RMN des noyaux de faible abondance naturelle

Transcription

RMN des noyaux de faible abondance naturelle
UNE INTRODUCTION A LA
RESONANCE MAGNETIQUE NUCLEAIRE
Chapitre 6 : Spectroscopie des noyaux
de faible abondance naturelle
Serge AKOKA
6. Spectroscopie des noyaux de faible abondance naturelle
Nous prendrons ici l’exemple du carbone-13, compte tenu de l’omniprésence de cet
élément dans les molécules organiques. Toutefois, tout ce qui est reporté dans ce chapitre
est qualitativement valable pour d’autres noyaux de spin ½ et de faible abondance
naturelle tels que l’azote-15.
Le carbone possède deux isotopes stables : le 12C dont l’abondance isotopique est
d’environ 98,9% et le 13C qui ne représente que 1,1%. Seul le 13C est doté d’un spin nonnul (I = ½) et peut donc être utilisé en RMN. Le rapport gyromagnétique du 13C est environ
quatre fois plus faible que celui du proton (Cf. paragraphe 7.3.1) :
𝛾 1𝐻
𝛾13𝐶
= 3,977.
Ce faible rapport gyromagnétique conduit à une sensibilité, à nombre constant de noyaux,
considérablement réduite par rapport à la RMN du proton.
𝑆𝑒𝑛𝑠( 13𝐶 )
2,5
𝛾13𝐶
=
(
)
𝛾1𝐻
𝑆𝑒𝑛𝑠( 1𝐻 )
≈ 3,17. 10−2
Comme nous allons le voir dans le paragraphe suivant, cet aspect est encore aggravé
par l’abondance naturelle du carbone-13.
6.1. Impact de la faible abondance naturelle
Considérons, à titre d’exemple, la molécule d’éthanol qui comporte deux carbones.
L’éthanol présente donc quatre isomères (isotopomères en fait) qui ne diffèrent entre eux
que par la nature isotopique des carbones (figure 6-1). Les isotopomères II et III
représentent chacun 1,1% des molécules, l’isotopomère IV ne représente lui qu’environ
1o/ooo des molécules compte tenu de la probabilité de trouver deux 13C sur la même
molécule. Le reste est constitué par l’isotopomère I, soit près de 98%.
Figure 6-1 : Les isotopomères carbone de l’éthanol et les spectres RMN-13C correspondant
(en négligeant les couplages 13C-H et en dilatant l’échelle verticale du spectre IV)
Une introduction à la RMN - Chapitre 6
Serge Akoka – Université de Nantes
2
En fonction du nombre 13C portés, ces différents isotopomères produisent des spectres
très différents en RMN-13C (figure 6-1). L’isotopomère I ne donne pas de signal, les
isotopomères II et III ne produisent qu’une seule raie aux déplacements chimiques du
CH2 et du CH3 respectivement, et le spectre de l’isotopomère IV est le seul à présenter
deux massifs et un couplage spin-spin (dans cette description, nous négligeons les
couplages 13C-H sur lesquels nous reviendrons plus tard).
Le spectre obtenu pour un échantillon macroscopique (figure 6-2) sera la superposition
de ces différents spectres. En abondance naturelle, le spectre IV sera pratiquement
invisible, les raies qui le constituent auront en effet une intensité 200 fois inférieure à celle
des spectres II et III.
Figure 6-2 : spectre RMN-13C de l’éthanol en abondance naturelle.
L’encadré représente un agrandissement du pied du pic du CH2 qui permet de voir les signaux provenant
de l’isotopomère IV.
Donc, dans un spectre de routine, seuls les isotopomères monomarqués seront détectés,
et il n’est donc pas question, en RMN-13C de routine, de déterminer les connectivités entre
groupes chimiques sur la base des couplages 13C-13C.
Par ailleurs, l’abondance naturelle du 13C réduit encore d’un facteur 100 la sensibilité de
la RMN carbone par rapport à celle du proton. Il est donc beaucoup plus difficile d’obtenir
un bon rapport signal sur bruit avec ce type de noyau et cela a conduit à la proposition de
nombreuses techniques multi-impulsionnelles visant à contourner cet inconvénient (Cf.
chapitre 7).
