“Apporter ma pierre À L`É DIFICE...”

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“Apporter ma pierre À L`É DIFICE...”
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Avec Jacques Borlée à Kinshasa
HORS-JEU
HORS-JEU
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PAR LAURENT MONBAILLU, ENVOYÉ SPÉCIAL EN RÉPUBLIQUE DÉMOCRATIQUE DU CONGO
PRÉVENTION
“Apporter ma pierre À L’É DIFICE...” LA
pour éviter les drames
s’est rendu au Congo pour
8 L’entraîneur
soutenir l’action de SOS Village d’Enfants
A “Cinquante-trois ans après, me
voilà donc de retour au pays !”
Peu de monde connait l’attachement de Jacques Borlée à
l’Afrique, et plus particulièrement au Congo, ce pays où il a
vu le jour, en septembre 1957 à
Stanleyville (Kisangani) – alors
que son père était gouverneur
du Kivu – et qu’il évoque toujours avec beaucoup d’émotion.
Des racines qui ont immanquablement contribué à façonner
la personnalité du plus médiatique des entraîneurs belges.
Nous l’avons suivi durant trois
jours, la semaine passée, à Kinshasa où dans le cadre de l’action menée par l’assocation humanitaire SOS Villages d’Enfants,
il a dispensé des cours d’athlétisme à de jeunes Congolais, au
Village de Nsele (six épreuves
au menu de ces jeunes écoliers), dans la banlieue de Kimbanseke et dans le Stade des
Martyrs en présence d’athlètes
proposés par la fédération. Et
tant pis pour ceux qui n’aiment
pas courir à 6h du matin !
“Cela va vous paraitre bizarre
mais je suis capable de désinvolture”, explique Jacques Borlée.
“Tout le monde croit que je suis
dur et intransigeant, et c’est vrai
que j’ai ce côté-là parce qu’il le
faut pour réussir, mais je suis
aussi désinvolte à certains moments. Je m’appuie, en fait, beaucoup sur mon intuition. Par
ailleurs, le système africain est
resté longtemps ancré dans mon
mode de fonctionnement, un héritage de mon éducation.”
Ce retour aux sources, pour
la bonne cause, lui a donc semblé naturel. “Je voulais revenir au
Congo un jour mais l’occasion ne
s’était jamais présentée”, pour-
suit-il. “Moins pour une question
de nostalgie par rapport à ce superbe pays, dont mes parents qui
résidaient à Bukavu ont conservé
de fabuleuses photos, que pour
apporter ma petite pierre à l’édifice, même si je suis bien conscient que je ne vais rien révolutionner. Si ma santé me le permet,
d’ici dix ans, j’aimerais pouvoir
me dire que j’aurai contribué à
structurer ici ce sport que j’adore,
en préparant un peu le terrain, en
apportant mes connaissances aux
entraîneurs locaux, même si je
n’ai strictement rien à gagner
dans l’aventure.”
Comment s’y prendre ? “Pour
bâtir, il faut s’appuyer sur le suc-
: Jacques Borlée a décidé de soutenir l’action humanitaire menée par SOS Villages d’Enfants et de soutenir l’athlétisme au Congo.
“IL Y A CERTAINEMENT
l’un ou l’autre Usain Bolt ici”
8 Le technicien de
56 ans insiste sur les
vertus structurantes
de l’activité sportive
Jacques Borlée, vous avez intitulé votre exposé destiné aux
entraîneurs et autres dirigeants
de l’athlétisme congolais “Le
coaching de l’espoir”. Pour
quelle raison ?
“Parce que l’Afrique, dans cinquante ans, peut-être un peu plus,
sera LE continent. Il y a une telle
force, une telle puissance qui s’en
dégage que c’est une certitude.
Cela prendra du temps mais
quand vous avez 60 % de jeunes
dans ce pays, je ne vois pas pourquoi les Congolais seraient moins
forts que les Jamaïcains ou que les
Américains. Ils ont de telles qualités physiques ! Certains jeunes
sont impressionnants. Je pense
qu’il y a certainement l’un ou
l’autre Usain Bolt ici, mais il va falloir beaucoup travailler. Il faut arriver à exploiter ce talent, à défricher, à mettre tout en forme, à
s’occuper de la formation, à structurer. L’intérêt du sport de haut niveau est de soutenir l’excellence et
de montrer que quand on travaille
bien, on fait des choses grandioses. Le sport, à la base, est une formation extraordinaire. C’est une
école de vie inouïe.”
www.dhPbe I VENDREDI 4 OCTOBRE 2013 I LA DERNIÈRE HEURE - LES SPORTS
Même dans un contexte aussi
délicat que celui-ci ?
“Absolument ! Ce sont des moments où les différentes classes sociales vivent ensemble, où les jeunes bougent, se structurent et apprennent à grandir. Le sport joue
un rôle moteur dans l’épanouissement de cette jeunesse.”
