L`agression radio-nucléaire. Impact psychologique et prise en charge.
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L`agression radio-nucléaire. Impact psychologique et prise en charge.
L'agression radio-nucléaire. Impact psychologique et prise en charge L’agression radio-nucléaire. Impact psychologique et prise en charge. H. Boisseaux1, P. Laroche2, H. de Carbonnières2, H. Foehrenbach3 1 Service de psychiatrie - Hôpital d’Instruction des Armées du Val de Grâce Paris - 2Service de Protection Radiologique des Armées - Clamart 3 Service de médecine nucléaire - Hôpital d’Instruction des Armées du Val de Grâce - Paris Résumé Bien avant d’éventuels effets organiques, l’exposition à des radiations ionisantes suscite l’inquiétude. Face à l’invisible, l’imaginaire est prompt à s’enflammer. Les terroristes l’ont parfaitement compris qui trouvent là des armes de choix. Ils sont prêts à en user pour exhumer des images traumatiques solidement incrustées dans la mémoire des hommes. Celles-ci alimentent alors l’angoisse avec l’ensemble des manifestations cliniques qui lui sont associées. Désorganisatrices, elles nécessitent d’être prises en charge pour faire limite à un développement anarchique. Pour cela, des plans ont été élaborés qui doivent ordonner l’action des divers intervenants. La cohérence de l’action de prise en charge mais également de la communication vise à permettre au plus grand nombre de retrouver les moyens de faire face. Lorsque ce n’est pas le cas, les structures médico-psychologiques assurent une prise en charge spécialisée qui ne peut alors se limiter à une intervention ponctuelle. Radiations ionisantes / Impact psychique / Terrorisme / Plan d’action / Intervention médico-psychologique INTRODUCTION !Il est des signifiants tellement saturés d’émotion que celle-ci peut devenir indépassable. C’est parfois le cas lorsque l’on évoque le "nucléaire". L’énergie nucléaire a véritablement fait irruption sur la scène publique le 6 août 1944 avec "little boy" et le pouvoir de destruction qu’elle a eu sur la ville de Hiroshima a marqué pour longtemps les esprits. De façon parfois totalement inadaptée, cette bombe est devenue la mesure étalon des effets destructeurs d’une énergie nucléaire dont on ne saisirait plus désormais que les aspects négatifs. La bombe a détruit, brûlé, irradié, contaminé. L’impact psychologique a été immense. Depuis, le monde entier manifeste la plus grande crainte pour des radiations qu’il associe sans distinction. Les terroristes ont bien saisi le bénéfice à tirer de la terreur qui surgit à leur évocation. Depuis le choc du 11 septembre 2001 on a confirmation qu’aucun moyen ne sera exclu Correspondance : H. Boisseaux Service de psychiatrie - Hôpital d’Instruction des Armées du Val de Grâce - 74, boulevard de Port-Royal - 75230 Paris Cedex 05. Tel. : 01 40 51 41 11 - Fax: 01 40 51 41 67 - E-mail : [email protected] 464 Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2006 - vol.30 - n°8 H. Boisseaux par ceux qui souhaitent une destruction de l’édifice humain. L’atome fait partie de ces armes potentielles. Il faut donc être capable de réagir pour limiter l’impact psychique d’une possible confrontation. LA MOBILISATION DE L’IMAGINAIRE !Les bombes de Hiroshima et Nagasaki ont gravé des images indélébiles dans la mémoire de l’humanité, mêlant horreur et fascination ; la science et le génie humain mis au service de son propre anéantissement. On a voulu malgré tout leur reconnaître des effets positifs comme celui d’avoir mis un terme au second conflit mondial ou encore d’avoir permis les années de paix qui ont suivi. Pendant ce temps la science a continué sa marche en avant, pour des fins militaires mais surtout civiles. La diffusion des savoirs et le partage des technologies rend aujourd’hui le contrôle des sources nucléaires ou radiologiques plus difficile. Les occasions sont donc nombreuses de se trouver soumis aux effets de radiations ionisantes. La personne qui y est confrontée n’en perçoit donc pas toujours immédiatement les effets. En dehors d’expositions importantes, elles n’ont pas de