“Apporter ma pierre À L`É DIFICE...”
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“Apporter ma pierre À L`É DIFICE...”
18 Avec Jacques Borlée à Kinshasa HORS-JEU HORS-JEU 19 PAR LAURENT MONBAILLU, ENVOYÉ SPÉCIAL EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO PRÉVENTION “Apporter ma pierre À L’É DIFICE...” LA pour éviter les drames s’est rendu au Congo pour 8 L’entraîneur soutenir l’action de SOS Village d’Enfants A “Cinquante-trois ans après, me voilà donc de retour au pays !” Peu de monde connait l’attachement de Jacques Borlée à l’Afrique, et plus particulièrement au Congo, ce pays où il a vu le jour, en septembre 1957 à Stanleyville (Kisangani) – alors que son père était gouverneur du Kivu – et qu’il évoque toujours avec beaucoup d’émotion. Des racines qui ont immanquablement contribué à façonner la personnalité du plus médiatique des entraîneurs belges. Nous l’avons suivi durant trois jours, la semaine passée, à Kinshasa où dans le cadre de l’action menée par l’assocation humanitaire SOS Villages d’Enfants, il a dispensé des cours d’athlétisme à de jeunes Congolais, au Village de Nsele (six épreuves au menu de ces jeunes écoliers), dans la banlieue de Kimbanseke et dans le Stade des Martyrs en présence d’athlètes proposés par la fédération. Et tant pis pour ceux qui n’aiment pas courir à 6h du matin ! “Cela va vous paraitre bizarre mais je suis capable de désinvolture”, explique Jacques Borlée. “Tout le monde croit que je suis dur et intransigeant, et c’est vrai que j’ai ce côté-là parce qu’il le faut pour réussir, mais je suis aussi désinvolte à certains moments. Je m’appuie, en fait, beaucoup sur mon intuition. Par ailleurs, le système africain est resté longtemps ancré dans mon mode de fonctionnement, un héritage de mon éducation.” Ce retour aux sources, pour la bonne cause, lui a donc semblé naturel. “Je voulais revenir au Congo un jour mais l’occasion ne s’était jamais présentée”, pour- suit-il. “Moins pour une question de nostalgie par rapport à ce superbe pays, dont mes parents qui résidaient à Bukavu ont conservé de fabuleuses photos, que pour apporter ma petite pierre à l’édifice, même si je suis bien conscient que je ne vais rien révolutionner. Si ma santé me le permet, d’ici dix ans, j’aimerais pouvoir me dire que j’aurai contribué à structurer ici ce sport que j’adore, en préparant un peu le terrain, en apportant mes connaissances aux entraîneurs locaux, même si je n’ai strictement rien à gagner dans l’aventure.” Comment s’y prendre ? “Pour bâtir, il faut s’appuyer sur le suc- : Jacques Borlée a décidé de soutenir l’action humanitaire menée par SOS Villages d’Enfants et de soutenir l’athlétisme au Congo. “IL Y A CERTAINEMENT l’un ou l’autre Usain Bolt ici” 8 Le technicien de 56 ans insiste sur les vertus structurantes de l’activité sportive Jacques Borlée, vous avez intitulé votre exposé destiné aux entraîneurs et autres dirigeants de l’athlétisme congolais “Le coaching de l’espoir”. Pour quelle raison ? “Parce que l’Afrique, dans cinquante ans, peut-être un peu plus, sera LE continent. Il y a une telle force, une telle puissance qui s’en dégage que c’est une certitude. Cela prendra du temps mais quand vous avez 60 % de jeunes dans ce pays, je ne vois pas pourquoi les Congolais seraient moins forts que les Jamaïcains ou que les Américains. Ils ont de telles qualités physiques ! Certains jeunes sont impressionnants. Je pense qu’il y a certainement l’un ou l’autre Usain Bolt ici, mais il va falloir beaucoup travailler. Il faut arriver à exploiter ce talent, à défricher, à mettre tout en forme, à s’occuper de la formation, à structurer. L’intérêt du sport de haut niveau est de soutenir l’excellence et de montrer que quand on travaille bien, on fait des choses grandioses. Le sport, à la base, est une formation extraordinaire. C’est une école de vie inouïe.” www.dhPbe I VENDREDI 4 OCTOBRE 2013 I LA DERNIÈRE HEURE - LES SPORTS Même dans un contexte aussi délicat que celui-ci ? “Absolument ! Ce sont des moments où les différentes classes sociales vivent ensemble, où les jeunes bougent, se structurent et apprennent à grandir. Le sport joue un rôle moteur dans l’épanouissement de cette jeunesse.” Les moyens financiers apparaissent pourtant très faibles. “C’est vrai, mais voyez ce stade de 