PREMIÈRE SECTION AFFAIRE VALADA MATOS DAS NEVES c

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PREMIÈRE SECTION AFFAIRE VALADA MATOS DAS NEVES c
PREMIÈRE SECTION
AFFAIRE VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
(Requête no 73798/13)
ARRÊT
STRASBOURG
29 octobre 2015
Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la
Convention. Il peut subir des retouches de forme.
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
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En l’affaire Valada Matos das Neves c. Portugal,
La Cour européenne des droits de l’homme (première section), siégeant
en une Chambre composée de :
András Sajó, président,
Khanlar Hajiyev,
Mirjana Lazarova Trajkovska,
Julia Laffranque,
Paulo Pinto de Albuquerque,
Linos-Alexandre Sicilianos,
Dmitry Dedov, juges,
et de Søren Nielsen, greffier de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 octobre 2015,
Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :
PROCÉDURE
1. À l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 73798/13) dirigée
contre la République portugaise et dont un ressortissant de cet État, M. Rui
Pedro Valada Matos das Neves (« le requérant »), a saisi la Cour le
25 novembre 2013 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales (« la Convention »).
2. Le requérant a été représenté par Me R. Matias, avocate à Lisbonne.
Le gouvernement portugais (« le Gouvernement ») a été représenté par son
agente, Mme M. F. da Graça Carvalho, procureure générale adjointe.
3. Le 17 septembre 2014, la requête a été communiquée au
Gouvernement.
EN FAIT
I. LES CIRCONSTANCES DE L’ESPÈCE
4. Le requérant est né en 1963 et réside à Queluz.
5. Le 10 décembre 1990, alors qu’il était en dernière année
d’architecture paysagiste à l’université, le requérant fut engagé par la mairie
de Lisbonne, pour une période d’un an, comme stagiaire au sein du
département d’hygiène urbaine et des résidus solides de la direction
municipale des infrastructures et de l’assainissement.
6. Au terme de son stage, le 10 décembre 1991, la mairie de Lisbonne
conclut avec lui un contrat visant la prestation de services d’architecte au
sein du département où il avait effectué son stage, pour une période d’un an.
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7. Le contrat fut reconduit annuellement.
8. À partir de l’année 1998, il fut demandé au requérant de coordonner
un projet de développement urbain à Lisbonne au sein d’un cabinet d’appui
au maire de Lisbonne.
9. Le 30 juillet 2002, la mairie de Lisbonne mit un terme aux activités
dudit cabinet, se dispensant ainsi des services du requérant.
10. Le 9 juin 2003, le requérant assigna la mairie de Lisbonne, le maire
et la municipalité de Lisbonne devant le tribunal administratif de Lisbonne
(Tribunal Administrativo de Círculo de Lisboa) demandant la
reconnaissance du contrat de travail qui le liait avec la mairie de Lisbonne.
Il réclama le droit à la catégorie professionnelle de conseiller en architecture
paysagiste, demandant que lui soient versés les salaires, les indemnités et
des dommages et intérêts fondés sur l’existence d’un tel contrat de travail.
11. Le 29 octobre 2003, les défendeurs présentèrent leurs conclusions en
réponse, soulevant deux exceptions, l’une tirée de l’absence de qualité
(ilegitimidade passiva) de la mairie et de la municipalité de Lisbonne et,
l’autre, tirée de la prescription.
12. Le 17 novembre 2003, le requérant présenta son mémoire en
réplique.
13. En avril 2004, en vertu de la réforme du code de procédure des
tribunaux administratifs, l’affaire fut transférée au tribunal administratif et
fiscal de Lisbonne.
14. Le 3 janvier 2006, le requérant demanda au tribunal des informations
sur le progrès de la procédure.
15. Le 6 janvier 2006, le tribunal répondit que la procédure était en
cours et qu’il devait attendre.
16. Entre 2007 et 2008, le requérant se renseigna à plusieurs reprises sur
l’avancement de la procédure auprès du greffe du tribunal.
17. Par une ordonnance du 6 novembre 2009, le tribunal fit partiellement
droit aux exceptions qui avaient été soulevées par les défendeurs,
considérant que seul le maire de Lisbonne avait qualité pour ester en justice.
Il estima en outre qu’il n’était pas nécessaire d’entendre des témoins, les
documents joints au dossier permettant d’établir suffisamment les faits.
18. Le 25 novembre 2009, le tribunal invita les parties à présenter des
mémoires complémentaires (alegações complementares).
19. Le 17 juin 2011, le tribunal invita à nouveau les parties à présenter
leurs mémoires complémentaires, ce que le requérant fit le 11 juillet 2011 et
les défendeurs, le 20 septembre 2011.
20. Dans un avis juridique présenté au tribunal le 7 février 2012, le
ministère public reconnut l’existence d’un contrat de travail, depuis le
27 novembre 1991, entre la mairie de Lisbonne et le requérant. Il estimait
ainsi que ce dernier devait être admis à la catégorie professionnelle
d’architecte paysagiste.
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21. Le 11 juillet 2012, le requérant adressa une lettre au tribunal dans
laquelle il se plaignait du retard pris pour examiner sa cause.
22. Le tribunal administratif de Lisbonne prononça son jugement le
5 mars 2013. Faisant partiellement droit au requérant, le tribunal considéra
qu’il existait un contrat de travail entre ce dernier et la mairie de Lisbonne
depuis le 10 décembre 1990. Il estima en outre que devaient lui être
reconnus les catégories et carrières professionnelles conformément aux
différentes fonctions qu’il avait exercées.
23. Le 18 mars 2013, le maire de Lisbonne forma un appel contre le
jugement. Le tribunal admit le recours avec effet suspensif et renvoya
l’affaire devant le tribunal central administratif du Sud.
24. Le 17 mai 2013, le requérant demanda au tribunal central
administratif du Sud de déclarer l’extinction de l’instance d’appel au motif
que le maire défendeur n’avait pas présenté son mémoire en appel
(alegações de recurso) dans le délai qui lui était imparti.
25. Par une ordonnance du 27 mai 2013, le tribunal central administratif
prononça l’extinction de l’instance.
II. LE DROIT ET LA PRATIQUE INTERNES PERTINENTS
A. La Constitution
26. L’article 20 § 4 de la Constitution de 1976 consacre le droit à une
« décision judiciaire dans un délai raisonnable ». L’article 22 définit par
ailleurs la responsabilité civile de l’État et de ses organes et agents dans les
termes suivants :
« L’État et les autres entités publiques sont civilement responsables,
conjointement avec les membres de leurs organes et leurs fonctionnaires ou agents,
de toutes les actions ou omissions commises par ceux-ci dans l’exercice ou à cause
de l’exercice de leurs fonctions et dont il résulte des violations des droits, libertés et
garanties ou un préjudice pour autrui. »
B. La loi no 67/2007 du 31 décembre 2007
27. La loi no 67/2007 du 31 décembre 2007, dans sa rédaction issue de la
loi nº 31/2008 du 17 juillet 2008, dans ses parties pertinentes se lit ainsi :
Article 7
Responsabilité exclusive de l’État et des autres personnes morales de droit public
« 1. L’État et les personnes morales de droit public sont exclusivement responsables
pour les dommages qui résultent d’actions ou omissions illicites, commises par faute
légère, par les titulaires de ses organes, fonctionnaires ou agents, dans l’exercice de la
fonction administrative et en raison de celui-ci.
(...)
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3. L’État et les autres personnes morales de droit public sont aussi responsables
lorsque les dommages n’ont pas été causés par un comportement concret du titulaire
de l’organe, d’un fonctionnaire ou d’un agent déterminé, ou dont la responsabilité
pour l’acte ou pour l’omission ne peut être établie, mais doivent être attribués au
fonctionnement anormal du service.
4. Il existe fonctionnement anormal de service lorsque, en tenant compte des
circonstances et des standards moyens de résultat, si une manière d’agir capable
d’éviter les dommages produits pouvait être raisonnablement exigée du service. »
Article 8
Responsabilité solidaire en cas de dol ou faute grave
« 1. Les titulaires d’organes, fonctionnaires et agents sont responsables des
dommages qui résultent d’actions ou d’omissions illicites pratiquées avec dol ou avec
une démarche ou un zèle manifestement inférieurs à ce qui étaient attendus d’eux eu
égard au poste occupé.
2. L’État et les personnes morales de droit public sont responsables de façon
solidaire avec les titulaires respectifs des organes, fonctionnaires et agents, s’ils ont
pratiqué les actions et omissions indiquées au numéro précédent dans l’exercice de
leurs fonctions et en raison de celui-ci.
(...) »
Article 9
Illégalité (illicitude)
« 1. Sont considérées comme illégales les actions et omissions des titulaires
d’organes, fonctionnaires et agents qui violent les dispositions ou principes
constitutionnels légaux ou réglementaires ou enfreignent les règles d’ordre technique
ou les devoirs objectifs de vigilance, engendrant une atteinte aux droits et intérêts
légalement protégés.
2. Il existe également illégalité lorsque l’atteinte aux droits et intérêts légalement
protégés résulte du fonctionnement anormal du service comme le dispose
l’article 7 § 3. »
Article 10
Faute
« 1. La faute des titulaires d’organes, fonctionnaires et agents doit être appréciée en
tenant compte de la démarche et de la capacité pouvant être raisonnablement exigées,
en fonction des circonstances de chaque cas, d’un titulaire d’organe, fonctionnaire ou
agent zélé et investi.
2. Sans préjudice de la démonstration de l’existence d’un dol ou d’une faute grave,
l’existence d’une faute grave légère se présume dans la pratique de tout acte juridique
illicite.
3. (...), l’existence d’une faute légère est également présumée (...) si les devoirs de
vigilance n’ont pas été respectés.