matérialité sensible. Elles sont invisibles. Diverses situations amènent à suspecter une telle exposition. Mais même face à l’évidence, il faudra encore en déterminer les caractéristiques pour pouvoir en évaluer d’éventuelles conséquences. Cela nécessite des moyens et du temps. Pour tout individu, ce temps est propice à de multiples questions sans qu’aucun interlocuteur ne soit capable d’en apporter les réponses. L’imaginaire est alors prêt à s’enflammer, nourri des images précédemment évoquées. L’invisibilité alimente l’idée d’une ubiquité et d’une insidiosité désarmante. L’individu devient une victime impuissante totalement dépendante d’une aide extérieure. Le sauveteur devient le repère à qui vont être adres- Médecine Nucléaire - sées des demandes le plus souvent impossibles à satisfaire. La détresse prend alors les formes les plus diverses renforçant encore la dangerosité de la situation. farctus du myocarde, la crise d’asthme, la poussée d’hypertension artérielle ou les manifestations digestives. LES MANIFESTATIONS CLINIQUES L’expression comportementale peut se traduire par une agitation souvent stérile, parfois agressive, ou à l’inverse une stupeur figeant le sujet dans un état d’hébétude. L’absence de réaction ne dit cependant pas la nature du vécu individuel. !Cet embrasement de l’imaginaire va se traduire essentiellement par l’expression de manifestations anxieuses. L’environnement dans lequel se trouve l’individu va alors avoir une influence déterminante sur les modalités de leur émergence et sur l’ampleur qu’elles vont prendre. Au niveau individuel !Au niveau individuel, cette angoisse peut en prendre toutes les modalités d’expression classiquement décrites, psychiques, physiques et comportementales. Son intensité est fonction de caractéristiques propres au sujet mais aussi à la nature de l’événement et aux mesures mises en œuvres pour tenter d’y faire face. On peut assister à des débordements émotionnels, des cris, des pleurs. Le désarroi voire la terreur que va vivre un individu se traduit parfois par un véritable état de dépersonnalisation avec le sentiment de ne plus se reconnaître, d’une perte de repères dans un environnement qui est alors vécu comme menaçant. Cette altération du rapport à la réalité peut prendre la forme d’un état psychotique aigu, une désorientation temporo-spatiale accompagnant éventuellement de brefs accès confuso-oniriques. Le repérage d’une note confusionnelle doit faire rechercher une pathologie organique. Des manifestations à expression corporelles peuvent être au devant de la scène. Le sujet est alors tendu, pâle, tremblant. Des atteintes psychosomatiques ne sont pas rares, caractérisées par leur brutalité et leur caractère massif. Les plus communes sont l’in- Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2006 - vol.30 - n°8 Le temps qui passe peut voir s’organiser des tableaux psychiatriques plus spécifiques. Dans un registre névrotique, ils peuvent prendre la forme de manifestations conversives témoins de l’aménagement de l’angoisse dans la sphère corporelle. On retrouve le plus souvent des tableaux polyalgiques ou d’autres encore plus complexes prenant la forme de maladies de système. Ils devront être différenciés des symptômes témoins d’un syndrome d’irradiation. Les décompensations psychotiques sont rares. Ce peuvent être des épisodes délirants polymorphes, souvent brefs dans leur évolution. La composante thymique domine le tableau soit dans le sens d’une excitation maniaque ou à l’inverse d’un abattement mélancolique. Une plus grande vulnérabilité des sujets psychotiques n’est pas démontrée. Il n’en demeure pas moins que de telles situations peuvent alimenter des élaborations délirantes, à thème d’empoisonnement par exemple, posant alors la question du statut nosographique de cette symptomatologie. Toutes ces manifestations compliquent naturellement les rapports interindividuels. Elles ont un pouvoir de contagion qui peut entraîner des manifestations collectives compliquant alors considérablement la mise en œuvre des mesures de secours. Au niveau collectif !A l’échelle