90.000 places qui n’est pas mal du tout. C’est sûr qu’il y a des choses à améliorer, à changer, mais il peut y avoir une ambiance fantastique. On peut faire aussi des pistes en herbe, cela pousse comme © L. M. rien, il ne faut pas toujours du tartan. La seule chose, c’est que sans coach, vous n’avez pas d’athlètes. Il faut former ces coaches et faire du sport dans les écoles parce que c’est terriblement structurant. Cela s’est vu lors des petites compétitions que l’on a données ici. On apprend à tout faire à la perfection sous peine d’être éliminé.” Vous avez insisté tout au long de ce séjour sur l’éducation. “Oui, c’est la base de tout. Travaillant dans la neuroscience, je sais que la structuration du cortex et la gestion de l’émotionnel se complètent. L’étude structure le cerveau; le sport, aussi.” Comment résumeriez-vous ce que vous avez ressenti ici ? “J’ai ressenti avant tout beaucoup d’enthousiasme. Cette expérience m’a donné beaucoup de fraîcheur. En principe, il est impossible de donner un entraînement cès, comme notre famille l’a fait avec ceux d’Olivia en 2007 et 2008. Ici, on pourrait s’appuyer sur Gary Kikaya, un athlète exceptionnel, et son père qui se disent prêts à faire des choses, à soutenir le projet. Avec l’aide de l’un ou l’autre universitaire, qui peuvent servir de relais sur place, on peut espérer structurer quelque chose. À condition de faire preuve de rigueur...” JACQUES BORLÉE S’EST, par ailleurs, montré sensible aux efforts de SOS Village d’Enfants à Nsele, dans l’Est de Kinshasa, où un cadre de vie de qualité (deux écoles, un centre médical,…) est proposé à 150 orphelins, répartis dans quinze maisons où ils évoluent sous le regard plein de tendresse des mamans qui les ont pris en charge. “C’est Kim Gevaert qui, la première, nous avait sensibilisés, mes enfants et moi, à l’action de SOS, à la veille des Jeux Olympiques de Pékin”, reprend le coach, rebaptisé papa Jacques par les enfants du villlage. “On a déjà fait de petites actions, mais on va en faire de plus en plus. Je voulais voir à quoi nous pouvions servir exactement. J’ai vécu une semaine forte et je vais m’exprimer sur ce que j’ai vu, expliquer que l’action de SOS Village d’Enfants est formidable. Je n’ai pas de leçon à donner aux autres sportifs belges (NdlR : Kim Gevaert, Kim Clijsters et Vincent Kompany sont des ambassadeurs de l’association) mais il est clair que si on peut encore amplifier la caisse de résonance, ce serait génial !” avec 200, 300 personnes autour du terrain. Et je dis toujours qu’il ne faut pas plus de dix athlètes; ici, au stade, j’en avais 50 ! J’étais sceptique mais tout s’est imbriqué de manière incroyable.” Quel a été, pour vous, le moment le plus marquant ? “J’ai trouvé, quand on était dans cette école de Kimbanseke, que les enfants étaient terriblement réservés. Je n’ai pas vu la même flamme qu’ailleurs et je pense que la dureté de la vie y est pour beaucoup. Cela m’a touché. La situation n’est pas explicable ! C’est impossible, il faut le vivre pour comprendre. On ressent parfois une grande impuissance : que faire ? Par où commencer ? Malgré tout, j’essaie de faire un peu bouger les choses en Belgique et en Europe. Je vais m’atteler à conscientiser les hommes politiques et la population pour essayer de changer cette situation.” 8 Le Programme de renforcement des locutrice. “Une estimation du niveau d’auto-suffisance de chaque familles prouve son utilité à Kimbanseke cellule familiale est alors réalisé.” Avec, bien souvent, des exemA Déambulant dans les dédales nautaire (regroupements ples de réussite très encourasablonneux du quartier Man- de ménages, solidageants, à l’image de ce père gana, sis dans la commune de rité) à travers des de famille qui a lancé sa e tir “Je Kimbanseke – la plus peuplée campagnes de propre activité d’élemon chapeau (1,8 million d’habitants) mais sensibilisation vage, de cette maman aussi la plus pauvre de la ville ou des activités dont l’étal de fruits et à ceux qui de Kinshasa –, Jacques Borlée a psycho-socialégumes ne cesse de un ns da oeuvrent pu mesurer l’ampleur du dé- les.” prendre de l’ampleur i ss au te contex sastre qui guette à chaque coin ou de ce jeune homme difficile” de rue. Mais aussi apprécier les AU-DELÀ DU de 19 ans reconverti en efforts consentis au