6.2. Déplacements chimiques
Tout ce que nous avons vu au paragraphe 2.1. reste bien évidemment valable pour les
noyaux comme le carbone-13. Toutefois, le terme p étant prépondérant dans la
constante d’écran pour les orbitales de valence sans symétrie sphérique (Cf. § 2.1.1.), la
Une introduction à la RMN - Chapitre 6
Serge Akoka – Université de Nantes
3
gamme des déplacements chimiques 13C est beaucoup plus étendue que celle du proton :
250 ppm pour le 13C (Figure 6-3) contre 12 ppm pour le 1H. Cette dernière caractéristique
limite les recouvrements entre les plages correspondant à des groupements différents et
facilite donc grandement l’interprétation des spectres de RMN-13C.
Figure 6-3 : Table de déplacements chimiques 13C.
6.3. Couplages spin-spin
Tableau 6-1 : Valeurs des couplages 1JCC pour quelques composés organiques.
Type de liaison
Composé
1
JCC (en Hz)
CH3-CH3
34,6
(CH3)2C-CH3
36,9
sp2-sp3
CH3-CO-CH3
40,1
sp-sp3
CH3-C≡C-C6H5
68,6
CH2=CH2
67,6
CH2=CH-C6H5
70
sp-sp2
C6H5-CN
80
sp-sp
C6H5-C≡CH
175,9
sp3-sp3
sp2-sp2
Une introduction à la RMN - Chapitre 6
Serge Akoka – Université de Nantes
4
Dans le chapitre précédent, nous avons surtout discuté des effets de couplage entre des
noyaux de type proton. Le noyau de 13C possédant un nombre de spin égal à ½, les
couplages spin-spin entre 13C doivent donc apparaitre sur le spectre. Cependant,
l’abondance isotopique naturelle du 13C fait que la probabilité d’avoir deux noyaux 13C
côte à côte est très faible. Les couplages 13C-13C ne sont donc visibles que sur des raies
de très faible intensité. Le Tableau 6-1 donne des valeurs de couplage 1JCC pour quelques
composés.
En revanche, il est évident qu’il y a des interactions entre les protons et les noyaux de 13C
puisque ce dernier baigne dans un environnement de protons. Le Tableau 6-2 donne des
valeurs de couplage 1JCH pour quelques composés. Les 1JCH dépendent très fortement de
l'hybridation du carbone, mais bien évidemment, ces constantes sont également
influencées par l'électronégativité des substituants.
Tableau 6-2 : Valeurs des couplages 1JCH pour quelques composés organiques.
Hybridation du carbone
sp3
sp2
sp
Composé
1
JCH (en Hz)
CH3-CH3
125
CH3Li
98
CH3F
149
CH2F2
184,5
CHF3
239
CH2=CH2
157
CH2O
172
CH3-C≡CH
247,6
C6H5-C≡CH
251
Il existe également des couplages en 2J ou 3J qui peuvent être visualisés sur les spectres
RMN-13C mais leurs valeurs sont beaucoup plus faibles (Tableau 6-3).
Les constantes de couplage 2JCH dépendent fortement de l'hybridation et de la substitution
des carbones. Dans les groupements aliphatiques, les 2JCH sont environ 2 fois plus faibles
que les 2JHH observés pour une géométrie comparable (typiquement -6 à -4 Hz). Dans le
cas d'un couplage avec un proton aldéhydique, cette constante se situe entre 20 et 50 Hz
et elle est comprise entre 40 et 65 Hz lorsqu'il s'agit du couplage avec un proton
acétylénique.
Les 3JCH sont compris entre 0 et 16 Hz. Comme dans le cas des constantes de couplage
3J , il existe une relation de Karplus entre les 3J
HH
CH et l'angle dièdre. Dans le cas d'une
double liaison C=C, les constantes de couplage trans sont généralement plus grandes
que les constantes de couplage cis.
