ils sont jeunes, optimistes et en quête de sens

Transcription

ils sont jeunes, optimistes et en quête de sens
ILS SONT JEUNES, OPTIMISTES ET EN QUÊTE DE SENS
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« Tout est possible à qui rêve, ose,
travaille et n’abandonne jamais ».
Le cinéaste Xavier Dolan, en recevant le Prix du Jury lors du dernier
Festival de Cannes, lance un
émouvant appel à sa génération :
aujourd’hui, la jeunesse doit s’accrocher à ses rêves pour changer un
monde qui a besoin de l’être. Dans
ce numéro, nous l’avons pris au mot
et sommes partis à la rencontre de
cette jeune génération qui s’engage,
innove et met en œuvre des solutions concrètes pour rendre réalité
le rêve d’un monde meilleur.
Les 50 jeunes sélectionnés pour la 1ère édition
de Ticket for Change (lire notre reportage page
suivante) avant de décoller pour le changement.
SOMMAIRE
Déclic et des claques : Socialter
embarque à bord du Ticket for Change et
vous raconte l’aventure de l’intérieur
Entreprendre autrement :
Génération social business
Dealer de sens : Rencontre avec
Christian Vanizette, cofondateur de
MakeSense
Planétarium : ils sont jeunes et leur
invention change le monde
Les jeunes, l’emploi et l’ESS :
Désir d’avenir et de sens
Les enfants syndiqués du Pérou
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Malo Richard.
Vu d’ailleurs :
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GÉNÉRATION POSITIVE
UN VOYAGE INITIATIQUE POUR JEUNES VOULANT CHANGER LE MONDE
Déclic et des claques
Pour la première édition de Ticket for Change, 50 jeunes talents ont sillonné la France
en bus à la rencontre de pionniers du social business. Le but ? Déclencher en eux le
déclic qui leur permettra de monter leur entreprise sociale. Pour vous faire vivre ce
périple inédit, Socialter a embarqué à bord du bus Ticket for Change. Carnet de voyage.
Baptiste Piroja-Pattarone et Olivier Cohen de Timary
V
ous voici à bord du bus Ticket for Change. Pendant
10 jours, vous allez sillonner la France en compagnie
de 50 jeunes aux parcours
divers pour rencontrer des pionniers de
l’entrepreneuriat social. Au programme :
conférences, échanges, ateliers, mais
aussi travail sur soi et séances de « mise
en énergie » collectives. Le tout pour
inspirer nos entrepreneurs en herbe et
favoriser la concrétisation de leurs projets. L’aventure, imaginée par Matthieu
Dardaillon, 24 ans, s’inspire du Jagriti
Yatra en Inde – un voyage en train qui
permet chaque année à 450 jeunes de
partir à la rencontre d’entrepreneurs sociaux, pour les inciter à passer à l’action.
Ticket for Change a été conçu autour de
trois étapes, proches des cycles de la
méditation. Une phase d’inspiration
pour mettre à jour ses connaissances, un
temps réservé à l’introspection dans une
ferme pionnière en agroécologie, et enfin, le plus intense pour la fin : le passage
à l’action avec l’élaboration concrète des
projets. En route !
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Matthieu Dardaillon, Joséphine Bouchez, Adèle Galey, Boris Marcel :
l’équipe fondatrice du tour. Les Dalton n’ont qu’à bien se tenir.
Socialter
« Vous allez beaucoup recevoir ». Le ton est donné par l’initiateur du tour, Matthieu
Dardaillon. Il s’exprime au micro devant une salle comble. Malgré la tension palpable du côté des participants, il s’agit avec cette entrée en matière de décomplexer.
« L’échec améliore la performance, on est fort de ces échecs, plus que de ses succès »,
confesse Arnaud de Ménibus, le président d’Entreprendre&+, sponsor principal de
Ticket for Change. Une fois le tour achevé, les entreprises sociales encore à l’état
d’idée devront se concrétiser. « On espère qu’au moins 10 projets prendront forme, et
nous les suivrons pendant les 10 mois suivant le tour », précise Matthieu Dardaillon.