(...) »
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Article 12
Régime général
« À l’exception de ce qui prévu dans les articles qui suivent, le régime de la
responsabilité pour des faits illicites commis dans l’exercice de la fonction
administrative s’applique aux dommages causés de façon illicite par l’administration
de la justice, notamment pour la violation du droit à une décision judiciaire dans un
délai raisonnable. »
C. La jurisprudence des juridictions administratives en matière de
délai raisonnable
1. La jurisprudence de la Cour suprême administrative sur les
principes gouvernant l’examen des actions en responsabilité civile
extracontractuelle
28. Dans un arrêt du 28 novembre 2007 (procédure interne no 308/2007),
la Cour suprême administrative souligna qu’il fallait interpréter la
législation interne applicable en conformité avec la jurisprudence de la Cour
européenne et que le préjudice moral découlant d’un constat de violation de
l’article 6 de la Convention en raison de la durée excessive d’une procédure
devait être dédommagé.
29. Dans un arrêt du 9 octobre 2008 (procédure interne n o 0319/08), la
Cour suprême administrative considéra que le dommage moral causé par
une atteinte au droit à un procès dans un délai raisonnable mérite réparation
même s’il n’a pas été prouvé que la victime a souffert une grande souffrance
ou un changement sensible de vie ou de comportement.
30. Dans un arrêt du 1er mars 2011 (procédure interne no 0336/10), la
Cour suprême administrative estima que si le délai raisonnable a été dépassé
dans le cadre d’une procédure, c’est à l’État que revient la charge de la
preuve concernant toute cause justifiant l’excès vérifié. La Cour suprême
confirma ainsi un arrêt du tribunal administratif et fiscal de Porto qui avait
octroyé la somme de 10 000 EUR aux parties d’une procédure qui durait
depuis vingt-six ans, sur deux niveaux de juridictions.
31. Dans un arrêt du 6 novembre 2012 (procédure interne no 0976/11), la
Cour suprême administrative estima que vingt-cinq ans de procédure
constituait un dysfonctionnement de la justice, violant l’article 6 § 1 de la
Convention et l’article 20 § 4 de la Constitution et que les parties ne
pouvaient être tenues pour responsable de son allongement pour avoir
utilisé les voies de recours que leur ouvrait le droit interne.
32. Dans un arrêt du 27 novembre 2013 (procédure interne no 0144/13),
la Cour suprême administrative exposa :
- si les parties utilisent les moyens de procédure que la loi interne leur
ouvre pour défendre leurs intérêts, ceci ne peut être retenu pour exclure la
responsabilité de l’État en raison de la durée d’une procédure au-delà du
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délai raisonnable, à moins qu’elles en aient fait une utilisation abusive ou
visant à retarder la procédure ;
- il appartient à l’État d’organiser son système judiciaire de façon à
éviter que les procédures ne s’éternisent dans les tribunaux, à travers des
incidents et recours successifs permis par la loi interne ;
- dans la recherche des causes du retard d’une procédure, il faudra tenir
compte de la complexité de l’affaire, du comportement des parties et celui
des autorités compétentes et de l’importance du litige pour l’intéressé.
- la durée globale d’une procédure de plus de huit ans traduit un
fonctionnement anormal de la justice, violant à elle seule l’article 6 § 1 de la
Convention européenne des droits de l’homme et l’article 20 § 4 de la
Constitution.
L’affaire fut alors renvoyée en première instance en vue de la révision
des faits.
33. Par un arrêt du 3 avril 2014 (procédure interne no 0337/14), la Cour
suprême administrative déclara irrecevable le recours qui avait interjeté par
l’État contre un arrêt du tribunal central administratif du Sud (arrêt du
21 novembre 2013 - procédure interne no 09424/12- voir ci-après) qui avait
attribué 15 000 euros (EUR) pour le préjudice moral subi en raison de la
durée de plus de seize ans d’une procédure civile sur un niveau de
juridiction au motif qu’était uniquement contesté le montant qui avait été
octroyé.
Introduite le 27 janvier 2010, cette procédure en responsabilité civile
extracontractuelle aura duré 4 années, 2 mois et 6 jours sur trois niveaux de
juridictions.
34. Dans un arrêt du 10 septembre 2014 (procédure interne no 090/12),
la Cour suprême administrative considéra :
- lorsqu’il viole le droit à une décision dans un délai raisonnable, le
retard pris pour décider une affaire est un acte illicite engageant la
responsabilité civile de l’État ;
- si en considérant la procédure dans sa globalité, il est manifeste que sa
durée a dépassé le délai raisonnable, il n’est pas nécessaire d’apprécier si les
délais concernant chaque acte de procédure ont été respectés car, dans tous
les cas, l’État a l’obligation de créer d’autres ou différents moyens,
mécanismes, délais et une organisation pour atteindre l’objectif
d’administrer la justice dans un délai raisonnable ;
- étant donné qu’il s’agit d’une procédure simplifiée dans laquelle la
cause ne présentait pas de complexité ou de difficulté particulières, on peut
conclure que le délai raisonnable a été dépassé si pour la modification de
l’exercice des responsabilités parentales, il a fallu attendre sept ans jusqu’à
une décision définitive.
Au vu de ces considérations, la Cour suprême renvoya l’affaire au
tribunal central administratif du Nord pour la fixation du montant de la
réparation.
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35. Dans un arrêt du 21 mai 2015 (procédure interne no 072/14), la Cour
suprême administrative estima ce qui suit :
- l’appréciation du caractère raisonnable de la durée d’une procédure
devra être faite en suivant une analyse de chaque cas concret, ayant comme
point de départ la date d’introduction de l’action devant le tribunal
compétent et, comme point final, la date à laquelle est prise la décision
définitive, les instances de recours devant être prises en compte (y compris
le Tribunal constitutionnel) ainsi que la procédure d’exécution ;
- à cette fin, il est utile de faire appel aux critères fixés dans la
jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, à savoir, la
complexité de l’affaire, le comportement des parties, la manière d’agir des
autorités et l’enjeu du litige.
2. La jurisprudence des tribunaux centraux administratifs sur les
principes gouvernant l’examen des actions en responsabilité civile
extracontractuelle (arrêts définitifs)
36. Par un arrêt du 21 février 2013 (procédure interne no 01945/05), le
tribunal central administratif du Nord octroya une indemnisation de
15 000 EUR pour compenser le préjudice moral subi par le demandeur en
raison de la durée de plus de sept ans, sur un niveau de juridiction, d’une
procédure portant sur les responsabilités parentales.
Introduite le 20 septembre 2005, la procédure de responsabilité civile
extracontractuelle aura duré 7 années, 5 mois et 4 jours pour deux instances,
le tribunal central administratif ayant été saisi sur appel du ministère public.
37. Par un arrêt du 21 novembre 2013 (procédure interne no 09424/12),
le tribunal central administratif du Sud exposa :
- le respect du délai raisonnable doit être associé à l’efficacité et à la
crédibilité de la justice ;
- le caractère raisonnable d’un délai doit être mesuré en tenant compte,
entre autres, de critères comme la complexité de l’affaire, le comportement
des parties et des autorités et les conséquences du retard pour les parties.
En l’occurrence, le tribunal central administratif du Sud estima que dixsept ans de procédure (administrative) pour un niveau de juridiction
dépassaient le délai raisonnable, octroyant la somme de 15 000 EUR pour
réparer le dommage moral subi.
38. Par un arrêt du 31 janvier 2014 (procédure interne n o 0369/07), le
tribunal central administratif du Nord considéra que l’existence d’un
jugement de la Cour européenne ayant attribué un dédommagement pour
durée excessive d’une procédure n’empêche pas les tribunaux portugais
d’octroyer une indemnisation supplémentaire au demandeur pour la même
procédure.
Introduite le 9 février 2007, la procédure de responsabilité civile
extracontractuelle aura duré 6 années, 11 mois et 23 jours pour deux
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instances, le tribunal central administratif ayant été saisi sur appel du
ministère public, agissant en représentation de l’État.
39. Dans un arrêt du 20 mars 2014 (procédure interne no 09034/12), le
tribunal central administratif du Sud exposa :
- le caractère raisonnable du délai devra être mesuré selon des critères
comme la complexité de l’affaire, le comportement de la partie
demanderesse et des autorités et les conséquences du retard pour les
parties ;
- la violation du droit à une décision dans un délai raisonnable engage la
responsabilité civile de l’État, conformément à l’article 22 de la
Constitution et le régime de la responsabilité civile extracontractuelle de
l’État ;
- considérant que le demandeur était responsable de plusieurs retards, le
tribunal lui attribua une indemnisation de 3 250 euros pour le dommage
moral subi en raison des retards survenus dans le cadre d’une procédure en
faillite qui avait durée dix-sept ans sur trois niveaux de juridiction.
Introduite le 6 janvier 2011, la procédure de responsabilité civile
extracontractuelle aura duré 3 années, 2 mois et 13 jours pour deux
instances saisies.
40. Par un arrêt du 22 mai 2014 (procédure interne no 07822/11), le
tribunal central administratif du Sud estima :
- la durée globale d’une procédure administrative de plus de vingt et un
ans sur trois niveaux de juridictions traduit, de façon manifeste, un
fonctionnement anormal de la justice, c’est-à-dire qu’elle dépasse de façon
évidente le concept de décision dans un délai raisonnable ; l’État viole ainsi
l’article 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et
l’article 20 § 4 de la Constitution ;
- conformément à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de
l’homme, une société commerciale peut se voir octroyer une indemnisation
pour le dommage moral subi ce qui peut inclure la réputation, l’incertitude
quant à la prévision du jugement, la rupture dans la gestion de l’entreprise,
et l’inquiétude et les inconvénients causés aux membres de l’équipe de
gestion. Celui-ci devra être estimé à 1 000 EUR par année de retard
injustifiée.
Le tribunal condamna ainsi l’État à payer 16 000 EUR à chacun des
demandeurs pour le dommage moral subi en raison du retard de la
procédure. Il renvoya ensuite l’affaire en première instance en vue de la
détermination du montant réclamé pour le dommage matériel subi.
