Les martyrs du Palais Fesch
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Les martyrs du Palais Fesch
Parcours de visite Les martyrs du Palais Fesch Le martyre de saint Sébastien, Luca Giordano Parcours réalisé par Eva Lando, Animatrice pédagogique, Service éducatif, Palais Fesch-musée des Beaux Arts Un martyr est celui qui consent à aller jusqu’à se laisser tuer pour témoigner de sa foi, plutôt que d’abjurer. Les premiers saints de l’Église étaient des martyrs. Par la suite, l’expression a été élargie. Ce terme, qui appartient essentiellement à la terminologie chrétienne, doit être différencié du martyrE qui est l’acte de mise à mort ou les tourments infligés à celui qui devient alors un martyr (sans –e). Le martyre, pour les chrétiens, est souvent perçu comme un idéal et une grâce. C’est pourquoi, les martyrs apparaissent souvent comme apaisés et sereins dans les peintures, ainsi que nous pourrons au fil du parcours. Celui qui est acculé au martyre doit en fait l’accepter comme une grâce, car ceux qui « trébuchent », appelés lapsi, ne peuvent être réintégrés dans l’Église qu’au terme d’une période de pénitence, et le Christ a promis aux martyrs qu’ils auront assez de force pour subir leur supplice. Le martyre est un baptême sanglant : celui qui meurt ainsi, même non baptisé, voit ses péchés pardonnés et il obtient de fait la béatitude céleste. Le martyr devient un intercesseur, c’est-à-dire un intermédiaire, un médium entre le monde des Hommes et le monde de Dieu. Seules les personnes en communion avec l’Église ou exprimant même in extremis le désir de l’être méritent le titre de martyr et obtiennent la grâce divine. Jésus, même s’il fut crucifié, n’est pas appelé martyr par les chrétiens. En fait, lorsque l’on est martyr, on rend hommage au Christ et à son sacrifice pour le salut de tous les Hommes. Ainsi, pour les catholiques, le premier martyr est saint Étienne, lapidé par ses auditeurs à Jérusalem, en présence de Saül, connu comme saint Paul. Parmi les apôtres de Jésus-Christ, beaucoup sont réputés avoir subi le martyre, tel saint Pierre, crucifié la tête en bas, sous l’empereur Néron, saint Paul, tué la même année, ou saint Barthélemy, écorché vif. L’Empire romain a connu plusieurs époques de persécution contre les chrétiens jusqu’à ce que le christianisme devienne religion officielle de l’Empire à la fin du IVe siècle (392, empereur Théodose). On reprochait aux chrétiens leur refus de sacrifier au culte de l’Empereur et de servir dans l’armée. Le règne de Dioclétien connut la dernière, mais aussi la plus importante des persécutions de l’Antiquité (saint Sébastien). Parmi les martyrs célèbres ou représentatifs, on a : -saint Étienne ; -saint Laurent ; -sainte Catherine d’Alexandrie, dont le musée renferme quelques représentations. Le parcours qui suit est l’occasion de présenter ces martyrs, leur histoire et leur supplice que nous connaissons, notamment, grâce au célèbre ouvrage de Jacques de Voragine : la Légende dorée, qui raconte la vie de 150 saints. Le parcours permet également de voir comment la peinture a traité le thème de la martyrologie au fil des siècles. Au-delà des attributs propres associés à chaque martyr, les martyrs sont généralement représentés tenant une branche de palmier / une palme. En raison de la disposition harmonieuse de ses branches et de ses feuilles semblables à des rayons, le palmier est associé depuis l’Antiquité au mythe du Soleil pour évoquer la gloire et l’immortalité. Portée triomphalement, la branche de palmier est ainsi offerte au vainqueur comme emblème de sa victoire. Par la suite, le christianisme a fait sien ce symbolisme en adoptant la palme, emblème de victoire, comme le signe du triomphe du martyr sur la mort : c’est pourquoi l’iconographie des saints martyrisés leur donne généralement pour attribut une branche de palmier. Peintures des Primitifs (second étage) : Le nom de Primitifs est donné aux peintres actifs en Italie du XIIe jusqu’au XVe siècle. Ce terme désigne des peintres qui travaillent sur des panneaux de bois et qui n’utilisent pas ou peu la perspective. Les Primitifs peignent des personnages très droits, raides, placés généralement devant un