« Leur business model sera capital, il leur faudra un développement durable et pérenne ». Nos 50 jeunes « pépites » triées sur le volet, qui représentent peut-être
l’avenir de l’entrepreneuriat social, devront donc être à la hauteur…
Pour inspirer les participants, la journée commence par une conférence
avec un Jacques Attali en grande
forme. Ses formules choc font mouche
dans l’assemblée. « Le plus grand privilège dans la vie, c’est de rendre service », clame-t-il. Ou encore : « L’entreprise la plus importante de votre vie,
c’est votre vie. Essayez de concevoir
votre vie comme une œuvre d’art ».
Rien que ça. C’est ensuite à Jean-Baptiste Roger d’intervenir. Le président
de La Fonderie (l’agence numérique
d’Île-de-France) se charge lui aussi de
booster nos futurs entrepreneurs :
« Ceux qui vous disent que la France est
en panne, c’est faux. Le vieux monde
occupe encore l’espace mais se disloque. (...) Certains secteurs comme la
silver economy sont florissants. Foncez ». À bon entendeur.
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JOUR 1 - PARIS
EN AVANT LES PÉPITES
Malo Richard / Ticket for Change
JOUR 2 - PARIS
LES PARRAINS
Socialter / DR
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Socialter / DR
JOUR 5 ET 6 - LES AMANINS
L’INITIATION
Silence. On écoute la terre et on ouvre son cœur. Vous êtes arrivés à la ferme des Amanins, haut lieu de l’agroécologie et du
developpement durable, en plein milieu de la Drôme. « Si je me
suis inscrite à Ticket for Change, c’est surtout pour cette étape »,
confie une participante, déjà conquise par le concept de « sobriété heureuse ». Ici, on travaille l’autonomie, qu’elle soit énergétique, alimentaire ou économique. Née de la rencontre entre
le paysan et philosophe Pierre Rabhi – aux allures de Gandhi –
et le self-made-man millionnaire Michel Valentin, la ferme est
un véritable laboratoire confrontant idéal de société et réalité
économique et sociale. « Il faut accepter les imperfections et les
difficultés du projet, confesse Olivier, notre guide d’un jour au
sein de la ferme. Certaines personnes arrivent avec de grandes
attentes, mais repartent assez vite car la vie est très exigeante
ici ». On s’attendait à un discours angélique, pas à ce type de
réalités sur le management. Pas de tout repos. « Il faut mettre de
la respiration dans un projet, c’est vital », poursuit Olivier. Une
respiration que vont d’ailleurs prendre les jeunes du tour :
séances d’introspection et de « lâcher prise », pour trouver sa
voie. Certains participants craquent. D’autres commencent à
bâtir un projet. Tous creusent un nouveau sillon. « La vie est un
chemin d’initiation », affirme Pierre Rabhi.
Socialter / DR
Après les discours, le terrain, ou comment l’innovation sociale change concrètement la vie des gens.
Visite au petit matin du dispositif « Premières
heures » lancé par Emmaüs Défi depuis 2011. Employant plus de 100 salariés en insertion, ce « bricà-brac » donne la possibilité à des personnes dormant dans la rue de retrouver le chemin de l’emploi :
en commençant par travailler quelques heures par
semaine (réparation de meubles, vente, etc.), elles
apprennent progressivement à se réinsérer dans la
société. La journée se poursuit avec la rencontre de
Saïd Hammouche, fondateur du Mozaïk RH, le 1er
cabinet de recrutement et de conseil en RH qui agit
en faveur de l’égalité des chances. Un peu plus tard,
c’est le chef étoilé Thierry Marx qui vient échanger
avec les participants. Il a retiré son tablier pour parler innovation et réussite sans diplôme. Le soir
venu, c’est le grand départ. On embarque enfin dans
le bus, direction Marseille. La nuit sera courte.