41. Par un arrêt du 12 février 2015 (procédure interne no 09309/12), le
tribunal central administratif du Sud considéra que plus de douze années de
procédure, sur trois niveaux de juridictions, pour une action en
responsabilité civile introduite suite à un accident de la circulation avait
dépassé le délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la Convention
européenne des droits de l’homme et de l’article 20 § 4 de la Constitution,
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confirmant l’attribution de la somme de 5 000 EUR qui avait été fixée par le
tribunal administratif de Lisbonne au titre du dommage moral.
3. La jurisprudence des tribunaux de première instance
42. Le Gouvernement a fourni trois exemples de procédures en
responsabilité civile ayant été conclues au niveau de la première instance
administrative : jugement du 5 février 2015 du tribunal administratif et
fiscal de Sintra (procédure interne no 1166/11.OBESNT), jugement du
28 novembre 2014 du tribunal administratif et fiscal de Leiria (procédure
interne no 992/11.4BELRA) et jugement du 17 février 2014 du tribunal
administratif et fiscal de Funchal (procédure interne no 13/12.2BEFUN),
condamnant l’État à verser diverses sommes à différents plaignants au motif
que les procédures dans lesquelles ils étaient intervenus comme parties
avaient méconnu le délai raisonnable. Aucun recours n’ayant été exercé, ces
arrêts devinrent définitifs.
D. Le code de procédure des tribunaux administratifs
43. L’article 150 § 1 du code de procédure des tribunaux administratifs
dispose :
« Les décisions rendues en deuxième instance par un tribunal central administratif
peuvent être attaquées, à titre exceptionnel, devant la Cour suprême administrative
lorsque sont en cause des questions qui revêtent, de par leur intérêt juridique et social,
une importance fondamentale ou lorsque l’examen du recours est clairement
nécessaire à une meilleure application du droit. »
44. Au terme de l’article 152 :
« 1. Les parties et le ministère public peuvent adresser à la Cour suprême
administrative, dans un délai de trente jours à compter de la date à laquelle la décision
attaquée passe en force de chose jugée, une demande d’admission d’un recours en
harmonisation de jurisprudence lorsque, s’agissant de la même question fondamentale
de droit, il y a une contradiction :
a) entre un arrêt d’un tribunal central administratif et un autre arrêt de ce même
tribunal ou de la Cour suprême administrative ;
(...)
4. Le recours est examiné par l’assemblée plénière de la section [du contentieux
administratif], l’arrêt étant publié au Journal officiel.
(...) »
E. Sur le délai de prescription de l’action en responsabilité civile
extracontractuelle
45. Applicable en vertu de l’article 5 de la loi no 67/2007 du
31 décembre 2007, l’article 498 du code civil dispose que le droit à
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réparation prescrit dans un délai de trois ans à compter de la date à partir de
laquelle la victime prend ou aurait dû prendre connaissance de la possibilité
d’exercer ce droit.
46. Par un arrêt du 4 décembre 2012 (procédure interne n o 1203/02), la
Cour suprême administrative considéra :
« (...) en règle générale, le délai de prescription commence à courir à partir du
moment où l’intéressé a pris connaissance d’un acte ou d’une omission ayant
occasionné des dommages.
(...) »
47. Dans un arrêt du 23 octobre 2014 (procédure interne no 08088/11), le
tribunal central administratif du Sud estima que le délai de prescription
d’une action en responsabilité civile fondée sur la durée excessive d’une
procédure court à partir du moment où l’intéressé prend conscience du
retard de la procédure et des préjudices causés par celui-ci. Pour ce qui est
de la charge de la preuve, le tribunal considéra que c’est celui qui soulève
l’exception tirée du non-respect du délai de trois ans qui doit prouver à quel
moment la prise de conscience du retard a eu lieu.
F. Sur les frais de justice et l’aide judiciaire
1. Les frais de justice
48. Conformément à l’article 189 du code de procédure des tribunaux
administratifs, l’État et les entités publiques sont soumis au paiement des
frais de justice.
49. La règle générale en matière de frais de justice est établie à
l’article 527 du code de procédure civile, approuvé par la loi n o 41/2013 du
26 juin 2013, libellé ainsi :
« 1. La décision qui juge une action (...) ou des recours condamne au paiement des
frais de justice (custas) la partie qui en a été à l’origine ou, s’il n’y a pas eu perte de
l’action, qui en a tiré un avantage.
2. On estime qu’est à l’origine des frais de justice de la procédure, la partie
perdante, proportionnellement à la perte.
(...) »
50. Dans le cadre de la procédure interne no 01945/05, dans son arrêt du
21 février 2013, eu égard au rejet du recours qui avait été introduit par le
ministère public (voir ci-dessus paragraphe 36) contre le jugement d’un
tribunal administratif, le tribunal central administratif du Nord condamna
l’État au paiement des frais de justice du recours.
51. Ayant fait partiellement droit au recours du ministère public (voir cidessus paragraphe 38), dans son arrêt du 31 janvier 2014 (procédure interne
no 0369/07), le tribunal central administratif du Nord condamna les parties
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au paiement des frais de justice répartis en fonction du résultat de l’arrêt par
rapport à leurs prétentions.
2. L’aide judiciaire
52. Au moment des faits, l’aide judiciaire (apoio judiciário) était régie
par la loi no 30-E/2000 du 20 décembre 2000 (dans sa rédaction issue du
décret-loi no 38/2003 du 8 mars 2003). Elle est régie depuis le 1er septembre
2004 par la loi no 34/2004 du 29 juillet 2004 (dans sa rédaction issue de la
loi no 47/2007 du 28 août 2007), laquelle a transposé dans l’ordre juridique
portugais la Directive no 2003/8/CE du Conseil de l’Union européenne.
53. La compétence pour accorder l’aide judiciaire appartient aux
services de la sécurité sociale (serviços da segurança social). Permettant
aux personnes dont les ressources sont insuffisantes de faire valoir leurs
droits en justice, l’assistance judiciaire au Portugal comprend notamment
l’exemption du paiement des frais judiciaires, la désignation d’un avocat
d’office et le paiement de ses honoraires (article 16 de la loi n o 34/2004 du
29 juillet 2004). Dans l’hypothèse où l’assistance judiciaire est accordée
dans cette dernière modalité, il appartient à l’ordre des avocats de désigner
un avocat (article 30 de la loi no 34/2004). Celui-ci dispose ensuite d’un
délai de trente jours pour introduire l’action, le cas échéant (article 33 de la
loi no 34/2004).
III. LES TEXTES DU CONSEIL DE L’EUROPE
54. Dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH (2010) 34 relative aux
arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme concernant le groupe
Oliveira Modesto et 24 autres affaires contre le Portugal relatives à la durée
excessive des procédures judiciaires, adoptée le 4 mars 2010, le Comité des
Ministres a indiqué ce qui suit :
« Le Comité des Ministres (...)
Vu le nombre d’arrêts de la Cour européenne des Droits de l’Homme (« la Cour »)
constatant de la part du Portugal une violation de l’article 6, paragraphe 1, de la
Convention, en raison de durées excessives des procédures judiciaires (...) ;
Réitérant que des durées excessives dans l’administration de la justice constituent un
grave danger pour le respect de l’État de droit ;
Rappelant que dans sa Résolution intérimaire CM/ResDH (2007) 108, le Comité des
Ministres s’était félicité des nombreuses réformes adoptées par les autorités
portugaises en vue de résoudre ce problème structurel ; qu’il avait encouragé les
autorités à poursuivre leurs efforts dans ce domaine, les invitant à lui fournir des
informations complémentaires sur l’impact en pratique de ces réformes ;
Rappelant que dans sa résolution intérimaire précitée, le Comité avait également
relevé la Recommandation Rec (2004) 6 du Comité des Ministres aux États membres
concernant la nécessité d’améliorer l’efficacité des recours internes et soulignant
l’importance de cette question lorsque les arrêts révèlent des problèmes structurels
12
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
susceptibles de donner lieu à un nombre important de nouvelles violations similaires
de la Convention ;
Ayant examiné les informations transmises par les autorités portugaises sur les
mesures additionnelles prises ou envisagées depuis la résolution intérimaire précitée
(...) ;
II. Mesures de caractère général
1) Procédures civiles
Notant que, si les statistiques montrent une réduction de la durée moyenne et de
l’arriéré devant les juridictions civiles « supérieures », la situation reste préoccupante
devant les juridictions de première instance ;
Notant également que la réforme introduite par le décret-loi no 303/2007 n’a pas
encore produit les effets souhaités sur la durée des procédures, dans la mesure où elle
ne s’applique qu’aux procédures introduites depuis son entrée en vigueur (à savoir le
1/01/2008) ;
DEMANDE INSTAMMENT aux autorités d’envisager l’adoption de mesures ad
hoc pour réduire l’arriéré des procédures civiles, par exemple en donnant la priorité
aux affaires les plus anciennes et aux affaires sur lesquelles il convient de statuer
rapidement ;
LES ENCOURAGE à poursuivre activement leurs efforts en vue de réduire la durée
des procédures civiles, particulièrement devant les juridictions de première instance et
d’assurer un suivi approprié à la réforme de 2007 afin de pouvoir en évaluer les
effets ;
(...)
