Jean.Louis Maubois et la valorisation Le brevet MMV
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Jean.Louis Maubois et la valorisation Le brevet MMV
Entretien de Jean-Louis Maubois réalisé en 1997, revu par le témoin en 2007 Jean.Louis Maubois et la valorisation Le brevet MMV sur l'ultrafiltration J’ai vécu ou plutôt essuyé les plâtres dans ce domaine. La DRIV n’existait pas mais heureusement le service juridique existait et sa chef, Mademoiselle Bouchet nous a beaucoup aidés. Donc, nous avons, avec Monsieur Mocquot, Mademoiselle Bouchet et l’aide du cabinet Harlé Phélip, déposé notre brevet comme des braves, tous seuls. Aussitôt la création de l’ANVAR, Monsieur Mocquot qui avait reçu sûrement des instructions, m’a dit : « Nous allons confier la valorisation de ce brevet à l’ANVAR ». Ce brevet a représenté à lui seul 50 % des recettes de l’ANVAR, c’est dire que nous étions assez bien considérés au sein de cet organisme !! Mais l’ANVAR n’ayant défini aucune politique préalable de valorisation, nous avons été amenés à tester différentes voies de valorisation d’où des couacs assez forts avec les industriels utilisateurs et une forte expérience en matière de valorisation en ce qui me concerne. Le brevet MMV a conduit à des développements industriels conséquents puisqu’au total, l’Inra a dû toucher plusieurs millions de Francs de royalties qui sont revenus au laboratoire. C’est pour cela que j’ai dit tout à l’heure que la valorisation réalisée a beaucoup aidé au développement du laboratoire. Le procédé MMV est utilisé maintenant dans tous les pays laitiers du monde. Denis POUPARDIN Quelle évolution y a-t-il eu en ce domaine ? C’est vous qui avez essuyé les plâtres de la valorisation. Comment les choses ont-elles changé compte tenu des expériences que vous avez eues ? Jean-Louis MAUBOIS Pour ce qui concerne le laboratoire de Rennes, il n’y a pas eu de profondes modifications parce que j’ai toujours eu comme principe que c’est aux chercheurs et aux responsables du laboratoire de mener la politique de valorisation. Cela est considéré comme une hérésie par certains mais j’estime que ce sont les inventeurs qui, par définition, connaissent le mieux leur innovation, et qui, lorsqu’il y a valorisation, doivent rester en contact constant avec les licenciés. Nos amis de la DRIV changent souvent. Je pense qu’on doit en être au sixième ou septième Directeur de la DRIV en 30 ans. Chacun développe sa propre conception de valorisation et oublie que, quand on concède une licence à un industriel, on la concède pour 20 ans. Les seuls interlocuteurs qui restent en place sont les chercheurs et 20 ans c’est une durée. L’autre expérience de valorisation que j’ai vécue et dont je pense que peu de chercheurs à l’Inra ont eu, c’est que tous les brevets qui ont donné lieu à valorisation, ont été contestés en justice. J’ai dû faire face à ces contestations hautement désagréables avec la seule aide du service juridique. La DRIV ne m’a jamais aidé, sauf sur le plan financier, mais sur le plan intellectuel, jamais. Chaque fois, les procès ont duré entre 10 et 15 ans avec en face de soi, des sociétés comme Nestlé ou Kali Chemie. Pour vous donner un exemple du travail que cela a représenté ; pour la seule défense du brevet MMV aux USA, Monsieur Mocquot et moi-même avons dû rédiger un dossier qui fait pratiquement 2 mètres d’épaisseur. Un tel travail ne peut absolument pas être valorisé sur le plan scientifique puisque la démarche liée aux procédures de brevet est absolument contraire à la vision scientifique puisqu’on doit faire des expériences pour démontrer que quelque chose ne peut pas arriver. Vous imaginez le paradoxe pour un chercheur ! Pour moi, la DRIV doit être une structure légère dont le seul but est d’aider et d’harmoniser la politique de l’Inra. Mais il ne faut surtout pas qu’elle se mêle directement de valorisation. Denis POUPARDIN Si en même temps vous avez été très absorbé justement par la défense de votre brevet, des consultations, des choses