions. » C'est en tout cas la piste sur laquelle la DGAL (Direction générale de l'alimentation) du ministère de l'Agriculture, chargée de superviser l'utilisation des produits phytopharmaceutiques, oriente le juge d'instruction du tribunal de Saint-Gaudens, Jean Guary. Un juge qui a un passé. En instruisant une partie de l'affaire du préfet Bonnet et celle du Crédit agricole de Corse, Jean Guary n'a pas gagné la réputation d'être un tendre. Et il va rapidement le prouver en démantelant un véritable réseau dont il met une vingtaine de membres en examen. Problème : aucun des produits « bricolés » n'est susceptible de causer de tels dégâts. En revanche, la tension monte d'un cran avec le ministère de l'Agriculture lorsque la DGAL refuse de lui communiquer les analyses qu'elle a fait réaliser par l'AFSSA (Agence française de sécurité sanitaire des aliments) sur les abeilles mortes. Le juge doit les faire saisir et découvre alors que c'est le fipronil, molécule active du Régent, qui a tué les abeilles. Reste à comprendre comment. Avril 2003. L'hécatombe reprend. Et l'on découvre que l'enrobage des semences par du Régent est défectueux. Lors des semis il dégage des poussières toxiques de fipronil. Les concentrations sont importantes, équivalentes à quatre fois la dose létale pour les abeilles. Chez Syngenta, deuxième semencier mondial, qui a fabriqué les produits mis en cause, on décline toute responsabilité : « On cherche un bouc émissaire », lâche Christian Morin, directeur de la communication. Or Syngenta est également mise en accusation par les apiculteurs dans une autre affaire. Pour se débarrasser de ses semences déclassées, dont le fameux Gaucho, Syngenta, au lieu de les incinérer, comme le prévoit la loi, en a fait enfouir 100 tonnes par an par un agriculteur peu scrupuleux sur le terrain de son exploitation (voir encadré) ! Pour la santé publique, les dangers du Régent ne s'arrêtent pas à ce qu'ont subi les Cauquil. Dès 1993, la commission des toxiques, chargée au sein du ministère d'examiner la dangerosité des produits, donnait un avis défavorable à la première version du Régent. Elle s'inquiétait de l'« affinité » du fipronil, cette molécule neurotoxique, pour la matière grasse et du risque de « transfert dans le lait », le maïs d'ensilage étant utilisé pour nourrir les vaches laitières. Le risque « pour les nourrissons et les bambins » sera estimé dans une autre étude à 93 % de la dose journalière autorisée ! Et pourtant le nouveau Régent - dont le principe actif est identique - est autorisé en décembre 1995. Enfin, c'est ce que tout le monde croit. La firme Aventis - née de la fusion Bayer Rhône-Poulenc, inventeur de la molécule fipronil - avance même, dans son catalogue 2000, un numéro d'autorisation de mise sur le marché (AMM). En réalité, le Régent n'a obtenu en 1995 qu'une autorisation provisoire de vente (APV), renouvelée depuis à trois reprises. Ce qui est interdit, tout comme de délivrer une APV à un produit phytopharmaceutique, car cela évite quelques investigations scientifiques indispensables. Mieux, dans le cas d'un produit classé « Toxique plus » comme le Régent, un arrêté interministériel est nécessaire. Or, à ce jour, on n'en trouve nulle trace. Bilan : le Régent ne peut être utilisé en aucune manière, sauf à accepter de violer l'ensemble de la réglementation. Alors, comment expliquer l'attitude du ministère de l'Agriculture ? Faut-il parler d'incompétence ou plutôt de mansuétude ? Jean-René Fourtou, à l'époque président de Rhône-Poulenc, livre quelques pistes de réflexion lors d'une audition, le 2 mars 1999, devant la commission d'enquête sur le fonctionnement des entreprises publiques de l'Assemblée nationale : « Nous avons mis sur le marché des produits nouveaux qui se vendent très bien [...], une molécule qui s'appelle le fipronil, employé comme insecticide dans la protection des cultures mais aussi comme antiparasitaire dans le domaine vétérinaire ou la tenue des maisons. L'ensemble des applications du fipronil atteint 440 millions de dollars de chiffre d'affaires cette année, en progression de 60 % par rapport à l'année précédente. » On l'a compris, le fipronil est l'un des trois produits stratégiques de Rhône-Poulenc qui, à l'époque, s'apprête à être racheté par Bayer pour devenir Aventis. La mariée doit être belle. Peut-être a- t-on pensé, en délivrant l'autorisation, qu'il n'était pas raisonnable de la priver de l'un de ses joyaux. Au final, Aventis, le 21 mars 2003, vendra, sur injonction de Bruxelles, une partie de ses actifs à BASF, dont sa division phytosanitaire, qui comprend le fameux fipronil. Une administration défaillante A Saint-Gaudens, les dénégations des différents responsables du ministère de l'Agriculture quant à la dangerosité du Régent n'arrangent rien avec le juge Jean Guary. Ce qui va permettre d'en apprendre de belles. Quand il convoque de nouveau Yves Schenfeigel, responsable du bureau qui gère l'homologation de ces produits au ministère de l'Agriculture, celui-ci, à bout d'arguments, choisit d'ouvrir