d’un petit groupe, on peut observer des conduites parfois dangereuses en fonction de la ma- 465 L'agression radio-nucléaire. Impact psychologique et prise en charge nière dont elles s’organisent ou des cibles sur lesquelles elles se focalisent. Ce peuvent être des personnes désignées comme responsables ou les services de secours jugés inefficaces. A l’échelle de la foule, on distingue divers types de réactions pathologiques. Dans la réaction "inhibition commotion - stupeur" on observe un état de stupeur collective avec la mise en mouvement lente et uniforme sous forme d’une errance silencieuse processionnaire et centrifuge. La difficulté est de contenir cet exode de personnes figées dans l’horreur pour les orienter en fonction des impératifs de sécurité et de soins qui s’imposent. La réaction de panique, brutale et spectaculaire peut être redoutable par ses conséquences. On décrit la dynamique de son développement avec la succession de phases dont il faut être capable de repérer les premières au cours desquelles commencent à se propager et s’enfler les rumeurs. Une fois déclenché, il est exceptionnel qu’une intervention extérieure puisse alors juguler l’évolution spontanée du phénomène. La compréhension des phénomènes psychopathologiques en jeu doit permettre un intervention adaptée, au plus près des besoins individuels et collectifs mais aussi des impératifs de santé publique. DES CONCEPTS POUR COMPRENDRE LES PHÉNOMÈNES PSYCHIQUES OBSERVÉS !C’est à partir du concept de stress que sont aujourd’hui appréhendés les phénomènes observés chez les personnes impliquées comme chez les intervenants. Ce concept a été développé par le physiologiste canadien Selye, pour rendre compte des réactions d’un organisme en situation. Ainsi, face à un événement exceptionnel, l’individu développe une réaction bio-physiologique, mais aussi 466 psychologique, plus ou moins spécifique. On considère que cette réaction a initialement un but adaptatif. En fonction de la nature de l’événement stressant mais aussi de caractéristiques qui lui sont propres, l’individu peut trouver en lui les moyens de faire face à cette situation nouvelle. On parle de stress "adaptatif". On considère donc que l’action des services de secours doit contribuer à favoriser ce phénomène de reprise par l’individu de sa propre maîtrise. Mais les capacités individuelles peuvent être dépassées, l’équilibre psychique de la personne se trouvant alors plus ou moins durablement atteint avec l’émergence de symptômes psychiatriques divers. Comme nous l’avons souligné, ils s’expriment essentiellement dans le registre de l’angoisse mais aussi des troubles thymiques. Le passage du normal au pathologique n’est pas toujours aisé à repérer pour quelqu’un qui n’y est pas familier. Lorsque c’est le cas, cela justifie une intervention spécialisée. Mais on considère aussi que de tels événements peuvent confronter brutalement et violemment l’individu à la question de la mort et notamment à la question de sa propre mort dans un face à face impossible à symboliser. La surprise de cette rencontre laisse une trace psychique, une blessure qui s’exprimera ultérieurement par une symptomatologie tout à fait spécifique. C’est le syndrome de répétition traumatique avec ses cauchemars qui viennent réactualiser l’événement dans toute sa crudité, les manifestations de répétition également à l’état de veille, l’hyperéactivité émotionnelle et l’inhibition caractéristique. Cette symptomatologie pathognomonique signe l’existence d’un traumatisme psychique. Les classifications actuelles parlent d’Etat de Stress Post Traumatique. Le trauma nécessite d’être diagnostiqué sans tarder afin de permettre au blessé psychique de sortir de cette rencontre singulière et incommunicable. Sans cela, le sujet court le risque d’un isolement progressif. pris en charge en respectant les défenses et les capacités adaptatives propres à chacun mais en n’omettant pas d’apporter l’aide spécifique nécessaire dès lors que celles-ci sont dépassées. Dans le cadre d’une exposition à des radiations ionisantes, cette intervention se fera