Les moyens financiers apparaissent pourtant très faibles.
“C’est vrai, mais voyez ce stade
de 90.000 places qui n’est pas mal
du tout. C’est sûr qu’il y a des choses à améliorer, à changer, mais il
peut y avoir une ambiance fantastique. On peut faire aussi des pistes en herbe, cela pousse comme
© L. M.
rien, il ne faut pas toujours du tartan. La seule chose, c’est que sans
coach, vous n’avez pas d’athlètes.
Il faut former ces coaches et faire
du sport dans les écoles parce que
c’est terriblement structurant.
Cela s’est vu lors des petites compétitions que l’on a données ici.
On apprend à tout faire à la perfection sous peine d’être éliminé.”
Vous avez insisté tout au long
de ce séjour sur l’éducation.
“Oui, c’est la base de tout. Travaillant dans la neuroscience, je
sais que la structuration du cortex
et la gestion de l’émotionnel se
complètent. L’étude structure le
cerveau; le sport, aussi.”
Comment résumeriez-vous ce
que vous avez ressenti ici ?
“J’ai ressenti avant tout beaucoup d’enthousiasme. Cette expérience m’a donné beaucoup de
fraîcheur. En principe, il est impossible de donner un entraînement
cès, comme notre famille l’a fait
avec ceux d’Olivia en 2007 et
2008. Ici, on pourrait s’appuyer
sur Gary Kikaya, un athlète exceptionnel, et son père qui se disent
prêts à faire des choses, à soutenir
le projet. Avec l’aide de l’un ou
l’autre universitaire, qui peuvent
servir de relais sur place, on peut
espérer structurer quelque chose.
À condition de faire preuve de rigueur...”
JACQUES BORLÉE S’EST, par
ailleurs, montré sensible aux efforts de SOS Village d’Enfants à
Nsele, dans l’Est de Kinshasa, où
un cadre de vie de qualité (deux
écoles, un centre médical,…)
est proposé à 150 orphelins, répartis dans quinze maisons où
ils évoluent sous le regard plein
de tendresse des mamans qui
les ont pris en charge.
“C’est Kim Gevaert qui, la première, nous avait sensibilisés, mes
enfants et moi, à l’action de SOS, à
la veille des Jeux Olympiques de
Pékin”, reprend le coach, rebaptisé papa Jacques par les enfants
du villlage. “On a déjà fait de petites actions, mais on va en faire
de plus en plus. Je voulais voir à
quoi nous pouvions servir exactement. J’ai vécu une semaine forte
et je vais m’exprimer sur ce que
j’ai vu, expliquer que l’action de
SOS Village d’Enfants est formidable. Je n’ai pas de leçon à donner aux autres sportifs belges
(NdlR : Kim Gevaert, Kim Clijsters et Vincent Kompany sont
des ambassadeurs de l’association) mais il est clair que si on
peut encore amplifier la caisse de
résonance, ce serait génial !”
avec 200, 300 personnes autour
du terrain. Et je dis toujours qu’il
ne faut pas plus de dix athlètes;
ici, au stade, j’en avais 50 ! J’étais
sceptique mais tout s’est imbriqué
de manière incroyable.”
Quel a été, pour vous, le moment le plus marquant ?
“J’ai trouvé, quand on était
dans cette école de Kimbanseke,
que les enfants étaient terriblement réservés. Je n’ai pas vu la
même flamme qu’ailleurs et je
pense que la dureté de la vie y est
pour beaucoup. Cela m’a touché.
La situation n’est pas explicable !
C’est impossible, il faut le vivre
pour comprendre. On ressent parfois une grande impuissance :
que faire ? Par où commencer ?
Malgré tout, j’essaie de faire un
peu bouger les choses en Belgique
et en Europe. Je vais m’atteler à
conscientiser les hommes politiques et la population pour essayer de changer cette situation.”
8 Le Programme de renforcement des
locutrice. “Une estimation du niveau d’auto-suffisance de chaque
familles prouve son utilité à Kimbanseke
cellule familiale est alors réalisé.”
Avec, bien souvent, des exemA Déambulant dans les dédales nautaire (regroupements
ples de réussite très encourasablonneux du quartier Man- de ménages, solidageants, à l’image de ce père
gana, sis dans la commune de rité) à travers des
de famille qui a lancé sa
e
tir
“Je
Kimbanseke – la plus peuplée campagnes de
propre activité d’élemon chapeau
(1,8 million d’habitants) mais sensibilisation
vage, de cette maman
aussi la plus pauvre de la ville ou des activités
dont l’étal de fruits et
à ceux qui
de Kinshasa –, Jacques Borlée a psycho-socialégumes ne cesse de
un
ns
da
oeuvrent
pu mesurer l’ampleur du dé- les.”