6) Mesures concernant les recours effectifs
Notant avec intérêt l’adoption de la loi no 67/2007 du 31/12/2007 qui prévoit
l’application de la responsabilité extracontractuelle de l’État en cas de violation du
droit à ce que sa cause soit entendue dans un délai raisonnable (article 12) ;
Relevant cependant qu’il existe à l’heure actuelle des divergences jurisprudentielles
dans l’application de cette loi en ce qui concerne l’indemnisation du préjudice
moral et que dans son arrêt du 10/06/2008 dans l’affaire Martins Castro et Alves
Correia de Castro, la Cour européenne a estimé que l’action en responsabilité civile
extracontractuelle de l’État n’offrira pas de recours effectif, au sens de l’article 13 de
la Convention, tant que la jurisprudence de la Cour suprême administrative et en
particulier sa décision du 28/11/2007 – qui va dans le même sens que la jurisprudence
de la Cour européenne – n’aura pas été consolidée dans l’ordre juridique portugais ;
Notant que l’arrêt précité de la Cour européenne relève que l’article 152 du code de
procédure des tribunaux administratifs offre au ministère public la possibilité de saisir
la Cour suprême en vue d’une harmonisation de la jurisprudence et préconise
l’utilisation de cette voie pour mettre un terme à cette incertitude jurisprudentielle ;
Notant également la publication et la vaste diffusion dont a fait l’objet l’arrêt de la
Cour dans l’affaire Martins Castro et Alves Correia de Castro et considérant que ces
mesures sont également appropriées, car elles sont aussi de nature à contribuer à une
harmonisation de la jurisprudence interne, en favorisant la prise en compte des
constats de la Cour par les juridictions concernées ;
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
13
ENCOURAGE les autorités à poursuivre les efforts qu’elles ont entrepris pour
parvenir à l’harmonisation de la jurisprudence des juridictions internes dès que
possible ;
LES INVITE à fournir des informations sur la pratique actuelle des tribunaux et son
évolution depuis l’arrêt de la Cour dans l’affaire Martins Castro et Alves Correia de
Castro ;
(...) »
55. Le Comité des Ministres a adopté, lors de sa 1164e réunion
(5-7 mars 2013), une décision dans le cadre de l’examen de l’exécution du
groupe d’arrêts Oliveira Modesto. La partie pertinente de cette décision se
lit comme suit :
« Les délégués
(...)
2. notent les mesures législatives et les autres mesures récemment adoptées ou en
cours d’adoption, présentées dans le plan d’action du 10 janvier 2013 ; insistent, dans
ce contexte, sur leur demande, adressée aux autorités dans les deux résolutions
intérimaires adoptées dans ce groupe d’affaires (CM/ResDH(2007)108 et
CM/ResDH(2010)34), de fournir au Comité une évaluation de l’impact en pratique
des mesures adoptées avant 2010 et invitent les autorités à soumettre également une
évaluation des mesures plus récentes, dès que possible ;
3. invitent également les autorités à présenter au Comité une analyse des données
statistiques contenues dans le plan d’action et, le cas échéant, de la nécessité d’adopter
des mesures complémentaires visant l’accélération des procédures judiciaires,
accompagnée d’un calendrier indicatif pour leur adoption ;
4. décident de reprendre l’examen de ce groupe d’affaires lors de l’une de leurs
prochaines réunions DH, à la lumière d’informations complémentaires à fournir par
les autorités sur les points ci-dessus, ainsi que sur les mesures envisagées par les
autorités dans leur plan d’action pour réduire la durée des procédures d’exécution et
sur les mesures individuelles. »
EN DROIT
I. SUR L’EXCEPTION PRÉLIMINAIRE DU GOUVERNEMENT
56. Le Gouvernement plaide que le requérant n’a pas épuisé les voies de
recours au niveau interne quant au grief tiré de l’article 6 § 1 de la
Convention, comme l’exige l’article 35 § 1 de la Convention. Selon lui, le
requérant aurait dû saisir les juridictions administratives d’une action en
responsabilité civile extracontractuelle fondée sur l’article 12 de la loi
no 67/2007 du 31 décembre 2007 pour demander une réparation en raison de
la durée excessive de la procédure civile.
14
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
57. Le requérant conteste l’exception soulevée par le Gouvernement au
motif qu’il n’existe pas, au niveau interne, de recours efficace pour obtenir
un redressement en raison de la durée excessive d’une procédure.
58. La Cour estime que la question de savoir si le requérant était obligé
d’introduire une action en responsabilité civile extracontractuelle au titre de
l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007 avant de saisir la Cour
est étroitement liée à celle de l’existence d’un recours effectif au sens de
l’article 13 de la Convention (voir Sürmeli c. Allemagne (déc.), no 75529/01,
29 avril 2004, McFarlane c. Irlande [GC], no 31333/06, § 75, 10 septembre
2010, Vlad et autres c. Roumanie, nos 40756/06, 41508/07 et 50806/07,
§ 103, 26 novembre 2013 et Panju c. Belgique, no 18393/09, § 47,
28 octobre 2014). Partant, la Cour joint l’exception soulevée par le
Gouvernement à l’examen du bien-fondé du grief tiré de la violation de
l’article 13 de la Convention, elle reprendra donc ci-après son examen sur
ce point dans le cadre de l’examen du fond de cette partie de la requête.
59. La Cour constate en outre que la requête n’est pas manifestement
mal fondée au sens de l’article 35 § 3 a) de la Convention et qu’elle ne se
heurte à aucun autre motif d’irrecevabilité. Il convient donc de la déclarer
recevable.
II. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 13 DE LA
CONVENTION
60. Le requérant dénonce l’absence au niveau interne d’un recours qui
lui aurait permis d’obtenir un redressement en raison de la durée excessive
de la procédure qu’il avait engagée devant le tribunal administratif de
Lisbonne. Il y voit une violation de l’article 13 de la Convention, ainsi
libellé :
Article 13
« Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la (...) Convention ont été
violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors
même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice
de leurs fonctions officielles. »
A. Thèse des parties
1. Le requérant
61. Le requérant affirme qu’il ne disposait pas de recours au niveau
interne pour se plaindre de la durée de la procédure civile qui s’était
déroulée devant le tribunal administratif de Lisbonne.
62. En ce qui concerne l’effectivité de l’action en responsabilité civile
extracontractuelle contre l’État pour méconnaissance du délai raisonnable, il
admet que la procédure respecte les principes de l’indépendance du tribunal
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
15
et du contradictoire. Il soutient néanmoins que celle-ci est complexe et lente
vu la nécessité de prouver les préjudices subis et étant donné que le
ministère public, agissant en représentation de l’État, interjette
systématiquement appel des décisions prononcées par les tribunaux en
faveur des demandeurs, contestant, soit la méconnaissance du délai
raisonnable, soit les indemnisations octroyées. Pour le requérant, ceci
prouve que l’État essaie toujours d’échapper au paiement des
indemnisations pour durée excessive d’une procédure.
63. Le requérant affirme ensuite que les montants octroyés par les
juridictions internes pour le préjudice moral subi en raison de la durée
excessive d’une procédure sont dérisoires et dénonce la non-attribution
d’une réparation pour le dommage matériel. En outre, il observe que le
propre retard de la procédure administrative n’est pas pris en compte dans
les indemnisations attribuées. Par ailleurs, les restrictions à l’obtention du
bénéfice de l’aide judiciaire mettent en cause l’accès à un tribunal.
64. Au demeurant, il fait valoir qu’il n’existe pas une jurisprudence
constante concernant les questions relatives à la responsabilité de l’État en
raison de la méconnaissance du délai raisonnable, relevant notamment des
contradictions dans les arrêts des tribunaux centraux administratifs. Or, le
ministère public n’a jamais saisi la Cour suprême d’un arrêt en
harmonisation de jurisprudence, préférant opter pour un recours en
cassation, le cas échéant, notamment dans le but de retarder davantage les
condamnations de l’État.
65. Le requérant conclut que l’action administrative en responsabilité
civile extracontractuelle pour retard d’une procédure judiciaire ne peut être
considérée comme un recours effectif, elle ne devait donc pas être épuisée
en l’espèce pour se conformer à l’article 35 § 1 de la Convention.
2. Le Gouvernement
66. Le Gouvernement récuse les arguments du requérant. Il affirme que
la pratique des tribunaux administratifs internes a beaucoup évolué depuis
l’arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro c. Portugal (no 33729/06,
10 juin 2008). Notant les exigences posées par les arrêts de la Cour Kudła
c. Pologne ([GC], no 30210/96, § 156, CEDH 2000-XI) et Scordino c. Italie
(no 1) ([GC], no 36813/97, §§ 193-207, CEDH 2006-V), il estime que cette
action constitue aujourd’hui un recours effectif, au sens de l’article 13 de la
Convention, pour obtenir un redressement en raison de la violation du droit
à une décision dans un délai raisonnable au sens de l’article 6 § 1 de la
Convention, notamment dans les cas où le retard est la conséquence d’un
dysfonctionnement du système judiciaire et non de la faute d’un de ses
agents. A l’appui de son argumentation, il expose ce qui suit :
a) L’action en responsabilité civile extracontractuelle permet d’obtenir
un constat de violation du droit à une décision dans un délai raisonnable et
16
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
l’attribution d’une indemnisation pour le préjudice subi. À titre d’exemple,
il cite plusieurs arrêts, dont :
- l’arrêt de la Cour suprême administrative du Sud du 3 avril 2014
(procédure interne no 0337/14) ;
- les arrêts du tribunal central administratif du Sud du 22 mai 2014
(procédure interne no 07822/11), du 20 mars 2014 (procédure interne
no 09034/12) et du 21 novembre 2013 (procédure interne no 09424/12) ; et
- l’arrêt du tribunal central administratif du Nord du 31 janvier 2014
(procédure interne no 0369/07).
b) Pour apprécier la durée d’une procédure, les juridictions
administratives suivent les principes fixés dans la jurisprudence de la Cour
comme le démontrent, par exemple, l’arrêt de la Cour suprême
administrative du 27 novembre 2013 (procédure interne n o 0144/13) et
l’arrêt du tribunal central administratif du Sud du 21 novembre 2013
(procédure interne no 09424/12) ;
c) L’action respecte les garanties du procès équitable, notamment un
tribunal impartial et le principe du contradictoire ;
d) La procédure est simple, elle bénéficie en outre, depuis le 1 er
septembre 2013, des mesures de simplification procédurales mises en place
par la réforme de la procédure civile ce qui a permis d’accélérer les
procédures ;
e) Les juridictions administratives reconnaissent de manière générale
que le retard d’une procédure provoque un préjudice moral. En outre, elles
octroient une indemnisation pour réparer ce dommage sans que le requérant
n’ait besoin de prouver le préjudice concrètement subi, respectant ainsi
l’arrêt de la Cour suprême administrative du 28 novembre 2007 (auquel
faisait référence l’arrêt de la Cour Martins Castro et Alves Correia de
Castro, précité, § 56) qui a été confirmé par l’arrêt de la Cour suprême
administrative du 9 octobre 2008 (procédure interne no 319/08) ;
f) Les indemnisations octroyées correspondent à celles attribuées par la
Cour ;
g) Le paiement des indemnisations est fait dès que les décisions
deviennent définitives ;
h) Les demandeurs peuvent bénéficier de l’aide juridictionnelle afin
d’être représentés par un avocat d’office et dispensés du paiement des frais
judiciaires afférents à la procédure.
