LE REGARD DE… Anne Perraut-Soliveres, amoureuse de l`hôpital
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LE REGARD DE… Anne Perraut-Soliveres, amoureuse de l`hôpital
PHAR 44 26/03/08 15:28 Page 10 LE REGARD DE ... Anne Perraut - Soliveres Amoureuse de l’hôpital et intransigeante epuis longtemps, PHAR ouvre ses colonnes à des personnalités extérieures au monde de l’anesthésie-réanimation. Nous formalisons aujourd’hui cette ouverture par la rubrique « Le regard de… », inaugurée par un entretien avec Anne Perraut-Soliveres, cadre supérieure infirmière, très engagée dans son métier, qui nous livre ses sentiments sur l’évolution de l’hôpital, les notions d’équipe, les conditions de travail… D Anne Perraut-Soliveres est cadre supérieur infirmier de nuit au centre médical de Bligny (Essonne), établissement d’environ 400 lits, spécialisé en cancérologie et maladies infectieuses (sida en particulier), cardiologie et pneumologie. Aujourd’hui proche de la retraite, elle a toujours travaillé dans cet hôpital qu’elle aime, malgré tout… PHAR : Vous apparaissez passionnée et très engagée dans votre métier. Comment cet engagement s’estil concrétisé au cours de votre carrière ? Anne Perraut-Soliveres : Pour moi, plus que l’appartenance à un parti ou une organisation, l’engagement professionnel s’est surtout manifesté par le fait d’aller jusqu’au bout de mes convictions, challenge que je me suis imposé tout au long de ma carrière, quoi qu’il m’en coûte chaque jour. Finalement, loin de « me fatiguer pour rien » (reproche souvent entendu de mes proches), je pense au contraire que c’est cet engagement qui m’a aidée « à tenir ». PHAR : Comment définiriez-vous votre métier de cadre supérieur de nuit ? A. P-S. : Difficile question ! Je suis responsable du service 10 de nuit dans sa totalité. Je dois donc tout à la fois faire face aux tâches administratives multiples, réfléchir et être force de proposition pour l’avenir, œuvrer au quotidien pour rendre la vie professionnelle des équipes possible, etc. Dans ce très large champ d’intervention, je me suis souvent définie comme l’infirmière des infirmières et, plus largement, des personnels médicaux ou non qui travaillent de nuit. PHAR : Quelles évolutions des conditions d’exercice de votre profession avez-vous notées tout au long de votre carrière ? A. P-S. : À la fin des années soixante, les conditions d’hospi- talisation étaient encore quasiment médiévales, avec des salles communes de 50 à 60 malades pour souvent deux infirmières ! J’ai assisté à la fermeture progressive de ces salles au début de ma carrière. Les conditions de travail des personnels de cette époque paraissent aussi, avec le recul, incroyables : infirmière de nuit, je travaillais 6 nuits sur 7, 48 heures par semaine. Une embellie a marqué la décennie suivante, avec un début de réduction du temps de travail et l’ouverture des écoles qui ont formé un plus grand nombre d’infirmières. On ne peut que constater que les conditions de travail objectives se sont considérablement améliorées depuis ces années, alors que, dans le même temps, les conditions subjectives se sont dégradées. PHAR : Vous évoquez la formation des futures infirmières. Répond-elle aux besoins actuels de l’hôpital ? A. P-S. : Certes, des écoles sont ouvertes, mais la sélection par concours est tellement drastique qu’un grand nombre de jeunes n’arrivent pas à les intégrer. Curieusement, le résultat de cette sélection à l’entrée ne semble pas très positif en termes d’efficacité sur le terrain, avec des jeunes qui me semblent moins débrouillards face à des situations qu’ils n’ont pas apprises, alors que nous savons bien, en pratique, qu’il faut « faire avec ce que l’on a », improviser, inventer. Autre constat assez alarmant sur l’organisation de la formation: le taux d’abandons en cours de formation, qui avoisine 50 % dans certaines écoles proches de mon établissement. Ce constat est d’autant plus déplorable que, alors que les enseignants actuels sont un peu trop déconnectés du réel, nous avons des personnels qui ont l’expérience, les compétences et le recul nécessaires pour être d’excellents enseignants et sont justement ceux qui ont parfois du mal, physiquement, à assumer la fonction de soins. 