prendre de l’ampleur
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au
te
contex
sastre qui guette à chaque coin
ou de ce jeune homme
difficile”
de rue. Mais aussi apprécier les AU-DELÀ
DU
de 19 ans reconverti en
efforts consentis au travers du renforcement des
chauffeur après l’obtenProgramme de renforcement noyaux familial et
tion de son permis de condes familles, créé par SOS Villa- communautaire, l’objectif est duire.
ges d’Enfants avec les autorités de permettre aux familles con“Je tire mon chapeau à tous
locales et d’autres organismes cernées d’accéder rapidement ceux qui, dans un contexte aussi
de bienfaisance. Une action de à l’autonomie. “Notre action est difficile, oeuvrent pour redynamiprévention visant à soutenir limitée dans le temps, deux ou ser ces quartiers”, souligne un
les familles en grande diffi- trois ans”, poursuit notre inter- Jacques Borlée très ému.
culté, de manière à prévenir les
drames et à éviter les abandons d’enfants, mais qui vise
aussi à faire jouer la solidarité
au sein de la communauté.
“Pour l’heure, notre programme concerne 110 enfants
KINSHASA Le Brussels Ekiden,
reversé intégralement à l’assodans 33 familles, celles-ci étant
marathon-relais par équipes de ciation SOS Village d’Enfants.
réparties dans trois quartiers de
six coureurs qui se disputera le
Au total, 30.000 € devraient
Kimbanseke”, nous explique la
samedi 19 octobre à Bruxelles,
donc être collectés. “Il est vraicoordinatrice du Programme.
permet à chacun de soutenir
ment important qu’un moment
“Nous disposons de trois clés
directement le Village d’Endonné, mes enfants viennent
d’intervention : la première confants SOS de Kinshasa. De quel- aussi au Congo, même si c’est
cerne les besoins essentiels des
le manière ? En intégrant l’une
davantage mon histoire personenfants tels la scolarité, les soins
des équipes mises sur pied par
nelle”, estime Jacques Borlée.
médicaux et la sécurité alimenJacques, Kevin et Jonathan Bor- “Pour mieux conscientiser, pour
taire, la seconde se rapporte au
lée. Pour ce faire, il vous faut
mieux témoigner. Leur notoriété
renforcement des capacités des
récolter une somme de 2.000 € doit aussi servir à de telles caufamilles ( formation et informa(grâce à une collecte de fonds
ses. Je sais qu’ils y sont déjà sention des parents, attribution de
ou du sponsoring), un montant
sibles. À Bali, notamment, ils ont
micro-crédits pour lancer de petiqui vous permettra de disputer
été confrontés à la pauvreté, et
tes activités,...) et la troisième a
l’épreuve et, surtout, qui sera
ils m’ont appelé pour en parler.”
trait au développement commu-
Trois équipes Borlée au Brussels Ekiden
: Gary Kikaya n’a pas hésité à faire le voyage depuis les Etats-Unis
pour encadrer les jeunes orphelins du Village SOS. © L. M.
Gary Kikaya, une figure du sport africain
KINSHASA Ancien adversaire
de Kevin et Jonathan Borlée sur
400 m (“Ils étaient encore tout
jeunes !”), demi-finaliste aux
Jeux d’Athènes ainsi qu’à ceux
de Pékin, Gary Kikaya a répondu favorablement à l’invitation
de Jacques Borlée. “Cela faisait
cinq ans que je n’étais plus venu
dans mon pays : je suis là pour
aider un peu”, explique le sympathique ex-athlète congolais,
qui détient toujours un impressionnant record d’Afrique (avec
44.10, chrono établi en 2006, il
est le 14e performeur de l’histoire et surtout le 2e non-Américain). “Originaire de Lubumbashi, je suis désormais établi en
Caroline du Nord, aux ÉtatsUnis.” Gary Kikaya est une figure incontournable du sport africain. “À la différence de beaucoup de mes compatriotes, j’ai
eu la chance, étant jeune, de
pouvoir compter sur mon père
(NdlR : aujourd’hui ambassadeur du Congo à Londres), qui a
étudié aux États-Unis et a trouvé
du travail comme diplomate, à
l’époque, en Afrique du Sud. Ce
sont deux pays qui ont compté
pour moi. J’ai quitté le Congo à
12 ans. Ensuite j’ai couru pour
l’université du Tennessee et
réussi une belle carrière professionnelle, sourit-il. Il y a du talent
au Congo, c’est clair, mais le problème est le financement d’un
vrai projet sportif. Les moyens
sont trop limités. Et puis, en athlétisme, la motivation est une
vertu; il faut avoir une passion
débordante pour réussir. Dans le
contexte que nous connaissons,
c’est très difficile. Pour ma part,
si je peux jouer un rôle à l’avenir,
je n’hésiterai pas !” Une remarque qui n’est pas tombée dans
l’oreille d’un sourd…
: Une séance d’entraînement dans une école de Kimbanseke. © MONBAILLU
LA DERNIÈRE HEURE - LES SPORTS I VENDREDI 4 OCTOBRE 2013 I www.dhPbe