fond d’or. Mariage mystique de sainte Catherine , Niccolo di Tommaso C’est sainte Catherine d’Alexandrie que nous voyons ici. Elle est souvent représentée sous les traits d’une jeune fille noble, portant une couronne. Parmi ses attributs, on trouve la roue garnie de pointes de fer, instrument de son martyre,l a palme, récompense du martyre, l’épée, avec laquelle elle fut décapitée, et l’anneau du mariage mystique. Ici, l’enfant Jésus lui passe un anneau au doigt, symbole de son mariage spirituel avec lui. Sainte Catherine, vêtue de vêtements précieux, porte une couronne et tient également dans sa main gauche un livre, témoin de sa très grande érudition (Alexandrie !). Les indications sur sainte Catherine ont des origines légendaires. Selon la Légende dorée qui a permis de la populariser, c’était une jeune fille très belle, enfant unique du roi Coste, qui refusa d’épouser l’empereur romain Maxence, parce qu’elle était chrétienne et s’était vouée au Christ. Maxence, ne parvenant pas à la convaincre de sacrifier aux idoles, fit appeler les hommes les plus sages, et cinquante philosophes et orateurs se présentèrent pour tenter de la détacher de la foi du Christ. Mais Catherine disputa si bien qu’elle réussit à les convertir, ce qui provoqua la colère de l’empereur qui les condamna au bûcher. Quant à Catherine, qui avait critiqué Maxence pour ses nouvelles persécutions contre les chrétiens, elle fut condamnée à la prison sans nourriture. Isolée dans l’abandon douze jours durant, elle fut nourrie par une colombe que Dieu lui envoya. Maxence décida alors de la mettre à mort en lui faisant subir le supplice de la roue garnie de pointes de fer, laquelle devint de ce fait l’attribut iconographique de sainte Catherine ; mais la roue se brisa par intervention divine, et la jeune fille fut sauvée. Finalement, elle fut décapitée, et de son cou jaillit du lait. L’iconographie du mariage mystique, dont nous avons ici un très bel exemple, naît plus tardivement que le culte de sainte Catherine lui-même (que l’on date du IXe siècle), probablement parce que l’attribut iconographique traditionnel de Catherine d’Alexandrie, la roue, était parfois si petit qu’il ressemblait à un anneau. Sainte très populaire, fêtée le 25 novembre, notamment par les jeunes filles non mariées de moins de 25 ans, les « catherinettes », sainte Catherine est notamment la sainte protectrice des philosophes et orateurs, des charrons et des nourrices en raison du lait qui jaillit lorsqu’elle fut décapitée. Sainte Catherine est invoquée par les naufragés, les femmes qui allaitent et contre la migraine. Panneaux du Maître du Crucifix sur fond d’argent Nous reconnaissons ici sainte Catherine qui porte toujours un livre et une couronne et qui tient, cette fois-ci, dans sa main droite une palme. Nous voyons également saint Laurent dont nous reparlerons plus tard. Celle qui nous intéresse à présent, c’est sainte Agnès. C’est la première sainte dotée d’un attribut iconographique. Figurée sous les traits d’une jeune fille avec un agneau à ses pieds ou dans les bras, comme ici, choisi en raison de l’assonance avec son nom, et avec la palme du martyre, elle a parfois le corps recouvert de sa longue chevelure. L’histoire de sainte Agnès se fonde sur deux traditions différentes qui ont été par la suite confondues et enrichies de nombreux détails. Tandis que la tradition latine parle d’une fillette âgée de douze ans égorgée vers 305, pendant les persécutions de Dioclétien, la tradition grecque rapporte l’histoire d’une vierge adulte ayant refusé de sacrifier à la déesse Vesta et condamnée à la prostitution. Mais Dieu lui fit pousser les cheveux si longs qu’ils recouvrirent son corps tout entier, et lui envoya un ange qui la revêtit d’une robe blanche. C’est ainsi qu’Agnès parvint à rester pure et chaste. On raconte encore qu’elle fut jetée sur un bûcher mais qu’elle resta indemne, car les flammes se divisèrent. Pour finir, on lui trancha la gorge. Agnès est la sainte protectrice des vierges, des fiancées (parce qu’elle a choisi le Christ pour fiancé), et des jardiniers (parce que la virginité est généralement symbolisé par un jardin clos). Saint Laurent Sainte Agnès