conformément à des plans d’action préétablis. LES PLANS D’ACTION !Au delà de la prise en charge des effets somatiques potentiels d’une exposition à des radiations ionisantes, il importe de faire limite aux effets psychologiques d’un tel événement. C’est le rôle des plans conçus pour l’organisation des secours, particulièrement lors d’actes de terrorisme où l’intentionnalité dont ils témoignent aggrave encore le sentiment d’insécurité des personnes. Dans le domaine nucléaire ou radiocontaminant, le plan rouge est complété du plan "piratome". Compte tenu de l’impact collectif de ces situations, ce dernier est sous la responsabilité des plus hautes autorités de l’Etat. Dans l’urgence, les services de secours se doivent d’identifier la nature du danger pour tenter de le circonscrire en même temps que d’apporter une aide adaptée aux personnes potentiellement impliquées. La mise en évidence d’une éventuelle irradiation mais aussi d’une contamination va entraîner une prise en charge codifiée spécifique des personnes concernées. Pour cela toute une chaîne de soins va être déployée avec sur le terrain postes de secours et unités de décontamination, mais aussi les relais hospitaliers qui s’imposent. Certains établissements répertoriés disposent pour ce faire des moyens adaptés. En situation, il est essentiel pour les impliqués de pouvoir être rassurés par la fonctionnalité du dispositif déployé. Il est sûr qu’un contexte dramatique vient nécessairement en souligner les imperfections. Cela peut Stressés ou traumatisés doivent être Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2006 - vol.30 - n°8 H. Boisseaux contribuer à alimenter l’angoisse. Il faut donc aussi que chacun ait la possibilité de trouver un interlocuteur. Les médecins urgentistes ne disposent pas nécessairement de temps pour écouter toute l’inquiétude de ces individus fortement ébranlés. S’il est essentiel de s’occuper du corps blessé ou contaminé, cela ne suffit pas. C’est là que les intervenants "psy" ont une place à occuper pour réintroduire une relation de parole indispensable. Ce sont des interlocuteurs disponibles là où les mots peuvent rapidement faire place à l’agir s’ils ne sont pas entendus. Mais d’une manière générale, dans l’immédiat après coup, sur les lieux de l’événement, la priorité doit rester aux secours médicaux d’urgence. La sérénité des forces de sécurité conjuguées au professionnalisme des pompiers ou du SAMU restent les premiers éléments de régulation. LES CELLULES MÉDICOPSYCHOLOGIQUES !Depuis 1995 et les attentats qui ont ensanglanté Paris, un dispositif national de cellules d’intervention médicopsychologiques a été mis en place pour faire face aux besoins psychologiques spécifiques des personnes concernées par une situation dramatique. Ainsi, dans le cas de l’exposition d’une population à une radiocontamination, en même temps qu’est mis en œuvre un poste médical avancé (PMA) et éventuellement une chaîne de décontamination, il est prévu de déployer une cellule d’urgence médico-psychologique (CUMP). Constituée de psychiatres, de psychologues ou d’infirmiers rompus aux soins psychiques, elle offre une aide spécialisée notamment pour les médecins "urgentistes" confrontés à certains patients parfois difficiles à gérer dans ce type de situation. C’est un lieu d’accueil et de prise en charge des personnes déstabilisées ou présentant des troubles psychiques manifestes. Elle représente une offre faite à toute personne mise en difficulté par l’événement de pouvoir Médecine Nucléaire - parler de ce qu’il vit. Il peut s’agir de personnes impliquées directement, des membres des services de secours elles-même en difficulté ou de familles inquiètes de l’état de l’un des leurs et bouleversées par l’évènement. La cellule médico-psychologique est à bien différencier de ce que serait un lieu d’information destiné à faire le point concernant les données connues de la situation. Il s’agit là d’un élément certes indispensable mais strictement du registre des autorités en charge de la gestion de crise. LES PRINCIPES DE PRISE EN CHARGE !En de telles circonstances, les