Arrivée dans la cité phocéenne, à l’aube. Le joyeux équipage n’est pas encore réveillé que le coach et chorégraphe Ucka Ludovic Ilolo met tout le monde en selle à
coup d’activités ludiques mêlant mouvements toniques et ambiance tribale. Commence alors une partie de « chasse aux solutions » : armées d’un plan de Marseille
et accompagnées de jeunes d’écoles de la deuxième chance, les équipes sont invitées
à aller résoudre des défis d’entrepreneurs sociaux. Ressourceries, ateliers d’insertion,
cafés solidaires, mobilité durable… L’étape marseillaise se transforme en séance de
brainstormings solidaires aux quatre coins de la ville, sauce Pékin Express. Les
jeunes loups solidaires, gonflés à bloc, prennent conscience des enjeux locaux et de
leur capacité à résoudre concrètement des problèmes en équipe.
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Malo Richard / Ticket for Change
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JOUR 3 - PARIS
PREMIÈRE PLONGÉE.
JOUR 4 - MARSEILLE
LA CHASSE EST OUVERTE
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GÉNÉRATION POSITIVE
JOUR 6 - LYON
À FOND LA FORME
Terminées les échappées sauvages en campagne, le sprint final commence. Alors que les
projets sont encore en phase d’incubation, les participants apprennent à « pitcher » leur
idée, de manière concise et claire. Auprès de passants ou d’entrepreneurs sociaux, les
jeunes tentent d’améliorer leur discours. Ils reçoivent également les conseils de chefs
d’entreprise comme Abdel Belmokadem, dont la société Nes & Cité réalise des opérations de médiation dans les zones urbaines sensibles.
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Socialter / DR
JOUR 7 - STRASBOURG
RICHE COMME CRÉSUS
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Après une journée de conférences sur les différentes manières de financer son entreprise sociale et une soirée festive dans la gare de marchandises Saint-Sauveur, les participants
découvrent Terradeo, le siège du groupe Adeo
(Leroy Merlin). Dans un open space ultramoderne, les « pépites » détaillent leur projet
devant un jury de spécialistes : un « Wikipédia
des savoir-faire » réunissant entre autres les
astuces de nos grand-mères, une initiative
originale d’implantation de monnaie locale à
Strasbourg ou encore la création d’un lieu pour
faire le pont entre start-up et grandes entreprises afin de susciter l’innovation et la
co-construction.
Malo Richard / Ticket for Change
JOUR 8 ET 9 - LILLE
RESSOURCES, LEADERSHIP ET ACTION
Nos 50 jeunes retroussent leurs manches et s’attellent à l’élaboration
d’un business plan. À la question « Comment trouver des sources de financement ? », les pionniers du jour répondent par plusieurs conseils
avisés : « Oser aller à la rencontre des grandes boîtes », assure Jean-Louis
Khiel de CRÉSUS (Chambre Régionale du Surendettement Social),
« s’entourer des appuis locaux », soutient quant à lui Pierre Hoerter, qui
dirige l’association La Main verte, spécialisée dans l’insertion professionnelle des personnes souffrant d’un handicap mental.
Et si l’entreprise sociale venait à mettre la clé sous la porte ? Des entrepreneurs sont là aussi pour dédramatiser et faire part de leur expérience.
« Le pire risque quand on monte son entreprise, c’est de ne pas risquer »,
conclut Stéphane Degonde, auteur d’un livre sur le sujet.
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Socialter / DR
JOUR 10 - PARIS
CE N’EST QUE LE DÉBUT
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Dernier jour de l’aventure et moment de vérité à l’ESCP Europe
devant la ministre de l’Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. « Il y a dix jours, on n’avait pas de projet. Aujourd’hui, on pitch
devant la ministre », entend-on sur scène. En point d’orgue : Chris,
l’une des 50 « pépites », se voit décerner le Ticket for Change d’or
grâce à son projet d’impression 3D pour les malvoyants.
De ce tour est née pour chaque entrepreneur l’envie « de répondre
non pas à un besoin du marché mais à un besoin de société », selon
Aymeric Marmorat, directeur exécutif d’Enactus France et coach
« boîte à outils » du tour. Et l’aventure ne s’arrête pas là. Un
processus d’accompagnement de 10 mois est prévu pour aider les
projets à se concrétiser.