le parapluie. Cette fois, ce haut fonctionnaire qui, lors de ses auditions, ne s'expliquait pas la mortalité des abeilles, remet au juge une lettre de sept pages écrite au début de juin 2003, envoyée à sa hiérarchie et dans laquelle il décrit en détail les conditions ubuesques dans lesquelles fonctionne son service. Trois fonctionnaires pour traiter 20 000 demandes d'autorisation par an, « une cogestion de l'évaluation des risques avec les industriels », « une absence de transparence dans les procédures » et quelques perles comme celle-ci : « En matière d'évaluation des risques, le domaine des résidus de pesticides dans les aliments est insuffisamment couvert. » Une litanie qui s'achève par cette constatation incroyable : « Le bureau est dans l'impossibilité de remplir ses missions. » On comprend mieux comment le Régent est devenu l'un des premiers insecticides vendus en France. Pour Jean-Marc Petat, directeur du département filières chez BASF, toute cette affaire peut s'expliquer : « Certes, le fipronil tue les abeilles, c'est un inconvénient. Mais ce qui s'est produit en 2002 et 2003 est un accident. Quant à l'AMM, nous n'en possédons pas, mais nous disposons d'un document officiel du ministère qui nous permet de vendre le Régent. » « Nous avons un droit de l'environnement très raffiné, très précis, conclut Me Bernard Fau, qui défend la filière apicole. Mais, à la lumière de cette affaire comme de celle du Gaucho, on s'aperçoit que ce n'est qu'une façade derrière laquelle se cachent les nombreuses déviances des industriels, déviances que l'administration laisse perdurer. » Un épandage sauvage « Regardez, c'est une véritable décharge chimique. Sur laquelle on cultive. » Planté sur une hauteur, Maurice Coudoin ne décolère pas en montrant la ferme de la famille Béteille. L'affaire débute en juin 2002 quand cet apiculteur de 57 ans de Verteuil-d'Agenais (Lot-et-Garonne) apprend que, depuis plusieurs semaines, deux ou trois camions déchargent régulièrement des palettes de sacs de semences sur la propriété de la famille Béteille. Il apprend vite que ces produits déclassés, en provenance de la société Syngenta, sont enfouis dans les terres de l'exploitation voisine. Petite précision : pour se débarrasser de ces semences enrobées de produits toxiques, les industriels n'ont que deux solutions autorisées, l'incinération ou la décharge de classe 1 réservée aux déchets ultimes. La DRIRE (Direction régionale de l'industrie de la recherche et de l'environnement) va effectuer une enquête sur le terrain en août 2002. Elle conclut que « la méthode de destruction ne respecte pas la protection des personnes et de l'environnement ». En fait, c'est le surplus total de Syngenta, soit 100 tonnes par an depuis quatre ans, qui a été enfoui sur une partie de ces 100 hectares, selon les chiffres communiqués par la société elle-même. « Il y en avait 10 centimètres d'épaisseur par endroits », s'offusque Maurice Coudoin. Dont, selon les réponses faites par la société Syngenta à la DRIRE, au moins 10 % de semences enrobées de Gaucho. Maurice Coudoin fait alors réaliser des prélèvements par un laboratoire spécialisé. « J'ai vu une partie des résultats. Dans certains pollens de fleurs du maïs issu de cet enfouissement massif, on trouve des doses de mille parts par milliard alors que dans l'affaire Gaucho on obtient seulement trois parts par milliard », ce que confirme Jean-Marc Bonmatin, du CNRS, qui a analysé ces prélèvements. « Evidemment, quand l'épandage normal se fait à hauteur de 20 kilos par hectare, on doit être là-bas à près de 100 tonnes sur la même surface », explique Maurice Coudoin. « C'est de l'affabulation ! répond Christian Morin, directeur de la communication de Syngenta. Cela oscillait entre 4 et 5 tonnes par hectare. » Soit, tout de même, deux cents fois la dose autorisée... Mieux, pour ouvrir les sacs une combinaison et un masque de protection sont évidemment obligatoires, en raison des dégagements de poussières hautement toxiques. Ici, sur les photos prises par Maurice Coudoin, on voit des adolescents en tee-shirt qui ouvrent les sacs à grands coups de machette, sans aucune protection. Une plainte est déposée auprès du tribunal de Marmande et l'administration met en demeure, en juin 2003, l'industriel et l'agriculteur de mettre fin à ces pratiques. Au passage, Syngenta écope d'un procès-verbal de la DRIRE. « Mais ces produits ne sont pas toxiques, ces semences auraient même pu être reçues par de simples décharges d'ordures ménagères », répond, sans rire, Christian Morin. « C'est totalement faux. Comment peut-on imaginer que la toxicité des semences disparaît parce qu'elles sont simplement déclassées ? » répond Me Bernard Fau, avocat des apiculteurs. Reste la production de l'exploitation Béteille. Tournesol, maïs - qui nourrit également les belles blondes d'Aquitaine de la famille Béteille - sont vendus à la coopérative Terre du Sud, qui estime « ne pas être concernée » par cette production dopée F. M.
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