Sainte Catherine Sainte Catherine d’Alexandrie, Bernardino Lanzani Sainte Catherine est représentée ici sans attribut autre que la palme. Saint François d’Assise et saint Etienne, Francesco de Tatti Représenté sous les traits d’un jeune homme en habit de diacre, avec la dalmatique (= vêtement de chœur en forme de croix avec des manches courtes, la dalmatique se décline selon les couleurs du temps liturgique) rouge et l’étole en bandoulière, il peut porter la tonsure monacale, en particulier dans les représentations médiévales. Ses attributs sont les pierres avec lesquelles il fut lapidé et auxquelles on peut ajouter la palme du martyre et le livre. Saint Étienne est considéré comme le premier des martyrs. Probablement juif d’origine hellénique, c’est-à-dire grecque, saint Étienne, après s’être converti au christianisme, devint diacre. Il était chargé de la distribution quotidienne de la nourriture à la communauté, en particulier aux veuves. Étienne avait une grande connaissance des Écritures, ce qui lui permit de soutenir une longue dispute devant le Sanhédrin (=assemblée législative traditionnelle du peuple juif qui siège normalement à Jérusalem), après avoir été accusé de blasphème contre Moïse et Dieu. Ceux qui avaient les yeux fixés sur lui purent voir que son visage était comme celui d’un ange cependant qu’il démontrait, en se fondant sur les Écritures, que les Juifs résistaient encore à l’Esprit saint et ne voulaient pas reconnaître le Messie. Les prêtres qui devaient le juger, se jetèrent alors sur lui et, comme Étienne disait voir dans le ciel la gloire de Dieu, ils le menèrent hors de la ville et le lapidèrent (=tuèrent à coups de pierre). Invoqué contre la migraine et pour la « bonne mort », saint Étienne est le saint protecteur des diacres, des tailleurs de pierre, des maçons, des paveurs. Les pierres, objet du martyre de saint Étienne Les représentations évoquées jusqu’à présent sont des représentations médiévales répondant à des codes très particuliers. L’image étant à l’époque le seul moyen pour les fidèles d’accéder aux Écritures, car la majorité de la population ne savait pas lire, il fallait que les personnages saints soient tout de suite identifiables, et les attributs étaient un moyen très efficace pour caractériser tel ou tel personnage. Souvent, donc, les personnages étaient représentés avec un, deux voire tous leurs attributs pour être sûr qu’on les reconnaîtrait. De plus, au Moyen Age, les personnages des peintures religieuses étaient très droits, raides, hiératiques. Le but n’était pas tant de représenter les personnages tels qu’ils étaient que de montrer leur caractère divin et leur puissance. N’oublions pas que l’Église était la première puissance, spirituelle comme temporelle, au Moyen Age, et que la religion se trouvait au sommet de la société. La Renaissance, qui naît et se développe dans un premier temps à Florence, est une période de profonds bouleversements qui remettent en cause cette vision de la société, notamment sous l’influence de la famille Médicis. Alors qu’au Moyen Age tout était subordonné à la religion, la Renaissance se présente comme l’appropriation du monde par l’Homme. La Renaissance c’est un état d’esprit mais c’est aussi une doctrine : l’humanisme où l’Homme se découvre capable d’agir sur son environnement. On redécouvre les textes de l’Antiquité considérée comme l’âge d’or de l’humanité ; la Renaissance artistique fait suite à la Renaissance philosophique, notamment par le biais de l’architecture. La révolution de la peinture ne vient qu’après, grâce à des évolutions techniques comme le perfectionnement de la technique de la peinture à l’huile vers 1470 (frères Van Eyck). Elle permet aux artistes de s'améliorer dans le rendu des matières (les tissus, la peau, les cheveux, la lumière puis l’ombre à partir de Masaccio) et de peindre sur un support différent : la toile (sur laquelle ne pouvait tenir la peinture a tempera), moins lourde que le bois et moins longue à préparer. Tous ces facteurs techniques et le contexte historique font évoluer la manière de représenter. Les artistes cherchent de plus en plus à donner l’illusion du réel. Les images commencent à ressembler