principes de prise en charge des personnes présentant des troubles psychiques sont calqués sur ceux édictés en 1917 par le psychiatre américain Salmon pour les soldats, sur le front. Ils gardent toute leur pertinence en situation d’exception. L’intervention psychiatrique doit être précoce sans toutefois interférer négativement avec la prise en charge des urgences vitales. Nous avons souligné la promptitude de l’imaginaire à s’enfler particulièrement face aux images terrifiantes véhiculées par ces armes. Il ne faut pas laisser se développer un mal être qui laisserait alors place à des comportements incontrôlables. Le second principe est celui de proximité. Pouvoir aller au devant des personnes en difficulté nécessite d’intervenir le plus prêt possible du lieu de l’événement. Cela favorise l’établissement d’un lien thérapeutique dont peuvent se soutenir ceux qui en éprouvent le besoin. Les principes de simplicité et d’expectative indiquent le souhait de faire confiance, à priori, aux capacités de chacun à faire face en ne se montrant ni trop intrusif, ni trop lourd dans les mesures mises en œuvre. Ce n’est de plus pas le lieu de mise en œuvre de thérapeutiques sophistiquées, la prescription éventuelle de psychotropes ne devant se limiter qu’à l’utilisation, au besoin, de molécules sédatives de type benzodiazépiniques. La difficulté est de bien saisir Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2006 - vol.30 - n°8 le passage du normal au pathologique avec là, la nécessité de soins plus spécialisés. Dans le cas de l’exposition à des radiations ionisantes et du déploiement de plans d’action spécifiques, il peut y avoir intérêt à marquer une attention particulière sur certains lieux. DES LIEUX SENSIBLES, DES TEMPS CRITIQUES !Dans les dispositifs mis alors en place, il est des lieux propices au développement de réactions aiguës. Le fait même de circonscrire un périmètre “ d’exclusion ”, de regrouper des personnes qui ne savent encore rien de leur état, de leur devenir, peut être source d’angoisse intense. La nécessité pour les services de secours d’opérer un triage constitue aussi une situation difficile à comprendre et à admettre pour des personnes désireuses d’une prise en charge immédiate. L’identification de la source et la mise en œuvre des moyens nécessaires à la décontamination des personnes exposées est un temps essentiel. C’est un autre moment sensible. Outre la révélation d’une atteinte dont on ignore la portée, c’est la nécessité de passer dans les "chaînes de décontamination". L’abandon de ses propres vêtements, se retrouver nu pour subir l’épreuve de la douche dans des lieux froids et impersonnels est une réelle épreuve. Enfin le transport et l’arrivée à l’hôpital, avec la méfiance que peut entraîner l’arrivée de personnes potentiellement contaminantes, est également un moment difficile. Il est important d’avoir une attention toute particulière aux personnes qui ont à emprunter un tel parcours. Elle est requise de tous les personnels et constitue en elle même un travail préventif efficace d’éventuelles manifestations psychiques. Les personnes doivent être accompagnées d’autant que le contact avec les secouristes est rendu difficile par la te- 467 L'agression radio-nucléaire. Impact psychologique et prise en charge nue de protection dont ils ont à se munir pour se protéger eux-mêmes. FAIRE FACE À LA NÉCESSAIRE DISTANCE DES SOIGNANTS !Tenter d’établir le lien n’est pas facile avec une voie étouffée par le masque, un regard impossible à capter derrière des visières embuées. Tous ces éléments qui contribuent à l’isolement de sujets à un moment où ils cherchent à tout prix une relation humaine. La présence d’un psychiatre est le signe fort d’une volonté de maintenir un lien de parole même derrière une tenue de protection. Il est donc important qu’il puisse être identifié comme tel. Le principe d’une chaîne de prise en charge, avec le passage de mains en mains, ne favorise pas l’établissement de liens durables. Cela contribue à un sentiment d’abandon à un moment où le sujet cherche à se soutenir de la solidité