Une introduction à la RMN - Chapitre 6
Serge Akoka – Université de Nantes
5
Tableau 6-3 : Valeurs des couplages 2JCH et 3JCH pour quelques composés organiques
Composé
2J
CH
(en Hz)
Composé
3J
CH
(en Hz)
H3C-CH3
-4,5
H2C=CH2
-2,4
HOC-CH=CH2
15,2 (cis)
HC≡CH
49,6
HOC-CH=CH2
9,4 (trans)
H3C-COH
26,7
H3C-CH=CH2
12,7 (cis)
H3C-CH=CH2
-6,8
H3C-CH=CH2
7,6 (trans)
benzène
1,1
benzène
7,6
cyclohexane
-3,7
Sur la figure 6-4, où des spectres RMN-13C de l’éthanol sont représentés, la contribution
des couplages 1JCH peut être observée. Ils induisent un quadruplet pour le CH3
(figure 6-4c) et un triplet pour le CH2 (figure 6-4b). Une démultiplication supplémentaire
est également visible. Elle provient des couplages 2JCH : « détriplement » de chacune des
raies du quadruplet (figure 6-4d) et « déquadruplement » de chacune des raies du triplet
(figure 6-4c).
Figure 6-4 : Spectres RMN-13C de l’éthanol : (a) avec découplage proton, (b) sans découplage proton, (c)
étalement du massif CH2 du spectre b, (d) étalement du massif CH3 du spectre b. Les étalements (c) et
(d) permettent de visualiser les couplages 2JCH.
Une introduction à la RMN - Chapitre 6
Serge Akoka – Université de Nantes
6
6.4. Découplage
L’effet des couplages 13C-H peut être éliminé expérimentalement en utilisant une
technique de découplage de spin qui fait que les 13C ne voient qu’un spin moyen pour les
protons qui leur sont couplés.
Figure 6-5 : séquence de découplage par application d’une succession rapide de 180° 1H pendant
l’enregistrement du signal 13C. (Le délai  est pratiquement nul).
Le découplage consiste à provoquer des inversions rapides et répétées de l’état des spins
proton (figure 6-5). Le spin 13C ne voit alors les protons voisins que dans un état moyen
comme dans le cas d’un échange chimique rapide (Cf. paragraphe 2.4). Dans ces
conditions, le couplage n’entraîne plus de démultiplication des raies du spin 13C. La
vitesse de l’inversion de spin doit être rapide par rapport à 1/JCH, il est donc d’autant plus
difficile de découpler que la constante de couplage est grande.
6.5. L’effet Overhauser
Lors de l’acquisition d’un spectre RMN-13C découplé proton, il peut y avoir transfert de
polarisation des protons vers les carbones auxquels ils sont liés par effet Overhauser
nucléaire (Cf. paragraphe 5.5). Cet effet est caractérisé par le facteur :
𝜂=
𝐼
𝐼0
−1
(6-1)
avec I : intensité du signal 13C en présence d’irradiation proton
et
I0 : intensité du signal 13C en absence d’irradiation proton
Dans le cas due l’effet Overhauser nucléaire (nOe) entre proton et carbone et pour de
petites molécules:
𝜂≤
𝛾 1𝐻
2.𝛾 13𝐶
≈ 1,98
(6-2)
avec 𝛾 1𝐻 =26,751.107 rad.T-1.s-1
𝛾13𝐶 6,7263.107 rad.T-1.s-1
L’effet nOe n’est pas identique pour tous les sites d’une molécule puisqu’il peut amplifier
le signal d’un CH3 jusqu’à un facteur ~3 alors qu’un carbone quaternaire ne le sera
quasiment pas.
Une introduction à la RMN - Chapitre 6
Serge Akoka – Université de Nantes
7
6.6. Pour aller plus loin
o La spectroscopie de RMN. Harald Günther. Masson, Paris, 1996. Chapitre 11.
o Basic 1H-13C-NMR Spectroscopy. Metin Balci. Elsevier, Amsterdam, 2005. Chapitres
3-8.
o SpinChoregraphy : Basic steps in high resolution NMR. Ray Freeman. Oxford
University Press, Oxford, 1998. Chapitres 7 et 9.
o Principles of Nuclear Magnetic Resonance in one and two dimensions. Richard R.
Ernst, Geoffrey Bodenhausen and Alexander Wokaun. Oxford University Press,
Oxford, 1987. Chapitres 4.
Une introduction à la RMN - Chapitre 6
Serge Akoka – Université de Nantes
8