de plus en plus à la réalité ; la peinture se met à la dimension de l’Homme et perd de son aspect surnaturel. La médecine, notamment par le biais de l’anatomie, fait d’incroyables progrès. L’observation de la nature et de ses détails, de l’être humain, son corps, ses gestes donne envie de les reproduire fidèlement. Peintures caravagesques 1 (second étage) : On a tendance à considérer deux périodes distinctes dans la Renaissance. Si la première partie de la Renaissance, qui court de 1453 à 1563, se veut comme le triomphe de l’Homme, la prise de conscience de sa place au centre du monde et, donc, se traduit par un certain recul de la religion, les crises du début du XVIe siècle (Savonarole, sac de Rome, crises scientifiques), notamment l’avènement du protestantisme, ont comme conséquence le retour en force de l’Église. Dans une Europe déchirée par les guerres de religion, on craint, en effet, d’être allé trop loin dans la modernité et l’innovation et on se tourne donc vers des valeurs plus traditionnelles et plus rassurantes. C’est la Renaissance « tardive ». Les personnes éminentes de l’Église catholique se réunissent lors du Concile de Trente (1545-1563) pour trouver des solutions aux problèmes rencontrés par l’Église et tenter de ramener les fidèles en son sein. L’art est imaginé comme l’une de ces solutions. Nous l’avons vu, l’art a souvent été vu comme un moyen puissant d’instruction et d’enseignement, et les autorités ecclésiastiques pensent nécessaire de créer des images fortes, symboles de la puissance de l’Église. Les sujets religieux font leur grand retour dans la peinture grâce au style baroque, avec le souci constant d’être le plus fidèle possible aux Écritures. Caravage fait partie des premiers artistes de la Contre-Réforme. Il est l’un des précurseurs du style baroque. Très vite, le napolitain qui s’illustre par le réalisme frappant de ses tableaux, reçoit des commandes du clergé afin de réaliser des œuvres qui susciteront à coup sûr l’intérêt des fidèles. Avec la technique du clair-obscur, Caravage donne une tension dramatique à ses représentations, et la beauté de ces tableaux naît de leur brutalité. Tout est fait pour frapper l’imagination et provoquer mimésis et compassion. Nous sommes ici dans l’une des deux pièces consacrées aux œuvres caravagesques, c’est-à-dire inspirées par l’œuvre de Caravage. Saint Étienne, Anonyme du XVIIe siècle On reconnaît les palmes du martyre mais les pierres ne sont plus visibles que dans le fond du tableau, car la Contre-Réforme a éliminé tous les symboles / attributs qui pouvaient prêter à sourire. En effet, si l’on veut reconquérir les fidèles, les saints ne doivent en aucun cas être ridicules, ce qui jetterait un certain discrédit sur l’Église. De plus, la peinture tend depuis le début de la Renaissance à retranscrire la réalité le plus fidèlement possible. Or, un saint représenté avec des pierres autour de la tête est loin d’être réaliste. L’humanisme est passé par là, les mentalités ont évolué. La ContreRéforme souhaite désormais s’en tenir aux textes religieux. On reconnaît donc saint Étienne à sa dalmatique jaune. Il porte la palme du martyre et a les yeux levés vers le Ciel. Cependant, l’absence de tension dans son corps laisse à penser qu'il accepte sa condition. Peintures caravagesques 2 (second étage) : Le martyre de saint Pierre, Luca Giordano Par humilité envers la Passion du Christ, saint Pierre demanda à être crucifié la tête en bas. Simon, appelé Pierre par la suite, était un pêcheur de Capharnaüm qui rencontra Jésus par l’intermédiaire de son frère André. Jésus lui promit qu’il serait « pêcheur d’hommes ». Dès lors, il fut toujours avec Jésus ; Pierre était l’un des douze apôtres (= le groupe des Douze choisis par Jésus « pour être avec lui » et pour signifier symboliquement le peuple de la fin des temps). Si Simon reconnut le Messie, il le renia également trois fois avant de se repentir amèrement. Jésus changea son nom de Simon en Kèpha, mot hébraïque qui veut dire « pierre », devenu donc Pierre pour signifier que c’est sur lui qu’il fonderait l’Église. Les apôtres reconnurent la primauté et l’autorité de Pierre : celui-ci fut considéré comme