comme cela, est-ce vous n’étiez pas en droit justement de vous appuyer sur une autre structure qui aurait fait le travail un peu à votre place et qui aurait… Jean-Louis MAUBOIS C’est malheureusement difficile voire impossible dans le contexte actuel ! J’ai essayé avec l’ANVAR parce que cet organisme avait beaucoup plus de souplesse que l’Inra pour les recrutements. A titre d’exemple, pour suivre la procédure aux USA et dans tous les pays anglo-saxons, les documents devaient naturellement être rédigés en Anglais. L’ANVAR a pu mettre à ma disposition une secrétaire écrivant et parlant l’anglais, ce qui est tout à fait naturel maintenant mais peu fréquent si on se reporte 30 ans en arrière. Un autre exemple, pour chaque concession de licence, l’Inra devait s’engager à assurer l’assistance technique et scientifique aux licenciés. Or nous avions des dizaines de licenciés. En avançant le salaire, l’ANVAR a permis le recrutement d’un ingénieur en développement. (…) Denis POUPARDIN Combien de brevets vous avez déposés en tout ? Jean-Louis MAUBOIS 25. Denis POUPARDIN 25 brevets, portant un peu sur les mêmes objets ou… Jean-Louis MAUBOIS Non, c’est très divers. Beaucoup concernent l’utilisation des techniques à membranes mais parmi les brevets qui rapportent des royalties, nous avons un brevet qui concerne un milieu de culture spécifique pour les bactéries propioniques. Le dernier en date va vous faire sourire parce qu’il est très loin de ce que vous pouvez imaginer. C’est un brevet qui couvre la composition et l’utilisation d’un dilueur de sperme d’étalon. Nous avons découvert avec nos collègues Inra de Tours qu’une des protéines du lait présente un effet protecteur et même, stimulateur des spermatozoïdes du cheval. Denis POUPARDIN Premièrement, est-ce que vous avez été personnellement intéressé par l’exploitation de ces brevets d’une part ou est-ce que votre unité de technologie que vous avez développée en a bénéficié aussi ? Jean-Louis MAUBOIS Personnellement, j’ai reçu zéro royalty, c’est clair. Il a été envisagé depuis le mois d’octobre 1996 un retour vers les inventeurs mais comme j’ai entendu cela une dizaine de fois dans les quinze dernières années, je suis très dubitatif. J’attends pour voir. Par contre, je me suis toujours battu et jusqu’à présent les responsables de l’Inra ont toujours accepté, car je leur mettais un peu la pression, c’est que toutes les royalties reviennent au labo. Le laboratoire en a largement bénéficié. (…) Denis POUPARDIN Je pense que vous avez joué un rôle très original dans les rapports avec l’industrie. On peut penser que dans les années 60-70, celui qui travaillait avec l’industrie aurait du travailler pour l’intérêt supérieur de la science. Vous avez eu une attitude qui contrevenait aux habitudes classiques ? Je voudrais que vous en parliez un peu de cela. Jean-Louis MAUBOIS Ce que vous venez de dire m’amuse mais c’est très vrai. Comme vous l’évoquez, j’ai été pas loin d’être insulté. On m’a dit : « Tu te prostitues, tu ne fais pas de la science pure et dure, tu travailles pour l’industrie qui fait du profit, qui t’exploite et exploite l’Inra ». Mais j’ai toujours eu une autre vision de la recherche. La recherche doit être au service des utilisateurs avec pour objectif de créer de l’activité et de l’emploi. Cela ne veut pas dire qu’on doit uniquement travailler en recherche finalisée à court terme mais qu’on doit travailler avec des objectifs, des paramétrages dont on estime, soit à court terme, soit à moyen, soit à long terme qu'ils sont utiles au secteur de l’industrie de la transformation ou de la filière dans laquelle on se trouve. Il faut que nos résultats puissent être utilisés par cette filière. Cela me semble tellement évident. Je dis toujours que pour moi, une belle publication, c’est très mineur. Je suis bien plus heureux si grâce au travail qui a été fait ici, surtout à l’époque actuelle, un jeune est recruté et puisse s’épanouir dans son travail ou bien si une entreprise se développe, recrute, fait