26/03/08 15:28 Page 11 LE REGARD DE ... dangereux, par exemple, en lien avec les drogues utilisées en réanimation ou les chimiothérapies en cancérologie. Il règne aussi un véritable climat de culpabilisation du personnel soignant face aux germes manuportés, dans un hôpital où les infections nosocomiales augmentent avec le nombre de malades immunodéprimés, plus âgés, plus fragiles, plus souvent soumis à des traitements lourds. PHAR : Comment vivez-vous l’évolution de la communication au sein des équipes et entre les personnels ? A. P-S. : L’accentuation des réformes a dégradé le paysage, avec des médecins qui ont moins de temps et des infirmières qui sont, elles aussi, submergées par les actes techniques. Les changements dans les horaires de travail de chacun ont littéralement fait exploser les équipes, et les espaces de discussion entre médecins et infirmières, notamment la nuit dans les services de réanimation, tendent à disparaître. Plus rares aussi depuis une dizaine d’années, ces moments passés à travailler ensemble autour d’un patient en se tenant PHAR : Comment vivez-vous les évaluations qui la main et… le moral. La disparition de l’esprit d’équipe va nous sont demandées ? de pair avec le repli individuel, chacun concentré sur ses propres responsabilités. A. P-S. : Je suis bien consciente que nous devons rendre des Le temps relationnel, celui qui permet d’exprimer des comptes et j’adhère totalement à ce principe dans la positions subjectives, est totalement négligé par les nouvelles mesure où nous travaillons avec l’argent public et pour des organisations. Les transmissions ciblées, dont il faut interventions dont les conséquences sont potentiellement reconnaître les mérites pour la tenue des dossiers des graves pour les personnes. En revanche, ces indices comppatients, ont quand même comme but non avoué de tables et mesurables ne sont en rien des indices d’évaluation supprimer les temps de chevauchement entre équipes, du travail des personnes. L’évaluation du travail doit, à c’est-à-dire les temps de travail en commun. Les transmissions mon sens, n’être que collective et concerner le rendu final sont certes écrites dans le d’une équipe. L’évaluation dossier de chaque patient, individuelle qui est en train mais il n’y a plus de document d’être imposée, à mon corps Une évaluation autour d’un projet pour retracer l’histoire comdéfendant, ne fait qu’individualiser des problèmes et ne semblerait beaucoup plus intéressante mune du service ; ainsi, la charge de travail du service des rapports personnels à que les questionnement individuels n’apparaît plus de façon l’institution. Les nouvelles globale, tout est scindé. pratiques manageriales À l’approche de la retraite, sont en train d’isoler non un de mes plus grands regrets est de n’avoir jamais vu seulement les corps professionnels les uns des autres, médecins et infirmières vraiment solidaires dans aucune lutte, mais, plus grave encore, les individus, alors que l’enjeu est, alors qu’il est évident que nous avons les mêmes préoccuau contraire, de remettre les individus dans leur collectif pations. Pourquoi n’avons-nous jamais pu être ensemble pour puisque, à l’hôpital, personne ne travaille tout seul. défendre ce service que nous devons au public ? PHAR : On parle beaucoup de satisfaction, ou Propos recueillis par A. le Masne d’insatisfaction, au travail ? Qu’en est-il pour les infirmières ? “ “ PHAR 44 A. P-S. : La démotivation concerne autant les médecins que les infirmières. Je n’ai jamais entendu autant de médecins qui parlent de s’arrêter, autant d’infirmières qui me disent qu’elles voudraient être aide-soignantes car elles paniquent face aux responsabilités qu’elles ressentent comme leurs. La crainte médicolégale représente un poids certain dans un contexte où nos actes sont de plus en plus potentiellement Anne Perraut Soliveres tient un blog à l'adresse suivante : http://infirmiere.blogs.liberation.fr/anne_perraut_soliveres/ Elle a écrit "INFIRMIERES : LE SAVOIR DE LA NUIT" Ed. Le monde/puf,collection Partage du savoir, parrainée par Edgar Morin. 294p. Cet ouvrage a reçu le prix « Le Monde » de la recherche universitaire 2001. 11