67. Le Gouvernement affirme que la Cour suprême administrative a
reconnu l’« intérêt juridique ou social substantiel » de la question du délai
raisonnable d’une procédure en déclarant recevables les recours introduits à
ce sujet en application de l’article 150 du code de procédure des tribunaux
administratifs. Elle a ainsi eu l’occasion de prononcer de nombreux arrêts
confirmant la jurisprudence de la Cour et mettant un terme aux divergences
jurisprudentielles. En outre, les juridictions administratives inférieures
suivent cette jurisprudence comme en témoignent les jugements du 5 février
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
17
2015 du tribunal administratif et fiscal de Sintra (procédure interne
no 1166/11.OBESNT), du 28 novembre 2014 du tribunal administratif et
fiscal de Leiria (procédure interne no 992/11.4BELRA) et du 17 février 2014
du tribunal administratif et fiscal de Funchal (procédure interne
no 13/12.2BEFUN). Par conséquent, l’adoption d’un arrêt d’harmonisation
suggérée par la Cour dans l’arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro
(voir les paragraphes 56 et 66) afin de consolider la jurisprudence inscrite
dans l’arrêt de la Cour suprême administrative du 28 novembre 2007 de
cette juridiction, n’est plus justifiée. À titre subsidiaire, le Gouvernement
observe qu’en l’absence d’une divergence de jurisprudence sur la question,
les conditions de recevabilité d’un recours en harmonisation indiquées à
l’article 150 du code de procédure des tribunaux administratifs ne sont
d’ailleurs pas remplies.
3. Appréciation de la Cour
a) Les principes généraux
i. Sur l’épuisement des voies de recours internes
68. En vertu de l’article 1 de la Convention, aux termes duquel « [l]es
Hautes Parties contractantes reconnaissent à toute personne relevant de leur
juridiction les droits et libertés définis au titre I de la présente Convention »,
la mise en œuvre et la sanction des droits et libertés garantis par la
Convention revient au premier chef aux autorités nationales. Le mécanisme
de plainte devant la Cour revêt donc un caractère subsidiaire par rapport aux
systèmes nationaux de sauvegarde des droits de l’homme. Cette subsidiarité
s’exprime dans les articles 13 et 35 § 1 de la Convention (voir, parmi
d’autres, Balakchiev et autres c. Bulgarie (déc.), no 65187/10, § 49, 18 juin
2013).
La Cour ne saurait trop souligner qu’elle n’est pas une juridiction de
première instance ; elle n’a pas la capacité, et il ne sied pas à sa fonction de
juridiction internationale, de se prononcer sur un grand nombre d’affaires
qui supposent d’établir les faits de base ou de calculer une compensation
financière – deux tâches, qui, par principe et dans un souci d’effectivité,
incombent aux juridictions internes (Demopoulos et autres c. Turquie (déc.)
[GC], nos 46113/99, 3843/02, 13751/02, 13466/03, 10200/04, 14163/04,
19993/04 et 21819/04, § 70, CEDH 2010).
En même temps, le principe de subsidiarité ne signifie pas qu’il faille
renoncer à tout contrôle sur le résultat obtenu du fait de l’utilisation de la
voie de recours interne, sous peine de vider les droits garantis par l’article 6
§ 1 de la Convention de toute substance. À cet égard, il y a lieu de rappeler
que la Convention a pour but de protéger des droits non pas théoriques ou
illusoires, mais concrets et effectifs (Prince Hans-Adam II de Liechtenstein
c. Allemagne [GC], no 42527/98, § 45, CEDH 2001-VIII). La remarque vaut
18
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
en particulier pour les garanties prévues par l’article 6 de la Convention, vu
la place éminente que le droit à un procès équitable, avec toutes les
garanties prévues par cette disposition, occupe dans une société
démocratique (ibidem).
69. La Cour rappelle que la règle de l’épuisement des voies de recours
internes, énoncée à l’article 35 § 1 de la Convention, se fonde sur
l’hypothèse, incorporée dans l’article 13 de la Convention (avec lequel elle
présente d’étroites affinités), que l’ordre interne offre un recours effectif, en
pratique comme en droit, quant à la violation alléguée (Kudła, précité, § 152
et Hassan et Tchaouch c. Bulgarie [GC], no 30985/96, §§ 96-98,
CEDH 2000-XI). La Cour note que, en vertu de la règle de l’épuisement des
voies de recours internes, le requérant doit, avant de saisir la Cour, avoir
donné à l’État responsable, en utilisant les ressources judiciaires offertes par
la législation nationale, la faculté de remédier par des moyens internes aux
violations alléguées (voir, entre autres, Fressoz et Roire c. France [GC],
no 29183/95, § 37, CEDH 1999-I).
70. Les dispositions de l’article 35 § 1 de la Convention ne prescrivent
cependant l’épuisement que des recours à la fois relatifs aux violations
incriminées, disponibles et adéquats. Ils doivent exister à un degré suffisant
de certitude non seulement en théorie mais aussi en pratique, sans quoi leur
manquent l’effectivité et l’accessibilité voulues (Mifsud c. France (déc.)
[GC], no 57220/00, CEDH 2002-VIII, et Slaviček c. Croatie (déc.),
no 20862/02, CEDH 2002-VIII). De même, ces dispositions doivent
s’appliquer avec une certaine souplesse et sans formalisme excessif. Selon
les « principes de droit international généralement reconnus », certaines
circonstances particulières peuvent dispenser le requérant de l’obligation
d’épuiser les recours internes s’offrant à lui. Par ailleurs, la règle de
l’épuisement des voies de recours internes ne s’accommode pas d’une
application automatique et ne revêt pas un caractère absolu ; en en
contrôlant le respect, il faut avoir égard aux circonstances de la cause. Cela
signifie notamment que la Cour doit tenir compte de manière réaliste non
seulement des recours prévus en théorie dans le système juridique de la
Partie contractante concernée, mais également du contexte juridique et
politique dans lequel ils se situent ainsi que de la situation personnelle des
requérants (Scordino c. Italie (déc.), no 36813/97, CEDH 2003-IV).
71. Lorsqu’un Gouvernement excipe du non-épuisement des voies de
recours internes, il doit convaincre la Cour que le recours était effectif et
disponible tant en théorie qu’en pratique à l’époque des faits, c’est-à-dire
qu’il était accessible et susceptible d’offrir au requérant le redressement
approprié de ses griefs, et qu’il présentait des perspectives raisonnables de
succès (Akdivar et autres c. Turquie, 16 septembre 1996, § 68, Recueil
1996-IV).
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
19
ii. Sur l’effectivité des recours en matière de durée excessive d’une procédure
72. Lorsque le droit à un procès dans un délai raisonnable est en cause,
un recours est « effectif » dès lors qu’il permet soit de faire intervenir plus
tôt la décision des juridictions saisies, soit de fournir au justiciable une
réparation adéquate pour les retards déjà accusés (Sürmeli c. Allemagne
[GC], no 75529/01, § 99, CEDH 2006-VII, et Vassilios Athanasiou et autres
c. Grèce, no 50973/08, § 54, 21 décembre 2010). Si le premier type de
recours est préférable car il est de nature préventive, un recours
indemnitaire peut passer pour effectif lorsque la procédure a déjà connu une
durée excessive et qu’il n’existe pas de recours préventif (Kudła, précité, §
158, Mifsud, précité, § 17, Scordino (no 1), précité, § 187, et McFarlane,
précité, § 108).
73. La Cour a fixé certains critères essentiels permettant de vérifier
l’effectivité des recours indemnitaires en matière de durée excessive de
procédures judiciaires (voir Bourdov c. Russie (no 2), no 33509/04, § 99,
CEDH 2009). Ces critères sont les suivants :
a) l’action en indemnisation doit être tranchée dans un délai
raisonnable ;
b) l’indemnité doit être promptement versée, en principe au plus tard six
mois après la date à laquelle la décision octroyant la somme est devenue
exécutoire ;
c) les règles procédurales régissant l’action en indemnisation doivent
être conformes aux principes d’équité tels que garantis par l’article 6 de la
Convention ;
d) les règles en matière de frais de justice ne doivent pas faire peser un
fardeau excessif sur les plaideurs dont l’action est fondée ;
e) le montant des indemnités ne doit pas être insuffisant par rapport aux
sommes octroyées par la Cour dans des affaires similaires.
b) Analyse de l’action en responsabilité civile extracontractuelle
74. Sans anticiper l’examen de la question de savoir s’il y a eu ou non
dépassement du délai raisonnable, la Cour estime que le grief du requérant
concernant la durée de la procédure civile devant le tribunal administratif de
Lisbonne constitue prima facie un grief « défendable », celle-ci ayant duré
plus de neuf ans. Il avait donc droit à un recours effectif à cet égard (Panju
c. Belgique, précité, § 52).
i. Sur la compatibilité de l’action en responsabilité civile extracontractuelle
avec les principes généraux
75. La Cour note que l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre
2007, dans sa rédaction issue de la loi nº 31/2008 du 17 juillet 2008, prévoit
un recours en vue d’obtenir un redressement lorsque le droit à une décision
judiciaire dans un délai raisonnable a été méconnu.
20
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
76. Faisant l’analyse de ce recours, dans son arrêt Martins Castro et
Alves Correia de Castro c. Portugal, précité, la Cour avait notamment
relevé ce qui suit :
« (...)