travers du renforcement des chauffeur après l’obtenProgramme de renforcement noyaux familial et tion de son permis de condes familles, créé par SOS Villa- communautaire, l’objectif est duire. ges d’Enfants avec les autorités de permettre aux familles con“Je tire mon chapeau à tous locales et d’autres organismes cernées d’accéder rapidement ceux qui, dans un contexte aussi de bienfaisance. Une action de à l’autonomie. “Notre action est difficile, oeuvrent pour redynamiprévention visant à soutenir limitée dans le temps, deux ou ser ces quartiers”, souligne un les familles en grande diffi- trois ans”, poursuit notre inter- Jacques Borlée très ému. culté, de manière à prévenir les drames et à éviter les abandons d’enfants, mais qui vise aussi à faire jouer la solidarité au sein de la communauté. “Pour l’heure, notre programme concerne 110 enfants KINSHASA Le Brussels Ekiden, reversé intégralement à l’assodans 33 familles, celles-ci étant marathon-relais par équipes de ciation SOS Village d’Enfants. réparties dans trois quartiers de six coureurs qui se disputera le Au total, 30.000 € devraient Kimbanseke”, nous explique la samedi 19 octobre à Bruxelles, donc être collectés. “Il est vraicoordinatrice du Programme. permet à chacun de soutenir ment important qu’un moment “Nous disposons de trois clés directement le Village d’Endonné, mes enfants viennent d’intervention : la première confants SOS de Kinshasa. De quel- aussi au Congo, même si c’est cerne les besoins essentiels des le manière ? En intégrant l’une davantage mon histoire personenfants tels la scolarité, les soins des équipes mises sur pied par nelle”, estime Jacques Borlée. médicaux et la sécurité alimenJacques, Kevin et Jonathan Bor- “Pour mieux conscientiser, pour taire, la seconde se rapporte au lée. Pour ce faire, il vous faut mieux témoigner. Leur notoriété renforcement des capacités des récolter une somme de 2.000 € doit aussi servir à de telles caufamilles ( formation et informa(grâce à une collecte de fonds ses. Je sais qu’ils y sont déjà sention des parents, attribution de ou du sponsoring), un montant sibles. À Bali, notamment, ils ont micro-crédits pour lancer de petiqui vous permettra de disputer été confrontés à la pauvreté, et tes activités,...) et la troisième a l’épreuve et, surtout, qui sera ils m’ont appelé pour en parler.” trait au développement commu- Trois équipes Borlée au Brussels Ekiden : Gary Kikaya n’a pas hésité à faire le voyage depuis les Etats-Unis pour encadrer les jeunes orphelins du Village SOS. © L. M. Gary Kikaya, une figure du sport africain KINSHASA Ancien adversaire de Kevin et Jonathan Borlée sur 400 m (“Ils étaient encore tout jeunes !”), demi-finaliste aux Jeux d’Athènes ainsi qu’à ceux de Pékin, Gary Kikaya a répondu favorablement à l’invitation de Jacques Borlée. “Cela faisait cinq ans que je n’étais plus venu dans mon pays : je suis là pour aider un peu”, explique le sympathique ex-athlète congolais, qui détient toujours un impressionnant record d’Afrique (avec 44.10, chrono établi en 2006, il est le 14e performeur de l’histoire et surtout le 2e non-Américain). “Originaire de Lubumbashi, je suis désormais établi en Caroline du Nord, aux ÉtatsUnis.” Gary Kikaya est une figure incontournable du sport africain. “À la différence de beaucoup de mes compatriotes, j’ai eu la chance, étant jeune, de pouvoir compter sur mon père (NdlR : aujourd’hui ambassadeur du Congo à Londres), qui a étudié aux États-Unis et a trouvé du travail comme diplomate, à l’époque, en Afrique du Sud. Ce sont deux pays qui ont compté pour moi. J’ai quitté le Congo à 12 ans. Ensuite j’ai couru pour l’université du Tennessee et réussi une belle carrière professionnelle, sourit-il. Il y a du talent au Congo, c’est clair, mais le problème est le financement d’un vrai projet sportif. Les moyens sont trop limités. Et puis, en athlétisme, la motivation est une vertu; il faut avoir une passion débordante pour réussir. Dans le contexte que nous connaissons, c’est très difficile. Pour ma part, si je peux jouer un rôle à l’avenir, je n’hésiterai pas !” Une remarque qui n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd… : Une séance d’entraînement dans une école de Kimbanseke. © MONBAILLU LA DERNIÈRE HEURE - LES SPORTS I VENDREDI 4 OCTOBRE 2013 I www.dhPbe