d’une relation personnalisée. Enfin, l’absence d’irradiation ou de contamination va conduire à sortir le sujet de la chaîne de soins. A ce moment, l’individu va se retrouver soudain seul face à ses propres questions et à ses propres angoisses. Là aussi, la cellule médico-psychologique doit permettre de gérer ce temps en offrant des repères. chacun puisse bénéficier d’une information, que puisse s’articuler la possibilité d’une aide ultérieure, que chacun dispose de repères, un numéro de téléphone auquel il puisse être fait appel en cas de besoin. On prendra garde à ne pas susciter l’angoisse ou le symptôme par l’énumération exhaustive d’éventuels effets à venir. Bien au contraire une sensibilisation à la nécessité d’un contact médical pour rompre l’isolement auquel peut consigner la survenue de troubles inconnus jusqu’alors. L’exposition à des radiations ionisantes est un facteur de stress. Avec les repères que vont offrir les dispositifs de secours, on doit assister à un amendement progressif des manifestations cliniques. Mais la caractéristique de ce type d’exposition, c’est d’entretenir l’incertitude et un sentiment d’insécurité qui peut perdurer. Ce peut être également l’occasion d’une effraction traumatique avec l’émergence d’un syndrome de répétition traumatique qui contribue à rendre encore plus présent l’événement initial avec ses possibles conséquences somatiques. Il est donc important pour le plus grand nombre de pouvoir bénéficier d’un suivi dès lors qu’ils présentent des troubles psychiques manifestes, quel que soit son mode d’expression, et sans attendre l’enkystement de cette symptomatologie. ACTIONS DE DÉBRIEFING AU DELÀ DU MOMENT INITIAL !Le fait d’avoir été contaminé, la crainte d’avoir pu penser l’être, sont susceptibles de laisser une marque durable. L’angoisse ne prend pas fin avec la décontamination. Il est inconcevable de laisser repartir les gens vers leur domicile sans qu’il leur ait été proposé d’être reçus pour pouvoir évoquer ce qu’ils viennent de vivre.Tous ne le souhaitent pas. Il n’est pas nécessaire d’en imposer le principe. Il est cependant important que 468 !Le terme de débriefing, initialement utilisé pour nommer le bilan effectué au retour d’une mission militaire, recouvre aujourd’hui tout un ensemble de techniques pour la prise en charge des personnes soumises à un événement potentiellement traumatique sur le plan psychique. Le but est de permettre aux individus concernés de sortir de l’expérience exceptionnelle qu’ils viennent de vivre. Ce travail peut parfois être initié collectivement, notamment lorsque l’événement a touché un groupe constitué. Ce sont les circonstances qui jus- Médecine Nucléaire - tifient donc l’opportunité d’un tel travail. En effet les personnes qui viennent de vivre ensemble un moment dramatique cherchent parfois à se rapprocher, avec l’illusion de trouver auprès de leurs compagnons d’infortune la sécurité perdue en même temps que les réponses aux nombreuses interrogations qui demeurent. Il importe alors d’intervenir pour que le groupe ne sombre pas dans un isolement qui à terme ne pourrait être que préjudiciable à ses membres. Il est important pour chaque individu de pouvoir se réapproprier cette expérience dans ce qu’elle peut avoir de singulier pour lui. Alors seulement il est possible de dépasser l’événement. C’est le sens d’un travail psychothérapique qui ne peut alors être qu’individuel. LA COMMUNICATION !Les sauveteurs assurent, sur le terrain, une présence qui contribue à faire limite au développement de troubles psychiques. Il est pour cela nécessaire que toutes les personnes impliquées puissent saisir la cohérence de l’organisation des secours et avoir accès à des informations fiables. C’est un facteur essentiel de réassurance individuel et collectif. Il faut pour cela que cette communication soit très précisément organisée et coordonnée, qu’elle soit destinée aux personnes directement concernées ou à l’ensemble de la population. C’est un des aspects aujourd’hui incontournable de l’action des autorités en charge de l’organisation des secours. En effet, l’utilisation des moyens modernes de téléphonie multiplie les sources d’information. Les données sont comparées dans la recherche d’une cohérence rassurante. Dans l’urgence, la communication doit être centrée sur les données organisationnelles plus que sur une information générale de nature à augmenter la confusion ou simplement pointer les inévitables incertitudes. Les données doivent être intelligibles de tous et articulées aux conséquences pratiques qu’elles entraînent. Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2006 - vol.30 - n°8 H. Boisseaux Les préoccupations des médias sont parfois autres. On recherche à faire parler les experts au nom du droit à l’information. Ce droit n’autorise pas à alimenter doute et confusion. C’est ce à quoi peut conduire une information déconnectée de la situation réelle et des impératifs du moment. Tout médecin, fût-il spécialiste en médecine nucléaire ou en psychiatrie d’urgence n’a pas nécessairement connaissance des données propres à la situation. Les seuls experts "autorisés" sont ceux qui ont en charge l’organisation des secours. Le temps de l’action n’est pas celui des remises en cause théoriques. Ce n’est qu’ultérieurement que l’éclairage de l’expérience pourra nourrir de nécessaires améliorations du dispositif. CONCLUSION ! L’exposition à des radiations ionisantes a cette particularité de ne pas nécessairement rendre concrète l’atteinte, ouvrant la voie à l’imagi- naire. La fonctionnalité du dispositif mis en place pour porter secours est le meilleur moyen de faire limite à des débordements émotionnels désorganisateurs. Le déploiement d’une cellule médico-psychologique est le signe fort d’une attention portée aux inquiétudes individuelles en même temps que le moyen d’apporter des soins spécifiques rapides dès lors qu’émerge un trouble psychiatrique. C’est enfin le moyen d’introduire le sujet dans une logique de soins plus que d’isolement. Radionuclear aggression. Psychological impact and management Long before possible organic effects, exposure to ionizing radiations can provoke anxiety. In front of invisibility, the imagination quickly ignites. The terrorists have perfectly understood it. They are ready to use ionizing radiations as a weapon to remind traumatic images deeply rooted in people’s memory. These images induce anxiety with all the clinical expressions connected to it. These symptoms require to be treated because of a possible anarchic development. For that purpose, plans have been elaborated to coordinate the different professional’s actions. The coherence of medical management and communication aims to allow the most implicated people to find the way to face the events. When it is not possible, medico-psychological cells permit a specialized care. Ionizing radiations / Psychical impact / Terrorism / Plans for intervention / Medico-psychological intervention Médecine Nucléaire - Imagerie fonctionnelle et métabolique - 2006 - vol.30 - n°8 469 L'agression radio-nucléaire. Impact psychologique et prise en charge BIBLIOGRAPHIE ET DOCUMENTS COMPLEMENTAIRES 1. Boisseaux H. Terrorisme ; l’impact humain. Revue Contact de l’Enseignement Militaire Supérieur Scientifique et Technique 2002, 51;101-7 création d’un réseau national de prise en charge de l’urgence médicopsychologique en cas de catastrophe. 2. Boisseaux H, Clervoy P, de Montleau F, Southwell G. Effets psychologiques communs aux armes NRBC ; Le psychiatre dans le cadre de l’intervention, in Les risques NRBC : savoir pour agir, sous la direction de Y Buisson Editions Xavier Montauban, Montrouge 2004, p141-5 et p217-20. 5. Clervoy P, Boisseaux H, De Montleau F, Minvielle S, HorneReinoso V. Les troubles psychiques en ambiance NRBC. Perspectives Psychiatriques 2002;41,1: 67-72 3. Briole G. Le débriefing pour objectif: sortir le groupe de l’isolement et le sujet du groupe. In Briole G, Lebigot F, Lafond B, Psychiatrie militaire en situation opérationnelle, ADDIM, Paris 1998. 4. Circulaire DH/E04-DGS/SQ2 n°97/ 383 du 29 mai 1997 relative à la 470 6. Crocq L. 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