53. S’agissant d’abord de la durée de la procédure, la Cour note avec préoccupation
que le temps mis par les juridictions administratives à examiner les actions en
responsabilité extracontractuelle semble très souvent se prolonger sur des périodes
significatives. À cet égard, la Cour rappelle que d’autres États ont fait des choix
différents en prévoyant par exemple, en ce domaine, des délais plus courts : c’est le
cas de l’Italie, où la cour d’appel dispose de quatre mois pour rendre sa décision
(Scordino c. Italie (no 1) [GC], précité, §§ 62 et 208).
La Cour est cependant prête à admettre qu’un tel élément, à lui seul, ne rend pas le
recours ineffectif, surtout si la juridiction compétente dispose de la possibilité de faire
état de son propre retard et d’accorder à l’intéressé une réparation supplémentaire à ce
titre (Scordino c. Italie (no 1) [GC], précité, § 207).
54. Pour ce qui est ensuite du niveau de l’indemnisation, la Cour ne saurait accepter
la position (...) selon laquelle les préjudices causés par la durée excessive d’une
procédure judiciaire ne mériteraient pas, en eux-mêmes, un dédommagement. Elle
rappelle à cet égard que le point de départ du raisonnement des juridictions nationales
en la matière doit être la présomption solide, quoique réfragable, selon laquelle la
durée excessive d’une procédure occasionne un dommage moral. Bien sûr, dans
certains cas, la durée de la procédure n’entraîne qu’un dommage moral minime, voire
pas de dommage moral du tout. (...)
55. La Cour note avec satisfaction que la Cour suprême administrative, dans son
arrêt du 28 novembre 2007, accepte cette interprétation et respecte entièrement les
principes qui se dégagent de la jurisprudence de la Cour (...). Reste que cette
jurisprudence ne semble pas encore suffisamment consolidée dans l’ordre juridique
portugais.
(...) »
Eu égard à ces observations, la Cour conclut que ce recours ne pouvait
pas être considéré comme « effectif » au sens de l’article 13 de la
Convention, ajoutant :
« 56. (...) une telle action ne pourra passer pour un recours « effectif » tant que la
jurisprudence qui se dégage de l’arrêt de la Cour suprême administrative du
28 novembre 2007 n’aura pas été consolidée dans l’ordre juridique portugais, à travers
une harmonisation des divergences jurisprudentielles qui se vérifient à l’heure
actuelle. »
S’agissant de l’article 46 de la Convention, la Cour invita l’État
défendeur et tous ses organes, y compris les agents du ministère public, dont
le rôle est extrêmement important en la matière, à prendre toutes les
mesures nécessaires pour faire en sorte que les décisions nationales soient
conformes à la jurisprudence de la Cour (voir paragraphe 66 de l’arrêt).
77. À ce jour, la Cour a confirmé les constats qu’elle avait faits dans son
arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro dans 48 affaires (pour la
dernière, voir Moreno Diaz Peña et autres c. Portugal, no 44262/10, § 64,
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
21
4 juin 2015), rejetant les arguments du Gouvernement quant à l’effectivité
de l’action en responsabilité civile extracontractuelle en matière de durée
excessive d’une procédure.
78. Elle relève qu’environ 180 affaires contre le Portugal concernant des
durées de procédure sont actuellement pendantes devant elle, certaines
d’entre elles soulevant également un grief tiré de l’ineffectivité de l’action
en responsabilité civile extracontractuelle dans la matière. Certaines ont
déjà été communiquées au gouvernement portugais mais la plupart n’ont
pas encore fait l’objet d’un premier examen par la Cour.
79. La Cour observe que dans sa Résolution intérimaire
CM/ResDH(2010) 34, relative aux arrêts relatifs à la durée excessive des
procédures judiciaires au Portugal, adoptée le 4 mars 2010, le Comité des
Ministres a encouragé les autorités portugaises à poursuivre les efforts
entrepris pour parvenir à l’harmonisation de la jurisprudence des
juridictions internes. En outre, à ce jour, le Comité des Ministres n’a pas
encore terminé la surveillance de l’exécution de l’arrêt Martins Castro et
Alves Correia de Castro qui lui incombe en vertu de l’article 46 § 2 de la
Convention (voir ci-dessus paragraphes 54 et 55).
80. Le Gouvernement plaide en l’espèce l’effectivité de l’action en
responsabilité civile extracontractuelle fondée sur l’article 12 de la loi
n 67/2007 du 31 décembre 2007, en tenant compte de l’évolution de la
pratique des tribunaux administratifs, considérant que les conditions fixées
dans la jurisprudence de la Cour en la matière sont aujourd’hui remplies et
qu’il n’existe plus de différences jurisprudentielles au niveau interne.
81. Alors que l’arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro a été
rendu le 10 juin 2008, soit il y a plus de sept ans, la Cour estime que le
moment est venu d’effectuer un nouvel examen de la pratique actuelle des
tribunaux administratifs internes en tenant compte des critères qui se
dégagent de sa jurisprudence.
α) Les critères relatifs aux garanties procédurales
- Frais de justice
82. Le requérant allègue qu’il existe des restrictions à l’aide judiciaire ce
qui limite l’accès des justiciables à l’action en responsabilité civile
extracontractuelle.
83. Le Gouvernement conteste cet argument. Il estime que l’action en
responsabilité civile extracontractuelle est un recours accessible à toute
personne souhaitant obtenir une réparation en raison de la violation de son
droit de voir sa cause entendue dans un délai raisonnable au sens de
l’article 6 § 1 de la Convention, notamment au moyen, le cas échéant, de
l’aide judiciaire.
84. En ce qui concerne les frais et les dépens, la Cour rappelle qu’elle
n’a jamais exclu que les intérêts d’une bonne administration de la justice
22
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
puissent justifier d’imposer une restriction financière à l’accès d’une
personne à un tribunal (Kreuz c. Pologne, no 28249/95, § 59,
CEDH 2001-VI). Il n’en reste pas moins qu’une limitation de l’accès à un
tribunal ne se concilie avec l’article 6 § 1 de la Convention que si elle tend à
un but légitime et s’il existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre
les moyens employés et le but visé (Weissman et autres c. Roumanie,
no 63945/00, § 36, CEDH 2006-VII (extraits)).
85. La Cour note qu’aucune exemption de frais de justice n’est prévue
pour l’action fondée sur l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre
2007, les personnes souhaitant engager une action contre l’État pour obtenir
réparation en raison de la durée excessive d’une procédure doivent donc
s’acquitter des frais judiciaires à cette fin. Cela étant, la Cour note que c’est
la partie qui perd l’action ou le recours qui doit, en principe, s’acquitter les
frais de justice y afférant, comme le prescrit l’article 527 du code de
procédure civile. Ainsi, à titre d’exemple, elle relève que l’État a été
condamné au paiement des frais de justice dans le cadre de la procédure
no 01945/05, suite au rejet du recours qu’il avait introduit contre le jugement
d’un tribunal administratif (voir ci-dessus paragraphe 50). En revanche, il
n’a été condamné qu’au paiement partiel des frais de justice de recours dans
le cadre de la procédure no 0369/07 compte tenu qu’il avait obtenu
partiellement gain de cause (voir ci-dessus paragraphe 51).
86. Par ailleurs, la Cour relève que l’aide judiciaire est ouverte à toute
personne dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir ses droits en
justice, notamment dans le cadre de procédures comme en l’espèce. Elle
note également que l’aide judiciaire peut comprendre l’exemption du
paiement des frais judiciaires, la désignation d’un avocat d’office et le
paiement de ses honoraires (voir ci-dessus paragraphe 53).
87. Eu égard aux constatations qui précèdent, la Cour estime que les
règles prévues par le droit interne en matière de frais de justice
n’apparaissent pas comme dissuasives pour les justiciables souhaitant
poursuivre l’État en responsabilité civile pour dépassement du délai
raisonnable dans le cadre d’une procédure.
- Équité de la procédure
88. Les parties s’accordent pour considérer que la procédure respecte les
principes de l’équité.
89. La Cour constate aussi que l’analyse de la jurisprudence interne ne
révèle aucune apparence d’atteinte à l’équité dans le déroulement de ce type
de procédure.
- Célérité de la procédure
90. Les parties divergent en ce qui concerne la célérité des procédures de
responsabilité civile extracontractuelle au niveau national. Le requérant
dénonce leur longueur, accusant le ministère public de les retarder en raison
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
23
de recours systématiques introduits au nom de l’État contre des décisions
favorables aux demandeurs. Pour sa part, le Gouvernement estime que les
recours introduits au cours des procédures peuvent effectivement prolonger
leur durée. Néanmoins, les juridictions administratives ont la possibilité de
prendre en considération leur propre retard au moment de la détermination
des indemnisations à octroyer aux demandeurs.
91. Avant tout, la Cour note qu’il n’apparaît pas que l’État attaque
systématiquement des jugements favorables aux intéressés, comme l’allègue
le requérant. En effet, à titre d’exemple, la Cour observe qu’aucun recours
n’a été exercé contre des jugements faisant droit aux intéressés dans le cadre
des trois affaires internes indiquées par le Gouvernement et citées ci-dessus
au paragraphe 42.
92. Par ailleurs, de l’aperçu jurisprudentiel figurant aux paragraphes 28
à 41, la Cour relève que la durée des procédures en responsabilité civile
extracontractuelles mentionnées ont été les suivantes :
- 7 années, 5 mois et 4 jours sur deux instances saisies pour la procédure
interne no 01945/05 (voir ci-dessus paragraphe 36) ;
- 4 années, 2 mois et 6 jours pour trois niveaux de juridictions pour la
procédure interne nos 0337/14 et 09424/12 (voir ci-dessus paragraphes 33 et
37) ;
- 3 années, 2 mois et 13 jours pour deux niveaux de juridictions pour la
procédure interne no 09034/12 (voir ci-dessus paragraphe 39) ;
- 6 années, 11 mois et 23 jours pour deux instances saisies pour la
procédure no 0369/07 (voir ci-dessus paragraphe 38).