le premier à avoir baptisé, opéré des miracles et organisé l’Église ; il fut le premier pape. Il mourut sous l’empereur Néron : d’après la tradition, il fut crucifié. Il n’y a, cependant, que très peu de détails concernant le crucifiement de saint Pierre. On ne sait par exemple s’il a été fixé sur la croix par des clous ou par des cordes, et la liberté est laissée aux artistes pour les représentations. La mort de saint Pierre a lieu sans témoins, il est souvent entouré de bourreaux qui s’acharnent sur lui, et on voit parfois des anges autour de sa tête. Toutefois, on l’aura compris, l’intérêt premier de cette œuvre réside dans la dramatisation. Cette toile de Luca Giordano rappelle fortement l’art de Caravage : clairs-obscurs dramatiques, trivialité des visages de mauvais garçons des bourreaux. Une dizaine de personnages animent le tableau et deux d’entre eux, vus de profil, encadrent la scène : le corps dénudé et tout en tension de saint Pierre est éclairé d’une lumière violente et se détache du fond sombre d’un brun violet. Toute la gamme chromatique tourne autour des tons bruns, roux et violacés. Par son attitude, l’homme qui se trouve à l’extrême gauche fait penser à un autoportrait. Autoportrait ? Le martyre de saint Sébastien, Luca Giordano Il existe plusieurs types de représentation de saint Sébastien mais la figuration la plus répandue est celle de l’époque de la Renaissance, qui présente un jeune homme attaché et percé de flèches. Les attributs de saint Sébastien sont les flèches et la palme du martyre. Il est parfois en tenue de soldat, car il était centurion. Converti au christianisme, il profita de cette position pour aider ses coreligionnaires qui étaient emprisonnés, ce pourquoi l’empereur Dioclétien le condamna à mort. Il fut condamné à être transpercé de flèches et laissé pour mort. Une veuve, Irène, releva son corps abandonné pour l’enterrer mais s’aperçut qu’il vivait encore et le soigna. Guéri, Sébastien se rendit au palais impérial pour se présenter de nouveau devant Dioclétien et proclamer sa foi. Il fut flagellé et, cette fois, il ne survécut pas. Son corps fut jeté dans l’égout de la Cloaca Maxima. En art, on distingue les deux martyres, mais c’est le premier que les artistes choisissent généralement de représenter, car il est plus populaire, même s’il n’est pas fatal. De l’avis des spécialistes de la peinture napolitaine, ce saint Sébastien est un chef-d’œuvre de la jeunesse de Luca Giordano. La force de cette scène, qui n’est aucunement naturaliste, réside dans sa construction à partir d’un clair-obscur très contrasté où c’est moins le corps qui est représenté que la manière dont il renvoie la lumière ; le fond est noir, la lumière, violente, détache le corps blanc du personnage, donnant des aspects argentés sur le visage. De plus, la rareté et le raffinement des couleurs qui ne se devinent qu’après quelques minutes d’examen (le bleu sombre du drapé, la paupière rougie ou la branche jaune), accentuent encore la morbidité de la représentation. Le saint Sébastien de Giordano est bien un manifeste de la peinture baroque : tout est fait pour donner une intensité dramatique maximale au tableau. Grande galerie (second étage) : Martyre de saint Laurent, Danièle Seyter (attribué à) Saint Laurent est généralement représenté comme diacre, avec la dalmatique, le livre des psaumes et l’aumône et, comme martyr, avec le gril et la palme. Laurent était l’un des sept diacres romains pendant les persécutions de l’empereur Valérien. La Légende dorée tira un long récit sur le diacre Laurent et sur son martyre : selon elle, Laurent était espagnol et fut appelé en Italie par le pape pour devenir diacre à Rome. Au nombre des tâches du diacre figurait celle de distribuer les biens aux pauvres, et Laurent leur donna toutes les richesses de l’Église quand le préfet Cornelius voulut s’en emparer. Laurent se présenta alors devant lui avec ses pauvres en disant que c’était eux le véritable trésor de l’Église. Pour avoir tenu tête à l’Empereur, il fut arrêté et torturé sur un gril posé sur des charbons ardents et, selon la tradition, avant de mourir, il aurait dit à Valérien, qui assistait au supplice : « Je