du profit parce qu’en général, cela se traduit toujours par des emplois. Sur ce plan-là, nous avons eu des tas de satisfactions. Le fleuron de toutes, toujours mis en avant à l’Inra, c’est la création de la fromagerie Guilloteau sur notre procédé. Partie de rien en 1982, cette société a créé plus de 200 emplois directs et fait près de 50 millions d’euros de CA en 2005. Le brevet MMV sur l'ultrafiltration Jean-Louis MAUBOIS Le point de départ de la reconnaissance du Laboratoire de Rennes a été la mise au point du procédé qui a été appelé MMV, initiales de ses inventeurs. Le brevet a été déposé en 1969. Denis POUPARDIN A par Vassal, vous-même et puis… Jean-Louis MAUBOIS C’est Maubois, Mocquot et Vassal Denis POUPARDIN En quoi ce procédé était-il très original à l’époque ? Est-ce que vous pourriez parler de la façon dont il a été mis au point ? Jean-Louis MAUBOIS Il y a déjà eu une thèse de sociologie écrite sur ce point. Et tout ce qui concerne ce brevet est maintenant aux Archives Nationales à Paris, selon la décision de Mademoiselle Bouchet, notre ancienne directrice juridique. Mes premiers travaux sur le sujet ont démarré en 1967. Pressé par de nombreux journalistes, j’ai du faire une introspection a posteriori pour me rappeler quelle fut ma démarche de pensée. L’origine de la réflexion a été mes études sur les relations entre la composition du lait et son rendement en fromage. Ces études m’ont amené à la conclusion qu’il y avait un stade de fabrication du fromage qui, quel que soit le progrès des techniques – et jusqu’à maintenant la suite m’a donné raison – serait difficile voire impossible à contrôler parce qu’il est sous la dépendance d’au moins une centaine de facteurs, c’est celui de l’égouttage du mélange caillé-sérum. Ce stade de la synérèse, ou de l’égouttage, entraîne une concentration différentielle des composants du fromage en provenance du lait. Cette constatation m’a mis sur la route d’une réflexion pour trouver une autre solution à même de réaliser cette concentration différentielle. A l’époque sont apparus les premiers reins artificiels, puis le développement des premières membranes semi-perméables qui, comme beaucoup d’autres avancées technologiques, ont résulté de travaux de recherche militaire. Le problème posé dans le milieu des années 60 aux scientifiques, était en effet de trouver un moyen de fournir de l’eau potable à un marin ou à un aviateur tombé en mer. Le cahier des charges était simple : conception d’un appareil portable fonctionnant par une énergie faible, pile ou quelque chose comme cela, ou même sans énergie extérieure et fournissant les deux litres d’eau douce quotidienne nécessaires à la survie. C’est de ce programme que sont parties les recherches sur les membranes semiperméables qui étaient connues depuis fort longtemps au laboratoire mais qui étaient des curiosités dont personne ne se servait. En 1967, j’ai pu assisté à un colloque organisé par la DGRST sur invitation grâce à Monsieur Mocquot à qui j’avais parlé de mes premiers essais avec des boudins de dialyse. Il m’a dit : « Il y a peut-être quelque chose que vous pourriez en retirer ». Au cours d’une conférence d’un scientifique qui avait raté la mise au point de membranes d’osmose inverse et qui s’était dit, je peux peut-être utiliser ces membranes pour une autre application, celle de traiter des jus de fruits, l’étincelle a jailli au vu d’un résultat contenu dans un tableau présenté. Ledit résultat indiquait une augmentation de la matière azotée dans la solution retenue par la membrane. J’avais l’esprit préparé, je me suis dit : « C’est la solution à mon problème ». Je me suis procuré les membranes qui avait été utilisées et j’ai poursuivi mes manips pour aller dans le sens d’une concentration différentielle du lait à l’aide de cette membrane d’ultrafiltration. Naturellement des progrès sont venus lorsque j’ai pu utiliser et tester d’autres membranes. En 1969, Monsieur Mocquot m’a dit : « Il faut qu’on dépose un brevet, c’est intéressant ».