93. La Cour constate qu’en l’absence de délais spécifiques pour traiter
ce type d’affaires, leur durée peut se prolonger pendant quelques années
notamment si des recours sont exercés par les parties. Il est vrai que, par sa
nature, un recours indemnitaire exige une décision rapide (Cocchiarella c.
Italie [GC], no 64886/01, §§ 89 et 97, CEDH 2006-V; Sartory c. France,
no 40589/07, §§ 24 et 26, 24 septembre 2009). Toutefois, comme elle l’avait
déjà indiqué dans son arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro (voir
le paragraphe 53), le fait que les juridictions internes ont manqué de célérité
pour statuer sur le recours indemnitaire ne rend pas ce recours ineffectif,
surtout si la juridiction compétente dispose de la possibilité de faire état de
son propre retard et d’accorder à l’intéressé une réparation supplémentaire à
ce titre pour ne pas le pénaliser une seconde fois (voir mutatis mutandis,
dans le cadre de l’examen du grief tiré de l’article 6, Sartory, précité, § 26).
La Cour relève que cette possibilité est ouverte aux juridictions nationales
statuant sur ce type d’affaires comme l’expose le Gouvernement.
24
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
β) Les critères relatifs à l’appréciation du délai raisonnable et au calcul et
paiement de l’indemnité
- Sur l’appréciation du délai raisonnable par les juridictions internes
94. Le Gouvernement soutient que les tribunaux appliquent les critères
fixés dans la jurisprudence de la Cour en matière de durée d’une procédure.
Le requérant ne se prononce pas à ce sujet.
95. De l’aperçu de la jurisprudence pertinente figurant des
paragraphes 31 à 37, la Cour relève que la Cour suprême administrative a
considéré que :
- le dommage moral causé par une atteinte au droit à un procès dans un
délai raisonnable mérite réparation même s’il n’a pas été prouvé que la
victime a souffert une grande souffrance ou un changement sensible de vie
ou de comportement (arrêt du 9 octobre 2008 [procédure interne
no 0319/08]).
- si le délai raisonnable a été dépassé dans le cadre d’une procédure,
c’est l’État qui devait le garantir qui doit prouver toute cause justifiant
l’excès vérifié (arrêt du 1er mars 2011 [procédure interne no 0336/10]) ;
- si les parties utilisent les moyens de procédure que la loi interne leur
ouvre pour défendre leurs intérêts, ceci ne peut être retenu pour exclure la
responsabilité de l’État en raison de la durée d’une procédure au-delà du
raisonnable, à moins qu’elles en fassent une utilisation abusive ou
déterminée à retarder la procédure. En effet, il appartient à l’État
d’organiser son système judiciaire de façon à éviter que les procédures
s’éternisent dans les tribunaux, à travers des incidents et recours successifs
permis par la loi interne. La durée globale d’une procédure de plus de huit
ans traduit à elle seule un dysfonctionnement de la justice, violant l’article 6
§ 1 de la Convention européenne des droits de l’homme et l’article 20 § 4 de
la Constitution (arrêt du 27 novembre 2013 [procédure interne
no 0144/13]) ;
- pour déterminer le caractère raisonnable de la durée d’une procédure, il
faut tenir compte de la complexité de l’affaire, du comportement des parties
et des autorités et de l’enjeu du litige (arrêt du 21 mai 2015 [procédure
interne no 072/14 et arrêt du 27 novembre 2013 [procédure interne
no 0144/13]) ;
- l’État a l’obligation de créer des moyens, mécanismes, délais et
organisation pour atteindre l’objectif d’administrer la justice dans un délai
raisonnable (arrêt du 10 septembre 2014 [procédure interne no 090/12]) ;
96. Eu égard aux observations qui précèdent, la Cour constate que la
jurisprudence de la Cour suprême administrative a beaucoup évolué au
cours des dernières années et, en particulier, depuis l’arrêt Martins Castro et
Alves Correia de Castro. Il apparaît qu’elle s’est véritablement consolidée à
partir de l’arrêt du 27 novembre 2013 qui énumère les principes clés à
appliquer dans ce type d’affaires. Ceux-ci ont ensuite été repris dans des
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
25
arrêts postérieurs de la Cour suprême et des tribunaux centraux
administratifs (voir ci-dessus paragraphe 28 à 41).
97. Les principes qui se dégagent aujourd’hui de la jurisprudence interne
correspondent exactement à ceux fixés par la Cour dans les affaires
concernant le respect du « délai raisonnable » stipulé à l’article 6 § 1 de la
Convention. Il apparaît donc que la condition qui était faite au titre de
l’article 46 de la Convention dans le cadre de l’arrêt Martins Castro et Alves
Correia en raison du constat qui figurait au paragraphe 55 est remplie à la
date actuelle, un arrêt d’harmonisation n’étant plus justifié comme le
considère le Gouvernement.
- Sur la détermination et le paiement de l’indemnité
98. En ce qui concerne les montants octroyés, la Cour constate de
l’aperçu jurisprudentiel figurant aux paragraphes 39 à 45 que les montants
suivants ont été octroyés au titre du dommage moral :
- 5 000 EUR pour une procédure civile d’une durée de plus de douze ans
pour trois instances (arrêt du tribunal central administratif du Sud du
12 février 2015 dans le cadre de la procédure interne no 09309/12 - voir cidessus paragraphe 41) ;
- 16 000 EUR pour une procédure administrative qui avait duré plus de
vingt et un ans sur trois niveaux de juridictions (arrêt définitif du 22 mai
2014 dans le cadre de la procédure interne no 07822/11- voir ci-dessus
paragraphe 40).
- 15 000 EUR pour une procédure administrative qui avait duré dix-sept
années sur un niveau de juridiction (arrêt du tribunal central administratif du
Sud du 21 novembre 2013 dans le cadre de la procédure interne
no 09424/12- voir ci-dessus paragraphe 37) ;
- 15 000 EUR pour une procédure civile qui avait duré environ sept
années sur un niveau de juridiction (arrêt du tribunal central administratif du
Nord du 21 février 2013 dans le cadre de procédure interne no 01945/05 voir ci-dessus paragraphe 36) ;
- 3 250 EUR pour une procédure civile qui avait duré dix-sept années
sur trois niveaux de juridiction (arrêt du tribunal central administratif du
Sud du 20 mars 2014 dans le cadre procédure interne no 09034/12 - voir cidessus paragraphe 39).
99. La Cour note que, à l’exception de la dernière affaire où des retards
ont été imputés au demandeur, ces montants représentent
approximativement de 65 % à 100 % de ce que la Cour octroie normalement
dans ce type d’affaires (Cocchiarella, précité, § 146). La réparation
attribuée au niveau interne s’aligne donc plus ou moins sur la pratique de la
Cour. Elle apparaît donc adéquate.
100. Le Gouvernement affirme que les sommes attribuées à l’issue des
procédures devant les tribunaux administratives sont payées aussitôt que les
jugements deviennent définitifs. Le requérant ne s’est pas prononcé à ce
26
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
sujet. Pour sa part, la Cour estime qu’il n’y a pas de raisons de douter de la
diligence des autorités portugaises dans le paiement des indemnités.
γ) Conclusion
101. Compte tenu de ce qui précède et au vu des considérations qui
étaient faites dans son arrêt Martins Castro et Alves Correia de Castro, la
Cour considère que la pratique des tribunaux internes a beaucoup évolué ces
dernières années en ce qui concerne l’appréciation des actions en
responsabilité civile extracontractuelle fondées sur l’article 12 de la loi
no 67/2007 du 31 décembre 2007. Elle observe que c’est en particulier à
partir de l’arrêt de la Cour suprême administrative du 27 novembre 2013
(procédure interne no 0144/13) que ce changement s’est consolidé au niveau
de la jurisprudence interne au point de donner un degré de certitude
juridique au recours pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de l’article
35 § 1 de la Convention. La Cour en conclut qu’à partir du 27 novembre
2013, l’action en responsabilité civile extracontractuelle fondée sur l’article
12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007 constitue un recours effectif
pour remédier à une violation alléguée du droit de voir sa cause entendue
dans un « délai raisonnable » au sens de l’article 6 § 1 de la Convention.
Cela étant, à titre subsidiaire, afin que la longueur des actions en
responsabilité extracontractuelle ne compromette les avancements vérifiés
et l’effectivité du recours constatée en l’espèce, la Cour recommande à
l’État défendeur de rester attentif et, le cas échéant, de ne pas contester en
appel des jugements constatant le dépassement du délai raisonnable et
octroyant une indemnisation aux demandeurs.
ii. Sur la nécessité d’épuiser ce recours dans la présente espèce
102. Il reste à déterminer si le requérant aurait dû épuiser cette voie de
recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. La Cour rappelle à cet
égard que c’est en principe à la date d’introduction de la requête que
s’apprécie l’effectivité d’un recours donné. Cela étant, la Cour a approuvé
un certain nombre d’exceptions à cette règle, justifiées par les circonstances
particulières des affaires concernées, notamment suite à l’adoption d’une
nouvelle législation pour remédier au problème systémique de la longueur
des procédures judiciaires (Brusco c. Italie, (dec.) no 69789/01,
CEDH 2001-IX ; Nogolica c. Croatie (déc.), no 77784/01,
CEDH 2002-VIII, Marien c. Belgique (déc.), no 46046/99, 24 juin 2004,
Grzinčič c. Slovénie, no 26867/02, § 110, 3 mai 2007 ; Techniki Olympiaki
A.E. c. Grèce (déc.), no 40547/10, 1er octobre 2013, § 58 ; Xynos c. Grèce,
no 30226/09, § 54, 9 octobre 2014).