suis bien rôti de ce côté-ci, tourne-moi de l’autre côté et mange-moi. » Saint Laurent est le protecteur des rôtisseurs, cuisiniers, aubergistes, pompiers, pauvres et est généralement invoqué contre les incendies et le lumbago. Il s’agit d’un saint préventif. Dans cette scène assez sombre, représentative de l’art du XVIIe siècle, un grand prêtre païen montre à Laurent une statue, sans doute une idole païenne, l’encourageant à abjurer sa Foi. Le corps de saint Laurent a l’air plutôt en bonne santé. Il regarde déjà vers le Ciel. Il accepte son sort de martyr. Salle Giaquinto (premier étage) : La salle Giaquinto est la salle dédiée à l’un des grands maîtres napolitains représentatifs de l’art baroque, plus précisément du rococo : Corrado Giaquinto. Ses peintures, très colorées, présentent toutes un côté très mouvementé : on en rajoute dans les drapés, dans l’éclat des lumières et des couleurs, dans les jeux d’ombre et de lumière. Giaquinto eut réellement une carrière internationale. Élève de Solimena, qui a peint Le départ de Rébecca, présent dans cette pièce, il a participé à de nombreux décors d’églises romaines. Mais c’est lorsqu’il est appelé par le roi d’Espagne pour réaliser les décors de résidences officielles, notamment le palais royal de Madrid, que sa renommée atteint son apogée. Le palais Fesch conserve l’ensemble de peintures de cet artiste, le plus important deFrance, et même son autoportrait. Le terme baroque vient d’un mot portugais « barroco », qui désigne une perle irrégulière. Il signifie donc du contraste, de l’audace, du naturel, une plus grande liberté et, selon certains, de l’incohérence, par rapport aux formes équilibrées et symétriques de l’art de la première Renaissance. L’art baroque, sorte d’application artistique de la Contre-Réforme, naît à Rome en 1630 avant de se diffuser dans le reste de l’Europe. Le martyre de saint Laurent, Corrado Giaquinto Cette scène de martyre contraste avec celle, beaucoup plus sombre, de la Grande galerie. On y voit saint Laurent, reconnaissable à sa robe rouge, les yeux levés vers le Ciel dans une mise en scène aux couleurs plus douces. La présence des angelots, ainsi que l’utilisation du plan rapproché accentuent encore cette impression d’intimité. La représentation est très proche de la tradition, conformément au respect des Écritures préconisé par la Contre-Réforme, et en même temps proche de nous par son grand réalisme. Le martyre des saints Marthe, Marius, Habacus et Audifax , Corrado Giaquinto Ce tableau est à rattacher au décor d’une église de Rome. Il retrace le martyre de sainte Marthe de Perse qui fut suppliciée à Rome en 270 avec son époux, Marius le Persan, et ses deux enfants, Habacus et Audifax. Marius fut suspendu et eut les mains tranchées, tandis que Marthe fut plongée la tête en bas dans un puits. Giaquinto réinvente ici le martyre de sainte Marthe. Le bourreau tient Marthe fermement par les cheveux et s’apprête à lui trancher la tête, ce qui ne correspond pas à l’iconographie traditionnelle de ce martyre. Cette modification permet à Giaquinto de rendre la scène encore plus dramatique. Il divise le tableau par une diagonale qui sépare la scène du martyre du groupe présentant la famille éplorée. Le corps de Marthe, représenté dans une torsion assez violente causée par le geste du bourreau, est très éclairé. De même, la lumière met en évidence le mari et les enfants de la suppliciée qui s’efforcent de ne pas regarder l’atroce spectacle, bien qu’un homme, à l’arrière, tende le bras pour le leur indiquer. Ce geste permet aux deux scènes d’être reliées entre elles, comme c’est souvent le cas dans la peinture baroque. Le personnage au premier plan à gauche, penché vers l’arrière, accentue la perspective et la profondeur du tableau. Réalisation : Parcours réalisé par Eva Lando, Animatrice pédagogique, Secteur éducatif, Palais Fesch-musée des Beaux Arts Photographies : ©Palais Fesch-musée des Beaux Arts / RMN-Gérard Blot Toutes les œuvres évoquées dans le présent parcours n'ont pas été reproduites dans le document. Cependant, afin de préparer au mieux votre visite, elles sont consultables en ligne, sur le site du Palais Fesch : www.musee-fesch.com.