MATTHIEU DARDAILLON, COFONDATEUR DE TICKET FOR CHANGE
Action man
À seulement 24 ans, Matthieu Dardaillon a imaginé Ticket for Change pour pousser de
nombreux jeunes à entreprendre. D’après lui, il manque à cette génération qui questionne
les modèles économiques dominants le fameux déclic qui lui donnera l’envie d’agir.
Propos recueillis par Baptiste Piroja-Pattarone et Olivier Cohen de Timary
qui cherche à éradiquer la pauvreté
aux Philippines.
Ticket for Change vise donc à
insuffler cet esprit entrepreneurial chez 50 jeunes ?
Nous n’attendons pas forcément qu’ils
montent une entreprise. Peu importe le
statut de la structure en réalité. Selon
moi, l’entrepreneur social, c’est
quelqu’un qui a une idée, la met en
œuvre et entraîne d’autres personnes
avec lui pour réaliser cette idée. Il peut
s’agir aussi d’intrapreneuriat social,
aventure. C’est à ce moment-là que la
fondation Entreprendre & + m’a
contacté et m’a demandé de faire un
business plan. Séduit par l’idée, ils sont
devenus partenaires fondateurs.
Ensuite, ce projet a vu le jour grâce à
une équipe très dynamique, à qui je
dois beaucoup. Ce projet s’est enfin
concrétisé grâce à de nombreux
partenaires privés (Fondation Schneider Electric, Danone Communities,
Renault) et publics. À l’issue du tour de
Quels enseignements tires-tu de
ce voyage ?
D’une part, j’ai compris que l’impossible est temporaire et que chacun peut
participer au changement. D’autre part,
l’émulation collective est super
importante. À bord de ce train, tu
prends conscience que tu n’es pas le
seul à vouloir changer le monde. Cet
effet de groupe te donne de l’inspiration et de la motivation. On a aussi
rencontré des gens extraordinaires qui
te donnent énormément de clés pour
passer à l’action toi-même, comme
l’entrepreneur social Antonio Meloto
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“L’émulation collective
est primordiale. Prendre
conscience que tu n’es
pas le seul à vouloir
changer le monde.”
Socialter / DR
Q
u’est-ce qui t’as poussé à
lancer Ticket for
Change ?
En école de commerce,
j’étais en quête d’un travail
avec du sens et un impact. Avec mon
ami Jonas [Guyot], on a décidé de
rencontrer des entrepreneurs sociaux à
travers le monde. On a travaillé avec
eux pour découvrir sur le terrain ce que
ça représentait d’être entrepreneur
social au-delà de ce qu’on avait lu,
notamment dans 80 hommes pour
changer le monde de Mathieu Le Roux
et Sylvain Darnil. On est
parti pendant 9 mois aux
Philippines, en Inde, au
Sénégal. Entre-temps j’ai
participé au Jagriti Yatra :
chaque année depuis 1997,
450 jeunes montent dans un
train pendant 15 jours et
partent à la rencontre des
15 entrepreneurs les plus
inspirants du pays. Le but :
donner à ces jeunes l’envie de
passer à l’action. Après avoir rencontré
ces entrepreneurs, qui ont changé
potentiellement la vie de 40 millions de
personnes, je suis sorti bouleversé.
lorsqu’un individu évoluant à l’intérieur d’une entreprise veut améliorer
son impact social ou environnemental.
Il faut commencer par la création
d’initiatives très concrètes dans
plusieurs secteurs : éducation, énergie,
logement, santé… L’entrepreneuriat
social, c’est créer le changement. Le
but de ces 10 jours intenses est de
débloquer des choses en eux sur la
base d’un programme de leadership et
d’introspection.
Comment est né concrètement
Ticket for Change ? Comment es-tu
passé à l’action ?
Une fois le Jagriti Yatra terminé, je
voulais à tout prix le reproduire en
France. Dès lors, j’ai écrit un article sur
le site de L’Express relatant mon
France, commenceront 10 mois
d’accompagnement et d’incubation des
projets par des entreprises ou des
réseaux d’accompagnement plus
classiques comme le Réseau Entreprendre, par exemple.
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