103. En l’espèce, il ne s’agit toutefois pas d’un nouveau recours au
niveau interne mais de l’évolution de la pratique des tribunaux nationaux
dans l’appréciation des actions en responsabilité civile fondées sur
l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007. Comme elle l’a
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
27
relevé ci-dessus au paragraphe 101, cette jurisprudence s’est véritablement
consolidée à partir de l’arrêt de la Cour suprême administrative du
27 novembre 2013 (procédure interne no 0144/13). La question qui se pose
est donc celle de savoir à quelle date cet arrêt a acquis un degré de certitude
juridique suffisant pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de
l’article 35 § 1 de la Convention (Van der Kar et Lissaur van West
c. France (déc.), nos 44952/98 et 44953/98, 7 novembre 2000, Giummarra
et autres c. France (déc.), no 61166/00, 12 juin 2001, Mifsud, précité).
104. Comme la Cour l’a considéré dans plusieurs affaires (voir, Broca
et Texier-Micault c. France, nos 27928/02 et 31694/02, § 20, 21 octobre
2003 ; Di Sante c. Italie (déc.), no 56079/00, 24 juin 2004 ; Depauw
c. Belgique (déc.), no 2115/04, CEDH 2007-V (extraits)), il ne serait pas
équitable d’opposer une voie de recours nouvellement intégrée dans le
système juridique d’un État contractant aux individus qui se portent
requérants devant la Cour, avant que les justiciables concernés n’en aient eu
connaissance de manière effective.
105. Dans les cas où, comme en l’espèce, le recours interne est le fruit
d’une évolution jurisprudentielle, l’équité commande de prendre en compte
un laps de temps raisonnable, nécessaire aux justiciables pour avoir
effectivement connaissance de la décision interne qui la consacre. La durée
de ce délai varie en fonction des circonstances, en particulier de la publicité
dont ladite décision a fait l’objet (Depauw, précitée ; Leandro Da Silva
c. Luxembourg, no 30273/07, § 49, 11 février 2010).
106. Dans la présente espèce, la Cour estime qu’il est raisonnable de
penser que l’arrêt de la Cour suprême administrative du 27 novembre 2013
a acquis une publicité au niveau interne, notamment dans le milieu
juridique, six mois après son prononcé, soit à partir du 27 mai 2014, celui-ci
ayant pu effectivement être consulté sur la base de donnée de la
jurisprudence de la Cour suprême administrative disponible sur son site
internet (http://www.dgsi.pt/jsta.nsf?OpenDatabase). Il est donc raisonnable
de considérer que l’arrêt de la Cour suprême administrative du 27 novembre
2013 ne pouvait ainsi être ignoré du public à partir du 27 mai 2014. La Cour
en conclut que c’est à partir de cette date qu’il doit être exigé des requérants
qu’ils usent de ce recours aux fins de l’article 35 § 1 de la Convention. Cette
conclusion vaut pour les procédures terminées comme pour celles qui sont
toujours pendantes au niveau national, la jurisprudence interne ne
distinguant pas les procédures pendantes de celles qui sont achevées.
107. La présente requête a été introduite le 25 novembre 2013, soit bien
avant le 27 mai 2014. À cette date, le recours n’avait pas encore le degré de
certitude exigé par la Cour pour pouvoir et devoir être utilisé aux fins de
l’article 35 § 1 de la Convention (voir, mutatis mutandis, parmi beaucoup
d’autres, Debbasch c. France (déc.), no 49392/99, 18 septembre 2001 ;
Dumas c. France (déc.), no 53425/99, 30 avril 2002). En outre, il apparaît
que le requérant ne serait actuellement plus en mesure d’engager une telle
28
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
action étant donné que le délai de prescription de cette action est de trois ans
- conformément à l’article 498 du code civil, applicable en vertu de
l’article 5 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007 -, un délai comptant à
partir du moment où l’intéressé a pris conscience du retard de la procédure
selon la jurisprudence interne (voir arrêt de la Cour suprême administrative
du 4 décembre 2012 et arrêt du tribunal administratif central du Sud du
23 octobre 2014, ci-dessus paragraphe 47).
108. Dès lors, il ne saurait être reproché au requérant de ne pas avoir fait
usage de l’action en responsabilité civile extracontractuelle au titre de
l’article 12 de la loi no 67/2007 du 31 décembre 2007. La Cour rejette ainsi
l’exception préliminaire du Gouvernement relative au non-épuisement des
voies de recours internes (paragraphe 50 ci-dessus) et estime, en
conséquence, qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention.
III. SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ARTICLE 6 § 1 DE LA
CONVENTION
109. Le requérant se plaint également que la procédure civile devant le
tribunal administratif de Lisbonne n’ait pas été décidée dans un délai
raisonnable, en violation de l’article 6 § 1 de la Convention, dont la partie
pertinente est ainsi libellée :
« 1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue (...) dans un délai
raisonnable, par un tribunal (...), qui décidera (...) des contestations sur ses droits et
obligations de caractère civil (...) »
110. Le Gouvernement reconnaît que la durée de la procédure a été
excessive.
111. La Cour note que la période à prendre en considération débute le
9 juin 2003 avec l’introduction de l’action civile devant le tribunal
administratif de Lisbonne et s’achève le 27 mai 2013 avec l’extinction de
l’instance prononcée par le tribunal central administratif du Sud, faute pour
le défendeur d’avoir présenté son mémoire en appel. La procédure a donc
duré 9 années, 11 mois et 20 jours pour un niveau de juridiction, le tribunal
central administratif n’ayant au final pas été appelé à se prononcer sur le
recours formé par le défendeur.
112. La Cour rappelle que le caractère raisonnable de la durée d’une
procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause et eu égard aux
critères consacrés par sa jurisprudence, en particulier la complexité de
l’affaire, le comportement du requérant et celui des autorités compétentes
ainsi que l’enjeu du litige pour les intéressés (voir, parmi beaucoup d’autres,
Frydlender c. France [GC], no 30979/96, § 43, CEDH 2000-VII). La Cour
rappelle aussi qu’une diligence particulière s’impose pour le contentieux du
travail (Ruotolo c. Italie, 27 février 1992, § 17, série A no 230-D).
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
29
113. À la lumière de ces principes et, compte tenu qu’en l’espèce, les
parties s’accordent en outre pour considérer qu’il y a eu dépassement du
délai raisonnable stipulé à l’article 6 § 1 de la Convention, la Cour conclut
qu’il y a eu violation de cette disposition.
IV. SUR L’APPLICATION DE L’ARTICLE 41 DE LA CONVENTION
114. Aux termes de l’article 41 de la Convention,
« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et
si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer
qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie
lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »
A. Dommage
115. Le requérant réclame 179 330, 22 euros (EUR) au titre du préjudice
matériel qu’il aurait subi, ce montant correspondant à la somme des salaires
qu’il n’a pas perçus en raison du retard pris par le tribunal administratif de
Lisbonne pour décider sa cause, retard qu’il estime être de sept ans et
dix-sept jours de retard. Il demande aussi 15 000 EUR pour le préjudice
moral subi en raison de la méconnaissance du délai raisonnable au sens de
l’article 6 § 1 de la Convention.
116. Le Gouvernement conteste ces prétentions. Il estime qu’il n’existe
aucun lien de causalité entre le montant réclamé au titre du dommage
matériel et la violation alléguée. Quant au dommage moral, il juge le
montant réclamé surévalué.
117. La Cour n’aperçoit pas de lien de causalité entre la violation
constatée et le dommage matériel allégué et rejette cette demande. En
revanche, elle estime que le requérant a subi un tort moral certain. Statuant
en équité, elle lui accorde 11 830 EUR à ce titre.
B. Frais et dépens
118. Le requérant demande également, sans la chiffrer, une somme pour
les frais et dépens devant les juridictions internes et la Cour.
119. Le Gouvernement conteste cette prétention au motif qu’elle n’est
pas quantifiée et étayée.
120. La Cour rappelle que, lorsqu’elle constate une violation de la
Convention, elle peut accorder le paiement des frais et dépens exposés
devant les juridictions nationales « pour prévenir ou faire corriger par
celles-ci ladite violation » (voir, parmi beaucoup d’autres, Hertel c. Suisse,
25 août 1998, § 63, Recueil des arrêts et décisions 1998-VI). En l’espèce,
étant donné que les frais réclamés au titre de la procédure devant les
juridictions internes n’ont pas été engagés pour prévenir ou faire corriger les
30
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
violations constatées, la Cour rejette la prétention du requérant s’agissant du
remboursement des frais et dépens relatifs à cette procédure.
121. Quant aux frais et dépens devant elle, selon la jurisprudence de la
Cour, un requérant ne peut obtenir le remboursement de ses frais et dépens
que dans la mesure où se trouvent établis leur réalité, leur nécessité et le
caractère raisonnable de leur taux. La Cour rappelle aussi qu’aux termes de
l’article 60 § 2 de son règlement, les requérants doivent chiffrer leurs
prétentions au titre de l’article 41 et y joindre les justificatifs nécessaires ; à
défaut, la chambre peut rejeter la demande, en tout ou en partie. En l’espèce,
le requérant ne chiffre pas sa demande et ne produit aucun justificatif
pertinent. Partant, la Cour décide de ne lui allouer aucune somme au titre
des frais et dépens pour la procédure engagée devant elle.
C. Intérêts moratoires
122. La Cour juge approprié de calquer le taux des intérêts moratoires
sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale
européenne majoré de trois points de pourcentage.
PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,
1. Joint au fond l’exception préliminaire du Gouvernement tiré du
non-épuisement des voies de recours internes et la rejette ;
2. Déclare la requête recevable ;
3. Dit qu’il y a eu violation de l’article 6 § 1 de la Convention ;
4. Dit qu’il y a eu violation de l’article 13 de la Convention ;
5. Dit
a) que l’État défendeur doit verser au requérant, dans les trois mois à
compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à
l’article 44 § 2 de la Convention, 11 830 EUR (onze mille huit cent
trente euros), plus tout montant pouvant être dû à titre d’impôt, pour
dommage moral ;
b) qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ces
montants seront à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la
facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable
pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;
6. Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.
ARRÊT VALADA MATOS DAS NEVES c. PORTUGAL
31
Fait en français, puis communiqué par écrit le 29 octobre 2015, en
application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement de la Cour.
Søren Nielsen
Greffier
András Sajó
Président